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La protection de l’environnement figure très certainement parmi les grandes priorités internationales du XXIᵉ siècle. L’entrée en vigueur de la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants[1] en 2004, du Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques[2] en 2005, du Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique[3] en 2014, et même de l’Accord de Paris[4] en 2016 témoigne de la coopération grandissante entre les États sur les questions environnementales et de leur intérêt à répondre aux grands enjeux environnementaux de notre siècle. Cet intérêt se reflète aussi à travers une prise de conscience marquée, qui s’est opérée tant au niveau des scientifiques, de la société civile que du monde des affaires, ce qui a facilité la reconnaissance de cette problématique à tous les niveaux.

Toutefois, contrairement à d’autres domaines des relations internationales, la gouvernance environnementale mondiale demeure éclatée à travers une multitude de régimes internationaux. Cet éclatement n’en signifie pas moins que des avancées significatives ont pu être faites dans certains secteurs comme celui des pluies acides ou encore des polluants responsables de la destruction de la couche d’ozone. Néanmoins, dans d’autres secteurs, il semble complexe, voire impossible, de faire avancer la cause environnementale de manière plus globale, et le cas de la problématique des changements climatiques en est l’exemple le plus patent.

L’objectif de cette contribution est d’offrir quelques clefs de compréhension face à cette complexité de la gouvernance environnementale mondiale. D’abord, nous présentons les fondements et caractéristiques des problèmes environnementaux contemporains, ainsi que certains moments phares de la gouvernance environnementale mondiale. Nous présentons ensuite ses principaux acteurs et institutions, et enfin, nous abordons ses principaux défis et enjeux, en explorant de manière plus spécifique le cas de la gouvernance climatique mondiale.

I. Fondements et caractéristiques des problèmes environnementaux contemporains

La protection de l’environnement à l’échelle mondiale comporte son lot de défis et d’enjeux, découlant d’une interrelation très forte entre les systèmes naturels et politiques/sociaux à l’échelle mondiale. Cette interrelation entre les systèmes contribue à une complexification des problèmes environnementaux et des solutions pouvant être envisagées pour y répondre. Quatre éléments caractérisent d’ailleurs les défis et enjeux des problèmes environnementaux contemporains, soit (1) la notion de territorialité ; (2) l’incertitude et l’imprévisibilité des enjeux environnementaux ; (3) l’interdépendance de l’environnement avec d’autres secteurs d’activités humaines ; et (4) la difficile catégorisation du « bien environnemental ».

A. Territoire politique, écosystème, et globalisation

Un premier élément caractéristique des problèmes environnementaux contemporains relève de la notion de territorialité. Si l’on reconnait aisément l’aspect territorialisé d’un État, on oublie que cette notion de territoire existe également au niveau environnemental, bien qu’elle s’exprime à travers une logique différente. Les écosystèmes naturels forment des territoires qui ignorent les frontières politiques des États. Par exemple, des cours d’eau, des montagnes ou encore des espèces animales migratrices peuvent traverser deux, trois, voire un nombre plus important d’États, ce qui nécessite une collaboration à l’échelle internationale afin de protéger ces ressources et écosystèmes partagés.

Dans le même esprit, il existe des problèmes environnementaux qui, malgré leurs sources ou origines parfois plus locales, ont des incidences régionales ou globales majeures comme la problématique des changements climatiques, de la pollution plastique dans les océans ou de l’amincissement de la couche d’ozone. Ces problèmes requièrent une action concertée de la communauté internationale.

B. L’incertitude et l’imprévisibilité

Un deuxième élément concerne l’incertitude et l’imprévisibilité des enjeux environnementaux. Les connaissances scientifiques sur la question se développent et s’affinent, comme le montrent périodiquement les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Cependant, ces savoirs scientifiques conservent parfois une part d’incertitude. Les modèles de projection du réchauffement planétaire selon le GIEC en sont un bon exemple. Bien que rigoureux et ayant fait leurs preuves en matière d’efficacité depuis les dernières décennies, ces modèles doivent tout de même composer, par exemple, avec la variabilité naturelle du climat ; une donnée qui se voit influencer par une gamme de phénomènes naturels fort complexes animés par une quantité quasi infinie de variables interdépendantes. Ils doivent également composer avec les incertitudes liées à la réponse du climat face aux changements qu’il subit ; un phénomène encore difficile à évaluer. Et finalement, ces modèles doivent prendre en compte les incertitudes découlant du nombre quasi infini de scénarios d’émission de gaz à effet de serre (GES) possibles. En somme, ces incertitudes qui gravitent autour de la science ne remettent pas en question la validité des conclusions scientifiques ; elles leur confèrent plutôt une certaine marge d’imprévisibilité. Cet espace d’incertitude et d’imprévisibilité vient contribuer à l’émergence et au maintien de tensions entre la science et le politique dans l’élaboration et la mise en oeuvre de politiques environnementales à l’échelle nationale et internationale.

Créé en 1988 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement et l’Organisation météorologique mondiale, le GIEC constitue aujourd’hui le principal organe international chargé d’analyser scientifiquement les changements climatiques. Concrètement, il a pour objectif de : « fournir au monde une vision scientifique claire de l’état actuel des connaissances en matière de changements climatiques et de leur incidence potentielle sur l’environnement et la sphère socio-économique »[5]. Ses travaux sont susceptibles d’orienter les politiques liées aux changements climatiques à l’échelle mondiale, et servent de base aux négociations de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques[6].

