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Ce numéro spécial de la revue Science et Esprit s’est donné pour mission de faire accomplir du hors-piste transdisciplinaire à nos contributeurs, que ce soit :

  • en demandant à ceux qui n’étaient pas spécialistes en leadership, mais auxquels leur discipline ou leur pratique permettaient d’avoir des choses à dire sur la métaphore du bon pasteur, d’expliciter les liens qu’ils pouvaient y voir (ou qu’il pouvait ne pas y avoir) entre cette métaphore et la pratique du leadership ou du followership ;

  • en demandant à ceux qui étaient des théoriciens ou des praticiens du leadership de commenter cette métaphore peu utilisée dans leur domaine, mais qui pourtant reste universellement utilisée pour parler de ces réalités (le leadership et le followership) en termes non-scientifiques.

Dans notre appel à contribution, nous avions fait référence à deux textes, pour stimuler la réflexion : le chapitre 10 de l’évangile de saint Jean ainsi que le dialogue Le Politique de Platon. Les contributions reçues nous ont fait réaliser que l’usage de l’image est beaucoup plus répandu et beaucoup plus multiculturel que nous n’aurions pu le concevoir au premier abord.

Pour ce qui est de la culture occidentale et de ses diverses racines grecques, hébraïques et moyen-orientales, nos contributeurs nous en ont révélé la présence :

  1. Dans la littérature homérique (Joël Christensen, professeur et chef du département d’études classiques à l’Université Brandeis, au Massachusetts) ;

  2. Dans une des oeuvres majeures de Xénophon, consacrée à la Perse (Norman Bishop Sandridge, spécialiste d’humanités grecques et professeur associé de sciences politiques à l’Université Howard, à Washington D.C., et John Elias Esposito, spécialiste en études anciennes de l’Université de Caroline du nord à Chapel Hill) ;

  3. Dans le livre biblique de la Genèse, notamment à travers l’histoire de Joseph (qui s’inscrit à la suite de celle d’Abel, le berger assassiné par le fermier Caïn) et autour de la question de savoir ce que veut dire être le gardien de son (ou de ses) frère(s) (Chi Ai Nguyen, A.A., chargé d’enseignement à l’Université de l’Assomption, au Massachusetts) ;

  4. Dans l’évangile de s. Jean, bien entendu, mais aussi dans l’ensemble des évangiles synoptiques (Michel Gourgues, o.p., professeur titulaire à la faculté de théologie du Collège universitaire dominicain à Ottawa) ;

  5. Dans la littérature française en général, et notamment chez Jean de La Fontaine (Maxime Allard, o.p., professeur titulaire à la faculté de philosophie du Collège universitaire dominicain à Ottawa) ;

  6. Dans l’art occidental (François Boespflug, professeur émérite d’histoire des religions à l’Université de Strasbourg).

Deux de nos contributions documentent quant à elles l’importance et la polysémie que la métaphore du bon pasteur peut prendre, en Afrique, que ce soit :

  1. Dans la culture des Peuls d’Afrique de l’ouest – ou Fulbés, comme ils se désignent eux-mêmes (Abdoul Echraf Ouedraogo, consultant en politiques publiques, tant au Canada qu’en Afrique et auprès de grands organismes internationaux) ;

  2. Dans les diverses cultures, régions et contextes sociaux du Mozambique (César Cumbé, enseignant-chercheur à la Faculté des sciences du langage, de la communication et des arts de l’Université Pédagogique de Maputo, au Mozambique).

