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Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est un organisme qui oeuvre à la protection des personnes affectées par les conflits armés et qui est le gardien du droit international humanitaire. Dans le panorama des organisations oeuvrant à l’international, il occupe une place à part. En effet, il n’est ni une organisation internationale intergouvernementale, ni une organisation non-gouvernementale (ONG). On a donc coutume de dire qu’il s’agit d’une institution hybride, car c’est une association créée en vertu du droit suisse, mais dont les activités se déploient à l’international, ou encore d’une institution sui generis, au sens où elle n’entre dans aucune des catégories qui relèvent de la terminologie du droit international général.

Le CICR a vu le jour à la fin du XIXe siècle après qu’un homme, Henry Dunant, ayant été fortuitement le témoin des conséquences dramatiques de la guerre sur les soldats blessés et malades, décida de proposer la création d’une organisation de secours dont le mandat serait d’alléger les souffrances des personnes affectées par les conflits armés[1].

Au même titre que la physionomie des guerres a considérablement changé depuis 150 ans, les activités du CICR ont sensiblement évolué, de même que son positionnement dans l’ordre international.

Après avoir présenté les attributions du CICR en tant qu’organisation humanitaire, cette contribution abordera la place que cette organisation occupe au sein du système international et le rôle qu’elle joue dans le cadre de la gouvernance mondiale.

I. Attributions du Comité international de la Croix-Rouge

Crée formellement en 1863 par cinq hommes : un citoyen genevois (Henry Dunant), un militaire (le Général Dufour), deux médecins (Louis Appia et Théodore Maunoir) et un juriste (Gustave Moynier), en réponse à l’appel lancé par Henry Dunant dans son livre Un Souvenir de Solférino, le CICR tire aujourd’hui son mandat à la fois des Conventions de Genève (CG) de 1949 et de leurs Protocoles additionnels (PA) de 1977, de ses Statuts et de ceux du Mouvement international de la Croix-Rouge adoptés en Conférence internationale. Il déploie ses activités de prévention, d’assistance, de protection et juridiques dans plus de 80 pays du monde et agit selon des principes bien définis.

II. Mandat

Le mandat du CICR se trouve aujourd’hui principalement dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels. Ceci a de particulier qu’il en résulte qu’il s’agit à la fois d’un mandat confié par les États, qui sont les signataires de ces Conventions, mais également d’un mandat que le CICR s’est lui-même confié en quelque sorte, puisqu’il est l’instigateur des Conventions de Genève. Il n’en demeure pas moins que fixé dans des traités internationaux, son mandat jouit d’une assise particulière et a pour cadre le droit international public.

Au terme des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels, la mission du CICR s’articule autour de la protection des différentes personnes qui se trouvent hors de combat dans les conflits armés, c’est-à-dire des personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités, à savoir respectivement les blessés, les malades (CG I)[2], les naufragés (CG II)[3], les prisonniers de guerre (CG III)[4] et les personnes civiles (CG IV)[5]. À ce titre, le CICR est notamment invité à agir en tant que substitut des puissances protectrices[6], fonction qui inclut la possibilité pour lui de proposer ses bons offices pour le règlement de différends[7]. Au coeur de ses prérogatives en matière de protection se trouvent également ses activités liées au rétablissement des liens familiaux, que le CICR mène au travers l’Agence centrale de recherche[8]. De même, ses visites aux personnes privées de liberté, en particulier aux prisonniers de guerre et aux internés civils[9], mais aussi aux personnes détenues[10], occupent une place centrale au sein de ses activités. Bien sûr, l’acheminement et la distribution de secours sont au centre de ses activités d’assistance. Expressément mentionné en ce qui concerne les territoires occupés[11] et les internés civils[12], le CICR prodigue dans les faits une assistance dont le spectre est bien plus large et qui s’étend à toutes les personnes affectées par les conflits armés.

En ce qui concerne la protection des personnes dans le cadre des conflits armés non internationaux, c’est l’article 3 commun qui constitue la clef de voûte à ses activités. Cette disposition lui permet en effet d’« offrir ses services »[13] aux parties au conflit. La formulation n’est pas anodine et doit être lue en regard des autres dispositions faisant mention des attributions du CICR dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels. En effet, en ce qui concerne les conflits armés non internationaux, le CICR ne dispose pas d’un droit de déployer ses activités humanitaires, mais d’une faculté de les proposer aux parties prenantes. La différence est notable. Les articles 125 et 126 de la CG III et 142 et 143 de la CG IV corroborent ce constat. Ces dispositions indiquent que les autorités « accorderont toutes facilités nécessaires »[14] et « réserveront le meilleur accueil [… à] tout organisme qui viendrait en aide aux personnes protégées »[15]. De même l’article 81 du PA I mentionne que « les Parties au conflit faciliteront, dans toute la mesure du possible, l’aide que des organisations de la Croix-Rouge […] apporteront aux victimes des conflits »[16]. Par contraste, l’article 3 commun indique qu’« [u]n organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux Parties au conflit »[17] tandis que l’article 18 du PA II prévoit de manière similaire que « [l]es sociétés de secours […] pourront offrir leurs services »[18] et ajoute que « [l]orsque la population civile souffre de privations excessives […] des actions de secours […] seront entreprises avec le consentement de la Haute Partie contractante concernée »[19]. L’emploi du futur dans un cas et l’expression « offre de services » et l’exigence d’un consentement dans l’autre crée donc une distinction importante dans l’approche que peut avoir le CICR au moment de délivrer de l’aide humanitaire. Celle-ci est toutefois aujourd’hui gommée par l’énoncé de la règle reflétant le droit international humanitaire coutumier applicable dans tous les types de conflits et selon laquelle : « [l]es parties au conflit doivent autoriser et faciliter le passage rapide et sans encombre de secours humanitaires… »[20].

