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Depuis une dizaine d’années, le nombre de publications consacrées à l’évangile de Marcion a littéralement explosé. Cette situation est essentiellement due à la remise en question de l’opinio communis qui prévaut depuis Tertullien, selon laquelle Marcion aurait publié une version abrégée et modifiée de l’évangile canonique de Luc expurgé de ses traits judaïsants, dont il aurait fait son « évangile ». Celui-ci, joint à l’édition marcionite du corpus paulinien, réduit à dix lettres (dans cet ordre : Ga, 1-2 Co, Rm, 1-2 Th, Laodicéens [= Ep], Col, Ph, Phm), constituait le « Nouveau Testament » marcionite. Cette façon de voir les choses s’est imposée surtout à la suite des travaux de Theodor Zahn et d’Adolf von Harnack[1], qui, à partir des citations de Tertullien, d’Épiphane de Salamine et du De recta in Deum fide d’Adamantius, ont reconstitué l’Euanggelion et l’Apostolikon ou Apostolos de Marcion. La perspective imposée par Tertullien et les autres hérésiologistes a été récusée plus récemment par Markus Vinzent, dont le Marcion and the Dating of the Synoptic Gospels[2] renversait en quelque sorte la pyramide : l’évangile composé par Marcion, loin d’être une révision tendancieuse de celui de Luc, était promu au rang de premier évangile et devenait la source des quatre canoniques. La thèse de Vinzent n’était toutefois pas nouvelle : elle a été avancée à de multiples reprises depuis la fin du xviiie siècle. Déjà en 1767, Johann Salomo Semler affirmait l’originalité et l’antériorité de la recension évangélique marcionite par rapport à l’évangile canonique de Luc[3]. L’attaque frontale menée par Vinzent a eu au moins le mérite de montrer les faiblesses de la thèse traditionnelle et de rappeler qu’on ne peut réduire Marcion à la caricature qu’en ont faite les hérésiologues ni faire abstraction de son rôle dans la constitution des écritures chrétiennes[4].

L’ouvrage que nous présentons dans cette note constitue l’essai le plus massif de reconsidération de l’évangile marcionite à avoir jamais été publié. Il s’agit de la traduction anglaise d’un ouvrage allemand paru en 2015 sous le même format[5]. L’équivalent anglais n’est toutefois pas une simple traduction de l’original allemand. Il s’agit pratiquement d’une nouvelle édition. De nombreux éléments de détail ont été ajoutés, modifiés ou corrigés au fil du texte et, outre une préface propre à l’édition anglaise, l’auteur a rédigé, pour la fin de la première partie (p. 409-441), un « Epilogue on Methodology » intitulé « The Marcionite Gospel in Recent Discussion » dans lequel il répond aux critiques formulées à la suite de la parution de l’ouvrage allemand[6].

Le premier volume de cette monographie s’intitule « Enquête » et comporte quinze sections (identifiées par le signe §) réparties en cinq chapitres suivis d’un épilogue. Le premier chapitre, « Inquiry and Topic », propose tout d’abord (§ 1) un aperçu de la recherche consacrée aux évangiles canoniques au xixe siècle (question synoptique et relation de Luc et de l’évangile marcionite [désigné par le sigle *Ev, que nous reprenons[7]]). Dans la seconde section du chapitre (§ 2, « Inquiry and Thesis »), l’auteur énonce clairement et son projet et le résultat final de son enquête : « En inversant la relation traditionnelle entre Luc et l’évangile marcionite, on obtient un texte supplémentaire — l’évangile marcionite — qui est très pertinent pour le réseau des relations synoptiques. Ce renversement de la relation éditoriale entre l’évangile marcionite et Luc constitue le coeur de cette enquête » (p. 22). Il énonce ensuite les trois thèses, curieusement qualifiées d’« aperçus » ou « points de vue » (Insights, dans la version allemande : Einsichten), qui constituent le socle de son entreprise et dont voici la traduction :

1. Le premier point de vue concerne la priorité de l’*Ev sur Luc : Marcion n’a pas révisé et abrégé le Luc canonique, mais Luc est une rédaction (principalement une expansion) de l’évangile qui a été utilisé par Marcion et aussi par d’autres.

