Corps de l’article

Introduction

Par son ampleur, le déploiement des programmes d’intervention précoce pour premiers épisodes psychotiques (PPEP) au cours des dernières décennies représente probablement le développement le plus important dans le traitement non seulement de la psychose, mais des problèmes de santé mentale en général. L’objectif de cet article est d’établir un consensus quant à l’état actuel de l’implantation de l’intervention précoce en psychose (IPP), aux données probantes sur lesquelles elle s’appuie, et d’aborder les défis et les solutions liés à son implantation.

Méthode

Les auteurs sont des experts en IPP qui ont consacré leur carrière aux soins et à la recherche en IPP depuis plus de 2 décennies. Ils ont été sélectionnés pour leur leadership dans le développement, l’implantation et l’évaluation de l’intervention précoce pour la psychose, depuis les débuts de cette approche jusqu’à ce jour, tant au niveau international, que canadien, québécois ou au niveau de la francophonie. Après que les auteurs se soient entendus sur les thématiques les plus saillantes à aborder, A. Malla a rédigé un premier jet d’une majeure partie du manuscrit et chaque coauteur a rédigé le premier jet d’une section particulière du manuscrit qui lui fut attribuée par le groupe, en fonction de son expertise particulière, et proposé les références appropriées. Tous les coauteurs ont relu, commenté l’article, ajouté les références pertinentes. L’article fut ajusté en conséquence jusqu’à ce qu’un consensus soit obtenu après plusieurs cycles de relecture par tous les coauteurs. Les premières versions de l’article ont été rédigées en anglais, puis la version finale fut traduite par A. Abdel-Baki et M.-A. Roy qui ont également procédé à plusieurs relectures afin de s’assurer d’avoir respecté le texte de la version initiale.

Qu’est-ce que l’intervention précoce pour la psychose (IPP) ?

Avant l’émergence de l’IPP, des études avaient mis en lumière l’insuffisance, voire l’absence, d’offre de traitement intégrée pour les premiers épisodes psychotiques (PEP). Les interventions psychosociales avec des preuves de niveau 1 (p. ex. interventions familiales, thérapie cognitivo-comportementale [TCC], gestion de cas) étaient peu disponibles, l’accent était mis sur le traitement des symptômes psychotiques, ou au mieux, sur la « réhabilitation » des patients en fonction de leurs déficits, plutôt que sur un authentique rétablissement (Leucht et Lasser, 2006). Cette relative négligence des stades précoces de la maladie, en plus d’être contre-intuitive vu la plus grande probabilité de réponses propre aux phases précoces de maladies, a alimenté un nihilisme thérapeutique ayant prévalu pendant des décennies, soutenu par des systèmes de classification diagnostique tel le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-III-R) (McGorry, Purcell et coll., 2007), qui adoptaient une vision kraepelinienne de la schizophrénie.

Pour répondre à ces lacunes, le modèle de l’IPP a été développé, ses 2 composantes principales étant, premièrement, la combinaison des modalités thérapeutiques démontrées efficaces, offertes principalement par le biais d’une forme adaptée de case management, et, deuxièmement, l’instauration du traitement le plus rapidement possible après le début du PEP. (Malla et Norman, 2001 ; McGlashan et Johannessen, 1996) En effet, constatant l’évolution défavorable des patients dont le traitement avait été retardé par rapport à ceux qui l’avaient reçu plus tôt (Wyatt, 1991), la durée entre l’éclosion des premiers symptômes psychotiques et le début du traitement, appelée « durée de la psychose non traitée » (DPNT ; DUP en anglais) est devenue une priorité de recherche (Norman et Malla, 2001). Une abondante littérature a confirmé les conséquences de la DPNT sur de multiples dimensions du devenir des personnes affectées, ainsi que la multidimensionnalité de ce phénomène et des méthodes pour le réduire (Marshall et coll., 2005 ; Penttilä et coll., 2013). Des efforts ciblant la réduction de la DPNT par l’instauration rapide du traitement ont ensuite mené au développement de recherches, en amont du PEP, sur la détection et l’intervention auprès des personnes présentant un état mental à risque (EMR) de psychose. Pour répondre aux besoins spécifiques des jeunes atteints de PEP et leurs proches, les PPEP offrent un ensemble d’interventions axées sur le rétablissement tenant compte du jeune âge des patients et du stade précoce de leur maladie, ces interventions incluant notamment des médicaments antipsychotiques de deuxième génération à faible dose, de l’intervention familiale, de la TCC, du soutien à l’emploi et à la scolarisation, un traitement intégré de la toxicomanie, et, parfois, de la remédiation cognitive, le tout dans le cadre d’un modèle de soins organisés autour d’un gestionnaire de cas, avec un faible ratio patients-thérapeute.

