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Les entités non parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC)[1] (par exemple : la société civile, le secteur privé, les institutions financières, les villes et les autres autorités infranationales) contribuent depuis plusieurs décennies maintenant à l’édification du régime climatique mondial. L’Accord de Paris sur le climat (Accord de Paris)[2] reconnaît d’ailleurs leur rôle, et tout particulièrement celui des pouvoirs publics « à tous les niveaux », dans la lutte contre les changements climatiques. Nombreux sont les États fédérés et autres gouvernements non centraux qui ont déployé des initiatives internationales au fil des ans afin de répondre à la crise climatique, appelant ainsi à une fragmentation du régime climatique mondial, devenant davantage polycentré, et à acteurs multiples[3]

Le Québec notamment, joue un rôle très actif dans ce domaine depuis plusieurs décennies, et est même devenu un leader nord-américain et international reconnu sur cette question. Son leadership s’illustre d’ailleurs à travers les nombreux engagements climatiques internationaux qu’il a contractés au cours des trois dernières décennies, et aussi par le fait qu’il s’est déclaré lié aux accords internationaux sur le climat dont la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (1992), le Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (Protocole de Kyoto)[4] et l’Accord de Paris (2015)[5].

Cette volonté du Québec, en tant qu’État fédéré, de mettre en oeuvre ces grands accords internationaux sur le climat dans ses champs de compétence apporte son lot de réflexions, tant sur le plan théorique que pratique. S’y intéresser permet, d’une part, d’accroître la littérature quant au rôle et à la pertinence des États fédérés dans la gouvernance mondiale du climat. D’autre part, dans une perspective pratique, cela vient légitimer la volonté du Québec d’être considéré comme un acteur crédible et pertinent pour répondre aux grandes problématiques internationales comme celle de la lutte contre les changements climatiques.

L’objectif de cet article est ainsi double. D’abord, il vise à analyser la manière dont le Québec donne suite à son engagement de 2016 de mettre en oeuvre les dispositions de l’Accord de Paris dans ses propres champs de compétences, et ce, bien qu’il ne soit pas considéré comme une Partie à l’Accord de Paris. Deuxièmement, cet article se veut aussi une contribution à la réflexion plus large quant au rôle et à la légitimité des États fédérés dans la gouvernance mondiale du climat. Cinq ans après l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris, il est possible d’affirmer que le Québec a mis en oeuvre l’essentiel des dispositions phares de l’Accord de Paris et qu’il constitue dès lors un partenaire impliqué et actif dans cette gouvernance mondiale du climat éclatée et polycentrée. Mais bien plus, par cette volonté de « faire sa part » face à la mise en oeuvre de l’Accord de Paris en tant que gouvernement non central, cela ouvre une voie non négligeable dans l’importance de promouvoir et d’encourager ces-dits acteurs dans l’édification et la mise en oeuvre du régime climatique mondial et ainsi contribuer substantiellement à lutter contre les changements climatiques.

Pour mieux rendre compte de ces réflexions, cet article présente d’abord l’évolution de la paradiplomatie climatique au Québec (I) en s’attardant notamment au phénomène de paradiplomatie climatique ainsi qu’à l’évolution et à la mise en oeuvre des engagements internationaux de la province en matière de climat depuis les trente dernières années. Il expose ensuite l’Accord de Paris (II) et ses composantes et en dégage les principales obligations et attentes envers les Parties. Ces mêmes obligations et attentes sont ensuite reprises pour constituer la grille d’analyse utilisée pour analyser l’état de la mise en oeuvre de l’Accord de Paris par le Québec (III). Cela permet ultimement de nourrir la réflexion sur la reconnaissance du rôle important des gouvernements non centraux dans l’orchestration de la lutte mondiale contre les changements climatiques (IV).

I. Paradiplomatie et mise en oeuvre des engagements internationaux du Québec en matière de changements climatiques

A. Gouvernance climatique mondiale et paradiplomatie

La construction du régime climatique international que l’on connaît aujourd’hui a débuté avec la signature de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques à Rio de Janeiro, lors la Conférence des Nations unies sur l’environnement humain, mieux connu sous le nom de Sommet de la Terre, en 1992. Construit autour des États souverains (nommés Parties dans les textes officiels), ce nouveau régime avait pour objectif de limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES) « à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique »[6]. Ce régime reconnaissait également la nécessité pour les pays développés d’être « à l'avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes »[7] et ainsi de faire preuve de leadership dans les actions à entreprendre face à cette importante problématique. Or on a rapidement assisté à un effritement de ce régime en raison des nombreuses limites et difficultés des Parties à répondre aux objectifs de limitation des émissions de gaz à effet de serre. Les intérêts multiples et souvent contradictoires de la lutte contre les changements climatiques face aux intérêts économiques ainsi que la présence de nombreux points en litige entre les États parties concernant, entre autres, le financement et le renforcement des capacités dans les pays en développement ont également contribué à la fragmentation du régime climatique. Ceci s’est d’ailleurs reflété dans les Conférences des Parties, qui ont montré, au fil du temps, plusieurs blocages et points d’achoppement[8].

Pourtant, les changements climatiques constituent un cas type de problématique environnementale dont les sources et les conséquences se trouvent tant au niveau local qu’international. La régulation doit ainsi intégrer les acteurs à tous les échelons de la gouverne[9]. Ce n’est donc pas par hasard que nous assistons depuis plusieurs années déjà à une fragmentation du régime climatique international. Dorsch et Flachland soulignent d’ailleurs que l’

[i]nternational multilateralism, with the UNFCCC and the Conferences of Parties at its core, remains a central —but not exclusive—forum for global climate governance. Other actors and fora are also contributing to a dynamically evolving web of policies at different scales and on different governance levels[10].

Certains auteurs ont aussi avancé que cet éclatement du régime climatique a eu pour effet de générer un modèle de gouvernance davantage polycentré et à acteurs multiples[11]. Keohane et Victor notamment, ont souligné que le régime climatique que l’on connait aujourd’hui devrait davantage être considéré comme un « complexe de régimes », où se chevauchent plusieurs institutions ou régimes qui peuvent avoir des objectifs similaires, concomitants ou divergents, avec des membres variés, qui découlent de priorités et d’enjeux différents et qui ne sont pas organisés hiérarchiquement entre eux[12]. D’autres proposent plutôt l’idée de « l’orchestration » pour expliquer la nature éclatée de cette gouvernance. Selon cette approche, la gouvernance climatique mondiale serait d’abord indirecte et basée sur la recherche d’incitatifs à l’action plutôt que la contrainte, puisque les pouvoirs des orchestrateurs (comme les organisations intergouvernementales ou les initiatives transnationales, ou encore les États) seraient limités. Ainsi, ces derniers auraient davantage pour rôle de structurer, coordonner et mobiliser les activités des intermédiaires (qui peuvent à la fois être des acteurs publics ou privés, et provenir de différents échelons de la gouverne) afin d’atteindre des objectifs mutuellement partagés[13].

