Corps de l’article

L’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part[1], a été signé à Bruxelles le 30 octobre 2016 par le premier ministre canadien Justin Trudeau et le président du Conseil européen Donald Tusk[2]. Bien connu du professeur Daniel Turp qui a notamment dirigé un mémoire de fin d’études sur le sujet[3], cet accord de libre-échange « de nouvelle génération » prévoyait sa mise en application provisoire dans l'attente de l'achèvement des procédures nécessaires à sa conclusion définitive.

Depuis le 21 septembre 2017, la plus grande partie du texte[4] de l’AECG est appliquée à titre provisoire après avoir été approuvée par le Parlement européen et celui du Canada. L’entrée en vigueur de l’accord complet ne sera possible qu'après les ratifications du Canada et de l’Union européenne, ainsi que l’approbation des parlements des vingt-sept États membres de l’Union suivie par le dépôt de leurs ratifications.

La décision d'appliquer provisoirement des accords internationaux n’est pas exceptionnelle, particulièrement en matière commerciale. L’application provisoire permet d’obtenir les premiers bénéfices attendus d'un accord de libre-échange sans devoir attendre la ratification des Parties contractantes ou d’un nombre déterminé d’entre elles. Il en va d’autant plus ainsi lorsqu’un traité négocié par l’Union européenne couvre non seulement des matières qui ressortissent à la compétence dite exclusive de l’Union, mais aussi des domaines relevant de compétences qu’elle partage avec ses États membres. Souvent ces derniers exigent alors de conclure l’accord conjointement avec l’Union[5], de manière à donner à leurs parlements respectifs la possibilité d’approuver le résultat des négociations. En pareille hypothèse, les États membres doivent ratifier unanimement l’accord de concert avec l’Union, ce qui peut prendre plusieurs années et entraîner un retard important en ce qui concerne l’entrée en vigueur. En ce cas, le Conseil de l’Union européenne peut décider que les dispositions de l’accord relevant de la compétence de l’Union feront l'objet d'une application provisoire. Il réduit ainsi les inconvénients inhérents à la lenteur du processus de ratification.

En l’occurrence, le Conseil de l’Union européenne avait décidé de proposer au Canada de limiter l’application provisoire du futur accord essentiellement aux dispositions qui relèvent de la « politique commerciale commune »[6] et, partant, de la compétence exclusive de l’Union au titre de l’article 3, paragraphe 1, e) du traité sur le fonctionnement de l’Union (ci-après, le TFUE)[7].

On sait que les Parties sont toujours libres de convenir qu'un traité ou une partie de celui-ci s’appliquera à titre provisoire en attendant son entrée en vigueur[8]. Le premier paragraphe de l’article 25 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 le suppose[9]; le premier paragraphe de l’article 25 de la Convention de Vienne sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales du 21 mars 1986 (non encore en vigueur) le laisse entendre également[10]. Ces dispositions sont classiquement interprétées en ce sens qu’elles permettent à chaque Partie, sur base du traité qu’elle a signé, de prendre l’engagement unilatéral de se conformer provisoirement aux (ou à certaines des) dispositions du traité alors que celui-ci n’est pas encore entré en vigueur[11]. Les dispositions provisoirement appliquées ne sont obligatoires à ce titre qu’en droit international; elles n’ont d’effet en droit interne que si et dans la mesure où le droit constitutionnel le permet. Ceci explique que les traités soumis à application provisoire comme l’AECG prévoient en général qu’ils ne confèrent ni droits ni obligations qui puissent être directement invoqués devant les juridictions internes des Parties[12].

Il n’est évidemment pas question de reprendre ici l’ensemble de la théorie générale de l’application provisoire des traités[13] à propos de l’AECG. Nous étudierons seulement le régime que cet accord établit pour sa propre application à titre provisoire en combinant son article 30.7 avec les articles 25 des Conventions de Vienne sur le droit des traités ainsi qu’avec les dispositions du droit interne du Canada et les règles de l’Union européenne en la matière.

L’article 30.7 de l’AECG est intitulé : « Entrée en vigueur et application provisoire » [nos italiques]. Son paragraphe 3, alinéa a), se lit comme suit :

Les Parties peuvent appliquer provisoirement le présent accord à compter du premier jour du mois suivant la date à laquelle elles se sont notifié réciproquement l'accomplissement de leurs obligations et procédures internes respectives nécessaires à l’application provisoire du présent accord, ou à toute autre date convenue entre les Parties[14].

Il convient en premier lieu de délimiter le champ de l’application provisoire de l’accord (I). On examinera ensuite les différents aspects de cette mise en application au Canada et dans l’Union européenne (II) avant de distinguer les causes de son éventuelle cessation (III).

I. Le champ de l’application provisoire

Comme l’Union européenne souhaitait décider elle-même avec le Canada la mise en application provisoire de l’AECG, le champ ouvert à cette opération dépendait du constat de l’éventuelle « mixité » de l’accord au sens du droit de l’Union européenne (A). Une fois cette mixité établie, il importait d’en tirer les conséquences (B).

A. L’éventualité de la « mixité »

Un an avant la signature de l’AECG, la Commission européenne avait saisi la Cour de justice de l’Union d’une demande d’avis en vue de déterminer si l’Union disposait de la compétence pour signer et conclure seule un accord de libre-échange avec Singapour, paraphé en septembre 2013[15].

Jusqu’où allait le domaine de la « politique commerciale commune » au sens de l’article 207 du TFUE? Dans son avis 2/15 du 16 mai 2017 donné en assemblée plénière[16], la Cour estima qu’une grande partie du projet d’accord avec Singapour relevait de la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique commerciale commune, mais que certaines dispositions envisagées relevaient de la compétence partagée entre l’Union et les États membres[17], au sens que donne à cette expression l’article 4 du TFUE[18]. Il s’agissait tout d’abord des dispositions relatives aux investissements étrangers autres que directs, donc les investissements dits « de portefeuille »[19] qui constituent en quelque sorte le « volet extérieur de la libre circulation des capitaux »,[20] mais ne relèvent pas de la politique commerciale commune puisque celle-ci ne s’étend qu’aux seuls investissements étrangers directs[21]. Il s’agissait ensuite du système de règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États (ci-après, RDIE)[22]. Pour la Cour, ce régime instituait un mécanisme permettant de soustraire de tels différends à la compétence juridictionnelle des États membres, ce qui requérait le consentement de ceux-ci[23].