C. L’interdépendance entre l’environnement et d’autres domaines

Le fait que les problèmes environnementaux sont souvent liés à un ensemble d’autres secteurs de la politique mondiale, comme le commerce, le développement, la pauvreté, la sécurité et la santé constituent un troisième élément caractéristique des problèmes environnementaux contemporains. Cette interdépendance rend d’autant plus complexe la régulation de ces problèmes, puisque l’on peut aborder ces questions dans plusieurs forums internationaux comme l’Organisation mondiale du commerce, l’Organisation mondiale de la santé ou encore l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Qui plus est, elle peut également entraîner une difficulté supplémentaire au niveau de la construction sociale des problèmes environnementaux et des choix envisagés pour y répondre.

D. L’environnement : un bien pas comme les autres

Très souvent, les sources de dégradation environnementale découlent du fait que notre environnement, ou ce que l’on considère comme des biens environnementaux ne peuvent être traités de la même manière qu’un bien privé traditionnel. S’agissant très souvent de biens communs, ces biens disposent de deux caractéristiques spécifiques : (1) ils sont des biens rivaux, dont la consommation par les uns affecte la consommation des autres, et (2) l’accès à ce bien est libre, où tous peuvent le consommer ou l’exploiter. Le problème découlant de ces caractéristiques est que ces biens, qu’ils soient renouvelables ou non, peuvent être surexploités, du fait qu’il n’y a pas de moyens simples d’en réduire la consommation puisque tous y ont accès gratuitement. Cela pose ainsi un problème majeur pour la pérennisation éventuelle de cette ressource[7], puisqu’aucun État, pris isolément, n’a intérêt à assumer seul l’ensemble des coûts pour protéger une ressource, alors que les bénéfices de sa protection sont partagés entre tous. Souvent évoquée comme la Tragédie des biens communs[8], cette situation explique notamment la surexploitation d’un nombre important de ressources environnementales et l’avènement de plusieurs problèmes environnementaux contemporains. Pensons à l’effondrement des ressources halieutiques dans les océans ou encore aux émissions de GES entraînant un réchauffement climatique.

La solution pour éviter la disparition ou la dégradation de ce type de bien est notamment d’en limiter l’accès, que ce soit par sa privatisation, sa nationalisation, le recours à des incitatifs fiscaux et des taxes ou encore par l’édiction de règles pour en limiter l’usage. Dans tous ces cas, on introduit une forme d’exclusion dans sa consommation, afin d’éviter sa surexploitation ou sa destruction, ce qui pose tout un défi lorsque cela doit s’effectuer à l’échelle internationale.

II. Émergence des enjeux environnementaux sur la scène internationale : contexte

On peut remonter assez loin dans le temps pour observer des problèmes environnementaux liés à l’activité humaine ayant un impact sur l’environnement naturel et sa société. Alors que la sédentarisation humaine, il y a près de 10 000 ans, marque un moment tournant au niveau des progrès techniques et sociaux, elle jette aussi les bases de modes de production et de consommation des ressources pouvant potentiellement générer des problèmes environnementaux. Plusieurs chercheurs vont même plus loin en attribuant, du moins en partie, l’effondrement de certaines civilisations, dont la civilisation maya et celle de l’Île de Pâques, à des dégradations de ressources ou de problèmes environnementaux[9], permettant une réflexion sur l’état actuel de notre planète et de notre mode de production et de consommation.

Ces sources de dégradations environnementales, quoiqu’importantes, sont demeurées pendant longtemps à petite échelle, au sein de communautés locales. L’ère industrielle, qui émerge autour du milieu du XVIIIe siècle, change quant à elle considérablement la donne. Des progrès d’envergure dans le domaine du textile, de la métallurgie, ou encore l’invention de la machine à vapeur sont des innovations qui ont certes permis l’accélération de l’implantation de procédés industriels dans la production de biens[10]. Toutefois, ces progrès ont aussi provoqué des rejets de plus en plus importants d’agents polluants dans l’atmosphère, les cours d’eau et les sols. La pollution, ne reconnaissant pas les frontières des États, s’est ainsi étendue et internationalisée. Les États, à compter du XIXᵉ siècle, ont ainsi amorcé une certaine forme de coopération dans le domaine de l’environnement ; coopération qui s’intensifiera ensuite tout au long du XXᵉ siècle. Des accords sont ainsi adoptés, se limitant alors à protéger un fleuve conjoint entre deux nations, à limiter la surpêche ou encore à préserver une espèce particulière vouée à l’extinction. Il s’agit alors d’une prise de conscience limitée à certains aspects spécifiques de la protection de l’environnement. Certaines conventions sont d’ailleurs fort représentatives de cette époque, dont la Convention pour la protection des oiseaux utiles à l’agriculture (1906)[11], la Convention relative à la conservation de la faune et de la flore à l’état naturel (1936)[12] et la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine (1948)[13].

