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Introduction

Il existe un large consensus concernant le rôle des familles[1] dans le processus de rétablissement des personnes atteintes d’un premier épisode psychotique (PEP). S’appuyant sur une revue narrative des écrits, cet article propose un état des connaissances sur les approches familiales en intervention précoce et des repères pour guider l’intervention familiale lors d’un PEP. Les objectifs sont de : 1) documenter les impacts et les besoins spécifiques des familles lors d’un PEP ; 2) rappeler les fondements des approches familiales ; 3) guider l’intervention familiale dans les PPEP ; 4) soulever quelques enjeux liés à l’implication des familles en intervention précoce. Cet état des connaissances sera mis en relief avec le cadre de référence des Programmes d’interventions pour premiers épisodes psychotiques (ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2018), le Plan d’action en santé mentale (PASM 2015-2020) et avec les guides de bonnes pratiques en intervention précoce. Il sera alors possible de dégager des repères concrets pour poursuivre le développement des interventions familiales en intervention précoce.

Méthode

Les connaissances historiques concernant le développement des approches en intervention familiale en santé mentale sont résumées à partir des travaux des pionniers du domaine, alors que l’état des pratiques actuelles fait l’objet d’une recension des écrits (modèles et approches d’interventions, efficacité et enjeux des interventions, etc.). Les résultats d’études récentes posent un regard sur les modalités d’interventions et la contribution des familles dans les PPEP. Les enjeux liés à l’établissement de pratiques collaboratives, au partage d’informations et au respect de la confidentialité en santé mentale sont abordés.

La recension des écrits scientifiques s’appuie sur la littérature anglo-saxonne et issue de la francophonie. La revue narrative des écrits se distingue d’une revue systématique puisqu’elle repose sur la connaissance des auteurs en regard du champ d’études concerné et sur un processus de recherche documentaire plus souple et itératif, plutôt que sur une stratégie de recherche prédéterminée, clairement explicitée et donc reproductible (Higgins et Green, 2008). Pour guider la recherche documentaire, différentes bases de données ont été consultées : PubMed, Medline, Science Direct, Academic Search Complete, PsycINFO, Social Services Abstracts, Social Work Abstracts, Cairn et Érudit. Des mots clés cernant les interventions familiales en intervention précoce ont été utilisés : familles, proches aidants, interventions, premier épisode psychotique, approches familiales, pratiques collaboratives, premières psychoses, schizophrénie, services en santé mentale. Afin de diversifier les sources documentaires, certains livres ou chapitres de livres, de même que des documents issus de la littérature grise (rapports de spécialistes et documents gouvernementaux) ont également été retenus. Les références les plus récentes (2015-2021) ont fait l’objet d’une attention particulière, mais certaines références plus anciennes concernant les fondements historiques des interventions familiales ont été conservées.

Résultats

Les impacts des PEP pour les familles

La majorité des troubles psychotiques surviennent pendant la transition entre l’adolescence et l’âge adulte. Pendant cette période, le système familial exerce un rôle important, permettant l’affirmation de l’identité du jeune et le développement de son autonomie. Il représente alors le lieu où les manifestations d’un PEP se révèlent : repli sur soi, désintérêt pour l’autre, désinvestissement des liens avec la famille, etc. (Bantman, 2020). Pour les familles, il peut être difficile de distinguer les signes liés à l’émergence du trouble de ceux qui accompagnent les étapes du développement normal de l’adolescence (Valladier et coll., 2018). Dans certains cas, ces premiers signes sont insidieux et surviennent des mois, voire des années avant l’apparition de la phase aiguë du trouble. Un PEP a souvent l’effet d’un tsunami pour les proches qui présentent un niveau de détresse psychologique et un sentiment de fardeau élevés (Cotton et coll., 2016 ; Leclerc et Thérien, 2012 ; Ma et coll., 2018). Ils doivent composer avec une situation pour laquelle ils n’ont pas de repères et l’évolution imprévisible du PEP représente une importante source de stress qui accentue leur détresse (Davis, 2014 ; Jansen et coll., 2015 ; Morin et St-Onge, 2017), ce qui peut nuire au rétablissement du jeune (Bantman, 2020). Par exemple, les parents peuvent le protéger de manière excessive, faire passer ses besoins avant les leurs ou compenser pour ses difficultés en assumant certaines de ses responsabilités (Jansen et coll., 2015). Ils manquent de connaissances par rapport à l’organisation du système de soins (Attal et Lecardeur, 2019 ; Ma et coll., 2018 ; MacDonald et coll., 2021) et craignent d’être stigmatisés (Cotton et coll., 2016). À l’annonce du diagnostic, les parents se sentent désemparés et vivent plusieurs émotions, comme de la culpabilité, de la colère et de la tristesse (Attal et Lecardeur, 2019). Les familles doivent également adapter leur rôle parental et ne sont pas toujours en mesure de reconnaître leurs propres besoins d’aide et de soutien (Davis, 2014). Si ces parents ne reçoivent pas l’accompagnement nécessaire, ils risquent d’en subir les conséquences sur leur famille (divorce, perte d’emploi) et sur leur propre santé (épuisement, dépression, détresse) (Valladier et coll. 2018). Ces impacts ont d’ailleurs été bien documentés par les recherches sur le « fardeau familial[2] », qui ont mis en évidence les tensions auxquelles sont soumises les familles engagées dans un rôle de soutien. Les membres de l’entourage doivent donc recevoir les services nécessaires pour répondre à leurs besoins (Commission de la santé mentale du Canada [CSMC], 2019 ; MSSS, 2015 ; 2018).