La plupart des PPEP sont des entités indépendantes au sein d’un système plus vaste, bien que dans certains cas l’IPP soit offerte via d’autres mécanismes et systèmes, tels que les soins de santé mentale communautaires, et ceux de première ligne (Dixon et coll., 2018 ; Renwick et coll., 2008) ou, plus récemment au Québec, les équipes Flexible assertive community treatment (FACT) (Lagacé, 2019). Ces dernières sont des équipes interdisciplinaires qui combinent des services de proximité et des soins de différents niveaux d’intensité pour les maladies mentales graves. Dans de telles équipes, les mêmes professionnels peuvent offrir soit le Suivi intensif dans le milieu (SIM, ou ACT en anglais), soit une approche moins intensive, basée sur la gestion de cas, qui peut inclure l’IPP, selon les besoins de la personne à un moment donné. Ce modèle s’avère être adapté aux régions rurales où la densité de population ne permet pas de créer des équipes distinctes pour chacun de ces niveaux d’intensité (Nugter et coll., 2016).

Preuves à l’appui de l’IPP et de sa mise en oeuvre

Des méta-analyses regroupant plusieurs essais contrôlés randomisés (ECR) soutiennent l’efficacité supérieure de l’IPP (tailles d’effets faibles à modérées) sur les taux de rémission symptomatique, la sévérité des symptômes positifs et négatifs résiduels, les taux de rechute et d’hospitalisations, l’autonomie résidentielle, le fonctionnement social et professionnel ainsi que la satisfaction à l’égard des services (Correll et coll., 2018 ; Marshall et Rathbone, 2011), tout ceci avec un coût-efficacité favorable (Hegelstad et coll., 2012 ; McCrone et acoll., 2010 ; Mihalopoulos et coll., 2009 ; Rosenheck et coll., 2016). Des études suggèrent aussi un impact positif de l’IPP sur la réduction des taux de suicide (Chan et coll., 2018 ; Harris et coll., 2008 ; Nordentoft et coll., 2015). Toutefois, ces ECR se sont concentrés sur l’évaluation des PPEP en tant qu’ensemble d’interventions, et non sur chacune de ses composantes, et ne comportaient pas de mesures pour diminuer la DPNT.

L’accumulation de ces données probantes au fil des ans, a mené à un déploiement des PPEP à divers endroits dans le monde. Ce déploiement reposa initialement sur des initiatives individuelles, portées par le leadership de cliniciens, de chercheurs et d’organismes de patients et de familles, et, par la suite, leurs plaidoyers combinés ont permis des répercussions sur le plan politique. Ainsi, l’incorporation du déploiement des PPEP dans les politiques nationales de santé mentale a commencé au début des années 2000 au Royaume-Uni (Joseph et Birchwood, 2005) puis en Australie, dans de nombreux pays européens et asiatiques (Hongkong, Singapour) et dans plusieurs provinces et un territoire (Yukon) canadiens. Au Québec, ces efforts se sont traduits par l’adoption du Cadre de référence pour les PPEP (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2019) et le déploiement de PPEP sur l’ensemble du territoire. Quoique la plupart des PPEP aient été développés dans des systèmes de soins financés par l’État, des réformes similaires ont néanmoins été réalisées dans divers systèmes de santé, grâce notamment à des projets de recherche tels que le Recovery After an Initial Schizophrenia Episode (RAISE, États-Unis) (Dixon et coll., 2018), ce modèle ayant été par la suite déployé à grande échelle, et grâce à celui de la Schizophrenia Research Foundation (SCARF, Inde), qui ne fut malheureusement pas largement disséminé (Malla et coll., 2020). Ainsi, les PPEP demeurent l’apanage de pays à revenu élevé, et, même dans ces derniers, ils n’ont pas fait l’objet d’une acceptation et d’une promotion universelles, quelques universitaires exprimant des doutes quant à leur pertinence, doutes peu étayés par des données scientifiques (Amos, 2019 ; Malla et Pelosi, 2010 ; Pelosi et Birchwood, 2003).

Les défis de l’IPP entravant leurs bénéfices populationnels

Une limitation des ECR est qu’ils ne traduisent pas nécessairement tous les impacts possibles des PPEP en dehors d’un contexte de recherche ni les défis soulevés par leur implantation à grande échelle. Si des études utilisant des devis dits « pragmatiques » ont confirmé l’efficacité supérieure des PPEP (p. ex. RAISE) dans des contextes reflétant la réalité clinique usuelle, leur implantation soulève plusieurs défis qui, s’ils étaient relevés, augmenteraient leurs retombées. Dans cette section, nous allons aborder les enjeux les plus marquants, ainsi que des solutions possibles.

