Corps de l’article

Introduction

Le passage de l’adolescence à l’âge adulte est marqué par une croissance physique, émotionnelle et cognitive rapide, au cours de laquelle les jeunes planifient leur indépendance et développent leur propre vision de la vie d’adulte (Desmarais et al., 2020). Pour les jeunes présentant une déficience intellectuelle (DI), la transition de l’adolescence à la vie adulte peut être jalonnée de défis supplémentaires en raison, entre autres, de difficultés sur le plan de l’adaptation, de la mobilité, de la communication ou de l’apprentissage (Julien-Gauthier, Ruel et al., 2016). Pour soutenir ces jeunes dans leur processus de transition, le programme Carte routière vers la vie adulte : en route vers mon avenir! propose une démarche structurée regroupant du matériel accessible en ligne, visant à les guider dans l’appropriation de leur processus de transition (Ruel et al., 2012). Les personnes qui les entourent (famille, intervenants ou membres de la collectivité) peuvent les accompagner et les soutenir dans la réalisation de cet important défi, afin que leur processus de transition soit un réel tremplin vers l’avenir. Ils peuvent les encourager à poursuivre leur scolarisation à l’éducation des adultes, rechercher un emploi, s’engager bénévolement, participer à des activités de loisirs ou contribuer à des projets communautaires, afin de se préparer à exercer leur rôle de citoyen à part entière dans leur collectivité (Julien-Gauthier, Ruel et al., 2016).

La « Carte routière » a été conçue pour accompagner les jeunes ayant des incapacités (trouble d’apprentissage, DI, trouble du spectre de l’autisme, trouble développemental du langage, etc.) vers la vie adulte, après l’école secondaire (Ruel et al., 2012). Cette recherche vise à documenter l’implantation de la démarche proposée dans le programme Carte routière auprès de jeunes présentant une DI. Selon le point de vue d’éducateurs spécialisés, de jeunes participants et de parents, il s’agit de répondre à la question : « Quelle est l’appréciation du programme Carte routière, principalement l’intérêt, la pertinence ou l’utilité de son contenu et sa contribution au processus de transition. ». Pour répondre à cette question, une étude pilote qualitative, exploratoire et participative a été réalisée. Les données ont été recueillies lors de l’implantation du programme et après 18 mois d’implantation. Elles sont issues de groupes de discussion, d’entretiens individuels et de l’analyse de documents fournis par les participants. Le programme Carte routière est implanté dans trois sites. Pour sept de ces jeunes, il est implanté de façon individuelle par des éducateurs spécialisés d’un centre de réadaptation (1). Pour les autres jeunes, il est implanté par des éducateurs spécialisés en milieu scolaire, lors d’une rencontre hebdomadaire de groupe comprenant cinq jeunes dans une école secondaire située en milieu urbain (2) et dans une école secondaire située en milieu rural (3).

Cet article porte sur les résultats d’une étude exploratoire de type qualitative, visant à connaître l’appréciation du programme Carte routière par les éducateurs spécialisés qui l’appliquent, des jeunes présentant une DI et des parents. La problématique est d’abord décrite, puis le cadre théorique de la résilience est détaillé, de même que la méthode de recherche. Par la suite, les résultats de l’étude sont présentés selon chacune des dimensions comprises dans la Carte routière. Ces résultats sont discutés en lien avec les principaux défis de la transition vers la vie adulte, permettant de faire ressortir la contribution du programme pour aider les jeunes à surmonter ces défis et renforcer leur résilience. La conclusion propose une synthèse de la contribution de cette recherche en faisant ressortir les limites et suggère des études futures pour accroître nos connaissances dans le domaine de l’intervention en DI.

Problématique

Au Québec, l’aide et le soutien offerts aux personnes ayant des incapacités, dont celles qui présentent une DI visent à favoriser leur participation sociale (Gouvernement du Québec, 2016, 2017). La participation sociale fait référence à : 1) leur participation à des activités significatives dans différents contextes de vie selon leur âge et leur culture; 2) l’établissement et au maintien de relations réciproques avec les membres de leur communauté; et 3) la présence d’un sentiment d’appartenance à des groupes ou à des réseaux sociaux (Julien-Gauthier, Martin-Roy et al., 2016). Pour les jeunes présentant une DI, l’accès à une participation sociale optimale comprend de nombreux défis. Ceux-ci peuvent être regroupés en facteurs de risque personnels, familiaux ou environnementaux, dont les principaux sont énumérés ci-dessous.

Sur le plan personnel, il y a d’abord les caractéristiques de la DI (p. ex., lenteur du développement intellectuel ou déficits dans le traitement de l’information) auxquelles peuvent s’ajouter des caractéristiques personnelles des jeunes (Westling et al., 2015). À l’adolescence, ces jeunes ont besoin de développer des habiletés préparatoires à la vie adulte, telles l’expression de leur point de vue ou l’affirmation de soi (Martin-Roy, 2019) et des habiletés socioprofessionnelles (Wehman et al., 2015). Ils ont aussi besoin de s’approprier leur démarche de transition vers la vie adulte (Kohler et al., 2016) ainsi que d’améliorer leurs connaissances des ressources de leur environnement (Boutin, 2012). Le développement de liens d’amitié notamment avec des pairs sans incapacité permet de soutenir la résilience de ces jeunes en leur offrant un soutien académique et affectif qui favorise leur persévérance scolaire (Lee et al., 2015).

