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Le recours au droit international par les tribunaux canadiens est un phénomène plutôt rare compte tenu du fait que ce ne sont que les lois votées au Canada qui peuvent devenir les seules normes législatives du pays. Le rappel virulent de cette règle dans une de ses récentes décisions a conduit la Cour d’appel fédérale à annuler une décision de la Commission du droit d’auteur du Canada dans laquelle, selon elle, la Commission avait fait trop grand cas d’un traité international en la matière. En effet, dans Entertainment Software Association c SOCAN[1], la Cour était appelée à revoir l’interprétation du paragraphe 2.4 (1.1) de la Loi sur le droit d’auteur[2] qui avait été introduit en 2012 lors des amendements à la loi qui visaient, entre autres, la mise en oeuvre des traités de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) de 1996[3]. Si, bien sûr, on en retient surtout son interprétation de la disposition en cause, cette décision démontre qu’une incursion dans l’univers des accords internationaux portant sur le droit d’auteur peut s’avérer utile pour comprendre l’évolution de la matière.

La dimension internationale du droit d’auteur a toujours joué un rôle important dans les développements législatifs de cette branche du droit au Canada. Qui plus est, l’utilisation accrue de l’Internet pour la diffusion des oeuvres protégées par le droit d’auteur en accentue le caractère international. Le droit d’auteur canadien ne vit pas dans un vase clos, insensible à la mouvance internationale qui anime son évolution. Au contraire, des étapes marquantes de son histoire résultent des engagements internationaux du Canada. Ceux-ci se sont effectivement traduits par des modifications législatives. Rares sont les décisions jurisprudentielles où l’on intègre les instruments internationaux dans le raisonnement[4]. Pourtant, une connaissance de l’univers international de ce domaine du droit est susceptible de devenir de plus en plus pertinente pour en maîtriser les règles.

Le droit d’auteur fait l’objet d’un entrelacs de normes internationales qui ne cesse de se complexifier. Jusqu’aux années quatre-vingts, les textes dont on devait tenir compte étaient élaborés dans les enceintes internationales spécialisées en la matière, créant ainsi un réseau de conventions internationales faciles à identifier (I). Cette pratique continue d’ailleurs d’avoir cours, même si elle doit prendre en compte une « nouvelle » réalité : l’inclusion de la propriété intellectuelle dans des accords commerciaux à la fin des années quatre-vingts et au début des années quatre-vingt-dix, un phénomène auquel le Canada a été parmi les premiers intéressés (II). Depuis cette époque, le mouvement s’est amplifié et a considérablement élargi les sources de normes internationales (III).

I. Les conventions classiques

Le grand âge – certes relatif – de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques[5] (Convention de Berne ou Convention) de 1886 ne l’empêche pas de continuer à jouer un rôle fondamental dans le développement des relations internationales du droit d’auteur. D’une certaine manière, on peut dire que tous les autres textes qui l’ont suivie ont eu à se positionner en fonction d’elle. Sa structure de base a influencé les textes jusqu’à nos jours : on y trouve tant des règles de nature procédurale que des règles de fond.

« La » règle procédurale la plus importante de la Convention de Berne est celle du traitement national[6]. En effet, l’adhésion à la Convention représente l’engagement d’un État à traiter les ressortissants des autres pays membres de l’Union qu’elle a créée comme s’ils étaient des ressortissants de son propre pays. Cette assimilation des étrangers aux nationaux est acceptable dans la mesure où tous les membres de l’Union la pratiquent; et cette acceptabilité repose sur la reconnaissance d’un minimum de règles de fond que chaque pays s’engage à offrir à ces étrangers. Un tel engagement envers des auteurs étrangers est supposé signifier que les législateurs souhaiteront traiter leurs propres ressortissants au moins aussi bien que les ressortissants étrangers…

L’évolution de la Convention est surtout jalonnée de nouvelles règles de droit substantif qui apparaissent au fil du développement des technologies de création et de diffusion des oeuvres. C’est ainsi que sa mise à jour s’est réalisée grâce à de nouveaux actes de la Convention qui ont été convenus dès 1896 à Paris jusqu’en 1971, encore à Paris, en passant par Berlin en 1908, Rome en 1928, et Bruxelles en 1948. L’adhésion à un acte subséquent n’est pas automatique, ce qui signifie que les membres de l’Union peuvent être liés par différentes versions de la Convention. C’est la situation qu’a connue le Canada qui a ratifié la Convention de son propre chef, et non plus en tant que colonie du Royaume-Uni, en 1931. La version de l’Acte de Rome de la Convention est demeurée le texte qui le liait jusqu’à ce qu’il adhère à l’Acte de Paris de 1971 en 1998[7].

Pourquoi la Convention de Berne n’a-t-elle pas été révisée au-delà de sa version de 1971? La décolonisation qui s’est amorcée après la Seconde Guerre mondiale a fait augmenter de manière significative le nombre de pays membres de l’Union, car ces nouveaux pays, soucieux d’assumer les responsabilités qui viennent avec leur indépendance, n’ont pas beaucoup hésité à ratifier eux aussi les instruments internationaux qu’ils avaient connus pendant leur période coloniale. Cela leur a donné un poids considérable lors de la Conférence de Stockholm en 1967 qui a débouché sur la création de l’OMPI[8] et sur l’Acte de Paris de 1971.

L’opinion des pays sur la place du droit d’auteur, voire de l’ensemble de la propriété intellectuelle, dans leur économie est fonction de plusieurs facteurs. Lorsqu’il s’agit de pays en voie de développement, les obligations que leur créent les règles internationales sont souvent considérées comme trop onéreuses et mal adaptées à leur situation. S’il a fallu attendre quatre ans après les négociations de la Conférence de Stockholm pour convenir d’un nouvel acte de la Convention à Paris, c’est bien parce que ces pays en voie de développement ont fait bloc pour faire valoir leurs préoccupations.