1. Les PPEP accueillent-ils tous les nouveaux cas de psychose ?

Pour augmenter leurs bénéfices sur le plan populationnel, les PPEP devraient desservir la totalité des personnes présentant un PEP sur le territoire qu’ils couvrent. Or, la proportion des cas incidents de psychoses référés à un PPEP est rarement documentée. Ainsi, une étude canadienne récente a démontré que les taux d’incidence annuels réels estimés de psychose non affective (90 pour 100 000) pourraient être presque le double des taux d’incidence de nouveaux patients référés (50 pour 100 000) et près de 5 fois plus élevés que les taux d’incidence des cas traités dans un PPEP (19 pour 100 000) (Anderson et coll., 2019). Ceci a des conséquences dramatiques puisque, comparés aux PEP bénéficiant d’un PPEP, ceux qui n’en bénéficient pas ont un taux de mortalité (toutes causes confondues) 4 fois plus élevé au cours des 2 premières années après la première hospitalisation pour psychose (Anderson et coll., 2018 a), correspondant à un ratio NNT (nombre nécessaire pour traiter) de 40. Ces données, qui proviennent pourtant d’un PPEP bien rodé, suggèrent que les PPEP doivent cibler particulièrement leurs efforts de détection sur les personnes vivant dans des secteurs socialement défavorisés, les femmes et les personnes souffrant de toxicomanie en comorbidité, en maximisant l’accès à l’évaluation par un psychiatre (celle-ci augmentant la probabilité de suivi au PPEP) et en n’excluant pas du PPEP les patients souffrant d’une psychose potentiellement induite par une substance (Anderson et coll., 2018b). Ainsi, la proportion des PEP traités par les PPEP doit être maximisée.

Bien que la plupart des PPEP doivent rendre compte de leur volume d’activité à leur bailleur de fonds, leurs ressources sont rarement allouées en fonction du taux réel d’incidence de PEP dans la région desservie. À l’image du Royaume-Uni, les ressources devraient être allouées aux PPEP selon l’estimation épidémiologique des besoins de la population locale (Kirkbride et coll., 2012 ; McDonald et coll., 2021), selon les caractéristiques de cette dernière concernant les facteurs influençant les taux d’incidence, comme le degré d’urbanicité, la proportion d’immigrants, la répartition des groupes d’âge, le niveau socioéconomique).

2. La durée de la psychose non traitée (DPNT)

2.1 La DPNT et les facteurs associés

L’une des bases conceptuelles fondatrices du PPEP est l’association forte, maintes fois reproduite dans différents contextes (continents, environnements), entre une plus longue DPNT et une moins bonne évolution clinique, sociale, professionnelle et des coûts plus importants, cette association persistant plusieurs années après le début du traitement (Dama et coll., 2019 ; Groff et coll., 2020 ; Hegelstad et coll., 2012 ; Marshall et coll., 2005 ; Rosenheck et coll., 2016). Bien qu’il y ait une certaine influence de caractéristiques non modifiables (tel que le niveau de fonctionnement prémorbide) sur la DPNT, cette association s’avère indépendante d’autres facteurs influençant l’évolution, ce qui suggère un lien de causalité. Quoique la DPNT observée soit de l’ordre de 1 à 2 ans en l’absence de programmes de détection précoce, elle demeure élevée jusqu’à maintenant, même dans les pays où l’IPP est bien établie (p. ex. médiane 6 mois au Royaume-Uni) (Albert et coll., 2017 a ; Birchwood et coll., 2013 ; Kane et coll., 2016). Au-delà des conséquences d’une longue DPNT sur l’évolution, la souffrance de la personne et de sa famille devrait être une raison suffisante pour viser sa réduction, à l’image de la détection précoce des cancers ou des maladies cardiaques, qui vise non seulement à améliorer le pronostic, mais aussi à éviter la souffrance.

Bien qu’il n’y ait pas de consensus scientifique quant à la définition exacte d’un seuil critique de DPNT, l’Organisation mondiale de la santé et l’International Early Psychosis Association (IEPA, maintenant nommée IEPA Early Intervention in Mental Health) recommandent que les PPEP tentent de réduire la DPNT à ≤ 12 semaines. Ainsi, un récent ECR a rapporté des conséquences cliniques et économiques positives de la prolongation de l’IPP pour 3 années supplémentaires après un PPEP de 2 ans (5 ans totaux d’IPP), plus spécifiquement pour les personnes dont la DPNT était plus courte (≤ 12 semaines) (Dama et coll., 2019). Malgré tout, même l’étude RAISE (Kane et coll., 2016), dans laquelle la DPNT médiane était beaucoup plus longue (74 semaines), a observé des bénéfices supérieurs de l’IPP lorsque la DPNT était inférieure à cette médiane.

