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L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) est une agence spécialisée de l’ONU créée en 1945 qui rassemble 193 membres[1]. Elle déploie son action dans cinq grands domaines, soit l’éducation, les sciences exactes, naturelles et sociales, la culture, la communication et l’information. Érigée sur les cendres de la Deuxième Guerre mondiale, l’UNESCO est animée par des buts de paix et de prospérité qu’elle cherche à atteindre en stimulant la coopération entre ses membres dans ses domaines de compétence. Son Acte constitutif, soit la Convention créant une Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, reflète cet idéal en affirmant au premier paragraphe de son préambule que « [l]es guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix »[2].

Dans le secteur de la culture, la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO a permis à l’Organisation d’atteindre une extraordinaire notoriété auprès du grand public. Son travail s’étend cependant bien au-delà de ce système de protection des plus beaux sites du patrimoine culturel et naturel de l’humanité. Il vise plus généralement à protéger le patrimoine sous toutes ses formes, en temps de paix et en temps de guerre, ainsi qu’à favoriser la créativité des individus et des groupes. Trente-cinq instruments juridiques contraignants et non contraignants régissent ou influencent le comportement de ses membres dans ces domaines, auxquels s’ajoutent des dizaines de programmes et d’initiatives liés à des enjeux culturels spécifiques. L’UNESCO constitue notamment un élément moteur de la coopération culturelle, en particulier entre pays développés et en développement.

L’UNESCO incarne donc incontestablement le pilier culturel de la gouvernance mondiale. Son rôle dans la préservation de la diversité culturelle au sein de la société internationale ne découle toutefois pas uniquement des compétences que lui reconnait son acte constitutif. Il est surtout le fruit de plusieurs décennies d’actions et de réflexions menées par l’Organisation pour promouvoir la contribution de la culture au bien-être des sociétés. Pour en rendre compte, il faut d’abord s’intéresser à l’histoire et à la mission de l’UNESCO, ainsi qu’au travail qu’elle a réalisé en vue de faire reconnaitre le lien étroit unissant la culture aux processus de développement. Son action normative dans le secteur de la culture mérite ensuite d’être présentée à travers un survol des grandes conventions culturelles concluent sous son égide. Enfin, quelques réflexions sur l’avenir de la diversité culturelle face à quelques défis du XXIe siècle permettent d’appréhender l’évolution de la compétence culturelle de l’UNESCO au cours des prochaines décennies.

I. Historique, mission et compétence culturelle de l’UNESCO

D’un point de vue historique, la mission de l’UNESCO a d’abord été assumée par la Commission internationale de coopération intellectuelle (CICI), un organe de la Société des Nations (SDN) créé en 1922 dont le mandat consistait à coordonner les travaux et relations scientifiques des États membres. D’abord renforcées par la mise en place de l’Institut internationale de coopération intellectuelle (IICI) en 1926, qui devient alors l’organe exécutif de la CICI, les activités de celle-ci sont ensuite freinées par l’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale. L’UNESCO, mise en place dès la fin de ce conflit international, devient ainsi l’héritière des travaux menés précédemment par l’IICI et le CICI.

Les origines mêmes de l’UNESCO remontent quant à elles à la création de la Conférence des ministres alliés de l’éducation (CMAE) à Londres en 1942. Les ministres du Royaume-Uni, de la Belgique, de la France, de la Grèce, de la Norvège, des Pays-Bas, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie se rassemblent, alors que le conflit bat son plein, pour entreprendre la reconstruction de leurs systèmes éducatifs en prévision de la fin de la guerre. Au cours des années qui suivent, la CMAE s’élargit progressivement et l’idée de créer une organisation permanente à vocation universelle ayant pour mission de promouvoir la coopération internationale en matière éducative et culturelle commence à germer. Le projet se concrétise en 1945 à l’occasion d’une conférence qui débute à Londres le 1er novembre. Rassemblant les représentants de quarante-quatre pays, la conférence se conclut par l’adoption de l’Acte constitutif de l’UNESCO le 16 novembre 1945. Le traité entre en vigueur le 4 novembre 1946, date de sa ratification par un vingtième État, ce qui confère simultanément à la nouvelle Organisation le statut officiel d’agence spécialisée des Nations Unies.

Le préambule de son Acte constitutif évoque particulièrement bien ce contexte historique post-conflit armé dans lequel l’UNESCO voit le jour, ainsi que la mission principale de l’organisation qui consiste à promouvoir une paix « établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité » tel que mentionné au 6e paragraphe de son préambule. La prévention des conflits est ainsi orientée vers la diffusion du savoir au profit de tous et le respect mutuel entre les peuples. L’UNESCO est spécifiquement créée

afin d’atteindre graduellement, par la coopération des nations du monde dans les domaines de l’éducation, de la science et de la culture, les buts de paix internationale et de prospérité commune de l’humanité en vue desquels l’Organisation des Nations Unies a été constituée[3].