Ainsi, ces différentes approches reconnaissent toutes, à des degrés divers, que la gouvernance mondiale du climat ne relève pas d’une simple approche « top-down » où l’État central et les organisations intergouvernementales constituent les acteurs clefs. Il s’agirait plutôt d’un chevauchement d’acteurs de différents horizons, se déployant tant du bas vers le haut, au niveau horizontal ou encore verticalement afin de répondre à des normes, valeurs et principes partagés entre eux à des degrés divers[14]. Dès lors, cela conduit à devoir élargir les recherches vers ces autres acteurs, comme les États fédérés, afin d’y observer leurs efforts, succès, échecs et limites face à l’atteinte des objectifs partagés en regard à l’Accord de Paris et plus largement à la gouvernance mondiale du climat.

À cet effet, au cours des trois dernières décennies, de plus en plus de gouvernements non centraux ont cherché à intervenir pour répondre à la problématique climatique, certes sur le plan interne, mais aussi et de plus en plus à l’échelle internationale, menant au développement de ce que les chercheurs appellent désormais la paradiplomatie climatique[15]. Se définissant comme l’action internationale de gouvernements non centraux[16], la paradiplomatie, dans ce cas-ci climatique, s’est considérablement développée depuis les 30 dernières années. Le Québec notamment a construit une paradiplomatie climatique vaste et structurée, s’inscrivant dans une longue tradition d’actions internationales découlant de la Doctrine Gérin-Lajoie, qui, énoncée pour la première fois en 1965, a eu un impact majeur sur la vision du Québec relative à son activité internationale[17]. Cette doctrine a permis au Québec de justifier sa propre politique internationale et de conclure des ententes internationales lorsque celles-ci concernent ses propres champs de compétence, si bien qu’aujourd’hui, le Québec est considéré comme l’un des États non souverains les plus actifs internationalement[18]. La province est d’ailleurs intervenue sur la scène internationale en matière de changements climatiques dès le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, en intégrant la délégation canadienne, en adoptant des ententes transfrontalières et internationales, et en s’engageant à mettre en oeuvre les grands accords internationaux sur le climat dans ses champs de compétence[19]. Depuis lors, cette paradiplomatie climatique a évolué et s’est considérablement diversifiée.

B. Évolution de la paradiplomatie climatique québécoise[20]

Dès l’apparition de la problématique des changements climatiques comme objet de préoccupation politique à l’échelle internationale, le Québec, comme plusieurs autres gouvernements non centraux, a reconnu le caractère intermestique[21] de la problématique et la nécessité d’y répondre, tant sur son territoire qu’à l’extérieur de ses propres frontières. Le Québec a ainsi développé son action internationale en matière de climat en utilisant une variété d’outils et de stratégies internationales, en misant à la fois sur le déploiement d’une paradiplomatie transfrontalière et régionale ainsi que sur sa participation au sein de la fédération canadienne pour influencer la position de cette dernière, mais aussi en intervenant directement dans les négociations climatiques internationales et en cherchant à faire valoir le rôle et la pertinence des États fédérés dans la régulation de la problématique des changements climatiques. Et finalement, le Québec a aussi choisi de mettre en oeuvre la plupart des dispositions du régime climatique international sur son territoire, lui permettant ainsi d’intégrer encore davantage la Doctrine Gérin-Lajoie, alors qu’il reconnaît sa part de responsabilité dans la mise en oeuvre des grands accords climatiques internationaux[22].

1. LES PREMIERS MOMENTS : PARADIPLOMATIE CLIMATIQUE TRANSFRONTALIÈRE

C’est d’abord dans une perspective transfrontalière que le Québec déploie initialement son activité internationale à la fin des années 1980, au sein de la Conférence des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des Premiers ministres de l’Est du Canada (CGNA-PMEC). Dès 1989, une première résolution est adoptée à cet effet, avant même le dépôt du premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) à l’égard des changements climatiques, qui paraît en 1990, et du Sommet de la Terre de Rio en 1992. Puis, en août 2001, les États membres de la CGNA-PMEC adoptent un plan d’action régional s’intitulant Plan d’action sur le changement climatique, montrant alors un très haut niveau de leadership et de coopération sur cette question, d’autant plus qu’il s’agit à ce moment du tout premier plan d’action du genre en Amérique du Nord et dans le monde[23]. Les cibles de réduction prévues par le plan d’action sont par ailleurs très ambitieuses pour l’époque. On vise essentiellement trois phases de réduction des émissions de GES : 1) une stabilisation des émissions de GES par rapport aux niveaux de 1990 pour 2010; 2) une réduction de 10 % des émissions sous les niveaux de 1990 pour 2020; et 3) une réduction des émissions de GES de 75-85 % sous les niveaux de 2001 pour 2050[24].

D’autres réseaux d’États fédérés attirent ensuite l’attention du Québec relativement aux questions climatiques. En 2003, la province devient observatrice au sein de la Regional Greenhouse Gas Initiative (RGGI), le tout premier marché de carbone nord-américain visant plus spécifiquement les émissions de GES provenant des producteurs d’électricité issue de sources thermiques[25]. Puis, en 2008, elle devient membre de la Western Climate Initiative (WCI), une organisation visant la mise en place d’un marché du carbone multisectoriel où participait alors près d’une dizaine d’États fédérés nord-américains (pour plus de détails, voir Chaloux 2014[26]). Cette initiative a donné naissance au système de plafonnement et d’échanges de droits d’émission Québec-Californie, qui est actuellement le plus important marché du carbone en Amérique du Nord[27].