Cette association entre une DPNT plus longue et une moins bonne évolution a motivé le développement et l’évaluation d’interventions visant à la diminuer. La plus connue est l’étude norvégienne The Scandinavian early Treatment and Intervention in Psychosis Study (TIPS), qui, utilisant un devis de contrôle géographique, a obtenu une DPNT médiane de 26 semaines pour la zone contrôle comparée à 4,5 semaines pour la zone qui fut exposée à une intervention massive à l’échelle de la communauté, visant l’éducation et la sensibilisation, en plus de la mise en place d’une équipe mobile de détection précoce (Johannessen et coll., 2005 ; Melle et coll., 2004). Cette réduction s’est traduite par une diminution de la suicidalité à l’admission et durant les 2 années de suivi (Melle et coll., 2010) et par une amélioration de l’évolution clinique et fonctionnelle jusqu’à 10 ans après l’initiation du traitement (Hegelstad et coll., 2012). Deux autres études (Compas et PEPP) (Krstev et coll., 2004 ; Malla et coll., 2005), ont d’abord observé, après le début des interventions d’identification précoce, une augmentation des nouveaux cas avec une longue DPNT, puis une réduction de la DPNT, comme si on avait dans un premier temps, identifié un arriéré de cas. Ces études ont utilisé soit une combinaison d’interventions auprès du grand public et auprès des sources de référence actuelles (Malla et coll., 2005 ; Scholten et coll., 2003), soit des formations à toutes les sources de référence potentielles (Jordan et coll., 2018 ; Srihari, 2018 ; Srihari et coll., 2014). Ces interventions ont été incorporées dans la pratique de ces PPEP. Cependant, les interventions spécifiques pour réduire la DPNT n’ont pas été incluses dans les efforts d’implantation à grande échelle des PPEP ou se limitent à des efforts pour en améliorer l’accès sans interventions spécifiques d’identification précoce (Malla et McGorry, 2019). Cette lacune est particulièrement criante dans les juridictions où les services PPEP ne sont accessibles que via un système de triage général pour les services de santé mentale.

2.2 Comment réduire la DPNT en dehors des études expérimentales ?

Pour réduire la DPNT, il faut d’abord comprendre ses composantes, les facteurs modifiables et non modifiables qui peuvent l’influencer, ainsi que les trajectoires de soins vers les PPEP. Quoique pouvant varier d’une juridiction à l’autre, des principes généraux peuvent être utiles dans la planification stratégique visant la réduction de la DPNT. La DPNT comprend 3 composantes distinctes, soit les délais entre : 1) l’apparition des symptômes psychotiques et le premier contact avec un service d’aide, quel qu’il soit (DPNT-Aide) ; 2) le premier contact avec ce service jusqu’à l’orientation vers le PPEP (DPNT-Orientation) ; 3) la confirmation de l’orientation et le début du traitement (DPNT-Administratif) (Bechard-Evans et coll., 2007 ; Birchwood et coll., 2013 ; Srihari, 2018). Alors que la DPNT-Aide est principalement associée à des caractéristiques du patient qui sont peu malléables (p. ex. symptômes négatifs, jeune âge au début des symptômes, faible fonctionnement social prémorbide), la DPNT-Orientation est associée à des caractéristiques potentiellement plus faciles à modifier, puisqu’elle dépend entièrement du système de santé (Bechard-Evans et coll., 2007 ; MacDonald, Fainman-Adelman, et coll., 2018). Par exemple, alors que le premier contact avec un médecin est associé à une DPNT-Orientation plus courte (par rapport à une source non médicale telle qu’un conseiller pédagogique), la toxicomanie et un début de la psychose à l’adolescence ont l’effet inverse. Dans certaines juridictions, la DPNT-Orientation est même plus longue que la DPNT-Aide (Fridgen et coll., 2013 ; Lincoln et coll., 1998 ; Norman et coll., 2004). La DPNT-Administrative, qui contribue à une partie moindre, mais significative du retard de soins, est surtout déterminée par la présence d’une liste d’attente dans certains PPEP (Albert et coll., 2017 a). En l’absence de telle liste, elle semble principalement associée à la présence de toxicomanie. La DPNT peut se prolonger au-delà de l’entrée dans le PPEP en raison, par exemple, de difficultés d’engagement ou de refus prolongé de recevoir les interventions efficaces ; ainsi, les PPEP doivent systématiquement s’attaquer à ces enjeux pour réduire la DPNT. L’intervention auprès des personnes présentant un EMR visait également en partie à réduire cette partie de la DPNT ; toutefois la proportion des jeunes avec EMR se présentant dans de tels services et évoluant réellement vers un trouble psychotique représente une faible proportion de la clientèle des PPEP (5 à 20 %), soulignant l’importance de peaufiner la détection précoce et l’accès rapide au sein même des PPEP.