Au-delà des activités détaillées ci-dessus, d’autres dispositions mentionnent le rôle que le CICR est amené à jouer dans les conflits armés. Il peut notamment proposer ses bons offices pour faciliter l’établissement et la reconnaissance de ces zones et localités sanitaires et de sécurité[21] ; les détachements de travail des prisonniers de guerre et des internés civils doivent lui être communiqués[22] ; il est naturellement impliqué dans l’envoi de secours collectifs[23] ; il est également le point de contact des hommes de confiance élus par les prisonniers de guerre des comités d’internés élus par les internés civils[24] ; etc.

Le mandat du CICR découle également des Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge, tels qu’adoptés par la Conférence internationale, et de ses propres Statuts. Ceux-ci permettent en particulier à l’institution de déployer ses activités dans des situations non prévues par les Conventions de Genève et désignées aujourd’hui sous l’expression « autres situations de violence ». En effet, l’article 5 2. d) des Statuts du Mouvement se lit comme suit :

Le Comité international de la Croix-Rouge a notamment pour rôle […] de s’efforcer en tout temps, en sa qualité d’institution neutre dont l’activité humanitaire s’exerce spécialement en cas de conflits armés – internationaux ou autres – ou de troubles intérieurs, d’assurer protection et assistance aux victimes militaires et civiles desdits évènements et de leurs suites directes[25].

Lue conjointement avec l’alinéa 3 de ce même article 5, cette disposition permet donc au CICR de proposer aux États qui y sont aux prises de prêter assistance aux personnes affectées par ces situations. Cette faculté est capitale aux activités actuelles de l’organisation, à la fois lorsqu’une situation de violence prend naissance – avant que celle-ci ne puisse être qualifiée de conflit armé au terme du droit international humanitaire, et lorsqu’à l’issue d’un conflit armé le retour au calme prend un certain temps et continue d’exiger de prêter secours aux populations – même si la situation ne relève plus formellement du droit international humanitaire. Cette faculté est donc fondamentale d’un point de vue opérationnel pour l’institution, mais aussi d’un point de vue purement juridique alors que les troubles intérieurs et les tensions internes sont explicitement exclus des situations couvertes par le droit international humanitaire, au terme des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels, desquels sont extraites les fonctions détaillées dévolues au CICR, comme en témoigne l’analyse produite ci-dessus.

III. Structuration des activités au sein de l’institution

Afin de saisir la manière dont s’agencent les activités du CICR, celles-ci sont regroupées en quatre grandes catégories : prévention, assistance, protection et juridique[26]. La prévention consiste pour le CICR à « s’efforcer de créer un environnement propice au respect de la vie et de la dignité des personnes susceptibles d’être affectées par un conflit armé ou une autre forme de violence, et favorable à [son] action. » [Notre traduction][27]. Il cherche par-là à influencer le comportement de ceux qui sont responsables de l’application du droit international humanitaire et de toutes les parties prenantes des conflits armés. On trouve ainsi dans cette catégorie toutes les activités qui ont par exemple pour but de rappeler l’interdiction de certaines armes en raison de leurs effets indiscriminés ou des maux superflus qu’elles sont susceptibles de causer. On trouve également naturellement dans cette catégorie une grande variété d’activités de communication. Il peut s’agir de campagnes de communication à destination du très grand public, tout comme de mise en oeuvre de stratégies de communication spécifiques pour les parties prenantes des conflits armés. Ces activités ont donc vocation à se déployer à tous les niveaux : mondial, régional, national et local. Le CICR classe lui-même les activités destinées à mieux faire connaître le droit international humanitaire au sein de ses activités de prévention. Elles peuvent toutefois faire l’objet d’une catégorie qui leur est propre tant elles sont au coeur du mandat de l’institution.

Les activités d’assistance du CICR consistent quant à elles à en fournir eau, nourriture et abri aux personnes en nécessitant, de même que des soins de santé dont l’éventail va des soins de premières urgences aux activités de réhabilitation, en passant par le soutien aux structures médicales existantes, incluant les soins de santé psychologiques, ou encore à la fourniture de soins médicaux dans les lieux de privation de liberté. De plus, le CICR comptabilise ses activités liées à la dépollution de zones infestées de mines antipersonnel, de bombes à sous-munitions ou d’autres restes explosifs, ou chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires, de guerre au nombre de ses activités d’assistance[28].