Le délaissement de la Convention de Berne tient aussi au fait qu’elle manque de mordant à l’égard des pays membres qui ne respectent pas leurs obligations. Non seulement un différend qui n’est pas résolu par des négociations entre les États peut uniquement être porté devant la Cour internationale de justice, mais les pays qui signent, ratifient ou adhèrent à l’Acte de Paris peuvent déclarer qu’ils ne se considèrent pas liés par cette règle[9]. La mondialisation aidant, cette situation a été considérée comme de plus en plus problématique au point où d’autres mécanismes ont dû être envisagés[10].

Outre ces aspects politiques, il y a aussi des questions de fond qui ont conduit des États à développer d’autres instruments internationaux touchant le droit d’auteur. Par exemple, l’interdiction de soumettre « [l]a jouissance et l’exercice » du droit d’auteur à de quelconques formalités[11] et l’obligation de protéger deux prérogatives du droit moral des auteurs[12] ont écarté de la Convention de Berne, jusqu’en 1989[13], les États-Unis d’Amérique. Même si leurs auteurs pouvaient toujours être protégés dans l’Union de Berne grâce aux mécanismes de la publication simultanée[14], l’incompatibilité philosophique de cette situation est à l’origine de la Convention universelle sur le droit d’auteur[15] en 1952 qui a permis aux États-Unis d’établir des relations internationales sur la base de règles compatibles avec leur propre loi.

Autre motif pour élaborer une convention distincte : les droits voisins. Les pays qui adhèrent fortement au système de droit d’auteur tiennent à ce que la protection à prévoir pour les auxiliaires de la création que sont les artistes interprètes, les producteurs de phonogrammes et les radiodiffuseurs n’entre pas dans le champ de protection des auteurs[16]. Ces groupes d’intérêt se sont donc réunis en 1961 pour créer la Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion[17], dite Convention de Rome. L’adhésion du Canada à cette convention constitue un événement marquant dans l’évolution du droit d’auteur du pays. En effet, à cause de son autonomie par rapport à la Convention de Berne, cette convention est non seulement très fortement marquée de l’approche de droit d’auteur de la matière, mais elle en est la preuve « internationale ». Les origines et l’orientation de type copyright de la loi canadienne ne prédisposaient pas le pays à en devenir membre[18]. Pourtant, c’est ce qui s’est produit en 1998 quand le Canada y a adhéré[19].

La question du statut international des droits voisins est d’ailleurs au coeur de deux conventions internationales qui ont été élaborées au début des années soixante-dix. La première, la Convention pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non autorisée de leurs phonogrammes[20], adoptée à Genève en 1971 et dite Convention phonogrammes, résulte de la volonté de l’industrie phonographique de trouver un texte international permettant d’assurer la protection des phonogrammes, quelle que soit la qualification juridique en cause. Le Canada en est un des pays signataires, mais n’y a pas donné suite. L’autre convention de droits voisins est la Convention de Bruxelles concernant la distribution de signaux porteurs de programmes transmis par satellite[21], aussi appelée Convention satellites. Elle a été créée en 1974. Le Canada n’a pas participé à sa négociation et n’en est pas membre non plus.

Il faudra attendre une vingtaine d’années avant que l’élaboration de nouveaux instruments internationaux portant exclusivement sur le droit d’auteur et les droits voisins ne reprenne. Pendant cette période, un autre phénomène a pris les devants de la scène et a réorienté la diplomatie internationale de la propriété intellectuelle : les accords commerciaux internationaux.

II. La transition vers les accords commerciaux

On a l’habitude de considérer que l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce[22] (ADPIC), qui constitue l’Annexe 1C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce (Accord de Marrakech ou Accord de l’OMC) du 14 avril 1994, est le point de bascule qui a fait intégrer la propriété intellectuelle dans les accords commerciaux internationaux. Pour le Canada, en réalité, ce moment est venu beaucoup plus tôt.

Les négociations en vue d’un accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis ont débuté en 1986. La propriété intellectuelle y a joué un rôle déterminant. En effet, les négociations ne pouvaient s’amorcer qu’à la condition que le Canada élimine son régime de licences obligatoires pour les brevets portant sur les médicaments, un régime qui permettait à toute entreprise pharmaceutique « générique » de fabriquer des médicaments brevetés dès l’octroi du brevet moyennant une redevance jugée faible[23]. L’accord a été signé en octobre 1987 et est entré en vigueur le 1er janvier 1989[24]. Dans le chapitre 20, qui constitue à lui seul la partie VII « Autres dispositions », on trouve l’article 2006 qui oblige le Canada à introduire le droit de retransmission dans sa loi sur le droit d’auteur, ce qui fut fait avec le vote de la Loi de mise en oeuvre du libre-échange Canada–États-Unis[25]. C’est la seule disposition de cet accord concernant le fond de la propriété intellectuelle.

On doit noter qu’une autre disposition, de nature beaucoup plus générale, vise la propriété intellectuelle dans cet accord de 1987. Son article 2004 stipule que « [l]es Parties coopéreront aux négociations commerciales multilatérales de l’Uruguay Round et aux travaux de toute autre instance internationale afin d’améliorer la protection de la propriété intellectuelle »[26]. Ces négociations avaient débuté en septembre 1986 avec la Déclaration de Punta del Este en Uruguay et ont abouti sur l’Accord de Marrakech de 1994.

Entretemps, cependant, d’autres négociations impliquant le Canada et les États-Unis sont menées. Il s’agit de celles qui ont donné naissance à l’Accord de libre-échange nord-américain[27] (ALÉNA) en 1992. Puisqu’elles ont eu lieu en parallèle avec celles de l’Accord de Marrakech, il n’est pas surprenant que le texte de l’ALÉNA soit fortement inspiré de celui-ci. Il y a donc un chapitre entier consacré à la propriété intellectuelle qui impose au Canada des obligations plus nombreuses que ce qu’il avait connu lors de l’accord de libre-échange avec les États-Unis quelques années auparavant.

