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Comme vous l’aurez remarqué, nous ne cessons de déroger à notre engagement de publier le numéro spécial en décembre. Celui prévu pour cette année paraîtra l’année prochaine. C’est que ces numéros spéciaux sont difficiles à gérer tant pour le, la ou les directeurs que pour nous, étant donné le nombre d’intervenants en jeu. Quant aux directeurs de numéros spéciaux, ils et elles n’ont pas toujours pleine conscience des impératifs éditoriaux liés à un numéro de Meta et se trouvent souvent pris par le temps. J’aimerais ici rappeler notre politique en la matière. Une fois le projet de numéro spécial approuvé par le comité de rédaction, c’est aux directeurs de solliciter les articles, de leur faire subir une double évaluation anonyme par les pairs et de faire le suivi des corrections éventuelles. Une fois les articles réunis, avec leurs formulaires de statut dûment remplis, les directeurs les envoient à Meta accompagnés des rapports d’évaluation et des coordonnées des évaluateurs. Au vu de ce matériel, le comité de rédaction se voit parfois amené à demander une nouvelle évaluation. Il se chargera dans tous les cas de faire évaluer les articles éventuels des directeurs. Les directeurs rédigeront finalement l’introduction du numéro et décideront de l’ordre d’apparition des articles. Tout cela représente des démarches qui se révèlent plus lourdes que pour les numéros réguliers. Mais nous acceptons cette surcharge de travail, conscients de l’intérêt que revêt pour nos lecteurs ce numéro spécial annuel. Cela dit, les demandes sont légion et nous sommes d’ores et déjà « bookés » jusqu’en 2026.

Venons-en à nos moutons de décembre et à, nous l’espérons, un retour à une certaine normalité dans nos universités et institutions. Le présent numéro est bien équilibré sur le plan linguistique : trois articles en français, trois en espagnol et quatre en anglais. Mais on notera que six d’entre eux sont écrits par des chercheurs hispanophones !

Le premier article est une étude empirique, réalisée dans des universités espagnoles, sur la façon dont les matières théoriques sont reçues par les étudiants dans les programmes d’enseignement supérieur. L’analyse quantitative de plus de 1000 questionnaires et l’analyse exhaustive des plans des cours théoriques, puis l’analyse des contenus, des compétences, des activités d’enseignement et des évaluations sont les aspects centraux de cette recherche. Il en résulte d’excellentes suggestions d’amélioration de ces cours.

Le deuxième concerne l’accès libre « universel » aux études de la traduction et de l’interprétation. Effectuée par trois experts en la matière, cette étude bibliométrique vise à mesurer l’impact réel de l’accès libre. L’étude compare les résultats des publications en termes de citations en fonction de leur type d’accès. Cette analyse est basée sur un échantillon de plus de 20 000 documents en traductologie extraits de BITRA et porte sur une période de 20 ans (1996-2015). La principale conclusion indique que la différence est trop mince pour confirmer ou infirmer l’avantage des citations en libre accès.

Une autre recherche bibliométrique vise à établir l’état actuel de la recherche sur les textes audiovisuels (du cinéma, de la télévision ou d’Internet) qui traitent de la représentation de la diversité sexuelle, des identités sexuelles et de leur réécriture à travers les systèmes linguistiques. L’étude souligne la portée et les limites des recherches publiées et indique un horizon théorique et méthodologique viable en explorant la façon dont la traduction audiovisuelle et la sexualité sont conceptualisées. Sans but évaluatif, l’auteur observe l’interprétation des faits linguistiques connus sous le nom de gayspeak et de camp.

Le doublage fait l’objet de l’article suivant : doublage naturel et doublage dramatisé. L’étude examine la perception et les préférences des téléspectateurs espagnols pour ces deux styles de doublage dans différentes scènes chargées d’émotion. Le corpus est constitué des réactions de 59 téléspectateurs avec le même profil générationnel devant deux scènes représentant des émotions de haute intensité (colère et tristesse) dans une comédie romantique indépendante américaine. Les différences entre les deux versions étaient plus perceptibles dans la scène de colère que dans la scène triste.

