Corps de l’article

Introduction

Depuis que les travaux notoires de Masten et al. (1990, 1988) ont montré que des enfants exposés à des adversités pouvaient connaître des parcours de vie positifs, la résilience continue d’être un concept clé. Les travaux sur la résilience se concentrent précisément sur les patrons d’adaptation ou de développement positifs qui surviennent en contexte d’adversité et sur les facteurs qui les favorisent (Masten et al., 1988; Motti-Stefanidi, 2015). Ces travaux coïncident avec la considération de nouvelles approches classées sous l’égide de la psychologie positive, lesquelles se centrent sur les forces des individus plutôt que sur leurs déficits. Selon cette perspective, les différentes trajectoires menant à la santé mentale ou aux psychopathologies ne résultent pas d’une accumulation de facteurs de risques et de protection, mais plutôt d’une interaction continuelle et dynamique entre l’individu et ses environnements. Malgré l’engouement pour le concept de la résilience, des inconsistances demeurent quant à la façon de conceptualiser et de mesurer la résilience (Yoon et al., 2019), et ce, surtout pour les jeunes dont la résilience peut varier selon le stade de développement, le genre et la situation (Satapathi, Dang, Sagar et Dwivedi, 2020). De plus, certains auteurs montrent que, dans les cas de trauma complexe, l’adaptation négative peut s’avérer une stratégie de survie et être ultimement positive (Pressely et Smith, 2017).

La variabilité dans la conceptualisation de la résilience impose aux auteurs de camper leurs travaux clairement dans une perspective de la résilience tout en étant sensibles à l’absence de consensus. Aussi, dans cet article, la démarche repose sur les travaux de Masten qui sont les plus fréquemment cités (ex. Masten, 2001 : 10 719 citations). Selon cette perspective, la résilience peut être considérée comme étant la capacité de s’adapter et de s’acquitter des principales tâches développementales propres à un âge donné en dépit des adversités (Masten, 2015). Deux conditions doivent être remplies pour que l’on puisse parler de résilience : 1. la présence d’un risque suffisamment grand qui menace l’adaptation et le développement de l’individu et 2. l’adaptation positive de l’individu en dépit de ce risque qui se reflète par la capacité de celui-ci à atteindre les standards attendus pour son âge et qui sont fixés par la société (bonne santé mentale, saines interactions et relations interpersonnelles, participation positive à l’éducation, l’emploi, etc.) ou à partir de critères internes à l’individu : le bien-être psychologique, le sentiment d’être un tout unifié, etc. (Linley et Joseph, 2004 ; O’Connor et al., 2017 ; Shiner et Masten, 2002 ; Yates et Grey, 2012 ; Yates et al., 2015). Ainsi, la capacité de construire une identité positive et cohérente peut constituer une démonstration de résilience chez les jeunes ayant vécu des adversités au cours de leur développement.

L’identité narrative et la résilience

L’identité narrative constitue un cadre conceptuel particulièrement pertinent pour détecter la résilience. Ainsi, les récits que nous racontons à propos de nous-mêmes sont révélateurs de qui nous sommes, du chemin parcouru et de qui nous pensons devenir (McAdams, 2013). L’identité narrative fournit un cadre utile pour comprendre les histoires que les individus racontent à propos de leur vie et permettrait de capturer la dialectique environnement-individu dans l’émergence de la résilience. Le modèle de l’identité narrative repose sur des thèmes centraux qui peuvent refléter plusieurs facteurs de protection que l’on retrouve dans la littérature sur la résilience (Boss, 2006 ; Garmezy, 1985 ; Masten, 2015 ; Masten, 2018 ; Masten et al., 1990 ; Masten et Cicchetti, 2016). Parmi ceux-ci, notons les thèmes motivationnels tels que la communion (l’attachement et les relations), l’agentivité (la capacité d’avoir du contrôle sur sa vie et d’en affecter le cours) ainsi que les thèmes affectifs comme la rédemption (tirer des bénéfices d’une situation difficile) et la contamination (transformer une situation positive en quelque chose de négatif). S’ajoutent à cela, les thèmes qui sont révélateurs d’une intégration significative comme la capacité de donner du sens à son histoire (tirer une leçon, apprendre sur soi et sur les autres).

Les études recensées qui se sont penchées sur la narration de la résilience mettent en exergue des éléments semblables permettant de distinguer les récits où la résilience est évidente et ceux où elle ne l’est pas. Dans une étude menée auprès de 20 jeunes placés hors de leur milieu familial d’origine, Schofield et al. (2017) ont cerné cinq trajectoires dans les récits dont trois étaient empreintes de résilience. Comparativement aux trajectoires non résilientes, celles-ci étaient constituées de récits où les jeunes narraient explicitement l’importance des relations créées dans les milieux substituts. Ces relations favorisaient la confiance et l’engagement dans des activités constructives qui permettaient d’endosser une identité différente que l’identité de victime. Pour d’autres, le résilience semblait émaner d’une prise de conscience et d’un sens donné au passé permettant de développer une nouvelle identité.