Sur le plan familial, l’importance de l’engagement des parents et du soutien familial pour la réussite de la transition de l’école à la vie adulte est reconnue (Test et al., 2015). D’autre part, l’étude de St-Georges (2017) a montré que les comportements de protection ou de surprotection des parents pouvaient constituer un défi (St-Georges, 2017). De plus, les parents ont besoin d’informations au sujet du processus de transition de leur enfant ainsi que de leur rôle dans cette démarche (Julien-Gauthier, Ruel et al., 2016). Ceux-ci sont à risque de vivre de l’épuisement et plusieurs d’entre eux bénéficient de peu de soutien à l’extérieur de la famille (Petner-Arrey, et al., 2016). Et finalement, les décisions engageant l’avenir du jeune présentant une DI sont bien souvent prises par les parents ou des intervenants, avec peu ou pas de consultation du jeune (Mill et al., 2009; Williams et Heslop, 2006).

Sur le plan environnemental, les jeunes sont besoin de découvrir des occasions de participation à la vie collective, d’expérimenter des activités dans leur ville, leur quartier et d’explorer les possibilités d’accéder à un travail (Lysaght et al., 2009). Dans le milieu scolaire, les jeunes doivent participer à la préparation de leur plan d’intervention ou de transition, une étape importante pour favoriser leur participation lors de cette rencontre importante pour la planification de leur avenir (Martin-Roy, 2019). La nécessité d’adapter les documents de planification de l’intervention, de faciliter l’expression du point de vue de ces jeunes et de faciliter leur participation aux décisions qui les concernent est reconnue (Goupil, 2020; Julien-Gauthier et al., 2020). Les connaissances des intervenants scolaires, sociaux ou communautaires au sujet du potentiel de ces jeunes sont limitées, ce qui risque de réduire leurs croyances en leur potentiel (Martin-Roy, 2019). De plus, la présence de divergences de point de vue entre les différents intervenants ou avec les parents constitue un défi supplémentaire, qui a un impact sur la concertation et la collaboration entre ces acteurs importants pour la réussite de la transition (St-Georges, 2017). Finalement, le manque de structures pour accueillir ces jeunes et d’accessibilité aux services de soutien ainsi que le fait que ceux disponibles ne correspondent pas aux besoins des jeunes sont des problématiques exprimées par de nombreux parents (Michallet et al., 2020).

Cadre théorique 

Le cadre théorique de la résilience est utilisé dans cette étude en raison des liens étroits entre la résilience et la participation sociale (Rouillard-Rivard et al., 2018), de même que l’autodétermination (Toste et al., 2021) et la réussite de la transition vers la vie adulte des jeunes ayant des incapacités (Ionescu et al., 2016). La résilience n’est pas une caractéristique statique, mais un concept interactif qui fait référence à la résistance aux risques environnementaux au fait de surmonter des situations d’adversité (Rutter, 2006). Selon cet auteur, elle doit être envisagée dans une perspective de trajectoire de vie et faire référence à la résistance personnelle mobilisée au fil du temps pour surmonter les effets de la tension liée au contexte ou pour récupérer après une exposition à des risques, problèmes ou défis personnels (Kvalsund et Bele, 2010). En DI, la résilience consiste à présenter le meilleur développement possible face aux adversités particulières qui sont rencontrées dans la trajectoire de vie, et ce, afin de viser le bien-être et une participation sociale optimale (Jourdan-Ionescu et Julien-Gauthier, 2011). Lors de la transition de l’école à la vie adulte, les jeunes présentant une DI sont confrontés à des situations d’adversité qui risquent de compromettre la réussite de cette étape importante de leur vie (Julien-Gauthier et al., 2018). Bien que reconnaissant les risques ou les difficultés, la résilience est construite sur le positif, sur « ce qui fonctionne », sur la conviction que des solutions peuvent être trouvées et mises en pratique pour surmonter les situations d’adversité (Ionescu, 2018).

La transition de l’école à la vie adulte est une période souvent perçue comme étant stressante pour les jeunes présentant une DI et leur famille; ceux-ci doivent quitter leur environnement scolaire familier et sécurisant pour accéder à une vie active dans leur communauté, ce qui les rend plus vulnérables au stress et à l’anxiété (Williams et Heslop, 2006). Ils éprouvent davantage de difficulté que leurs pairs à réussir cette transition, étant confrontés aux défis de développer de nouvelles relations sociales, d’accéder à un emploi assisté ou compétitif et éventuellement, de vivre de façon autonome (Foley et al., 2012). L’étude de Forte et al. (2011), portant sur la résilience chez les jeunes de 17-20 ans présentant une DI, a examiné leurs inquiétudes au regard de la transition vers l’âge adulte. Celles-ci différaient significativement de celles de leurs pairs en termes de type et d’intensité. Ainsi ces jeunes s’inquiétaient surtout de leurs difficultés à se faire des amis, leurs craintes de vivre de l’intimidation ou de perdre des personnes dont ils dépendaient, comme leurs parents. Les jeunes sans incapacité s’inquiétaient surtout de leurs capacités à trouver un emploi, des risques de manquer d’argent ou de ne pas prendre les bonnes décisions pour leur avenir. Des entrevues avec des jeunes présentant une DI ont fait ressortir la pression qu’ils ressentaient face à leurs parents ou aux enseignants, lorsqu’il s’agissant de prendre des décisions relatives à leur scolarité future ou leurs choix de participation communautaire postsecondaire (Williams et Heslop, 2006). Le sentiment d’avoir peu de contrôle sur la prise de décision serait exacerbé par la diminution du soutien de leurs amis ou du personnel de l’école et l’effritement de leur réseau de soutien social à la fin de la scolarisation (Raghavan et Pawson, 2008).