En ce qui concerne le volet protection, le CICR veille à ce que les parties au conflit et toutes les parties prenantes s’acquittent de leurs obligations et garantissent les droits des personnes faisant l’objet d’une protection juridique. Il peut ainsi s’agir de la protection des personnes civiles, des personnes privées de liberté, des personnes disparues ou encore des personnes se trouvant sans nouvelle de leurs proches[29].

De cette nomenclature, il résulte que le droit international humanitaire occupe à la fois une place tout à fait centrale, mais également diffuse et transversale au sein de l’institution : la prévention a pour but de prévenir la violation des règles et les activités d’assistance et de protection ont pour but de pallier les insuffisances lorsque ces règles sont violées ou mal appliquées. Ceci mérite une attention particulière. En effet, il est important d’avoir à l’esprit que l’action humanitaire entreprise par le CICR, aux termes de attributions que lui confèrent ses Statuts, les Statuts du Mouvement et les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, est fondée sur le droit, par opposition à une action humanitaire qui serait fondée sur les besoins. Cette précision n’est pas anodine, car fondée sur le droit l’action humanitaire du CICR y puise une légitimité particulière. Concrètement, cela signifie que le CICR est habilité à agir auprès des populations concernées par les situations couvertes par son mandat non pas parce que ces dernières en ont besoin, ce qui serait pure charité, mais parce que les droits dont elles bénéficient ont été violés ou insuffisamment garantis. Or ces droits sont énoncés dans des traités internationaux ratifiés par tous les États du monde sans exception et qui pour partie sont opposables aux groupes armés ; traités qui confient en outre au CICR un certain nombre de missions.

Ainsi les activités juridiques sont essentielles à l’organisation et elles la dépassent largement puisqu’aujourd’hui nombreux sont ceux qui se saisissent du droit international humanitaire pour le faire vivre et lui donner sa pleine signification. À cet égard, et en tant que gardien du droit international humanitaire, le CICR est chargé de veiller non seulement à son respect, mais aussi à son développement et à sa clarification, tout comme à sa promotion et à sa mise en oeuvre.

À titre subsidiaire, ce qui précède permet de constater qu’afin de mener à bien l’ensemble de ses activités, le CICR est amené à interagir avec une très grande variété d’acteurs, les États responsables au premier chef du respect du droit international humanitaire dont découle les attributions de l’institution, mais également les groupes armés ou encore ceux que le CICR distinguent sous le vocable « porteurs d’armes », les membres de la société civile qui se manifestent de diverses manières comme par le biais d’associations par exemple, ou encore d’autres agences humanitaires inter- ou non-gouvernementales internationales, auxquelles s’ajoutent bien entendu les autres composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge, dans un environnement humanitaire qui ne fait que se complexifier.

IV. Principes gouvernant l’action du CICR

Selon le dernier rapport annuel disponible en date (2018), le CICR déploie ses activités sur tous les continents, employant au travers ses délégations et missions plus de 16 000 personnes sur le terrain, auxquelles s’ajoutent un peu plus de 1000 personnes travaillant à son siège genevois[30].Ces chiffres en font la plus grande organisation humanitaire du monde. Placée au sein d’un mouvement plus large, le Mouvement international de la Croix-Rouge, le CICR obéit dans la mise en oeuvre de son action aux principes de la Croix-Rouge, proclamés en 1965 et réitérés depuis, qui définissent le cadre de l’action du Mouvement. Il fait en outre partie des missions cardinales du CICR de veiller à leur maintien[31]. S’agissant de « principes », ils ne s’imposent pas au même titre que s’imposent les dispositions des Conventions de Genève ou de leurs Protocoles additionnels. Il n’en demeure pas moins qu’ils sont d’une part d’une importance fondamentale pour le CICR puisqu’ils gouvernent à son action, mais ils ont également d’autre part une résonance plus large puisqu’ils ont inspiré de nombreuses chartes d’organisations non gouvernementales humanitaires et même l’adoption d’un code de conduite pour les opérations de secours en cas de catastrophe[32]. Ils ont donc contribué substantiellement à l’ordonnancement d’un environnement humanitaire de plus en plus large et constituent des points de repères sur lesquels il est utile de s’arrêter. Au nombre de sept, ils se déclinent comme suit : Humanité, Impartialité, Neutralité, Indépendance, Volontariat, Universalité et Unité. Si certains d’entre eux sont strictement propres au fonctionnement du Mouvement de la Croix-Rouge (l’unité par exemple) ou spécifiques à certaines organisations seulement (la neutralité par exemple), les autres peuvent être donc être repris par n’importe quelle organisation humanitaire.

L’humanité renvoie au souci de « s’efforce[r] de prévenir et d’alléger en toutes circonstances les souffrances des hommes »[33]. Elle constitue donc le fondement de toute action humanitaire et s’applique ainsi au Mouvement de la Croix-Rouge comme à toute autre organisation du domaine. Sous ce principe, on précise encore : « Elle [l’action de la Croix-Rouge] tend à protéger la vie et la santé, ainsi qu’à faire respecter la personne humaine. Elle favorise la compréhension mutuelle, l’amitié, la coopération et une paix durable entre tous les peuples »[34]. L’impartialité est quant à elle énoncée comme suit :

Elle [l’action de la Croix-Rouge] ne fait aucune distinction de nationalité, de race, de religion, de condition sociale ou d’appartenance politique. Elle s’applique seulement à secourir les individus à la mesure de leur souffrance et à subvenir par priorité aux détresses les plus urgentes[35].

