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Introduction

Parmi les différentes étapes du développement humain, l’adolescence constitue une période préoccupante faite d’instabilités et d’inquiétudes tant sur les plans physiologique, psycho-affectif que social et relationnel. De ce fait, l’adolescence recèle des particularités biologiques, sociologiques, démographiques, sociales, psychologiques, juridiques, économiques qui méritent une attention soutenue. En tant qu’étape charnière, transition vers la vie adulte, l’adolescence est faite d’exploration, de découverte de soi et de l’autre. C’est alors qu’apparaissent les premières expériences sexuelles qui, dans un contexte de socialisation plus ou moins permissif, exposent les adolescents aux nombreuses conséquences d’une sexualité précoce. Parmi ces conséquences, on cite fréquemment les grossesses précoces et non désirées, les infections sexuellement transmissibles/maladies sexuellement transmissibles (IST/MST), les troubles psycho-affectifs, le décrochage scolaire, les violences basées sur le genre, etc. Les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2020) révèlent que 11 % des naissances dans le monde concernent les adolescents de 15-19 ans. Le phénomène n’épargne aucune région. Au Québec, environ 1 adolescente sur 12 deviendra enceinte avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans, tandis qu’environ 1 adolescente sur 4 le deviendra avant d’avoir atteint 20 ans (Blais, 2005). En Afrique, chaque année, les enfants nés de jeunes filles âgées de 15 à 19 ans représentent 16 % de toutes les naissances (UNFPA, 2012). À l’échelle nationale au Bénin, 21 % des adolescents de 15 à 19 ans ont leur premier rapport sexuel avant 15 ans (UNICEF, 2018). La majorité des auteurs de ces grossesses étaient des élèves. Selon le Comité de protection de l’enfant de la Donga, relayé par l’Agence Bénin Presse (ABP), de janvier à juin 2019, 1000 bébés sont nés de parents mineurs âgés de 15 à 18 ans.

De façon générale, ces chiffres ne font pas une différenciation nette entre la paternité et la maternité précoce. Pour Galiotto (2017), si la documentation s’est davantage préoccupée des grossesses des jeunes filles, il n’est souvent pas fait cas de leurs homologues masculins. Alors que les recherches et les écrits sur les maternités d’adolescentes foisonnent, la paternité à l’adolescence et les interventions sociales offertes ou disponibles, restent un phénomène peu étudié et largement méconnu. La plupart des études qui les évoquent ont été menées auprès de participants et de pères issus de milieux précaires et cumulant des vulnérabilités psychosociales (Bédard et Inkel, 1988 ; Devault, Milcent et Ouellet, 2005 ; Devault, Zaouche Gaudron et Huard-Fleury, 2016 ; Marchand, 2013 ; Ouellet, Milcent et Devault, 2006 ; Wendland et Levandowski, 2011). Cette documentation sur la paternité adolescente trace un portrait peu réjouissant des jeunes pères européens et nord-américains (Blais, 2005) et concerne les terrains européens et nord-américains. Rares sont les travaux menés en Afrique qui se sont explicitement penchés sur la question – la problématique de la paternité précoce apparaissant pour l’essentiel en filigrane dans certaines études sur la sexualité et la fécondité des adolescents (Delaunay, 2001 ; Delaunay et Guillaume, 2007 ; Kobelembi, 2005 ; Ouédraogo, Woog et Sondo, 2006).

La paternité précoce étant le parent pauvre dans les études sur la santé sexuelle et reproductive des adolescents en Afrique, les interventions sociales aux fins d’une prise en charge des conséquences au profit des garçons sont également peu évoquées, voire inexistantes. La recension de Kersaudy-Rahib et coll. (2013) sur les interventions en matière de grossesse précoce, en France notamment, révèle que les actions sont orientées par ordre décroissant vers les filles, les minorités puis les deux sexes. La littérature européenne et nord-américaine fait état néanmoins d’interventions de services sociaux auprès des jeunes pères tout en soulignant les difficultés qui y sont associées, venant des jeunes pères mais aussi des intervenants (Bédard et Inkel, 1988 ; Miller, 1997). Le constat empirique au Bénin révèle une focalisation des interventions liées à une parentalité précoce sur l’assistance sanitaire au profit des adolescentes. Inscrites le plus souvent dans le paquet des interventions en santé sexuelle et reproductive, ces interventions n’abordent pas suffisamment les conséquences sociales en termes de fragilisation de liens, pertes de repères, abandons, vulnérabilités, précarités. Lorsque ces conséquences sont parfois prises en charge en institution, c’est plutôt à l’adresse des adolescentes considérées comme les seules victimes porteuses des fardeaux découlant de l’avènement d’une grossesse et d’une parentalité précoces. L’adolescent auteur d’une grossesse précoce non désirée, ou père précoce, est davantage combattu, voire poursuivi, ce qui fait de lui un délinquant plus qu’une victime. Par conséquent, est exclu l’apport que le jeune père pourrait représenter dans la prise en charge psycho-affective de la mère et de l’enfant, au-delà de la seule contribution économique qui est exigée de lui.