L’intervention familiale dans le contexte d’un PEP

Il existe un large consensus sur l’utilité d’intervenir auprès des familles lors d’un PEP. Leur offrir un accompagnement assure un meilleur parcours de soins, améliore leur qualité de vie, participe à la prévention d’une évolution vers le maintien du trouble et diminue les taux de rechutes et d’hospitalisations (MSSS, 2018 ; Oluwoye et coll., 2020 ; Rey et coll., 2019 ; Stafford et coll. 2013). Toutefois, il est difficile pour les familles d’aller chercher de l’aide. Culpabilité, peur du jugement, honte, isolement, crainte de rompre définitivement les liens qu’ils ont avec leur jeune sont autant de facteurs susceptibles d’entraver leur processus de demande d’aide (Bantman, 2020 ; Leclerc et Thérien, 2012 ; Valladier et coll. 2018). Le plus souvent, c’est dans un contexte d’exacerbation des symptômes, d’une diminution marquée du fonctionnement social ou d’une situation de crise psychotique que les familles font une demande d’aide professionnelle pour la première fois (MSSS, 2015 ; 2018). Bien que le processus d’accès aux soins soit complexe pour les familles, notamment parce qu’elles n’ont pas de liens directs avec les équipes PPEP, les proches jouent un rôle crucial dans la recherche d’aide et l’initiation du traitement pour les jeunes vivant un PEP (MacDonald et coll. 2021). Elles sont d’ailleurs à l’origine de 30 à 50 % des demandes d’aide (O’Callaghan et coll., 2010).

Au Québec, le PASM 2015-2020 et le cadre de référence PPEP (2018) reconnaissent le rôle déterminant des proches comme partenaires essentiels au processus de rétablissement de la personne, la nécessité de les impliquer dans les interventions et de les soutenir dans leur rôle (MSSS, 2015 ; 2018). Le cadre PPEP recommande d’ailleurs que les références proviennent directement des proches, court-circuitant ainsi le processus habituel de demande de services. Les proches pourraient donc accélérer la prise en charge et contribuer à réduire la durée de la psychose non traitée, ce qui correspond à l’une des principales missions des PPEP. Mais dans les faits, il demeure difficile, voire impossible pour les familles de procéder de cette façon, une référence médicale étant nécessaire pour obtenir des services, ce qui complexifie les procédures administratives pour y accéder (Davis, 2014).