Ce principe est véritablement universel, au sens où il devrait lui aussi gouverner l’action de toute organisation oeuvrant au secours de populations affectées par une catastrophe, fusse-t-elle naturelle ou provoquée par l’homme. Aucune autre motivation que celle d’alléger les souffrances humaines ne devrait concourir à prioriser l’acheminement de l’aide. Il en résulte que si une priorité peut, et parfois doit, être établie en ce qui concerne les secours à prodiguer, celle-ci ne peut être fondée que sur la gravité de la situation dans laquelle se trouve les personnes concernées. Ainsi, il est acceptable de délivrer des secours à certaines populations avant d’autres, ces dernières se trouvant dans une situation moins défavorable. En revanche, décider de faire parvenir des secours d’abord à une catégorie de personnes plutôt qu’à une autre en raison de sa couleur de peau, de son appartenance religieuse ou de son obédience politique par exemple, serait parfaitement inacceptable. La neutralité est quelque fois confondue avec l’impartialité. Elle énonce pourtant un principe bien distinct : « […] elle [l’action de la Croix-Rouge] s’abstient de prendre part aux hostilités et, en tout temps, aux controverses d’ordre politique, racial, religieux ou philosophique. »[36]. Grosso modo, il s’agit de ne pas prendre part au conflit ; de ne pas marquer un soutien à une partie au conflit plutôt qu’à une autre. Seule la catastrophe elle-même constitue le terreau de l’action humanitaire, quelle que soit ses causes et quelles qu’en soient les parties prenantes. L’organisation qui choisit d’adhérer à ce principe doit alors oeuvrer à l’allégement des souffrances des populations vivant de telles situations sans se prononcer sur ses éventuelles allégeances, qu’elles ne devraient du reste même pas avoir. Une telle organisation ne devrait jamais se soucier des facteurs politiques, ou de tout autre facteur, lorsqu’elle exécute sa mission. Ainsi en quelque sorte, on peut considérer que l’appréhension du principe de neutralité se situe à un niveau que l’on pourrait qualifier de « macro » – vis-à-vis des parties au conflit – alors que celle de l’impartialité se situerait à un niveau « micro » – vis-à-vis des destinataires des secours. Ce principe ne doit pas non plus être confondu avec la confidentialité, qui elle n’est pas un principe d’action, mais une modalité d’action que le CICR s’est lui-même fixée (voir développement ci-dessous à ce sujet). La confusion pourrait notamment résulter du fait que la définition de la neutralité figurant dans la résolution portant adoption des principes fondamentaux et rapportée ci-haut, est précédée de la mention « [a]fin de garder la confiance de tous »[37]. En effet, la confidentialité a également pour but de maintenir une relation de confiance avec les autorités concernées. Ceci peut donc conduire en une forme d’amalgame entre le principe – la neutralité et la modalité d’action – la confidentialité. Toutefois, rien n’empêche une organisation d’adopter la neutralité en principe, c’est-à-dire de ne pas prendre parti pour l’une ou l’autre des parties au conflit par exemple, tout en rapportant ouvertement ce dont elle est témoin sur le terrain. Dire quelles sont les difficultés d’accéder aux populations, décrire quelles sont les conditions de détention le cas échéant, ou encore dénoncer des exactions, ne constituent pas nécessairement une brèche dans la neutralité d’une organisation, pour autant que ces témoignages ne reposent pas sur une accointance. Ceux-ci peuvent s’avérer cruciaux en ce qu’ils permettent d’alerter sur des situations qui ne sont parfois accessibles qu’aux professionnels de l’humanitaire et ainsi de sensibiliser et de mobiliser le plus grand nombre, afin de renforcer les moyens d’action et donc de contribuer à l’effectivité de la délivrance des secours. Le principe d’indépendance quant à lui est assez explicite. Il signifie principalement que les organismes de secours, au premier rang desquels le CICR, doivent en tout temps s’abstenir de s’immiscer dans des considérations politiques. L’indépendance est donc le gage de la neutralité[38]. Ce principe signifie également une indépendance stricte à l’égard des donateurs. Quelle que soit la somme reçue à contribution de son budget, le CICR ne peut se faire imposer d’agir de telle ou telle manière ou dans telle partie du monde plutôt qu’une autre. Ces quatre premiers principes formulés dans le cadre des activités de la Croix-Rouge peuvent donc, on le voit, être repris à bon compte par de nombreuses organisations humanitaires. En cela, on peut dire que le Mouvement, dont le CICR est une composante, a pavé la voie à une action humanitaire fondée sur les principes. En ce qui concerne les trois derniers, ils peuvent également inspirer l’action d’autres agences humanitaires, mais sont plutôt spécifiques au Mouvement de la Croix-Rouge. Le volontariat met l’accent sur les raisons qui poussent une personne à rejoindre une institution telle que le CICR, qui devraient répondre au souci de se mettre au service d’autrui et non à une logique monétaire. Il ne s’agit donc pas d’une implication bénévole, mais à tout le moins d’un engagement désintéressé[39]. L’unité et l’universalité signifient respectivement qu’« il ne peut y avoir qu’une seule société »[40] nationale au sein d’un pays donné et que toutes les sociétés nationales reconnues « ont des droits égaux et le devoir de s’entraider »[41].