Les trajectoires pour l’obtention de soins sont souvent tortueuses. La plupart des patients recherchent initialement de l’aide non pas pour des symptômes psychotiques, mais pour de l’anxiété, du stress, de la dépression, de la tristesse (40 %) ou des difficultés de concentration (20-30 %), alors que leurs familles cherchent de l’aide en leur nom pour des problèmes de comportement, tels qu’irritabilité, comportement perturbateur et retrait social (35 %) (Norman et coll., 2004). Selon une revue systématique, le premier contact pour obtenir de l’aide surviendrait le plus fréquemment auprès d’un médecin de famille, que ce soit avant (30-35 % des cas) ou après l’apparition de la psychose (65-70 %) (MacDonald, Fainman-Adelman et coll., 2018). Les trajectoires d’entrée dans un PPEP sont similaires, que le premier contact ait lieu avant ou après le début de la psychose bien que dans certaines juridictions, un contact avant la psychose semble faciliter une orientation plus précoce vers le PPEP (Malla et coll., 2021). Malheureusement, l’accès au PPEP se fait le plus souvent via les services d’urgence hospitalière, notamment au Canada, alors qu’une telle trajectoire de soins peut entraver l’engagement avec les services et avoir un impact sur les hospitalisations (Kelly K. Anderson et coll., 2013 ; Kelly K Anderson et coll., 2013). Par conséquent, les endroits susceptibles d’accueillir une première demande d’aide doivent savoir reconnaître les manifestations subtiles d’un PEP et bénéficier d’accès direct au PPEP. Malheureusement, cet accès direct manque aux systèmes dans lesquels les références doivent suivre plusieurs étapes, en partant du médecin de famille, vers les services de santé mentale généraux (passant souvent par un système de triage/évaluation), avant de finalement atteindre le PPEP, ce qui contribue à retarder l’initiation du traitement, chacune de ces étapes ayant ses propres délais (Birchwood et coll., 2013).

Ainsi, pour réduire la DPNT, 2 approches doivent être combinées : la détection précoce et l’accès facile et rapide à l’évaluation. La première implique une sensibilisation du grand public à la santé mentale en général et à la psychose en particulier, cette dernière pouvant alors être présentée comme l’un des plus graves problèmes de santé mentale tout en nourrissant l’espoir d’un rétablissement pour lequel l’intervention la plus rapide possible peut avoir un impact significatif. Elle comprend aussi le transfert de connaissances aux sources potentielles de référence concernant la reconnaissance des différentes présentations de la psychose, l’efficacité supérieure des PPEP, l’importance de réduire la DPNT et donc de référer rapidement. Ceci nécessite un contact direct entre les PPEP et leurs sources de référence (systèmes de santé, de services sociaux, d’éducation, organismes communautaires), auxquels un accès rapide aux PPEP doit être assuré. La deuxième approche consiste en l’accès à une évaluation rapide (dans les 72 heures) par un clinicien non-médecin du PPEP, dont la mobilité permet de mener de telles évaluations tant à l’extérieur que dans les locaux du PPEP (MacDonald, Malla et coll., 2018). Ce clinicien doit être soutenu par un psychiatre dédié du PPEP et par une politique d’acceptation rapide des patients dans le but d’initier le traitement dès que possible, réduisant ainsi la DPNT-administratif. Ceci devrait faciliter l’engagement au PPEP. Ce dernier aspect pouvant aussi être favorisé par l’implication précoce de pairs aidants (Jones et coll., 2013 ; Mead et coll., 2001 ; Sells et coll., 2006 ; Tracy et coll., 2011).

3. Désengagement du PPEP

Quoique les PPEP aient permis une augmentation des taux d’engagement des patients grâce à des efforts actifs pour le favoriser (EPGWG & EPPIC National Support Program), une proportion importante des patients (20-40 %) (Doyle et coll., 2014 ; Lal et Malla, 2015) abandonne toujours le suivi au cours des 2 premières années. Les facteurs associés au désengagement comprennent le manque d’implication de la famille, l’appartenance à une minorité ethnique, la faible adhésion aux médicaments, les antécédents judiciaires et la consommation de substances (Doyle et coll., 2014). Pour réduire le risque de désengagement, il faut accorder une attention particulière à ces facteurs en offrant des interventions précoces, efficaces et intégrées au PPEP ciblant notamment la toxicomanie et l’adhésion aux médicaments, en favorisant l’implication des proches et en adaptant les interventions aux enjeux culturels et linguistiques pour les patients de minorités ethniques (incluant les patients autochtones et les immigrants). L’amélioration de l’engagement nécessite une compréhension des processus impliqués ; par exemple, la relation réciproque entre l’engagement et l’adhésion aux médicaments suggère de mettre l’accent simultanément sur les deux (Iyer et coll., 2020). Aussi, comme certains patients désengagés sont disposés à se réengager lorsqu’ils ressentent eux-mêmes le besoin d’aide, les PPEP doivent conserver une flexibilité administrative pour leur garder la porte ouverte, surtout s’ils refusent certains aspects du traitement (p. ex. les médicaments).