L’action de l’UNESCO dans chacun de ces domaines ne se déploie toutefois pas au même rythme. Les premiers efforts de l’Organisation se concentrent surtout dans le domaine de l’éducation, particulièrement sur l’alphabétisation. L’objectif de l’UNESCO est d’assurer un accès universel à une éducation de qualité. De plus, le renforcement des systèmes éducatifs partout dans le monde doit se faire dans le respect du principal fondamental de l’égalité promu par l’Organisation. Dans le domaine des sciences naturelles, sociales et humaines, l’UNESCO déploie très tôt une approche novatrice « en faisant prendre en compte les principes écologiques, de l’égalité et l’éthique dans l’activité scientifique »[4]. En ce qui concerne les communications et l’information qui ne font pas partie de son sigle, l’UNESCO y accorde une grande importance en raison du rôle déterminant de ces secteurs sur la libre circulation des idées, un idéal au coeur des préoccupations de l’Organisation dès son entrée en fonction. L’UNESCO crée ainsi des programmes afin d’aider ses membres à adopter des normes internationales favorisant la liberté d’expression et le partage des connaissances.

Enfin, conformément à l’article 1 paragraphe 2 de son Acte constitutif, l’UNESCO doit donner « une impulsion vigoureuse […] à la diffusion de la culture » et aider « au maintien, à l’avancement et à la diffusion du savoir ». Pour y parvenir, l’UNESCO doit « veill[er] à la conservation et protection du patrimoine universel de livres, d’oeuvres d’art et d’autres monuments d’intérêt historique ou scientifique »[5] et

encourag[er] la coopération entre nations dans toutes les branches de l’activité intellectuelle, l’échange international de représentants de l’éducation, de la science et de la culture ainsi que celui de publications, d’oeuvres d’art, de matériel de laboratoire et de toute documentation utile[6].

La « culture » renvoie alors initialement à « l’information historique et à la production artistique », qui ne sont pas encore « explicitement considérées comme une expérience particulariste ayant un contenu spécifique formateur d’identité »[7]. Ce n’est qu’au fil des décennies suivant la création de l’UNESCO que la protection et la promotion de la diversité culturelle dans un objectif de respect des droits humains se concrétisent[8]. Les travaux de l’Organisation visant à faire reconnaitre la contribution de la culture aux processus de développement joueront un rôle déterminant à cet effet.

II. L’UNESCO, la culture et le développement

L’UNESCO se dote à partir des années 1960 d’outils visant à stimuler la coopération culturelle internationale. Ces outils lui permettent dans un premier temps de promouvoir le développement culturel des États, en particulier celui des pays en développement et des nouveaux États issus du mouvement de décolonisation. L’UNESCO déploie ensuite une importante stratégie afin que la culture soit reconnue comme un élément fondamental des processus de développement. L’émergence du concept de « développement durable » dans les années 1980 mène enfin l’Organisation à privilégier une conception multidimensionnelle du développement dans ses instruments juridiques culturels adoptés au tournant des années 2000.

A. Promouvoir le développement culturel

Bien que l’Acte constitutif de l’UNESCO contienne certains éléments fondateurs de la pensée relative au « développement culturel », les objectifs poursuivis par l’Organisation dans ses deux premières décennies d’activités sont plutôt orientés vers d’autres considérations. Ses actions doivent être menées dans « un esprit de mutuelle assistance » et se fonder sur la « solidarité intellectuelle et morale de l’humanité »[9]. À cette fin, l’UNESCO se donne notamment pour mandat

[d’]encourag[er] la coopération entre nations dans toutes les branches de l’activité intellectuelle, l’échange international de représentants de l’éducation, de la science et de la culture ainsi que celui de publications, d’oeuvres d’art, de matériel de laboratoire et de toute documentation utile[10].

De cet idéal de coopération pour le maintien de la paix et de la sécurité internationale naissent les premières initiatives de l’UNESCO en matière de coopération culturelle.

Dès les années 1950, l’UNESCO commence à questionner la vision strictement économique du développement. Elle formule l’idée « d’une modernisation équilibrée qui préserve l’originalité [des] valeurs culturelles et sociales »[11]. Le souci de la diversité culturelle paraît devoir être pris en compte dans les mesures visant à soutenir l’industrialisation et fournir une assistance technique[12]. Cette prise de conscience se concrétise quelques années plus tard par la formulation de onze principes visant à guider l’action des États en matière de coopération culturelle, consignés dans la Déclaration des principes pour la coopération culturelle de 1966. Cet instrument insiste d’abord sur « le droit et le devoir » de tout peuple de « développer sa culture »[13] et elle soutient l’idée que la coopération culturelle doit s’exercer « au bénéfice mutuel de toutes les nations qui la pratiquent »[14]. La Déclaration pose en outre le principe d’un « développement parallèle et, autant que possible, simultané de la culture dans ses divers domaines, afin que s’établisse un harmonieux équilibre entre le progrès technique et l’élévation intellectuelle et morale de l’humanité »[15]. Les buts premiers de l’UNESCO visant « la diffusion de la culture et l’éducation de tous en vue de la justice, de la liberté et de la paix »[16] sont réaffirmés, mais les principes de la Déclaration de 1966 insistent davantage sur l’importance de respecter l’originalité de chacune des cultures[17].

Ce n’est toutefois qu’à partir des années 1970 que l’UNESCO associe plus formellement la culture au développement, bien que cette association ne soit pas explicitement reconnue et réalisée dans les instruments juridiques adoptés au cours de cette décennie. C’est tout de même au cours de cette période que l’UNESO commence à associer « l’épanouissement culturel au développement et au bien-être d’un pays tout entier » et qu’elle énonce de manière explicite « le besoin de soutenir matériellement le développement culturel »[18]. Pour les États nouvellement souverains, « la culture représent[e] le seul moyen possible pour une voie autonome vers le progrès qui serait à la fois libératrice sur le plan politique et facteur d’autonomisation sur le plan économique »[19]. La promotion de l’identifié culturelle dans le cadre d’une stratégie globale de développement devient ainsi l’un des grands objectifs poursuivis par l’UNESCO[20].