V. La place du Comité international de la Croix-Rouge au sein du système international

Si l’on s’en tient à une articulation autour de trois types d’acteurs en relations internationales : les acteurs organiques, les acteurs privés et les acteurs subversifs[42], et même après l’avoir exclu de manière assez évidente des acteurs subversifs, il reste difficile de classer le CICR dans l’une des deux catégories restantes. Acteur organique, à l’image d’une organisation internationale ? Ou acteur privé, à l’image d’une organisation non gouvernementale ? Le CICR relève en réalité un peu des deux. En cela, on parle d’une organisation hybride[43] : fondée statutairement en droit national suisse, elle jouit de certaines prérogatives d’une organisation internationale. On parle ainsi à son égard de « personnalité juridique fonctionnelle »[44].

Cette hybridité en fait une institution sui generis qui l’a conduit à se voir conférer un certain nombre de privilèges et immunités et qui lui offre un positionnement tout particulier au sein de la gouvernance mondiale humanitaire.

VI. Une institution sui generis

La place à part qu’occupe le CICR dans le système international a non seulement suscité des interrogations dès l’origine, mais a également conduit à ce que sa composition, ses prérogatives et son rattachement soient maintes fois discutés, sans finalement qu’ils ne soient jamais remis en cause. François Bugnion le résume en ces termes :

Des propositions qui visaient soit à modifier la composition du Comité international, soit à transférer tout ou partie de ses tâches et de ses attributions à un organisme multilatéral ont donc été évoquées de façon répétée et presque constante tout au long de l’histoire de l’institution. Elles ont donné lieu à des débats approfondis et généralement animés. Or, à chaque fois, le Comité international a finalement été confirmé dans ses tâches et dans sa composition[45].

Sans reprendre l’entièreté de la trajectoire historique de ce qui se constitua initialement en « comité de Genève » pour devenir finalement « Comité international de la Croix-Rouge », il est néanmoins essentiel de replacer l’organisation dans son contexte afin d’en bien comprendre le positionnement actuel. La création de l’organisation résulte d’une initiative citoyenne, à la suite de l’émoi que suscita le témoignage d’Henry Dunant relaté dans son ouvrage Un Souvenir de Solferino, paru en 1862. Elle succède à une commission de cinq membres qui avait été constituée le 9 février 1863, au sein de la Société genevoise d’Utilité publique présidée par Gustave Moynier. Se déclarant eux-mêmes constitués en « Comité international permanent » sous la dénomination « Comité international de secours aux blessés en cas de guerre » dès le 17 février de la même année, ses cinq membres avaient pour toute première tâche de présenter un rapport à un Congrès de bienfaisance, qui devait avoir lieu à Berlin en septembre 1863 et dont la rédaction fut confiée à nul autre qu’Henry Dunant lui-même. Cette commission décida de sa propre initiative de convoquer une Conférence internationale quelques 8 mois plus tard seulement. Seize États y participèrent et adoptèrent une série de résolutions au terme desquelles chaque pays était invité à créer

un Comité [national] dont le mandat consiste[rait] à concourir en temps de guerre, s’il y a lieu, par tous les moyens en son pouvoir, au service de santé des armées [… notamment en] organis[a]nt et en mett[a]nt en activité les infirmiers volontaires, et [en faisant] disposer, d’accord avec l'autorité militaire, des locaux pour soigner les blessés [… ou encore en] envo[yant] des infirmiers volontaires sur le champ de bataille[46].

Il s’agissait donc non pas de reconnaître un statut aux termes du droit international au Comité récemment créé, mais plutôt d’inviter chaque État à se saisir de la question. Un certain nombre d’entre eux le firent effectivement et des comités nationaux virent petit à petit le jour et devinrent ce que l’on connaît aujourd’hui sous la dénomination « Société nationale de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge ». Il en résulte que le Comité international demeura formé de citoyens suisses et adopta ses propres statuts, sans devenir l’organe d’agrégation des comités nationaux qui voyaient le jour. C’est du reste la Ligue qui endossera ce rôle à partir de 1919 et qui deviendra la Fédération internationale en 1991 et jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, le Comité international demeurait indépendant de l’action des sociétés nationales, qui elles devenaient les auxiliaires des pouvoirs publics au sein de leurs États, et développait avec elles et avec eux une collaboration en vue de porter secours aux blessés du champ de bataille. On le voit, il ne s’agit donc en rien d’une organisation qui serait née de la volonté des États. Elle ne s’apparente donc pas en cela à une organisation internationale proprement dite. Mais dans le même temps, il est difficile de la ranger dans la catégorie des organisations non gouvernementales en raison des relations qu’elle entretient avec les États, ce dès sa création et d’autant moins aujourd’hui que son mandat est fixé à la fois par des traités internationaux (les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977) et par les Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge, adoptés en Conférence internationale laquelle réunit les composantes du Mouvement (CICR, Fédération et Sociétés nationales) et les États parties aux Conventions de Genève. En cela, elle ne répond donc pas à la définition classique d’une ONG qui pourrait être : « une institution créée par une initiative privée – ou mixte – à l’exclusion de tout accord intergouvernemental, regroupant des personnes privées ou publiques, physiques ou morales, de nationalités diverses »[47]. Cette posture médiane comporte des avantages comme des inconvénients, mais au fil du temps le CICR a su se tailler la part belle dans l’ordre international notamment grâce aux privilèges et immunités qu’il s’est négocié et au statut d’observateur auprès des Nations Unies qu’il a obtenu.