4. Le rôle des familles et des proches

Compte tenu de l’âge d’apparition du PEP, la famille est souvent impliquée dans la demande d’aide du patient et dans son soutien tout au long du traitement. L’implication des proches peut prendre différentes formes et a un impact bénéfique sur l’évolution. En effet, selon une revue Cochrane de 74 ECR (Pharoah et coll., 2010), les interventions familiales dans le traitement des troubles psychotiques permettaient une diminution du taux de rechute (risque relatif = 0,55 ; nombre nécessaire à traiter = 7) et du nombre d’hospitalisations, une amélioration de l’adhésion aux médicaments et du fonctionnement social, particulièrement pour les PEP (Camacho-Gomez et Castellvi, 2020). Bien que toutes les lignes directrices de traitement en IPP les considèrent essentielles, on ne sait pas exactement quelle proportion des familles de la clientèle bénéficie réellement de telles interventions familiales, quoique les données disponibles suggèrent que seule une portion en bénéficie. Par exemple, une étude réalisée à Montréal a rapporté que plus de 70 % des familles ont eu des contacts avec l’équipe PPEP au cours des 3 premiers mois, mais que cette proportion est tombée à moins de 40 % après 2 ans. Or, le taux de désengagement du patient était directement associé au nombre de contacts de la famille avec l’équipe PPEP, chaque mois supplémentaire de contact diminuait le taux de désengagement de 16 %. Paradoxalement, la proportion de familles pour lesquelles les gestionnaires de cas jugeaient que le contact était inutile augmentait, passant de 15 % au troisième mois à près de 40 % à partir de la fin de la première année de suivi et par la suite. Ces résultats contrastent avec ceux d’un PPEP similaire à Chennai (Inde), où les taux de participation des familles et le nombre de mois de contact étaient significativement plus élevés qu’à Montréal, avec des différences parallèles dans les taux de désengagement des patients et sur l’aggravation des symptômes négatifs (Malla et coll., 2020).

Ainsi, les données disponibles suggèrent que les PPEP doivent faire des efforts pour impliquer davantage les proches et offrir systématiquement de l’intervention familiale, tout en respectant la primauté de l’autonomie et les droits du patient (Commission de la santé mentale du Canada) (Mental Health Commission of Canada/Commission de la santé mentale du Canada, 2021) qui subordonnent la participation de ses proches à son consentement. Pour favoriser l’obtention d’un tel consentement, il est important d’informer la personne des bénéfices potentiels de la participation de ses proches au traitement sur son évolution. De plus, même si la personne s’est initialement opposée à cette participation, elle peut y consentir ultérieurement, lorsque l’alliance thérapeutique avec l’équipe est plus solide et/ou que son état s’améliore. De tels efforts, pourtant peu coûteux, peuvent contribuer significativement à une évolution favorable de la personne.

5. Dose et durée du traitement

Les suivis par les PPEP doivent avoir une durée limitée pour permettre d’accueillir de nouveaux patients. La majorité des PPEP étant financés pour offrir un suivi de 2-3 ans, certaines études suggèrent que les bénéfices obtenus au cours du PPEP puissent ne pas perdurer après sa fin lors du retour au système de soins usuels (Bertelsen et coll., 2008 ; Petersen et coll., 2005 ; Secher et coll., 2015). Ainsi, il importe de déterminer combien de temps doit durer le suivi PPEP pour maintenir ses bénéfices, et si cette durée peut être modulée selon l’hétérogénéité des caractéristiques des patients.