Enfin, à compter de 2015, le Québec et les membres de la CGNA-PMEC renforcent leur collaboration sur la question des changements climatiques. D’abord, dans le contexte entourant l’avènement de la Conférence de Paris, la CGNA-PMEC rehausse sa cible de réduction des émissions de GES en adoptant une cible de -35 à -45 % sous les niveaux de 1990 pour 2030. Et deux années plus tard, en 2017, l’organisation met à jour son plan d’action régional sur le changement climatique et cible de nouveaux champs d’actions prioritaires[28].

2. LES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX DU QUÉBEC : PARADIPLOMATIE CLIMATIQUE INTERNATIONALE

Bien qu’actif au niveau régional, le Québec a rapidement reconnu l’importance d’être aussi présent au niveau international pour répondre à la problématique des changements climatiques. Ainsi, dès 1992, le Québec dépêche des observateurs à la Conférence de Rio durant laquelle la CCNUCC est ouverte à signature[29]. Le Québec poursuit par la suite sa participation dans l’édification du régime climatique international en intégrant la délégation canadienne lors de l’instauration des Conférences des Parties (CdP) qui ont lieu annuellement à partir de 1995. Des fonctionnaires, ministres et même le Premier ministre québécois sont dorénavant présents et peuvent avoir accès aux forums de négociations et aux événements parallèles de cette importante rencontre annuelle[30].

La participation du Québec dans les forums climatiques internationaux ne se résume pas uniquement à l’intégration de la délégation canadienne. La province va aussi utiliser les CdP à la CCNUCC pour participer et organiser des événements parallèles lui permettant de promouvoir les différentes politiques climatiques mises en place sur son territoire et les actions concertées élaborées avec d’autres États fédérés. Plus concrètement, il s’agit de rencontrer des chefs de gouvernement et d’État nationaux et infranationaux et de développer différents partenariats avec des organisations d’États fédérés qui ont essentiellement pour objectif de défendre et promouvoir le rôle et la pertinence des États fédérés dans la construction du régime climatique mondial. À titre d’exemple, le Québec participe activement, depuis 2005, aux activités de deux organisations d’États fédérés et de gouvernements locaux soit le Climate Group[31] et le Regions4[32]. Ces organisations mettent en place différents outils pour assurer une reconnaissance des États fédérés dans les textes de négociation de ces conférences afin de permettre un certain rayonnement des actions des États fédérés dans la gouvernance climatique mondiale[33].

C. Mise en oeuvre et respect des engagements internationaux du Québec face au régime climatique mondial

Une autre stratégie du Québec face à son action climatique internationale est rattachée à sa volonté de mettre en oeuvre, dans ses champs de compétence, différentes dispositions du régime climatique international découlant de la CCNUCC, du Protocole de Kyoto ou encore de l’Accord de Paris. Ce faisant, il pousse encore plus loin la Doctrine Gérin-Lajoie, alors qu’il reconnaît sa part de responsabilité face au régime climatique international et décide de souscrire à ces engagements internationaux en se déclarant lié à ceux-ci. Qui plus est, le Québec met en oeuvre, dans ses champs de compétences, plusieurs des dispositions et obligations du régime climatique, à l’instar d’un État partie.

Un premier pas est franchi à cet effet, en avril 2001, lorsque l’Assemblée nationale du Québec adopte à l’unanimité une motion d’appui au Protocole de Kyoto. Cette motion appelait le gouvernement fédéral canadien à ratifier le Protocole et à « mettre en oeuvre les mesures qu’il s’est engagé à réaliser dans le cadre du premier plan d’action pancanadien sur les changements climatiques »[34]. Puis, en 2006, le gouvernement du Québec adopte un plan d’action de lutte contre les changements climatiques, à l’intérieur duquel il rend encore plus explicite sa volonté de « mettre en oeuvre le Protocole [de Kyoto] dans ses domaines de compétence »[35]. Ce plan vise une réduction de 6 % des émissions de gaz à effet de serre sous les niveaux de 1990 d’ici 2012 et met en place une série de mesures ciblant tous les secteurs économiques de la province pour y parvenir (transport, énergie, agriculture, matières résiduelles, industries, etc.)[36].

Par la suite, en 2009, le Québec va encore plus loin. Quelques mois avant l’amorce des travaux de la CdP15 (Copenhague) devant aboutir à de nouveaux engagements climatiques post-2012 et à plus long terme, le Québec, à la suite d’un important processus de consultation publique, adopte une cible de réduction calquée sur l’Union européenne, soit une cible de réduction de 20 % des émissions sous les niveaux de 1990 pour 2020[37]. Cette volonté s’est ensuite poursuivie avec l’Accord de Paris adopté en 2015. Dans un décret adopté le 7 décembre 2016, le Québec se déclare lié à l’Accord de Paris et s’engage à assurer sa mise en oeuvre dans ses champs de compétences. On peut dès lors constater clairement la volonté du Québec de s’engager dans ce régime climatique mondial, non seulement en développant des partenariats avec d’autres acteurs, mais aussi en ayant la volonté de respecter les engagements de la communauté internationale en matière de lutte contre les changements climatiques.

D’ailleurs, une étude réalisée en 2011 démontrait déjà cette volonté qu’avait le Québec de se conformer aux différentes obligations découlant de la CCNUCC et du Protocole de Kyoto[38]. Dans les faits, le Québec a mis en oeuvre la très grande majorité de leurs dispositions, et ce, indépendamment du gouvernement fédéral, comme en témoigne le processus de mise en oeuvre et d’intégration de la CCNUCC et du Protocole de Kyoto[39] en droit interne au Québec (et dans ses champs de compétence). Les seules exceptions ayant été relevées dans cette étude provenaient de l’aspect du soutien financier aux pays en développement[40].

II. L’Accord de Paris : contexte, objectifs, obligations et attentes

A. L’Accord de Paris, un point tournant pour la gouvernance climatique mondiale

Après cinq années de dialogue sur l’action concertée à long terme des Parties au titre de la Convention[41] et quatre années intensives de négociations sous la Plate-forme de Durban[42], l’adoption de l’Accord de Paris, en 2015, marque un tournant dans la gouvernance mondiale du climat. Premier accord universel sur les changements climatiques, l’Accord de Paris ne distingue plus aussi strictement la nécessité d’action climatique des États en fonction de leur niveau de développement (comme l’a fait auparavant le Protocole de Kyoto), mais demande plutôt à tous les États d’agir en faveur du climat, et ce, en fonction de leur capacité d’agir et selon les objectifs qu’ils se seront eux-mêmes fixés[43]. L’Accord de Paris pose ainsi les bases d’un régime climatique mondial qui demande dorénavant à chaque Partie de déployer ses meilleurs efforts pour lutter contre les changements climatiques.