Il résulte de ces constats que les réflexions sur la maternité et la paternité précoces sont tributaires des rapports inégalitaires de genre au sein de la société (Bédard et Inkel, 1988 ; Miller 1997). C’est pourquoi nous inscrivons cette étude dans une approche écosystémique du développement (Bonfenbrenner, 1979), qui considère le macro-système, ici l’environnement familial, socioculturel et institutionnel qui a socialisé les pères adolescents et dans lequel ils évoluent. L’approche écosystémique nous a ainsi amenés à considérer les pères précoces et les autres acteurs de leur environnement. Cela a permis de voir, au-delà du père précoce, les faits qui expliquent sa situation et qui doivent susciter des actions réalistes basées sur des évidences issues de la recherche. Cet environnement étant fondé sur des valeurs relatives à la différenciation sexuelle des rôles, la valence différentielle des hommes et des femmes, nous avons convoqué les théories du genre (Héritier, 2018 ; Verschuur, 2000). Celles-ci mettent l’accent sur la socialisation distincte des garçons et des filles, qui entraîne une différence dans les statuts, les comportements, les attentes à l’endroit des uns et des autres. L’approche genre contribue à une meilleure compréhension des mesures à mettre en oeuvre en matière de prévention et de gestion de la parentalité précoce au Bénin. Il s’agira dans un premier temps de décrire ce que vit le père adolescent face à la survenue de la grossesse, son acceptation et l’endossement de la responsabilité de père. Dans un second temps, nous dresserons un portrait de la prévention, de la gestion et de la communication sociale autour de la sexualité des adolescents et de la paternité précoce, tant au niveau familial, communautaire, qu’institutionnel.

Démarche méthodologique

La démarche de recherche adoptée est de type qualitatif et pluridisciplinaire, permettant ainsi de saisir la complexité de la problématique de la paternité précoce. De prime abord, la démarche socio-anthropologique a été mobilisée pour mieux appréhender et comprendre les expériences personnelles vécues par les pères adolescents dans leur singularité, mais aussi dans leur similarité – ces expériences étant comprises dans un système plus vaste composé de la famille, de la communauté et des institutions que sont l’école, les centres de formation et les structures d’intervention sociale et sanitaire. Ce choix nous a conduits à rechercher dans chaque expérience et dans l’expérience collective de la paternité à l’adolescence, les constructions et les mutations sociales relatives à la sexualité des adolescents. Une attention est aussi portée aux conséquences sociales engendrées en termes de précarités et de vulnérabilités, de dislocations familiales et d’interactions souvent conflictuelles avec les institutions intervenant dans l’accompagnement des filles en situation de grossesse précoce. L’accent a été mis sur la dimension empirique des faits, le croisement du discours et des interactions ainsi que l’interprétation qui en est faite par les acteurs eux-mêmes. L’analyse est essentiellement empirique, fondée sur les acteurs, leurs logiques et leurs pratiques.

La mobilisation des approches de la psychologie a ensuite permis d’évaluer la dimension psycho-affective et psycho-pathologique relative au vécu de la paternité précoce. Nous nous sommes intéressés à la trajectoire de chaque père engagé précocement dans la paternité, aux motivations sous-jacentes à l’endossement de cette responsabilité imprévue. Enfin, l’approche communicationnelle a été mobilisée au regard du contexte actuel généralisé de l’influence des médias sociaux, et des programmes d’intervention liés à la réduction des risques et à la santé de la reproduction des adolescents. Elle a permis d’interroger les cadres de communication au profit des adolescents, les contenus des informations partagées, mais aussi les formes que prend l’éducation à la santé sexuelle et reproductive dans la gestion des cas de paternité précoce.

Terrain

La collecte[1] des données s’est effectuée en milieu rural dans le département du Zou, plus précisément dans la commune de Zogbodomey et les localités rurales de Koussoukpa et Domè, du 2 février au 7 juin 2019. Le choix du département du Zou ne s’est pas fait ex nihilo. Il s’agit du deuxième département au Bénin, après celui des Collines, qui enregistre le plus fort taux de grossesses précoces (UNICEF, 2018). La focalisation sur les localités rurales s’inscrit dans le souci d’apprécier les hypothèses de la présence en ces lieux de la vivacité des solidarités familiales et communautaires, de la vulnérabilité économique, de l’autonomie précoce des jeunes garçons et de la forte présence d’institutions de prévention et de gestion de la sexualité des adolescents. Ce sont des caractéristiques contextuelles qui ont une influence certaine sur la construction du rôle de père à l’adolescence et des répercussions sur les expériences qui y sont liées.

Participants

Quatre types d’interlocuteurs ont été pris en compte par l’étude de terrain. Les pères adolescents, les conjointes filles-mères, les parents et les beaux-parents, les intervenants des services sociosanitaires et éducatifs (Centre de promotion sociale [CPS], Organisation non gouvernementale [ONG] de santé de la reproduction, les écoles et les centres d’apprentissage).

Méthode

Les entretiens semi-directifs sous forme de récit de vie ou séquence biographique avec les pères adolescents ont abordé trois dimensions : le profil général (caractéristiques sociodémographiques, âge à l’avènement de la grossesse, éducation à la sexualité reçue) ; l’expérience personnelle de la paternité (circonstances de la reconnaissance de paternité, changements intervenus dans les rapports avec l’entourage et le parcours de formation, décisions majeures prises, engagements pris, occupation actuelle, facteurs de motivation, de démotivation, collaboration avec les institutions de prise en charge, appuis reçus, sanctions, difficultés, perspectives) ; la prévention et la gestion de la paternité précoce (par l’adolescent, la famille, la communauté et les pairs, les institutions, dont l’école ou le centre de formation).