III. Les moments clefs de la gouvernance mondiale de l’environnement

Les années 1960 et 1970 marquent quant à elles un tournant dans la prise en compte des enjeux environnementaux, qui s’intensifient, se multiplient et se globalisent. Des prises de conscience provenant à la fois d’images inédites, d’écrits ou de catastrophes environnementales contribueront à la médiatisation et à la diffusion des problèmes environnementaux à l’échelle du globe, et permettront d’en faire de véritables enjeux de politiques publiques et de relations internationales. Notamment, le déversement du pétrolier Torrey Canyon au large de la Grande-Bretagne (1967), les essais nucléaires des grandes puissances dans des zones écologiquement sensibles (par exemple : îles du Pacifique, île Amchitka aux États-Unis), la pollution excessive du lac Érié et l’incendie sur la rivière Cuyahoga en Ohio en 1969, frapperont l’opinion publique partout sur le globe. De plus, la diffusion en 1968 de l’image Lever de terre, ainsi que la publication du Printemps silencieux de Rachel Carson en 1962 et du rapport du Club de Rome s’intitulant Halte à la croissance ? en 1972 contribueront eux aussi à une prise de conscience collective de la finitude de nos ressources et de l’impact de l’humain sur son environnement naturel et sa dégradation.

C’est dans ce contexte que se tient la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain à Stockholm en 1972. Considérée comme étant le point tournant de l’écopolitique internationale, cette conférence vise alors, pour les 113 États participants en particulier, la nécessité de promouvoir, gérer et mieux coordonner les approches liées à la gestion globale des problèmes environnementaux. On y jette aussi les bases de ce qui deviendra ensuite le développement durable.

Au terme de la conférence, une déclaration commune est adoptée par les États, soit la Déclaration de Stockholm[14]. Celle-ci renferme 26 principes pour « préserver » et « améliorer » l’environnement. Cette conférence donne aussi lieu à la création du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Tout comme le 17e principe de la Déclaration de Stockholm, le PNUE encourage les États à se doter d’administrations nationales vouées à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. Cet appel agit alors comme catalyseur au sein des États ; on assiste à une multiplication des ministères de l’Environnement à travers le monde (la majorité des ministères de l’Environnement ont vu le jour peu avant et à la suite de la création du PNUE en 1972). En plus de permettre au PNUE de bénéficier d’interlocuteurs nationaux, la mise sur pied de tels ministères facilite ainsi l’institutionnalisation des questions environnementales au sein d’appareils publics nationaux.

Dans les années qui suivent, le droit international de l’environnement croît de manière significative. À partir de la Conférence de Stockholm, un virage s’opère dans les politiques extérieures des différents États. Des conventions internationales sur la protection de l’ozone (1985), sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (1980), sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux (1989) et beaucoup d’autres sont négociées et ratifiées, et entrent en vigueur dans les deux décennies qui suivent. Pour certains, cette période correspond à l’âge d’or de l’écopolitique internationale, en raison du foisonnement des conventions internationales sur les questions de l’environnement, et de « l’apparition de l’environnement comme enjeu dans les relations internationales [la] tenue de grandes conférences mondiales mobilisatrices [et la] conscientisation de l’opinion publique… »[15].

Cet accroissement des préoccupations environnementales se reflète aussi au sein des États et des institutions internationales. Dans cet esprit, en 1983, l’Assemblée générale des Nations Unies met sur pied une Commission mondiale sur l’environnement et le développement, présidée par l’ancienne première ministre norvégienne, Gro Harlem Brundtland. L’objectif de cette commission est de recommander des moyens permettant de protéger l’environnement en favorisant la coopération entre pays riches et en développement. Elle aboutira, en 1987, au dépôt du rapport Notre avenir à tous, aussi popularisé sous le nom de Rapport Brundtland[16]. Ce rapport permettra la popularisation du concept de développement durable, comme étant « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs »[17]. Aussi, les conclusions du rapport permettront de jeter les bases de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement qui se tiendra à Rio de Janeiro en 1992.

Ainsi, en 1992, vingt ans après le premier sommet international qui avait permis de mettre au programme politique les problèmes environnementaux et la nécessité de développer une meilleure coopération internationale, une nouvelle conférence internationale est organisée par les Nations Unies. S’intitulant la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, popularisée sous le nom de Sommet de la Terre, cette conférence constituait, à l’époque, un rassemblement d’une ampleur sans précédent, et pour cause. Des représentants de plus de 172 États, dont 105 chefs de gouvernement et d’État et 10 000 délégués gouvernementaux participent activement aux travaux, ainsi qu’un nombre record d’organisations non gouvernementales (ONG) accréditées (plus de 1 400 ONG), en plus des 18 000 ONG participant aux forums parallèles organisés en marge de la Conférence[18]. Cette conférence est aussi très inclusive et permet de rassembler une très grande variété d’acteurs provenant de divers milieux : élus municipaux, journalistes, groupes autochtones, jeunes et étudiants, et membres de centrales syndicales et d’entreprises multinationales. Plus de 45 000 personnes auraient participé aux différents volets formels et informels de cette conférence internationale.

L’ampleur et l’ambition de cette conférence ne se résument cependant pas uniquement à la quantité de délégués et de représentants qui y ont participé. Cette conférence est aussi ambitieuse dans les chantiers de négociation investis par les délégués et dans ses résultats. Au terme de cet événement, on adopte la CCNUCC ainsi que la Convention sur la diversité biologique[19]. Une déclaration de principes sur les forêts, non contraignante cependant, est aussi adoptée par les Parties, et on lance des négociations pour l’adoption d’une Convention sur la lutte contre la désertification[20] qui sera adoptée deux ans plus tard, à Paris. Enfin, la Déclaration de Rio[21] (qui définit les principes qui guident le comportement des États) et l’Agenda 21[22] (plan d’action sur le développement durable) sont les autres textes adoptés lors du Sommet de la Terre. Les résultats de cette conférence sont donc considérables, faisant du Sommet de la Terre de 1992 un point tournant dans la gouvernance mondiale de l’environnement.