Dans la décision 1/CP.21 de l’Accord de Paris, les Parties incitent également les entités non parties à accroître leurs efforts pour le climat, en reconnaissant du même coup le rôle qu’ils jouent dans la lutte mondiale contre les changements climatiques :

[La Conférence des Parties] [i]nvite les entités non parties […] à amplifier leurs efforts et à appuyer des mesures destinées à réduire les émissions et/ou renforcer la résilience et diminuer la vulnérabilité aux effets néfastes des changements climatiques[44].

Ainsi, l’Accord de Paris ouvre davantage[45] la voie à une gouvernance climatique mondiale qui, déjà polycentrée et à acteurs multiples[46], fait une place encore plus grande aux initiatives portées par la société civile, le secteur privé, les institutions financières, les villes et les autres autorités infranationales. Cette reconnaissance du rôle des entités non parties dans la lutte contre les changements climatiques a d’ailleurs encouragé plusieurs gouvernements non centraux à mettre en place une variété de stratégies paradiplomatiques afin de promouvoir leur rôle et contribuer à la lutte contre les changements climatiques dans la mesure de leurs moyens et capacités[47]. C’est d’ailleurs le cas du Québec qui, comme mentionné précédemment, s’est déclaré lié à l’Accord de Paris et aux grands accords internationaux sur le climat en plus de mettre en oeuvre l'essentiel de ses dispositions phares dans ses champs de compétences.

B. Les objectifs de l’Accord de Paris et ses attentes envers les Parties

L’Accord de Paris a pour objectif ultime de « renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques »[48], contribuant de ce fait à la mise oeuvre de la CCNUCC. Il vise particulièrement trois objectifs globaux, soit de : (1) « [contenir] l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et [poursuivre] l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C » (article 2a); (2) « [renforcer] les capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques et [promouvoir] la résilience à ces changements et un développement à faibles émissions de gaz à effet de serre » (article 2b); et (3) « [rendre] les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques » (article 2c)[49].

Pour atteindre ces objectifs, l’Accord de Paris prévoit une série de dispositions à l’égard des Parties. À l’image de la majorité des traités internationaux, certaines de ces dispositions ont une force légale obligatoire, que l’on reconnaît généralement par l’utilisation du terme « shall »[50] dans la version anglaise de l’Accord de Paris[51]. D’autres dispositions peuvent s’interpréter comme des obligations de « s’efforcer », et sont donc faiblement contraignantes pour les Parties. Celles-ci sont généralement introduites par le terme « should ». Outre ces distinctions d’ordre juridique, la portée des dispositions de l’Accord de Paris varie également en fonction des sujets concernés. Ainsi, les dispositions applicables aux « Parties » directement[52], à « toutes les Parties »[53] ou à « chaque Partie »[54] créent clairement des obligations individuelles envers les Parties[55], alors que d’autres créent des obligations pour le régime dans son ensemble, et non envers les Parties individuellement[56]. À titre d’exemple, l’article 4.5 de l’Accord de Paris est un cas type d’obligation applicable au régime dans son ensemble : « [s]upport shall be provided to developing country Parties for the implementation of this Article […] »[57].

Aux fins de cet article, nous nous intéresserons spécifiquement aux attentes de l’Accord de Paris envers les pays développés parties. Par « attentes », nous entendons toutes les dispositions de l’accord faisant office d’obligations (identifiées par le terme « shall » dans la version anglaise de l’Accord de Paris) ou de recommandations (identifiées par le terme « should ») envers les Parties individuellement[58]. Ainsi, nous regroupons les attentes de l’Accord de Paris envers les Parties en cinq catégories distinctes d’articles. In fine, ces catégories d’articles serviront de grille d’analyse pour évaluer l’état de la mise en oeuvre de l’Accord de Paris par le Québec.

Tableau 1

Attentes en matière de réduction des émissions et de communication des contributions déterminées au niveau national (Catégorie 1)

Attentes en matière de réduction des émissions et de communication des contributions déterminées au niveau national (Catégorie 1)

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Tableau 2

Attentes en matière d’adaptation et de coopération pour l’adaptation (Catégorie 2)

Attentes en matière d’adaptation et de coopération pour l’adaptation (Catégorie 2)

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Tableau 3

Attentes en matière de conservation et de renforcement des puits et réservoirs de gaz à effet de serre (Catégorie 3)

Attentes en matière de conservation et de renforcement des puits et réservoirs de gaz à effet de serre (Catégorie 3)

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Tableau 4

Attentes en matière d’appui aux pays en développement parties et de communication sur l’appui fourni (Catégorie 4)[59][60]

Attentes en matière d’appui aux pays en développement parties et de communication sur l’appui fourni (Catégorie 4)5960

Tableau 4 (suite)

Attentes en matière d’appui aux pays en développement parties et de communication sur l’appui fourni (Catégorie 4)5960

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Tableau 5

Attentes en matière d’éducation et de sensibilisation aux changements climatiques (Catégorie 5)

Attentes en matière d’éducation et de sensibilisation aux changements climatiques (Catégorie 5)

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III. La mise en oeuvre de l’Accord de Paris par le Québec (2015-2020)

Depuis l'adoption de l'Accord de Paris en 2015, le Québec a mis en oeuvre, bien qu’à des degrés divers, la majorité de ses dispositions phares dans ses champs de compétences, en se fixant et communiquant, par exemple, des cibles à moyen et long terme en matière de réduction des émissions de GES, en développant des stratégies d’adaptation, en adoptant des mesures pour la conservation et le renforcement des réservoirs de GES, en apportant un soutien aux pays en développement, ou encore en misant sur la sensibilisation et l’éducation de sa population à l’égard des changements climatiques et de leurs solutions.

Cette section présente la manière dont le Québec parvient concrètement, même en tant qu’entité non partie à la CCNUCC, à répondre aux attentes de l’Accord de Paris et à s’engager dans la gouvernance mondiale du climat. Il est donc ici question des actions climatiques concrètes mises de l’avant par le Québec depuis 2015, ainsi que de leur conformité avec les obligations et recommandations de l’Accord de Paris à l’égard des Parties à CCNUCC, telles que synthétisées à la section précédente.