L’intervention familiale lors d’un PEP apparaît indispensable pour offrir aux familles les outils nécessaires à l’accompagnement et au soutien du jeune. La CSMC (2019) encourage les établissements à mobiliser les proches sur 3 plans : 1) la prévention, le diagnostic et le traitement ; 2) la planification, la prestation et l’évaluation des soins ; 3) l’élaboration, la mise en oeuvre et l’évaluation des politiques et des programmes. Leur implication à ces différents niveaux serait associée à une réduction des rechutes (Camacho-Gomez et Castellvi, 2020), à une meilleure adhésion au traitement médicamenteux (Leclerc et coll., 2015) et à des taux plus faibles de désengagement des services (Iyer et coll., 2020). Malgré cela, l’intervention familiale est très peu appliquée dans les pratiques des professionnels (Davis, 2014). Plusieurs raisons expliquent cette sous-utilisation : l’orientation individualiste des services en santé mentale qui conçoit la personne atteinte comme étant « le client » plutôt que la famille (Whitley et Lawson, 2010), les préjugés voulant que la famille soit à l’origine du trouble mental et que l’implication des proches aille à contre-courant de l’autonomisation des jeunes (Davis, 2014), et l’application plutôt rigide et parfois inexacte des lois et des politiques visant le respect de la confidentialité et la protection de la vie privée des jeunes (CSMC, 2019). Une enquête récente menée au Québec révèle que seulement la moitié des PPEP offrent des interventions familiales plus structurées. Et lorsqu’elles sont proposées, l’adhésion des familles semble faible, ce qui suggère qu’elles devraient être mieux adaptées aux besoins des familles (Iyer et coll., 2020). Par exemple, les contraintes familiales et professionnelles (horaires), les problèmes de transport, les barrières linguistiques, les différences culturelles et les valeurs et croyances associées à la santé et à la maladie peuvent influencer le niveau d’engagement des familles dans les interventions familiales (Hawley et Morris, 2017 ; Iyer et coll., 2020). Être attentif à ces aspects et proposer une offre de services adaptée aux réalités des familles pourrait favoriser le développement des interventions familiales dans les programmes PPEP.

Les principales approches en intervention familiale

Historiquement, les familles de personnes atteintes d’une psychose étaient perçues comme un élément nuisible au traitement, voire comme la cause de leur maladie. Les professionnels mettaient les familles à l’écart du processus thérapeutique ou les impliquaient peu dans l’intervention. Les dynamiques conjugales, les interactions familiales fermées sur l’extérieur ou les modes de communication familiale « pathologiques » étaient alors ciblés comme responsables du développement de la psychose (Morin et St-Onge, 2019). Si ces croyances ont largement contribué à stigmatiser les familles, elles ont en contrepartie participé au développement des « thérapies familiales[3] ». Des interventions regroupées sous le vocable « d’approches familiales » sont venues modifier les perceptions à l’égard des familles, reconnaissant leur contribution positive au rétablissement de la personne atteinte. Développées au tournant des années 80, à partir des travaux menés par Anderson, Reiss et Hogarty (1986) Vaughn et Leff (1976), Falloon, Boyd et McGill (1984) de même que Tarrier, Barrowclough et Vaughn (1988), elles se déclinent selon 3 principales approches : l’approche psychoéducative[4], l’approche de modification du comportement familial et l’approche éducative. L’objectif de ces approches n’est plus de « corriger une dynamique familiale pathologique », mais plutôt d’aider les familles à mieux accompagner la personne vivant avec un trouble mental. Ces approches demeurent des repères incontournables qui doivent être utilisés de manière complémentaire dans l’intervention auprès des familles lors d’un PEP.

L’approche psychoéducative : Pour fournir toute l’information nécessaire à l’exercice du rôle de soutien par les familles

L’approche psychoéducative (Anderson et coll., 1986) repose sur le modèle vulnérabilité-stress (Zubin et Spring, 1977) et prend racine dans le modèle biopsychosocial qui tient compte du contexte psychosocial dans lequel survient un trouble mental et de l’influence réciproque des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux (Pereira et Edward, 2006). L’approche psychoéducative considère l’intensité des émotions vécues au sein de la famille comme une source de stress pour la personne atteinte, qui devient plus à risque d’observer une augmentation des manifestations de son trouble. Fondées sur le concept d’émotions exprimées (EE) (Vaughn et Leff, 1976), les interventions basées sur cette approche ont pour principal objectif de réduire le niveau de stress, en transmettant de l’information aux familles concernant le trouble et ses traitements (Stafford et coll., 2013). Initialement développée pour les familles présentant une forte intensité émotive, et tenant compte que le degré, les types d’EE et leurs impacts peuvent varier selon les cultures (Bhugra et MacKenzie, 2018), cette approche a ensuite été élargie à l’ensemble des familles.