La formule « Sommet de la Terre » sera rééditée à deux reprises. D’abord en 2002, à Johannesburg, les Nations Unies organisent le Sommet mondial sur le développement durable. Aussi surnommée Rio +10, cette Conférence est un autre moment de très forte participation, avec près de 40 000 représentants gouvernementaux et de la société civile. Les objectifs de cette conférence sont, d’une part, de faire un bilan de la dernière décennie quant aux différents engagements pris à la suite du Sommet de la Terre de Rio dix ans auparavant, et d’autre part, de mettre réellement en oeuvre les objectifs d’un développement durable pour tous, avec à l’esprit les Objectifs du millénaire (ODM) adoptés en 2000. Les questions de réduction de la pauvreté marquent ainsi les travaux de ce sommet. Au terme de la Conférence, on accouche d’une déclaration politique et d’un plan d’action dressant la liste des actions à mener en lien avec les ODM dans les secteurs de la lutte contre la pauvreté, de l’accès à l’eau, de l’énergie, de la santé, et de la biodiversité. Aussi, cette conférence est l’occasion d’initier de nouveaux types de partenariats en encourageant la participation des acteurs économiques et de la société civile dans la protection de l’environnement et dans la lutte contre la pauvreté à l’échelle internationale. Des ententes sont signées sur place, permettant ainsi une implication plus importante de ces groupes dans la gouvernance environnementale internationale[23].

Puis, en 2012, Rio de Janeiro accueille à nouveau la communauté internationale lors d’un Sommet sur le développement durable, aussi appelé Rio +20. Cette conférence très attendue accueille plus de 45 000 participants. Les objectifs de ce nouveau sommet sont d’élaborer ce qui deviendra les Objectifs de développement durable (ODD) et d’aborder également les questions d’économie verte et de gouvernance environnementale internationale. Cependant, des tensions importantes concernant les deux grandes thématiques de la Conférence viennent en réduire les attentes. On parvient néanmoins à lancer les négociations pour l’élaboration des ODD, qui viendraient remplacer les ODM en 2015. Aussi, les pays adoptent une déclaration s’intitulant L’Avenir que nous voulons[24], qui se veut une feuille de route sur les engagements de la communauté internationale pour un développement durable. La portée de cette déclaration sera plutôt faible, bien que certains y soulignent certaines avancées et innovations notables[25].

En somme, on peut observer une évolution importante des grandes conférences mondiales sur l’environnement au cours des cinquante dernières années. Celles-ci témoignent certes d’un élargissement de la gouvernance environnementale mondiale, mais aussi de la complexité grandissante des problèmes environnementaux à l’échelle mondiale. Ces conférences soulignent également la difficulté de transformer le système économique dominant, et surtout les inégalités qui en découlent entre les pays du Nord et du Sud, bien que de multiples stratégies et instruments se soient développés sur la scène internationale.

IV. Les principaux acteurs et institutions de la gouvernance environnementale mondiale

Le système de gouvernance mondiale de l’environnement se compose d’une myriade d’acteurs diversifiés, au sein de laquelle les États occupent toujours une place prépondérante. Ces derniers, en plus de faire usage d’accords et de traités bilatéraux et multilatéraux pour protéger l’environnement, profitent également des espaces de dialogue et de coopération qu’offrent les organisations internationales (OI). Plusieurs autres acteurs subétatiques, comme les États fédérés et les villes, et non étatiques, comme les ONG, les entreprises et les communautés épistémiques, investissent également ce système de gouvernance, et parfois même, eux aussi, par l’entremise de leur participation aux travaux d’OI. Il s’agit dès lors d’une gouvernance à niveaux multiples dans laquelle les États continuent d’y jouer un rôle central, mais qui est devenue, au fil du temps, plus vaste, éclatée, et polycentrée, et où les frontières entre acteurs étatiques et non étatiques s’érodent peu à peu[26].

A. Les États

Depuis l’émergence même des questions environnementales, les États occupent une place centrale et prépondérante dans leur régulation. Depuis le début du XIXᵉ siècle, les États collaborent dans le domaine de l’environnement, parvenant ainsi à surmonter le défi qu’impose le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. Enchâssé dans la résolution 1803 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1962, au plus fort de la période de décolonisation, ce principe exige que : « Le droit de souveraineté permanente des peuples et des nations sur leurs richesses et leurs ressources naturelles [soit exercé] dans l’intérêt du développement national et du bien-être de la population de l’État intéressé ». En d’autres mots, il revient aux États souverains de déterminer leurs propres politiques relatives aux ressources naturelles sur leur territoire. Ce faisant, il leur incombe également d’établir les balises relatives à leur gestion et à leur protection.

Ce principe peut donc, dans certains cas, constituer un obstacle aux efforts déployés par la communauté internationale en matière de protection de l’environnement. Puisque souverains, les États peuvent, en poursuivant leurs intérêts, chercher à s’isoler de la communauté internationale et de ses normes de protection, notamment en refusant d’y adhérer et/ou en ignorant ses efforts. La décision de l’administration Trump de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris en 2020 ou encore celle du retrait officiel du Canada du Protocole de Kyoto en 2012 en sont des démonstrations claires.