2. L’évangile marcionite n’est pas seulement un texte pré-lucanien mais un texte pré-canonique : l’évangile marcionite fut disponible comme source pour tous les évangiles canoniques, et il a été utilisé par eux de différentes manières et à différents degrés. L’évangile présenté par Marcion est donc la plus ancienne description littérairement accessible de la vie de Jésus. Bien que cela ne permette pas de fixer la chronologie, certaines indications suggèrent que la destruction de Jérusalem en 70 de notre ère a précédé l’évangile de Marcion.

3. Le texte de l’évangile de Luc dans ses éditions critiques communes (Novum Testamentum graece27/28, The Greek New Testament4) avec leurs nombreuses décisions de critique textuelle ne contient pas les formulations de Luc comme une partie de l’édition canonique du « Nouveau Testament » mais des leçons de cet évangile le plus ancien, pré-canonique. Pour la reconstruction de l’évangile le plus ancien, il est donc décisif de disposer non seulement de connaissances sur l’histoire de la tradition évangélique tirées de la critique des sources et de la rédaction, mais aussi d’observations de critique textuelle relatives à l’histoire de la tradition textuelle.

p. 22, italiques de l’auteur

Un point important doit être rappelé ici : lorsque Klinghardt parle de l’évangile marcionite (*Ev), il ne s’agit pas, comme on peut le lire ailleurs, notamment chez Vinzent, d’un évangile composé ou édité par Marcion, mais de l’évangile utilisé par lui et qui lui était donc antérieur. Quoi qu’il en soit de la thèse de Klinghardt et des liens de dépendance ou non de l’évangile de Marcion par rapport à celui de Luc, il y a là un acquis qui n’est plus guère contesté : contrairement à ce qu’affirme uniment la tradition hérésiologique, Marcion disposait d’un texte évangélique — un seul évangile — apparenté au Luc canonique, dont il n’était pas l’auteur ou l’éditeur, mais qu’il avait reçu.

Le deuxième chapitre de l’ouvrage est consacré à « l’évangile marcionite et son texte dans l’Église ancienne ». Klinghardt revient tout d’abord (§ 3) sur les affirmations des hérésiologistes relatives à l’*Ev et sur les attestations parfois inconsistantes de celui-ci chez Tertullien, Épiphane et Adamantius. La section suivante (§ 4) considère la « portée (Scope/Umfang) et la langue de l’évangile marcionite ». Sur ce dernier point Klinghardt pense que Tertullien, comme aussi Épiphane et Adamantius, a lu l’*Ev en grec et non dans une traduction latine. La section § 5, « Le texte de l’*Ev et la tradition textuelle canonique », aboutit à la conclusion que « (1) l’*Ev est en fait un texte pré-lucanien, et que (2) l’*Ev est en fait largement repris dans (des variantes de) la tradition textuelle canonique » (p. 114). Ces variantes anciennes qui donneraient accès à l’*Ev et donc à un texte pré-canonique sont à chercher dans les témoins du texte dit occidental représenté, entre autres, par le Codex Bezae (D/05), dont les leçons, nombreuses dans le Luc canonique, « remontent à l’évangile précanonique, utilisé par les Marcionites et par d’autres groupes présentés comme hérétiques » (p. 95), la Vetus Latina et la Vetus Syra. La prise en compte de ces variantes dans l’*Ev et dans la tradition manuscrite canonique de Luc permet d’établir que « l’*Ev (dans sa forme textuelle caractéristique) représente le plus ancien exemple attesté d’un très ancien évangile » (p. 83). Pour en arriver là, il faut selon Klinghardt admettre, à titre de postulats, « deux préalables méthodologiques essentiels », dont la démonstration interviendra au terme de l’enquête. Le premier concerne « la relation en termes de critique des sources entre l’*Ev et Luc. La direction éditoriale ne va pas (comme le supposait Harnack) de Luc à l’*Ev. Au contraire, le Luc canonique a remanié et complété le texte plus ancien de l’*Ev ». Le second postulat est le suivant : « […] l’*Ev n’est pas seulement un texte pré-lucanien, mais un texte pré-canonique. Il a précédé les quatre évangiles canoniques et a été utilisé par chacun d’eux » (p. 79, italiques de l’auteur).