B. Mettre la culture au coeur des processus de développement

Un changement d’approche concernant la reconnaissance du lien entre la culture et le développement intervient au début des années 1980. Délaissant progressivement la première conception de ce lien centrée sur la notion de « développement culturel », l’UNESCO cherche davantage à mettre en valeur la contribution de la culture au développement. L’adoption en 1982 de la Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles[21] marque l’aboutissement de cette redéfinition de la relation entre la culture et le développement. D’une part, les membres soutiennent que « [l]a culture constitue une dimension fondamentale du processus de développement »[22]. D’autre part, la Déclaration est le premier instrument juridique de l’UNESCO à contenir une définition de la culture. Selon cette définition :

dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances, et que la culture donne à l’homme la capacité de réflexion sur lui-même. C’est elle qui fait de nous des êtres spécifiquement humains, rationnels, critiques et éthiquement engagés. C’est par elle que nous discernons des valeurs et effectuons des choix. C’est par elle que l’homme s’exprime, prend conscience de lui-même, se reconnaît comme un projet inachevé, remet en question ses propres réalisations, recherche[23].

Ce sont donc tous les « traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs » qui doivent être pris en compte lorsqu’il s’agit d’intégrer la culture dans les politiques de développement ou encore de déployer des actions en matière de coopération culturelle internationale. La Déclaration de Mexico fixe également des principes qui orienteront par la suite le travail de l’UNESCO dans le domaine culturel, premièrement en stipulant que le patrimoine culturel « comprend les oeuvres matérielles et non matérielles »[24] et, deuxièmement, en soutenant que « l’absence, surtout dans les pays en développement, d’industries culturelles nationales peut entraîner dépendance culturelle et aliénation »[25].

La Décennie mondiale pour le développement culturel (1988-1997)[26], lancée conjointement par l’ONU et l’UNESCO, permet d’approfondir les principes formulés dans la Déclaration de Mexico et, ultimement, de rendre indissociables la culture et le développement. Deux des quatre principaux objectifs poursuivis sont en effet de reconnaître la dimension culturelle du développement et d’encourager la coopération culturelle internationale. C’est aussi dans le cadre de cette Décennie qu’est mise en place la Commission mondiale indépendante de la culture et du développement. Présidé par Javier Pérez de Cuéllar, ancien Secrétaire général des Nations Unies, le travail de cette Commission se conclut par la publication du rapport Notre diversité créatrice[27] entièrement consacré aux liens et aux interactions entre la culture et le développement. S’ensuit la Conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles pour le développement, tenue à Stockholm en 1998, dont l’objectif principal pour l’UNESCO consiste à transformer en politiques et en pratiques les idées formulées dans le rapport Notre diversité créatrice. La Conférence de Stockholm va toutefois au-delà de cet objectif, en formulant pour la première fois un principe liant la culture au développement durable des sociétés. Elle ouvre ainsi la porte à l’incorporation du concept de « développement durable » dans les instruments juridiques culturels de l’UNESCO.

C. Relier la culture au développement durable

Les années 1980 marquent en effet l’émergence d’une vision renouvelée du développement, consignée dans la notion de développement durable. Cette notion est définie pour la première fois dans le Rapport Brundtland[28] et progressivement associée à la coexistence de trois piliers : économique, social et environnemental. La culture semble alors absente du discours sur le développement durable ; elle serait tout au plus implicitement rattachée à la dimension sociale de celui-ci. Le travail entrepris au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies, puis approfondi par l’UNESCO et ses membres, permet toutefois d’aller plus loin, d’abord en précisant la place qu’occupe la culture au sein du concept de développement durable, puis en prônant la mise en oeuvre des instruments juridiques culturels dans une perspective de développement durable[29].

Rappelons que peu de temps avant la publication du Rapport Brundtland, la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement affirme que le développement est un processus multidimensionnel et précise que le « processus culturel » évolue parallèlement aux processus économique et social notamment[30]. Il faut toutefois attendre une dizaine d’années pour que soit adoptée par une résolution invitant les Membres « à intensifier leurs efforts pour intégrer les facteurs culturels dans leurs programmes et projets de développement, de manière à assurer un développement durable qui soit pleinement respectueux de la diversité culturelle »[31]. Un lien entre culture et développement durable apparaît alors pour la première fois dans un instrument juridique international.

L’oeuvre de l’UNESCO s’inscrira dans cette continuité, d’abord timidement dans le rapport Notre diversité créatrice, puis de manière explicite dans le Plan d’action sur les politiques culturelles pour le développement annexé au rapport final de la Conférence de Stockholm sur les politiques culturelles de 1998[32]. Au titre du premier principe énoncé dans ce plan d’action, les États stipulent en effet que « [l]e développement durable et l’épanouissement de la culture sont interdépendants ». De plus, le premier objectif qu’ils se fixent est de « [f]aire de la politique culturelle l’un des éléments clés de la stratégie de développement ». À cette fin, il est demandé aux membres de revoir leurs politiques culturelles ou d’en élaborer de nouvelles dans la perspective d’en faire un élément clé du développement endogène et durable des sociétés. Ils doivent en outre favoriser « l’intégration des politiques culturelles dans les politiques de développement, en particulier dans leur articulation avec les politiques sociales et économiques ». Des objectifs en matière de soutien à la créativité et à la participation à la vie culturelle, de sauvegarde du patrimoine tangible et intangible et de promotion de la diversité culturelle et linguistique sont précisés[33].