S’inspirant d’une étude non contrôlée démontrant que les gains réalisés au cours des 2 premières années de PPEP peuvent être maintenus en utilisant un traitement d’IPP d’intensité moindre pendant 3 années supplémentaires (Norman et coll., 2011), 3 ECR menés dans des environnements culturels et de soins très différents ont comparé la prolongation des PPEP au retour aux soins réguliers après 2 années. Alors que 2 ECR ont démontré un avantage clair de la prolongation (Chang et coll., 2015 ; Malla et coll., 2017), 1 autre n’en montre aucun (Albert et coll., 2017b). Cette divergence pourrait être expliquée par le choix d’issue primaire : en effet, l’étude n’ayant pas démontré d’avantages a évalué la sévérité des symptômes négatifs au début et à la fin de l’étude, alors que les 2 autres ont utilisé des mesures cliniques plus larges (rémission) et sur de multiples points de mesure (Lutgens et coll., 2015). Des différences dans les caractéristiques des patients et des systèmes de santé (notamment des « soins réguliers » offerts) où ces ECR ont été menés peuvent également expliquer ces divergences. En effet, dans 2 de ces ECR, les patients dont la DPNT était plus courte ont davantage bénéficié de la prolongation du PPEP que ceux dont la DPNT était plus longue (Albert et coll., 2017 a ; Dama et coll., 2019). Par ailleurs, les données de l’un de ces ECR (Malla et coll., 2020) suggèrent que les patients ayant obtenu rapidement de bons résultats au cours des premiers 18 mois de traitement au sein du PPEP, pourraient être transférés vers des soins réguliers (incluant ceux de première ligne) après 2 ans de suivi, tandis que les patients dont l’évolution était moins bonne à 18 mois bénéficieraient d’une prolongation du PPEP au-delà de cette période. D’autres études sont nécessaires, pour tirer des conclusions définitives concernant la durée et l’intensité optimale du suivi PPEP et la possibilité que d’autres modèles de PPEP pourraient répondre aux besoins des patients présentant des caractéristiques associées à une évolution positive précoce.

Il est possible qu’une partie des difficultés à maintenir les bénéfices obtenus grâce au PPEP vienne du fait que les systèmes de soins généraux en santé mentale sont peu adaptés et peu sensibles aux besoins des jeunes atteints de psychose et insuffisamment orientés vers le rétablissement. Un travail de « contamination » de la philosophie des PPEP, vers les équipes de soins en aval et un meilleur processus de transition entre les services à travers une approche collaborative d’accompagnement sont donc des chantiers cruciaux à mener.

Finalement, les études concernant les effets des PPEP ont relativement peu tenu compte du traitement pharmacologique. Ainsi, alors que l’introduction de la clozapine était jadis souvent réservée à des stades tardifs de la maladie, il est maintenant solidement établi que son introduction plus précoce, suite à l’émergence de la résistance au traitement, est l’un des principaux prédicteurs de son efficacité (Griffiths et coll., 2021), et plusieurs études observationnelles appuient son utilité en IPP (Williams et coll., 2017). De la même façon, alors que l’utilisation des antipsychotiques injectables à longue action survient souvent tardivement, de nombreuses études démontrent que leur efficacité est particulièrement marquée au début de la maladie (Abdel-Baki et coll., 2020 ; Stip et coll., 2013 ; Tiihonen et coll., 2018 ; Yung et coll., 1995), ce qui a mené des groupes d’experts, dont un du Québec, à recommander l’offre systématique de cette voie d’administration dès le PEP (Abdel-Baki et coll., 2020 ; Stip et coll., 2019).

6. États mentaux à risque (EMR)

Les concepts de « risque ultra élevé », puis EMR, ont été initialement développés afin d’identifier les personnes à risque de développer une psychose, puis de leur proposer des traitements visant à prévenir la « transition vers la psychose » (McGorry et coll., 2003 ; Yung et McGorry, 1996) (prévention indiquée). Cette approche a conduit à 2 développements principaux. Premièrement, il a été observé que ces EMR pouvaient conduire à diverses formes de psychoses (p. ex. psychoses non affectives ainsi qu’à des troubles bipolaires), a émergé le concept d’un « risque pluripotent » et de critères permettant d’identifier les jeunes à risque de développer une série de maladies mentales graves (Hartmann et coll., 2019 ; McGorry et coll., 2018). Deuxièmement, l’idée d’une succession de stades dans le développement des troubles, du « prodrome » au trouble complet, a permis l’émergence du concept de staging clinique, selon lequel les individus se situent sur un continuum de progression de la maladie où les besoins varient et où le traitement peut être adapté aux besoins (McGorry, 2007 ; Scott et coll., 2013) de chacun de ces stades. L’intense travail de recherche autour de ces questions est en train de remodeler notre approche du diagnostic et du traitement en psychiatrie et devrait conduire à de nouvelles façons de considérer les troubles psychiatriques.