Actuellement, l’approche psychoéducative visant l’acquisition de connaissances sur le trouble mental par l’éducation psychologique aux familles est une composante essentielle des PPEP. Elle permet de mieux gérer le stress intrafamilial causé par l’émergence du PEP ce qui est bénéfique tant pour la personne atteinte que pour sa famille (diminution du taux de rechutes, d’hospitalisations et d’intensité des symptômes ; amélioration du fonctionnement social de la personne atteinte ; diminution de la détresse, du fardeau et de l’isolement des proches ; amélioration des dynamiques familiales, etc.) (Sin et Norman, 2013). Le modèle psychoéducatif s’est imposé comme mode d’intervention privilégiée auprès des familles en santé mentale, sa principale force reposant sur les appuis empiriques qui soutiennent son efficacité (Falloon, 2005 ; Hazel et coll., 2004 ; Morin et St-Onge, 2017). La pertinence de ce type d’intervention a aussi été démontrée dans des PPEP bien établis dans plusieurs pays anglo-saxons (Gleeson et coll., 2013 ; Krebs, 2019 ; Penn et coll., 2005). Au Québec et dans la francophonie, le réseau Transition[5] promeut l’intervention précoce à l’échelle nationale et internationale (Krebs, 2019). Bien que l’éducation psychologique auprès des familles puisse se faire en pratique individuelle, la modalité recommandée est celle de l’intervention de groupe qui vise la transmission d’informations sur le trouble psychotique et son traitement, sans toutefois favoriser l’entraide ou le soutien mutuels, qui correspondent plutôt à des objectifs de l’approche éducative.

L’approche de modification du comportement familial : Pour travailler les stratégies d’adaptation des familles

En continuité avec l’approche psychoéducative, l’approche comportementale est conçue pour modifier l’environnement familial de la personne atteinte (Falloon et coll., 1984). Elle vise essentiellement le changement d’attitudes et le développement des capacités d’adaptation des familles, notamment en travaillant leurs croyances et comportements (Ma et coll., 2018). Cette approche, tout en ayant une visée éducative, aborde plus spécifiquement « le comment faire », en guidant les familles par rapport au développement de leurs habiletés de communication, de résolution de problèmes et de stratégies d’adaptation. S’échelonnant à l’origine sur une période de 9 à 12 mois, l’approche comportementale est basée sur une intervention structurée en 5 principales étapes qui visent : 1) l’évaluation des besoins, des difficultés et des forces du système familial ; 2) l’éducation concernant le trouble mental ; 3) l’entraînement aux habiletés de communication ; 4) l’apprentissage de techniques de résolution de problèmes ; 5) l’application de stratégies de résolution de problèmes (Falloon et coll., 1984). Cette approche, implantée dans les premiers PPEP dans les années 1990, était surtout utilisée dans le suivi individuel effectué auprès des familles, offert après leur participation à l’intervention de groupe basée sur l’approche psychoéducative. Ayant toujours sa raison d’être, elle devrait désormais être utilisée dans le cadre du suivi offert aux familles par le case manager[6] ou le spécialiste en approches familiales[7] dans les PPEP. Cette approche peut aussi être offerte sous forme de groupes multifamiliaux qui regroupent 5 à 8 familles et qui visent à élargir le réseau de soutien, à briser l’isolement social et à encourager le partage de stratégies d’adaptation dans un climat d’échanges et de respect qui favorise l’entraide mutuelle (McFarlane, 1994). Les groupes multifamiliaux sont actuellement peu utilisés dans les PPEP, notamment parce qu’ils nécessitent un investissement de temps et d’énergie important tant pour les équipes que pour les familles, et parce que cette modalité est peu connue et disséminée dans les pratiques québécoises (Hazel et coll., 2004).

Si l’approche de modification du comportement permet de répondre à plusieurs besoins spécifiques des familles (amélioration de l’exercice du rôle parental, de la communication et de l’organisation intrafamiliales, etc.), elle apparaît toutefois moins pertinente pour celles qui partagent peu le quotidien avec la personne atteinte (Ma et coll., 2018). Dans ces cas, les approches psychoéducatives pourraient être suffisantes.