Toutefois, d’autres principes permettent de prévenir un tel isolement et de limiter la portée de ce principe de souveraineté[27]. Nous n’avons qu’à penser, par exemple, au principe de prévention qui a pris naissance dans les années 1940 et qui est évoqué dans la Déclaration de Rio de 1992. Dans cette déclaration, on précise notamment les devoirs qui accompagnent le principe de souveraineté des États sur leurs ressources naturelles :

[Les États souverains] ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l’environnement dans d’autres États ou dans des zones ne relevant d’aucune juridiction nationale[28].

En d’autres mots, le principe de prévention exige que les États s’assurent que les actions menées sur leur territoire ne portent pas atteinte à l’environnement des autres États.

Nombre de forces politiques et économiques ont également un effet analogue sur ce principe de souveraineté. Pensons, par exemple, aux nombreux accords multilatéraux de protection de l’environnement, tels que le Protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone[29] de 1989 et la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination[30] de 1992, qui, en plus d’être voués à la protection de l’environnement, interdissent le commerce de biens spécifiques avec les États non partis, les incitant ainsi à y adhérer pour des raisons économiques.

En somme, si, dans certains cas, le principe de souveraineté des États peut constituer un obstacle aux efforts internationaux en matière de protection de l’environnement, il n’en demeure pas moins que c’est bien la souveraineté dont disposent les États qui leur permet de maintenir leur positionnement central et prépondérant dans la régulation des enjeux environnementaux. Ils demeurent en effet les mieux disposés à fixer les normes environnementales sur leur territoire et à conclure des accords internationaux destinés à protéger l’environnement.

Toutefois, on ne peut oublier le rôle joué par les gouvernements non centraux et les autres entités subétatiques, comme les États fédérés et les villes, dans l’édification de la gouvernance environnementale mondiale[31]. À titre d’exemple, plusieurs États fédérés comme la Californie ou encore les provinces de Québec et de la Colombie-Britannique investissent depuis plusieurs années la scène environnementale et climatique internationale, notamment en adoptant des ententes transfrontalières et internationales dans leurs domaines de compétences, tant avec des États fédérés que souverains[32]. Plusieurs villes et réseaux de villes s’y investissent également. Pensons, par exemple, à la ville de Paris qui aspire à devenir la capitale de la permaculture urbaine d’ici 2030 ou à la ville de New York qui s’est engagée à réduire ses émissions de GES de 80 % d’ici 2050. Toutes deux font partie du Conseil international pour les initiatives locales (ICLEI) et du regroupement C40, deux réseaux destinés à appuyer respectivement des projets en matière de développement durable et de lutte aux changements climatiques.

B. Les organisations internationales

Les OI offrent aux États, tout comme aux autres acteurs de la gouvernance environnementale mondiale, des espaces de dialogue et de coopération à même de faciliter la régulation des enjeux environnementaux au niveau international. Certaines OI d’importance parviennent même à influencer l’agenda mondial, à ériger des normes et à influencer l’élaboration de politiques publiques nationales en matière d’environnement[33]. Actuellement, on compte une vingtaine d’OI jouant un rôle important en la matière, dont plusieurs gravitent autour des Nations Unies, notamment.

Par exemple, depuis la Conférence de Stockholm en 1972, le PNUE joue un rôle déterminant dans la construction et dans la mise en oeuvre de la gouvernance environnementale mondiale. En tant que principale autorité mondiale dans le domaine de l’environnement, le PNUE dispose d’une mission englobante : « offrir un leadership et [encourager] les partenariats dans la prise en charge de l’environnement en étant exemplaire, en informant et en permettant aux nations et aux peuples d’améliorer leur qualité de vie sans compromettre celle des générations futures »[34]. Depuis les quarante dernières années, le PNUE a convoqué et encadré les négociations qui ont donné naissance à la majorité des conventions et des instruments environnementaux mondiaux actuels ; résultat d’un travail en proximité avec les États, les communautés et les représentants de la société civile et du monde des affaires. Depuis les deux dernières décennies, il a également produit plus d’une vingtaine d’évaluations environnementales mondiales, les plus populaires étant ses Rapports sur l’avenir de l’environnement mondial (Global Environment Outlook en anglais)[35].

Le PNUE ne dispose cependant pas des pouvoirs lui permettrait de prendre des décisions contraignantes à l’égard de ses membres, au même titre que l’Organisation mondiale de la santé par exemple. Il ne jouit pas non plus d’un pouvoir conféré par les États lui permettant de régler des différends ou d’appliquer les dispositions d’un traité lorsqu’elles sont violées, comme est en mesure de le faire l’Organisation mondiale du commerce lorsqu’elle est saisie d’une plainte déposée par un État[36].

Or, le PNUE n’est pas la seule institution onusienne abordant les questions environnementales ; il s’agit d’un domaine qui transcende la plupart des institutions spécialisées, programmes et fonds des Nations Unies. En effet, plusieurs se saisissent de près ou de loin, directement ou indirectement, d’enjeux liés à l’environnement. Nous n’avons qu’à penser à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation météorologique mondiale (OMM) ou le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Cette multiplicité d’acteurs onusiens participant à l’édification de la gouvernance environnementale mondiale témoigne, d’un côté, de la place toujours plus grande qu’occupent les enjeux environnementaux au sein des négociations internationales sous l’égide des Nations Unies. De l’autre côté, cette fragmentation porte certains à proposer la création d’une nouvelle organisation, plus forte et plus indépendante que le PNUE, qui serait en mesure de centraliser les travaux internationaux dans le domaine de l’environnement[37].

