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Dans un double contexte de nouvelle gestion publique et de mondialisation de l’économie de la connaissance, de nouvelles structures organisationnelles se développent en France, faisant collaborer des acteurs publics et privés sur un territoire dans le domaine de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. En France la loi ESR[1] (Enseignement Supérieur et Recherche) de 2013 est à l’origine de regroupements territoriaux destinés à renforcer la cohésion territoriale des politiques de formation et de recherche. Parmi vingt-cinq regroupements effectués en 2018, vingt ont choisi la forme d’une Communauté d’universités et d’établissements (ComUE). Ces regroupements constitués à la discrétion des acteurs territoriaux concernés (sous forme d’association, fusion ou ComUE) concernent les établissements publics d’enseignement supérieur sous tutelle du Ministère de l’ESR. Les organismes de recherche, les établissements d’enseignement supérieur relèvent de la tutelle d’autres ministères, les établissements privés concourant aux missions du service public relèvent de l’enseignement supérieur ou de la recherche. Toutefois ces regroupements présentent des résultats contrastés tant au niveau de leur organisation que de leurs résultats (De Sartre et Petit, 2018) et de nouvelles évolutions législatives sont en cours (ordonnance sur l’expérimentation de nouvelles formes d’établissements, décembre 2018[2]). Issues d’histoires différentes, d’écosystèmes particuliers, de réseaux spécifiques de partenaires comme de diplômés et dotées de notoriétés hétérogènes, le défi principal de ces nouvelles organisations est « d’accomplir leur pleine intégration » (Batsch, 2018). Dans le contexte concurrentiel d’ouverture des marchés, d’internationalisation et de compétition de l’enseignement supérieur (Musselin, 2008), les lois LRU[3] et ESR visent à améliorer le positionnement international des universités, la vie étudiante et à organiser le fonctionnement des universités françaises en « renforçant » (rapport Apparu[4]) ou en « améliorant » leur gouvernance dans un cadre plus autonome bien qu’encadré par la puissance publique. Le concept de Nouvelle Gouvernance Publique (NGP) (Osborne, 2010 et 2006) porte sur cette transformation de la gouvernance. Dès lors les présidents des universités publiques sont conduits à prendre des décisions stratégiques (Ferlie et Ongaro, 2015, p.10) en optant pour des rapprochements entre acteurs publics ou pour des partenariats public-privé (PPP). C’est dans ce contexte qu’a émergé en 2015 la communauté d’universités et d’établissements « Université Côte d’Azur » (ComUE UCA), établissement public constitué d’établissements universitaires – du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) et d’établissements privés comme Skema Business School ou l’EDHEC School- rapprochement qui va faire l’objet de notre étude.

Partie 1 : cadre théorique et revue de la littérature.

Le cadre théorique intégrateur de la NGP

Le nouveau management public (NPM) initié dans les années 1970 (Pesqueux, 2020) concerne les acteurs du marché de l’enseignement supérieur devenu mondial, marché où la concurrence exacerbée pousse à des rapprochements entre organismes de formation de nature différente. Il y introduit des logiques de marché, « l’esprit d’entreprise, l’autonomie dans le fonctionnement et la gouvernance des organisations publiques » (Hughes, 2003), une recherche d’efficacité (Bartoli, 2009), la réponse aux besoins des usagers (clients) tout en préservant les valeurs du service public de continuité, de transparence, et d’intégrité (Hood, 1991). De nouveaux modes de management visent à moderniser et à accroitre l’efficacité des organisations en adoptant des méthodes de gestion issues du privé (Bartoli et Hervé, 2011; Amart et Berthier, 2007; Politt et Bouckaert, 2004) dans plusieurs secteurs tels que l’éducation, la recherche, la justice ou la santé (Bèzes et al, 2011). Des alliances stratégiques permettent de réduire l’intensité concurrentielle, mais ouvrent la voie à des oligopoles au détriment du marché (usagers ou clients), nécessitent des régulations et soulèvent des interrogations sur leur gouvernance. La recherche de l’efficacité s’exprime par la création d’agences (Dalton & al., 2007), plus petites et autonomes (Politt et al, 2004), de PPP, de diverses formes de contractualisation et de sous-traitance. Différentes formes de collaboration apparaissent relevant de la notion d’hybridation conceptualisée par Boyer (1998). Le NPM permet d’introduire les notions de compétition entre organisations publiques ou privées, un management pragmatique et une décentralisation du pouvoir (Hood, 1995). Mais la question de la gouvernance est récente. Le NPM se révèle comme un système de « gouvernance » d’un nouveau cadre de gestion (Gardère, 2012) et relève de nombreux défis (Dutz et coll., 2006a). Le NMP souffre de crises liées aux incertitudes des marchés et des règles (Morin, 2005) et présente des limites dues à sa faible capacité à traiter des questions de management et de gouvernance (Osborne, 2010), à préserver les expertises de chaque acteur et à maîtriser les dépenses ((Winch et al, 2012). Ces différentes limites vont être repoussées par la nouvelle gouvernance publique (NGP) grâce à son approche holistique (Osborne, 2006 p. 383; Osborne, 2010). La NGP soucieuse de transparence et de responsabilité partagée, c’est-à-dire d’une « transformation des relations de service public » (de Rozario et Pesqueux, 2018), est ancrée dans la théorie des réseaux et institutions pour collaborer hors des frontières institutionnelles (Osborne, 2010). Elle intègre différentes parties prenantes notamment privées (Christensen, 2009 et 2011). C’est ce cadre théorique que nous entendons mobiliser pour l’analyse de notre regroupement dans la lignée des travaux de Ferlie et Rosenberg Hansen (2016), qui soulignent la nécessité d’exploration de la NGP lorsqu’elle encourage le développement d’une stratégie de coopération alternative ou de réseaux. Grève et Hodge précisent en 2010 : « Dans l’ère post MPM, les PPP sont plus considérés comme partie d’un paradigme plus large permettant aux gouvernements de s’engager avec un certain nombre d’agents privés dans des relations souvent complexes et contractuellement sophistiquées ». Ce paradigme théorique plus large est lié aux fondements conceptuels de la maturité institutionnelle : légitimité, confiance, capacité. L’amélioration de l’efficacité institutionnelle va de pair avec des « gouvernements tiers » de plus en plus complexes (Salamon et Eliott, 2002). La NGP s’appuie sur les PPP avec une nouvelle approche de la gouvernance qui intègre des composantes managériales et stratégiques et nous conduisent à présenter la littérature sur les partenariats public-privé et leur dimension stratégique, puis sur le concept de coopétition. Ce dernier apporte alors un éclairage sur l’hybridation des pratiques et la gestion des contradictions dans un but de performance durable des PPP stratégiques. Nous poursuivons sur leur gouvernance partagée.