Le chapitre 17 de l’ALÉNA porte déjà la marque de la technique rédactionnelle sur laquelle les normes de l’ADPIC sont bâties – et qui sera largement reprise par la suite – à savoir la construction des obligations sur la base de certains traités en vigueur. En ce qui concerne le droit d’auteur, cela signifie surtout « donner effet […] aux dispositions de fond » de l’Acte de Paris de la Convention de Berne[28], le Canada n’étant toujours lié à cette époque que par l’Acte de Rome de 1928, car l’autre obligation de même nature, c’est-à-dire celle de donner effet à la Convention phonogrammes[29], ne semblait pas poser de difficulté. Puis viennent des règles spécifiques qui correspondent à une mise à jour de la version de 1971 de la Convention de Berne selon les intérêts en présence à l’époque. En particulier, on confirme la protection des logiciels en tant qu’oeuvres littéraires – une sorte d’officialisation de la jurisprudence mondiale[30] – et celle des compilations de données – un enjeu dont l’importance future était pressentie – en plus de prévoir un droit de location pour les logiciels et les phonogrammes.

La mise en oeuvre des obligations de droit auteur contractées en vertu de l’ALÉNA a donc provoqué des changements importants dans la loi canadienne[31]. De par son ampleur et sa place dans la chronologie des événements, elle a fait en sorte que les modifications liées à la mise en oeuvre de l’ADPIC au Canada ont pu sembler plus modestes[32]. En effet, la loi modificatrice provenant de l’engagement du Canada envers l’ALÉNA est intervenue seulement une année avant la conclusion de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce.

Si les conséquences juridiques nationales de l’ALÉNA ont été plus importantes que celles de l’ADPIC, il n’en demeure pas moins que, à l’échelle internationale, c’est l’ADPIC qui constitue le moment décisif de l’évolution internationale de la propriété intellectuelle. Du point de vue du droit d’auteur, il fait siennes les règles de fond de la Convention de Berne en exigeant des parties de se conformer « aux articles premier à 21 de la Convention de Berne (1971) et à l’Annexe de ladite Convention »[33]. Tout comme dans l’ALÉNA, on prévoit la protection des logiciels et compilations de données[34]. On remarque cependant quelques divergences entre les deux accords qui ne peuvent s’expliquer que par les différences dans les pouvoirs de négociations des parties, l’ADPIC réunissant beaucoup plus de pays que le trio de l’ALÉNA.

Il y a d’abord le traitement réservé au droit moral. Dans les deux accords, l’article 6bis de la Convention de Berne est soigneusement écarté; mais la technique a quelque peu évolué. Dans l’ALÉNA, seuls les États-Unis sont visés par son exclusion de l’accord grâce à une annexe selon laquelle l’Accord « ne confère aucun droit et n’impose aucune obligation aux États-Unis en ce qui concerne l’article 6bis de la Convention de Berne, ou les droits découlant dudit article »[35]. Dans l’ADPIC, ce sont toutes les parties qui n’ont aucune obligation à son égard dans la foulée du même texte qui impose aux parties de se conformer aux dispositions de fond de la Convention[36].

Là où la situation a manifestement été plus délicate est dans le cas des droits voisins. Alors que l’ALÉNA demandait de donner effet à la Convention phonogrammes, l’ADPIC n’impose aucune obligation semblable dans le cas des droits voisins. Cependant, le texte de l’ADPIC trahit bien que la Convention de Rome était dans tous les esprits. On ne saurait expliquer autrement les références à cette convention dans un texte qui, à première vue, et contrairement à ce qui concerne les oeuvres, semble partir de zéro pour élaborer un régime international de protection pour les artistes interprètes, les producteurs d’enregistrements sonores et les organismes de radiodiffusion[37]. À l’époque, quelque 45 pays étaient membres de la Convention de Rome, alors que, dans le contexte nord-américain, seul le Mexique en faisait partie.

La plus grande portée de l’ADPIC fait oublier le rôle qu’ont joué les accords commerciaux antérieurs entre le Canada et les États-Unis dans le développement des normes internationales de droit d’auteur; mais, du point de vue canadien, ces accords ont davantage infléchi le cours de l’évolution de la loi canadienne, une loi qui, même aujourd’hui, n’a pas encore connu de révision de fond en comble depuis 1921 à cause d’une décision de diviser ce processus en plusieurs « phases » pour le rendre plus facile à gérer. La première phase de la révision a eu lieu en 1987[38]. L’ampleur de la tâche a fait reporter sa suite à « quelques années plus tard », un moment qui, dans les faits, est survenu en 1997[39], c’est-à-dire après avoir mis en oeuvre les trois accords commerciaux dont il vient d’être question et qui réglaient certaines des questions demeurées en suspens. On remarquera que, signe de souveraineté nationale (?), l’adhésion du Canada à l’Acte de Paris de la Convention de Berne et à la Convention de Rome ne s’est réalisée qu’en 1998, soit après la phase II de sa révision et non à la suite de la mise en oeuvre de l’ADPIC[40].

Le succès de l’ADPIC tient au fait qu’il est lié aux mesures de rétorsion que prévoit l’Accord de l’OMC. En effet, l’intérêt de faire évoluer les normes internationales de propriété intellectuelle en dehors des traités spécialisés traditionnels repose sur la possibilité qu’offre l’Organisation mondiale du commerce (OMC) d’avoir recours à un mode de résolution de conflits qui est beaucoup plus susceptible de discipliner les pays en défaut que la plainte déposée à la Cour internationale de justice. Le Canada a d’ailleurs fait l’objet de deux recours devant les instances de l’OMC en matière de propriété intellectuelle[41], ce qui l’a immédiatement conduit à modifier sa loi en fonction des conclusions des panels[42].