Le troisième chapitre, intitulé « La relation littéraire entre l’*Ev et Luc », examine tout d’abord (§ 6) les apories engendrées par la thèse traditionnelle de la priorité de Luc, à savoir que, d’une part, « les hérésiologistes s’accordent à dire que Marcion a modifié l’évangile de Luc en fonction de ses préférences théologiques », et que, d’autre part, « leur propre argumentation implique que la prétendue corrélation entre le texte évangélique de Marcion et sa théologie ne peut être documentée » (p. 117), les hérésiologistes allant même jusqu’à affirmer que l’*Ev réfute la théologie de Marcion. Seule échappatoire à ces apories : la priorité de l’*Ev sur l’évangile de Luc, ce qui implique de renoncer à l’image « moderne » imposée par Harnack d’un Marcion réformateur qui aurait voulu restaurer la vérité de l’évangile en le débarrassant des interpolations judaïques qui le défigure. Les sections § 7 et 8 portent respectivement sur le début et la fin de l’*Ev et leur révision lucanienne, et « visent à justifier la priorité de l’*Ev sur le Luc canonique en prouvant que les différences probables entre ces deux textes — attestées par les hérésiologues et par les observations tirées de l’histoire des textes — aboutissent à un concept éditorial cohérent dans Luc-Actes. La vraisemblance de la priorité de l’*Ev augmente dans la mesure où ces différences éditoriales s’avèrent ressembler à une rédaction lucanienne intégrée » (p. 143), dans la mesure, donc, où « la rédaction lucanienne de l’évangile de Marcion révèle un projet éditorial cohérent » (p. 164). La section § 9 de ce chapitre (« *Ev-Priority : Outcomes and Further Questions ») dresse un premier bilan de la démarche : d’après Klinghardt, « l’hypothèse d’une rédaction marcionite du Luc canonique (traditionnelle depuis Irénée) échoue entièrement, car elle ne révèle pas le concept éditorial de Marcion qui explique ses altérations » (p. 178).

Le long chapitre IV (170 pages), sous un titre ambitieux (« From the Oldest Gospel to the Canonical Four-Gospel Book : An Outline of the Tradition History »), s’ouvre par l’affirmation que « la thèse de la priorité l’*Ev sur Luc, qui a été confirmée par l’analyse de l’orientation éditoriale entre les textes, a des conséquences significatives pour la perspective de l’histoire de la tradition des évangiles canoniques » (p. 187). En d’autres termes, elle exige un réexamen du « soi-disant problème synoptique » en fonction de ce que l’auteur considère comme acquis : « Puisque l’*Ev est plus ancien que Luc, puisque l’*Ev a été utilisé par Luc comme source principale, et puisqu’il a été révisé par Luc, l’*Ev représente une source supplémentaire pour l’histoire de la tradition des évangiles synoptiques. Contrairement à la source hypothétiquement construite “Q” — un postulat méthodologique de la théorie des deux sources — l’existence de l’*Ev est établie au-delà de tout doute » (p. 187). Sur la base de cette assertion péremptoire et après avoir rappelé la faillite des solutions classiques du problème synoptique, l’auteur propose, à titre de « working hypothesis », de situer l’*Ev sur l’horizon des évangiles canoniques (§ 10). Il aboutit à un stemma complexe (fig. 3, p. 197) qui postule que (1) Luc est influencé par l’*Ev et (2) Matthieu par Marc, lequel (3) l’est par l’*Ev (4) tout comme Matthieu, (5) qui à son tour influence Luc, (6) alors que Jean dépend directement de l’*Ev et (7) Luc de Jean et que, finalement, (8) Marc influence Luc. Les quatre évangéliques reprennent donc tous, d’une manière ou d’une autre, l’*Ev alors que Luc, en plus de l’*Ev, dépend des trois autres canoniques. Ce modèle sert d’hypothèse de travail pour intégrer l’*Ev dans une représentation globale de la tradition évangélique canonique, ce à quoi l’auteur procède dans les sections suivantes : § 11 (la relation entre l’*Ev et Marc), 12 (Matthieu comme une compilation de Marc et de l’*Ev), et 13 (les relations entre l’*Ev, Jean et Luc). La section § 14, consacrée à la rédaction canonique des évangiles, fait la synthèse de ce qui précède en supposant « une étape éditoriale finale qui dépasse les différentes étapes du développement pré-canonique » (p. 323). « Contrairement aux révisions précédentes (qui s’appuient successivement les unes sur les autres), cette rédaction suppose qu’elle provient d’une seule et même main » (ibid., italiques de l’auteur) et se déploie en quatre « interventions éditoriales » (fig. 12, p. 324) : A. le Luc canonique dépend directement de l’*Ev et il recueille l’influence du proto-Jean et du proto-Matthieu ; B. le Marc canonique dépend d’un proto-Marc influencé par l’*Ev ; C. le Matthieu canonique dépend d’un proto-Matthieu influencé par le proto-Marc et, indirectement, par l’*Ev ; D. le Jean canonique dépend d’un proto-Jean. L’« étape finale de la rédaction » représentée par les quatre canoniques constitue pour Klinghardt « une seule étape rédactionnelle » : « […] il n’y a pas eu, affirme-t-il, plusieurs étapes éditoriales successives, mais une seule main : la rédaction canonique des évangiles » (p. 358, italiques de l’auteur). Et d’ajouter : « L’éditeur, qui a révisé l’*Ev (l’évangile le plus ancien, précanonique), qui l’a transformé en Luc canonique, et qui l’a finalement combiné avec les Actes dans un “ouvrage en deux volumes” fictif, est donc l’éditeur du Nouveau Testament, ou un collaborateur de son édition » (ibid.). La réserve finale (« ou un collaborateur de son édition ») tempère quelque peu le ton absolu de la plupart des affirmations de l’auteur, comme aussi ce qu’il concède au sujet du stemma de la fig. 12 : « […] une preuve exhaustive est impossible dans le cadre de cette étude », malgré ses 1 400 pages ! L’œuvre lucanienne est en quelque sorte la pierre d’angle de la construction néotestamentaire élaborée par Klinghardt :