Ces objectifs ont un impact substantiel sur le contenu des instruments culturels élaborés par l’UNESCO à compter des années 2000. La Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, adoptée en 2001 à l’unanimité des membres de l’UNESCO, affirme que

[l]a diversité culturelle élargit les possibilités de choix offertes à chacun [et qu’]elle est l’une des sources du développement, entendu non seulement en termes de croissance économique, mais aussi comme moyen d’accéder à une existence intellectuelle, affective, morale et spirituelle satisfaisante[34].

La Déclaration soutient également l’idée que « la préservation et la promotion de la diversité culturelle [est] gage d’un développement humain durable »[35].

Élaborée suite à l’adoption de la Déclaration universelle de 2001, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel de 2003[36] contient pour sa part des références explicites au développement durable. Son préambule souligne d’abord « l’importance du patrimoine culturel immatériel, creuset de la diversité culturelle et garant du développement durable »[37]. Mais surtout, la définition même du patrimoine culturel immatériel retenue par la Convention de 2003 incorpore le concept de développement durable pour circonscrire le champ d’application de ce traité. Ainsi,

[a]ux fins de la […] Convention, seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement durable[38].

Bien que certains estiment que « [l]a durabilité, dans ce cas, tient plus de l’idéal, du résultat espéré et d’une estimation normative voulant que la tradition survive »[39], il n’en demeure pas moins que d’un point de vue juridique, le patrimoine culturel immatériel visé par la Convention est uniquement celui qui est conforme au développement durable. Des précisions à ce sujet sont apportées en 2016 lors de la révision des Directives opérationnelles qui mène à l’ajout d’un chapitre consacré au développement durable[40]. Conformément à celui-ci, les Parties doivent s’efforcer

par tous les moyens appropriés, de reconnaître l’importance et de renforcer le rôle du patrimoine culturel immatériel en tant que facteur et garant du développement durable, et d’intégrer pleinement la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel dans leurs plans, politiques et programmes de développement à tous les niveaux[41].

Des directives guident ainsi les Parties vers la mise en oeuvre de la Convention de 2003 de manière à promouvoir un développement social inclusif, un développement économique inclusif, ainsi que la durabilité environnementale, ce qui traduit l’essence des trois piliers classiques du développement durable.

Enfin, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005[42] va encore plus loin dans la reconnaissance du lien entre culture et développement durable. Le concept de durabilité est d’ailleurs une idée phare de la réflexion qui conduit les Membres de l’UNESCO vers l’élaboration de cet instrument juridique culturel[43]. Aussi, dès son préambule, les Parties à la Convention de 2005 affirment que la « diversité culturelle […] est […] un ressort fondamental du développement durable des communautés, des peuples et des nations »[44]. Les objectifs qu’elles se fixent visent, entre autres, à « réaffirmer l’importance du lien entre culture et développement pour tous les pays, en particulier les pays en développement, et d’encourager les actions menées aux plans national et international pour que soit reconnue la véritable valeur de ce lien » et à « reconnaître la nature spécifique des activités, biens et services culturels en tant que porteurs d’identité, de valeurs et de sens »[45]. La Convention de 2005 définit également plusieurs principes pour favoriser la mise en oeuvre des engagements des Parties d’une manière à soutenir leur développement durable. Au titre du Principe 5 par exemple, les Parties reconnaissent que « [l]a culture [est] un des ressorts fondamentaux du développement » et que « les aspects culturels du développement sont aussi importants que ses aspects économiques »[46]. Le Principe 6 précise de son côté que « [l]a protection, la promotion et le maintien de la diversité culturelle sont une condition essentielle pour un développement durable au bénéfice des générations présentes et futures »[47]. Mais au-delà de ces objectifs et principes, la Convention de 2005 engage surtout « [l]es Parties […] à intégrer la culture dans leurs politiques de développement, à tous les niveaux, en vue de créer des conditions propices au développement durable et, dans ce cadre, de favoriser les aspects liés à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles »[48]. Ce faisant, elle est le premier instrument normatif à placer les liens entre la culture et le développement durable au coeur des droits et obligations des Parties.

III. L’action normative de l’UNESCO dans le domaine la culture

Les déclarations et conventions mentionnées ci-dessus font partie des quelque trente-cinq instruments juridiques culturels adoptés par les membres de l’UNESCO dans le secteur de la culture. Bien que chacun de ces instruments apporte une contribution à la préservation de la diversité culturelle, certaines déclarations, recommandations et conventions culturelles jouent un rôle plus important dans l’orientation de l’action des États dans ce domaine tant au niveau national que dans le cadre de leur coopération internationale. La présente section s’y attarde, en distinguant les instruments juridiques dédiés au patrimoine, de ceux qui visent à protéger et à promouvoir la diversité des expressions culturelles.