Un autre facteur de risque auquel les jeunes adultes présentant une DI et leur famille sont confrontés est le manque de clarté du parcours et des soutiens accessibles à la fin de leurs études secondaires. Les changements dans les services de santé et les services de réadaptation (passage du statut d’enfant à celui d’adulte), auxquels s’ajoutent les changements dans les rôles sociaux et le manque de soutien pour les jeunes et leurs parents peuvent avoir un impact négatif sur l’ensemble de la famille (Neece et al., 2009). En raison de la complexité de la démarche de transition et de l’importance des enjeux individuels, familiaux et environnementaux, une intervention écosystémique axée sur la résilience est à privilégier (Jourdan-Ionescu, 2001). Véritable stratégie de résilience assistée, de nature préventive, celle-ci est fondée sur la mise en évidence et le développement des potentialités des jeunes et implique la mise en place d’un véritable accompagnement[1]. Il convient d’abord d’identifier avec l’élève et son entourage (parents, enseignants, éducateurs spécialisés ou autres intervenants) la présence de facteurs de risque et de protection. Par la suite, des stratégies d’intervention sont coconstruites avec eux, visant à diminuer l’impact des facteurs de risque et à mettre en place ou consolider des facteurs de protection (Jourdan-Ionescu, 2017).

La résilience en éducation se distingue par la nature des défis auxquels sont confrontés les jeunes présentant une DI, notamment l’acquisition de connaissances académiques, d’habiletés sociales ou de qualifications qui leur permettront d’exercer leur rôle de citoyens à part entière dans leur collectivité (Ionescu et al., 2016). Il n’existe pas de parcours de développement « idéal » unique pour tous ces jeunes, il existe plutôt de multiples parcours vers un développement sain, vers l’apprentissage d’habiletés favorisant la résilience et la réussite de leurs projets (Julien-Gauthier, Martin-Roy et al., 2016). Dans cette perspective, le programme Carte routière est conçu pour soutenir ces jeunes de façon individualisée, dans cinq dimensions de leur parcours selon leurs besoins, leurs intérêts et leurs choix professionnels et sociaux (Ruel et al., 2012). En s’adressant d’abord au jeune, tout en considérant son entourage, ce programme favorise son autodétermination (Ruel et al., 2012). Selon Williams et Heslop (2006), en développant leur autodétermination, les jeunes présentant une DI peuvent construire leur résilience et exercer un meilleur contrôle sur leur vie.

Méthode

Il s’agit d’une étude qualitative, exploratoire et de type participative, qui vise à documenter l’appréciation d’un programme de transition novateur en ligne à l’intention de jeunes présentant une DI. La partie présentée ici porte sur le volet descriptif et qualitatif de la recherche, réalisée auprès des éducateurs spécialisés qui implantent le programme, de jeunes présentant une DI et de parents. Dans la recherche en DI, l’utilisation d’une méthode qualitative permet d’orienter les travaux vers l’émergence ou la description de stratégies d’intervention plutôt que vers la confirmation d’hypothèses (Petitpierre et Martini-Willemin, 2014). Les résultats permettront de décrire l’appréciation du programme, principalement l’intérêt, la pertinence ou l’utilité de son contenu et sa contribution à leur démarche de transition, selon le point de vue des éducateurs spécialisés, de jeunes participants et de parents ou familles substituts.

Participants

Le programme Carte routière est implanté par sept éducateurs spécialisés d’un centre de réadaptation et deux éducateurs spécialisés de deux écoles secondaires. Le programme est offert dans le respect des structures et des façons de faire des milieux de réadaptation (accompagnement individuel) et scolaires (formation de groupe avec interventions individuelles au besoin) des participants. Ainsi chacun des éducateurs du centre de réadaptation utilise la Carte routière avec un jeune (18-21 ans) présentant une DI légère à moyenne. Les éducateurs spécialisés du milieu scolaire utilisent chacun la Carte routière avec un groupe de cinq jeunes de 16 à 20 ans qui présentent une DI et fréquentent une classe d’adaptation scolaire dans une école secondaire (n = 5). Le programme est ainsi implanté auprès d’un total de 17 jeunes (16 à 21 ans) en transition de l’école à la vie adulte.

Au cours de la recherche, échelonnée sur une période de 18 mois, plusieurs changements de personnel parmi les éducateurs spécialisés du centre de réadaptation ont fait en sorte que six éducateurs spécialisés ont participé de façon partielle à l’implantation de la Carte routière. Les deux éducateurs spécialisés du milieu scolaire ont été présents pendant toute la recherche; cependant, la composition de chacun de leurs groupes a été légèrement modifiée à la fin de la première année scolaire, lorsqu’un jeune a quitté chacun des deux groupes, puisqu’il avait atteint l’âge de 21 ans et qu’il a été remplacé par un nouvel élève. Tous les jeunes (16 à 20 ans au début de l’étude) fréquentaient une classe d’adaptation scolaire située dans une école secondaire ordinaire, dans le programme de formation préparatoire au travail (FPT)[2].