La Cour de justice en conclut que le régime de RDIE envisagé dans l’accord de libre-échange « ne saurait […] être instauré sans le consentement » des États membres[24] et qu’en ce qui concerne les investissements étrangers autres que directs, cet accord « ne saurait être approuvé par l’Union seule »[25]. À suivre l’opinion ainsi exprimée, l’accord déjà paraphé aurait apparemment dû prendre la forme d’un accord « mixte » au sens du droit de l’Union européenne, c’est-à-dire d’un accord conclu à la fois par l’Union et ses États membres, d’une part, et par un ou plusieurs États tiers, d’autre part.

Pourtant, lorsqu’un traité comme l’AECG comporte des dispositions qui relèvent de la compétence partagée entre l’Union européenne et ses États membres, s’ensuit-il nécessairement qu’il ne puisse être conclu que par l’Union et les États membres agissant de concert, comme une première lecture de l’avis 2/15[26] permet de le supposer?

La réponse est négative. La Cour s’en est expliquée quelque temps plus tard[27]. Par les constatations exposées dans l’avis, la haute juridiction se serait en fait :

bornée à prendre acte de l’impossibilité, mise en avant par le Conseil au cours de la procédure relative à cet avis, de recueillir en son sein la majorité requise pour que l’Union puisse exercer seule la compétence externe qu’elle partage avec les États membres en la matière[28].

Dans cette perspective, écrit Mme Marianne Dony :

lorsque l’objet d’un accord relève d’un domaine de compétence partagée entre l’Union et les États membres […], on est en présence d’une “mixité facultative” en ce sens que les États membres peuvent, mais ne doivent pas nécessairement être parties à l’accord. L’accord peut être conclu par l’Union et ses États membres, en tant qu’accord mixte, mais l’Union peut aussi décider d’exercer seule sa compétence partagée, pour peu que le Conseil […] le décide […][29].

Il va de soi que si l’AECG comportait des dispositions relevant de la compétence exclusive des États membres, la mixité de l’accord serait non pas facultative, mais juridiquement nécessaire.

B. Les conséquences de l’éventuelle « mixité »

En l’occurrence, la Commission européenne a fini par opter pour la formule de l’accord mixte, à cheval sur les compétences de l’Union et sur celles des États membres, chacune de ces Parties devant « agir dans le cadre des compétences dont elle dispose et dans le respect des compétences de toute autre [P]artie contractante »[30]. Il a fallu ensuite délimiter la partie de l’accord qu’il serait proposé au Canada d’appliquer provisoirement.

1. Le choix de la « mixité » formelle

En 2016, le choix de la « mixité » pour l’AECG n’a pu reposer sur un fondement juridique incontesté, puisque la Cour de justice de l’Union n’avait pas encore donné son avis sur la compétence requise pour conclure le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et Singapour. Pareil choix a d’ailleurs souvent un caractère politique[31]. D’habitude, la Commission européenne craint la lenteur des procédures de ratification des accords mixtes. Elle préfère que les décisions de signature, de mise en application provisoire et de ratification d’un accord de libre-échange soient prises par le Conseil statuant à la majorité qualifiée prévue par les articles 207 (section 4), et 218 (section 8), du TFUE[32]. Au contraire, les États membres préfèrent la formule de la « mixité » qui leur octroie un droit de veto de fait sur les décisions du Conseil[33] et permet à leurs parlements respectifs de peser sur le résultat des négociations.

Dans un premier temps, la Commission européenne avait proposé au Conseil – c’est-à-dire en réalité aux États membres qui sont représentés au Conseil – d’appliquer provisoirement l’intégralité de l’accord économique et commercial général avec le Canada[34]. Paradoxalement, en juillet 2016, alors que la phase dite d’examen juridique ou de « toilettage » de l’AECG était achevée depuis plus de quatre mois, la Commission proposa au Conseil de le considérer comme un accord mixte « pour qu’il puisse être rapidement signé et appliqué à titre provisoire »[35]. Sans cette concession, la majorité qualifiée nécessaire au Conseil pour prendre ces décisions n’aurait probablement pas pu être obtenue[36].

2. La délimitation du champ de l’application provisoire

Il fut donc décidé de proposer au Canada qu’en attendant la ratification de tous les États membres de l’Union européenne, l’application provisoire du traité porte sur toutes les dispositions qui se rattachent à la politique commerciale commune de l’Union européenne ainsi que sur certaines parties de l’accord qui appartiennent au domaine de compétence partagée, notamment les chapitres 22, 23 et 24 concernant respectivement le commerce et le développement durable, le commerce et le travail, le commerce et l'environnement, pour autant que l’application provisoire de ces chapitres respecte la répartition des compétences entre l'Union et ses États membres.

Toutefois le champ de l’application provisoire ne serait pas limité aux dispositions qui ressortissent à la compétence matérielle exclusive de l’Union ou aux aspects de la compétence partagée qui ont été évoqués ci-dessus. Il inclurait nécessairement les clauses finales de l’AECG qui réglementent « les questions qui se posent nécessairement avant l'entrée en vigueur du traité [et] sont applicables dès l'adoption du texte »[37], c’est-à-dire essentiellement les articles 30.1[38], 30.7[39] et 30.11[40] de l’accord. Ces dispositions « valent aussi sous le régime de l'application provisoire »[41], à la différence des clauses finales qui concernent les procédures d'amendement (article 30.2) ou l’extinction du traité (article 30.9).

Toutes les dispositions qui n’étaient pas expressément exclues pourraient être appliquées dès la mise en application provisoire de l’AECG. L’article 30.7, section 3, alinéa d), contient à cet égard deux règles fondamentales. La première étend le champ de l’application provisoire à toutes les dispositions qui contiennent ou supposent l’emploi des termes « entrée en vigueur » :

En cas d’application provisoire du présent accord ou de certaines de ses dispositions, les Parties comprennent que l'expression "entrée en vigueur du présent accord" s’entend de la date de l’application provisoire[42].