L’« œuvre lucanienne en deux volumes » ainsi créée représente à plusieurs égards la pièce maîtresse littéraire de cette édition canonique. Luc, qui représente le point final de l’histoire de la tradition, présuppose et unifie toute la tradition évangélique canonique. Les Actes réalisent l’intégration littéraire des apôtres de Jérusalem (Pierre, Jacques et Jean) et de leurs écrits (Jean ; les épîtres catholiques ; l’Apocalypse) avec Paul et ses lettres (p. 358-359).

Intitulé « Perspectives » (Outlook/Ausblick), le cinquième et dernier chapitre de la première partie de l’ouvrage ne comprend qu’une seule section (§ 15) : « Réponses et questions ». L’auteur revient d’abord sur la « perspective première et fondamentale » de son étude, la priorité de l’*Ev par rapport à Luc. Passant ensuite à l’histoire de la tradition évangélique, il insiste avec raison sur le fait que celle-ci est essentiellement un processus de rédaction littéraire, s’écartant ainsi des explications qui misent sur l’oralité : « L’oralité n’est pas une catégorie qui peut être légitimement postulée pour expliquer l’histoire de la tradition des évangiles » (p. 375). La figure 13 de la p. 383 indique qu’une collection protocanonique des quatre évangiles a pu précéder l’édition canonique qui, jointe à l’Ancien Testament et au reste du Nouveau (Actes, Paul et les autres lettres, Apocalypse), aurait constitué les écritures chrétiennes. Quant à l’édition canonique du Nouveau Testament, on peut lui attribuer un terminus ante quem qui ne serait pas postérieur au dernier tiers du iie siècle (p. 387). En ce qui concerne le terminus post quem, Klinghardt avance les dates suivantes : « Dans l’hypothèse d’une distribution uniforme, la datation de l’*Ev pourrait partir de 90 de notre ère, celle du proto-Marc de la première décennie du iie siècle, celle du proto-Matthieu du milieu des années 120 et celle du proto-Jean de peu avant 144 de notre ère », l’émergence du Luc canonique se situant entre 144 et 155 (p. 392-393), date qui coïnciderait avec celle de l’apparition de l’édition canonique du tétraévangile sinon du Nouveau Testament dans son entier (cf. p. 390). Klinghardt considère par ailleurs que « les différentes étapes pré-canoniques de la tradition sont probablement séparées par des mois ou quelques années seulement plutôt que par des décennies » (p. 392), la rapidité du processus s’expliquant par le rôle de catalyseur joué par Marcion en regard d’un développement qui aurait commencé avant lui et indépendamment de lui (p. 403). Les dernières pages de ce chapitre reviennent sur la figure de Marcion, qui n’est plus le rédacteur du Luc canonique et le réformateur de l’Église imaginé par Harnack, ni l’auteur de l’*Ev, comme le pense Markus Vinzent, mais plutôt quelqu’un qui, persistant à recevoir l’*Ev comme le seul évangile face à la mise en place d’une collection protocanonique, aurait provoqué la cristallisation de l’édition canonique.

