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Le développement est un concept quasi absent de la Charte des Nations Unies (Charte)[1] et il était pour le moins difficile d’imaginer ou prévoir que près de 75 ans après la création de l’Organisation des Nations Unies et l’essor du système onusien, ce concept puisse être désormais au coeur du développement normatif et institutionnel de l’ONU. Pourtant, c’est bien le cas. Avec les enjeux liés à la paix et la sécurité internationales, le développement est devenu une problématique centrale ayant un effet structurant majeur sur l’évolution du système onusien. Bref, on assiste depuis les années 1960 à un véritable repositionnement du système autour du concept de développement; voire même spécifiquement du concept de développement durable depuis l’adoption de l’Agenda 2030.

Si certains ont pu voir dans l’élaboration du programme des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) en 2000 et celui des Objectifs du développement durable (ODD) en 2015 de nouvelles « chartes internationales pour le développement », il convient de faire preuve de nuance et de modération à l’aune de la nature et de la portée juridique de ces programmes. Ces deux programmes, qui seront analysés plus spécifiquement en l’espèce, sont intimement liés à ce qu’est, et ce qui restera pour encore plusieurs années, l’ONU et ses institutions spécialisées, c’est-à-dire un réseau d’organisations internationales grandement limitées sur le plan des moyens matériels et juridiques d’action. Comme d’autres auteur.es l’ont souligné dans cet ouvrage, l’ONU est une organisation fondée sur des principes fondamentaux du droit international comme l’égalité souveraine des États, le principe de non-intervention dans les affaires internes des États membres, les principes de bonne foi et de coopération, l’obligation de régler pacifiquement les différends, l’interdiction du recours à la force, etc. De tels principes ont une incidence sur le système des Nations Unies et influencent la façon dont elle élabore ses diverses stratégies de développement. Stratégies reposant évidemment sur la mobilisation du système onusien dans son ensemble, mais aussi, et surtout, sur d’autres acteurs étatiques (États membres) et non étatiques (organisation internationale (OI), société transnationale (STN) et organisation non gouvernementale (ONG)) incontournables pour la mise en oeuvre de ses programmes.

Ce chapitre est l’occasion de nous questionner très largement sur la nature et la portée du modèle onusien de développement et déterminer, plus spécifiquement, si les deux plus récentes stratégies de développement adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2000 et 2015 constituent véritablement de « nouvelles chartes internationales du développement »; ou un véritable changement de paradigme en matière de développement? Sans nier l’importance des changements, des évolutions et des transformations insufflées par ces deux programmes dans les vingt dernières années, notre hypothèse est que toute stratégie onusienne de développement, présente ou future, reste intimement et profondément liée à la structure même du système et qu’aucune stratégie de développement ne pourra réellement constituer un changement de paradigme majeur tant et aussi longtemps que l’ONU elle-même ne fera pas l’objet d’une réforme majeure susceptible de modifier sa structure, son fonctionnement, ses moyens, ses compétences et ses pouvoirs. Bref, la contribution de l’ONU au développement est intrinsèquement limitée par le cadre normatif, financier et institutionnel dans lequel l’ONU se retrouve.

En l’espèce, nous analyserons les deux plus récentes stratégies déployées par l’ONU en deux temps. Dans un premier temps, nous analyserons la genèse des OMD et des ODD. Ce sera l’occasion de situer ces deux stratégies par rapport à la Charte des Nations Unies et surtout, par rapport aux précédentes stratégies élaborées entre 1960 et 2000 (Décennie des Nations Unies pour le développement (1961); Stratégie internationale du développement pour la deuxième Décennie des Nations Unies pour le développement (1970); Stratégie internationale du développement pour la troisième Décennie des Nations Unies pour le développement (1980) Stratégie internationale du développement pour la quatrième décennie des Nations Unies pour le développement (1990)) afin de mesurer la spécificité des OMD et des ODD au sein de ce continuum. Dans un deuxième temps, nous allons aborder les enjeux liés au suivi, au monitoring et au financement des programmes onusiens de développement.

Bien que les stratégies onusiennes relèvent pour l’essentiel de la soft law, des mécanismes de suivi ou de monitoring ont permis politiquement à l’Organisation de mesurer les avancées ou les reculs des États membres quant à l’atteinte des différents objectifs, cibles et indicateurs. En ce qui concerne le financement des stratégies, l’ONU bénéficie de très peu de ressources matérielles. Un nombre limité de fonctionnaires et un budget annuel d’un peu plus de 2 à 3 milliards de dollars US. Partant de l’évaluation faite à Addis Abeda en 2015 (Programme d’action d’Addis-Abeba), où l’on estimait que l’Agenda 2030 impliquait un financement global de l’ordre de 3000 milliards de dollars US sur 15 ans, on comprend rapidement que l’enjeu du financement du développement est un enjeu central. Conceptualisée sous l’angle de l’établissement d’un « partenariat mondial pour le développement » (OMD 8 et ODD 17), l’ONU est contrainte à bien des égards de jouer un simple effet de levier en matière de financement; les ressources nationales des États et les flux d’investissements directs étrangers constituant encore les principaux vecteurs de financement.

I. Genèse des OMD et des ODD dans le système onusien

On ne peut comprendre et apprécier le contenu des stratégies contemporaines de développements issues des OMD (2000-2015) et l’Agenda 2030 (2015-2030) si on n’analyse pas ces deux programmes à la lumière des évolutions normatives et institutionnelles ayant marqué l’Organisation des Nations Unies depuis sa création en 1945. Bref, avant d’analyser le contenu des OMD et des ODD, tant sur les plans politique que juridique, il nous semble utile d’analyser le paradigme onusien de développement à la lumière de ses évolutions normatives et institutionnelles.