L’arrivée de la propriété intellectuelle dans l’univers des accords commerciaux a aussi modifié la dynamique des négociations autour des normes à établir. Au lieu de rechercher un équilibre au sein de la matière, le nouvel environnement permet de troquer la propriété intellectuelle contre du coton ou du riz. Pour faciliter le processus, la décision de ne pas faire table rase, mais plutôt de construire sur la base de traités existants, aide à cibler les questions de l’heure au lieu de rouvrir d’anciens pactes. Ce n’est pas sans raison que l’ADPIC est parfois surnommé « Berne+ »…

L’existence même de l’ADPIC a rapidement provoqué une réaction de la part de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle qui, en voyant l’arrivée d’une nouvelle instance internationale dans l’univers de la propriété intellectuelle, a voulu rappeler à la communauté internationale sa pertinence et son leadership dans le développement de normes.

III. La conversation entre l’OMPI et les accords commerciaux

Si l’on compare avec ce qui se passait avant l’Accord de l’OMC, la période post-ADPIC est marquée par la multiplication d’accords intéressant le droit d’auteur. On voit tant des traités spécifiques émanant de l’OMPI que des chapitres de propriété intellectuelle dans des accords commerciaux. Cette période est toutefois légèrement différente de ce que l’ADPIC laissait pressentir : au lieu d’un dialogue entre l’OMPI et l’OMC, une conversation se développe plutôt entre l’OMPI et diverses alliances régionales. En effet, l’impossibilité de réviser l’ADPIC au sein de l’OMC[43] a fait en sorte que les États se sont tournés vers des accords commerciaux bilatéraux et régionaux pour négocier l’évolution de la propriété intellectuelle. On assiste donc à une multiplication d’accords à travers lesquels on peut mesurer l’évolution du consensus autour de nouvelles normes. La position géographique du Canada fait en sorte qu’un nombre important d’accords bilatéraux et régionaux retient son intérêt. Le jeu des vases communicants qui s’y développe s’avère instructif pour déceler la ligne directrice de ses négociations dans le domaine du droit d’auteur.

Le coup de barre est donné dès 1996, soit deux ans après l’Accord de l’OMC. Depuis quelques années déjà, le milieu du droit d’auteur était confronté à l’arrivée d’Internet dans la diffusion des oeuvres protégées. Ce phénomène technologique a fouetté les velléités de mise à jour des normes internationales, d’autant que la question ne figure pas dans l’ADPIC. L’OMPI saisit l’occasion et produit deux traités qui répondent à un double objectif : mettre à jour le droit d’auteur international traditionnel en demeurant dans la lignée des instruments spécialisés en la matière et s’attaquer au problème de l’heure en l’intégrant dans cet univers spécialisé. Le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur[44] et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes[45], signés en décembre 1996 et tous deux surtout connus sous leurs acronymes anglais WCT et WPPT, représentent ainsi le retour de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, siège de la Convention de Berne, sur la scène normative internationale.

Ces deux traités suivent la structure qui avait été adoptée par les rédacteurs de l’ADPIC, à savoir des références à des instruments antérieurs comme points de départ pour ensuite ajouter des nouveautés. Il y a toutefois une différence notable entre le traité qui vise le droit d’auteur et celui qui concerne les droits voisins. Le WCT s’inscrit clairement dans la lignée de la Convention de Berne lorsqu’il prévoit que « [l]es Parties contractantes doivent se conformer aux articles 1er à 21 et à l’annexe de la Convention de Berne »[46]. Ensuite, il incorpore les règles de droit d’auteur qui constituaient des nouveautés dans l’ADPIC avant d’ajouter les innovations qui lui sont propres. Dans le cas du WPPT, cependant, les divergences idéologiques quant à la protection des objets des droits voisins empêchent l’utilisation de la Convention de Rome comme norme de référence. Certes, le WPPT la mentionne et deux fois plutôt qu’une. Il ne se contente pas de déclarer que ses dispositions n’emportent aucune

dérogation aux obligations qu’ont les Parties contractantes les unes à l’égard des autres en vertu de la Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, faite à Rome le 26 octobre 1961[47].

Il indique aussi qu’il « n’a aucun lien avec d’autres traités et s’applique sans préjudice des droits et obligations découlant de tout autre traité »[48]. Il faut également comprendre que ces « autres traités » incluent non seulement la Convention de Rome, mais aussi l’ADPIC lui-même. Cela n’empêchera pas toutefois ses rédacteurs d’en reprendre les règles idoines, à l’instar du WCT, avant de compléter le tout par une mise en miroir des nouvelles règles concernant la diffusion sur Internet qui font du WCT et du WPPT des traités frères en cette matière. Cette autonomie relative du WPPT, comparativement au WCT, en fait l’instrument international de droits voisins ayant le plus de succès : non seulement il compte légèrement plus de membres que la Convention de Rome (109 contre 96), mais, contrairement à ce dernier, ses pays membres comprennent la Chine, les États-Unis, et l’Inde.

Quelque quinze années plus tard, deux nouveaux traités sont adoptés à l’OMPI. Le positionnement du Canada à leur égard semble être en phase avec celui des autres membres de la communauté internationale.

Les droits des artistes interprètes de la Convention de Rome et du WPPT visent essentiellement des prestations en direct ou captées sur des phonogrammes. Le secteur de l’audiovisuel en a été tenu à l’écart à cause des différences fondamentales qu’entretiennent les pays de copyright et les pays de droit d’auteur quant au régime juridique approprié pour les oeuvres cinématographiques. Le Traité de Beijing sur les interprétations et exécutions audiovisuelles[49] (Traité de Beijing) de 2012 cherche à combler ce manque. Il est clairement campé dans les univers de la Convention de Rome et du WPPT auxquels il fait référence; toutefois, des deux instruments internationaux précédents, c’est manifestement le WPPT qui fait office de traité de référence. En effet, il est déclaré d’emblée qu’il « n’a aucun lien avec d’autres traités que le WPPT et s’applique sans préjudice des droits et obligations découlant de tout autre traité »[50]. Le WPPT acquiert ainsi en seize ans un statut qui a échappé à la Convention de Rome, vieille de plus de cinquante ans. Il constitue alors un acquis qui permet aux rédacteurs du Traité de Beijing de greffer des dispositions qui reflètent les particularités du contexte audiovisuel.