A. Catégorie 1 : Réduction des émissions et communication des contributions déterminées au niveau national

La première catégorie d’attentes de l’Accord de Paris rassemble les obligations et recommandations devant permettre l’atteinte du plafonnement mondial des émissions de GES dans les meilleurs délais et la carboneutralité au cours de la deuxième moitié du siècle (art 4.1). Elle comprend donc les attentes relatives à la progression continue des cibles de réduction des émissions de GES, à la communication des CDN et aux méthodes employées pour comptabiliser les émissions, à l’emploi de mesures à court et à long terme d’atténuation des GES et à l’adoption d’objectifs à l’échelle de l’économie.

L’article 4.2 de l’Accord de Paris exige que « chaque Partie établi[sse], communique et actualise les contributions déterminées au niveau national successives qu’elle prévoit de réaliser »[61], ce à quoi le Québec se conforme actuellement. En effet, les cibles de réduction adoptées par le gouvernement du Québec peuvent, en pratique, être considérées comme des CDN pour la province. En 2015, trois cibles d’atténuation étaient en vigueur au Québec par rapport au niveau de 1990 :

Une réduction de 20 % des émissions de GES pour 2020, réitérée dans le Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques (PACC 2020)[62]

Une réduction de 37,5 % des émissions de GES pour 2030, adoptée à la suite d’une commission parlementaire à l’Assemblée nationale[63]

Une réduction de 80 à 95 % des émissions de GES pour 2050, avec l’adhésion du Québec à la coalition Under2[64].

Par ailleurs, déposé en novembre 2020, le Plan pour une économie verte 2030 (PEV 2030) présente deux cibles de réduction pour le Québec. On y réitère d’abord le maintien de la cible d’atténuation de 37,5 % sous les niveaux de 1990 pour 2030; cible qui rappelle, tant sur le fond que sur la forme, une CDN. On y annonce ensuite l’atteinte de la carboneutralité pour 2050[65]. Ainsi, conformément aux obligations des articles 4.2 et 4.9 de l’Accord de Paris, le Québec communique et actualise ses CDN (art 4.2), et ce, 5 ans après l’entrée en vigueur de l’Accord (art 4.9). La conformité du Québec à l’article 4.9 de l’Accord de Paris, aussi connu sous le nom de « clause cliquet », s’appuie aussi sur l’article 46.4 de Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) qui stipule désormais[66] que « [l]a cible [de réduction du Québec] doit être révisée au moins tous les cinq ans ». La révision et la fixation d’une nouvelle cible doivent faire suite à une sollicitation des conseils du nouveau comité consultatif sur les changements climatiques par le ministre[67]. Précisons toutefois que ce processus ne garantit pas le rehaussement ni l’adoption de nouvelles cibles, ce qui constitue une différence importante par rapport à ce que prévoit l’Accord de Paris.

D’ailleurs, le Québec n’est que partiellement conforme à l’article 4.3 de l’Accord de Paris qui exige que « la [CDN] suivante de chaque Partie représent[e] une progression par rapport à la [CDN] antérieure »[68]. En effet, bien que sa cible de carboneutralité pour 2050 soit conforme à l’article 4.3, puisqu’il s’agit d’une cible plus élevée que celle sous la coalition Under2 (80 à 95 % de réduction), le maintien de l’objectif de réduction de 37,5 % pour 2030 ne constitue pas une progression par rapport à sa cible précédente.

En ce qui concerne l’adoption de mesures à long terme, la cible de carboneutralité du Québec pour 2050 répond à l’article 4.1 de l’Accord de Paris qui demande que les États opèrent rapidement des réductions de GES en vue de parvenir à « un équilibre » entre les émissions d’origine anthropiques et leur absorption par des puits de GES pour la seconde moitié du siècle[69]. Cette cible permet également au Québec de se conformer à l’article 4.19 de l’Accord qui recommande aux Parties de se doter de stratégies à long terme pour le développement d’une économie sobre en carbone. Pour atteindre sa cible du « zéro émission nette », le Québec comptera sur l’électrification de son économie, en passant d’abord par le secteur des transports qui composaient toujours 44,8 % des émissions GES de la province en 2018[70]. L’interdiction de la vente de véhicules neufs à essence dès 2035 figure d’ailleurs parmi la série de mesures énoncées dans le Plan de mise en oeuvre 2021-2026 du PEV 2030[71]. Les investissements dans la production et la vente d’hydrogène vert et de bioénergies constituent l’autre pilier de la stratégie à long terme du PEV 2030 vers la carboneutralité. Le gouvernement compte d’ailleurs augmenter de 50 % sa production des bioénergies d’ici 2030[72].

Aussi, conformément à la recommandation de l’article 4.4 de l’Accord de Paris, les cibles de réduction du Québec sont exprimées en chiffres absolus et s’appliquent à l’échelle de l’économie, soit dans les secteurs des transports, de l’industrie, du bâtiment, de l’agriculture, de la gestion des matières résiduelles et de l’énergie.

Conformément à l’article 46.18 de la LQE, le gouvernement du Québec publie un inventaire bisannuel des GES[73]. Il le fait conformément aux directives de la CCNUCC (arts 4.8, 4.13 et 4.14 de l’Accord de Paris), et ce, en suivant les méthodes prônées par le GIEC (art 13.7 de l’Accord de Paris)[74]. Il respecte ainsi les obligations de communication et d’utilisation des méthodes préconisées par la Convention. En revanche, les données présentées par l’inventaire québécois diffèrent légèrement des catégories recommandées par la CCNUCC, puisque le Québec offre un inventaire de GES dans lequel le secteur des transports possède sa propre catégorie. De plus, les procédés et la combustion sont plutôt comptabilisés dans le secteur de l’industrie, contrairement à la CCNUCC qui les inclue dans la catégorie « Énergie »[75]. Cela s’explique principalement par la très faible contribution du secteur de l’énergie au bilan de GES de la province. Provenant en quasi-totalité de sources renouvelables, la production d’énergie ne représentait que 0,3 % des émissions totales du Québec en 2018[76].

B. Catégorie 2 : Adaptation aux impacts des changements climatiques et coopération pour l’adaptation

La deuxième catégorie d’attentes de l’Accord de Paris rassemble les obligations et recommandations devant mener au renforcement des capacités d’adaptation des États parties ainsi qu’à l’accroissement de leur résilience et à la réduction de leur vulnérabilité face aux changements climatiques (art 7.1). Elle comprend donc les attentes relatives à la mise en oeuvre (art 7.9) et à la communication de plans d’adaptation (arts 7.10 et 7.11) ainsi qu’à la coopération et au partage de renseignements entre les Parties en matière d’adaptation (art 7.7).