Le programme Carte routière

La Carte routière vers la vie adulte. En route vers mon avenir! est un site Internet / livre électronique conçu comme un guide qui place le jeune adulte présentant une DI au centre de sa démarche, en tant qu’acteur principal de son cheminement (Ruel et al., 2012). Le programme est présenté de manière conviviale, structurée et bien illustrée afin que le jeune puisse facilement s’y retrouver. Le matériel est disponible en ligne et peut être téléchargé en format PDF ou Word afin de pouvoir être complété ou modifié par les utilisateurs[3]. La première section présentée « En route vers mon avenir » vise à introduire la Carte routière tout en expliquant ce qui a motivé son élaboration pour tous les jeunes (dont ceux qui ont des défis particuliers en raison d’incapacités ou qui vivent des situations de handicap) et la façon dont le jeune pourra l’utiliser. Une attention particulière a été apportée afin que l’information dans la Carte routière soit facilement accessible. Sur ce plan, le guide de Ruel, Allaire et al. (2018) et le site Internet de Société inclusive (2021) permettent de concevoir une information accessible à tous, quelles que soient leurs compétences en littératie.

Le matériel compris est réparti dans cinq dimensions de la vie du jeune, dont il sera question tout au long de son parcours (voir Figure 1), soit : 1) « Ma personne »; 2) « Mes études/mon travail »; 3) « Mon réseau »; 4) « Chez moi »; et 5) « Ma communauté ». Dans chacune des dimensions, l’information proposée au jeune est organisée en cinq étapes :

  1. Je rêve

  2. J’explore

  3. Je planifie

  4. J’agis

  5. Je me réajuste

Pour chaque dimension et étape, le jeune va être invité à créer du matériel et à remplir des sections qu’il intègrera dans son « Carnet de route ». Véritable portfolio, son carnet va se construire progressivement au rythme de ses rencontres individuelles ou de groupes. Le « Carnet de route » reflète sa démarche de transition et les activités qu’il réalise dans sa trajectoire vers la vie adulte, contribuant à l’appropriation de son parcours vers la réalisation de ses projets (Julien-Gauthier et al., 2021).

De plus, le programme comprend les onglets « Fiches », « Babillards » et « Outils » qui fournissent divers documents destinés au jeune ainsi qu’à ses parents, intervenants ou employeurs afin de leur offrir des informations supplémentaires tout au long du parcours. Ainsi le babillard « Démarches de planification de la transition » propose entre autres le matériel pédagogique « C’est l’avenir de qui après tout ? » qui vise l’acquisition d’habiletés par l’élève afin de lui permettre d’exercer un rôle significatif dans la transition de l’école à la vie adulte (Lachapelle et Wehmeyer, 1998) ou la trousse d’orientation professionnelle de Sphère (2020) qui vise à favoriser l’intégration en emploi des jeunes vivant avec des limitations fonctionnelles par une démarche d’orientation créative et structurée.

Figure 1

Dimensions du programme de transition vers la vie adulte

Dimensions du programme de transition vers la vie adulte

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Recrutement

Après l’obtention des certificats éthiques de la recherche auprès de l’Université Laval et du Comité d’éthique de la recherche conjoint destiné aux Centres de réadaptation en DI et en troubles envahissants du développement (CÉRC-CRDITED), l’équipe de recherche a procédé au recrutement des participants. La méthode d’échantillonnage non probabiliste par choix raisonné a été sélectionnée afin d’obtenir un maximum d’informations diversifiées (Fortin et Gagnon, 2016) afin de documenter l’appréciation du programme dans trois contextes : 1) centre de réadaptation; 2) école secondaire en milieu urbain; et 3) école secondaire en milieu rural. Les éducateurs spécialisés du centre de réadaptation ont par la suite recruté chacun un jeune (17-21 ans) pour participer à la recherche. Chacun des éducateurs spécialisés des deux milieux scolaires a recruté un groupe de cinq jeunes présentant une DI (16-20 ans) à qui ils offraient le programme de formation.

Déroulement de la recherche

Le suivi de l’implantation du programme était réalisé lors de réunions régulières de l’équipe de recherche avec les éducateurs spécialisés du centre de réadaptation et lors de rencontres téléphoniques systématiques avec les deux éducateurs spécialisés en milieu scolaire. Le suivi a débuté par la tenue d’une première rencontre d’équipe avec les éducateurs spécialisés du centre de réadaptation. Ces derniers ont reçu une formation[4] offerte par une agente d’intégration dont l’expertise est reconnue au sujet des défis et enjeux de la transition de l’école à la vie adulte pour la clientèle. Ensuite, le programme leur a été présenté, suivi d’une discussion sur son implantation dans le cadre des services offerts par leur milieu. Trois autres rencontres d’équipe tenues avec les éducateurs spécialisés du centre de réadaptation et ceux des deux écoles secondaires (à un intervalle de 4 à 6 mois entre les rencontres) visaient à documenter l’implantation de la Carte routière. Des rencontres individuelles ont également eu lieu avec les éducateurs spécialisés des deux milieux, à la fin de la recherche, afin de recueillir leur point de vue sur l’implantation et l’utilisation du programme auprès des jeunes présentant une DI et leurs parents. Toutes les rencontres (groupe et individuelles) ont été enregistrées sur bande audio et les verbatim ont été ensuite transcrits intégralement. Les participants avaient aussi accès à du soutien ponctuel offert par les membres de l’équipe de recherche ou par une étudiante à la maîtrise en psychoéducation (dont l’essai portait sur une partie de cette étude pilote). Les principales étapes ou activités du déroulement de la recherche apparaissent au Tableau 1.