La sélection des pères adolescents s’est faite de façon raisonnée tout en utilisant la technique boule de neige. Seuls les jeunes hommes qui ont été pères avant l’âge de 18 ans ont été recrutés. De plus, ils devaient suivre à cette époque une formation scolaire ou être en apprentissage et ils devaient avoir accepté la responsabilité de géniteur. La situation maritale n’a pas été considérée. Sur les 32 pères qui ont été recensés et enquêtés (parfois deux entretiens ont été menés avec le même adolescent), deux proviennent de la commune d’Abomey-Calavi, car la nécessité d’assumer les charges de la nouvelle famille a entraîné une mobilité d’intérêt économique vers la ville. Si certains avaient entre 14 et 18 ans au moment de l’étude, d’autres se situaient dans la tranche d’âge de 18 à 24 ans. Bien que n’étant plus adolescents au moment de l’étude, ces derniers avaient vécu l’expérience d’une paternité précoce puisqu’ils avaient moins de 18 ans au moment de la naissance du bébé. Cette catégorie de participants a permis de mieux apprécier à moyen terme le devenir des jeunes pères et d’identifier les changements survenus dans leur vie depuis lors. De façon pratique, le recrutement de ces jeunes pères s’est fait par contact auprès des structures de prise en charge des mères adolescentes, des mères adolescentes elles-mêmes, des établissements scolaires et des centres d’apprentissage. Le recrutement d’une personne permettait celui d’au moins une autre personne dans son environnement à travers les relations de ses connaissances (bouche-à-oreille, technique boule de neige).

Cependant, cette technique n’est pas sans biais, car non seulement elle nous confine dans un réseau de connaissances, mais étant donné les cordes sensibles que touche cette problématique, elle peut pousser les personnes à la réserve, dans le souci de préserver leur anonymat et d’éviter la stigmatisation, voire l’exclusion. Pour réduire ces biais, les entretiens ont été individuels et se sont déroulés dans des espaces privés en situation de face-à-face enquêté et enquêteur. Dans une même famille, chaque personne était prise séparément. Les entretiens ont été réalisés en fon, la langue locale, et parfois en français. Le recueil des données s’est fait à travers une prise de notes systématique des propos lors des entretiens.

Les considérations éthiques ont été au coeur de la collecte des données. Nous avons expliqué à chaque répondant les objectifs de l’étude et son caractère anonyme. Le caractère universitaire de la recherche et l’absence de tout parti pris ont rassuré les répondants. Cependant, en dehors des objectifs de recherche, des suggestions de référence vers des structures de prise en charge ont parfois été faites aux pères ou aux mères au sujet de la santé de certains enfants malnutris. Le consentement libre et éclairé a été le préalable avant toute discussion.

Les entretiens auprès des familles et des institutions se sont focalisés sur les modalités et les mécanismes de prévention, de gestion et d’accompagnement de la paternité précoce, en comparaison avec la maternité précoce. Au total, 20 personnes-ressources ont été prises en compte, soit 8 de la famille (pères, mères, tuteurs), 4 de la belle-famille (pères, mères des conjointes), 2 filles-mères conjointes de pères précoces et 6 personnes-ressources issues des institutions de formation et de prise en charge (2 responsables de centre d’apprentissage, 2 professeurs de collège et 2 responsables CPS et ONG).

L’analyse des données s’est faite en trois étapes : dans un premier temps la saisie de tous les entretiens a permis la constitution d’un corpus pour chaque père précoce à la lumière des données issues de différents entretiens le concernant. Les données générales sur la problématique des pères précoces fournies par les enquêtés issus des institutions ont constitué un corpus à part. Ensuite de ces corpus, nous avons dégagé les centres d’intérêt que sont le profil social des pères adolescents, le vécu de la paternité, la prévention et la gestion de la paternité précoce au niveau familial puis institutionnel. Enfin l’identification des points de discussion et leur développement ont été faits en lien avec les données de la revue de littérature.

Résultats

La présentation des résultats est une synthèse des données générales et individuelles sur les pères précoces ainsi que sur leur environnement familial et institutionnel.

Profils des pères adolescents interviewés

Sur les 32 jeunes devenus pères à l’adolescence que nous avons interviewés, 27 sont issus de parents polygames ; 21 sont des agriculteurs, 7 sont des artisans, 2 sont des commerçants et 2 sont des employés. Néanmoins, tous font de l’agriculture en saison pluvieuse. Au moment de l’étude, 25 des 32 pères précoces avaient entre 15 et 18 ans et 7 avaient entre 19 et 24 ans. Quant à l’âge auquel ils étaient devenus pères, 11 avaient entre 14 et 15 ans et 21 avaient entre 16 et 17 ans.

Avant l’avènement de la paternité, 17 sur 32 étaient en apprentissage dans le cadre d’une formation professionnelle et 15 sur 32 étaient élèves. Le statut de père a bouleversé ces cheminements scolaires et professionnels. Ainsi, 3 pères seulement sont demeurés apprentis sur les 17 et ont poursuivi leur formation professionnelle. Dans le rang des 15 élèves, 5 ont poursuivi leurs études et 2 sont devenus des apprentis. Ce sont donc 22 de nos jeunes enquêtés qui avaient décroché et qui s’investissaient dans de petits emplois journaliers pour faire face à leur nouveau statut. En tout dernier lieu, 3 des jeunes pères étaient orphelins et vivaient chez des tuteurs.

Les profils que présentent les pères adolescents suscitent également des interrogations sur le vécu de cette situation aux niveaux personnel et social avec leur partenaire et leur entourage proche (parent/tuteur, belle-famille).

Vécus de la paternité précoce

L’expérience faite par les adolescents de leur situation de père à une période de leur développement où ils sont en pleine construction de leur propre personnalité, va s’appréhender en termes de ressentis et de relations avec leur famille, leur partenaire et la famille de celui-ci. Les changements intervenus dans leur vie, les nouvelles trajectoires qui sont les leurs et les perspectives d’avenir sont aussi explorés.