L’article suivant examine les stratégies référentielles en lien avec les unités lexicales victime et victim dans un corpus de sept journaux francophones et anglophones du Canada durant la crise financière de 2007-2008. Un corpus de 4,2 millions de mots a permis la mise en contraste bilingue du lemme « victim* », qui a indiqué une convergence des usages : dans le contexte de la crise financière, la presse, tant en français qu’en anglais, utilise victime ou victim pour référer aux sociétés de capitaux plutôt qu’aux êtres humains. Le phénomène d’anthropomorphisme de la crise a pour effet de masquer l’agentivité des acteurs du marché.

Sur la base des résultats d’études lexicométriques précédentes qui mettent en avant un lien potentiel entre le niveau d’asymétrie juridique et le degré de variation et d’adéquation, la contribution suivante porte sur la traduction du français vers l’espagnol des noms de six organes judiciaires de systèmes francophones dans des documents des Nations Unies. L’objectif est de définir si les solutions observées dans des documents de mécanismes de surveillance de l’application des droits humains sont conformes aux priorités microtextuelles et si l’examen quantitatif des données désagrégées par années et par genres textuels expose des tendances intéressantes.

On s’intéresse ensuite au rôle des prix de traduction littéraire dans le renforcement du capital littéraire des langues sources, en l’occurrence trois prix suédois de traduction littéraire, entre 1970 et 2015. Les objectifs du présent article sont de démontrer que l’étude des prix de traduction littéraire constitue un domaine de recherche en traductologie, et d’aborder les prix de traduction littéraire comme des moyens de consécration des langues sources dans des cultures cibles. L’étude indique que le capital littéraire de l’anglais n’est pas illimité et que des langues semi-centrales ou même périphériques peuvent transférer des valeurs différentes aux institutions décernant les prix.

L’analyse contrastive des chansons de la pièce de théâtre musical The Wizard of Oz (2011) avec son sous-titrage français (2013) et son adaptation française (2014) permet de démontrer que la traduction chantable s’écarte du simple transfert linguistique. L’étude ici présentée met donc en relief les difficultés et les exigences induites par ces deux modes de traduction (comme les contraintes de temps et d’espace pour l’un, et les contraintes métriques et musicales pour l’autre) pour rendre ce type de chansons. S’articulant autour de deux aspects, les syllabes et la rime, la comparaison démontre que le traducteur audiovisuel et l’adaptateur scénique tentent de retrouver le rythme, la prosodie et la musicalité des chansons de départ.

C’est le sujet peu traité de l’expertise scientifique du traducteur qui est ici abordé en traduction historico-médicale. Il s’agit d’une recherche fondée sur la linguistique fonctionnelle systémique, qui porte sur le rôle joué par l’expertise des traducteurs du plus ancien classique de la médecine traditionnelle chinoise : Huang Di Nei Jing. L’objectif est d’analyser les choix des traducteurs experts et non experts afin de mettre en rapport les compétences des uns et des autres. L’analyse révèle entre autres que les experts interviennent davantage dans la reconstruction du sens de l’original. Leur prestation est aussi meilleure du point de vue de la langue. D’où l’intérêt d’inclure cette expertise dans l’enseignement.

Pour terminer, la retraduction des oeuvres littéraires d’une perspective théorique et pratique est le thème du dernier article. Afin d’établir les principes théoriques utilisés dans cette étude, l’auteur développe les six variables textuelles et contextuelles proposées par Alvstad et Assis (2015) basées sur l’approche traditionnelle « Five W’s and One H ». Ensuite, les six critères sont abordés et comparés dans les retraductions du livre Moby-Dick (1851), d’Herman Melville, publiées en Espagne. Il en découle une nouvelle conceptualisation du phénomène de la retraduction et une réinterprétation de la réception et de l’impact de Moby-Dick.

Ce n’est pas tout : à l’heure des moyens de communication de plus en plus sophistiqués, recevoir par la poste une lettre manuscrite dans une enveloppe pliée et fermée au ruban adhésif ne laisse pas de surprendre. Adressée à Meta, cette lettre provient d’un professeur de l’Université d’Ottawa à la retraite, José Havet, qui enseignait la sociologie du développement international. Qu’il en soit remercié. Poète, il a été traduit et a tenu à rendre hommage à ses traducteurs. Un poème accompagne sa lettre. Je vous le livre, non sans vous rappeler qu’aux premières heures, Meta publiait bien davantage que des articles scientifiques : des témoignages, des photos, des poèmes et même des réclames. Je vous invite à visiter les dix premières années (1955-1965) de Meta, intitulé à l’époque Journal des traducteurs, sur Érudit.

Je vous souhaite une bonne lecture !