A. Les instruments juridiques dédiés au patrimoine

Les conventions culturelles de l’UNESCO couvrent diverses formes et catégories de patrimoine. Certaines s’intéressent davantage aux monuments et sites patrimoniaux, alors que d’autres sont plutôt dédiées aux objets, comme par exemple ceux que l’on retrouve dans les musées. Certaines conventions couvrent non seulement le patrimoine culturel matériel, mais aussi le patrimoine culturel immatériel qui se manifeste notamment par les traditions orales, les savoir-faire ou les connaissances détenues par des communautés, groupes ou individus. Enfin, et il s’agit là d’un aspect particulièrement original des normes chapeautées par l’UNESCO, le champ d’application de quelques conventions culturelles englobe des éléments du patrimoine naturel. En ce sens, ces instruments juridiques qui appartiennent au domaine du droit international de la culture participent simultanément à la protection de l’environnement et à la préservation de la biodiversité. En tenant compte du lien étroit unissant la culture et la nature[49], ces instruments suggèrent certaines approches intégrées en matière de protection du patrimoine culturel et naturel, ce qui en fait de véritables instruments de développement durable[50].

Ces instruments participent en outre à la sauvegarde du patrimoine commun de l’humanité, un concept dont les origines se situent hors du champ du droit de la culture, mais qui ne saurait aujourd’hui s’en dissocier[51]. L’idée d’« universalité » du patrimoine est d’ailleurs inscrite au coeur même de l’acte de naissance de l’UNESCO qui fait référence au « patrimoine universel dans le domaine de la culture » et stipule que l’Organisation doit contribuer à l’avancement et à la diffusion du savoir, notamment « en veillant à la conservation et protection du patrimoine universel de livres, d’oeuvres d’art et d’autres monuments d’intérêt historique ou scientifique, et en recommandant aux peuples intéressés des conventions internationales à cet effet »[52]. Cette idée de « patrimoine universel » imprègne plusieurs grands traités du droit international de la culture.

Le premier à en attester est la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé signée à La Haye en 1954[53]. Huit ans après sa création, l’UNESCO se dote en effet de cette première convention d’envergure dans le secteur de la culture qui fait écho aux destructions intentionnelles du patrimoine culturel survenues durant la Deuxième Guerre mondiale[54]. Dans son préambule, les États y affirment que les atteintes portées aux biens culturels, à quelque peuple qu’ils appartiennent, constituent des atteintes au « patrimoine culturel de l’humanité entière », étant donné que chaque peuple apporte sa contribution à la culture mondiale[55]. Sont visés par cette Convention non seulement les monuments historiques et les sites archéologiques, mais aussi les livres, les archives et les collections scientifiques. Les Parties s’engagent à éviter tout acte d’hostilité et de représailles à l’égard de ces biens, lesquels peuvent être munis d’un signe distinctif de nature à faciliter leur identification et leur protection[56].

D’autres grandes conventions de l’UNESCO ont ensuite contribué à l’affermissement de la notion de « patrimoine culturel de l’humanité » et à la protection de celui-ci. La plus connue est sans aucun doute la Convention sur le patrimoine mondial culturel et naturel adoptée en 1972[57]. Dans son préambule, les États y affirment que « [l]a dégradation et la disparition d’un bien de ce patrimoine constitue un appauvrissement néfaste du patrimoine de tous les peuples du monde »[58]. Ils rappellent que l’UNESCO a notamment pour mission de « veill[er] à la conservation et protection du patrimoine universel »[59] et soulignent « que certains biens du patrimoine présentent un intérêt exceptionnel qui nécessite leur préservation en tant qu’élément du patrimoine mondial de l’humanité tout entière »[60]. Sur cette base, la Convention de 1972 établit des obligations nationales et internationales visant à protéger ce patrimoine[61]. Il est clairement établi que l’État sur le territoire duquel se situe le patrimoine est le premier responsable de sa protection. Par conséquent, cet État « s’efforce d’agir à cet effet […] par son propre effort au maximum de ses ressources disponibles »[62]. Cependant, lorsque ces ressources ne suffisent pas, les États parties s’engagement à coopérer pour identifier, protéger, conserver et mettre en valeur le patrimoine ayant une valeur universelle exceptionnelle, et ce, quel que soit le lieu où il est situé[63]. Certes, il est indiqué que la reconnaissance de ce « patrimoine universel pour la protection duquel la communauté internationale tout entière a le devoir de coopérer » doit être pleinement respectueuse de la « souveraineté des États sur le territoire desquels est situé le patrimoine ». Cela doit aussi se faire « sans préjudice des droits réels prévus par la législation nationale » applicable[64], ce qui comprend les « droits de propriété sur le bien ». Il n’en demeure pas moins que cette Convention crée, par le recours à fiction juridique, un patrimoine commun dont la protection incombe aux 193 parties. Ce patrimoine commun est constitué des 1154 biens inscrits sur la liste du patrimoine mondial. Parmi ces biens, 52 sont aussi inscrits sur la liste du patrimoine commun en péril[65], ce qui signifie que leur sauvegarde nécessite de grands travaux pour lesquels une assistance internationale a été demandée[66].

Les conventions de 1954 et de 1972, ainsi que la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels de 1970[67], forment une première génération de grands traités culturels dédiés à la protection du patrimoine culturel en temps de paix et en période de conflits armés. Elles sont essentiellement dédiées au patrimoine « matériel », bien que la conservation de sites, monuments et objets puisse également contribuer à la sauvegarde du patrimoine « vivant » de certaines communautés. Des actions plus immédiates en faveur de cet autre type de patrimoine sont néanmoins initiées suite à l’adoption de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001[68].