Les partenariats public-privé (PPP) : des modalités d’action discutées

La littérature sur les PPP apporte un éclairage pertinent à la constitution d’une institution universitaire rassemblant des organisations publiques et privées en ouvrant la réflexion sur la dimension stratégique de ces partenariats. Le terme partenariat public privé ou PPP est un terme générique qui comprend une large palette d’accords contractuels, comme par exemple la délégation ou le contrat cadre. Les PPP sont des formes organisationnelles (Mazouz, 2009) « issuesdesmouvements d’ouverture et de rapprochement opérés de manière contractuelle entre les États et les entreprises privées ». Si dans leur sens strict les PPP peuvent être des instruments de l’action publique, Lascoumes et Le Galès (2004) montrent que ces derniers structurent des relations de pouvoir entre les parties prenantes et influencent les interrelations entre les acteurs au-delà des seules relations contractuelles. Les PPP concernent des partenaires qui se rapprochent afin de répondre à des objectifs fixés et selon un processus modulable. En dépit d’objectifs souvent trop vagues, Hodge et Greve (2007) identifient plusieurs catégories de PPP parfois considérés comme une étape dans un plan de privatisation, un outil pour améliorer les performances, un levier d’affaires en cas de crise, ou un langage diplomatique destiné à masquer d’autres finalités. Certains auteurs analysent le PPP comme un réseau de politique et de gouvernance (Kickert, Klijn et Koppenjan 1999; Milward et Provan 2000). Il s’agit d’une coopération durable entre acteurs publics et privés par laquelle l’objectif est de développer conjointement des produits et des services, tout en partageant les risques, les coûts et les ressources qui sont liés à ces productions (Van Ham et Koppenjan, 2001).

Dumez et Jeunmaître (2003) identifient cinq grandes catégories de limites pour les PPP :

  • Les résultats ne sont pas toujours optimisés (incapacité à prévoir toutes les conséquences et tous les effets collatéraux de ces engagements long terme).

  • Les objectifs peuvent être mal définis entrainant des désillusions.

  • L’efficience réelle et l’équité dans les PPP ne sont pas toujours garanties (Levine, 1989; Stephenson, 1991). 

  • Un manque de souplesse, une forme d’inflexibilité face aux adaptations nécessaires non prévues par le contrat s’intensifient au fil du temps, induisent des problèmes d’adaptation ultérieurs à la signature ou n’incitent pas le fournisseur privé du service public à innover (Hart, 2003; Bennett et Iossa, 2006). Des contraintes idéologiques, politiques (Hayllar et Wettenhall 2010) ou juridico-administratives impactent le recours aux PPP notamment en France (Burnham, 2001) et soulèvent des difficultés d’ordres juridiques, de transparence, de responsabilité, de répartition des risques et des bénéfices, de coûts politiques, de performances du management, d’engagement des parties prenantes, des systèmes de gouvernance, de comptabilité.

  • Une grande rigidité du contrat est un frein à l’innovation et aux efforts d’adaptation du partenaire privé (Ellman, 2006). Le partenaire exécutant ses obligations contractuelles pré définies pourrait devenir un acteur actif capable d’adapter sa prestation au besoin du public et supporter en partie le risque de la demande (Athias, 2009).

Face à ces limites, d’autres recherches ont mis en exergue la nécessité d’intégrer une dimension stratégique à ces partenariats et de les recentrer autour des valeurs de service public portées par les institutions publiques qui font le choix d’une ouverture vers le secteur privé. Le PPP prospectif ou stratégique est envisagé en réponse à des intérêts nationaux hautement stratégiques (sécurité, santé, enseignement, recherche) et à des marchés évolutifs. Il se construit alors en mode projet (Mazouz et Belhocine, 2002) en intégrant les problématiques de gouvernance et de contrôle afin de capitaliser sur des avantages concurrentiels et la compétitivité de partenaires aux finalités différentes (Mazouz et al., 2008, Mazouz, 2018). L’approche stratégique des PPP s’analyse principalement à partir des déterminants qui justifient leur existence. La sélection du partenaire est une décision sensible qui incite au choix d’un acteur doté d’expertises complémentaires. Pourtant certains enjeux stratégiques induisent des partenariats avec des concurrents qui relèvent d’une stratégie de coopétition. Mettant en jeu des partenaires motivés par des objectifs potentiellement différents, le concept de coopétition offre un cadre d’analyse complémentaire car ce paradigme se fonde sur le développement d’avantages collaboratifs entre partenaires concurrents (Contractor et Lorange, 1988; Dussauge, Garrette et Mitchell, 2000; Doz, Hamel et Prahalad, 1989; Kogut, 1989).