Le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) est également de ces OI qui façonnent la gouvernance environnementale mondiale. Créé en 1991, à la veille du Sommet de la Terre de Rio, le FEM incarne la figure de proue du financement international en matière de protection de l’environnement. Depuis les deux dernières décennies, cette organisation financière est parvenue, sur la base de contributions provenant de 39 de ses 183 membres, à rendre accessible plus de 18 milliards USD et à mobiliser près de 100 milliards USD en cofinancement pour la conduite de plus de 4 500 projets dans 170 pays majoritairement en développement[38]. Qui plus est, le FEM sert comme mécanisme financier de cinq conventions, dont la Convention sur la diversité biologique[39] et la Convention de Minamata sur le mercure[40].

C. Les organisations non gouvernementales

Au même titre que bien d’autres acteurs non étatiques, les ONG parviennent incontestablement à façonner le système de gouvernance environnementale mondiale. Elles y parviennent en faisant usage de nombreuses stratégies les menant notamment à participer aux négociations internationales et à la mise en oeuvre de conventions ; à conseiller les décideurs ; à faire du lobby politique ; à mettre des enjeux à l’agenda ; à sensibiliser le public sur les questions environnementales, et même à intenter des poursuites pour obliger un État à agir sur un enjeu[41]. C’est d’ailleurs le cas de l’organisation québécoise Environnement JEUnesse qui, en 2018, a intenté une poursuite à l’égard du gouvernement canadien, alléguant que son inaction climatique brime les droits fondamentaux d’une génération entière, en l’occurrence celle des jeunes Canadiens âgés de 0-35 ans[42]. Très souvent, ces organisations arrivent aussi à mobiliser la société civile autour d’enjeux et de préoccupations liés à l’environnement, en plus d’agir à titre de porte-voix de la société civile, autant lors de grandes négociations internationales que lors de mouvements de protestations. Ce fut d’ailleurs le cas tout au long de l’année 2019, alors que des millions de personnes ont pris part aux marches pour le climat dans les rues des grandes villes du monde, dont à Montréal, où 500 000 personnes ont pris la rue durant la « grande marche pour le climat » du 27 septembre[43].

Depuis les 40 dernières années, le nombre d’ONG ayant investi les domaines de la protection environnementale et de la lutte aux changements climatiques a connu une croissance importante et soutenue. Alors que l’on comptait 255 ONG accréditées à l’occasion de la Conférence de Stockholm en 1972, on n’en comptait pas moins de 2 200 lors de la 24e Conférence des Parties à la CCNUCC (CdP) en 2018[44]. Le graphique présenté à la Figure 1 illustre très bien cette multiplication fulgurante d’ONG.

Figure 1

Nombre d’ONG accréditées à l’occasion des CdP

Nombre d’ONG accréditées à l’occasion des CdP
Source : Statistics on Admission, en ligne : United Nations Framework Convention on Climate Change <https://unfccc.int/process-and-meetings/parties-non-party-stakeholders/non-party-stakeholders/statistics-on-non-party-stakeholders/statistics-on-admission>.

-> Voir la liste des figures

Notons toutefois que l’univers des ONG investies dans le domaine de l’environnement ne constitue pas un bloc homogène. Il se voit plutôt composé d’une multitude d’acteurs disposant de missions et de mandats divers et oeuvrant à des niveaux différents sur la question. Ces acteurs, parfois concurrents, varient en taille ainsi qu’en matière de capacité d’action. Pensons, par exemple, au Fonds mondial pour la nature ou à Greenpeace qui jouissent d’une expertise et de ressources financières et humaines leur permettant de bénéficier d’une visibilité et d’une capacité de mobilisation et d’action bien supérieures à celles des petites organisations de base. D’ailleurs, ce sont bien les travaux de Greenpeace sur le déversement de déchets des pays du nord vers le Sud qui ont donné le coup de départ aux négociations ayant mené à l’adoption de la Convention de Bâle sur les déchets dangereux[45].

D. Les entreprises

Les entreprises font elles aussi partie de ces acteurs non étatiques qui façonnent le système de gouvernance environnementale mondiale. Tout comme le monde des ONG, celui des entreprises se compose d’une variété d’acteurs aux expertises, aux ressources et aux objectifs diversifiés. Ce faisant, elles appréhendent différemment le renforcement de la réglementation internationale en matière de protection de l’environnement, et déploient des stratégies diverses pour y faire face.

D’un côté du spectre se trouvent les entreprises qui accueillent favorablement ce renforcement. Pensons, par exemple, aux entreprises qui proposent des solutions de rechange aux biens et services faisant l’objet de réglementations ; elles voient dans leur renforcement des opportunités d’affaire à saisir. Le cas d’étude le plus populaire est probablement celui de l’entreprise étatsunienne du Pont qui, après avoir préalablement développé des produits de substitution aux chlorofluorocarbures (CFC), n’a pas hésité à endosser le Protocole de Montréal à la fin des années 1980. Cet appui a joué un rôle important dans l’adoption du Protocole en 1989, alors que l’entreprise était à ce moment le premier producteur mondial de CFC.