Tous les jeunes pères interrogés habitaient ou étaient restés en contact avec leur partenaire et l’enfant dont ils étaient les géniteurs. En ce qui concerne leur ressenti, la condition précoce de paternité a engendré d’énormes pertes selon eux. La première perte évoquée est celle de leur vie d’adolescent remplie de libertés et de distractions. « Dans cette situation de père je suis toujours soucieux et en quête de quoi faire pour trouver de l’argent ; je n’ai plus droit aux jeux, aux balades et même à des causeries entre amis », affirme P. V.[2], père à 15 ans. Ceux qui sont en rupture de lien avec leur famille sont plus amers, car ils ont perdu la confiance des parents, leur affection et le soutien matériel. La situation de père qu’ils vivent, pour certains, a fait de leur vie un cauchemar en mettant fin à leur formation. Même ceux qui poursuivent leur formation s’inquiètent : « Je ne sais pas si un jour je pourrai finir ma formation ou entreprendre quelque chose dans ma vie. Je resterai toujours dans ce village pour gagner des miettes qui iront encore dans les frais de médicaments » (F. P., père à 16 ans). Ce genre de discours revient souvent pour rendre compte du sentiment qu’ils ont d’avoir raté leur vie et de l’incapacité de se projeter dans l’avenir, surtout ceux en perte de lien familial.

Au sujet des expériences avec la belle-famille à l’annonce de la grossesse, 18 jeunes pères sur 32 affirment avoir été harcelés, traqués par celle-ci. Ce harcèlement s’est manifesté par des convocations à la police, des menaces et des insultes. 14 jeunes pères sur 32 ont été forcés de garder la fille et l’enfant. L’un d’eux raconte : « On est venu déposer ma copine chez mes parents comme un don. » Cette situation a été vécue par plusieurs répondants. 22 des 32 adolescents, ont dû s’installer dans un domicile indépendant avec la fille et l’enfant. Les résultats montrent 22 cas d’interruption de la scolarité ou de la formation professionnelle en ce qui concerne les pères et 23 cas en ce qui concerne les mères. Sur les 10 pères qui bénéficient du soutien de leurs parents et qui résident au domicile de ces derniers, 7 reçoivent également leur soutien quant à l’entretien de leur partenaire et de l’enfant.

Ceux qui sont en difficulté relationnelle avec leurs parents se caractérisent par l’accumulation de petits emplois. Cependant, même ceux qui poursuivent leur formation sont contraints de temps en temps de chercher des revenus, notamment en cas de maladie de l’enfant ou de leur partenaire. Les emplois occasionnels auxquels ils s’adonnent sont : ouvrier dans les fermes de production agricole ou d’élevage, ce qui induit parfois des mobilités saisonnières nationales ou transnationales vers le Nigeria (25/32) ; conducteur de taxi-moto (4/32) ; aide en maçonnerie ou en menuiserie (11/32) ; revendeur d’essence (2/32) ; vendeur d’unités de recharge téléphonique (2/32) ; l’arnaque (la cybercriminalité) (2/32). Certains cumulent ces différentes activités selon les saisons. Il s’agit le plus souvent de solutions alternatives précaires qui rapportent à 16 de ces jeunes pères un montant inférieur ou égal à 1500 FCFA/jour (environ 3 $ CA). Pour la moitié restante, le revenu journalier n’est pas fixe et l’adolescent peut ne rien gagner en une journée.

Les résultats rendent compte aussi de situations de violence conjugale entre les deux jeunes parents. Les jeunes pères interrogés évoquent également les railleries des pairs, la rupture d’avec les pairs, la rupture brutale d’avec l’affection parentale et fraternelle. Des cas de dépression ont été évoqués ainsi que la consommation de substances psychotropes.

Toutefois, les adolescents évoquent comme points positifs l’acquisition d’un sens des responsabilités, d’une certaine maturité et d’une plus grande capacité de gestion financière. À cela s’ajoute le sentiment intime de possession d’une descendance.

Prévention et gestion de la paternité précoce au niveau familial

Des résultats issus des entretiens avec les pères adolescents et leurs parents immédiats (père, mère ou tuteur/tutrice), il ressort qu’il n’existe pas de tradition de communication en matière d’éducation sexuelle des adolescents garçons. La paternité précoce n’est pas vue comme un mal à prévenir autant que la grossesse précoce hors des liens matrimoniaux chez les jeunes filles. Les garçons affirment ne recevoir aucune information dans ce sens. Au contraire, la sexualité masculine est tacitement exaltée et la sexualité des jeunes adolescents est moins soumise à des restrictions que celle des filles du même âge. Dans un système patriarcal, les jeunes garçons sont plus libres et sont moins associés aux mises en garde des parents au sujet des risques d’une sexualité précoce. C’est ce que confirme le père d’un adolescent participant à cette étude : « Je ne me préoccupe pas de la sexualité de mes garçons. Les femmes parlent et s’inquiètent davantage pour les filles. En outre les soucis quotidiens ne nous permettent pas de prendre en compte ce volet. Parfois il y a des choses qui ne se disent pas aux enfants. Il faut que chacun se prenne en charge s’il veut vraiment s’en sortir » (P. G.).

En l’absence d’actions spécifiques au sein des familles, on note une contradiction entre les postures des parents en matière d’éducation sexuelle des jeunes garçons et la gestion de la situation de paternité précoce. La paternité précoce est marquée dans la majorité des cas par un désengagement des parents des adolescents géniteurs. Ils sont menacés par la famille, qui soit les oblige très tôt à une responsabilisation précoce (obligation de former un couple et d’en assumer la subsistance), soit les renvoie du gîte familial. Le plus souvent, le soutien vient des mères des pères adolescents.