La seconde règle énoncée par l’article 30.7, section 3, alinéa d), précise que les décisions prises pendant la période d’application provisoire par des organes institués par l’accord sont contraignantes tant que cette application perdure :

Le Comité mixte de l’[AECG] et d'autres organes établis au titre du présent accord peuvent exercer leurs fonctions pendant l’application provisoire du présent accord. Toute décision adoptée dans l’exercice de leurs fonctions cessera d'avoir effet si l’application provisoire du présent accord prend fin en application de l’alinéa c)[43].

Au total, il n’était pas douteux que la majeure partie du texte de l’AECG serait provisoirement applicable. C’est ce qui résulte de l’article premier de la Décision (UE) 2017/38 relative à l’application provisoire de l’Accord économique et commercial global entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part[44], qui énumère les parties de l’accord exclues du champ de son application provisoire. Cette décision fut adoptée par le Conseil de l’Union l’avant-veille de la signature officielle de l’AECG.

II. La mise en application provisoire

L’examen de la mise en application provisoire suppose donc la détermination des Parties appelées à s’entendre à cet effet (A), puis l’identification des organes investis des pouvoirs nécessaires (B), ensuite l’analyse de la méthode par laquelle ce consentement mutuel a été établi (C), enfin l’exploration des arcanes de la procédure suivie au Canada et dans l’Union européenne jusqu’à la date du début de l’application provisoire (D).

A. La détermination des Parties

Il sied de rappeler tout d’abord qu’aux termes d’une définition générale donnée par l’article 1.1 de l’AECG et sauf disposition contraire de celui-ci, le terme « Parties » désigne d’une part la « Partie UE » : l’Union européenne ou ses États membres ou l’Union européenne et ses États membres dans leurs domaines de compétence respectifs, et d’autre part, le Canada[45]. Comme l’écrit M. Emanuel Castellarin, « [l]es relations de l’Union et des États membres au sein de la Partie européenne de l’accord sont de nature cumulative ou de nature alternative »[46].

Le paragraphe 4 de l’article 30.7 de l’AECG, qui est consacré à l’entrée en vigueur et à l’application provisoire de l’accord, dispose que :

Le Canada présente les notifications au titre du présent article au Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne ou à son successeur. LUnion européenne présente les notifications au titre du présent article au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement du Canada ou à son successeur[47] [nos italiques].

Cette disposition permettrait à première vue de considérer que, à tout le moins dans le cadre de la mise en application provisoire de l’AECG, le terme « Parties » désigne uniquement le Canada et l’Union européenne elle-même. Cependant l’argument ne convainc pas à suffisance parce que les notifications présentées au Secrétariat général du Conseil de l’Union peuvent fort bien être adressées par ce truchement à « l’Union européenne et ses États membres dans leurs domaines de compétence respectifs »[48]. Il semble en effet difficile d’écarter complètement les États membres qui sont, par définition, Parties aux accords mixtes aussi bien que l’Union. Comme tout État, ils ont la « capacité de conclure des traités »[49] et cette capacité est plénière.

Il pourrait sembler qu’en signant un accord mixte avec le Canada, l’Union et ses États membres se soient soumis ensemble à des obligations non seulement conjointes, mais aussi solidaires, chacun étant également tenu par l’intégralité des obligations. Dès lors, « tant l’Union que ses États membres p[ourrai]ent exercer l’intégralité des droits découlant de l’[AECG], par exemple celui de mettre fin à l’application provisoire »[50].

Pareille analyse ne convainc pas. En fondant l’Union européenne ou en y adhérant, les États membres n’ont rien perdu de leur capacité internationale dans tous les domaines. Néanmoins ils ont, dans l’exercice de leur souveraineté, restreint leur liberté d’agir en attribuant par traité une compétence exclusive à l’Union dans le domaine de la politique commerciale commune (et une compétence « partagée » avec eux dans d’autres domaines). L’exclusivité de la compétence accordée en la matière à l’Union pour la conclusion d’accords internationaux contribue à délimiter l’objet de sa capacité internationale. Elle désigne le champ d’action d’une personnalité internationale dite dérivée, mais signe en même temps le retrait volontaire des États membres de ce champ. Elle crée de la sorte une double situation internationale objective qui s’impose au Canada comme à toute la communauté internationale.

Parce que l’application provisoire a été limitée aux dispositions de l’AECG relevant de domaines qui ressortissent à la compétence de l’Union, il est raisonnable d’admettre que cette dernière doit être regardée comme étant la seule Partie appelée à intervenir dans cette procédure avec la Partie canadienne. Les États membres ne peuvent pas être considérés comme des « États entre lesquels le traité est appliqué provisoirement » puisque les dispositions provisoirement appliquées ne dépendent pas de leur compétence exclusive. Ils ne sont impliqués dans la mise en application provisoire qu’en tant qu’unités constitutives de l’Union, au sein du Conseil. C’est donc à bon droit que la Cour de justice a jugé que, pour l’adoption d’une décision autorisant l’application provisoire d’un accord mixte par l’Union européenne, « aucune compétence n’est reconnue aux États membres »[51].

Dans les faits, l’Union a été seule à convenir avec le Canada de l’application provisoire et du champ de celle-ci[52].

B. Les organes ayant compétence de décider l’application provisoire

De même qu’il appartient au droit interne de chaque Partie de déterminer les autorités publiques compétentes pour conclure un traité en son nom, de même peut-il déterminer l’organe compétent pour en décider ou en accepter l’application provisoire. Dans de nombreux pays, ni la Constitution ni la loi ne contiennent de dispositions à cet égard. Il est vrai que la coutume, les usages ou l’application analogique d’autres dispositions peuvent éventuellement suppléer au silence des textes.

1. Au Canada et au Québec

Les organes compétents et les procédures suivies au Canada pour la mise en application provisoire de l’AECG, tant au niveau fédéral qu’au Québec, ne sont pas indiqués par le droit écrit. Dans les faits, les règles appliquées ont été identiques ou analogues à celles qui régissent la désignation des institutions chargées de la négociation, de la signature, de l’approbation et de la mise en oeuvre des traités dans l’ordre interne.