Ce concept développé en recherche au cours des deux dernières décennies fait suite à l’effort d’identification des jeunes atteints d’EMR initialement et toujours mené dans un cadre clinique (Yung et coll., 1995). Bien qu’aucun traitement spécifique ne se soit avéré avoir de meilleurs résultats que les autres, le risque de transition vers la psychose peut être réduit significativement (de 20-30 % à 10-12 %) (McFarlane, 2011) par une ou plusieurs interventions (p. ex. TCC ou thérapie de soutien, traitement des autres troubles mentaux sous-jacents ou concomitants) ou une prise en charge psychosociale globale fondée sur les principes de la TCC. Par ailleurs, de nouvelles interventions biologiques font l’objet de recherche par le biais d’un programme de recherche global financé par le National Institute of Mental Health (NIMH), AMP® SCZ (The National Institute of Mental Health).

Jusqu’à présent, la contribution des cliniques pour EMR à la réduction de l’incidence de cas de PEP a été modeste, via la prévention de conversions vers la psychose, seule une faible proportion de patients avec un PEP, ayant été préalablement été suivis dans une clinique pour EMR. En effet, 48 à 67 % de patients PEP ont vécu un EMR sans avoir reçu d’intervention dans une clinique pour EMR, et seuls 5 à 20 % des patients atteints de PEP sont entrés dans le PPEP par la voie de telles cliniques (Ajnakina, 2017 ; McGorry et coll., 2018). Le défi demeure donc de savoir comment utiliser ces connaissances naissantes sur les EMR pour réduire l’incidence des PEP.

La façon dont l’évaluation et les soins des patients avec un EMR peuvent être intégrés dans les systèmes de santé actuels devra être abordée et sera probablement un défi de mise en oeuvre qui pourrait être résolu par des transformations plus larges des services de santé mentale pour les jeunes (Malla et coll., 2016 ; Malla et coll., 2019 ; McGorry, Tanti et coll., 2007). En effet, l’incorporation de l’évaluation et du traitement des EMR nécessiterait des changements substantiels à la fois dans le concept de diagnostic et dans la manière dont les PPEP et les services de santé mentale sont organisés. Des études plus en profondeur des EMR pour savoir s’ils sont spécifiques à un diagnostic, c.-à-d. différents EMR conduisant à différents diagnostics spécifiques lors de la conversion, ou si ces états sont génériques, c’est-à-dire que plusieurs diagnostics peuvent émerger d’un seul type EMR. Les résultats de ces études détermineront si nous devons poursuivre les interventions pour les EMR dans des programmes spécialisés tels que les PPEP ou plutôt dans des programmes généraux de santé mentale pour les jeunes (p. ex. Headspace, ACCESS Open Minds et le nouveau programme québécois Aires Ouvertes), ces structures étant possiblement plus appropriées pour répondre aux besoins généraux de cette clientèle à risque de troubles mentaux divers.

7. Poursuite de l’implantation à large échelle dans le monde, incluant la francophonie

L’implantation à large échelle au plan international a été grandement nourrie par la communauté scientifique qu’est l’IEPA, regroupant chercheurs, cliniciens, membres de famille, patients partenaires oeuvrant dans le domaine. Ce regroupement a permis non seulement le partage des connaissances, notamment celles autour de l’implantation du modèle, mais a joué un rôle majeur afin de soutenir les efforts de militantisme pour le développement l’IPP dans divers pays. Profitant de cet élan, une branche francophone de l’IEPA (Conus, 2017) a récemment vu le jour afin de permettre un cheminement similaire pour les pays francophones. Quoique le Québec vive depuis 2017 un changement de politique et un soutien gouvernemental (incluant des investissements, un soutien à l’implantation clinique par un conseiller spécialisé et un Cadre de référence), beaucoup reste à faire afin de soutenir l’implantation de PPEP fidèles aux composantes essentielles de l’IPP, ces défis demeurent encore plus grands dans les autres pays francophones.

Conclusion

Les PPEP, dont l’efficacité supérieure est largement démontrée, constituent un développement majeur dans la prestation de services pour la psychose et ont considérablement amélioré l’évolution des troubles psychotiques. Leur mise en oeuvre dans plusieurs régions du globe, quoiqu’encore limitée dans la francophonie, demeure l’apanage des pays à revenu élevé, souvent dotés de systèmes de santé publique. Les trois dernières décennies de déploiement de PPEP et de recherches approfondies ont permis d’identifier des défis qui, s’ils sont relevés, pourraient permettre d’améliorer davantage la vie d’un très grand nombre de personnes. Ceci nécessitera l’action concertée des décideurs politiques, bailleurs de fonds, cliniciens, décideurs des services cliniques, chercheurs ainsi que des patients et de leurs proches. Les PPEP constituent une révolution en plein essor qui doit tout de même continuer à faire l’objet d’un examen critique. Comme toute révolution, elle aura besoin de nouvelles bouffées d’oxygène pour éviter qu’elle ne s’essouffle et pour qu’elle atteigne son plein potentiel.