Le premier article de cette Déclaration affirme que

la diversité culturelle est, pour le genre humain, aussi nécessaire que l’est la biodiversité dans l’ordre du vivant. En ce sens, elle constitue le patrimoine commun de l’humanité et elle doit être reconnue et affirmée au bénéfice des générations présentes et des générations futures[69].

Il y est précisé que « le patrimoine, sous toutes ses formes, doit être préservé, mis en valeur et transmis aux générations futures »[70]. Or, avant l’adoption de la Déclaration, aucun instrument juridique contraignant élaboré sous l’égide de l’UNESCO ne portait spécifiquement sur les aspects intangibles du patrimoine.

Ce vide juridique est comblé par la Convention de 2003 qui reconnaît l’existence d’un « patrimoine culturel immatériel de l’humanité »[71]. Ce patrimoine renvoie aux « pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire […] que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel »[72]. Les engagements visent à « assurer une meilleure visibilité du patrimoine culturel immatériel, faire prendre davantage conscience de son importance et favoriser le dialogue dans le respect de la diversité culturelle », notamment en établissant « une liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité »[73]. Une deuxième liste vise à identifier le « patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente » et à inciter les États à « prendre les mesures de sauvegarde appropriées »[74]. À nouveau, c’est par le biais d’une fiction juridique que la Convention génère une forme de solidarité internationale, de sorte que les États moins nantis peuvent bénéficier d’une assistance pour sauvegarder les éléments du patrimoine culturel immatériel de l’humanité présents sur leur territoire. Il faut enfin souligner que dans le cadre de leurs activités de sauvegarde, les parties doivent assurer la plus large participation possible des communautés, groupes et individus qui créent, entretiennent et transmettent ce PCI[75]. En plaçant ainsi ces acteurs au coeur des initiatives de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel[76], la Convention de 2003 reflète une évolution importante dans la manière de concevoir l’action des États dans le domaine culturel. Par ailleurs, le patrimoine n’est plus seulement perçu comme un héritage du passé qu’il faut muséifier, mais plutôt comme un vecteur de développement des sociétés qui mérite d’être promu.

Enfin, toujours en matière de protection du patrimoine, l’UNESCO s’est dotée en 2001 d’une Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique[77]. Ce patrimoine, partie intégrante du patrimoine commun de l’humanité[78], est constitué de « toutes les traces d’existence humaine présentant un caractère culturel, historique ou archéologique qui sont immergées, partiellement ou totalement, périodiquement ou en permanence », tels que les sites enfuis au fond des mers, mais aussi les navires, aéronefs ou autres véhicules, y compris leurs cargaisons, et même les restes humains qui s’y trouvent[79]. Cette Convention doit être interprétée et appliquée conformément à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982[80].

B. La Convention sur la diversité des expressions culturelles

La plus récente convention culturelle de l’UNESCO est la Convention sur la diversité des expressions culturelle de 2005[81]. Étant « liée dans sa genèse à un débat politique sur l’interface entre culture et commerce »[82], cette Convention répond à ce qui est perçu comme une dérive du libéralisme, à savoir que

les processus de mondialisation, facilités par l’évolution rapide des technologies de l’information et de la communication, s’ils créent les conditions inédites d’une interaction renforcée entre les cultures, représentent aussi un défi pour la diversité culturelle, notamment au regard des risques de déséquilibres entre pays riches et pays pauvres[83].

En adhérant à ce traité, les Parties reconnaissant la double nature, économique et culturelle, des biens et des services culturels, et réaffirment leur droit souverain de protéger et de promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire ainsi qu’à l’échelle internationale, notamment grâce au déploiement de programmes de coopération pour les pays en développement.

La Convention de 2005 prévoit donc un véritable plan d’action en faveur de la diversité des expressions culturelles qui outrepasse largement les enjeux relatifs aux échanges de biens et de services culturels[84]. Outre une reconnaissance de leur droit souverain de recourir à diverses politiques et mesures de soutien à la diversité des expressions culturelles présentées dans une liste exemplative[85], les Parties sont liées par des obligations de « promotion » au titre desquelles elles s’engagent à créer sur leur territoire un environnement encourageant les individus et groupes sociaux « à créer, produire, diffuser et distribuer leurs propres expressions culturelles et à y avoir accès ». Ce faisant, les Parties doivent tenir compte des besoins particuliers de divers groupes sociaux, « y compris les personnes appartenant aux minorités et les peuples autochtones »[86]. Des obligations de « protection » des « expressions culturelles […] soumises à un risque d’extinction, à une grave menace, ou [qui] nécessitent de quelque façon que ce soit une sauvegarde urgente » incombent également aux Parties[87]. Quant aux engagements en matière de coopération, ils visent d’abord à renforcer les capacités des pays en développement en matière de création, production, diffusion et accès à leurs propres expressions culturelles[88]. Ils visent aussi à favoriser la participation de ces pays aux échanges culturels. Pour atteindre cet objectif, les pays développés s’engagent à offrir un traitement préférentiel aux biens et services culturels des pays en développement, ainsi qu’à leurs artistes et autres professionnels de la culture[89]. Or, de telles préférences visant la mobilité des personnes exigent de la part des pays développés l’allégement des formalités d’entrée sur leur territoire, ce qui constitue dans le contexte mondial actuel un sujet particulièrement sensible.