En ce qui concerne les relations familiales avec les parents à la suite de ce nouveau statut de l’adolescent, 22 des 32 garçons sont entrés dans une phase de fragilisation des liens familiaux. Soit ils ont été contraints de quitter la maison familiale, soit ils ont pu y demeurer mais en étant sevrés des liens et des appuis parentaux. Ces 22 adolescents pères se sont retrouvés à devoir assumer leur propre subsistance, avec de surcroît la charge d’une partenaire et d’un enfant. Parmi eux se trouvent les trois orphelins. On peut dégager des résultats obtenus trois grandes raisons ayant poussé les parents à mettre fin au soutien apporté à leur enfant. Il s’agit : 1) de la situation de précarité dans laquelle vivent aussi les parents et de l’absence de pièces pouvant abriter le jeune père avec sa nouvelle famille (11/22) ; 2) des divergences d’opinions entre les parents et le jeune père autour de la reconnaissance de paternité et de l’engagement paternel (8/22) et 3) des mauvais traitements dont l’adolescent était victime auprès du parent ou du tuteur avant d’être père (3/22). À propos du volet relationnel, deux profils de pères adolescents se dégagent. Une majorité se retrouvent en perte de lien avec leur famille, mais les autres (10/32) bénéficient encore de la bienveillance et du soutien de leur famille, tout en se retrouvant en situation de couple.

Prévention et gestion de la paternité précoce au niveau institutionnel

Les séances de communication et de sensibilisation à l’endroit des adolescents présentent les IST/MST et la planification familiale pour éviter les grossesses précoces, mais jamais pour éviter la paternité précoce. La seule démarche proposée est d’inviter toutes les jeunes filles ayant l’âge de la puberté à prendre la pilule contraceptive, avec le consentement de leurs parents. Même si les cibles de la sensibilisation comprennent les adolescents garçons, dans les écoles, l’accent mis sur les grossesses précoces semble exclure les garçons des risques d’une sexualité précoce. On ne les met en garde que contre les IST/MST. Les milieux scolaires n’offrent pas des activités de sensibilisation au sujet de la paternité précoce et de ses impacts sur les projets de vie du garçon. Quant aux centres d’apprentissage, ceux-ci ne tiennent aucune activité d’éducation sexuelle, pas plus à l’intention des filles que des garçons.

Les adolescents en situation de paternité précoce ne se font pas connaître des institutions d’aide de peur d’être contraints à assumer les obligations matérielles, voire de se faire arrêter par la police. C’est ce qui justifie ces propos d’un assistant social du centre de promotion sociale (CPS) de la commune de Zogbodomey : « Nous ne recevons pas les cas de jeunes en situation de paternité précoce dans le centre. Les cas les plus fréquents sont ceux des filles en situation de maternité précoce. Ce sont parfois ces filles qui nous amènent à rechercher l’auteur de leur grossesse et c’est ainsi qu’on découvre que c’est souvent de jeunes adolescents. Cependant il n’y a pas une assistance particulière en leur faveur. »

Les actions que le CPS affirme mener dans les cas de géniteurs adolescents consistent à contraindre la famille du jeune à assumer les responsabilités matérielles et financières. Parfois, le CPS recherche l’auteur de la grossesse afin qu’il assume ces responsabilités. Il existe, selon les pères adolescents interrogés, une relation conflictuelle entre eux et les centres de prise en charge des filles-mères.

La plupart du temps, les services aux jeunes parents s’intéressent à la mère afin de la soutenir, et au père afin de le mettre face à ses responsabilités économiques. Le père est rarement considéré comme pouvant apporter une contribution positive à la mère ou au développement de l’enfant. Le père est perçu comme une partie du problème, mais pas de la solution. Et lorsque sa contribution est exigée, c’est uniquement dans le sens d’un apport matériel. Le soutien psychologique et affectif qu’il peut apporter à la mère et à l’enfant est ainsi peu sollicité et mobilisé.

Discussion

À la lumière des théories mobilisées, la discussion s’articule autour de deux aspects principaux : d’une part le père adolescent et sa trajectoire socio-familiale en proie aux nouvelles responsabilités exigées par son environnement, et d’autre part le contexte macrosocial qui explique la manière dont l’éducation à la sexualité et les réponses apportées à la parentalité précoce sont gérées différemment sur la base des construits sociaux de genre.

Vulnérabilités psychosociologiques associées aux profils des pères adolescents

Les pères de la présente étude étaient relativement jeunes au moment de l’annonce de la grossesse. Cela démontre qu’ils sont entrés tôt dans la sexualité. Les statistiques de l’Enquête démographique et de santé au Bénin (EDSB, 2018) révèlent que l’âge médian des premiers rapports sexuels est de 17,3 ans pour les femmes de 25-49 ans, et de 18,7 ans pour les hommes de 25-49 ans. Les jeunes hommes de l’échantillon présentent donc une autre précocité quant à l’âge du premier rapport sexuel. Ils sont plus proches de l’échantillon d’une enquête réalisée au Bénin sur le VIH et la santé de la reproduction chez les adolescents et jeunes de 10-24 ans (ONUSIDA, UNFPA, OMS, UNICEF, 2018). Cette enquête a révélé que 45,3 % d’entre eux avaient déjà eu leur premier rapport sexuel, 31,5 % avant l’âge de 15 ans et 82,2 % avant l’âge de 18 ans. 