Au Canada, malgré le mutisme de la Constitution, il est admis que la conduite des relations internationales est une prérogative de la Couronne. L’Exécutif est donc l’organe fédéral qui exerce cette prérogative du début à la fin du processus de conclusion des traités. En vertu de la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement[53], le ministre des Affaires étrangères a la responsabilité de négocier les traités au nom du Canada; il peut donc décider de les appliquer provisoirement avant leur entrée en vigueur. En 2008, une nouvelle pratique politique – vraisemblablement appelée à devenir une « convention de la Constitution » – a été introduite par le gouvernement fédéral, imposant de communiquer systématiquement à la Chambre des Communes tous les traités du Canada avant leur ratification. L’Assemblée dispose ensuite de vingt-et-un jours pour débattre du traité, mais l’Exécutif conserve le monopole de la décision finale sans être juridiquement tenu de déférer au voeu éventuel des parlementaires. Si des mesures législatives doivent être adoptées afin de mettre le traité en oeuvre, un projet de loi sera approuvé par le cabinet et déposé au Parlement. D’habitude, les lois fédérales contiennent une disposition portant approbation du traité qu’elles ont pour objet de mettre en oeuvre.

Quand le traité à mettre en oeuvre porte, en tout ou en partie, sur des questions de compétence provinciale, il appartient aux parlements des provinces visées d’adopter les mesures législatives nécessaires. Le Québec est la seule province canadienne qui impose en outre l’approbation par son parlement des traités fédéraux – incluant les réserves qui s’y rapportent – dont l’objet relève en partie de son domaine de compétence et qu’il considère comme les plus importants. Il en est de même à l’égard de l’abrogation, de la dénonciation ou du retrait de ces traités[54].

Mais il y a plus : le ministre québécois des Relations internationales « peut donner son agrément à ce que le Canada signe » tout accord international avec un gouvernement étranger ou une organisation internationale et « portant sur une matière ressortissant à la compétence constitutionnelle du Québec ». Ensuite, le gouvernement doit :

pour être lié par [un tel] accord international, […] donner son assentiment à ce que le Canada exprime son consentement à être lié par [l’]accord. […] [Il doit] prendre un décret à cet effet. Il en est de même à l’égard de la fin d’un tel accord[55].

En principe, l’Assemblée nationale du Québec devrait approuver ces traités fédéraux et le gouvernement québécois donner son assentiment à leur ratification avant que le gouvernement fédéral n’exprime le consentement du Canada à être lié. Cependant cet objectif n’est pas toujours atteint[56].

La loi n’évoque pas l’application provisoire des traités fédéraux, mais elle peut s’y appliquer par analogie, mutatis mutandis.

2. Au sein de l’Union européenne

Au sein des organisations internationales, il est extrêmement rare que « l’acte constitutif ou une autre décision, résolution ou acte de l’organisation » indique l’organe habilité à décider ou à accepter au nom de l’organisation l’application d’un traité à titre provisoire. Cette habilitation résulte plus fréquemment d’une pratique coutumière suivie par l’organisation[57].

Toutefois, le TFUE contient des précisions détaillées sur la négociation et la conclusion des accords internationaux par l’Union européenne. Le Conseil décide l’ouverture des négociations et adopte des directives à cet effet[58]. La Commission conduit les négociations[59]. En vertu de l’article 218, section 5, du TFUE, le Conseil adopte, sur proposition du négociateur qui est en pratique la Commission, « une décision autorisant la signature de l’accord […] ». Il statue à la majorité qualifiée[60]. Le Parlement doit être « immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure »[61]. Ensuite, il doit donner son approbation avant que le Conseil n’adopte la décision relative à la conclusion de l’accord[62]. La même disposition du TFUE[63] prévoit explicitement la faculté de mettre en application provisoire les accords internationaux que signe l’Union. La décision est adoptée « selon une procédure assez rudimentaire »[64], qui fait intervenir exclusivement « le Conseil sur proposition du négociateur » et ne requiert pas l’intervention du Parlement européen.

C. Les « réserves » et l’accord des Parties quant au champ de l’application provisoire

La possibilité d’appliquer l’AECG à titre provisoire était inscrite à l’article 30.7, section 3 de l’AECG, qui subordonnait cette application au commun accord des Parties, mais autorisait l’une d’elles à notifier à l’autre quelles dispositions elle n’avait pas l’intention d’appliquer provisoirement.

La doctrine a parfois suggéré de formuler des réserves à l’application provisoire de certaines dispositions d’un traité en faisant appel avant le début de cette application aux dispositions du traité qui réglementent les réserves. L’AECG ne contient pas de pareilles dispositions. Il semble cependant que ses auteurs se soient inspirés des articles 19 et suivants des conventions de Vienne pour établir une réglementation originale, permettant à une Partie de notifier son intention de ne pas appliquer provisoirement l’une ou l’autre disposition et de déclencher ainsi la procédure de mise en application provisoire du reste de l’accord. Cette réglementation, établie par l’article 30.7, section 3, alinéa b), est reproduite mot à mot ci-dessous :

La Partie qui a l’intention de ne pas appliquer provisoirement une disposition du présent accord notifie d’abord à l’autre Partie les dispositions qu’elle n’appliquera pas provisoirement et offre d’engager des consultations dans les moindres délais. Dans les 30 jours de la notification, l’autre Partie peut, soit s’y opposer, auquel cas le présent accord n’est pas appliqué provisoirement, soit présenter sa propre notification de dispositions équivalentes du présent accord, le cas échéant, qu’elle n’a pas l’intention d’appliquer provisoirement. Si, dans les 30 jours de la deuxième notification, une objection est formulée par l’autre Partie, le présent accord n’est pas appliqué provisoirement.

Les dispositions qui ne font pas l'objet d’une notification par une Partie sont provisoirement appliquées par cette Partie à compter du premier jour du mois suivant la dernière notification, ou à toute autre date convenue entre les Parties, à la condition que celles-ci aient échangé des notifications conformément à l’alinéa a).[65]

L’AECG est un accord bilatéral davantage qu’un accord plurilatéral. Il serait donc aventureux de qualifier ces notifications de pures « réserves ». En réalité il s'est agi, plus que de formuler des réserves, de délimiter le champ de l’application provisoire en imposant à une Partie de notifier à l’autre quelles dispositions elle n’avait pas l’intention d’appliquer provisoirement et à la Partie destinataire de marquer son accord ou de rejeter l’application provisoire du texte entier du traité[66].