Le Traité de Beijing est entré en vigueur en avril 2020, soit un peu moins de huit ans après sa conclusion. Il compte quarante-deux pays membres, dont la Chine, évidemment, et la Fédération de Russie, mais non l’Inde. Les États-Unis l’ont signé, mais n’y ont pas donné suite. Des pays européens, seules la République slovaque, la Moldavie et la Suisse y participent. Le Canada en est totalement absent. Ce manque d’empressement offre un contraste saisissant avec l’autre traité de droit d’auteur qui est né l’année suivante.

Le Traité de Marrakech visant à faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux oeuvres publiées[51] (Traité de Marrakech), à ne pas confondre avec l’Accord de Marrakech instituant l’OMC, a été mis sur pied en juin 2013. Il est entré en vigueur à la fin septembre 2016 grâce à l’adhésion du Canada[52] et compte actuellement quatre-vingts parties. C’est un traité particulièrement novateur parce que, au lieu de reconnaître des droits comme l’ont toujours fait les autres accords internationaux de propriété intellectuelle jusqu’alors, son objectif premier est de garantir des exceptions. Même si ce changement de point de vue requiert une structure et une formulation générale différentes de celles des autres textes, on trouve quand même un ancrage dans certains traités internationaux de droit d’auteur.

En effet, le Traité de Marrakech de 2013 peut être appréhendé comme une modalité particulière du triple test assurant la validité des exceptions au droit d’auteur, triple test qui est apparu en premier dans la Convention de Berne[53] – où il ne vise que le droit de reproduction – et qui a ensuite été repris et étendu aux autres droits dans l’ADPIC[54] et les traités de l’OMPI de 1996[55]. Les références à des traités antérieurs sont donc surtout à la Convention de Berne et au WCT, celui-ci représentant la dernière occasion de mise à jour internationale du droit d’auteur et les deux étant des textes administrés par l’OMPI. Néanmoins, par souci d’exhaustivité, le traité renvoie aussi à l’ADPIC lorsqu’il déclare sa filiation avec le triple test[56].

La rapidité avec laquelle le Canada a adhéré au Traité de Marrakech s’explique en partie par le fait que sa législation sur le droit d’auteur contenait déjà des modalités pour faire valoir une exception en faveur de « personnes ayant des déficiences perceptuelles » depuis la phase II de sa réforme en 1997[57], réforme dont l’un des grands objectifs avait été de revoir les exceptions qui figuraient dans la loi. Puisque ce fut aussi un des objectifs de la réforme de 2012, de légères modifications sont apportées à ce moment[58]; mais l’adhésion au Traité de Marrakech en a nécessité d’autres[59]. La réforme de 2012 au Canada reflète très clairement une propension du législateur à valoriser les exceptions au droit d’auteur[60] et, ainsi, l’adhésion trois ans plus tard à un traité qui ne porte que sur un tel objet ne doit pas tellement surprendre. Le positionnement du Canada n’est pas unique. Le Traité de Marrakech est entré en vigueur trois ans après sa création et compte actuellement quatre-vingts parties, alors que le Traité de Beijing, conclu l’année précédente, n’est entré en vigueur que huit ans après sa mise sur pied et réunit quarante-deux parties, soit un peu plus que la moitié des membres du Traité de Marrakech. Il est manifestement plus facile de trouver un consensus sur des aménagements à mettre en oeuvre en faveur des personnes non voyantes que sur la protection d’artistes interprètes qui travaillent dans un secteur dont le régime juridique est loin d’être harmonisé à l’échelle internationale.

Après le Traité de Marrakech, aucun autre traité en droit d’auteur n’a été conclu sous la gouverne de l’OMPI. Cela coïncide, pour le Canada, avec une intensification de négociations d’accords commerciaux comprenant des chapitres sur la propriété intellectuelle. Entre 2016 et 2018, pas moins de quatre accords sont conclus avec des partenaires de presque tous les côtés de ses frontières. Ils permettent de voir que les enjeux de droit d’auteur varient selon les interlocuteurs.

Le premier de ces accords est celui qui a été conclu avec l’Union européenne en 2016. Selon la formule convenue, l’Accord économique et commercial global (AECG) contient un chapitre consacré à la propriété intellectuelle[61] qui inclut, en fonction de chaque droit en cause, des listes d’accords internationaux auxquels les parties doivent se conformer en plus de dispositions sur des questions plus précises. Une partie importante de ce chapitre est également consacrée aux moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle ainsi qu’aux mesures à la frontière.

La sous-section portant sur le droit d’auteur et les droits « connexes », terminologie retenue pour les droits voisins, identifie comme fondements clés les dispositions normatives de l’Acte de Paris de la Convention de Berne, du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, du Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, et de la Convention de Rome. Suivent ensuite des obligations concernant la radiodiffusion et la communication au public, la protection des mesures techniques, la protection de l’information sur le régime des droits, la responsabilité des fournisseurs de services intermédiaires et l’enregistrement par caméscope. On doit également signaler une obligation de coopération spécifique en matière de droit d’auteur : sont envisagés des « échanges d’informations ou d’expériences sur […] la mise en place d’arrangements entre les sociétés de gestion collective respectives des Parties »[62].