Tableau 1

Principales activités de l’étude pilote

Principales activités de l’étude pilote

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Analyse des résultats

Pour traiter les données qualitatives issues des entretiens individuels et des rencontres de suivi des activités, de même que de la section qualitative de l’Échelle de résilience adaptée (Julien-Gauthier, Jourdan-Ionescu, Martin-Roy, Ruel et Legendre 2014), la méthode d’analyse des données par questionnement analytique a été employée (Paillé et Mucchielli, 2016). Ainsi, la question de recherche a d’abord été formulée, en opérationnalisant l’objectif de la recherche : décrire l’appréciation du programme, notamment le matériel compris dans la Carte routière afin d’en évaluer l’intérêt, la pertinence et l’utilité, selon le point de vue des utilisateurs (éducateurs spécialisés, jeunes présentant une DI et parents). Par la suite, de nouvelles questions ont été générées en lien avec le cadre théorique notamment sur l’accessibilité du matériel pour les jeunes présentant une DI et leur famille. L’objectif a ainsi été décortiqué en questionnements plus précis, le tout constituant un canevas interprétatif (p. ex., « La carte routière favorise-t-elle la concertation entre les éducateurs spécialisés et les parents ? »). Les données recueillies ont été soumises au canevas interprétatif ainsi constitué afin de générer des réponses à ces nouvelles questions. Enfin progressivement, des réponses ont été apportées sous la forme de constats, de propositions ou de nouvelles questions de recherche. À titre d’exemple, il a été possible de poser un regard « intersectoriel » sur ce programme et de proposer des améliorations du contenu (p. ex., adaptation de certaines fiches) et de l’utilisation du matériel (en petits groupes et en individuel).

Résultats

Les résultats obtenus sont présentés en sept sections, soit l’appréciation générale, la présentation du programme, ainsi que les cinq dimensions figurant dans la Carte routière.

Appréciation générale

Les résultats de l’appréciation de la Carte routière, selon le point de vue des éducateurs spécialisés, de jeunes adultes et de parents, sont présentés en lien avec les dimensions du programme. De façon générale, les éducateurs spécialisés ont indiqué qu’ils appréciaient la facilité d’application du programme, à partir d’un site Internet libre d’accès et comportant une banque de matériel présenté à la fois en format Word (modifiable) et en format PDF. La pertinence des activités proposées et la diversité du matériel de la Carte routière, abordant toutes les dimensions de la vie adulte, ont été soulignées par tous les participants. De même, la présence de nombreux liens pour chacune des dimensions, permettant d’accéder à de l’information complémentaire disponible sur le web, a été utile pour plusieurs d’entre eux. Leurs utilisations de la Carte routière, malgré les changements dans leurs mandats ou responsabilités, permettent d’émettre l’hypothèse que la Carte routière ait suscité un intérêt qui s’est maintenu au fil du temps.

[…] moi j’suis arrivée, mais j’avais pas eu la formation, j’étais pas là au début, mais toutes les fiches dans le cartable, elles sont tellement intéressantes, j’ai travaillé avec [le jeune] pour regarder les idées qu’il voulait faire pour après l’école et c’était vraiment parfait et il aimait vraiment ça…

Éducatrice réadaptation 4

Malgré la grande diversité des caractéristiques des jeunes accompagnés, les éducateurs spécialisés ont mentionné que l’ensemble du matériel de la Carte routière était d’un grand intérêt pour eux et pour d’autres intervenants ou professionnels auprès de jeunes présentant une DI. Les éducateurs spécialisés ont également mentionné la pertinence du matériel destiné aux parents, aux employeurs ou à d’autres partenaires. [5] Toutefois, lors de l’implantation de la Carte routière, ils ont noté que malgré l’information transmise, aucun parent, employeur ou partenaire n’a utilisé le matériel à sa disposition, et ce, pour diverses raisons : manque de temps ou de ressources, pas d’accompagnement spécifique, épuisement parental, accès limité à un ordinateur, etc.

Les participants ont également souligné la pertinence d’un contenu qui s’adresse d’abord au jeune, qui vise à le responsabiliser dans sa démarche de transition, tout en l’encourageant à s’entourer de personnes de confiance. Dans le programme, les jeunes sont invités à préparer leur rencontre de plan d’intervention ou de transition eux-mêmes, aidés de personnes de confiance. Les Figures 2, 3 et 4 illustrent des documents de préparation et de suivi du plan de transition à l’intention des jeunes, pour la dimension « Ma personne ».

Figure 2

Tableau de préparation du plan de transition

Tableau de préparation du plan de transition

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Figure 3

Extrait de la fiche : « Calendrier d’actions » pour la dimension « Ma personne »

Extrait de la fiche : « Calendrier d’actions » pour la dimension « Ma personne »

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Figure 4

Extrait de la fiche « Mon bilan » pour la dimension « Ma personne »

Extrait de la fiche « Mon bilan » pour la dimension « Ma personne »

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Selon la majorité des participants, le contenu qui s’adresse aux jeunes en situation de handicap de façon générale a besoin d’être simplifié davantage pour ceux présentant une DI. Des éducateurs en centre de réadaptation ont mentionné que le temps consenti à l’adaptation du matériel réduit les heures disponibles pour le soutien au jeune et à sa famille, ce qui constitue un obstacle à l’implantation du programme. Dans le milieu scolaire, les éducateurs ont mentionné que le matériel compris dans le programme Carte routière a été adapté pour le rendre plus accessible aux jeunes présentant une DI, avec la contribution de ceux-ci. Lors des rencontres de groupe, la formulation de certaines phrases a été simplifiée, pour favoriser la compréhension de tous les jeunes. De la même façon, les consignes pour compléter les fiches d’activités ou la description des exercices à réaliser à l’extérieur des rencontres étaient expliquées et discutées avec les jeunes.