La seconde partie de l’ouvrage et la plus imposante se compose de trois appendices. Le premier, qui totalise 775 pages, contient la reconstruction du plus ancien évangile, en l’occurrence l’*Ev. Comme il est habituel pour l’évangile marcionite, les péricopes, versets et mots sont référencés par les numéros de chapitre et de verset de Luc. L’introduction de l’appendice explique les conventions typographiques qui ont été adoptées : gras souligné pour les passages attestés littéralement, gras pour les passages attestés mais non littéralement, le texte lucanien qui encadre les passages en question demeurant en maigre. Les passages attestés pour l’*Ev mais qui n’ont pas leur contrepartie chez Luc sont signalés par des accolades ({   }) et ceux qui manquaient sûrement dans l’*Ev sont placés entre doubles crochets carrés ([[  ]]). Chaque entrée comprend la référence de la péricope ou du passage, suivie de trois sections : A. les témoignages du texte de l’*Ev : Tertullien, Épiphane, Adamantius, et les témoignages additionnels s’il s’en trouve ; B. les données de critique textuelle les plus importantes touchant des variantes du texte canonique de Luc qui coïncident avec les attestations hérésiologiques directes de l’*Ev ou qui les complètent ; C. une évaluation critique et une justification des décisions qui sous-tendent la reconstruction. Il est à noter que le texte grec de référence est celui de la 27e édition du Novum Testamentum Graece (1993), dont la 28e édition (2012) représente une révision en profondeur ; de même, c’est la 4e édition du Greek New Testament (1993) qui a été utilisée au lieu de la cinquième (2014) (cf. toutefois, p. 1 325, n. 1). Il va sans dire que l’Appendice I constitue la pièce de résistance du magnum opus de Matthias Klinghardt. Peu importe le sort que l’on fera à ses hypothèses, on y trouvera une mine inépuisable d’informations textuelles et une référence obligée pour toute recherche future sur l’*Ev et même, plus largement, sur le texte des synoptiques. L’Appendice II donne, en texte suivi et avec un minimum d’indications la traduction anglaise de l’*Ev. Cette traduction, réalisée par le regretté Stephen Trobisch, a été publiée séparément en 2018[8] (Trobisch a également travaillé à la traduction anglaise de la totalité de l’ouvrage allemand). L’Appendice III, « The Attestations for *Ev and Their Analogies in the Manuscripts of the Canonical Luke » constitue un important complément à la reconstruction du texte de l’*Ev de l’Appendice I. Une notation chiffrée, de 1 à 4, catégorise les attestations selon leur relation à la tradition manuscrite de Luc : 1. les attestations documentées exclusivement par les témoins hérésiologiques, sans analogue dans la tradition manuscrite canonique ; 2. les attestions ayant un analogue dans le texte occidental, c’est-à-dire dans la Vetus Latina, la Vetus Syra ou le Codex Bezae ; 3. les attestations de l’*Ev qui s’accordent aux autres versions de Luc, en particulier copte et éthiopienne ; 4. les attestations de l’*Ev qui, outre le Codex Bezae, trouvent leur équivalent dans des manuscrits grecs de Luc.

Comme on peut le pressentir à la lecture de la présente note, l’ouvrage de Matthias Klinghardt repose sur une recherche approfondie et l’évaluation des hypothèses qu’il avance et des résultats auxquels il aboutit demandera du temps. L’utilité de ce gigantesque travail ne fait toutefois pas de doute, ne serait-ce que par la masse documentaire dont s’accompagne la reconstruction de l’évangile marcionite. La parution de cette traduction anglaise, dans une présentation soignée et claire[9], de l’original allemand assurera à l’ouvrage la diffusion qu’il mérite. Tout comme l’auteur, l’éditeur et les responsables de la collection « Biblical Tools and Studies » ont droit à toute notre reconnaissance[10].