VII. Privilèges et immunités

Bien que n’en ayant pas tous les attributs, le CICR « s’est vu accorder un statut juridique et un traitement équivalents à ceux d’une organisation internationale »[48]. Il en résulte qu’il peut conclure des accords internationaux – ce qui est particulièrement important en ce qui concerne les accords de siège qu’il négocie avec les États sur les territoires desquels il déploie ses activités, qu’il peut nouer des relations diplomatiques et qu’il peut agir en son propre nom. Dans l’article qu’elle y consacre Els Debuf détaille les privilèges et immunités octroyés au CICR par les États avec lesquels il a conclu des accords bilatéraux à cet effet. Ceux-ci s’apparentent à ceux qui sont généralement reconnus aux Nations Unies et à son personnel, mais comportent un certain nombre de spécificités propres aux activités humanitaires menées par l’organisation. Ils ont en effet vocation à lui permettre de déployer une « administration harmonieuse et efficace de [ses] opérations et de[ses] infrastructures […] ainsi qu’à minimiser [s]es coûts et [s]es dépenses [tout en] contribu[ant] à rendre les opérations humanitaires plus rapides, plus efficaces et plus indépendantes »[49]. Ainsi, notamment, le CICR ne se voit pas imposer de restrictions en ce qui concerne les biens et le matériel destinés à porter secours aux populations qui relèvent de son mandat et qu’il fait acheminer sur le territoire concerné. De même, il se voit accorder un accès à l’espace aérien, des plaques minéralogiques diplomatiques ou encore le droit d’utiliser des fréquences sur les ondes hertziennes, par exemple. Par ailleurs, si ses employés bénéficient également de privilèges et immunités attachés à leurs fonctions, l’institution en tant que telle jouit en particulier des privilèges et immunités suivants : ses locaux sont inviolables, de même que ses archives et tous les documents papiers ou numériques qu’il produit ou qu’il détient, il peut également utiliser tout moyen de communication qui lui semble le plus approprié et d’expédier et recevoir du courrier aux mêmes conditions que celles affectées aux valises diplomatiques[50]. En outre, et ce sont certainement les privilèges et immunités les plus connus le concernant, le CICR bénéficie d’une immunité de juridiction et de la garantie de la confidentialité de ses rapports et de tous ses échanges avec les autorités. En ce qui concerne la confidentialité, on pourra se référer aux développements ci-dessous. En ce qui concerne l’immunité de juridiction celle-ci a fait l’objet d’une littérature abondante et peut se résumer en ce que le CICR ne peut être appelé à témoigner dans un procès, ni obligé de fournir des preuves dans le cadre d’une procédure judiciaire. Détaillée au travers l’affaire Simić jugée par le Tribunal pénal international pour l’ExYougoslavie[51], celle-ci est désormais inscrite à la règle 73 paragraphe 4 – Confidentialité du Règlement de procédure et de preuve de la Cour pénale internationale - qui se lit comme suit :

La Cour considère comme couverts par le secret professionnel et ne pouvant donc être divulgués, y compris dans le cadre du témoignage d’une personne travaillant ou ayant travaillé en qualité de représentant ou d’employé pour le Comité international de la Croix-Rouge, tous renseignements, documents ou autres éléments de preuve qui seraient tombés en la possession du Comité dans l’exercice ou en conséquence des fonctions […][52].

De tout ceci il résulte que de manière assez évidente le CICR s’est forgé une place à part dans l’ordre international. Celle-ci est du reste confirmée par sa qualité d’observateur au sein des Nations Unies. Ce statut lui a été reconnu le 16 octobre 1990 par l’adoption de la Résolution 45/6 de l’Assemblée générale des Nations Unies. Lapidaire comme le sont la plupart des résolutions octroyant le statut d’observateur, celleci se réfère néanmoins en préambule aux mandats que les Conventions de Genève lui ont confiés et surtout considère « le rôle tout particulier que le Comité international de la Croix-Rouge joue de ce fait dans les relations humanitaires internationales »[53]. Il s’agit ici d’une forme de reconnaissance de la place singulière qu’occupe le CICR sur la scène internationale. Sans détailler ce que recouvre ce statut car ce serait l’objet d’une autre contribution, il est toutefois utile de mentionner que celui-ci permet au CICR d’assister, de droit, à toutes les sessions des organes permanents des Nations Unies, ce que le statut consultatif dévolu aux ONG et qui était celui du CICR jusqu’à lors ne permet pas. Si jouir de ce statut ne donne pas droit au vote, il offre néanmoins un droit de parole, dont la portée est loin d’être négligeable. En effet, cela lui permet d’intervenir dans les débats et potentiellement « d’exercer une influence beaucoup plus grande sur les processus de décision »[54].