Il est remarquable de constater que la loi de mise en oeuvre de cet accord n’a nécessité aucune modification à la loi sur le droit d’auteur canadienne[63]. Les points forts de droit substantif de l’accord sont les indications géographiques et les brevets concernant les produits pharmaceutiques[64]. Serait-ce le signe qu’il n’existe aucun contentieux de droit d’auteur entre les deux parties? Pourtant, contrairement à ce qui a cours dans l’Union européenne depuis l’entrée en vigueur d’une directive de 1993 qui a harmonisé la durée de protection de base dans ce territoire à « vie de l’auteur + 70 ans »[65], la durée de protection de base en droit d’auteur canadien demeure à « vie de l’auteur + 50 ans »[66]. Les priorités de négociations apparaissent ici clairement. Ce sera plutôt à l’occasion de pourparlers différents que des points de droit d’auteur qui remettent en question le statu quo du droit canadien seront abordés.

En effet, en même temps qu’il négociait l’accord commercial avec l’Union européenne, le Canada participait aussi à des négociations qui réunissaient des pays ayant en partage un autre océan important de la planète, l’océan Pacifique. Le Canada était en cela cohérent avec sa devise « A mari usque ad mare (D’un océan à l’autre) ». L’Accord de Partenariat transpacifique[67], plus connu sous son acronyme anglais TPP, réunit douze pays dont une des frontières donne sur cet océan : Australie, Brunei, Canada, Chili, États-Unis, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour, Vietnam. L’accord a été signé au début de 2016, mais les États-Unis s’en sont toutefois retirés au début de 2017, ce qui a obligé les autres parties à revoir leurs positions à son égard. Au lieu de le laisser sombrer, elles ont plutôt choisi de le maintenir entre elles sous le nom d’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste[68]. Depuis 2018, c’est donc un TPP révisé qui unit les onze pays qui y sont demeurés après le retrait des États-Unis. Cette décision s’est toutefois accompagnée de certaines négociations qui, en ce qui concerne le Canada, ont eu un impact sur le chapitre de la propriété intellectuelle et, plus particulièrement, sur le droit d’auteur. La grande majorité des obligations auxquelles les pays avaient accepté de se conformer sont demeurées telles quelles, mais il y a lieu de mentionner certaines différences entre les deux textes. Pour des fins de commodité, les deux accords seront ici examinés ensemble.

Comme tous les autres accords de ce genre, on y trouve des dispositions d’ordre général et d’autres qui sont plus ciblées.

En ce qui a trait aux dispositions générales, on peut constater qu’elles sont plus étoffées que celles de l’AECG. Certes, on y trouve la nécessité d’être membre de la Convention de Berne, du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, et du Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes[69], mais pas de la Convention de Rome. On remarque surtout, cependant, deux nouvelles préoccupations qui figurent dans une section très étoffée sur la coopération entre les parties. La première a trait au domaine public :

1. Les Parties reconnaissent l’importance d’un domaine public riche et accessible.

2. Les Parties reconnaissent également l’importance des supports d’information, tels que les bases de données publiques relatives aux droits de propriété intellectuelle enregistrés qui facilitent l’identification des objets tombés dans le domaine public[70].

L’autre vise la coopération en matière de savoirs traditionnels, une coopération qui s’inscrit toutefois uniquement dans le domaine des ressources génétiques pouvant être associées à des systèmes de propriété intellectuelle[71]. Les expressions culturelles traditionnelles qui relèveraient du droit d’auteur, a priori, n’en font pas partie. N’empêche, cette mention mérite d’être soulignée, car elle participe des débuts de la présence de ces enjeux dans l’univers des accords commerciaux internationaux.

Si la loi qui met en oeuvre l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste ne modifie pas la Loi sur le droit d’auteur[72], c’est parce que les dispositions idoines du texte du TPP antérieur n’imposaient aucune obligation nouvelle au Canada ou ont été retranchées lors des négociations de l’accord modifié. Dans les deux cas, il s’agit de victoires diplomatiques importantes pour le pays[73].

Le Canada tient beaucoup au régime « avis et avis » de sa loi sur le droit d’auteur, régime qui est une version édulcorée du régime « avis et retrait » que les États-Unis avaient mis sur pied pour identifier les situations qui mèneraient au retrait d’oeuvres contrefaisantes apparaissant sur des sites web. Le régime canadien tient son surnom du fait que la seule obligation qui soit imposée aux fournisseurs de services Internet, lorsque des titulaires de droit d’auteur leur signalent la présence d’oeuvres contrefaisantes dans leurs activités, est de transmettre aux personnes qui ont mis en ligne ces oeuvres sans l’autorisation des titulaires de droit les avis que ces titulaires leur avaient transmis à cet effet[74]. Les fournisseurs de services n’agissent ici qu’à titre d’intermédiaires entre les titulaires de droits et les utilisateurs. Le Canada tient tant à ce système qu’il a obtenu, dès les négociations du premier accord, le maintien de son système alors que les autres pays doivent s’assurer de suivre le « modèle » américain[75]. En effet, une annexe de l’accord TPP prévoit qu’un pays qui a déjà un système comme celui du Canada peut le maintenir[76]. Étant donné que le Canada est le seul pays à connaître un tel régime, l’annexe en question constitue une mesure d’exception uniquement à son égard et la conversion du TPP en Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste n’a pas modifié ce point.

L’autre « victoire » canadienne résulte, toutefois, des négociations qui ont mené à l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste. Dans la version TPP de l’accord, tous les pays s’étaient engagés à ce que la durée de base du droit d’auteur s’élève à « vie de l’auteur + 70 ans »[77]. La durée de base au Canada étant de « vie de l’auteur + 50 ans »[78], il devenait clair que ce qui n’avait pas fait l’objet d’obligation en vertu de l’AECG s’imposait dorénavant. C’était sans compter avec la réouverture de l’accord lorsque les États-Unis s’en sont retirés : à cette occasion, le TPP « global et progressif » a suspendu plusieurs dispositions de propriété intellectuelle, dont des dispositions de droit d’auteur incluant celle sur la durée de protection[79]. Pas plus qu’avec l’Union européenne, ce n’est donc pas un accord avec des partenaires bordant l’océan Pacifique qui allait obliger le Canada à allonger sa durée de protection des oeuvres par le droit d’auteur.