La Décision (UE) 2017/38 du 28 octobre 2016 relative à l’application provisoire de l’accord[67] avait prévu que le Conseil fixerait la date à laquelle la notification de l’Union européenne serait adressée au Canada[68]. Cette date fut fixée au 17 février 2017[69]. Dès le surlendemain de l’approbation du Parlement européen, c’est-à-dire le 17 février, l’Union notifiait au Canada son intention d’appliquer provisoirement l’AECG en excluant, conformément à l’article 1, section 1, de la décision 2017/38, toutes les parties de l’accord qui ne relevaient pas des compétences de l’Union : certaines dispositions du chapitre 8 (quant à l’investissement) et du chapitre 13 (relatif aux services financiers) dans la mesure où elles concernent des investissements étrangers de portefeuille, la protection des investissements[70] ou le règlement des différends relatifs aux investissements survenant entre investisseurs et États (RDIE); les chapitres 22, 23 et 24 (concernant le commerce et le développement durable, le travail ou l’environnement) dans la mesure où leur application provisoire ne respecterait pas la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres.

Le Canada marqua son accord sur cette proposition par une notification datée du 15 mars, dont le contenu est rapporté dans la note explicative du décret fixant l’entrée en vigueur partielle de la loi de mise en oeuvre de l’AECG[71]. Il présentait ainsi « sa propre notification des dispositions équivalentes » de l’accord, qu’il n’avait pas l’intention d’appliquer provisoirement. L’Union européenne n’a évidemment pas formulé d’objection à cette réponse.

Cet échange de notifications allait permettre aux Parties de mettre l’AECG en application provisoire, dans la limite convenue, dès l’accomplissement de « leurs obligations et procédures internes respectives nécessaires à l’application provisoire » de l’accord, selon les termes de l’article 30.7, section 3, alinéa a)[72].

D. La procédure de mise en application provisoire et son aboutissement

Le Conseil de l’Union a voulu subordonner la mise en application provisoire à l’approbation du Parlement européen, peut-être par souci d’alignement sur la procédure d’expression du consentement de l’Union à être lié par le traité, mais surtout pour donner satisfaction à l’exigence de contrôle parlementaire préalable[73]. Politiquement, il avait été convenu que l’application provisoire ne prenne cours qu’après l’approbation de l’accord par les parlements canadien et européen. C’est sans doute la raison pour laquelle l’alinéa a) du paragraphe, dont le texte anglais paraphé et rendu public en septembre 2014 n’évoquait que l’accomplissement des « respective relevant procedures », impose finalement aux Parties « l’accomplissement de leurs obligations et procédures internes » : formule inhabituelle visant sans doute à la fois des obligations politiques et des règles juridiques. Selon le paragraphe 1e de l’article 30.7, lu en combinaison avec le paragraphe 2, les Parties doivent de toute façon approuver l’accord selon leurs obligations et procédures internes respectives avant de le mettre en vigueur.

1. La procédure au Canada et au Québec

Après que le Cabinet canadien eut donné son approbation, le premier ministre représenta le Canada pour la signature de l’AECG le 30 octobre 2016[74].

L’approbation parlementaire implicitement requise par l’article 30.7, paragraphe 2, de l’accord est enchâssée[75] dans la loi fédérale de mise en oeuvre de l'Accord économique et commercial global[76]. Celle-ci a été adoptée par la Chambre des Communes le 14 février 2017 et par le Sénat le 11 mai 2017; elle a reçu la sanction royale le 16 mai 2017, mais elle n’a pu entrer en vigueur qu’à la date déterminée ultérieurement par décret du gouverneur général en conseil[77]. En fait, ce décret a fixé l’entrée en vigueur partielle de la loi à la date de mise en application provisoire de l’AECG[78].

Au Québec, le ministre des Relations internationales, considérant que l’accord avec l’Union européenne et ses États membres constituait un « engagement international important » au sens de l’article 22.2 de la loi relative à son ministère[79], en a déposé le texte à l’Assemblée nationale, « accompagné d’une note explicative sur le contenu et les effets de celui-ci »[80], et a présenté « une motion proposant que l’Assemblée […] approuve » l’accord[81]. Ce n’est qu’après cette approbation[82] que le gouvernement du Québec put prendre, le jour même, un décret[83] donnant son assentiment à ce que le Canada applique provisoirement l’accord à compter de la date qui devait encore être déterminée conformément aux dispositions convenues entre les Parties. Par ce même décret, le gouvernement s’est déclaré en outre lié par les dispositions du chapitre 19 de l’AECG concernant les marchés publics au Québec.

Deux ans après la mise en application provisoire de l’accord, le gouvernement québécois prit un autre décret[84] par lequel il se déclarait lié par l’accord « tel qu’il s’applique provisoirement » dans tous les domaines de sa compétence; il étendait en même temps à l’AECG l’application de la loi québécoise concernant la mise en oeuvre des accords de commerce international[85].

2. La procédure au sein de l’Union européenne

La phase exécutive de la procédure de mise en application provisoire de l’AECG par l’Union s’est confondue très largement avec la procédure d’autorisation de signature du traité, mais elle a abouti à une décision distincte. En effet, le communiqué de presse du Conseil de l’Union n° 623/16 du 28 octobre 2016[86] annonçait que, ce jour-là, le Conseil avait adopté dans le cadre d'une procédure écrite un ensemble de décisions relatives à l'accord avec le Canada, dont :

une décision relative à la signature de l’accord[87];

un instrument interprétatif commun, établi en commun avec le Canada, qui procure une interprétation contraignante des termes de l’accord sur diverses questions[88];

une décision relative à l’application provisoire de l’accord[89];

un projet de décision visant à demander au Parlement européen de donner son approbation à la conclusion de l’accord.

Le Parlement européen, autrefois absent des négociations commerciales menées par les institutions européennes, en est devenu un acteur incontournable. Il a pu obtenir des modifications du texte de l’accord paraphé en septembre 2014. En particulier, le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) a été « juridictionnalisé » afin de répondre à l’opposition de principe du Parlement au système arbitral classique qui avait été initialement introduit dans l’accord. La Commission européenne a pu s’assurer ainsi de l’assentiment ultérieur de l’assemblée.