D’abord, le Québec ne se conforme que partiellement à l’obligation de l’article 7.9 de l’Accord de Paris. En effet, sa Stratégie gouvernementale d’adaptation aux changements climatiques 2013-2020 étant échue, le Québec se trouve actuellement sans plan d’adaptation. De plus, le gouvernement du Québec ne communique actuellement aucune évaluation des effets des changements climatiques sur son territoire et de ses vulnérabilités[77] ni de suivi et d’évaluation des mesures d’adaptation passées[78].

Néanmoins, le Plan de mise en oeuvre du PEV 2030 énonce les prochaines priorités pour le Québec en matière d’adaptation, dont « la protection de la santé, le maintien de la qualité de vie et la sécurité des communautés québécoises, avec une attention particulière à l’égard des communautés nordiques »[79]. Pour répondre à ces priorités, le Québec reconnait qu’il devra améliorer sa compréhension des enjeux d’adaptation et renforcer ses capacités, et ce particulièrement pour les secteurs économiques vulnérables et les régions dont le potentiel de risques majeurs est plus élevé.

Au total, le Plan de mise en oeuvre 2021-2026 prévoit 384 millions de dollars pour la mise en oeuvre d’actions pour l’adaptation, comme la cartographie et l’analyse des risques pour le territoire, le verdissement des milieux urbains, la planification de solutions efficaces aux inondations et la prévention contre l’érosion des zones côtières[80]. Bien que cela soit insuffisant pour répondre parfaitement à l’article 7.9 de l’Accord de Paris, notons que cette communication des priorités et des mesures anticipées permet tout de même au Québec d’être en voie de se conformer aux articles 7.10 et 7.11. Pour y être complètement conforme, le gouvernement devra présenter une stratégie nationale d’adaptation incluant des politiques et des mesures plus spécifiques et concrètes à mettre en oeuvre. Il devra aussi les actualiser périodiquement.

En ce qui a trait à la coopération sur l’adaptation, l’article 7.7 de l’Accord de Paris recommande principalement aux Parties d’échanger des renseignements et d’améliorer les connaissances scientifiques sur le climat ainsi que sur l’efficacité des mesures d’adaptation[81]. D’abord, sur le plan de l’échange de renseignements, le Québec a adhéré, en 2015, à l’initiative RegionsAdapt qui invite des gouvernements régionaux à collaborer, à prendre des mesures concrètes, et à rendre des comptes sur leur adaptation aux changements climatiques. À ce jour, toutefois, le Québec n’y a publié aucun rapport concernant l’adaptation[82]. Ensuite, sur le plan de l’amélioration des connaissances scientifiques sur le climat, le gouvernement du Québec finance[83] et collabore depuis plusieurs années déjà avec le consortium Ouranos, qui produit des rapports scientifiques dans le but d’aider la société québécoise à mieux s’adapter aux changements climatiques. Ouranos participe également à de nombreux projets interdisciplinaires et multi-institutionnels en matière d’adaptation, et produit également des simulations climatiques régionales, notamment pour identifier les régions plus vulnérables aux changements climatiques[84]. Le PACC 2020 a également donné naissance à l'Observatoire de l'adaptation aux changements climatiques, dont l’objectif était principalement de permettre d'outiller les autorités de santé publique dans leurs efforts pour adapter la société québécoise au réchauffement climatique. Toutefois, celui-ci n’est pas mentionné dans le PEV 2030, bien que le gouvernement compte allouer 23,5 millions de dollars pour la consolidation des pôles d’expertise en adaptation au Québec pour la période 2021-2026[85].

Finalement, puisque le Québec n’a produit aucun rapport officiel sur l’adaptation jusqu’à maintenant, il est difficile de connaître l’efficacité et la pérennité des mesures d’adaptation adoptée par la province (art 7.7e). Il est tout autant difficile de déterminer si ces mesures ont été améliorées au fil du temps. Précisons toutefois que le Québec est en voie de répondre à cette recommandation puisque, dans son Plan de mise en oeuvre 2021-2026, le gouvernement annonce un financement de 1,8 million de dollars pour la diffusion des progrès en matière d'atténuation et d'adaptation[86].

C. Catégorie 3 : Conservation et renforcement des puits et réservoirs de carbone

La troisième catégorie d’attentes de l’Accord de Paris contient la recommandation devant mener à la conservation et au renforcement des puits et réservoirs de carbone, dont les forêts. À cet égard, le Québec est maintenant conforme à l’article 5.1 de l’Accord de Paris, qui recommande aux Parties de « prendre des mesures pour conserver et, le cas échéant, renforcer les puits et réservoirs de gaz à effet de serre [...] notamment les forêts »[87]. Notons que le PACC 2020 ne comprenait aucune mesure pour la protection et le renforcement des puits et réservoirs de carbone. De son côté, le Plan de mise en oeuvre 2021-2026 du PEV 2030 leur dédie un budget de 105,7 millions de dollars structuré autour de trois objectifs, soit : 1) éviter la destruction et la dégradation des réservoirs de carbone; 2) augmenter le potentiel de séquestration des forêts commerciales; et 3) mieux comprendre le rôle des milieux naturels dans l’atténuation[88]. De cette somme, 2,6 millions de dollars visent la conservation des « réservoirs de carbone prioritaires » et 88,3 millions de dollars visent à les renforcer, notamment via la plantation et le reboisement en forêt publics et privés[89].

Notons aussi qu’en décembre 2020, le gouvernement du Québec annonçait avoir atteint sa cible[90] de protection de 17 % du territoire terrestre québécois (257 528 km2), conformément au onzième objectif des Objectifs d’Aichi pour la biodiversité[91]. Cette portion ne représentait qu’à peine 10 % à la fin de 2019[92]. En augmentant la superficie des aires de conservation, le Québec répond aussi à la recommandation de l’article 5.1 de l’Accord de Paris, puisqu’il s’agit, entre autres, d’une mesure permettant de conserver les puits et les réservoirs de GES.