La coopétition, une collaboration paradoxale entre des concurrents

Les enjeux stratégiques relatifs aux choix de partenaires et à la recherche d’avantages collaboratifs justifient l’élargissement de la réflexion à la coopétition. Le champ du management stratégique s’est enrichi de travaux qui portent sur les stratégies hybrides combinant concurrence et coopération simultanées (Gnyawali et al., 2008), dans des dimensions horizontales ou verticales (Bengtsson et Kock, 2014, p. 25) et popularisés par le néologisme coopétition (Nalebuff et Brandenburger 1996). La coopétition se définit par « une relation dyadique et paradoxale qui émerge quand deux entreprises coopèrent dans quelques activités et sont en même temps en compétition l’une avec l’autre sur d’autres activités » (Bengtsson et Kock, 2000). Coopérer avec ses concurrents est un mode relationnel complexe (Bengtsson et Kock, 2000; Lado et al, 1997; Pellegrin-Bouchet et Le Roy, 2008). Il permet de combiner les avantages de la compétition en stimulant la recherche de nouvelles combinaisons productives génératrices de rentes, les avantages de la coopération ouvrant l’accès à des ressources rares et complémentaires (Le Roy et Yami, 2009). Si le concept s’est développé dans la sphère privée, des facteurs exogènes (politiques publiques) et endogènes (tensions sur les ressources) incitent à la coopétition dans le secteur public (Bartoli et Blatrix, 2015). La complexité du concept se retrouve dans trois réflexions théoriques complémentaires montrant des liens avec les PPPS (marchés évolutifs, intérêt commun, nécessité de contrôle) :

  • L’approche de Nalebuff et Brandenburger (1996), fondée sur la théorie des jeux offre une définition large qui s’appuie sur le réseau de valeur et s’inscrit dans un continuum entre compétition et collaboration selon les moments et les activités; elle n’apporte pas de cadre relationnel stable.

  • L’approche de Lado et al., (1997) explique la recherche de rente syncrétique à travers quatre formes de comportements stratégiques : monopolistique, collaboratif, concurrentiel, syncrétique. L’approche syncrétique maximise les avantages collaboratifs issus de la réalisation d’un intérêt commun partagé (Astley et Fombrun, 1983) dont les bénéfices seraient supérieurs à ceux obtenus sans alliance ou collaboration, y compris pour une organisation dominante publique.

  • L’approche de Bengtsson et Kock (2000) précise l’existence d’une relation paradoxale prise en compte dans les dimensions stratégiques et managériales, entre concurrents qui veulent coopérer sur certaines activités et pas sur d’autres. Au regard des modalités opérationnelles, leur réflexion théorique s’appuie sur deux niveaux d’analyse de la coopétition : d’une part celui de l’acteur et d’autre part celui de l’activité (Bengtsson et Raza Ullah, 2016). L’approche par l’acteur ou par l’organisation permet d’identifier les dispositifs organisationnels qui soutiennent le déploiement d’une stratégie de coopétition en affectant des acteurs distincts (services ou collaborateurs différents) selon les activités de coopération ou de compétition. Cette option présente des limites (Bengtsson et Kock, 1999 et 2000). L’approche par l’activité repose sur la dissociation des activités sur lesquelles il va y avoir concurrence ou coopération[5]. Cette dissociation peut intervenir sur certains éléments de la chaîne de valeur, sur certaines activités ou marchés et permet d’atténuer les tensions générées par une situation contradictoire, limites qui se retrouvent également dans les PPP où le cadre contractuel circonscrit le périmètre du partenariat.

  • Trois situations d’échec ou de succès de la coopétition (Bengtsson et Kock,2000) peuvent être identifiées et sont transposables à l’action publique (Assens et al. 2019) :

  • Une évolution vers une coopération systématique au détriment de l’intérêt général.

  • Un équilibre maintenu avec une alternance de coopération et de compétition pour assurer l’efficacité de l’action en préservant l’intérêt et les choix des citoyens.

  • Une évolution vers une compétition systématique favorisant une déviance dans l’action de l’organisation publique. Le maintien de l’équilibre nécessite alors un espace de dialogue et de prise de décision partagé qui n’existe pas dans le cadre contractuel rigide d’un PPP (Ellman, 2006), mais renvoie à l’idée d’une gouvernance partagée dans un PPPS.

La gouvernance, un espace de co-construction et de contrôle

La littérature récente n’apporte pas un cadre conceptuel précis entre la NGP et les PPP, leur gouvernance apparaît liée à leur maturité institutionnelle (Eriksson, Levitt et Scott, 2019). Les auteurs s’appuient sur les concepts de confiance, légitimité et capacité pour transformer le PPP en outil NGP pragmatique en observant le contexte américain. D’autres auteurs précisent qu’il est opportun de privilégier une forme de gouvernance collaborative dans la sphère publique : présidence tournante pour le symbole, décision collégiale et unanime pour l’efficacité et la légitimité, sont indispensables au bon fonctionnement (Assens et al. 2019).