A. Le paradigme onusien de développement à la lumière de ses évolutions normatives et institutionnelles

L’élaboration des OMD et des ODD s’inscrit dans le prolongement des quatre grandes stratégies onusiennes adoptées entre 1960 et 2000. Cela dit, si le cadre juridique établit par la Charte est resté fondamentalement le même, force est d’admettre que l’on a néanmoins assisté à des changements notoires tant sur les plans normatifs et qu’institutionnels. Sur le plan normatif, le contenu des stratégies, leur finalité et les acteurs impliqués, ont largement évolué pour finalement aboutir, avec l’Agenda 2030, à une stratégie globale et intégrée autour du concept de développement durable. Aussi, avant de nous pencher sur le contenu des OMD et des ODD, il convient de retracer sommairement l’évolution du cadre normatif et institutionnel depuis l’adoption de la Charte des Nations Unies en 1945.

En matière de développement, la Charte contient quelques dispositions clés qui ont permis d’orienter depuis les années 1960 l’action des Nations Unies sur le plan institutionnel. C’est le cas notamment du Préambule, des articles 13, 55, 56 et 62 de la Charte. D’abord, le Préambule prévoit que les Peuples des Nations Unies sont résolus à « favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande » et qu’à cette fin les Membres de l’Organisation sont appelés à « recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de tous les peuples »[2]. De plus, même si le concept ne figure explicitement que dans une seule disposition, l’idéologie du développement est déjà implicitement présente dans la Charte des Nations Unies, particulièrement aux articles 55 et 56 :

Article 55

En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront :

a. le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l'ordre économique et social;
b. la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l'éducation;
c. le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion[3].

Article 56

Les Membres s'engagent, en vue d'atteindre les buts énoncés à l'Article 55, à agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l'Organisation[4].

Se fondant sur l’article 55, l’ONU a considéré dans sa pratique que le sous-développement était un problème économique international dont elle avait la mission de résoudre grâce à la coopération. C’est donc sur la base d’un corpus normatif bien mince que l’ONU s’est lancée à partir des années 1960 dans l’élaboration de stratégies internationales de développement. Sur le plan institutionnel, les articles 13 et 62 sont particulièrement importants dans la mesure où ils viennent définir les compétences respectives de l’Assemblée générale et du Conseil économique et social en matière de développement. À la lumière de ces deux dispositions, l’Assemblée générale (AG) et le Conseil économique et social (ECOSOC) se voient attribuer des fonctions relativement similaires en matière de développement.

En définitive, les deux organes peuvent provoquer des études, adresser des recommandations, préparer des projets de convention ou encore convoquer des conférences internationales sur le développement. L’histoire de la pratique et de l’idéologie du développement à l’ONU, de 1960 à aujourd’hui, confirme par ailleurs la volonté manifeste de ces mêmes organes principaux d’institutionnaliser de manière plus substantielle la question du développement par la création successive et progressive d’organes subsidiaires, de programmes et de fonds spécialisés, d’instituts de recherche et de formation et autres organismes ayant des compétences et une expertise en développement. En pratique, ces organes ont été placés sous supervision de l’AG et de l’ECOSOC. De même, au sein du système onusien, l’ONU a coordonné l’action de ses institutions spécialisées et des organisations apparentées afin de remplir son mandat et d’exercer pleinement ses compétences en matière de développement. C’est donc, pour l’essentiel, sur la base de ces quelques dispositions conventionnelles que la pratique et l’idéologie du développement prendront progressivement forme à l’ONU et que le concept de développement évoluera pour devenir le concept pluridimensionnel qu’il est aujourd’hui à l’aune des OMD et ODD. Encore faut-il se souvenir de nos propos introductifs, depuis sa création l’ONU n’a jamais eu une compétence exclusive en matière de développement. Il s’agit d’une compétence partagée avec celle des États membres et ce sont ces derniers, au final, qui possèdent réellement les moyens matériels et juridiques d’action pour se positionner et mettre en oeuvre lesdites stratégies.

B. Le contenu des stratégies onusiennes à l’ère des OMD et ODD

L’objet central de ce chapitre étant le programme des OMD et celui des ODD, nous n’allons pas développer outre mesure sur les quatre premières stratégies onusiennes, mais il convient néanmoins de résumer, dans ses grandes lignes, les éléments centraux transcendant chacune des quatre décennies internationales pour le développement. C’est en partie en rupture avec ces quatre premiers programmes que les OMD et ODD seront conceptualisés à partir de 2000.