D. Catégorie 4 : Soutien aux pays en développement parties

La quatrième catégorie d’attentes de l’Accord de Paris rassemble les obligations et recommandations visant à appuyer les pays en développement parties, notamment via la fourniture de ressources financières (art 9.1), le renforcement de l’action concertée concernant la mise au point et le transfert de technologies (art 10.1), le renforcement de leurs capacités (art 11.1) et le soutien concernant les pertes et préjudices liés aux changements climatiques (art 8.3). Il incombe aussi aux États développés de communiquer tous les deux ans des informations relatives à leur appui aux pays en développement et des résultats qui en découlent (arts 9.5 et 9.7).

Le Québec répond en grande partie à ses obligations concernant le soutien aux pays en développement avec son Programme de coopération climatique internationale (PCCI)[93], mis en place en 2016 avec le PACC 2020. Conformément à l’article 9.1, le PCCI offre un soutien aux pays francophones du continent africain et des Antilles par le financement de programmes de coopération visant l’atténuation de GES et l’adaptation aux changements climatiques. Les objectifs du PCCI sont en conformité avec les articles 10.2 et 11.3 de l’Accord de Paris, puisque le programme vise à favoriser le renforcement des capacités, à financer la recherche scientifique locale, à assurer le transfert technologique de l’expertise québécoise et à aider à un développement économique sobre en carbone, et ce, à travers une formule coopérative entre le Québec et les pays bénéficiaires[94]. Bien que le cadre normatif du PCCI assure une reddition de compte des projets par le gouvernement, peu de détails sont disponibles sur les résultats atteints par le programme. Pour l’instant, le PCCI ne communique que des informations sommaires sur la durée, le financement octroyé et le contenu des projets approuvés, ce qui est conforme à l’article 11.4, mais partiellement conforme aux articles 9.5 et 9.7 de l’Accord de Paris. Le gouvernement québécois s’est toutefois donné jusqu’au 31 mars 2021 pour publier un rapport d’évaluation du programme[95].

Dotée d’un budget global de 30,1 millions de dollars étalé sur sept ans (donc 4,3 millions de dollars par année en moyenne) et trois appels à projets[96], la première édition du PCCI a pris fin en décembre 2020[97]. De son côté, le Plan de mise en oeuvre du PEV 2030 prévoit un budget de 21,5 millions de dollars sur cinq ans (donc aussi 4,3 millions de dollars par année en moyenne) pour soutenir des initiatives québécoises et multilatérales de coopération climatique internationale[98]. Ainsi, avec son PEV 2030, le Québec demeure conforme aux attentes des articles 9.1, 10.2 et 11.3 de l’Accord de Paris. Toutefois, la province n’est que partiellement conforme à l’article 9.3, qui recommande que la fourniture de ressources financières aux pays en développement représente une progression par rapport aux efforts antérieurs.

Finalement, précisons que ni le PCCI ni le consortium Ouranos ne déploient actuellement des mesures pour améliorer la compréhension, l’action et l’appui eu égard aux pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques[99], rendant ainsi le Québec non-conforme à la recommandation de l’article 8.3 de l’Accord de Paris.

E. Catégorie 5 : Éducation et sensibilisation aux changements climatiques

La cinquième et dernière catégorie d’attentes de l’Accord contient l’obligation visant l’amélioration de l’éducation, de la formation, de la sensibilisation, de la participation du public et de l’accès de la population à l’information dans le domaine des changements climatiques (art 12).

Le Plan de mise en oeuvre 2021-2026 du PEV 2030 prévoit un budget de 43,8 millions de dollars pour soutenir la mobilisation des citoyens, des organisations et des communautés du Québec en matière de lutte contre les changements climatiques[100]. Cette mesure s’appuiera sur une démarche communicative et participative visant à sensibiliser la population québécoise aux enjeux des changements climatiques et aux solutions existantes pour les atténuer et s’y adapter. D’ailleurs, le programme Action-Climat, mis en place par le PACC 2020, sera poursuivi par le PEV 2030. Ce programme a pour objectif de « soutenir l’émergence de solutions de lutte contre les changements climatiques provenant des communautés et s’appuyant sur l’implication citoyenne », par le financement de projets à l’échelle locale, régionale et nationale[101]. En soutenant des projets initiés par la société civile pour la lutte contre les changements climatiques, le Québec se conforme ainsi à l’obligation de l’article 12 de l’Accord de Paris.

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Les tableaux ci-dessous présentent une synthèse des niveaux de conformité du Québec vis-à-vis des attentes de l’Accord de Paris. On dira que le Québec est « Conforme » à une attente s’il respecte l’obligation ou la recommandation de l’article spécifié. Dans le cas contraire, on dira qu’il est « Non conforme ». Dans certains cas, le Québec est en processus de se conformer à une obligation ou à une recommandation; on dira alors que la province est « En voie » de se conformer. Finalement, dans d’autres cas, le Québec respecte seulement en partie une ou plusieurs attentes de l’Accord de Paris; on dira donc que la province est « Partiellement conforme ».

Niveau de conformité du Québec aux attentes de l’Accord de Paris

Tableau 6

Attentes en matière de réduction des émissions et de communication des contributions déterminées au niveau national (Catégorie 1)

Attentes en matière de réduction des émissions et de communication des contributions déterminées au niveau national (Catégorie 1)

Tableau 6 (suite)

Attentes en matière de réduction des émissions et de communication des contributions déterminées au niveau national (Catégorie 1)

Tableau 7

Attentes en matière d’adaptation et de coopération pour l’adaptation (Catégorie 2)

Attentes en matière d’adaptation et de coopération pour l’adaptation (Catégorie 2)

Tableau 8

Attentes en matière de conservation et de renforcement des puits et réservoirs de gaz à effet de serre (Catégorie 3)

Attentes en matière de conservation et de renforcement des puits et réservoirs de gaz à effet de serre (Catégorie 3)

Tableau 9

Attentes en matière d’appui aux pays en développement parties et de communication sur l’appui fourni (Catégorie 4)

Attentes en matière d’appui aux pays en développement parties et de communication sur l’appui fourni (Catégorie 4)

Tableau 9 (suite)

Attentes en matière d’appui aux pays en développement parties et de communication sur l’appui fourni (Catégorie 4)

Tableau 10

Attentes en matière d’éducation et de sensibilisation aux changements climatiques (Catégorie 5)

Attentes en matière d’éducation et de sensibilisation aux changements climatiques (Catégorie 5)

-> Voir la liste des tableaux

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Dans l’ensemble, on constate que le Québec a, depuis 2015, mis en oeuvre plusieurs des attentes clefs associées à l’Accord de Paris dans ses champs de compétence. En tant qu’État fédéré non partie, cela démontre une volonté claire de contribuer à l’effort international de lutte contre les changements climatiques, et ce, malgré certaines attentes qui ne sont toujours pas remplies.