Si la rigidité contractuelle des PPP n’apporte pas à la gouvernance l’agilité et la latitude nécessaires pour des ajustements postérieurs (Campagnac et Deffontaine, 2012), la coopétition elle, induit une gouvernance alternative partagée (Chiambaretto, Frenandez et Le Roy, 2019). Elle inclut la pluralité des parties prenantes publiques ou privées et des objectifs partagés. Le Galès (2014) définit la gouvernance comme : « Un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux et d’institutions, en vue d’atteindre des objectifsdéfinisetdiscutéscollectivement.Lagouvernancerenvoiealors à l’ensembled’institutions, de réseaux, de directives, de réglementations, de normes, d’usages politiques et sociaux ainsi que d’acteurs publics et privés qui contribuent à la stabilité d’une société et d’un régime politique, à son orientation, à la capacité de diriger, et à celle de fournir des services et à assurer sa légitimité » (p.301). Dans la sphère publique, les approches et les dimensions de la gouvernance ne sont pas homogènes (Arndt et Oman, 2006), mais les définitions convergent autour des éléments centraux du concept de bonne gouvernance à savoir « un service public efficace, un système juridique fiable et une administration redevable envers ses usagers » (Kaufmann et Kraay, 1999). Les PPP requièrent une réflexion sur l’ajustement des structures institutionnelles existantes (Teisman et Klijn, 2002, 197). La complexité d’une gouvernance intégrant des parties prenantes de statuts différents conduit à établir un lien entre la littérature en management public et les théories de la gouvernance dans le secteur privé (Charreaux et Schatt, 2005). La notion de gouvernance devient essentielle lorsqu’il s’agit de mettre en oeuvre les modalités de fonctionnement des partenariats. Elle conduit à intégrer dans les analyses toutes les dimensions des relations politiques et économiques, formelles et informelles (Gerbaux et Moreau, 1996), à prendre en compte la pluralité des acteurs, leurs logiques d’actions, à déterminer si leurs fonctionnements leur permettent de s’inscrire dans une dynamique de performance et de rentabilité (Gerbaux et Marcelpoil, 2006), de connaître leur rapport de force et relations de pouvoir (George-Marcelpoil, 2002)

En examinant la prise en compte d’un ensemble de parties prenantes et des mécanismes de fonctionnement adaptés aux finalités de l’organisation, ce concept de la gouvernance est au centre du changement et de la concrétisation d’une nouvelle structure. Les distinctions entre public et privé deviennent secondaires comme « une ligne en pointillés qui s’est effacée au fur et à mesure que les États ont sous-traité des proportions croissantes des affaires publiques et que les organisations privées ont joué un rôle de plus en plus important dans l’élaboration des politiques » (Cleveland et Luyckx, 1998). Dans ce sens les PPPS induisent une souplesse nécessaire à l’adaptation, mais aussi un contrôle effectif au niveau d’une gouvernance qui assure l’efficience réelle et l’équité qui ne sont pas toujours garanties (Levine, 1989; Stephenson, 1991) et implique le partenaire privé qui pourrait supporter en partie le risque de la demande (Athias, 2009). Complétant ces travaux, Boussaguet et Jacquot (2009) identifient quatre dimensions permettant d’établir un cadre d’analyse et d’action théorique (Tableau 1) quant au rapprochement conceptuel entre PPPS et coopétition qui souligne la complexité, les relations horizontales, l’action publique, l’ouverture et les résultats. Cette approche de la gouvernance s’avère appropriée à la compréhension des modalités d’action des PPPS. La référence à la bonne gouvernance qui dépasse le statut public ou privé des partenaires et privilégie la coordination horizontale apparaît alors compatible avec un modèle alternatif propre à la coopétition public-privé. Ces bases théoriques complémentaires fournissent un cadre pertinent d’observation et d’analyse d’un grand ensemble multi partenarial dans le secteur public afin de comprendre pourquoi et comment la ComUE UCA a été structurée en intégrant des organisations publiques et privées dans sa nouvelle gouvernance.

Partie 2 : méthodologie, terrain et résultats.

Démarche méthodologique de la recherche

C’est dans un paradigme interprétativiste, au raisonnement abductif que nous inscrivons cette recherche, puisque nous cherchons à comprendre un phénomène. Selon Thiétart (2007), le chercheur interprétativiste, sera « amené à privilégier une démarche de recherche contextualisée pour analyser le fonctionnement quotidien de l’organisation; il s’agira pour lui de mettre en place des études de terrain en privilégiant l’observation directe et les entretiens en situation » (p.24). La méthodologie qualitative semble la plus adaptée. Nous proposons une étude de cas unique (Yin, 1984; Miles et Huberman, 1991), avec pour technique d’enquête principale l’entretien individuel semi-directif. Pour consolider la validité de la recherche nous triangulons nos résultats aux observations et données secondaires recueillies tout au long de l’étude. La collecte des données a suivi plusieurs étapes : tout d’abord la collecte de données secondaires nous a permis de comprendre la complexité de l’environnement de l’ESR, des contraintes institutionnelles, des enjeux et des champs d’action possibles. Ensuite nous avons conduit dix-sept entretiens auprès d’acteurs (Président d’université, anciens Directeurs d’IAE de Province, responsable au Ministère, Directeur d’école non publique, Directeur de recherche d’école non publique) dans la structuration et la gouvernance de regroupements dans le secteur de l’ESR sur Nice, Lille, Paris, Nantes, Montpellier, Lyon, La Rochelle, Toulouse, Aix-Marseille dont nous avons recueilli les verbatim. Un guide d’entretien semi directif a favorisé l’expression libre des personnes interrogées sur les points centraux : les raisons qui conduisent à envisager une évolution, une nouvelle organisation (pourquoi), l’identification et la mobilisation des parties prenantes internes et externes (comment), les explications sur l’objectif visé (vers quoi). Les entretiens ont été retranscrits et codés à partir des grilles d’analyse issues de la littérature (Tableaux 1 et 2) à l’aide du logiciel NVIVO, nous permettant ainsi de recueillir des données sur les déterminants, les modalités et les résultats issus de ces regroupements (Tableau 3). Enfin l’analyse a mis en évidence des facteurs de difficultés et de réussite des regroupements et fait émerger le cas de la ComUE UCA comme un cas illustratif d’un processus abouti justifiant des approfondissements opérés à travers trois entretiens confirmatoires. Nous avons complété ces données primaires par des sources d’information secondaires à savoir des documents officiels (décret, rapports AERES, IGAERN, IDEX) spécifiques au cas UCA. Les entretiens ont été codés selon une grille construite à partir de la revue de la littérature sur les PPP, la coopétition et la gouvernance.