Le Conseil ayant sollicité l’approbation du Parlement[90], celui-ci l’a donnée le 15 février 2017[91]. La veille, la Chambre des Communes canadienne venait de donner la sienne. Cependant l’approbation du Parlement européen n’a pas eu pour seule portée de permettre la ratification ultérieure de l’ensemble de l’AECG par le Conseil. Elle a aussi conditionné la mise en application provisoire de la majeure partie des dispositions du traité dans l’attente de sa ratification.

Le Conseil s’était engagé auparavant à n’appliquer l’accord à titre provisoire qu’après que le Parlement ait donné son approbation à sa conclusion. Le respect de cette pratique, instaurée depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne[92], avait été réclamé par l’assemblée. Dans sa résolution du 5 juillet 2016 sur une nouvelle stratégie d'avenir novatrice en matière de commerce et d'investissement[93], elle avait :

invit[é] la Commission à ne pas demander l’application provisoire des accords commerciaux, y compris des chapitres commerciaux des accords d’association, tant que le Parlement n’a pas donné son approbation ; […] ; estim[é] que, dans le cas des accords mixtes, la pratique déjà éprouvée selon laquelle un accord ne s’applique à titre provisoire qu’après que le Parlement européen a donné son approbation, dans l’attente de la ratification par les parlements nationaux, constitue le meilleur équilibre du point de vue du contrôle démocratique et de l'efficacité[94] [nos italiques].

3. La fixation de la date de la mise en application provisoire

En vertu de la seconde disposition de l’alinéa b) de l’article 30.7, les dispositions de l’AECG non écartées par l’échange de notifications pouvaient être appliquées provisoirement à compter du premier jour du mois suivant la dernière notification (id est le 1er avril 2017), ou à toute autre date convenue entre les Parties, à la condition que celles-ci aient échangé des notifications relatives à l’accomplissement de « leurs obligations et procédures internes respectives nécessaires à l’application provisoire » de l’accord.

Lors de leur rencontre avec les autres dirigeants du G20 à Hambourg, le 8 juillet 2017, le premier ministre canadien et le président de la Commission européenne se sont mis d’accord sur la date du 21 septembre 2017[95]. Un décret du gouverneur général du Canada en conseil a fixé à cette date l’entrée en vigueur de la majeure partie de la loi de mise en oeuvre[96]; parallèlement, une notification du Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne concernant la mise en application provisoire de l’accord à la même date a été publiée au journal officiel de l’Union[97].

On observera qu’au moment de cette mise en application provisoire, le Canada avait déjà adopté et publié sa loi de mise en oeuvre de l’AECG et que cette loi entrait presque entièrement en vigueur alors que l’accord appliqué provisoirement n’était lui-même ni en vigueur, ni publié. De son côté, l’Union européenne, qui avait assuré la publication de l’accord au moment de sa signature, l’applique à titre provisoire sans que les parlements des États membres aient dû marquer leur accord.

III. La fin de l’application provisoire

En vertu de l’article 25, section 1, de la Convention de Vienne sur le droit des traités entre États et organisations internationales du 21 mars 1986[98], un traité s’applique en principe à titre provisoire en attendant son entrée en vigueur, sauf quand les Parties en ont convenu autrement. Même si la Convention de Vienne du 21 mars 1986 n’est pas formellement en vigueur[99], elle reproduit volontairement la règle énoncée par la disposition correspondante de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 qui, bien que textuellement applicable aux seuls traités entre États, peut être considérée comme d’application générale aux traités de tous les sujets de la communauté internationale.

L’application provisoire d’un traité ou d’une partie d’un traité prend donc normalement fin lorsque le traité entre en vigueur. Toutefois l’article 25 des Conventions de Vienne admet d’autres causes de cessation unilatérale de l’application provisoire, tant explicitement qu’implicitement (A). Il faut en outre tenir compte de l’éventualité d’un échec final des procédures de ratification des États membres de l’Union, du moins selon les auteurs de l’AECG euro-canadien (B).

A. La possibilité pour chaque Partie de mettre fin à l’application provisoire

La possibilité de mettre fin unilatéralement à l’application provisoire pourrait se concrétiser soit par une renonciation à poursuivre cette application, soit par un refus définitif de conclure le traité provisoirement appliqué. Si la première est expressément prévue par l’AECG, le second est inscrit dans une disposition à caractère supplétif : le paragraphe 2 de l’article 25 des Conventions de Vienne.

1. L’arrêt de l’application provisoire

Il est courant que les accords de libre-échange donnent aux Parties signataires la possibilité de cesser d’appliquer provisoirement ces accords en attendant leur entrée en vigueur, même si elles ont toujours l'intention de les ratifier. La mise en application provisoire résulte en effet d’engagements pris par des Parties qui restent libres de s’en délier à tout moment. Dans cette perspective, l’Accord économique et commercial général contient la disposition suivante, inscrite à l’article 30.7, section 3, alinéa c) :

Une Partie peut mettre fin à l'application provisoire du présent accord par un avis écrit à l'autre Partie. L’application provisoire prend fin le premier jour du deuxième mois suivant cette notification[100].

Comme il y a seulement deux Parties au processus de mise en application de l’application provisoire[101], il ne peut y avoir que deux Parties autorisées à la faire cesser, autrement dit à la « dénoncer »: le Canada et l’Union européenne.

Cette dernière devrait cependant surmonter une difficulté procédurale : l’article 218 du TFUE n’envisage pas la possibilité de mettre fin à l'application provisoire des accords internationaux signés par l’Union. Elle n’organise à cet effet aucune procédure de terminaison. La solution est à trouver dans l’application du principe de parallélisme des formes : la décision de faire cesser l’application provisoire devrait être prise et notifiée par le Conseil selon des modalités semblables à celles utilisées pour le déclenchement de cette application[102].