L’attribution d’un traitement préférentiel, ainsi que plusieurs autres engagements découlant de la Convention de 2005, renvoie par ailleurs à la question de relation entre la culture et le commerce à l’origine de la négociation de cet instrument juridique. Des clauses spécifiquement dédiées aux « relations entre les traités » prônent le soutien mutuel, la complémentarité et la non-subordination entre les instruments concernés, ce qui inclut les accords de commerce[90]. Les Parties s’engagent aussi « à promouvoir les objectifs et principes de la [Convention de 2005] dans d’autres enceintes internationales ». La mise en oeuvre de cette disposition a conduit des Parties à incorporer dans leurs accords de libre-échange des clauses culturelles visant soit à exclure le secteur de la culture du champ d’application de ces traités, soit à moduler leurs engagements afin de préserver leur pouvoir d’intervention en faveur de leurs industries culturelles même dans un contexte d’intégration des économies[91]. À l’heure où les engagements commerciaux des États s’étendent de plus en plus au commerce électronique, le défi des prochaines années portera sur l’incorporation de clauses appropriées en vue de faire reconnaitre la nature spécifique des contenus culturels numériques. Ce type de clauses pourrait par exemple s’avérer nécessaire à la préservation du droit des États de protéger et promouvoir leurs propres expressions culturelles dans l’environnement numérique par l’imposition d’obligations de découvrabilité des contenus nationaux sur les grandes plateformes qui ciblent leur public.

IV. L’UNESCO et la diversité culturelle face aux enjeux du XXIe siècle

Le contexte historique ayant entouré l’adoption de chacune des conventions culturelles de l’UNESCO peut appartenir au passé, mais les menaces qui ont conduit les États à se mobiliser en faveur de ces traités n’ont pas disparu. Des conflits donnent toujours lieu à des destructions intentionnelles de biens culturels, des sites ayant une valeur universelle exceptionnelle continuent de se dégrader, le trafic de biens culturels demeure un marché lucratif, des joyaux du patrimoine culturel subaquatique sont encore pillés, des éléments du patrimoine vivant de l’humanité disparaissent chaque jour silencieusement et des industries culturelles des quatre coins du monde peinent à résister face à la domination exercée par quelques multinationales du divertissement. La résistance à ces phénomènes est cependant de mieux en mieux organisée, notamment grâce à un arsenal de politiques culturelles mises en oeuvre par presque tous les pays de la planète. De telles interventions étatiques semblaient anecdotiques il y a tout juste quelques décennies. De même, des programmes de coopération culturelle se multiplient sous l’impulsion de l’UNESCO, mais aussi d’autres organisations internationales, ainsi que de centaines d’organismes de la société civile. Les réponses jusqu’ici formulées par tous ces acteurs étatiques et non étatiques pour réagir à ces divers phénomènes et menacent qui planent sur la diversité culturelle devront cependant prendre en compte l’évolution des valeurs portées par la société internationale du XXIe siècle et s’adapter aux nouveaux défis auxquels elle est confrontée.

Le développement durable fait partie de ces valeurs. Certes, le concept est issu du siècle dernier, mais les États sont aujourd’hui engagés dans la poursuite du Programme de développement durable à l’horizon 2030 adopté en 2015 par l’Assemblée générale des Nations Unies[92]. Or, aucun des dix-sept Objectifs de développement durable (ODD) qui en découlent n’est entièrement dédié à la culture[93]. L’UNESCO considère tout de même cet Agenda 2030 comme une avancée significative

puisque c’est la première fois que l’agenda international pour le développement se réfère à la culture dans le cadre des objectifs de développement durable relatifs à l’éducation, la sécurité alimentaire, l’environnement, la croissance économique, la consommation durable, les modes de production, les sociétés pacifiques et inclusives et les villes durables[94].

L’Organisation entend donc jouer un rôle clé dans l’atteinte des ODD fixés par l’Agenda 2030, notamment « à travers l’opérationnalisation de ses Conventions en matière de patrimoine culturel et naturel, et d’industries culturelles et créatives »[95]. Cette détermination de l’UNESCO pourrait cependant ne pas suffire à faire entrer la culture dans les plans de développement durable de tous les États. Pour y parvenir, une reconnaissance plus explicite du lien entre culture et développement durable devra émerger du programme de développement durable post-2030 et les efforts déployés par l’UNESCO en ce sens pourraient s’avérer déterminants.

Une autre valeur qui caractérise la société internationale contemporaine est le respect et la promotion des droits des peuples autochtones. À cet égard, il faut d’abord souligner les avancées réalisées par l’UNESCO dans le domaine du patrimoine. D’une part, la Politique de l’UNESCO sur l’engagement auprès des peuples autochtones de 2018 a donné lieu à des modifications des Orientations de la Convention de 1972 qui guident les Parties dans la mise en oeuvre de leurs engagements. De multiples références aux peuples autochtones et au rôle qu’ils doivent jouer dans la protection du patrimoine mondial ont en effet été ajoutées. D’autre part, la Convention de 2003 a été élaborée de manière à favoriser la participation des communautés, ce qui inclut les peuples autochtones, à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Bien que ces instruments juridiques demeurent encore largement perfectibles, il ne fait aucun doute que depuis quelques années, l’UNESCO pose des gestes favorables au respect des droits des peuples autochtones. Cependant, ce sujet demeure peu présent dans les travaux menés par les Parties à la Convention de 2005. Or, il parait souhaitable que les expressions culturelles autochtones occupent une place plus importante dans le paysage culturel de nombreux États, de même que dans les échanges qui nourrissent la diversité culturelle à l’échelle internationale. Pour y parvenir, les outils permettant aux peuples autochtones de créer, produire, diffuser et rendre accessibles leurs propres expressions culturelles doivent être développés. Des efforts en la matière semblent même requis dans le contexte des processus de réconciliation qui ont cours sur de nombreux territoires, y compris au Québec et au Canada. Ils sont aussi nécessaires à l’atteinte des ODD à l’horizon 2030.