De nombreuses études en Afrique et en Europe (Bozon, 2012 ; Delaunay, 2001 ; Delaunay et Guillaume, 2007 ; Ouédraogo et al., 2006) constatent un allongement de la période d’activité sexuelle prémaritale tant pour les hommes que pour les femmes. Cependant, ces études constatent également une plus grande précocité du premier rapport sexuel chez les garçons que chez les filles. Évoquant la sexualité des adolescents et des jeunes en Afrique subsaharienne, Delaunay et Guillaume (2007) affirmaient : « on voit apparaître une “période de sexualité juvénile autonome” qui échappe au contrôle de la génération précédente et aboutit à une plus grande individualisation des comportements » (p. 213). Le milieu rural béninois n’échappe pas à cette réalité. Si les recherches ont remarqué peu de différences dans l’âge d’entrée dans la vie sexuelle d’une génération à une autre (Bozon, 2012 ; Bozon et Hertrich, 2004 ; Delaunay et Guillaume, 2007), les conditions de l’entrée marquent une différence dans le temps. Cette différence consiste en une « modification du contexte social dans lequel les jeunes générations entrent dans la vie sexuelle et féconde » qui tiendrait, selon les auteurs, à de nouvelles stratégies de survie économique ou aux conséquences d’une désorganisation sociale (Delaunay et Guillaume, 2007, p. 213). L’entrée dans la vie adulte se fait moins fréquemment par le mariage que par les rapports sexuels et la maternité ou la paternité, ce qui remet en question les frontières de l’adolescence. L’avènement de l’enfant comme corollaire d’une vie maritale, dans notre milieu d’étude, a davantage obligé les garçons à un engagement précoce.

Le choix de prendre en compte ceux qui suivaient une formation au cours de l’étude a permis de mieux apprécier les conditions dans lesquelles survenaient le maintien ou la rupture de l’apprentissage pour des garçons qui apparemment n’étaient pas concernés par les limites ou les inconvénients que peut occasionner une grossesse. Le plus souvent, dans l’imaginaire populaire, ce sont les carrières féminines qui sont affectées lorsque survient une grossesse. Les données de la présente étude font état d’une réalité où les trajectoires des pères adolescents sont tout autant déstabilisées. Sur les 32 pères, seulement 10 n’ont pas vu leur cursus de formation perturbé. On remarque néanmoins que ceux qui étaient engagés dans un apprentissage professionnel ont été les plus touchés : 14 ont mis fin à leur formation, sur 17. Les 10 pères qui n’ont pas été affectés sont issus de familles relativement aisées en comparaison avec celles des autres garçons. La précarité dans laquelle vivent les parents est un facteur déterminant dans le soutien accordé à l’adolescent. En plus de soutenir leur enfant dans la poursuite de ses études ou de sa formation, ces parents l’ont gardé avec eux, et parfois avec la fille et l’enfant.

Les facteurs économiques sont déterminants dans la décision de mener à terme une grossesse ou non, mais aussi dans l’engagement du garçon à assumer le rôle de père. Selon Blais (2005), la littérature révèle qu’une grande proportion des adolescentes qui poursuivent leur grossesse viennent d’un milieu socioéconomique défavorisé ou dysfonctionnel.

La majorité des adolescents de l’échantillon sont issus de milieux défavorisés et vivent avec leurs parents en situation de pauvreté. La zone d’étude fait partie des départements défavorisés selon l’Analyse globale de la vulnérabilité et de la sécurité alimentaire (Programme alimentaire mondial, 2014), avec une concentration de personnes très pauvres au-delà de la moyenne nationale (22 % contre 20 %). Tous les parents de l’échantillon qui ne sont pas agriculteurs s’investissent saisonnièrement dans l’agriculture pour garantir leur sécurité alimentaire. En outre, tous les pères adolescents, même ceux qui sont soutenus par leurs parents, sont obligés de s’engager dans des activités génératrices de revenus – la participation financière des pères étant l’élément capital attendu d’eux comme manifestation de leur responsabilité et de leur engagement. Dans un contexte patriarcal, les pères adolescents sont soumis à l’obligation d’un engagement familial et économique précoce vis-à-vis de la mère et de l’enfant. C’est en s’investissant très tôt dans ce rôle de pourvoyeur qu’ils hypothèquent leur avenir.

La précarité et la vulnérabilité qui caractérisent les adolescents pères de la présente étude correspondent au profil généralement retrouvé dans d’autres études sur les pères adolescents (Bédard et Inkel, 1988 ; Devault, Milcent et Ouellet, 2005 ; Marchand, 2013). Le profil type des pères adolescents décrit par ces auteurs, a trait à des jeunes issus de familles défavorisées ayant un statut économique précaire, une adolescence perturbée, certains étant en conflit avec la loi. Ils entrent dans la paternité sans planification, dans des conditions non favorables pour la venue d’un enfant.

Cette précarité aggrave la condition de paternité précoce, faisant ainsi le lit d’autres vulnérabilités, comme l’instabilité économique, la délinquance juvénile et la dépendance aux substances psychotropes. À ces contextes de vulnérabilité sont associés une faible estime de soi, le stress, voire un état de dépression, chez des adolescents caractérisés déjà par une immaturité psychologique qui affecte leur capacité de gestion du stress (Bédard et Inkel, 1988). Ce tableau est plus sombre quand il s’agit de ceux qui sont dans un processus de fragilisation des liens familiaux. Ainsi, la situation s’exacerbe avec le cumul d’autres stress, tels que les difficultés relationnelles avec les parents, la belle-famille et la fille.

Dimension genre de la prévention et de la gestion de la sexualité des adolescents : vulnérabilité différentielle entre maternité et paternité précoces

Les résultats de cette étude ont déconstruit la réalité sociale apparente qui pose les filles en situation de maternité précoce comme les seules victimes de la parentalité précoce. Ils révèlent qu’au vu des conditions de vie mais surtout des rôles de genre assignés à chaque sexe, les adolescents auteurs de grossesse sont également soumis aux contraintes de la parentalité précoce. Ils interrogent aussi la problématique de la santé reproductive des adolescents qui se pose davantage en termes de rapports de genre, révélateurs des inégalités sociales qui découlent des construits sociaux des rôles de genre. Ces dernières années et depuis la Conférence du Caire en 1994, l’accent a été mis sur la santé de la reproduction, et notamment sur les inégalités de genre auxquelles sont confrontées les femmes en matière de santé.