C’est plutôt à l’accord qui redéfinit les relations entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, plus de vingt-cinq ans après l’ALÉNA, que l’on doit l’impact le plus important d’un instrument international sur la loi sur le droit d’auteur canadienne depuis la mise en oeuvre du Traité de Marrakech en 2016. Alors que ni l’AECG – avec l’Union européenne – ni le TPP – original ou modifié – n’avaient mené à des modifications de cette loi, l’Accord Canada – États-Unis – Mexique (ACEUM) devient l’accord commercial des dernières années qui a nécessité l’introduction de nouvelles règles.

Lors de la négociation du TPP, le Canada avait dû accepter de prolonger la durée de base du droit d’auteur à « vie de l’auteur + 70 ans ». Il aurait été illusoire de croire que de nouvelles négociations impliquant les États-Unis auraient permis au Canada d’insister sur le maintien de sa durée de « vie de l’auteur + 50 ans ». La concession existait déjà. Voilà pourquoi il n’est pas surprenant que l’ACEUM revienne à la charge sur cette question. Non seulement la durée de base doit devenir conforme à celle qui a cours aux États-Unis et dans l’Union européenne[80], mais cette modification provoque, comme pratiquement toujours, des allongements de durée dans les cas où celle-ci ne repose pas sur la vie d’une personne physique[81]. C’est ainsi que la durée de protection des oeuvres anonymes et pseudonymes[82], des oeuvres cinématographiques[83] et des objets dont la protection relève des droits voisins[84] a été prolongée. Fait à noter : la durée du droit d’auteur de la Couronne, qui est de cinquante ans après la publication de l’oeuvre[85], n’a cependant pas été modifiée.

Une réserve importante, pour l’immédiat, doit être apportée à cette nouvelle obligation quant à la durée de protection de base : le Canada peut attendre deux ans et demi avant de la mettre en oeuvre[86]. Ainsi, alors que les autres dispositions concernant le droit d’auteur ont été mises en oeuvre le 1er juillet 2020, la règle de la « vie de l’auteur + 70 ans » ne deviendra obligatoire au pays que le 1er janvier 2023. Ce sursis n’est pas le seul en matière de droit d’auteur pour le Canada. L’obligation d’adhérer à certains textes internationaux inclut les textes les plus courants jusqu’ici, soit la Convention de Berne, le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes[87]. Elle prévoit cependant, en plus, l’obligation d’adhérer à un instrument auquel le Canada n’est pas encore partie, à savoir la Convention de Bruxelles concernant la distribution de signaux porteurs de programmes transmis par satellite de 1974[88]. Le Canada bénéficie ici d’un délai de quatre ans pour ce faire[89], c’est-à-dire jusqu’au 1er juillet 2024.

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Ce bref survol des textes internationaux en matière de droit d’auteur et de droits voisins qui interpellent le Canada pourrait fournir l’occasion d’examiner encore plusieurs questions qui découlent des obligations qu’ils imposent. En particulier, on pourrait s’intéresser à l’apparition de certains sujets ou à l’expansion que certains autres y prennent au fil du temps. On peut déjà prédire, à cause des développements politiques et juridiques actuels, que la protection des données et, peut-être dans une moindre mesure, les rapports entre les divers intervenants du milieu journalistique sont appelés à prendre plus de place. Et c’est sans compter les sujets qui sont déjà au programme du Comité permanent sur le droit d’auteur et les droits connexes de l’OMPI depuis plus ou moins longtemps[90]. Néanmoins, on peut toujours faire quelques observations sur cette évolution qui fait ressortir des tendances permettant d’apprécier les forces en présence qui agissent tant sur le positionnement international du Canada que sur l’évolution des instruments internationaux.

Tout d’abord, il est indéniable que les instruments internationaux dans lesquels il est question du droit d’auteur et de droits voisins dialoguent entre eux. L’arrivée de la Convention de Rome en 1961, d’ailleurs, nécessitait dès ce moment une mise au point avec le droit d’auteur de la Convention de Berne[91]. Ce à quoi l’on assiste depuis le début des années quatre-vingt, cependant, est d’un autre ordre : on bâtit sur les textes précédents. Il est révélateur, à ce sujet, de comparer la construction du droit d’auteur avec celle des droits voisins.

Pour le droit d’auteur, l’Acte de Paris de la Convention de Berne est l’étalon essentiel qui figure dans tous les accords. Il est automatiquement suppléé par le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur dans les accords qui lui sont postérieurs et les nouveaux textes s’inscrivent dans leur continuité. L’ADPIC est parfois mentionné, mais pas comme texte fondateur des nouvelles obligations qui sont créées.

Il est plus intéressant d’observer ce qui se passe du côté des droits voisins. À ce sujet, la situation canadienne est susceptible de s’avérer peut-être plus révélatrice que celle d’autres pays à cause de la façon dont le législateur canadien a choisi de les protéger. En tant que pays dont la législation est directement issue du droit britannique, on aurait pu s’attendre à une approche copyright de la protection des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes, et des organismes de radiodiffusion. Pourtant, c’est un régime inspiré sans ambages de la Convention de Rome qui a été introduit en 1997 dans la Loi sur le droit d’auteur[92], un régime qui reflète une vision « droit d’auteur » de la matière. Cette possibilité de naviguer dans les deux univers transparaît dans l’identification des instruments de droits voisins sur lesquels reposent les nouvelles obligations dans ce domaine. L’accord avec l’Union européenne est le seul accord du Canada dans lequel la conformité avec les dispositions de fond de la Convention de Rome est exigée; dans les autres, c’est-à-dire les deux versions du Partenariat transpacifique et l’ACEUM, c’est le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes qui sert de référence[93]. D’ailleurs, la référence à la Convention de Rome dans ce dernier traité et dans le Traité de Beijing sur les interprétations et exécutions audiovisuelles est toujours formulée de manière à indiquer que ces traités plus récents en sont bel et bien indépendants. On serait donc en train d’assister à un transfert d’autorité internationale de la Convention de Rome vers le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes.