Ça allait mieux quand on travaillait en groupe. Seuls, ils avaient de la difficulté à comprendre. Quand ils entendaient les réponses des autres élèves, ça leur aidait et là ils pouvaient mieux participer. Seuls, ils trouvaient ça ardu, fallait que j’explique beaucoup…

Éducatrice scolaire 1

Des éducateurs en centre de réadaptation ont mentionné qu’ils souhaitaient participer aux séances de groupe en milieu scolaire incluant les jeunes à qui ils offraient du soutien. Leurs collègues du milieu scolaire se sont montrés ouverts à accueillir un éducateur du centre de réadaptation, indiquant que ceci leur permettrait une meilleure connaissance du jeune, de sa famille ou de son contexte de vie. Ils ont indiqué cependant que cette façon de faire, bien qu’elle puisse être favorable à l’éducation des jeunes, comprenait plusieurs défis sur le plan de l’organisation et de la planification des rencontres.

Présentation du programme Carte routière

Les éducateurs ont indiqué avoir présenté la Carte routière aux jeunes de façon verbale, prenant le temps de s’assurer de leur compréhension et leur fournissant des documents papier adaptés, qu’ils pouvaient personnaliser et conserver, pour les revoir par la suite.

La présentation du programme est vraiment formidable pour bien expliquer et responsabiliser les jeunes face aux défis d’après l’école. Mes collègues utilisent aussi beaucoup ce matériel-là, la Carte routière, ils se basent là-dessus sans nécessairement utiliser de façon systématique tout ce qui est là.

Éducatrice scolaire1

Selon les éducateurs spécialisés, la Carte routière a été accueillie favorablement par tous les jeunes, plusieurs d’entre eux ont manifesté de l’enthousiasme à travailler à partir de leurs intérêts et à envisager des projets qui leur tiennent à coeur. Lors de l’implantation du programme, les éducateurs en centre de réadaptation offraient un accompagnement individuel aux jeunes, par des rencontres dans leur famille ou au centre de réadaptation. Les éducateurs du milieu scolaire proposaient régulièrement aux jeunes des rencontres individuelles et ceux-ci participaient à une rencontre hebdomadaire en petits groupes (cinq jeunes). Selon ces éducateurs spécialisés, bien que les rencontres individuelles soient parfois nécessaires avec certains jeunes, les rencontres de groupe permettaient de développer plusieurs habiletés essentielles à la vie adulte, notamment leurs habiletés de communication et d’interaction sociale. De plus, les rencontres apparaissaient riches des points de vue des jeunes, qui pouvaient y exprimer leurs intérêts, leurs défis et en discuter avec leurs pairs et les intervenants. S’appuyant sur le fait que le futur travail des jeunes présentant une DI soit susceptible de se réaliser en dyade ou en groupe la plupart du temps, les éducateurs considèrent que les activités de groupe sont nécessaires pour préparer leur avenir, et le matériel de la Carte routière s’y prête bien.

Cette année dans la classe de madame Marie-Élise [prénom fictif] ils ont séparé le groupe en deux pour que les plus vieux [16-21 ans] puissent s’orienter plus vers les compétences en emploi et l’indépendance, on axe plus sur le projet de vie, sur le après avec ce petit groupe-là.

Éducatrice scolaire 2

La présentation du programme comprend entre autres une fiche où le jeune est invité à écrire ses rêves, dans tous les domaines de sa vie : aspirations personnelles, études/travail, réseau de soutien social, résidence, vie communautaire (voir Figure 5). Elle a pour but, entre autres, de favoriser l’appropriation de sa démarche par le jeune adulte.

J’ai beaucoup de projets pour ma vie, mais il faut choisir des projets… Des fois je les garde en tête, des fois non. Des fois mes projets changent…

Jeune 1

Je lui demande de me dire ses rêves : « Qu’est-ce que tu aimerais avoir dans ta vie quand tu seras plus vieux ? Quand tu n’iras plus à l’école ? Comment tu te voies…? ». Il y a des vues qui sont réalistes, d’autres un peu moins, mais il y en a certaines qui sont réalisables.

Éducatrice réadaptation 1

Figure 5

Dimension « Ma personne », première étape : « Je rêve »

Dimension « Ma personne », première étape : « Je rêve »

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Dans l’implantation de la Carte routière, les éducateurs ont souligné l’importance de l’étape « Je rêve », afin d’aider les jeunes à visualiser leurs aspirations. La majorité des jeunes, même ceux plus avancés dans leur parcours scolaire, éprouvait des difficultés à se projeter dans l’avenir ou exprimait des aspirations irréalistes. Des éducateurs ont suggéré l’ajout d’activités concrètes dans de réels milieux de travail ou des rencontres avec des personnes présentant une DI engagées dans leur communauté afin de les aider à concevoir et à s’approprier des « rêves » qui soient plus facilement réalisables.

L’étape « j’explore » a mis en lumière le manque d’information des jeunes dans l’identification du chemin à parcourir pour pouvoir réaliser leurs projets. De façon unanime, les éducateurs ont souligné la nécessité de commencer l’implantation de la Carte routière dès l’entrée au secondaire et de motiver l’entourage du jeune à l’aider à surmonter les adversités inhérentes au processus de transition. Lors d’une rencontre de suivi de l’implantation du programme, les éducateurs ont exprimé le souhait que la Carte routière, qui fait porter au jeune la responsabilité des décisions et des moyens pour atteindre ses objectifs, puisse contribuer à changer les mentalités à l’égard de la DI.