Bref, il semble que les thèmes de l’identité narrative postulés (Adler et al., 2018 ; Fivush et al., 2011 ; McLean et al., 2018 ; Pals, 2006) soient familiers avec les indicateurs retrouvés dans la narration des récits de résilience. Cependant, à notre connaissance, aucune étude n’a codifié clairement la présence ou l’absence des thèmes de l’identité narrative dans un dessein de contraster les récits qui contiennent de la résilience ou non. Plus encore, l’importante question de la dialectique environnement-individu dans la construction des récits est peu étudiée, alors qu’il s’agit de l’un des postulats centraux de la conceptualisation de l’identité narrative. Le concept d’histoires maîtresses tel que décrit par McLean et Syed (2015) constitue une façon intéressante d’appréhender le rôle de l’environnement dans la construction des récits.

De fait, pour construire leur récit de vie, les individus s’inspirent de façon consciente et inconsciente des stéréotypes de la culture dominante. Ces histoires maîtresses constituent en quelque sorte un script culturel qui détermine en quoi consiste un élément « adéquat » d’une culture ou d’une société donnée. Lorsqu’ils construisent leur récit de vie, les individus négocient et intériorisent à différents degrés les histoires maîtresses (McLean et Syed, 2015). Le concept d’histoires maîtresses repose sur cinq principes : l’utilité (informations à propos des buts et des valeurs attendus par une société) ; l’ubiquité (partagées par la majorité des individus) ; l’invisibilité (partagées collectivement de façon inconsciente); l’obligation (façonnées par les normes et les règles) et la rigidité (se maintiennent par le biais du pouvoir exercé par les structures sociales). Les histoires maîtresses peuvent se retrouver dans les biographies où la séquence attendue des événements et des rôles endossés par les protagonistes est conforme aux attentes culturelles (par ex. terminer l’école, obtenir un emploi, fonder une famille). Ces séquences « idéales » sont historiquement et culturellement façonnées et sont susceptibles de changer (Arnett, 2000).

Les histoires maîtresses sont également identifiables dans la structure du récit de vie des individus. Elles contribuent à la façon dont le récit est construit et raconté. McAdams (2013) soutient notamment que la trame rédemptrice (ex. le protagoniste surmonte les difficultés et en ressort grandi) constitue une des histoires maîtresses prédominantes dans la culture nord-américaine, amenant les individus à trouver « une fin heureuse » à une histoire sinueuse. Autrement dit, notre culture, par ses scripts sociaux, contribuerait naturellement à la production de récits qui mettent en scène des protagonistes résilients, qui surpassent leurs difficultés. Certaines études montrent que l’adhésion aux histoires maîtresses de rédemption dans la narration d’un récit de vie est associée à une adaptation positive (Hammack et Toolis, 2015). D’autres suggèrent plutôt que la prescription liée à l’articulation de récits ayant une trame rédemptrice impose aux individus de prendre la responsabilité de leur trajectoire et de leur vie en faisant fi des obstacles structurellement imposés (McLean et al., 2018).

Si les récits de rédemption ont fait l’objet de plusieurs études, peu d’auteurs (Dunlop et Tracy, 2013) ont tenté de catégoriser les différents types de structure de récits qui contiennent de la rédemption ou encore les récits qui ne suivent pas la trame rédemptrice. Dans une étude sur les récits de vie professionnels, Yost, Yoder, Chung et Voetmann (2015) ont créé une typologie d’archétypes narratifs à partir de la structure des récits. Cette conceptualisation s’apparentant à celle d’histoires maîtresses.

Les archétypes narratifs

Bien qu’il n’existe pas de typologie reconnue d’archétypes narratifs, Yost et al. (2015) ont cerné, dans une étude sur les récits de carrière, dix archétypes qui se répartissent selon qu’ils soient positifs, négatifs ou paradoxaux. Différents indicateurs permettent d’identifier l’archétype narratif qui, pour Yost et al. (2015), correspond à l’intrigue centrale (ex. tragédie ; aventure, etc.) qui se déploie lorsqu’un individu tente de décrire et de donner un sens à sa trajectoire. L’archétype est d’abord cerné à partir de la capacité du protagoniste à décrire son histoire de façon structurée avec un début, un milieu et une fin (Randall et al., 2015). Ensuite, l’identification de l’archétype s’appuie sur une voie narrative (positive, négative, neutre) qui renvoie à la manière dont les événements sont racontés (Newman et al., 2011).

Les archétypes positifs sont marqués par la présence d’éléments négatifs dont l’intensité est variable et une fin positive ou qui laisse place à l’espoir en raison du ton optimiste du protagoniste. Quatre archétypes entrent dans cette catégorie. Quant aux quatre archétypes paradoxaux, ils renvoient à des récits dont le ton est plat et où les événements sont aléatoirement abordés ou répétitifs. Finalement, les deux archétypes négatifs renvoient à des récits où la négativité est constante et où les événements tragiques se succèdent ou s’enchevêtrent. Le tableau 1 présente les détails des différents archétypes postulés par Yost et al. (2015).