L’application provisoire n’est pas sujette au retrait unilatéral de chaque État de l’Union. Les États membres ne sont pas considérés comme des Parties au sens de l’article 30.7, section 3, contrairement à ce qu’ont cru pouvoir soutenir explicitement l’Allemagne et l’Autriche[103] ainsi que la Pologne[104] et, tacitement, la Belgique[105], dans des déclarations unilatérales non opposables au Canada, mais inscrites au procès-verbal du Conseil à l’occasion de l’adoption de la décision autorisant la signature de l’accord au nom de l’Union.

Par un arrêt antérieur à la signature de l’accord, le Tribunal constitutionnel fédéral allemand (Bundesverfassungsgericht) avait jugé que le gouvernement allemand devait internationalement notifier aux autres Parties qu’il avait le droit de mettre fin pour l’Allemagne à l’application provisoire de l’AECG « par un avis écrit », conformément à l’article 30.7, section 3, alinéa c)[106].

Ces prétendues « dénonciations » de l’application provisoire devraient respecter l’obligation réciproque de coopération loyale de l’Union et de ses États membres[107]. En admettant même qu’elles puissent mettre fin à l’égard de ces États particuliers à l’application des dispositions de l’accord qui relèvent de leur compétence, elles ne pourraient cependant faire cesser l’application provisoire de la plus grande partie de l’accord dans ces pays.

Les États membres qui ont affirmé avoir le droit de faire cesser l’application provisoire chez eux ont déclaré que « les dispositions nécessaires seront prises conformément aux procédures de l’Union européenne ». Cette déclaration ambigüe laisse la porte ouverte à l’interprétation selon laquelle la « dénonciation » de l’application provisoire ne serait pas unilatérale, mais devrait être concertée avec l’Union, voire prendre la forme d’une notification conjointe[108].

2. La notification de l’intention de ne pas devenir Partie à l’accord?

Le paragraphe 2 de l’article 25 des Conventions de Vienne donne la possibilité à chaque Partie de mettre fin à l’application provisoire à l’égard de l’autre (ou des autres) Partie(s) en notifiant sa volonté de ne pas consentir à être définitivement lié par le traité, c’est-à-dire en refusant de le ratifier. Il dispose :

À moins que le traité n’en dispose autrement ou que les États (et les organisations internationales) ayant participé à la négociation (ou, selon le cas, les organisations ayant participé à la négociation) n’en soient convenus autrement, l’application à titre provisoire d’un traité ou d’une partie d’un traité à l’égard d’un État (ou d’une organisation) prend fin si cet État (ou cette organisation) notifie aux autres États (et aux organisations) entre lesquels le traité est appliqué provisoirement son intention de ne pas devenir partie au traité[109].

La « mixité » de l’AECG implique que les États membres de l’Union européenne, étant signataires de l’accord, le ratifient, puissent refuser leur ratification ou le dénoncer aussi bien que le Canada et l’Union[110]. Dès lors, la notification par un État membre de son intention de ne pas ratifier l'AECG aurait-elle pour effet, en vertu de l’article 25, section 2, des Conventions de Vienne, la cessation de l’application provisoire convenue entre le Canada et l’Union?

La réponse est clairement négative. L’article 30.7, section 3, de l’AECG déroge à l’article 25, section 2, des Conventions, qui n’a qu’un caractère supplétif. Les États et l’organisation ayant participé à la négociation « en sont convenus autrement ». En effet, l’application provisoire a été limitée aux dispositions de l’accord relevant de domaines qui ressortissent à la compétence de l’Union, de sorte que le terme « Parties » désigne uniquement dans ce cadre le Canada et l'Union européenne elle-même[111]. La notification du refus d’un État membre de ratifier l’accord ne peut empêcher l’Union européenne de continuer à l’appliquer provisoirement.

B. La fin de l’application provisoire résultant de l’échec du processus de ratification

Dans la mesure où l’AECG est un accord mixte, son entrée en vigueur complète est subordonnée à l’approbation des parlements nationaux suivie par la ratification des vingt-sept États membres de l’Union européenne. Lorsque tous les États membres auront ratifié l’AECG, l’Union avisera le Canada qu’elle est prête à procéder à son tour à la ratification. Le Canada adoptera alors un nouveau décret afin de ratifier l’accord et de mettre en vigueur toutes les dispositions de sa loi de mise en oeuvre.

Le processus est lent et son résultat incertain. Certains États membres qui n’ont pas encore notifié à l’Union leur décision de ratifier l’accord[112] ont cependant déjà obtenu l’approbation de leurs parlements respectifs. Il en va ainsi de la Belgique dont la Chambre des représentants a donné son assentiment à l’introduction du traité dans le droit fédéral[113].

Si la liberté de ratification des États retarde l’entrée en vigueur (1.), elle peut aussi être cause éventuelle de renonciation à l’entrée en vigueur du traité et même de cessation de son application provisoire (2.). Il existe cependant des solutions alternatives (3.).

1. La liberté de ratifier

À la différence de la décision de mettre l’accord mixte en application provisoire ou de faire cesser son application, la signature et la ratification ainsi que la dénonciation de l’accord ne peuvent être divisées entre l’Union et ses États membres selon les matières qu’il règle. Ces actes ne sont admis que s’ils portent sur l’intégralité de l’AECG[114]. Certes, l’Union et ses États membres sont appelés à ratifier le traité uniquement en vertu des compétences respectives dont ils disposent, mais chacun ratifie (et peut dénoncer par après) librement l’intégralité du traité, c’est-à-dire l’ensemble des dispositions qu’il contient.

Il est certain que les États membres ne sont pas obligés de ratifier l’accord mixte qu’ils ont signé, pas plus que l’Union elle-même. Le devoir de coopération mutuelle de l’Union et des États ne va pas jusqu’à imposer à ces derniers l’obligation d’exprimer contre leur volonté leur consentement à être lié par le traité[115].

2. L’impossibilité éventuelle de réunir toutes les ratifications requises

Au moment de la signature de l’AECG, le Conseil de l’Union a évoqué la possibilité que l’accord ne soit pas ratifié par tous les États membres. En effet, chaque État de l’Union apprécie librement aussi s’il est définitivement dans l’incapacité de ratifier l’accord, sans immixtion du Conseil à cet égard.