  1. Accès aux ressources (littérature PPP). Quoi ?

  2. Déterminants exogènes et endogènes (littérature sur la coopétition). Pourquoi ?

  3. Les quatre dimensions de la gouvernance. Comment ?

La grille de codage s’est enrichie d’éléments émergents issus des entretiens :

  1. Déterminants contextuels (environnement externe-interne)

  2. Déterminants structurels (résultats, performance améliorée)

  3. Modalités d’actions

Tableau 1

Les dimensions de la gouvernance selon Boussaguet et Jacquot (2009)

Les dimensions de la gouvernance selon Boussaguet et Jacquot (2009)
Source : Boussaguet et Jacquot dans Dehousse (2009); Le Galès (2014)

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Des résultats en cohérence avec le cadre théorique et la littérature

Le traitement des entretiens (propos relevés dans les tableaux 4, 5 et 6) met en évidence des relations avec les déterminants, les modalités et les résultats identifiés par les cadres théoriques mobilisés :

La décision politique, le classement de Shanghai, la performance (NGP) ou l’évaluation, constituent les déterminants du projet de changement organisationnel, verbatim (Tableau 4).

  • La volonté d’un leader à expliquer et partager un projet avec l’ensemble des parties prenantes internes et externes préalablement à la constitution d’une co-gouvernance apparaissent comme les moyens mis en oeuvre dans la conduite du projet organisationnel, verbatim (Tableau 5).

  • L’aboutissement du projet met en évidence l’existence d’un profit durable en lien avec le cadre théorique de la coopétition, verbatim (Tableau 6). Il ressort que l’aboutissement du projet est lié à une gouvernance adaptée, comme le souligne l’évaluation de l’HCERES. Le projet réalisé permet de répondre au marché, d’exercer l’activité, de partager une culture commune et enfin de co-construire un avenir commun grâce à la confiance acquise au travers d’une réussite collective.

  • En complément des extraits d’entretiens, le Tableau 3 synthétise et classe les éléments issus de l’ensemble des verbatim au regard de la littérature sur la coopétition, les PPP et la gouvernance. À partir de cette synthèse nous constatons une convergence entre les verbatim remontés des entretiens terrain et la littérature majoritairement sur les déterminants qui poussent au partenariat. Ces verbatim (première colonne du tableau 3) se décomposent en déterminants contextuels, structurels, en modalités de fonctionnement, en bénéfices espérés et en freins perçus. Afin de dégager des pistes de discussion nous avons rapproché ces résultats avec les déterminants, modalités, résultats et points de vigilance issus de la littérature. Les problématiques soulevées par la recherche empirique notamment dans la mise en oeuvre du projet stratégique de rapprochement entre acteurs publics et privés correspondent à la revue de littérature précédemment citée. Créant un pont entre le concept et l’outil contractuel, la discussion examine l’apport d’une stratégie de coopétition public-privé complémentairement au partenariat public-privé stratégique et le modèle de gouvernance adopté pour la création de la nouvelle organisation.

Tableau 2

Les déterminants exogènes et endogènes de la coopétition selon la littérature

Les déterminants exogènes et endogènes de la coopétition selon la littérature
Source : Couston Gautier, A.;Grisoli, M-L. & Pignatel, I., 2016

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Tableau 3

Synthèse et classement des informations obtenues lors des entretiens

Synthèse et classement des informations obtenues lors des entretiens

Tableau 3 (suite)

Synthèse et classement des informations obtenues lors des entretiens
Source : les auteurs à partir de la littérature et des verbatim

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Tableau 4

Verbatim sur les motifs (déterminants) conduisant au rapprochement

Verbatim sur les motifs (déterminants) conduisant au rapprochement
Source : les auteurs

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Tableau 5

Verbatim sur les modalités mises en oeuvre dans le rapprochement

Verbatim sur les modalités mises en oeuvre dans le rapprochement
Source : les auteurs

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Des résultats complétant la littérature existante

En termes de modalités nous constatons des écarts entre les approches de coopétition soulignées par la littérature et les PPP, notamment sur la définition du projet, le partage de l’autorité, des responsabilités et des résultats, l’encadrement, les routines et le partage des connaissances. Au niveau des résultats, le profit supra normal présent dans la littérature fondatrice de la coopétition n’est pas, à notre connaissance, présent dans le cadre des PPP. Cet écart sur les modalités constitue un éclairage complémentaire sur l’opérationnalisation du PPP stratégique au regard de la coopétition. En outre les points de vigilance relevés par la littérature (rigidité contractuelle, gouvernance et temporalité inadaptées) apparaissent plus prégnants dans le cadre des PPP que dans celui de la coopétition. Après un approfondissement sur l’existence d’éléments de convergence ou de contradiction marquées entre les PPP et la coopétition, la discussion introduit une réflexion sur la gouvernance d’un grand ensemble territorial assurant une mission de service public et composé d’organisations publiques et privées parfois concurrentes. Le choix a clairement été assumé par le leader de ne pas établir un cadre de gouvernance a priori afin de concentrer les équipes et les parties prenantes sur le projet final et les objectifs visés (enjeu international, visibilité, classements, ressources…). Le projet prévalait sur les discussions autour de qui allait diriger qui ou quoi. Au final s’est dessiné une gouvernance intégrant les différentes entités. Elle permet un travail partagé sur l’ensemble des points de vigilance entre les directeurs, une amélioration de la connaissance entre parties prenantes et l’émergence d’éléments de culture partagés.