Les quatre décennies des Nations Unies pour le développement – À l’exception de l’Agenda 2030, toutes les stratégies onusiennes de développement ont été élaborées, entre 1960 et 2015, en ayant comme finalité de répondre exclusivement aux enjeux du sous-développement, donc d’améliorer les conditions de vie des populations dites du Tiers monde. C’est effectivement dans un contexte de décolonisation que la première décennie internationale pour le développement a été adoptée par l’Assemblée générale et, depuis, l’idéologie du développement a toujours été intimement liée à la summa divisio qui s’est opérée, d’un côté, entre les États membres dits développés et, de l’autre, les États membres dits en développement. Cette division, beaucoup moins présente dans l’Agenda 2030, même si elle n’est pas complètement effacée, a marqué profondément l’action de l’ONU dans ce domaine. Sur ce plan, nous partageons le point de vue du professeur Georges A. LeBel :

Les thèses sur le développement postulent souvent que les pays moins développés devront passer par toutes les phases du développement industriel capitaliste pour arriver au même stade de développement économique que les société occidentales avec les mêmes modèles de production et de consommation, mais sans les guerres, l’esclavage, l’exploitation des travailleurs, le pillage des ressources naturelles locales ou des colonies et les dommages à l’environnement qui ont caractérisé le mode de développement historique de l’Occident. Dans ce contexte c’est un peu comme si l’on concevait les sociétés occidentales comme occupant une position toujours plus élevée sur les sommets du développement et que les pays moins développés devaient en quelque sorte refaire le même chemin pour atteindre le même plateau [...]. Cette conception qui fait du capitalisme occidental et de son mode de consommation le modèle à atteindre est évidemment contestée tant sur le plan écologique que social[5].

Autre constante qui s’est exprimée dans les quatre premières stratégies de l’ONU, c’est la place prépondérante de la croissance économique comme enjeu central du développement. Véritable moteur du développement pour la très vaste majorité des États membres, sinon la totalité, tous les modèles onusiens élaborés jusqu’à aujourd’hui sont des modèles axés sur la croissance économique et postulent, incidemment, son caractère vertueux en matière de développement. Contrairement aux thèses avancées par plusieurs auteurs contemporains, notamment ceux et celles abordant cette question sous l’angle de la théorie de la décroissance. Autrement dit, pour l’AG, il ne peut y avoir de développement sans croissance économique. Si les objectifs spécifiques en termes de taux de croissance ont pu changer d’une décennie à l’autre, par exemple, ils étaient de 5 % du PNB pour la première décennie, de 6 % du PNB pour la seconde, de 7 % du PIB pour la troisième, la croissance économique constitue un impératif catégorique en matière de développement.

Une analyse comparative des quatre premiers programmes démontre par ailleurs un élargissement progressif du concept de développement entre 1960 et 2000. Concept éminemment, voire exclusivement, économique au tournant des années 1950 et 1960, le concept s’est progressivement élargi pour être conceptualisé comme un concept pluridimensionnel. À ce sujet, la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement de 1986 donne une définition encore d’actualité du développement :

[…] le développement est un processus global, économique, social, culturel et politique, qui vise à améliorer sans cesse le bien-être de l'ensemble de la population et de tous les individus, sur la base de leur participation active, libre et significative au développement et au partage équitable des bienfaits qui en découlent[6].

Concept pluridimensionnel donc, le développement a fini par englober un nombre de plus en plus élevé de questions ou problématiques. Questions et problématiques bien connues des idéologues et praticiens du développement : lutte contre la pauvreté et la faim, industrialisation, éducation et formation professionnelle, respect des droits fondamentaux, particulièrement les droits économiques, sociaux et culturels, développement des infrastructures, aide publique au développement, commerce international et investissements, protection de l’environnement, transfert de technologie, etc. Bref, une série de thématiques et sujets qui sont progressivement devenus indissociables du développement et qui ont fait l’objet d’une systématisation importante dans le cadre des OMD, mais surtout des ODD.

Enfin, dernier élément que nous aimerions souligner par rapport aux premières stratégies des années 1960 à 2000, c’est le constat d’échec accolé à tous ces programmes, constat auquel l’Organisation elle-même est arrivée au terme de chacune des décennies internationales pour le développement[7]. Les causes de ces échecs répétés sont nombreuses et varient forcément d’une décennie à l’autre : crise de la dette, politiques discriminatoires, chocs pétroliers, exode des cerveaux, dévaluation du dollar américain, non-respect des volontés politiques du Tiers-monde, guerre froide, crises politiques, conflits armés, exploitation capitaliste des populations les plus pauvres, mono-industrialisation, répartition inéquitable de la richesse et du pouvoir au sein de la société internationale, nature anarchique de la société internationale, égoïsme des grandes puissances, etc. Bref, le diagnostic n’est pas toujours facile à poser et nous allons nous garder d’élaborer davantage sur les causes possibles de ces échecs. En l’espèce, nous retiendrons que c’est dans un contexte d’échecs systématiques ou de crise du développement à l’ONU que les OMD et les ODD seront élaborés et adoptés. Apportant avec eux un lot de nouvelles promesses en matière de développement…

Formulation des OMD – Si on parle volontiers d’échec du paradigme ou du modèle onusien de développement au sortir des années 1990, force est d’admettre qu’au-delà des échecs, les vestiges des quatre premières stratégies sont non négligeables. Sur le plan institutionnel, plusieurs organes possédant une expertise en développement seront créés[8]. Sur le plan normatif, de nouvelles branches du droit (Par exemple : droit du développement et droit au développement) connaîtront un certain essor. Encore que le droit du développement semble aujourd’hui constituer une impasse sur le plan normatif et que le droit au développement reste un droit très peu reconnu sur le plan du droit positif; la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples étant, à notre connaissance, le seul traité international ayant formalisé ce droit et à lui assurer une certaine positivité et effectivité sur le plan juridique[9]. Bref, si l’ONU a souhaité rompre avec le constat d’échec et regagner en légitimité et en crédibilité, elle a pu s’appuyer ou « capitaliser » sur quarante ans de pratique dans ce domaine.