Tableau 1

Archétypes narratifs (Yost et al., 2015)

Archétypes narratifs (Yost et al., 2015)

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Dans le cadre de cet article qui repose sur une démarche exploratoire, 18 récits de vie de jeunes adultes ont été retenus puis analysés avec l’objectif de vérifier si les thèmes de l’identité narrative (agentivité, communion, signification, rédemption, contamination) et les archétypes narratifs permettent de contraster les récits selon la présence évidente ou non de la résilience. Autrement dit, comment s’expriment les thèmes de l’identité narrative selon que les personnes fassent preuve d’une résilience plus ou moins évidente? Ce faisant, nous avions aussi comme objectif d’examiner si les concepts à l’étude se recoupaient et s’alimentaient l’un l’autre dans les récits de vie, compte tenu de leur proximité théorique. En s’appuyant sur les considérations de Masten ( 2015, 2018 ; Yates et al., 2015) à l’effet que deux conditions doivent être réunies pour parler de résilience (i.e. une menace au développement suffisamment grande et une adaptation positive malgré cette menace), nous avons catégorisé le discours des participants selon qu’ils présentent une résilience (1) évidente ou (2) peu évidente au moment de l’entrevue. Les auteures sont conscientes que chaque récit de vie, bien qu’il porte sur l’ensemble de l’histoire de l’individu, est narré à un moment précis de cette même histoire où différents enjeux peuvent nuire momentanément à l’expression de la résilience. Ce faisant, l’identification de la résilience demeure une catégorisation transitoire et subjective.

MÉthode

Projet Transcendance

Transcendance est une étude visant principalement à recueillir des récits de vie et à soutenir les jeunes adultes dans la formulation de leurs projets de vie. La population à l’étude est composée de 91 jeunes adultes de 18 à 32 ans vivant au Québec et qui estiment avoir vécu des difficultés au cours de leur vie. Dans ce contexte, la vulnérabilité du participant est donc celle qu’il perçoit, pour lui-même. L’équipe a pris la décision de ne pas juger les sources de vulnérabilité, cette notion étant subjective et personnelle à chacun. En dehors de considérations liées à l’âge limite et aux difficultés de s’exprimer en français, aucun participant n’a été exclu. Volontaires, les participants ont été informés de l’étude par des intervenants dans des maisons de thérapie en dépendance, des maisons de transition, des milieux scolaires ou des organismes communautaires travaillant auprès de jeunes en situation de vulnérabilité.

L’entrevue a été construite en s’inspirant du récit de vie tel qu’utilisé par McAdams (2008), et ce, en proposant aux participants de raconter leur vie en la segmentant par chapitre (survol général), pour ensuite explorer des scènes précises : la scène positive (le moment le plus positif de leur vie), la scène négative (le moment le plus négatif), le point tournant (une scène de leur vie qui a marqué un changement important), la scène révélatrice (moment significatif de révélation sur soi), les défis (les défis rencontrés dans la vie) et la scène future. La durée des entrevues a varié de 60 à 120 minutes. Au terme de l’entrevue, chaque participant a reçu un montant de 40 $ en guise de remerciements pour le temps accordé à la recherche. Un bref questionnaire sociodémographique a également été rempli par les jeunes adultes.

L’équipe de recherche s’est engagée à prendre toutes les mesures requises pour la préservation de la confidentialité et de l’anonymat des personnes. Ainsi, les noms, les personnes nommées, les lieux et autres informations nominatives ont été supprimés ou remplacés par un code.

Échantillon

Les résultats présentés dans cet article reposent sur l’analyse du récit de vie de 18 participants sélectionnés sur la base des adversités évoquées, leur nature et leurs conséquences. L’échantillon final compte 12 femmes et 6 hommes âgés de 20 à 29 ans (X̅ 24,3 ans). Neuf n’ont pas de diplôme d’études secondaires (DES), cinq ont obtenu leur DES ou un diplôme d’études professionnelles, tandis que quatre ont entamé ou terminé des études universitaires. Les deux tiers (n=12) de l’échantillon sont célibataires et la plupart estiment avoir un revenu suffisant (n=12) ou insuffisant (n=6) pour répondre à leurs besoins de base.

Analyses

Les analyses s’appuient sur les prémisses de l’analyse thématique théorique (ATT). Cette forme d’analyse est guidée par des principes théoriques clairement identifiés (dans le cas présent, les archétypes narratifs et les thèmes de l’identité narrative) qui permettent de sonder le corpus pour y retrouver les thèmes précis. Plus précisément, l’identification des thèmes se situe au niveau interprétatif (Boysatzis, 1988), c’est-à-dire que les thèmes sont extraits à partir de l’interprétation du discours des participants plutôt qu’à partir de leur présence explicite au niveau sémantique. En ce sens, l’ATT interprétative recoupe en partie certaines formes d’analyse du discours thématique où les suppositions, les structures ou les significations dérivées du discours sont conceptualisées en tant que fondements de ce qui est articulé dans les données. Ce type d’analyse s’appuie sur une épistémologie constructiviste où les contextes sociaux et les conditions structurelles modulent la structure et la nature du discours des participants de même que les interprétations qu’en font les chercheurs (Braun et Clark, 2006). Une première catégorisation du matériel a été réalisée par la chercheure principale, pour être ensuite validée par une professionnelle de recherche. Ainsi, en cas de désaccord, les interprétations et les perceptions ont été confrontées et rajustées lorsque nécessaire. Ces échanges ont aussi permis de formuler quelques hypothèses interprétatives.