D’un côté, l’analyse réalisée dans le cadre de cette recherche révèle que pour quatre des cinq catégories énoncées, soit les attentes concernant l’atténuation des émissions de GES (catégorie 1), la conservation et le renforcement des puits et réservoirs de carbone (catégorie 3), le soutien aux pays en développement (catégorie 4) et l’éducation et la sensibilisation aux changements climatiques (catégorie 5), le Québec se conforme à la plupart des obligations et recommandations. En effet, en ce qui concerne la première catégorie, le Québec s’est fixé des cibles de réduction des émissions de GES pour 2030 et 2050. Il communique ensuite ces cibles et propose finalement de nouvelles cibles qui, pour le long terme (2050) à tout le moins, visent une progression par rapport aux cibles précédemment adoptées. Précisons toutefois que la province n’a pas proposé de cible de réduction des émissions pour 2030 qui puisse être considérée comme une progression par rapport aux cibles antérieures. Il s’agit ici d’un élément pourtant fondamental pour maintenir l’intégrité de l’Accord de Paris[102], considérant que limiter le réchauffement climatique entre 1,5°C et 2°C demandera à toutes les Parties qu'elles rehaussent leur ambition climatique tous les cinq ans[103], conformément aux articles 4.3 et 4.9.

Pour la troisième catégorie, le Québec, via son PEV 2030 et ses aires protégées, relève nettement son ambition par rapport au PACC 2020 sur le plan de la conservation et du renforcement des puits et réservoirs de GES. Cette progression témoigne sans conteste de la capacité du Québec à se doter d’outils et de mécanismes pour élever son niveau de conformité à l’égard de ses engagements internationaux. En ce qui concerne la quatrième catégorie, la province s’est engagée auprès des pays en développement en mettant sur pied le PCCI, qui vise à soutenir les pays francophones les plus vulnérables aux changements climatiques. Même si le budget qu’y accorde le PEV 2030 ne représente pas une progression par rapport au PACC 2020, ce programme demeure en soi novateur; il a d’ailleurs fait l’objet d’une reconnaissance internationale de la part des Nations Unies. Faisant l’hypothèse que le PCCI sera maintenu dans le cadre du PEV 2030, le gouvernement du Québec gagnera à assurer une meilleure transparence de la reddition de compte de ce programme. Enfin, pour ce qui est de la cinquième catégorie, notons que la province a aussi déployé des mesures et programmes visant l’amélioration de l’éducation, de la formation, de la sensibilisation et de la participation du public en lien avec les changements climatiques, conformément à l’article 12 de l’Accord de Paris.

De l’autre côté, cette analyse révèle aussi certains retards ou faiblesses dans la mise en oeuvre de l’Accord de Paris par le Québec. Ce dernier ne répond que partiellement à plusieurs attentes et certaines font encore l’objet d’élaboration de plans et/ou de mesures, surtout en ce qui concerne l’adaptation. À cet égard, la province n’a toujours pas adopté de plan ni de mesures clairement définies en matière d’adaptation, bien qu’elle ait présenté, dans son PEV 2030, quelques priorités et qu’elle vise également, par un soutien financier, à soutenir des mesures visant l’adaptation. Précisons également qu’à la lumière du Plan de mise en oeuvre 2021-2026 du PEV 2030, le Québec est encore loin de parvenir à un équilibre du financement entre l’adaptation (environ 400 millions de dollars sur cinq ans) et l’atténuation (environ 5 milliards de dollars sur cinq ans), comme le recommande l’Accord de Paris[104]. Considérant que les impacts des changements climatiques se manifestent déjà violemment dans divers secteurs et régions du monde, dont au Québec, et qu’ils s’aggraveront assurément au fil du temps, lutter adéquatement contre les changements climatiques nécessitera une approche équilibrée de tous les acteurs en matière d’adaptation et d’atténuation, ainsi qu’une prise en compte des pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques, une notion pour l’instant oubliée par le gouvernement du Québec.

En somme, le Québec a mis en oeuvre plusieurs des dispositions phares de l’Accord de Paris dans ses champs de compétences. N’étant pas considéré comme une Partie à l’Accord, cela renforce son rôle assumé depuis quelques décennies déjà en tant que gouvernement non central impliqué et actif dans la gouvernance mondiale du climat éclatée et polycentrée. Cette analyse du cas du Québec démontre, une fois de plus, toute l’importance du rôle joué par les gouvernements non centraux, et nommément les États fédérés, dans la résolution de la crise climatique actuelle[105]. Effectivement, misant sur une paradiplomatie climatique aux stratégies diverses, dont la mise en oeuvre des grands accords internationaux sur le climat dans leur champ de compétence, les États fédérés occupent une place importante dans l’orchestration de la lutte mondiale contre les changements climatiques.

Plus largement, cette analyse révèle enfin l’influence déterminante qu’exerce l’Accord de Paris, et plus largement le régime climatique onusien, sur l’action climatique des gouvernements non-centraux. Depuis la naissance du régime en 1992, l’avancement des négociations climatiques internationales et le contenu des textes négociés ont joué un rôle décisif dans la structuration de l’action climatique interne du Québec. Il s’agit d’un scénario analogue pour plusieurs autres gouvernements ou réseaux de gouvernements non centraux. Pensons, par exemple, aux membres de la coalition Under2[106] ou encore aux États américains membres de la U.S. Climate Alliance[107], qui se sont engagé à mettre en oeuvre des politiques en ligne avec les objectifs de l’Accord de Paris. Pensons également aux maires et mairesses des villes membres du réseau C40, qui se sont engagées à « réaliser les objectifs les plus ambitieux de l’Accord de Paris au niveau local » [108]. C’est sans compter les nombreuses initiatives lancées par le secteur privé (comme l’initiative Business Ambition for 1.5°C[109]) et par les institutions financières (comme le Net-Zero Asset Owner Alliance[110]) pour contribuer à l’atteinte des cibles de Paris. Voilà autant d’exemples qui démontrent le pouvoir d’« orchestrateur » dont dispose le régime climatique onusien dans la structuration, la coordination et la mobilisation de l’action climatique à l’échelle globale, même auprès des entités non parties à la CCNUCC.