En lieu et place d’une cinquième Décennie des Nations Unies pour le développement, l’Organisation des Nations Unies a choisi de fixer, lors du Sommet du Millénaire, des objectifs en matière de développement pour une période de 15 ans (2000-2015). Rompant ainsi avec les traditionnelles « décennies » pour le développement. Au terme du Sommet de New York en 2000, la Déclaration du Millénaire réaffirme que le développement constitue un objectif fondamental de l’Organisation et des États membres. Un tel engagement reste toutefois qu’un engagement politique. La partie III de la Déclaration, qui porte sur le développement et l’élimination de la pauvreté, comprend ainsi une série de huit objectifs généraux que les États s’engagent politiquement à atteindre d’ici 2015. Forcément réducteurs au regard des quatre stratégies antérieures (beaucoup plus détaillées et directives quant aux moyens et méthodes), les objectifs ainsi formulés par l’AG sont au nombre de huit et peuvent être schématisés de la manière suivante :

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Pour l’ONU, les OMD s’inscrivent dans l’esprit de réforme qui souffle depuis le milieu des années quatre-vingt-dix sur l’organisation et par lequel l’ONU tente de réactualiser sa mission et assurer la centralité de son rôle dans les domaines relevant de ses compétences.

En vue d’exercer un suivi efficace sur les OMD, un Groupe d’experts du Secrétariat de l’ONU, du Fonds monétaire international (FMI), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la Banque mondiale a été créé et a adopté en 2001 un Plan de campagne pour la mise en oeuvre de la Déclaration du Millénaire des Nations Unies par lequel une série de 18 cibles et de 48 indicateurs en lien avec les 8 objectifs consolidés ont identifiés. Ce plan répondait à une invitation de l’AG qui souhaitait, dans le prolongement de la Déclaration du Millénaire, que l’ONU mette rapidement et efficacement en place une structure pour le monitoring des OMD. En 2007, ce mécanisme de suivi a été modifié pour inclure quatre nouvelles cibles adoptées par les États membres lors du Sommet mondial de 2005. Il comprenait également de nouveaux indicateurs permettant de suivre la réalisation de ces nouvelles cibles. Dans sa version consolidée au 15 janvier 2008, tel que publié par le Département des Statistiques et le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, le schéma des OMD comptait en définitive 8 objectifs, 21 cibles et 60 indicateurs[10]. Jusqu’en 2015, c’est ce modèle qui a orienté l’action de l’ONU et des États membres, et ce, jusqu’à l’adoption de l’Agenda 2030.

Formulation des ODD – La formulation des ODD s’est faite à l’occasion des 70 ans de l’Organisation. Intitulé Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030, ce programme constitue le document de base dans lequel les ODD ont été formulés[11]. On y retrouve la liste des 17 objectifs du développement durable, ainsi que les 169 cibles identifiées en lien avec les divers objectifs. En l’espèce, il n’est pas possible de reprendre les 169 cibles, mais il est certainement utile, à tout le moins, de reprendre les 17 objectifs fixés par l’Assemblée générale des Nations unies puisqu’ils sont désormais au coeur de l’actuelle stratégie onusienne de développement et en constitue sa matrice :

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Contrairement au programme des OMD, l’AG a identifié dès le départ les 169 cibles associées aux objectifs. Il faudra toutefois attendre quelques mois avant que ne soient adoptés, de manière complémentaire, les 244 indicateurs statistiques permettant de peaufiner le programme. C’est en effet le 11 mars 2016 que le groupe d’experts mandaté à ce titre publiera les indicateurs onusiens du développement durable[12]. À bien des égards, même si l’ONU a voulu poursuivre en partie sur le modèle des OMD, l’Agenda 2030 comporte des éléments d’originalité qui permettent de distinguer ce programme des programmes antérieurs.

Premièrement, la portée du programme n’est pas la même. Alors que les programmes antérieurs étaient centrés exclusivement sur les pays dits « en développement », le programme des ODD est un programme universel qui concerne l’ensemble des États membres. Dans une certaine mesure, on pourrait considérer que ce programme « nivelle » l’ensemble des États membres puisqu’au regard de ce programme tous les États sont désormais des États « en développement durable ». Certes, au sein du programme, on retrouve des cibles et indicateurs formulés spécifiquement pour les pays en développement et les moins avancés (ces cibles sont généralement identifiées in fine après la liste générale – c’est le cas par exemple des cibles 1a et 1b, 2a à 2c, 3a à 3d, etc.), mais cet aspect est moins probant. Deuxièmement, le programme des ODD comprend une orientation qualitative que n’avaient pas nécessairement les programmes antérieurs. En effet, pendant des décennies, l’ONU a eu tendance à fixer de manière assez neutre des objectifs et des priorités dans ses programmes, tout en laissant entièrement aux États membres, conformément à ses buts et principes principe d’ailleurs, le soin de choisir librement leur paradigme de référence. En formulant les ODD, les Nations Unies vont, à nos yeux, un peu plus loin que par le passé et tentent plus explicitement d’orienter, dans une stratégie intégrée, la pratique des États membres vers le développement durable. Troisièmement, et cela fera partie de nos développements dans la section suivante, le programme des ODD se distingue des stratégies précédentes en raison de l’approfondissement des mécanismes de suivi ou de monitoring, de même que la stratégie de financement présente dans le programme des OMD. Comme nous le verrons, le programme des ODD mobilise d’un point de vue institutionnel et interinstitutionnel un nombre très impressionnant d’acteurs et met en place des mécanismes de suivi novateurs, comme c’est le cas par exemple avec les « examens nationaux volontaires »[13]. Contrairement aux stratégies précédentes dont le coût était plus ou moins indéterminé, l’ONU estime que l’atteinte des ODD implique de mobiliser une somme approximative de 2500 à 3000 milliards de dollars US sur une période de 15 ans[14]. Même en mobilisant tout le budget ordinaire de l’ONU, celle-ci ne pourrait en définitive que contribuer très faiblement au financement du programme.