L’approche éducative : Le soutien « Par et Pour » les familles

De manière complémentaire à l’approche psychoéducative s’est développée l’approche éducative qui vise à répondre au besoin de soutien exprimé par les familles. Les interventions basées sur cette approche sont principalement offertes par le milieu communautaire et s’appuient sur des connaissances scientifiques reconnues et sur le savoir expérientiel des intervenants en santé mentale et des membres de l’entourage des personnes atteintes (Morin et St-Onge, 2019). Ces interventions prennent généralement la forme de groupes d’entraide, d’échanges et de soutien qui mettent l’accent sur les stratégies d’adaptation et sur le bien-être des familles. Ils permettent une normalisation du vécu des familles, une diminution de l’isolement social et offrent une occasion d’apprendre de l’expérience des autres (Leclerc et Thérien, 2012). C’est le mouvement associatif des familles, développé au Québec au milieu des années 80, qui a contribué à l’émergence de l’approche éducative, notamment par la création de groupes d’entraide qui ont permis aux familles de prendre conscience de leurs forces, de militer pour la reconnaissance de leur rôle dans les pratiques en santé mentale et de contrecarrer la tendance à leur faire porter la responsabilité du trouble mental. L’approche éducative s’inscrit donc dans le courant « Par et Pour » et met l’accent sur la réponse aux besoins des familles et leur adaptation à la situation. Plus récemment, le soutien mutuel offert par des personnes ayant traversé des expériences similaires et qui sont formées comme pairs aidants famille (PAF), commence à être reconnu comme une pratique permettant de réduire les sentiments d’impuissance et d’anxiété vécus par les familles et d’amorcer un sentiment d’espoir essentiel au processus de rétablissement (Briand et coll., 2016). Répondant à un objectif différent de celui de l’intervention familiale offerte par les PPEP, soit la réponse au besoin de soutien des familles plutôt que la diminution du risque de rechutes (Camacho-Gomez et Castellvi, 2020 ; Morin et St-Onge, 2019), l’approche éducative doit s’inscrire en complémentarité et en continuité avec le soutien offert par les équipes PEP. Cette complémentarité peut prendre différentes formes, mais doit reposer sur l’établissement d’un lien de collaboration entre l’association de familles (membre du Réseau avant de Craquer[8]) et le PPEP d’une même région. Une fois ces liens établis, la complémentarité peut prendre différentes formes : référence systématique des familles suivies par les PPEP vers les organismes communautaires, partage d’informations sur les services offerts de part et d’autre, invitation des intervenants des PPEP à participer aux activités de l’organisme (et vice-versa) et coanimation de groupes d’éducation psychologique par des intervenants des deux services.

Les approches psychoéducatives et comportementales demeurent majoritairement répandues et utilisées auprès des familles de personnes atteintes de troubles mentaux ; leurs forces reposant sur leur conceptualisation claire, leurs objectifs concrets et leur déploiement en phases permettant un suivi au long cours auprès des familles (Morin et St-Onge, 2019). Trop peu de recherches ont par ailleurs été réalisées pour évaluer l’efficacité des approches éducatives en sol québécois.

La pyramide des soins familiaux : Un repère pour structurer l’intervention familiale

Mottaghipour et Bickerton (2005) ont proposé une pyramide des soins familiaux qui présente 5 niveaux hiérarchiques d’intervention (figure 1). Bien que ce modèle ait été développé pour favoriser l’implication des familles dans les services généraux en santé mentale, cette pyramide constitue un repère pertinent en intervention précoce, permettant d’ordonnancer les 3 approches présentées préalablement et de les placer dans un modèle simple à comprendre et à implanter dans les PPEP. Les niveaux d’interventions présentés dans cette pyramide ont d’ailleurs des objectifs complémentaires et cohérents avec les approches familiales. Les 3 premiers paliers correspondent aux interventions familiales « minimales » qui doivent être proposées aux familles par les PPEP. Ces 3 niveaux visent à : 1) individualiser la prise en charge des familles et créer un climat collaboratif entre l’équipe de soins, le jeune et ses proches ; 2) permettre aux familles d’acquérir un niveau de connaissances suffisant concernant le trouble mental ainsi qu’un répertoire de compétences nécessaires pour faire face à la situation ; 3) permettre aux familles de comprendre leur rôle de soutien et de reconnaître leur besoin d’aide ; 4) connecter les familles entre elles et avec les organismes et associations de soutien aux familles. Les 2 derniers niveaux sont offerts lorsque le lien de collaboration entre l’équipe de soins est dans une impasse quand la famille présente toujours une détresse importante malgré les interventions ou lorsque des dynamiques familiales demeurent complexes (Mottaghipour et Bickerton, 2005).

figure 1

Pyramide des soins familiaux

Pyramide des soins familiaux
adaptée selon le modèle de Mottaghipour et Bickerton, 2005

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Une étude réalisée à Montréal a par ailleurs montré qu’un simple indicateur de l’implication des familles — le nombre de mois pendant lesquels l’équipe clinique est en contact avec les familles (niveau I) — permet de prédire si les jeunes risquent de se désengager avant d’avoir complété leur programme (Iyer et coll. 2020). Ainsi, au-delà des interventions réalisées « uniquement » aux premiers paliers de la pyramide, il est recommandé que les équipes maintiennent un contact régulier avec les familles tout au long de leurs interventions.