Tableau 6

Verbatim sur les résultats mis en évidence dans le rapprochement

Verbatim sur les résultats mis en évidence dans le rapprochement
Source : les auteurs

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Partie 3 : discussion

Notre discussion porte sur les motivations à la mise en oeuvre d’un PPP, les apports de la coopétition et la co-gouvernance public-privé dans le cadre de la NGP.

Motivations à la mise en oeuvre d’un partenariat public-privé stratégique : des synergies marquées avec la stratégie de coopétition

L’engouement pour le partenariat s’est développé dans un contexte où les gouvernements locaux, régionaux et nationaux ont été soumis à de fortes pressions pour changer leurs manières de faire et trouver des solutions moins coûteuses et plus efficaces pour satisfaire une demande croissante de services publics. Les politiques publiques actuelles poussent les universités à des rapprochements, à une recherche d’efficacité et d’économie budgétaire (Flizot, 2014). L’ordonnance[6] de 2018 définissant le cadre d’un établissement public expérimental dans l’ESR montre que les réformes sont en cours et spécifie qu’« un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel peut regrouper ou fusionner des établissements d’enseignement supérieur et de recherche publics et privés[7] » En ce qui concerne la ComUE UCA le rapprochement entre acteurs publics et privés permet d’accéder à des ressources (mutualisation de moyens), à des réseaux (réseau universitaire ou CGE[8]), à des compétences (savoir-faire, bonnes pratiques) non totalement détenus par un seul acteur. Ceux-ci permettent également de répondre à l’attente des usagers (programme traditionnel ou commun, écoles doctorales), d’améliorer certaines performances (un seul portail d’entrée enseignement supérieur pour UCA) et de partager des bonnes pratiques (recrutements conjoints de professeurs). Si la coopétition n’a pas pour but central d’attirer des financements privés, elle a ouvert de nouvelles voies à des leviers de financement privés (écoles de management pour des recrutements, entreprises associées au projet pour la recherche) et a accompagné l’accès à des financements publics (Idex). Le rapprochement a apporté l’opportunité des maximiser les effets positifs de la relation institutionnalisée et a favorisé les synergies entre les partenaires (mutualisation de la recherche, parcours croisés pour les étudiants, signature académique commune). La coopétition public-privé a conduit à un projet stratégique intégratif partagé (fonder une ComUE avec les parties prenantes publiques comme privées) qui peut comprendre selon les secteurs, des objectifs spécifiques tels que la recherche, l’innovation ou la formation dans le cadre de l’enseignement supérieur. Les partenaires se retrouvent liés par décret dans une ComUE dont le caractère institutionnel dépasse le cadre contractuel du PPP non stratégique, ils sont co-acteurs de la gouvernance et co-responsables du succès ou de l’échec du nouveau projet.

Dans un tel contexte la coopétition répond à un objectif stratégique d’innovation et de croissance entre concurrents. Le PPP, outil du management public, répond à un objectif économique, financier et technique du donneur d’ordre public vers des prestataires privés. Si le but est d’innover et de progresser, chaque partenaire doit pouvoir apporter ses propres ressources matérielles et intellectuelles et les faire progresser, évoluer tout au long de la collaboration et justifie l’émergence d’un PPPS. Cette collaboration peut fructifier dans le long terme dans la mesure où il y a institutionnalisation du rapprochement qui se fonde sur une structure organisée et pérenne au-delà des limites fixées par le cadre contractuel d’un PPP. C’est dans cette optique qu’une gouvernance intégrative a été visée. Son fonctionnement peut être envisagé à la discrétion des partenaires de manière éthique et équitable afin de pallier les limites rencontrées par des accords moins pérennes construits à partir des relations interpersonnelles et des bonnes volontés.

En synthèse, nous observons que les motifs qui poussent aux rapprochements entre partenaires publics et privés tiennent à la fois à des raisons fortement matérielles comme les économies budgétaires qu’à des raisons plus stratégiques comme la recherche d’innovation, de visibilité et de créativité. Celles-ci émergent aux frontières de mondes différents et dans les échanges afin de maintenir la place d’un pays dans la compétition internationale et dans la mondialisation de l’économie du savoir. Le cadre de la nouvelle gouvernance adopté a pour objectif l’inclusion des membres de la ComUE..