Cela dit, l’Agenda 2030 ne manque pas d’ambition « planétaire », comme l’indique son préambule :

Les 17 objectifs de développement durable et les 169 cibles que nous annonçons aujourd’hui témoignent de l’ampleur de ce nouveau Programme universel et montrent à quel point il est ambitieux. Ils s’inscrivent dans le prolongement des objectifs du Millénaire pour le développement et visent à réaliser ce que ceux-ci n’ont pas permis de faire. Ils visent aussi à réaliser les droits de l’homme pour tous, l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles. Intégrés et indissociables, ils concilient les trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale. Les objectifs et les cibles guideront l’action à mener au cours des 15 prochaines années dans des domaines qui sont d’une importance cruciale pour l’humanité et la planète.

À l’instar des stratégies précédentes, une telle formulation laisse entendre un projet de grande envergure placé sous l’égide des Nations Unies. Cela dit, et nous y reviendrons en conclusion, l’Organisation des Nations Unies reste… l’Organisation des Nations Unies! Malgré une augmentation timide des budgets ordinaires et la part importante consacrée au développement, malgré les évolutions substantielles du système des Nations Unies sur le plan institutionnel, malgré l’ouverture de plus en plus grande de l’ONU à la contribution des acteurs non étatiques, malgré l’approfondissement de la coopération avec d’autres organisations internationales, etc.[15]

II. Suivi, monitoring et financement des stratégies contemporaines de développement

Du point de vue du droit, les stratégies onusiennes de développement ne créent formellement aucune obligation juridique internationale nouvelle pour les États membres. Tous adoptés au terme d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, ces programmes sont néanmoins susceptibles d’orienter politiquement la pratique des États membres. Or, afin de mesurer le degré d’avancement (ou de recul) des membres au regard de l’atteinte des différents objectifs fixés par les OMD et des ODD, l’ONU a mis en place progressivement des mécanismes de suivi ou de monitoring qui se sont relativement sophistiqués avec le temps, notamment dans le cadre de l’Agenda 2030. La première section portera sur l’évolution de ces mécanismes de suivi ou de monitoring. Éléments incontournables de toute stratégie de développement, les mécanismes de financement du développement ont eux aussi évolués dans le cadre des plus récentes stratégies de développement de l’ONU.

A. Les mécanismes de suivi ou de monitoring liés aux stratégies onusiennes de développement

Les programmes onusiens de développement n’ont jamais été formalisés par voie conventionnelle ou non conventionnelle et n’ont jamais fait l’objet d’un mécanisme de suivi explicite avant l’élaboration du programme des OMD. Malgré une forte adhésion à l’Assemblée générale, ces programmes restent, à toute fin pratique, campés dans l’univers de la soft law. Certes, derrière les engagements politiques pris par les États membres de l’ONU on retrouve indirectement des normes ayant un caractère juridique indéniable. Ne serait-ce qu’au niveau des droits humains, plusieurs objectifs, cibles ou indicateurs font échos à des normes juridiques. Comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs puisque la réalisation du droit au développement est elle-même intimement liée au respect de l’ensemble des droits fondamentaux des peuples et des individus[16]?

Suivi des OMD – Les mécanismes de suivi ou de monitoring mis en place entre 2001 et 2005 avaient pour finalité de documenter le niveau d’avancement des États membres quant aux 21 cibles et aux 60 indicateurs associés aux OMD. Cette responsabilité a incombé au Groupe d’experts des Nations Unies sur les OMD après la formulation des cibles et indicateurs à partir de 2001. Sa coordination fut opérée par le Département des affaires économiques et sociales du Secrétariat et s’est élargie ensuite à d’autres institutions, organes, programmes et fonds du système onusien[17].

Entre 2005 et 2015, onze rapports annuels ont ainsi été produits en sus de plusieurs études thématiques ou régionales. Ces rapports ont permis de mesurer l’évolution de la situation et de tirer, à la fin du programme, diverses conclusions quant au niveau d’atteinte des OMD. Dans son rapport final de 2015, le Groupe d’experts concluait que le programme des OMD avait connu un « succès relatif » et permis de réaliser de très nombreux objectifs. Comme le soulignait l’ancien secrétaire général Ban-Ki Moon dans la préface du rapport, malgré les gains obtenus à la fin du programme des OMD :