VIII. Interactions avec les autres acteurs du droit international

Le CICR évolue non seulement au sein d’un environnement humanitaire dense et complexe, mais également en parallèle ou en collaboration avec d’autres acteurs du droit international. En tout premier lieu et compte tenu de son caractère hybride, le CICR entretient des relations étroites avec l’ensemble des États parties aux Conventions de Genève et en particulier avec ceux d’entre eux qui sont aux prises avec une situation de violence. S’il peut s’agir de relations bilatérales de gré à gré, il s’agit également de la place qu’il occupe dans les débats liés à des questions qui le concernent au sein des instances multilatérales. Le CICR est en effet présent dans une très grande variété de fora internationaux, les Nations Unies bien sûr, en particulier à New York auprès notamment du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale grâce à son statut d’observateur tel que décrit ci-dessus, mais aussi à Genève auprès du HautCommissariat aux Droits de l’Homme, tout comme l’Union européenne, l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est et l’Union Africaine, et l’Organisation des États Américains auprès desquelles il dispose également du statut d’observateur, ou encore dans des entités plurilatérales ciblées telles que le G20, le Forum économique mondial, l’Organisation de la Coopération Islamique ou le Mouvement des NonAlignés[55]. Ces fora lui offrent une tribune de premier plan pour faire valoir ses préoccupations, attirer l’attention sur ses activités et ses besoins, solliciter la collaboration des institutions et des États qui les composent et mettre en avant ses stratégies. Il y exerce une participation active et croissante. Sa diplomatie humanitaire ainsi déployée consiste en

une stratégie d’influence pour prévenir et résoudre des problèmes humanitaires en recourant au dialogue, à la négociation, à l’élaboration normative. […] [E]lle est limitée au domaine humanitaire et n’a pas pour objectif premier de promouvoir la paix. […] Il s’agit du développement d’un réseau de relations suivies […] afin de susciter une dynamique de sensibilisation aux problèmes humains engendrés par la violence armée, de soutien à l’action humanitaire du CICR et de respect du droit humanitaire[56].

Ce faisant, il cherche à orienter les débats et donner sa direction à l’agenda humanitaire mondial qui se joue au sein des institutions multilatérales, auxquelles le CICR attache une grande importance, comme en témoigne l’approche dépeinte par son représentant lors du débat relatif au renforcement du multilatéralisme et le rôle de l’ONU qui s’est tenu à la 8395ème séance du Conseil de sécurité de 2018 :

Le droit international humanitaire fait partie intégrante du multilatéralisme et le multilatéralisme fait partie intégrante du droit international humanitaire. Laborieusement élaborées par les États au fil des ans, ces règles créent un consensus multilatéral important sur les limites de la violence, qui peuvent être invoquées chaque jour sur le terrain pour réduire les souffrances humaines et protéger les infrastructures essentielles. Ces règles sont plus opérantes quand le multilatéralisme fonctionne. Les personnes qui souffrent en temps de conflit armé ont besoin d’un multilatéralisme qui fonctionne. Pour le soixante-dixième anniversaire des Conventions de Genève, nous demandons instamment au Conseil de sécurité de renouveler son engagement en faveur des personnes, du droit international humanitaire et du multilatéralisme[57].

Cet ancrage ne doit toutefois pas gommer un certain nombre d’exigences fondamentales à l’exercice de ses fonctions. Tout d’abord il convient de rappeler la distinction qui doit être conservée strictement étanche entre le jus ad bellum (droit au recours à la force) et le jus in bello (droit international humanitaire). L’action du CICR ne dépend pas des qualifications qui peuvent être faites au titre du droit au recours à la force. Autrement dit, qu’une situation de violence soit le fait d’une intervention armée qui a reçu l’autorisation du Conseil de sécurité, ou d’un usage de la force qui pourrait répondre au qualificatif d’« agression », n’a aucune incidence sur l’application du droit international humanitaire dont découle l’action du CICR. Le droit international humanitaire est rendu applicable par la qualification d’une situation de « conflit armé », laquelle répond à une définition qui lui est propre. De plus le CICR, comme il a été décrit plus haut, peut déployer ses activités dans d’autres situations de violence aux termes des Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du CroissantRouge. Aussi, bien que s’inscrivant dans le débat relatif à la paix et à la sécurité internationales, l’action du CICR ne saurait être tributaire de l’action des instances qui ont pour mission de les faire respecter ou de les rétablir. De la même manière, la labellisation croissante de groupes armés comme étant des « groupes terroristes », répondant en cela à des intérêts politico-stratégique de ceux qui les combattent, ne devrait en rien affecter la mission du CICR, ni d’ailleurs de toute autre agence humanitaire.