On trouve de l’autre côté du spectre les entreprises qui s’opposent au renforcement de la réglementation, jugeant qu’elle risque d’entraver leurs activités et leurs perspectives de croissance. Les négociations ayant mené à l’adoption du Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la Convention sur la diversité biologique[46] en 2003 sont d’ailleurs un cas d’étude intéressant, où plusieurs acteurs de l’industrie agricole mondiale se sont opposés à l’adoption de règles strictes à l’égard de la production et du commerce de semences et de cultures génétiquement modifiées, arguant qu’une telle réglementation avait le potentiel de ralentir inutilement leurs activités commerciales.

Se trouvent également sur ce spectre les entreprises qui, préférant l’autorégulation à l’adoption de nouvelles réglementations, décident de se regrouper et d’adopter leurs propres normes, certifications ou codes de conduite, ou d’adhérer volontairement à des standards déjà existants. À titre d’exemple, l’apparition des systèmes de standardisation de bâtiments à haute qualité environnementale, comme le Leadership in Energy and Environmental Design (LEED) en Amérique du Nord (1998), ou encore le standard Haute qualité environnementale en France (HQE) (2004), résulte justement de ces efforts d’autorégulation du secteur privé. Ce genre de pratiques d’autorégulation comporte plusieurs avantages pour les entreprises, dont celui de prévenir une intervention gouvernementale, certes, mais également celui de contribuer à leur image de citoyens corporatifs écoresponsables. Cette pratique n’est toutefois pas sans critique, alors que des voix s’élèvent parfois pour dénoncer l’emploi de stratégies pouvant s’apparenter à de l’« écoblanchiment »[47].

E. Les communautés épistémiques

L’univers des acteurs non étatiques en est un pluriel qui va bien au-delà des ONG et des entreprises. On y trouve plusieurs autres acteurs, dont les communautés épistémiques, qui occupent une place indispensable au sein de la gouvernance environnementale mondiale. Pensons, par exemple, au GIEC qui incarne la figure de proue mondiale en ce qui a trait à l’avancement et à la diffusion des connaissances relatives au climat et aux changements climatiques. Ou encore, on peut penser à la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, un nouvel organisme relevant des Nations Unies créées en 2012, qui visent à apporter les éléments scientifiques aux enjeux de négociations sur la biodiversité. Pensons également aux communautés autochtones qui, riches de leurs savoirs traditionnels appuyés sur une expérience terrain et souvent millénaire, agissent en complémentarité avec la communauté scientifique dans la construction d’une expertise bénéfique à la protection et à la conservation de l’environnement.

En somme, on remarque qu’une myriade d’acteurs participe à la construction et à la mise en oeuvre de la gouvernance environnementale mondiale. Bien que les États y jouent toujours un rôle central, de plus en plus d’OI et d’acteurs non étatiques s’y investissent, participant ainsi à son évolution constante et donc à sa complexité.

V. Gouvernance globale de l’environnement : le cas des changements climatiques

On ne peut parler de gouvernance environnementale mondiale sans aborder l’enjeu des changements climatiques. Cet enjeu transcende maintenant l’ensemble des questions environnementales, principalement en raison des liens d’interrelations et d’interdépendance que partagent l’environnement et les changements climatiques. Les impacts des changements climatiques sur l’environnement sont incontestables et majeurs, comme en témoignent les rapports toujours plus alarmants d’organisations comme la FAO ou le GIEC. D’ailleurs, ce dernier publiait, en 2018, son Rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 oC, lequel avançait qu’un réchauffement planétaire dépassant 1,5 oC augmentait significativement les risques associés à des changements pérennes ou irréversibles pour les écosystèmes et les populations[48].

Depuis plusieurs années déjà, on observe l’impact des changements climatiques sur la biodiversité, mais aussi sur l’économie, la santé et la sécurité des populations. Ce n’est donc pas par hasard que l’on assiste, depuis trois décennies, à l’érection et à la solidification d’un véritable complexe de régimes internationaux sur la question des changements climatiques. Au centre de ce complexe se trouvent la CCNUCC (1994) et son objectif ambitieux de stabiliser les concentrations de GES à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique du climat, ainsi que les protocoles qui en découlent, comme le Protocole de Kyoto (2005) et l’Accord de Paris (2016). Gravite autour de ce noyau un ensemble d’acteurs, d’ententes et d’initiatives qui, tout comme la CCNUCC, participe, mais à des degrés divers, à l’édiction des règles, normes et principes internationaux en matière de climat et de lutte aux changements climatiques[49]. Pensons, par exemple, aux efforts, ententes et mécanismes déployés par les acteurs étatiques (par exemple : accords bilatéraux et multilatéraux) et subétatiques (par exemple : marché du carbone Québec-Californie) ; aux initiatives prises par des OI (par exemple : programmes de renforcement des capacités), des ONG (par exemple : participation aux négociations internationales) et des entreprises (par exemple : standards et normes) ; ou encore aux expertises issues de communautés épistémiques (par exemple : GIEC et communautés autochtones).