Du côté des spécialistes de l’accompagnement en général et du leadership en particulier, nous avons reçu :

  1. Une contribution provenant du champ des études en leadership et essayant de documenter trois fonctions linguistiques particulières que peut jouer l’imagerie du bon pasteur pour parler de leadership et de followership à savoir : une fonction référentielle, une fonction expressive et une fonction évaluative (Jean-François Garneau, M.B.A., professeur de management et de leadership à l’Université du Québec à Montréal) ;

  2. Une interview de deux spécialistes montréalais du leadership, par deux spécialistes de la gestion, de la créativité et de l’innovation, sur les liens à faire et à ne pas faire entre leadership et art pastoral ; les auteures et intervieweuses de cet article sont : Anne-Laure Saives, professeure titulaire de management et directrice du département de management de l’ESG-UQAM (Université du Québec à Montréal) et Annie Camus, professeure de gestion à l’ESG-UQAM (Université du Québec à Montréal) et directrice adjointe au Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) ; les experts interviewés sont : Cyrille Sardais, professeur de management et directeur de la Chaire de leadership Pierre-Péladeau à HEC Montréal et Joëlle Bissonnette, professeure en entrepreneuriat et chercheure au GEST (Groupe de recherche Entrepreneuriat, Société, Transformations) à l’ESG-UQAM (Université du Québec à Montréal) ; une rétroaction supplémentaire d’Isabelle Loss, spécialiste française de l’accompagnement en leadership, a aussi été obtenue et documentée dans l’article ;

  3. La contribution d’une psychanalyste qui a fait carrière en coaching de leaders, avec une formation en psychanalyse des enfants en général et en observation des nouveaux nés en particulier (sous la supervision de Geneviève Haag), qui établit des liens importants et non seulement théoriques, mais pratiques et réciproques, entre ces deux métiers et celui de gardien de moutons, au sens le plus concret du terme (Éliane Le Jeune Bézard, psychologue et psychosociologue, spécialiste des processus d’accompagnement des évolutions et du changement pour les personnes, les équipes et les organisations) ;

  4. Une contribution sur ce que permet la contemplation de l’image du bon pasteur en termes d’approfondissement de son sens des responsabilités et d’élargissement des perspectives intervenant dans nos processus de prise de décision (Gordon Rixon S.J., professeur de théologie associé au Regis College de l’Université de Toronto, membre affilié du Massey College et administrateur de l’Institut de recherche Bernard Lonergan de l’Université de Toronto).

  5. Une contribution sur la finalité transformative visée par l’activité de contempler l’image du bon pasteur, à savoir : la préparation au sacrifice de soi pour autrui, pouvant aller jusqu’au martyr, ainsi que le montre l’exemple du jésuite Alfred Delp dans les geôles d’Hitler, en 1944-1945 (Peter Nguyen, S.J. et M. Ross Romero, S.J., tous deux professeurs de théologie à l’Université Creighton, au Nebraska).

Pour ce qui est finalement de notre dernière contribution :

  1. Elle consiste à mettre en lumière un cas de leadership entrepreneurial parmi les mieux documentés de toute l’Antiquité, celui de l’apôtre Paul fondant des communautés ecclésiales à travers toute la partie nord-est du monde méditerranéen, et gérant ces communautés à distance, par personnes interposées et via des communications épistolaires. Même si nulle mention n’est faite du bon pasteur et de ses brebis, pour décrire la tâche en question, le lien reste tel entre cette tâche et ce que fait un berger quand il rassemble et guide son troupeau que nous n’avons pu résister au plaisir d’inclure cette étude à la liste des contributions à ce numéro spécial (Jean-François Racine, professeur d’études néo-testamentaires à l’Université Santa Clara de Berkeley, en Californie, et Brent Duckor, professeur en sciences de l’éducation au Connie L. Lurie College of Education de l’Université d’État de Californie à San Jose).

L’objectif que nous visions en faisant l’appel à contribution dont nous publions ici les résultats était simplement de tester la pertinence de recourir à l’image du berger, de nos jours, pour parler de leadership. Certains d’entre nous trouvaient que oui, d’autres que non, avec tout un univers entre les deux. Ce numéro spécial a permis à chacun d’entre nous de clarifier ses idées de départ. Par contre, le travail de collection et de partage de ces idées nous convainc aujourd’hui qu’il y a amplement matière à poursuivre nos réflexions plus à fond et de façon encore plus partagée, tant ce sujet et cette métaphore se révèlent encore plus riches que nous aurions pu le penser au départ.