Ensuite, le CICR dialogue avec toutes les parties prenantes des conflits armés, pour les informer du droit existant ou pour les rappeler à leurs obligations, pour négocier avec elles l’accès aux populations qui nécessitent une assistance humanitaire, pour travailler à l’amélioration des conditions de vie des personnes affectées par les conflits armés, mais qui n’y prennent pas part, etc. Le priver d’interagir avec certains groupes au prétexte qu’ils formeraient comme un tout des groupes terroristes, revient à le priver d’accès non seulement aux membres de ces groupes eux-mêmes pour veiller au respect du droit international humanitaire, mais également à toute population qui se trouverait sous son contrôle. Si certains groupes utilisent des méthodes de guerre consistant à semer la terreur parmi la population civile, ce qui est une méthode de guerre rigoureusement interdite tant en droit conventionnel qu’en droit coutumier et faisant l’objet d’une incrimination en droit international pénal, cela ne rend pas l’ensemble des groupes armés « groupes terroristes » qui seraient de ce fait purement et simplement infréquentables. Plus encore, et contrairement à ce que tentent de faire certains États, l’aide humanitaire neutre et impartiale ne devrait jamais être menacée d’être criminalisée lorsqu’elle se déploie aussi auprès de personnes hors de combat qui pourraient prêter allégeance à ces groupes.

Enfin, les interactions du CICR avec ses interlocuteurs, quel que soit le statut dont ils jouissent ou pas en droit international, sont fondées sur une modalité de travail qui est propre à l’institution : la confidentialité. Il s’agit d’un « [m]oyen spécifique du CICR pour obtenir des autorités étatiques et non étatiques le respect du droit »[58]. Cela signifie que le CICR se fixe comme principe de ne pas divulguer le contenu de ses échanges avec ses interlocuteurs. Toutefois, comme tout principe celui-ci peut faire l’objet d’exception. En effet, si la confidentialité « fait partie de l’identité du CICR depuis des décennies »[59] c’est parce que cette organisation fonde son action sur le dialogue et la coopération avec les autorités, lesquels ont pour but de lui garantir l’accès aux victimes et ultimement à l’amélioration de leur sort. Par conséquent, si les autorités refusent ou cessent de coopérer de manière persistante et si la divulgation d’informations confidentielles peut contribuer à l’amélioration du sort des personnes qui relèvent du mandat du CICR, ce dernier peut décider de rendre publiques ses constatations. Il est cependant extrêmement rare que le CICR doive en arriver à prendre une telle mesure. La confidentialité est une modalité de travail bien connue et respectée des autorités, tout comme des autres acteurs du droit international. Le dialogue et la coopération garantis par la confidentialité placent ses interactions sous les auspices de la confiance et de la durée. Corollaire du principe de neutralité, la confidentialité permet effectivement au CICR d’obtenir des avancées en matière de respect du droit international humanitaire, ou la mise en place de mécanismes destinés à faire cesser les violations. Cela ne l’empêche toutefois pas de travailler de plus en plus en réseau et de s’allier à une grande variété de protagonistes de l’action humanitaire, incluant des acteurs privés ou académiques et la société civile. Reconnaissant l’évolution et la complexité de l’environnement dans lequel il opère et la pluralité d’acteurs amenés à y interagir, le CICR se fixe notamment pour objectif de renforcer ou de nouer de nouveaux partenariats avec d’autres acteurs humanitaires, afin de mettre à profit la complémentarité de leurs compétences et de leurs mandats et ainsi intensifier leur impact au bénéfice des personnes affectées par les conflits armés[60]. Dans ce cadre, il peut s’agir de chercher à faire évoluer le droit et les politiques et d’améliorer les pratiques, ce qui l’amène là aussi à influencer l’ensemble du secteur humanitaire.

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Unique à maints égards, le CICR occupe certainement une place prépondérante dans le paysage humanitaire et joue assurément un rôle crucial pour les personnes affectées par les conflits armés. Corseté dans les règles strictes de son mandat et malgré les relations singulières qu’il entretient avec les États, il a tout de même su ne pas rester figé et s’adapter aux défis qui se sont présentés à lui au cours de plus de 150 années d’activité. Plus encore, non content d’assurer une présence indispensable et inégalée dans les contextes de conflits armés et autres situations de violence grâce à ses plus de 12 000 employés à travers le monde, il a joué le rôle de précurseur afin de faire évoluer le droit international humanitaire et les pratiques de l’action humanitaire, lesquelles s’appliquent aujourd’hui largement à l’ensemble de la communauté humanitaire.

Le positionnement du CICR sur la scène internationale lui fournit des outils privilégiés pour influencer le débat en matière de diplomatie humanitaire au sein de la gouvernance mondiale. Ce positionnement l’oblige à la probité. Comme toute organisation humanitaire, le CICR fait face à un certain nombre de remises en cause et de contestations, internes comme externes, certaines légitimes d’autres moins ; il lui appartient de les embrasser à bras le corps afin de les dépasser et de continuer à assumer le rôle de chef de file qui est naturellement le sien en la matière et ce pour les 150, et plus encore, années à venir.