Les résultats analysés dans cet article s’appuient uniquement sur la section « Survol général de l’histoire de vie » (ci-après Survol) où le participant raconte les principaux segments de son histoire de vie, sous forme de chapitres. Cette section de l’entrevue est très peu dirigée ; l’interviewer n’intervient que pour demander des précisions ou aider la personne à reprendre le rythme de son récit. Il s’agit d’une partie incontournable pour la compréhension de l’histoire de la personne, car elle contient la majorité de son vécu.

Résilience

Pour classer le récit d’un participant selon que la résilience était évidente ou peu évidente, nous avons d’abord fait ressortir les adversités vécues et nommées par les jeunes dans leur discours. Le tableau 2 révèle que l’ensemble des récits de l’échantillon contenait des adversités suffisamment grandes pour que le premier critère de la résilience (s’il y a lieu) soit atteint. Ensuite, pour déterminer si le deuxième critère (adaptation positive) était présent, nous avons fait une lecture approfondie du Survol de chacun pour qualifier le fonctionnement actuel du participant à partir de certains éléments de son histoire : engagement dans une formation, thérapie, groupe ou activité significative ; vision d’avenir positive ; évaluation positive par le participant de sa vie actuelle et du chemin parcouru ; relations interpersonnelles adéquates en plus de cerner la voix (positive, négative, neutre) et le positionnement du narrateur par rapport à son récit (victime, protagoniste actif). Cette classification demeure une interprétation des auteures et, par conséquent, ne permet pas de vérifier si le participant se considère lui-même comme résilient ou non.

Tableau 2

Archétype, âge et adversités de l’échantillon en fonction de la résilience

Archétype, âge et adversités de l’échantillon en fonction de la résilience

1 Problèmes de santé mentale

2 Tentatives/idées suicidaires

3 Consommation alcool ou drogue

4 Violence (victime)

5 Violence (auteur)

6 Difficultés scolaires ou intimidation

7 Difficultés relationnelles

8 Abus sexuel (victime)

9 Précarité financière/domiciliaire

10 Prise en charge institutionnelle (enfance)

11 Problèmes familiaux

12 Prise en charge institutionnelle (adulte)

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Thèmes de l’identité narrative

L’entrevue a été codifiée afin d’identifier les séquences du récit où l’agentivité, la communion et la signification étaient présentes. Contrairement à d’autres auteurs (Adler etal., 2017 ; McAdams, 2013 ; McAdams et McLean, 2013), nous avons choisi de ne pas utiliser les scores (0-3) pour quantifier les construits. Nous avons calculé le nombre d’unités de sens codifiées (fréquence) pour contraster quantitativement les récits. Conformément aux travaux de McAdams et Mclean (2013), la rédemption et la contamination ont été codifiées une seule fois par section Survol.

Archétypes narratifs

En s’inspirant des archétypes narratifs (Yost et al., 2015), la section Survol a été lue de façon flottante et les éléments constitutifs de l’histoire ont été identifiés afin d’y attribuer un archétype prédominant. Les récits ont été classés dans l’un ou l’autre des archétypes en se basant sur la structure du récit (début, milieu et fin) et sur la voix narrative (i.e. positive, négative, neutre) qui ressort du récit. En outre, la façon dont se dépeint le protagoniste dans sa propre histoire et le rôle qu’il y joue ont servi de base pour cerner l’attribution des archétypes.

rÉsultats

Cette section présente d’abord les résultats liés à la fréquence des construits en fonction de la résilience et des archétypes. Ces résultats quantitatifs sont essentiellement présentés afin d’illustrer le lien entre les thèmes et les attributions (résilience et archétypes). Cependant, ils ne peuvent être considérés séparément de la dernière sous-section où des extraits de récit de vie appuient la compréhension des résultats relatifs aux concepts à l’étude.

Identité narrative et résilience

À partir de la section Survol, 38 segments d’entrevue ont été codifiés pour l’agentivité, 23 pour la communion, 69 pour la signification, 8 pour la rédemption et 8 pour la contamination. Le tableau 3 montre la distribution de ces segments en fonction de la présence évidente (RÉ) ou peu évidente (RPÉ) de la résilience.

Tableau 3

Résilience et identité narrative

Résilience et identité narrative

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Le nombre de segments associés à l’agentivité, la signification et la rédemption est plus élevé dans les récits où il y a une RÉ que dans ceux où elle ne l’est pas. Inversement, la contamination est présente uniquement dans les récits de vie où il y a une RPÉ. Rappelons que la rédemption et la contamination n’étaient codifiées qu’une seule fois par section. Seul le nombre de segments liés au thème de la communion est distribué presque également entre les deux catégories.

Archétypes et résilience

À partir des archétypes de Yost et al. (2015), l’analyse de la section Survol a permis de cerner l’archétype central pour chacun des 18 récits. Aussi, seulement six des dix archétypes proposés ont été identifiés parmi l’échantillon. Neuf participants présentent des archétypes narratifs positifs. Les récits associés aux archétypes positifs sont ceux où la résilience est évidente.