Le mot d’ordre était alors de renforcer les femmes et de susciter des actions spécifiques à leur endroit afin qu’elles puissent décider de leur corps et de leur sexualité. La traduction de cette philosophie a soulevé de nombreux questionnements dans un contexte africain à dominance patriarcale (Adjamagbo et Guillaume, 2001). On a pu constater dans les deux ou trois dernières décennies que les actions de prévention et de gestion de la santé reproductive des adolescents se sont concentrées sur les adolescentes. L’implication des adolescents est souvent secondaire. De ce fait, comme le souligne Bozon (2012, p. 126-127) :

Les jeunes femmes continuent à être plus préoccupées que les hommes par les conséquences éventuelles de la relation sexuelle : grossesse non prévue ou infection sexuellement transmissible. Elles abordent davantage la question de la contraception avant le rapport, et sont aussi plus nombreuses à avoir parlé des infections sexuellement transmissibles, qui concernent tout autant leurs homologues masculins […] La charge des enjeux de santé sexuelle et reproductive leur échoit prioritairement […] Les femmes sont ainsi poussées à intérioriser une responsabilité de soi qui est aussi responsabilité de l’autre.

Les campagnes de sensibilisation tendent à responsabiliser les jeunes filles plutôt que les garçons (Delaunay et Guillaume, 2007). Les adolescents garçons sont souvent les laissés-pour-compte des interventions relatives à la prévention de la grossesse. De ce fait, avec les premiers rapports sexuels, ils ne se préoccupent guère de la possible survenue d’une grossesse. En outre, les environnements familial et communautaire n’orientent pas le contrôle sexuel, la restriction de la liberté vers les garçons. L’adolescence étant la période de l’initiation à la sexualité, la tolérance sociale est inégalitaire face aux adolescents et aux adolescentes. Pour Delaunay et Guillaume (2007), « si la sexualité des femmes débute plus ou moins avant le mariage, selon le degré de permissivité sociale, on sait que celle des hommes est généralement initiée dans le célibat sous l’approbation tacite, parfois incitative, des aînés et des pairs » (p. 6). Ainsi, comme l’affirme Bozon (2012), « le contrôle de la sexualité juvénile est un noeud de la reproduction de l’ordre du genre. On attend des femmes et des hommes qu’ils endossent les postures de genre asymétriques qui les hiérarchisent » (p. 123). Aussi les normes qui régissent la sexualité ne sont-elles pas, au sein d’une même communauté, les mêmes pour les filles et les garçons. Les jeunes garçons et les jeunes filles vivent des expériences sexuelles différentes qui ne leur confèrent pas les mêmes responsabilités quant à la prévention des risques.

Si, en amont, le jeune garçon est peu averti des retombées d’une sexualité précoce et non protégée, l’avènement d’une grossesse sonne pour lui l’obligation de jouer très tôt le rôle de pourvoyeur imparti aux hommes dans sa communauté. Dans un contexte béninois où l’avènement de l’enfant ne se conçoit que dans le couple et où les mariages précoces sont d’ailleurs entre autres un moyen de régulation de la sexualité des filles, les jeunes adolescents sont vite contraints à vivre en couple et à ne pas demeurer une charge supplémentaire pour leurs parents.

La considération de la fille-mère comme seule victime d’une grossesse précoce renforce aussi le blâme fait aux garçons. Dans certains cas, le garçon doit également faire face à l’hostilité de la famille de la jeune fille, même s’il désire s’investir auprès de l’enfant. Certains adolescents prennent à coeur leur rôle de père et s’investissent pleinement dans leurs nouvelles responsabilités (Blais, 2005). Rester dans une approche centrée exclusivement sur les filles, c’est ignorer que « les conséquences sociales néfastes qui découlent d’une grossesse précoce peuvent toucher à la fois le jeune homme et sa partenaire (avortement, rejet familial, exclusion scolaire) » (Delaunay et al., 2001, p. 28).

Le paradoxe des actions de communication sur la santé reproductive et la paternité précoce

Parmi les constats des études sur le sujet, on note des changements importants dans les conditions d’entrée dans la vie sexuelle ainsi qu’une différenciation selon le genre du contrôle et de la gestion de la sexualité (Bozon, 2012 ; Delaunay et Guillaume, 2007 ; Héritier, 2018. La concentration des actions d’éducation à la santé sexuelle sur la notion de protection (IST, VIH/SIDA, grossesse non désirée) est fortement rattachée à la sexualité contemporaine qui autorise dans l’espace public des débats sur la sexualité. Elle participe à la banalisation d’un phénomène privé. Par conséquent, elle fragilise les contrôles parental et institutionnel, notamment dans des contextes où, du fait de la précarité, peu de parents exercent encore une autorité responsable sur leur progéniture. La lutte contre le sida a par exemple généralisé les programmes de sensibilisation, démonstrations à l’appui, sur les dangers de l’acte sexuel. C’est ce que confirme Bozon (2012) en ces termes : « il y a une prolifération des discours, des savoirs et des images de la sexualité ainsi que des recommandations en matière de comportements, partiellement contradictoires » (p. 129).