Les apports conjugués des PPP et de la coopétition 

Si la littérature s’accorde sur un certain nombre de caractéristiques communes aux partenariats, certains auteurs (Hood, 1991; Schedler et Proeller, 2000; Politt, 2000) peuvent également différer sensiblement dans leur définition en élargissant la notion de partenariat aux contrats de prestations dans la réalisation de services publics. La littérature reconnait que le PPP implique un engagement à long terme mais non définitif (cas ComUE UCA). Il s’agit d’une coopération durable entre acteurs publics et privés par laquelle ils développent conjointement des produits et des services, ils partagent les risques, les coûts et les ressources qui sont liés à ces productions (Van Ham et Koppenjan, 2001). La situation paradoxale de coopérer avec un concurrent rejoint le paradoxe de construire un rapprochement entre des organisations aux finalités différentes. Le partenaire privé recherche un profit alors que le service public sert l’intérêt général. La proximité des marchés liés à l’enseignement supérieur et à la recherche crée une nécessité de répondre aux attentes et aux évolutions de la demande qui exige une flexibilité et une rapidité parfois peu compatibles avec l’organisation de grandes structures publiques. L’intérêt des partenaires se retrouve dans l’apport d’une réponse ajustée et performante à l’évolution du marché. L’intérêt général peut être garanti par la vigilance de l’acteur public qui légitime le projet coconstruit dans la mesure où il répond aussi à des besoins publics (valorisation de la recherche sur un territoire, nouveaux programmes de formation demandés par les étudiants…). Reprenant la typologie de Mazouz et al. (2008) sur les PPP (Tableau 7), les résultats empiriques soulignent que le projet est destiné à répondre à des enjeux publics nationaux, aux attentes et besoins en enseignement supérieur qui évoluent rapidement de pair avec les transformations de la société (nouvelles compétences requises par les entreprises parfois sans lien avec les diplômes). Ils sont destinés à améliorer la compétitivité et à apporter des avantages concurrentiels sur un secteur mondialisé et se sont coconstruits selon un mode projet (cas ComUE UCA).

Vers un exemple de co-gouvernance public-privé ou de NGP ?

C’est dans la co-construction d’un mode de gouvernance et dans la réponse aux limites des PPP notamment en France que nous relevons des modalités issues de la théorie sur la coopétition en management stratégique. La coopétition public-privé rencontre ainsi des clivages idéologiques ou juridico-administratifs surmontables en conférant au partenaire privé un rôle de « cogouvernant » avec une participation au pilotage de la nouvelle organisation de manière formelle (cas de la ComUE UCA). La gouvernance est définie comme : « l’ensemble des arrangements formels et informels entre acteurs privés et publics, à partir desquelssontprisesetmisesen oeuvre lesdécisions » (Le Gales, 1995). Cette souplesse évoquée n’exclut pas le respect des règles et procédures et émane de la remise en question de la grande entreprise comme hiérarchie privée et de l’État comme hiérarchie publique dans les années 1980 (Piore et Sabel, 1984). La reconnaissance formelle des partenaires privés au sein d’une nouvelle organisation public-privé n’a pas comme seul but d’assurer une souplesse pour lever le frein de la rigidité contractuelle des PPP. Elle peut tendre à évoluer vers « unmodèled’interactionquiaccordebeaucoupplusdeplaceauxfacteurs externesauxentreprises,notammentauxphénomènesd’interaction,d’apprentissages,d’échangesde savoir et d’infrastructures socio institutionnelles » (Landry et alii 1999, p.7). La co-gouvernance ouvre donc la voie à de nouvelles modalités de pilotage, au partage de savoirs et de pratiques. Le rôle du porteur du projet émerge de façon remarquable notamment lorsque son statut public lui confère une légitimité institutionnelle indispensable (Couston et Pignatel, 2017) dans la mise en oeuvre de sa vision stratégique et dans sa capacité à mobiliser l’ensemble des acteurs s’engageant et partageant la responsabilité d’une co-construction nouvelle. Le seul objectif commun n’apparaît pas suffisant pour construire une dynamique collective privilégiant les espaces de convergence face aux intérêts concurrentiels (Bourgault, 2002). De tels projets aboutissant à de nouvelles structures publiques se font ainsi à l’initiative de leaders de statut public, lesquels décident ou non de s’engager dans une gouvernance partagée, voire une gestion horizontale non exempte de limites et de risques (Bourgault, 2002). Certaines limites ont pu être levées parce que le projet a été partagé, coordonné et travaillé en commun par les acteurs (parties prenantes internes et externes) préalablement à la réflexion sur la constitution d’une nouvelle gouvernance publique légitime et pérenne, répondant aux critères de fiabilité, de transparence et d’efficacité selon Kaufmann et Kraay (1999). Cette étape essentielle soulève une réflexion sur les mécanismes de coordination et d’ajustement mobilisés. Les recherches dans divers contextes tels que la gestion hospitalière (Husser, 2002), le management des transports publics (Mercier, 2003), le milieu bancaire (Maymo, 2007) sont en cohérence avec le contexte du cas ComUE UCA et mettent en évidence l’interaction durable entre acteurs, la compréhension, la coordination et la cohérence entre les actions, les acteurs, les représentations et les objectifs (De Montmorillon, 1999). Il existe depuis longtemps des actions d’hybridation notamment entre universités et grandes écoles pour différents projets qui conduisent à s’interroger sur les conséquences des phénomènes d’hybridation et les implications d’un enchevêtrement de décisions d’intérêt public et privé. Cette approche suppose de tolérer une opacité dans la décision prise par de multiples acteurs sans que cela exclut une transparence dans l’exécution de toutes sortes de contrats. Ces collaborations sont souvent le fait de personnes, et ne sont par conséquent pas pérennes lorsque les décisions ne sont pas actées dans les axes stratégiques de la gouvernance des organisations comme peut l’être l’institutionnalisation d’une ComUE ou la contractualisation d’un PPP. En effet, « la coopération des acteurs sociaux à l’action publique peut être formalisée par la contractualisation… ils permettent d’obtenir la contribution active de partenaires privés à l’action publique, et de créer un cadre stable de coopération entre acteurs porteurs de rationalités divergentes » (Chevallier, 2003). L’ambiguïté public/privé soulève de nombreuses difficultés, notamment juridiques, financières, ou politiques, souvent liées au brouillage progressif des frontières entre public et privé (Cleveland et Luyckx, 1998). Si le statut revêt une importance, dans la pratique, c’est l’hybridation des statuts qui se généralise, soutenue par l’approche holistique de la NGP (de Rozario et Pesqueux, 2018). Cette dernière est en lien étroit avec les notions de légitimité, de confiance et de capacité liées à la maturité institutionnelle des PPP (Grève et Hodge, 2010. Mahalingam et al., 2011). En complément le concept de coopétition intégré définit un « rapprochement relativement stable d’acteurs directement et/ou indirectement concurrents par le biais de valeurs communes et sous l’égide d’une structure, formelle et/ou informelle, partagée… dans une logique de co-construction » (Ralandison et al., 2018) en s’appuyant sur le cadre conceptuel de la sociologie de la traduction (Callon et Latour, 2006). Les phases essentielles de la conduite d’un nouveau projet se retrouvent ainsi dans la problématisation, l’intéressement, l’enrôlement et la mobilisation (Callon, 1986), la « ponctualisation » en vue d’une stabilisation (Callon et Law, 1997).