En instituant un tel complexe de régimes, la communauté internationale s’est dotée d’outils visant à répondre à la crise climatique mondiale. Bien que certaines initiatives portent leurs fruits, la route vers une réponse adéquate demeure tortueuse, alors que plusieurs défis d’ordre structurel et conjoncturel restent à relever pour y accéder. Ici, on entend par structurels les défis inhérents à la lutte aux changements climatiques. Cette lutte requiert une volonté politique d’agir ; une volonté qui se bute le plus souvent à la complexité de la problématique climatique. On peut notamment penser à la complexité de la science du climat, mais également à celle d’articuler une réponse qui permettra l’atteinte de l’objectif ambitieux porté par le complexe de régimes climatique : celui de limiter le réchauffement planétaire à 2oC, et préférablement à 1,5 oC, avant 2100, alors que les activités anthropiques ont déjà donné lieu à une hausse de 1oC depuis la période préindustrielle.

Cette hausse fait justement écho aux nombreux défis conjoncturels de la lutte aux changements climatiques ; c’est-à-dire aux défis actuels qui sont en pleine évolution. La hausse actuelle des températures est le résultat d’une augmentation soutenue des concentrations des GES dans l’atmosphère depuis le dernier siècle. Cette augmentation s’inscrit dans un contexte épineux où certains acteurs peuvent se désinvestir de la lutte aux changements climatiques – pensons aux hiatus des ÉtatsUnis – et où le financement lui étant destiné est toujours insuffisant. On estime d’ailleurs que l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris nécessitera des investissements supplémentaires annuels de 166 à 322 milliards USD[50]. Ces investissements devront certes viser l’atténuation des émissions de GES, mais aussi répondre au déséquilibre financier actuel en matière d’adaptation aux impacts des changements climatiques des communautés, particulièrement les plus vulnérables. L’enjeu des changements climatiques en est donc un qui transcende les questions environnementales et qui, conséquemment, occupe une place prioritaire dans l’agenda de la gouvernance mondiale de l’environnement. Tout comme ce dernier, la lutte aux changements climatiques promet d’être un enjeu qui ne cessera d’évoluer et qui brillera toujours par sa complexité.

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Depuis plus de 50 ans maintenant, États, organisations internationales, organisations non gouvernementales, société civile, entreprises et communautés épistémiques du monde entier participent, quoiqu’à des degrés divers, à la protection de l’environnement, constituant ainsi une véritable gouvernance mondiale – éclatée et polycentrée – de l’environnement. La construction de cette gouvernance à niveaux et à acteurs multiples répond, en quelque sorte, à la nature intermestique[51] de l’enjeu environnemental, en lequel elle permet de mobiliser une pluralité d’acteurs à tous les niveaux de la gouverne, afin d’offrir une réponse aux crises et menaces guettant actuellement l’environnement.

Cette fragmentation de la gouvernance mondiale de l’environnement pose toutefois certains défis, qui font d’ailleurs l’objet de discussions et de négociations depuis déjà plusieurs décennies au sein de la communauté internationale. En effet, la multiplication des acteurs et des programmes et institutions traitant d’environnement (on compte maintenant plus de trente agences et programmes des Nations Unies abordant cet enjeu), additionnée aux quelque 3500 accords multilatéraux et bilatéraux sur l’environnement actuellement en vigueur à travers le monde[52] mènent inévitablement à un chevauchement des institutions, des normes et des règles, ainsi qu’à un manque de coordination entre les différents acteurs de la gouvernance de l’environnement[53]. Ajoutons à cette complexité l’incapacité inhérente de ce système de gouvernance guidé par le PNUE à contraindre les acteurs – nommément les États – à implanter et respecter leurs engagements en matière d’environnement[54]. En effet, bien qu’agissant à titre de pilier central de la gouvernance environnementale de l’environnement[55], le PNUE, à titre de « simple » programme des Nations Unies, ne dispose ni des pouvoirs lui permettant de prendre des décisions contraignantes à l’égard de ses membres ni de ceux qui lui permettraient de régler des différends ou d’appliquer les dispositions d’un traité lorsqu’elles sont violées.

La communauté internationale s’est pourtant positionnée assez rapidement en faveur du renforcement de la gouvernance mondiale de l’environnement. En effet, dès les années 1990, on assiste aux premières revendications en faveur de la création d’une Organisation des Nations Unies pour l’environnement (ONUE), aux fonctions potentiellement élargies, notamment en matière d’orientation politique, de coordination des activités transversales et de renforcement des capacités des pays en développement[56]. Ultimement, cette idée donnera lieu, en 2007, au Paris Call to Action, un appel appuyé par 46 pays en faveur de la création de l’ONUE selon le modèle de l’OMS[57]. Plusieurs pays, dont l’Arabie Saoudite, la Chine, les États-Unis et la Russie s’y opposeront. Cette idée mourra finalement au feuilleton en 2012, après qu’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies ouvre l’organe directeur du PNUE aux 193 États membres de l’ONU (58 auparavant), réaffirmant et renforçant ainsi la gouvernance et le rôle du PNUE au sein du régime onusien[58].

En regard des nombreux défis auxquels fait actuellement face la gouvernance mondiale de l’environnement, notamment en matière de fragmentation, de complexité et d’incapacité à imposer des contraintes à l’égard des États, force est de constater que le simple renforcement du PNUE effectué en 2013 sera insuffisant pour en arriver à un système de gouvernance capable d’offrir une réponse adéquate à la crise environnementale. Quelles suites donc pour une gouvernance mondiale de l’environnement riche en acteurs et en engagements, mais aux moyens limités ?