[…] je suis tout à fait conscient que les inégalités persistent et que les progrès ont été inégaux. La population pauvre mondiale demeure massivement concentrée dans certaines parties du monde. En 2011, dans le monde, près de 60 % du milliard de personnes extrêmement pauvres vivaient dans cinq pays seulement. Trop de femmes continuent de mourir durant leur grossesse ou de complications liées à l’accouchement. Les progrès ont tendance à laisser de côté les femmes et ceux qui se trouvent au plus bas de l’échelle économique ou sont désavantagés à cause de leur âge, handicap ou ethnicité. Les disparités entre zones rurales et urbaines restent prononcées. Les expériences et les données qui ressortent des efforts entrepris en vue de réaliser les OMD démontrent que nous savons ce qu’il faut faire. Mais de nouveaux progrès nécessiteront une volonté politique inébranlable et un effort collectif à long terme. Nous devons nous attaquer aux causes profondes et redoubler d’efforts pour intégrer les dimensions économique, sociale et environnementale du développement durable. Le programme de développement pour l’après-2015, comprenant notamment l’ensemble des objectifs de développement durable, s’efforce de refléter ces leçons, de construire sur nos succès et d’engager fermement tous les pays sur la voie d’un monde plus prospère, durable et équitable. En nous interrogeant sur les OMD et les perspectives des quinze prochaines années, il ne fait aucun doute que nous pouvons nous montrer à la hauteur de notre responsabilité de mettre un terme à la pauvreté, de ne laisser personne de côté et de créer un monde respectueux de la dignité de tous[18].

Mettre en place des mécanismes de suivi ou de monitoring implique de pouvoir compter sur des données statistiques solides. Or, force est d’admettre que les résultats compilés dans les rapports sur les OMD sont largement perfectibles, et ce, de l’aveu même des Nations Unies. En effet, de nombreux États membres sont incapables, en définitive, de produire des données statistiques nationales pertinentes, utiles et suffisamment à jour pour avoir une mesure précise. Dans ce contexte, on devine que plusieurs institutions spécialisées des Nations Unies ont joué un rôle important dans les activités de monitoring et ont certainement permis de combler de nombreux vides ou de produire des estimations suffisamment fiables pour porter un regard d’ensemble sur le niveau de réalisation du programme. Quoi qu’il en soit, ce qui importe de souligner ici c’est l’importance de la coopération intra et inter institutionnelle que ce programme a pu susciter. À travers les activités de monitoring, l’ONU a su mobiliser un nombre sans précédent d’institutions spécialisées, ce qui, en soi, constitue déjà une avancée notoire au regard des programmes précédents.

Malgré le succès relatif du programme des OMD, il reste encore un chantier immense en matière de développement, comme en témoigne le programme beaucoup plus ambitieux de l’Agenda 2030[19]. Toute stratégie, politique ou programme de développement, a pour finalité l’amélioration de la qualité de vie des peuples et des individus. Or, force est d’admettre que durant la période de référence des OMD, l’état du monde en matière de développement s’est en partie amélioré, ce qui ne veut certainement pas dire que l’on doit, pour autant, se satisfaire d’un tel état des lieux. La crise du développement est bien réelle et les enjeux économiques, sociaux, environnementaux, politiques et juridiques sont encore légion.

Suivi des ODD – L’heure n’est pas encore au bilan final pour l’Agenda 2030. Il serait donc prématuré de porter un jugement sur les succès ou les échecs de ce programme à l’aune de quelques rapports annuels et des données nationales que l’on possède présentement. Cela dit, sur le plan des mécanismes de suivi ou de monitoring, l’Agenda 2030 se trouve à prolonger et approfondir les mécanismes mis en place dans le cadre des OMD, en sus d’ajouter un nouveau mécanisme d’examen volontaire au niveau national[20]. Certes, il existait pour les OMD une base de données répertoriant les statistiques nationales en lien avec les 21 cibles et 60 indicateurs identifiés par l’ONU, mais le mécanisme d’Examen national volontaire (ENV) nous semble beaucoup plus intelligible et utile pour comprendre le positionnement individuel des États membres.

Comme indiqué ci-dessus, le programme des ODD est plus complexe et ambitieux que le programme des OMD. Alors que le programme des OMD comportait 8 objectifs, 21 cibles et 60 indicateurs, le programme des ODD comprend 17 objectifs, 169 cibles et 244 indicateurs statistiques. Afin de mesurer le niveau d’avancement (ou de recul) vers les ODD, un Forum politique de haut niveau a été mis en place afin de servir de cadre mondial pour le suivi du programme. Comme le soulignent les Nations Unies,

[l]es mesures visant à atteindre les objectifs de développement durable doivent être prises à divers niveaux, mais l’action au niveau local est essentielle. Le Forum politique de haut niveau sert de cadre mondial essentiel pour fournir la direction politique, donner des orientations sur la réalisation des objectifs de développement durable à l’horizon 2030 à travers le partage d’expériences, y compris les cas de réussite sur le terrain, ainsi que la formulation de recommandations pour renforcer la mise en oeuvre, le suivi et l’examen des objectifs. Dans cette optique, le Forum promeut la responsabilisation, encourage l’échange des pratiques exemplaires et soutient la coopération internationale.

Le Forum offre également à la communauté internationale l’occasion d’examiner les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de développement durable dans les régions où certains pays sont exposés à certains risques et vulnérabilités, tels que les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement [en gras dans le texte original][21].

C’est donc à travers la publication de rapports annuels sur le niveau d’avancement des ODD et, surtout, par le mécanisme d’ENV que l’ONU entend effectuer un suivi relativement à la mise en oeuvre de son Agenda 2030. En ce qui concerne les rapports annuels, pour l’instant, quatre rapports ont été publiés entre 2016 et 2019. Ces rapports, assez détaillés, comprennent une analyse statistique globale permettant d’avoir une vue d’ensemble des divers enjeux et problématiques. Là où le programme des ODD innove le plus selon nous, c’est au niveau du mécanisme d’ENV. Ces mécanismes, qui ne s’inscrivent pas dans un cadre juridique particulier, ne sont évidemment pas obligatoires et aucun des États membres de l’ONU n’est contraint de produire de tel rapport. Cela dit, politiquement, les États sont très nombreux à participer à ce processus depuis l’adoption de l’Agenda 2030. Comme le soulignait en 2018 le Secrétaire général adjoint Liu Zhenmin, dans son rapport synthèse sur le ENV, plus de cent États membres des Nations Unies ont participé à cette procédure d’examen après les trois premières années de mise en oeuvre du programme[22].