L’état des pratiques actuelles auprès des familles en intervention précoce

Le case management (CM)[9] fait maintenant partie intégrante des PPEP. En intervention précoce, cette approche permet de maintenir l’engagement dans l’intervention grâce au développement d’un lien de confiance entre les professionnels, le jeune et ses proches, d’anticiper les périodes de crise et de mieux les gérer, notamment en assurant un suivi régulier avec les membres de l’entourage (De Boer et coll., 2019). Le Early Psychosis Prevention and Intervention Centre (EPPIC, 2001) suggère quelques stratégies pour faciliter le travail avec les familles dans le cadre de l’approche CM, soit : 1) initier un contact avec la famille dans les 48 heures suivant la première rencontre d’évaluation avec le jeune afin de lui offrir rapidement le soutien et l’information dont elle a besoin ; 2) identifier, dès le premier entretien, son niveau de compréhension de la situation et ses besoins actuels ; 3) l’impliquer, dans la mesure du possible, dans les rencontres en cours de traitement, notamment pour les bilans d’évolution ; 4) lui offrir du soutien et un accompagnement dès le début de la prise en charge et de manière continue. Rappelons que ce travail avec les familles doit cependant s’effectuer sur un mode collaboratif afin de répondre aux besoins spécifiques de chacune d’elles (Morin et St-Onge, 2016, 2019). L’établissement d’une « double alliance thérapeutique » avec le jeune et sa famille peut toutefois entraîner des enjeux relationnels pour le case manager (Conus et coll., 2010 ; De Boer et coll., 2019 ; EPPIC, 2001).

S’il est désormais avéré que le soutien exercé par les proches, de même que la collaboration entre les membres de l’entourage et les professionnels jouent un rôle déterminant dans le rétablissement du jeune (CSMC, 2019 ; Galletly et coll. 2016 ; Morin et St-Onge, 2017 ; MSSS, 2015 ; Rey et coll., 2019 ; Stafford et coll. 2013), des efforts supplémentaires semblent nécessaires pour adapter l’implication des familles dans les PPEP. Par exemple, il est essentiel de tenir compte des structures, des rôles et des valeurs familiales, qui varient selon les groupes et les contextes culturels. Cette sensibilité est d’autant plus importante, qu’au Québec, les PPEP accueillent un nombre croissant de jeunes issus de divers milieux culturels. Il est d’ailleurs reconnu que les interventions familiales culturellement adaptées se révèlent davantage efficaces auprès de ces familles (Iyer et coll., 2020 ; Jarvis et coll., 2020 ; Nadeau et coll., 2020).

Le partage d’informations et le respect de la confidentialité : Un enjeu crucial dans l’intervention auprès des familles

Pour pouvoir exercer adéquatement leur rôle dans le processus de rétablissement, les familles doivent recevoir toute l’information nécessaire. Du point de vue des professionnels, il est souvent difficile de concilier la confidentialité des informations concernant le jeune avec le besoin d’informations des familles. Le respect de la confidentialité est accentué par le contexte légal dans lequel il s’inscrit. En vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, qui a préséance sur toutes les lois, le consentement de la personne est nécessaire à toute intervention la concernant, ce qui s’applique aussi aux communications avec les proches. C’est souvent dans ce contexte que les équipes traitantes tendent à adopter une approche essentiellement légaliste, considérant qu’il leur est impossible de communiquer, même de façon minimale, avec les membres de l’entourage.