Deux des archétypes paradoxaux postulés par Yost et al. (2015) ont été identifiés dans cinq récits. Finalement, quatre récits de l’échantillon présentent un archétype négatif. Les récits dont les archétypes sont paradoxaux et négatifs correspondent à ceux pour lesquels la résilience n’était pas clairement apparente.

Archétypes, thèmes de l’identité narrative et résilience

Afin de mettre en lien les archétypes, la résilience et les thèmes de l’identité narrative, le nombre de segments associés aux thèmes de l’identité narrative pour chacun des archétypes a été divisé par le nombre de participants se retrouvant dans un archétype donné (Tableau 4).

Tableau 4

Nombre moyen de segments associés aux thèmes de l’identité narrative en fonction des archétypes narratifs

Nombre moyen de segments associés aux thèmes de l’identité narrative en fonction des archétypes narratifs

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Les récits associés aux archétypes positifs sont ceux qui contiennent le plus de segments d’agentivité, de signification et de rédemption. Plus spécifiquement, les récits associés à la Renaissance du phénix contiennent moins de segments d’agentivité que les deux autres archétypes positifs. Ces récits, comparativement à ceux du Périple transformateur ou de la Pente ascendante, sont plus empreints de difficultés, mais l’espoir et l’optimisme permettent de croire que les protagonistes arriveront à s’en sortir. Aussi, l’agentivité s’actualise peu dans l’histoire passée ou dans le présent, mais est davantage présente dans la façon d’anticiper le futur. Pour leur part, les archétypes paradoxaux contiennent moins de segments d’agentivité, de signification et de rédemption que les archétypes positifs. Toutefois, l’archétype Histoire cyclique est celui où l’on retrouve le plus de segments de communion parmi tous les archétypes. Cet archétype est d’ailleurs caractérisé par une centration sur les relations. En attendant Godot contient peu de segments associés aux thèmes de l’identité narrative, si ce n’est qu’une faible présence de signification. Finalement, l’archétype Survie comprend des récits où il n’y a pas de segments d’agentivité ni de rédemption, moins de segments de signification que les archétypes positifs paradoxaux, mais qui présentent de la contamination. En outre, pour les archétypes Survie, on note une faible présence de segments de communion.

Description et illustration des archétypes

Dans cette section, les différents archétypes sont décrits et illustrés à l’aide d’extraits de verbatim.

Archétypes positifs

Trois archétypes positifs ont été identifiés dans les récits de vie.

Périple transformateur

Le premier archétype positif retrouvé dans les récits analysés est le Périple transformateur. Rappelons que ces récits sont marqués par plusieurs difficultés importantes au cours de la vie, puis par la capacité à donner un sens à ces difficultés (signification) et à prendre en main le cours de sa vie (agentivité). De plus, la voix narrative employée par les protagonistes est positive et engagée. Les récits se terminent sur une note d’espoir, caractérisée par l’atteinte d’un objectif de vie. L’extrait de F18 reflète bien la capacité de réflexion et de donner un sens aux événements :

Je réalise que tout ça m’a forgée comme la personne que j’étais. Chaque petit passage, on dirait qu’il était fait pour que je me rende compte de plus d’affaires. Puis, à mon tour je vais essayer d’aider, au courant de ma vie.

F18

En outre, dans les récits de cet archétype, les prises de conscience débouchent sur des actions tangibles et une volonté de prendre sa vie en main :

Je me suis rendu compte qu’il fallait que je change de quoi, donc en plus de mes thérapies, on dirait que ça m’a juste fait « okay, il faut que tu commences à te botter le cul puis il faut que tu décides, tu peux pas juste parler de tes problèmes pendant encore deux ans puis te dire qu’à un moment donné, ça va passer ».

F20
Renaissance du phénix

Ce type de récit est marqué par des difficultés importantes qui sont toujours d’actualité, mais dont l’issue semble prometteuse. Le récit est marqué par une prise de conscience des difficultés et des enjeux actuels. Ce qui caractérise le discours est le ton positif, lequel permet de croire qu’ils arriveront à dépasser certaines adversités ayant marqué leur parcours jusqu’à présent.

Moi, ce n’est pas le même fun parce que mes études ont été beaucoup perturbées. Plein de choses que je ne pensais pas être capable de faire ont été réalisées. De juste me dire que […], je suis capable d’aller mieux puis des fois, il faut faire des efforts. Il y a encore des choses à régler.

F62

Il faut assumer ses actes. Puis, il faut s’organiser pour que… comment je peux dire ça ? Il faut garder une hygiène de vie. Moi, j’ai comme principe que si je mange au moins un repas par jour, puis que je dors… Si je fais ça, pour l’instant, j’aurai fait vraiment gros. J’aurai vraiment changé quelque chose. […] Je suis capable d’être sobre la semaine. Puis, la fin de semaine, bien c’est vrai, la fin de semaine, je suis un peu comme n’importe quel jeune. Je ne fais pas de chimique. […] Plus de chimique. Mais, je ne peux pas m’empêcher d’avoir une petite altération au niveau de l’esprit parce que je ne suis pas capable de faire sans.