Ce mécanisme est particulièrement utile dans la mesure où il permet de comprendre comment, à l’échelle nationale, les États membres ont l’intention de s’approprier les ODD et quels sont les moyens qui seront mis en oeuvre, par ceux-ci, à l’interne comme à l’international pour favoriser leur réalisation. Parmi les très nombreux États ayant participé à ce processus d’ENV, le Canada s’est plié à cet exercice en 2018. Fait à noter, parmi les membres permanents du Conseil de sécurité, la France (2016) et le Royaume-Uni (2019) sont les deux seuls pays à s’être pliés à l’exercice. La Russie et la Chine ont toutefois accepté d’y participer en 2020 et en 2021 respectivement. En ce qui concerne les États-Unis, nous n’avons pour l’instant aucune indication concernant leur volonté de soumettre un tel rapport.

L’avenir nous permettra de voir jusqu’à quel point les mécanismes d’ENV auront eu ou non un impact significatif sur la réalisation des ODD. Quoi qu’il en soit, leur objectif est de favoriser l’échange d’informations et la diffusion de bonnes pratiques dans le domaine du développement durable. Le danger, selon nous, est de voir ce mécanisme devenir un mécanisme d’autocomplaisance. Or, en matière de développement durable, il nous semble qu’aucun État ne peut véritablement se vanter d’avoir « atteint » les ODD.

B. Le financement des OMD et ODD : vers un partenariat mondial pour le développement?

En 1962, à peine un an après l’adoption de la première décennie internationale pour le développement, le président américain J.F Kennedy déclarait que

[l]’aide étrangère est une méthode par laquelle les États-Unis maintiennent une position d’influence et de contrôle sur le monde entier et soutiennent un grand nombre de pays qui s’écrouleraient définitivement ou bien passeraient au bloc communiste[23].

Sur le plan interétatique et institutionnel, du point de vue des États donateurs et celui des organisations donatrices, une telle logique est encore implicitement présente même si les enjeux ne sont plus ceux liés à la guerre froide. Or, bien que l’aide publique au développement soit toujours empreinte d’un certain conditionnement et qu’elle puisse être instrumentalisée par des États pour orienter la pratique et les décisions des États bénéficiaires, celle-ci occupe encore aujourd’hui une place importante dans l’esprit du partenariat que souhaitent créer les Nations Unies en faveur du développement[24].

Dans la logique des OMD, la question du financement du développement est présentée comme un aspect central qui a une incidence sur la réalisation de tous les OMD dans la mesure où l’atteinte effective ou non des objectifs et des cibles requiert, en tout état de cause, l’investissement de sommes importantes et la mise en place d’un véritable « partenariat pour le développement »[25]. Aussi, derrière le partenariat souhaité par l’Organisation des Nations Unies, retrouve-t-on une dimension financière et une dimension institutionnelle importante. Outres les ressources propres à chaque État, ces ressources peuvent prendre plusieurs formes, que ce soit à travers l’aide publique au développement (APD), les flux et stocks d’investissements directs étrangers, l’allègement ou l’annulation de la dette, l’aide au commerce international et l’accès aux marchés, les transferts de technologies, etc. De fait, la création d’un partenariat efficace suggère la participation active de plusieurs acteurs, à la fois publics et privés, locaux, régionaux et internationaux. Durant la période de référence des OMD, deux grandes conférences internationales ont été tenues sur le financement du développement. Une première en 2002 à Monterrey au Mexique[26]. Une seconde en 2008 à Doha au Qatar[27]. Ces deux conférences ont permis de réaliser qu’aux yeux des Nations Unies et ses Membres, les stratégies de financement du développement impliquait une diversification des modes de financement, mais aussi une diversité des acteurs impliqués dans la stratégie de développement.

C’est donc à travers un OMD autonome que l’ONU va tenter de mettre en place un partenariat mondial pour le développement. En lien avec ces six cibles, les Nations Unies vont finalement arrêter en 2005 une liste de 16 indicateurs statistiques relativement complexes en lien avec l’APD, l’accès aux marchés, la viabilité de la dette, l’accès aux produits pharmaceutiques et aux technologies de l’information et des communications[28].

En ce qui concerne le programme des ODD, la problématique du financement a également fait l’objet d’un objectif spécifique, soit l’ODD 17. Partant des propositions issues du Plan d’action d’Addis Abeda de 2015, les 19 cibles suivantes seront arrêtées en lien avec cet ODD[29]. À cet ensemble de cibles va s’ajouter une série de 24 indicateurs statistiques. Or, à la lumière de ses 19 cibles et 24 indicateurs, les Nations Unies tentent d’approfondir et intensifier le partenariat déjà initié dans le cadre des OMD[30]. Le défi est toutefois colossal et l’ONU n’a pas encore su mobiliser les sommes et ressources équivalentes aux quelques 2500 à 3000 milliards de dollars US estimés pour l’atteinte des objectifs fixés dans l’Agenda 2030.