Si une grande partie de l’intervention initiale doit être consacrée à l’établissement d’un lien de confiance avec l’équipe de soins et que plusieurs mois peuvent s’écouler avant que le jeune n’accepte de se confier sur ses difficultés (Conus et coll., 2010), il est légitime pour les professionnels de vouloir préserver ce lien de confiance. Tout en reconnaissant que les proches sont des partenaires essentiels (EPPIC, 2001 ; MSSS, 2015 ; Rey et coll., 2019), certains professionnels craignent que le partage d’informations concernant le jeune brise leur lien de confiance et les expose à des poursuites judiciaires (Galletly et coll. 2016). Ils refusent alors de transmettre de l’information aux proches, en s’appuyant sur leur obligation de respecter le secret professionnel et la confidentialité de son dossier (Galvao, 2012). Pourtant, le partage d’informations est une composante essentielle des pratiques cliniques fondées sur le principe de collaboration (Galvao, 2012 ; Morin et St-Onge, 2016 ; 2019). Cette collaboration implique une réciprocité dans les échanges d’informations et un partage de pouvoir et de responsabilités. Or, la confidentialité apparaît souvent comme un obstacle important à cette réciprocité (Galvao, 2012 ; Morin et St-Onge, 2016 ; 2019). Si les familles fournissent des renseignements précieux aux équipes de soins, elles rapportent ne pas recevoir en retour toute l’information nécessaire pour pouvoir exercer adéquatement leur rôle de soutien auprès du jeune atteint. Celles-ci déplorent tout particulièrement le manque d’informations concernant le diagnostic et l’évolution de l’état de santé du jeune atteint de même que l’absence de conseils qui pourraient les aider à mieux interagir avec celui-ci (Davis, 2014). Pour éclairer cette situation complexe et identifier des solutions concrètes pouvant être appliquées par les PPEP, une recherche qualitative sur le thème du partage d’informations et de la confidentialité dans les pratiques en santé mentale est actuellement menée par Morin et ses collaborateurs (2019-2021) avec l’apport d’un comité consultatif composé d’acteurs directement concernés par cet enjeu (pair aidant, paire aidante famille, professionnels PPEP et éthicien). L’étude vise à formuler des recommandations concrètes répondant aux questions suivantes : De quelles informations les familles ont-elles besoin pour assurer leur rôle de soutien ? Quelle est la « meilleure » manière d’obtenir le consentement à la participation des proches ? Quelle forme (verbale ou écrite) devrait prendre ce consentement ?

Conclusion

Le développement des interventions familiales et la reconnaissance de la contribution des familles en intervention précoce comportent encore à ce jour des défis. Bien que les approches familiales aient démontré leur efficacité, des moyens doivent être mis en place pour soutenir leur implantation dans les PPEP. Comme le contexte d’un PEP nécessite l’implication rapide des familles, le rôle du case manager ou du spécialiste en approches familiales est essentiel pour établir une alliance thérapeutique avec les familles, dès l’entrée dans le programme et tout au long du suivi. Une fois l’alliance établie, il faut s’assurer d’offrir les services essentiels, correspondant aux 3 premiers paliers de la pyramide des soins familiaux (Mottaghipour et Bickerton, 2005), via les approches psychoéducatives et de modification du comportement familial. Pour encadrer la pratique auprès des familles, l’idée d’un plan d’implication des familles serait à explorer dans les pratiques auprès des proches aidants[10]. L’établissement de liens de collaboration avec les organismes communautaires dédiés au soutien familial s’avère également essentiel dans un esprit de complémentarité et de continuité avec les services offerts par les PPEP. Le recours à ces organismes permet d’assurer une réponse supplémentaire aux besoins des familles en prenant appui sur l’approche éducative. De plus, ces services permettent d’offrir une transition plus fluide aux familles et un soutien une fois l’épisode de soins dans le PPEP terminé. L’intégration des PAF constitue également une manière tangible de poursuivre le développement de pratiques familiales. Bien qu’il existe peu de littérature concernant l’évaluation de ces services (Briand et coll., 2016 ; Levasseur et coll., 2019), les PAF permettraient d’améliorer les pratiques d’intervention familiale actuelles, en donnant une plus grande place au savoir expérientiel des familles. Par ailleurs, le développement des compétences des professionnels passe par l’accès à de la formation continue et à de la supervision clinique. La création de communautés de pratiques est à privilégier particulièrement pour les case manager et les spécialistes en intervention familiale, afin de soutenir les professionnels dans le déploiement des approches familiales dans les PPEP. Enfin, l’intégration des personnes directement concernées (utilisateurs de services, familles, cliniciens) dans des lieux où l’organisation des soins et des services en intervention précoce est réfléchie (milieux cliniques, de l’enseignement et de la recherche) constitue un moyen concret pour s’assurer que leur voix soit entendue et que les services développés et implantés correspondent bien à leurs besoins.