G27
Pente ascendante

Un participant présente un récit qui a des points communs avec ceux du Périple transformateur, mais la magnitude des difficultés est moins importante et elles sont moins fréquentes que dans les autres récits. Le participant, qui perdait ou quittait continuellement ses emplois, vivait de l’anxiété et avait des comportements agressifs, apprend à se connaître peu à peu et à utiliser des forces nouvelles qu’il s’attribue maintenant lorsque les difficultés se présentent à lui. Son récit est révélateur d’une personne qui gagne peu à peu du pouvoir sur sa vie, en se percevant comme un leader positif.

Je me suis même découvert un talent. Tantôt j’ai dit, un leadership, je prenais tout le temps le contrôle de tous les jobs où j’étais. Pendant l’école, je prenais le contrôle des gars avec qui je travaillais. Pas le contrôle d’eux, mais le contrôle de ce qu’on avait à faire. J’enlignais le monde puis, ça m’a donné beaucoup de confiance en moi.

G20

Archétypes paradoxaux

Deux archétypes paradoxaux ont été identifiés.

Histoire cyclique

Quatre récits de vie ont été identifiés comme appartenant à l’Histoire cyclique. Ils sont marqués par des dynamiques et des relations interpersonnelles qui apparaissent difficiles, voire toxiques. Dans ces quatre récits cycliques, on retrouve plusieurs ruptures relationnelles, que ce soit sous forme de déménagement, de placement ou de rejet/intimidation. Les extraits tirés du récit de F50 soulignent le caractère cyclique des événements :

À 16 ans, j’ai eu une petite rupture amoureuse qui m’a envoyée à l’hôpital pendant trois jours. […] Après ça, bien quelques mois plus tard, j’ai eu mon premier petit copain pis ça s’est fini très bizarrement […] ça a duré tout un été ou presque. […] J’ai braillé pendant six mois presque tous les jours. Finalement, au bout de six mois, j’ai eu quelqu’un qui m’a demandé à sortir avec. Vu que j’étais écoeurée de brailler, même si je ne voulais pas prendre quelqu’un d’autre pour remplacement, bien je me suis dit: «  Je vais m’essayer. Ça va peut-être être le fun, je sais pas, et ça va durer le temps que ça va durer. » C’est ce que j’ai fait et je suis restée deux ans et demi avec lui.

F50
En attendant Godot

Un seul récit a été classé dans l’archétype En attendant Godot. Il s’agit d’une jeune femme dont la voix narrative est neutre et plutôt désengagée. Son récit est peu investi et relativement descriptif, et ce, malgré des enjeux importants tout au cours de sa vie (intimidation, placement, problèmes de santé mentale, etc.).

J’ai fait une tentative pour aller vivre en appartement, mais ce n’était pas le bon moment, à ce moment-là. Je pensais que c’est ça qui allait faire débuter ma vie, d’aller vivre en appartement. Mais finalement, à ce moment-là, on dirait que je n’étais pas rendue là. Je suis juste passée de la chambre de chez ma mère à un appartement, mais ça ne changeait pas grand-chose.

F44

Archétype négatif

Le seul archétype négatif identifié est Survie.

Survie

Quatre récits sont classés dans cet archétype. Trois de ceux dont le récit reflète la Survie ont vécu des drames majeurs dont une prise en charge à l’enfance par les services sociaux, d’importantes difficultés familiales, une précarité financière et, en toile de fond, d’importants problèmes de consommation ou de santé mentale qui perdurent. Les événements tragiques sont réguliers dans l’histoire et les récits sont caractérisés par une absence d’agentivité et de la contamination. En outre, les événements positifs sont régulièrement entachés, comme c’est le cas pour F41 lorsqu’elle raconte son départ en appartement :

Au début j’étais bonne, je me faisais à manger, je faisais ma vaisselle et tout. Je rangeais ma chambre, je faisais mon lavage. Pis c’est vraiment [des] intervenantes qui me disaient quoi faire. À un moment donné, je suis virée fucking lâche, ça ne me tentait plus. C’était le gros bordel chez nous : supposons que je me faisais du spaghetti, au lieu de mettre le reste dans un plat de plastique puis dans le frigo en me disant que j’allais le manger demain, je le laissais traîner dans la casserole jusqu’à ce qu’il passe date.

F41

Lors de la narration, tout comme pour l’Histoire cyclique, les récits de Survie sont caractérisés par une certaine chronicité des événements, mais l’indice de gravité est plus important et l’envahissement est toujours présent. Bien que certains individus sous cet archétype soient en mesure de tirer des apprentissages des événements de leur vie (signification), ils semblent avoir peu de pouvoir face à leur situation (agentivité) et sont peu en mesure de se mobiliser pour briser le cycle des événements négatifs.