S’il apparaissait que l’échec définitif du processus de ratification devait être constaté par le Conseil, l’Union s’abstiendrait également de ratifier l’AECG et l’entrée en vigueur de celui-ci serait exclue, sauf si l’Union décidait malgré tout de ratifier seule l’accord et si le Canada y acquiesçait. L’exception évoquée est une pure hypothèse d’école car pareille décision « passer[ait] outre la volonté d’un État membre de rejeter la ratification [et] n’atteindrait certainement pas l’unanimité requise au Conseil, en raison de l’opposition de l’État membre en question »[116].

La déclaration n° 20 faite par le Conseil le 28 octobre 2016 à l’occasion de l’adoption de sa décision autorisant la signature de l’accord au nom de l’Union[117] indique que l’échec définitif de la ratification, qui devra être notifié officiellement par le gouvernement de l’État concerné, pourrait résulter d’une « décision prononcée par une Cour constitutionnelle »[118] ou de « l’aboutissement d’un autre processus constitutionnel ». La déclaration n° 37 faite par la Belgique à la même occasion précise que

le constat que le processus de ratification du CETA a échoué de manière permanente et définitive au sens de la déclaration du Conseil […] peut résulter [en Belgique] des procédures d’assentiment engagées tant au niveau du Parlement fédéral qu’au niveau de chacune des assemblées parlementaires des Régions et des Communautés. […] Au cas où l’une des entités fédérées informerait l’État fédéral de sa décision définitive et permanente de ne pas ratifier le CETA, l'État fédéral notifiera au Conseil au plus tard dans un délai d’un an à compter de la notification par ladite entité l'impossibilité définitive et permanente pour la Belgique de ratifier le CETA[119].

La cessation de l’application provisoire n’est pas la conséquence automatique de l’échec de la procédure de ratification : rien n’interdit que la partie de l’accord provisoirement appliquée continue de l’être tant que la cessation de cette application ne serait pas formellement décidée. C’est même le sort de certains traités internationaux dont l’application provisoire se prolonge en raison de l’oubli de ratification(s). Pourtant le Conseil de l’Union a déclaré que « l’application provisoire sera[it] fatalement compromise » et qu’« elle devra[it] être dénoncée ». Il s’est engagé vis-à-vis des États membres à y mettre fin : elle « sera dénoncée », énonce la déclaration, et « [l]es dispositions nécessaires seront prises conformément aux procédures de l'Union européenne »[120]. L’État membre qui aurait fait échec à l’entrée en vigueur du traité obligerait ainsi l’Union à mettre fin à l’application provisoire de dispositions conventionnelles à l’égard desquelles cet État n’est pourtant pas compétent. Il la contraindrait de la sorte à abroger une décision que le Conseil a prise en fait unanimement[121].

Peut-être l’étonnante déclaration du Conseil repose-t-elle sur la conviction que l’article 30.7 de l’AECG relatif à l’application provisoire et à l’entrée en vigueur de l’accord ne déroge pas au paragraphe 2 de l’article 25 des Conventions de Vienne[122]? Peut-être prétend-elle prendre appui sur l’article 218, section 5, du TFUE, qui n’habilite le Conseil à décider d’appliquer provisoirement un accord international que « le cas échéant, […] avant l’entrée en vigueur » de celui-ci? Ou s’appuie-t-elle sur le quatrième considérant de la décision 2017/38[123], qui énonce que l’application provisoire a lieu « dans l’attente de l’achèvement des procédures nécessaires à sa conclusion »? A contrario, l’échec définitif de la procédure de ratification emporterait l’obligation de mettre un terme à l’application provisoire[124].

Mais peut-être la déclaration du Conseil de l'Union européenne s'explique-t-elle tout simplement par l'intention d'influencer les États membres rétifs en laissant planer la menace de la perte définitive des bénéfices qu'ils tirent aujourd'hui de l'application provisoire de la majeure partie de l'AECG s'ils en empêchaient l'entrée en vigueur définitive ?

3. Pour sortir de l’impasse

Même en cas de refus de ratification d’un État membre, il reste possible de dégager une solution permettant de poursuivre pendant quelque temps l’application provisoire de l’accord et de le mettre définitivement en vigueur.

Il est tout d’abord indispensable que l’État rénitent notifie officiellement à l’Union le caractère définitif de son opposition à l’entrée en vigueur de l’accord sur son territoire. Il est donc possible qu’après un premier refus d’une assemblée parlementaire, l’AECG soit à nouveau soumis à son approbation; ou qu’après un premier référendum négatif, le gouvernement réexplique aux citoyens les avantages de l’accord et obtienne leur approbation finale à l’issue d’un second référendum. Ce n’est qu’au terme de ce processus – qui pourrait prendre au moins une année, selon la déclaration de la Belgique – que l’État devra notifier à l’Union qu’il se trouve dans l'impossibilité définitive et permanente de ratifier l’AECG

Des négociations entre les institutions européennes et les États restés en défaut de ratification pourraient aboutir à une solution de compromis. Si, par exemple, l’opposition d’un ou de plusieurs parlements au système de règlement juridictionnel des différends entre investisseurs et État (Investment Court System) entraîne l’impossibilité pour un ou plusieurs États de ratifier l’accord, une nouvelle négociation pourra être menée au sein de l’Union et avec le Canada, afin d’amender les dispositions problématiques ou de dédoubler l’AECG en un accord de libre-échange et un accord sur la protection des investissements qui rassemblerait les dispositions relevant de la compétence partagée entre l’Union et ses États membres[125]. Seul le second accord serait mixte et devrait être ratifié aussi par ces derniers.

Enfin, il est parfois suggéré de moduler l’application de l’accord pour prendre acte du refus de certains États de l’Union de le ratifier. Si le Canada y consentait, l’accord pourrait être ratifié par l’Union et par les autres États membres, mais un protocole exclurait en tout ou en partie son application pour les États réfractaires; d’un point de vue politique, la décision du Conseil de l’Union approuvant l’accord et le ratifiant pourrait recueillir l’unanimité des représentants des États[126].

* * *

Il y a fort à parier que plusieurs États européens réticents à ratifier l'accord se satisferont longtemps encore de l'application provisoire de la plus grande partie de celui-ci. L'AECT semble ainsi condamné à une longue attente de son entrée en vigueur intégrale.