Toujours dans le domaine de droits voisins, deux autres points méritent d’être mentionnés. Les deux concernent les accords nord-américains. Dans l’ALÉNA, chacune des parties s’engageait à faire « tout en son pouvoir » pour « donner effet […] aux dispositions de fond » de divers accords, dont la Convention phonogrammes de 1971[94]. Malgré cet engagement, le Canada n’a jamais ratifié cette convention. Il est vrai que « donner effet » à des dispositions n’exige pas une telle confirmation formelle. Dans l’ACEUM, cependant, l’obligation de se conformer à la Convention de Bruxelles pèse plus lourd : c’est l’adhésion qui est recherchée et pas seulement la transposition en droit national des règles qu’elle crée[95]. Étant donné le rôle des États-Unis dans cet accord, doit-on voir poindre dans cette mention l’identification d’un nouvel enjeu international de propriété intellectuelle?

Chose certaine, un enjeu qui a déjà commencé à prendre de l’ampleur est celui des exceptions au droit d’auteur. Les prémisses ont été posées quand l’ADPIC a repris et étendu à l’ensemble du droit d’auteur le « triple test » de l’article 9(2) de la Convention de Berne qui jusqu’alors ne s’appliquait qu’au droit de reproduction[96]. Par la suite, chaque traité reprend la formule. Cependant, l’importance grandissante des exceptions au droit d’auteur se manifeste maintenant de deux autres manières. La première – et peut-être la plus spectaculaire – est incarnée dans le Traité de Marrakech, un traité qui est entièrement consacré à l’existence d’exceptions dans un domaine certes restreint, mais qui emporte facilement l’adhésion. Ce traité innove dans le domaine de la propriété intellectuelle par son objet qui, contrairement à tous ses prédécesseurs, prive les titulaires de droits plutôt que de leur en reconnaître d’autres. L’autre élément qui souligne le développement de l’intérêt pour les exceptions provient du Partenariat transpacifique. Non seulement un domaine public « riche et accessible » fait partie de son accord[97], mais la reprise du triple test est accompagnée de précisions :

Chacune des Parties s’efforce d’établir un juste équilibre dans son régime de droit d’auteur et de droits connexes, entre autres au moyen de limitations ou exceptions qui sont compatibles avec l’article 18.65 (Limites et exceptions), y compris dans l’environnement numérique, tout en tenant compte des utilisations à fins légitimes, y compris, sans toutefois s’y limiter, la critique, le commentaire, la communication de nouvelles, l’enseignement, l’étude, la recherche, et autres fins semblables; et en facilitant l’accès aux oeuvres publiées aux aveugles, aux déficients visuels et aux personnes ayant d’autres difficultés de lecture de textes imprimés[98].

L’Accord de Partenariat transpacifique global et progressif a maintenu ces dispositions. Cette expansion de la place des exceptions touchant le droit d’auteur dans les instruments internationaux est susceptible de devenir une tendance lourde à surveiller, surtout si on y ajoute les travaux actuels de l’OMPI en matière d’exceptions.

Quel est le positionnement du Canada dans cet ensemble normatif international? À la lumière des engagements que représentent ces instruments, on peut considérer que le Canada n’est pas un pays proactif en matière de droit d’auteur, mais, au contraire, en est un qui cherche plutôt à limiter le plus possible ses obligations[99]. Si l’on se fie au temps qu’il prend pour devenir membre des divers traités qui ne portent que sur le droit d’auteur ou les droits voisins, le manque d’empressement est plutôt flagrant. L’adhésion à l’Acte de Paris de la Convention de Berne, la base des règles de droit d’auteur de l’ADPIC, n’est survenue en 1998 qu’à la suite de la phase II des amendements à la Loi sur le droit d’auteur, en même temps que celle à la Convention de Rome. Les traités de l’OMPI de 1996 ont été ratifiés en 2014, soit dix-huit ans après leur signature. L’adhésion au Traité de Marrakech, cependant, s’est effectuée à peine trois ans après sa conclusion… Si l’on ajoute à ces éléments son insistance sur le maintien du régime « avis et avis » dans le TPP et l’ACEUM, ainsi que sa résistance à la prolongation de la durée de base du droit d’auteur jusque dans l’ACEUM, on ne peut pas dire que le pays est un champion du droit d’auteur international. Il faut néanmoins reconnaître que sa position internationale va de pair avec ses interventions législatives internes[100].

De tous ces instruments internationaux, il en reste un qui n’a pas encore été évoqué et que l’on pourrait presque qualifier d’accord fantôme : l’Anti-Counterfeiting Trade Agreement[101] (ACTA). Conclu en 2011 par un groupe restreint de pays, dont le Canada, l’ACTA est demeuré un texte très controversé non seulement à cause des règles qu’il contient, mais aussi – sinon surtout – à cause de sa négociation à huis clos[102]. Le Parlement européen l’a d’ailleurs rejeté en 2012 alors que l’Union européenne avait participé à sa négociation. Autant dire que peu de pays se risqueraient à en incorporer nommément les règles. Pourtant, en 2014, le Parlement canadien votait la Loi visant à combattre la contrefaçon de produits[103], une loi qui, sans faire explicitement référence à l’ACTA, introduit des mesures modifiant la Loi sur le droit d’auteur et la Loi sur les marques de commerce[104] dérivées de cet accord. Comme quoi les normes internationales de droit d’auteur ne sont pas toujours intégrées au droit canadien avec tambours et trompettes.