La priorité accordée à la planification familiale focalise l’attention sur le sexe féminin. Or les adolescentes sont absentes ou s’excluent à maints égards de ces programmes. D’une part ils s’adressent aux femmes mariées pour l’espacement des naissances, comme l’attestent la plupart des messages et des communications diffusés par les médias. D’autre part, avec les perceptions relatives à la planification, les adolescentes sexuellement actives ne se sentent pas concernées par des produits qui selon les discours populaires, et parfois des témoignages d’autres femmes, peuvent hypothéquer leur désir à moyen terme de procréation.

Au-delà de la focalisation sur les grossesses précoces (avec pour solution l’abstinence ou la contraception) et les IST/Sida (avec pour message l’abstinence, la fidélité et l’usage du préservatif), on constate que les communications ne sont pas orientées vers les dangers d’une paternité précoce. Ce paradoxe dans les messages d’éducation à la santé, est dénoncé dans les travaux de Yannick Jaffré, qui insistent sur la nécessité de comprendre les représentations, conduites et actions des populations ciblées et la construction d’espaces de dialogue entre intervenants et cibles des programmes. « L’espérance de modifier des “comportements” par de “bons messages” dissimule en fait la croyance que le discours scientifique médical puisse régir les pratiques des populations sans tenir compte de la prise de la personne dans les réseaux de son désir, de son environnement objectif et des règles du jeu social de son milieu » (Jaffré, 1990, p. 61).

En outre, les activités de sensibilisation se concentrent au niveau des collèges, lycées et centres universitaires, au détriment du secteur informel marchand et de celui de l’apprentissage qui mobilisent une bonne frange de la jeunesse dans les localités investiguées (Baba-Moussa, 2017).

Les médias se font le relais des milieux d’intervention et renforcent les discours de prévention des grossesses précoces et de stigmatisation des pères. Ces derniers sont vus comme étant responsables de la situation (grossesse précoce et arrêt brutal du parcours de formation ou d’apprentissage de la fille enceinte). Et paradoxalement, les médias sociaux, en ce moment de transformation numérique des sociétés, ne contribuent pas favorablement à atténuer la situation. Au contraire, ils encouragent l’accès à l’information non contrôlée sur la sexualité et agissent comme « un facteur de résistance dans un processus d’anticonformisme » (Zounon et al., 2018, p. 223).

Si en général la grossesse précoce, et par conséquent l’avènement brutal et soudain de la parentalité, est souvent attribuée entre autres au manque de communication, à l’échec de l’éducation et à l’instabilité familiale (Yao, 2014), sa prise en charge est tributaire de la nature des interventions qui s’observe à trois niveaux : 1) les interventions sont ancrées dans les rapports inégaux de genre préexistants qui exigent plus de retenue et de responsabilité de la part des filles quant à la prévention des grossesses précoces. 2) Lors d’une grossesse précoce, les garçons sont par contre traqués et obligés d’assumer une responsabilité traditionnellement rattachée aux pères. De ce fait, les interventions dénient toute condition de vulnérabilité aux pères adolescents, ne prévoyant même pas d’assistance à leur endroit. Et 3) les communications sur les dangers d’une sexualité précoce, même si elles interpellent les garçons, n’abordent pas de façon spécifique l’éventualité et les impacts négatifs de la paternité précoce. On continue de leur parler de grossesse précoce et ils se sentent ainsi moins concernés.

Conclusion

La paternité précoce est une thématique banalisée, voire ignorée au niveau de la recherche, des interventions et de l’opinion publique. Cette situation trouve son origine dans la construction sociale des rapports inégaux de sexe. Elle renvoie à des représentations et des pratiques autour de la sexualité qui sont plus permissives pour les jeunes garçons que pour les jeunes filles. De ce fait, les actions concernant la sexualité reproductive des adolescents sont davantage orientées vers les filles. Lorsqu’ils s’adressent aux garçons, les messages portent sur la prévention des IST et des grossesses précoces. Aucune évocation n’est faite de la paternité précoce. Or, les adolescents en situation de paternité précoce sont des adolescents immatures qui vivent aussi tout comme les filles-mères dans des conditions de vulnérabilité.

À cela s’ajoute très tôt la responsabilité dévolue à tout père au sein de leur société : celle d’assumer le rôle productif qui correspond à une assistance matérielle à la fille et à l’enfant. Les pères adolescents sont aussi contraints parfois à une vie maritale. Les conséquences de l’avènement d’une grossesse pour un géniteur adolescent sont alors de plusieurs ordres : responsabilités diverses précocement assumées, exclusion du cursus de formation, perte du soutien familial, repli social, et des troubles psychologiques associés. C’est pourquoi la question d’un soutien à la coparentalité impliquant les garçons et les filles se pose pour le bien de chacun d’eux et de l’enfant.

Cela se traduirait par une réorientation des actions des centres d’aide aux filles-mères. Ces derniers devront intégrer les pères adolescents dans leurs paquets d’activités. La médiation parents-enfants devra être favorisée pour permettre le maintien de l’assistance et des relations avec la famille. Tout cela implique d’une part la responsabilité des parents et des institutions que sont l’école, les centres d’apprentissage et les centres de promotion sociale, mais surtout la nécessité de repenser les rapports sociaux inégalitaires dans le domaine de l’éducation sexuelle. Il faudra mettre en place des stratégies de communication pour informer davantage l’opinion publique sur le phénomène de la paternité précoce ; mettre l’accent sur les causes et surtout sur les conséquences néfastes sur ces jeunes adolescents eux-mêmes. Il revient également aux décideurs de prendre en compte, dans les normes et standards relatifs à la santé reproductive des adolescents, la paternité précoce et ses dangers. Le soutien aux jeunes pères doit être cependant orienté en fonction de leurs besoins diversifiés dans des contextes spécifiques. Ces choix exigent une attention vers les enjeux de santé globale où les questions de fécondité et de croissance démographique orientent fortement les interventions locales.