Il semble par ailleurs inconcevable d’aspirer au développement durable sans prendre en compte les changements climatiques qui constituent la plus grande menace au maintien de la paix et de la sécurité internationale. Les effets dévastateurs du dérèglement climatique qui se manifestent déjà de multiples manières n’épargnent d’ailleurs pas le patrimoine culturel et naturel protégé par les conventions culturelles de l’UNESCO. À cet égard, des actions sont déjà entreprises par l’Organisation. Cependant, c’est une véritable coopération entre cette organisation et les acteurs de la gouvernance mondiale du climat qui doit être déployée. Cette coopération serait non seulement bénéfique pour la protection du patrimoine, mais permettrait en outre de recourir à celui-ci – en particulier à certaines formes de pratiques culturelles et de savoirs traditionnels – pour lutter contre les changements climatiques[96]. L’impact des industries culturelles et créatives sur les émissions de gaz à effet de serre est un autre enjeu sur lequel l’UNESCO pourrait devoir se pencher ces prochaines années. L’empreinte écologique de ces industries n’est certes pas une préoccupation entièrement nouvelle, mais le virage numérique opéré par celles-ci, combiné aux nouveaux usages qui se sont développés de la part des publics, suscitent des préoccupations d’un nouvel ordre. En outre, la contribution des appareils électroniques – écrans, tablettes, téléphones, liseuses – dont la durée de vie est particulièrement courte, génèrent de plus en plus de déchets toxiques et de GES. La prise en compte de cette réalité mérite d’être au coeur des stratégies visant à relier la culture au développement durable des sociétés. Les industries culturelles et créatives devront ainsi être considérées dans le déploiement de plans visant à contrôler les émissions de GES. Les politiques culturelles des États devront également intégrer cette nouvelle réalité, par exemple en créant les incitatifs nécessaires pour que les industries concernées réduisent leur propre empreinte écologique.

Enfin, la montée en puissance de l’intelligence artificielle (IA) dans toutes les sphères de l’activité humaine est un sujet qui préoccupe déjà l’UNESCO. En ce qui concerne plus spécifiquement le domaine culturel, l’IA est à la fois source d’opportunités et de défis : comme toute technologique, elle peut être mise au service de la diversité culturelle, ou inversement exercer une pression considérable sur la celleci. Conscients de cette réalité, plusieurs États explorent déjà les avenues qui s’offrent à eux afin de limiter les impacts potentiellement négatifs du recours à l’IA dans le domaine de la culture. Par exemple, l’utilisation de l’IA pour réaliser un profilage des goûts et habitudes des utilisateurs de plateformes en vue de recommander, ou même de créer, des contenus culturels similaires est une pratique potentiellement dommageable pour la diversité des expressions culturelles et il y a lieu de s’interroger sur des règles qui pourraient être élaborées pour éviter cette homogénéisation de l’offre culturelle. D’autre part, il faut que ce type de réflexion outrepasse la sphère proprement culturelle pour que les objectifs de préservation de la diversité culturelle soient pleinement pris en compte dans toutes les initiatives visant à encadrer le recours à l’IA. À cet égard, l'adoption par la Conférence générale de l’UNESCO de 2021 d'une Recommandation sur l’éthique de l’IA conduira l’organisation à jouer un rôle important dans ce domaine. En fournissant un cadre éthique complet et détaillé, la Recommandation permettra notamment à l'UNESCO d'aider les États membres et d'autres parties prenantes à développer leurs capacités en matière d'encadrement du recours à cette technologie dans les décennies à venir.

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L’UNESCO n’est pas la seule organisation internationale à oeuvrer en faveur de la diversité culturelle. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) ou encore l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) sont deux exemples d’autres organisations qui jouent un rôle substantiel en la matière. Par ailleurs, des organisations spécialisées dans d’autres domaines, comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), paraissent de plus en plus sensibles à la nécessité de prendre en compte la diversité culturelle dans l’exercice de leurs compétences. Enfin, il existe aux côtés des organisations intergouvernementales des organisations non gouvernementales qui se dédient entièrement à la préservation de la diversité culturelle, souvent en collaboration avec l’UNESCO. Le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS) illustre parfaitement ce cas de figure.

L’action de tous ces acteurs ne saurait toutefois remplacer le rôle moteur joué par l’UNESCO pour rassembler l’ensemble de la communauté internationale autour de l’objectif de protection de la diversité culturelle en tant que patrimoine commun de l’humanité. Bien qu’initialement destiné au maintien de la paix et à la prévention des conflits, deux objectifs qui demeurent hautement pertinents au XXIe siècle, le travail de l’UNESCO dans le domaine de la culture s’étend aujourd’hui bien au-delà. Il vise en outre à humaniser la mondialisation et à recourir à la culture pour favoriser le bien-être des peuples. Il intègre aussi depuis quelques années les enjeux du numérique et de l’IA. Bien entrée dans la modernité, l’UNESCO demeurera pour toutes ces raisons une organisation cruciale pour que la diversité culturelle continue d’enrichir notre monde.