Après ça, je suis ressortie puis ça allait un petit peu mieux. J’ai refait une deuxième fois mon secondaire 5, car je n’avais pas terminé tous mes cours. Puis à la suite de ça, j’ai essayé d’aller au cégep ; je voulais étudier en éducation spécialisée. Puis j’avais un cours à terminer aux adultes. Je réussissais toujours à le terminer, mais de justesse. Finalement, ma professeure m’a dit qu’elle ne me laissait pas passer. Ça a été tellement un gros choc… Donc, j’ai décidé que j’arrêtais tout ça, j’ai quitté [nom de ville], puis je suis revenue à [nom de ville]. Il n’y a pas longtemps, j’ai recommencé à ravoir des psychoses. On a pensé que c’était la maladie de ma mère. Finalement, ce sont des psychoses générées par mon trouble de personnalité.

F40

Ainsi, les récits de survie soulignent parfois le peu de pouvoir que les individus semblent avoir sur le cours de leur vie, un état dans lequel ils subissent davantage les événements qu’ils en sont les agents actifs. Dans le discours du participant suivant, le sentiment de victimisation est particulièrement prégnant :

Avant, quand j’étais jeune, je voulais un sac de chips [claquement de doigts pour signifier l’obtention], je voulais une liqueur [claquement de doigts], je voulais une bouteille d’eau froide congelée [claquement de doigts], je voulais du steak haché [claquement de doigts]. C’est toutes ces affaires-là que moi, j’étais habitué [claquement de doigts]… Boum ! Je ne peux plus, parce que si je le fais, ça m’en coupe un bout sur le chèque. Juste pour te dire, la viande hachée là, c’est cher… Là ensuite, il te faut le beurre, il te faut le poivre, il te faut ci, il faut ça, il faut la bonne boîte pour faire tes pains si toi tu les aimes de telle manière. Hey *juron*, cinquante dollars juste pour se faire un repas, à un moment donné, ça va faire.

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Discussion

Dans le cadre de cette étude exploratoire, nous voulions vérifier si les archétypes narratifs et les thèmes de l’identité narrative permettaient de contraster les récits où la résilience était évidente de ceux où elle était peu évidente. Les résultats de notre démarche exploratoire nous ont amenées à faire ce constat : les thèmes de l’identité narrative et les archétypes sont utiles pour cerner la résilience. D’un point de vue plus épistémologique, la posture du chercheur est aussi très importante pour en dégager (ou non) des concepts (la résilience et autres) lors de l’analyse des récits de vie.

L’utilité des thèmes de l’identité narrative

Les thèmes de l’identité narrative, qu’ils soient motivationnels, affectifs ou intégrateurs, constituent des repères particulièrement utiles pour cerner la résilience dans les récits des jeunes adultes. L’agentivité et la signification ont été particulièrement saillantes dans le discours des personnes dites résilientes. En effet, les jeunes adultes dont le récit est marqué par des prises de conscience et une réflexion sur les événements de leur histoire sont plus enclins à cerner des actions concrètes à mettre en branle par et pour eux-mêmes.

Bien que nous n’ayons pas gradé la signification, les résultats montrent que les séquences contenant de la signification sont plus fréquemment liées à des histoires positives que négatives et que, de façon générale, le processus est associé à des récits où la résilience est évidente. De plus, l’agentivité constitue le thème qui départage le mieux les récits où les jeunes adultes semblent subir leur vie de ceux qui se reconnaissent comme partie prenante de ce qui leur arrive. Finalement, la rédemption se dégage des récits qui ont en commun des segments de signification et d’agentivité et qui reflètent la résilience. Inversement, la contamination est liée aux récits où les personnes prennent peu de recul face aux événements et n’ont pas de pouvoir sur eux.

En comparaison, le thème de la communion contribue peu à discriminer les récits des jeunes adultes résilients de ceux qui le sont moins. D’abord, en adoptant la définition de la communion[1] de McAdams et McLean (2013), un nombre limité des segments analysés évoquait la profondeur des liens. La majorité des participants mettent évidemment en scène d’autres personnes dans leur récit, mais sans nécessairement aborder la nature et le degré d’intimité des relations qui les unissent. Pour les personnes qui évoquent davantage la profondeur des liens, il s’agit souvent de relations qui reflètent la dépendance et qui mettent en scène des personnages qui deviennent des « sauveurs ». Notamment, c’est à travers l’archétype paradoxal Histoire cyclique que les séquences de communion ont été le plus fréquemment décelées. La trame de fond de plusieurs de ces histoires a pour thème les relations, qui se terminent et se répètent sans cesse et qui révèlent un fort besoin d’appartenance de la part des individus. Dans une étude portant sur la continuité des thèmes de l’identité narrative sur trois temps de mesure, McAdams et al. (2006) ont relevé que seule la communion n’était pas stable dans le temps. Il est possible de penser que le récit de vie, une tâche hautement individuelle et idiosyncratique, ne constitue pas le format idéal pour bien cerner le degré d’intimité et l’importance des relations. Notons aussi que notre échantillon est formé de jeunes adultes qui ont rencontré plusieurs adversités, lesquelles sont souvent imbriquées dans des ruptures relationnelles multiples qui peuvent avoir l’effet d’éviter le thème de la communion ou, au contraire, d’en faire la quête centrale du récit.