La dimension « Ma personne »

La dimension « Ma personne », première étape de la Carte routière, a été utilisée par tous les participants à la recherche. Ils ont mentionné avoir apprécié la variété et la pertinence du matériel qui abordent les qualités, goûts et intérêts du jeune, de même que son état de santé, sa façon de prendre des décisions, ses droits et responsabilités, etc. Les participants ont souligné l’intérêt des jeunes à s’engager dans une démarche de développement de leur connaissance d’eux-mêmes et de leur potentiel. Toutefois, le contenu de la fiche : « J’explore mes qualités » a nécessité plusieurs adaptations : ainsi la liste des qualités proposées est exhaustive (117) et le vocabulaire est parfois complexe, trop spécifique ou peu familier.

Les qualités n’étaient pas toujours bien faciles à comprendre pour eux, mais malgré cela, ils en ont ajouté qui n’étaient pas là, comme celle d’être fiable ou bien d’être à sa place pour participer à un travail.

Éducatrice scolaire 2

Les éducateurs spécialisés du milieu scolaire ont construit avec leurs élèves, à partir de la liste de la Carte routière, une liste simplifiée de qualités et ressources qui les préparent à la transition vers la vie adulte. Cette liste simplifiée et personnalisée à chacun des groupes a permis à leurs élèves d’explorer des aspects de leur potentiel et leurs ressources, d’échanger sur le sujet avec leurs pairs et de consolider leur vision d’eux-mêmes. Quant aux éducateurs spécialisés en centre de réadaptation, ils ont mentionné que l’adaptation du matériel à la personne accompagnée était exigeante en termes de temps. L’implantation de la Carte routière a été réalisée à un rythme plus lent que celui qui était prévu à l’origine. Selon plusieurs d’entre eux, un travail de partenariat avec les intervenants du milieu scolaire permettrait d’adapter et d’enrichir le matériel afin de le rendre disponible à tous les intervenants qui accompagnent des jeunes présentant une DI dans leur processus de transition vers la vie adulte. Dans le milieu scolaire, les principales adaptations réalisées par les éducateurs spécialisés comprenaient la simplification et la vulgarisation des qualités énumérées dans la fiche « J’explore mes qualités », le fractionnement de plusieurs fiches en petites étapes (dont « J’explore mes goûts et mes intérêts »), chacune étant l’objet d’une rencontre spécifique ou l’ajout d’exercices dans lesquels les jeunes devaient exprimer leur point de vue et défendre leurs convictions.

Dans la réalisation de l’exercice portant sur les qualités, les jeunes sont invités à identifier leurs qualités et des situations dans lesquelles ils démontrent ces qualités. Pour se préparer, on leur suggère de consulter leurs parents, enseignants, intervenants ou d’autres personnes de leur réseau pour établir la liste de leurs qualités. Fait à noter, plusieurs jeunes adultes ont nommé des qualités et faisaient des liens entre ces qualités et leurs futurs emplois ou activités.

Moi je suis patiente, calme, aussi pas stressante et pas stressée [rires]. Je pourrais travailler avec des enfants, j’aime ça les enfants…

Jeune 2

[En rencontre avec sa mère, celle-ci ajoute : ]

Elle est aussi très courageuse, elle est aidante, prévenante, elle est souriante aussi… les enfants devraient bien l’aimer…

Mère 1

Une autre adaptation de cette partie du programme a consisté pour les éducateurs spécialisés en milieu scolaire à privilégier la fiche « J’explore mes qualités » en laissant de côté celle qui portait sur les difficultés « J’explore ce que je veux améliorer » (liste de caractéristiques, souvent associées à des défauts). Ils ont préféré travailler avec les jeunes dans une perspective plus positive, ainsi au lieu d’aborder une caractéristique telle que « colérique », on abordait plutôt des éléments à développer pour réaliser ses projets d’avenir, tels « Je développe mes habiletés à réagir calmement à une situation X ».

Dans cette dimension du programme, on propose également aux jeunes d’explorer leurs goûts et intérêts, à partir de questionnements sur de nombreuses facettes de leur vie : matières scolaires, sport, activités de loisirs, activités artistiques, lectures, sites Internet, sujets de prédilection, passions, etc. Selon les éducateurs en milieu scolaire, cette exploration permet aux jeunes de décrire leurs intérêts actuels et bien souvent, ceux qu’ils aimeraient découvrir, qui peuvent être amenés dans les interactions avec les autres jeunes du groupe. L’échange peut être fructueux et les goûts et intérêts souvent liés à des projets éducatifs ou professionnels futurs.

Ouais. J’aime bien ça être dehors ! Le travail sur la ferme, c’est toujours dehors ou presque. C’est bien le fun. J’aime ça.

Jeune 3

Les éducateurs en milieu scolaire ont aussi adapté cette section en la fractionnant en étapes : les préférences concernant les matières scolaires, les passe-temps, les sports, etc. Chaque aspect était abordé lors d’une rencontre spécifique et le processus pouvait reprendre des éléments abordés auparavant, selon la contribution des participants. Les jeunes construisaient ainsi avec leurs pairs leur « Carnet de route » individuel, comprenant des éléments de leur processus de transition vers la vie adulte, de leurs projets qu’ils pouvaient partager par la suite avec des personnes de confiance.