Tableau 7

Typologie des PPP prospectifs

Typologie des PPP prospectifs
Source : Mazouz et al. (2008)

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L’imbrication étroite des partenaires public-privé dans une gouvernance officiellement partagée pour un projet organisationnel commun (Décret n° 2015-220 du 27 février 2015) apporte une garantie sur la stabilité de la relation et affiche la volonté de poursuivre une mission commune pour un service public et privé partagé : mise en oeuvre de synergies, attractivité internationale, décloisonnement et interdisciplinarité, développement d’une offre ambitieuse…Quelles que soient les tensions issues des paradoxes créés par une relation entre concurrents, de statuts différents et d’organisations aux finalités distinctes (mission de service public versus profit) le travail de constitution d’une organisation publique durable dotée d’une gouvernance partagée s’insère dans le cadre conceptuel de la NGP et apparaît en soi comme un apport tangible de la coopétition public-privé au PPP stratégique confirmant la pertinence des rapprochements théoriques réalisés (Figure 1).

Figure 1

Schéma synthétisant les rapprochements conceptuels réalisés

Schéma synthétisant les rapprochements conceptuels réalisés
Source : les auteurs, 2020

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Conclusion

Dans un contexte mouvant de compétition mondiale et de rigueur budgétaire, la loi sur l’autonomie des universités (LRU[9]) a ouvert la voie à des évolutions qui paraissaient peu probables en France avant 2007 pour structurer des espaces territoriaux dans le secteur de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. La marge de manoeuvre stratégique octroyée à des leaders institutionnels incarnés par les Présidents d’Université, laisse à leur discrétion les modalités de mise en oeuvre du regroupement ainsi que le souligne l’article 5 de l’ordonnance 2018, « Les statuts de l’établissement public expérimental définissent ses missions particulières, ses compétences propres et, le cas échéant, les compétences qu’il coordonne ou partage avec ses établissements-composantes ». Sachant que sur un même territoire des institutions publiques comme privées coexistent sur le marché de l’enseignement supérieur avec des structures organisationnelles, des histoires et des moyens hétérogènes, les modes de rapprochements envisagés se situent à la frontière de la littérature sur les PPPS et les stratégies de coopétition. Le processus de structuration de la ComUE UCA illustre différentes phases relevant d’une stratégie de coopétition public-privé : de l’intention stratégique à la recherche de partenaire en passant par un modèle intégratif avec une gouvernance publique partagée et pérenne en lien avec le cadre conceptuel de la NGP. En effet le choix aurait pu porter sur la mobilisation des acteurs privés du territoire (entreprises) pour établir des partenariats public-privé sans volonté d’intégration de structures privées d’enseignement supérieur concurrentes en termes d’offre de formation. C’est l’approche fédérative globale qui transforme ce projet en exemple de convention établie entre des parties prenantes s’ajustant progressivement pour se comprendre et agir en cohérence en dépit de différences majeures (statut, taille, mission, agenda, finalité…). La réussite se manifeste alors par une gouvernance inclusive, partagée et une candidature retenue à la seconde vague des programmes d’investissement d’avenir, la seule université de Nice ayant été initialement déboutée. Notre recherche apporte aux managers des pistes de réflexions et d’actions en mettant en évidence l’opérationnalisation du regroupement à travers l’analyse des déterminants, des modalités, des résultats et des points d’achoppement. Elle a également contribué au rapprochement théorique entre la littérature sur les PPP stratégiques et le concept de coopétition développé en management stratégique. Elle souligne la dynamique d’apprentissage organisationnel pour construire un projet collectif porté par un dirigeant à travers des processus d’acculturation et de coordination. Un modèle de gouvernance intégratrice avec un projet coconstruit nourrit la réflexion récente sur la NGP, il alimente l’analyse théorique du PPP stratégique comme de la coopétition en y intégrant des différences de statuts, de finalités, de tailles peu explorées par la littérature. D’autres regroupements universitaires ont adopté des modalités d’organisation, de fonctionnement et de gouvernance différents incluant uniquement des partenaires publics. Cette recherche exploratoire met en évidence l’existence d’une nouvelle forme de gouvernance public-privé, passer de l’exemple au modèle représente de nombreuses limites en lien avec la spécificité des histoires et contextes territoriaux, la culture organisationnelle universitaire ou les pressions institutionnelles conjoncturelles. L’étude de l’évolution d’UCA, d’autres terrains comme d’autres secteurs d’activités, représente des pistes de recherche complémentaires.