L’utilité des archétypes narratifs

Bien qu’ils aient été empruntés à une étude sur les récits professionnels, les trois types d’archétypes ont permis de décrire les trajectoires et la perception des jeunes adultes. Les récits d’archétypes positifs comportent davantage d’agentivité et de signification, en plus de révéler plus clairement la résilience. En outre, il est aisé de tracer un parallèle entre les archétypes positifs et la trame rédemptrice (McAdams, 2013), d’autant plus que la rédemption n’a été identifiée que dans les récits dont la trame est positive.

Par opposition, la voix narrative des récits dont l’archétype est négatif est souvent marquée par le maintien de l’individu dans une position où il prend peu ou pas de pouvoir sur sa vie et subit de façon continue les événements tragiques. Cette position actuelle du protagoniste s’explique possiblement par l’intensité des événements de vie vécus et le peu d’opportunités offertes pour exercer du pouvoir sur soi. Comme Yost et al. (2015) l’ont soulevé, les récits qui ont un archétype négatif sont souvent ceux où l’on retrouve peu de locus de contrôle interne ou d’illustration claire des forces que possèdent les gens. Les archétypes paradoxaux permettent difficilement de cerner la résilience et donnent plutôt l’impression que les personnes s’inscrivent à l’intérieur d’un cycle d’événements, sans pour autant bien cerner le lien entre ceux-ci et qui ils sont. Il est donc plausible de penser qu’ils utilisent moins le raisonnement autobiographique. Les différences entre les récits de Survie et les Histoires cycliques (ou En attendant Godot) se retrouvent dans la gravité des événements vécus et dans la voix narrative.

La posture du chercheur

Le projet Transcendance s’inscrit directement dans une démarche qualitative et s’inspire de l’approche de l’analyse narrative. Le principe épistémologique fondateur de notre démarche soutient que les personnes les mieux placées pour aider à comprendre leur vécu sont celles qui le vivent et qui sont en mesure d’en parler. Or, nous nous sommes basées sur le récit de vie sans demander aux principaux intéressés s’ils se considéraient, eux, comme résilients. Cette façon de fonctionner s’explique par notre choix de recueillir des récits sans que les personnes ne soient influencées par des thèmes induits par les chercheurs. Ainsi, s’appuyant sur des concepts existants (identité narrative), la démarche a été d’identifier la présence de la résilience dans le discours spontané des participants. Ce faisant, nous avons adopté une posture essentiellement déductive, laquelle semble en contradiction avec le principe épistémologique sur lequel repose notre projet. Cela étant dit, dans la démarche du projet Transcendance, la lecture des récits ne peut laisser les chercheures indifférentes. Il est impossible de ne pas se sentir aspirées par ces récits et de demeurer « objectives ». Devant l’impossibilité de « tout » comprendre ou de rendre adéquatement justice à la richesse des données, nous nous sommes résolues à porter un regard partiel et humble à partir de concepts qui nous assurent un ancrage minimal dans l’objectivité, sans nier la singularité des vies qui nous sont racontées.

Conclusion

Les résultats de cette étude appuient l’idée que les thèmes de l’identité narrative et les éléments structuraux qui permettent d’identifier les archétypes narratifs partagent des points communs avec les indicateurs de résilience. Aussi, les trois concepts (identité narrative, résilience, archétypes) se recoupent en partie et s’alimentent les uns les autres. En dépit du caractère tautologique que l’on pourrait reprocher à cette démarche, nous considérons que les différents concepts, même s’ils ont des points communs, sont distincts et ont une contribution singulière à la compréhension des trajectoires narrées dans les récits. D’un point de vue pratique, la pertinence scientifique et sociale est évidente. Le recours aux archétypes peut être utile pour amener un participant à classer son propre récit et à le réécrire de façon à ce que le chapitre futur corresponde à l’archétype souhaité. Les thèmes de l’identité narrative, selon qu’ils soient absents ou présents, peuvent être un levier pour accompagner l’individu dans la réutilisation (ex. l’agentivité) des construits dans d’autres sphères de sa vie ou dans l’appropriation de son histoire, en l’amenant à prendre du recul sur certains événements et leur signification. Ainsi, les thèmes et les éléments structuraux d’un récit peuvent faire l’objet d’une reconstruction subjective et, ainsi, favoriser la résilience chez les jeunes qui deviennent alors les auteurs et non plus seulement les acteurs de leur vie. Toutefois, cette appropriation de son histoire par l’individu ne suffit pas : les institutions sociales et les milieux doivent créer des occasions pour les jeunes adultes afin qu’ils puissent se raconter et être entendus ; la résilience étant hautement contextualisée, elle ne peut s’opérationnaliser en vase clos. Autrement dit, si le jeune est invité à raconter son histoire et à écrire la suite différemment, les contextes sociaux doivent, d’une part, encourager cet exercice et, d’autre part, faire place au nouveau script pour qu’il prenne vie. Cette recommandation émane d’ailleurs d’une limite importante de notre démarche à l’effet que les jeunes de notre échantillon n’ont pu s’approprier leur récit et les interprétations que nous en avons faites. Cela étant, bien que nous considérions les jeunes comme des experts de leur situation, le respect de cette présomption imposerait un processus dialectique et itératif avec les participants, ce qui n’a malheureusement pas été possible dans le cadre de ce projet.