Ce qui ressort de l’analyse des cibles et indicateurs associés à l’ODD 17, ce sont les enjeux et sous-thèmes ancrés autour du concept de partenariat ou de financement du développement : finance, technologie, renforcement des capacités, commerce et questions structurelles. Bref, bien que les logiques inhérentes au capitalisme constituent encore la trame de fond des politiques de développement des États membres (croissance continue, accumulation privée du capital, maximisation des profits, etc.), le programme des ODD tente, tant bien que mal, d’orchestrer un certain dépassement de ses logiques afin d’orienter la pratique des acteurs du développement de manière à répondre aux impératifs de l’Agenda 2030 sur les plans économiques, sociaux et environnementaux. L’objectif politique étant, au final, « de relever les défis du financement et de créer, à tous les niveaux, un environnement propice au développement durable, dans un esprit de partenariat et de solidarité planétaires »[31]. C’est du moins l’objectif fondamental exprimé dans le Plan d’action d’Addis Abeda en 2015 et traduit sous forme de cibles et d’indicateurs dans l’Agenda 2030.

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Le développement est un concept plurivoque et pluridimensionnel. Si la finalité des politiques de développement est relativement simple à formuler et renvoie à des aspirations relativement « universelles », c’est-à-dire des politiques visant l’amélioration de la qualité de vie des individus et des peuples, il en va tout autrement des paradigmes ou modèles susceptibles de permettre de réaliser une telle « fin ». Sur ce plan, on ne peut que constater la pluralité des modèles nationaux ou locaux de développement qui furent théorisés ou expérimentés depuis la création de l’ONU. Critiqué, remise en question ou tout simplement présenté comme un mirage, une désillusion ou mythe[32], le concept de développement n’a pas toujours eu bonne presse et a fait couler beaucoup d’encre depuis le début des années 1960. Malgré le développement d’un foisonnement de théories alternatives (décroissance, écologie sociale, écosocialisme, buen vivir, etc.) et sa remise en question, le concept demeure en pratique un concept cher à l’ONU et ses États membres.

Beaucoup plus qu’une fin en soi, le développement est fondamentalement un processus impliquant la participation d’un nombre incalculable d’acteurs. Bref, à nos yeux, tous les États sont des États « en développement » puisque pratiquement tous les États se sont engagés dans un tel processus. Dans un contexte post-guerre froide, le paradigme capitaliste (sous toutes ses formes ou déclinaisons contemporaines) est devenu en quelque sorte le métaparadigme à l’intérieur duquel toute stratégie de développement devrait aujourd’hui être élaborée ou formulée. Si le capitalisme n’est pas la fin de l’histoire, celui-ci constitue en effet un modèle dominant dont il est difficile de se distancer en pratique. De nombreux idéologues et praticiens du développement ont beau plaider pour un développement « endogène », alternatif » et moins axé sur l’obsession de la « croissance », le pouvoir d’attraction du capitalisme, son prestige auprès des élites économiques et politiques, réduit d’autant la marge de manoeuvre des États et des peuples quant au libre choix de leur modèle.

L’étude des stratégies onusiennes de développement, même sommaire, est particulièrement intéressante puisqu’elle permet d’analyser un modèle qui se trouve au carrefour de différents modèles nationaux et qui, du coup, est imprégné de pratiquement tous les débats contemporains. Ce chapitre était l’occasion de nous questionner sur la nature et la portée du modèle onusien de développement et déterminer, plus spécifiquement, si les deux plus récentes stratégies de développement adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2000 et 2015 constituaient véritablement de « nouvelles chartes internationales du développement »; voire même un véritable changement de paradigme en matière de développement.

Sans nier l’importance des changements, des évolutions et des transformations insufflées par ces deux programmes dans les vingt dernières années, notre hypothèse était que toute stratégie onusienne de développement, présente ou future, resterait intimement et profondément liée à la structure même du système onusien et qu’aucune stratégie de développement ne pourrait réellement constituer un changement de paradigme majeur tant et aussi longtemps que l’ONU elle-même ne ferait pas l’objet d’une réforme majeure susceptible de modifier sa structure, son fonctionnement et ses pouvoirs[33]. À la lumière de nos développements, cette hypothèse semble en bonne partie confirmée dans la mesure où l’ONU est restreinte dans son action non seulement par le cadre juridique de la Charte des Nations Unies, mais aussi par la faiblesse de ses moyens matériels et juridiques d’action.

Dans son dernier rapport annuel sur la richesse dans le monde, le Crédit Suisse arrivait à la conclusion que la richesse globale accumulée dans le monde était de l’ordre de 317 trillions de dollars US en 2018 et que ce montant pourrait approcher les 400 trillions en 2023[34]. Or, cette richesse est concentrée entre les mains d’un nombre extrêmement restreint d’individus (moins de 10% de la population adulte possède en effet près de 85% des richesses planétaires selon ce même rapport). Ce déséquilibre profond dans la répartition de la richesse, au sein des sociétés et entre les sociétés, est le résultat historique de l’élaboration et de la mise en oeuvre de politiques et stratégies de développement fondamentalement discriminatoires. Bien qu’elles souhaitent remédier à ce déséquilibre profond et ne « laisser personne de côté », selon leur nouveau slogan, les Nations Unies n’ont tout simplement pas les moyens de leurs ambitions. Comme le disait la Cour internationale de justice (CIJ) dans son avis sur la Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, l’ONU n’est pas un « gouvernement mondial » ou un « super-État »[35]. C’est particulièrement vrai en matière de développement.