La section « Ma personne » aborde aussi l’autodétermination, un aspect incontournable du processus de transition vers la vie adulte. La définition généralement admise dans le domaine de la recherche en DI conceptualise l’autodétermination comme un agrégat d’habiletés et d’attitudes qui permet à la personne d’agir directement sur sa vie en effectuant des choix qui ne sont pas exagérément influencés par son entourage (Lachapelle et Wehmeyer, 2003, cités dans Cudré Mauroux et al., 2020). Le concept d’autodétermination est expliqué aux jeunes et pour les soutenir dans le développement de leurs habiletés à s’autodéterminer, des fiches d’exercice leur sont proposées. La fiche « Soutien à la prise de décision » leur fournit un modèle qui les invite à identifier une situation pour laquelle ils ont un choix à faire, trouver des options possibles, des avantages ou inconvénients, des informations à aller chercher selon le cas, des personnes consultées ou à consulter, etc. Également, la fiche « J’explore ma capacité à donner mon opinion et à faire des choix » leur permet de décrire les situations dans lesquelles ils expriment leur opinion ou ont à faire des choix, de même que les personnes avec qui il est facile de s’exprimer et d’affirmer ses choix et si nécessaire, comment améliorer la situation.

Ça va et ça repart. Il dit qu’il aimerait ça, mais pas tout de suite […]. Y’a comme un peu toujours cette vision-là, mais il oscille entre :« Ok oui je veux vraiment que ça se concrétise » et « Je suis pas sûr. ».

Éducatrice en réadaptation 4

La dimension « Mes études/mon travail »

La dimension « Mes études/mon travail », mon travail vise principalement l’accès à une vie active à la fin de la scolarisation, soit la poursuite des études, l’accès à un travail, des activités de bénévolat, l’engagement communautaire, la pratique de sports et de loisirs, etc. Selon les éducateurs spécialisés, près de la moitié des jeunes qui participent à la recherche éprouvent des difficultés d’apprentissage de la lecture et de l’écriture. En explorant cette dimension de la Carte routière, plusieurs d’entre eux envisagent de poursuivre leurs études en fréquentant les programmes d’éducation aux adultes.

C’était un de ses désirs de pouvoir continuer l’école pour apprendre à lire, écrire… il joue aux échecs et à l’ordinateur, mais il a de très grosses difficultés d’apprentissage, ça le décourage souvent…

Éducatrice réadaptation 2

On va dire… J’pourrais plus me trouver des genres de cahiers pour travailler mon français, mes maths encore. Je veux encore travailler ça même si j’vas pu à l’école.

Jeune 3

D’autre part, une grande question pour préparer leur avenir porte sur l’exploration des intérêts socioprofessionnels de ces jeunes. Dans le programme de l’école secondaire, les élèves présentant une DI réalisent des stages de travail dans l’école et à l’extérieur de l’école, qui les aident à découvrir leurs intérêts et compétences par l’apprentissage de tâches de travail variées et le développement de leurs compétences (Martin-Roy, 2019).

Y’a eu le stage dans l’hôtel… ça, je l’avais beaucoup aimé. Fallait je passe la « moppe » avec le concierge qui m’aidait. Puis des fois, je devais faire des chambres, les lits puis les rideaux.

Jeune 2

Dans l’accompagnement offert à ces jeunes en milieu de travail, plusieurs éducateurs ont utilisé du matériel proposé dans la Carte routière, notamment l’Inventaire des habiletés socioprofessionnelles (Marquis et al., 2011). Cet inventaire permet d’identifier les forces de l’élève et de l’aider à développer son potentiel pour accéder à différents types d’emploi ou de travail dans sa collectivité. Ils ont souligné la complexité de la préparation au travail et de l’accès au travail, qui fait appel à de nombreux partenaires des secteurs de l’éducation, de la santé, de l’emploi et des organismes communautaires. Tous les éducateurs ont déploré le manque de temps et de ressources pour développer des liens de collaboration avec les partenaires (p. ex., services d’aide à l’emploi et d’accompagnement communautaire) dans le processus de formation au travail et d’insertion socioprofessionnelle des jeunes présentant une DI.

Dans l’école, on n’a pas beaucoup d’aide, il n’y a qu’une éducatrice pour le travail et elle est toujours débordée, pas de budget pour le voyagement quand l’autobus scolaire se rend pas, les parents peuvent pas toujours aller le porter.

Éducatrice scolaire 2

Elle avait de l’accompagnement pour sortir de chez elle en sécurité, mais là ils ont coupé le budget de l’organisme, ils gardent seulement les activités de groupe et elle ne peut pas… le CLSC [Centre local de services communautaires] peuvent pas non plus, c’est bien triste.

Éducatrice réadaptation 1

Les éducateurs ont aussi abordé le besoin d’expertise, notamment dans la recherche de milieux de travail potentiels et dans la formation des jeunes en emploi. Ils indiquent que les apprentissages sont nombreux (communication, habiletés sociales, connaissances techniques, déplacements, etc.) et nécessitent du temps. Selon eux, l’application du programme Carte routière devrait se poursuivre après la fin des études secondaires et impliquer les intervenants des différents secteurs qui offrent du soutien au jeune et à sa famille.

On est comme dans un processus pour essayer de trouver quelque chose lorsque [le jeune] terminera l’école… Il y a l’école des adultes qui serait accessible une journée par semaine et peut-être aussi le mardi soir des cours de cuisine, s’il peut avoir un transport, mais il a encore beaucoup de choses à apprendre…

Éducatrice en réadaptation 2

Selon les éducateurs en réadaptation, la plupart des jeunes ont besoin d’acquérir davantage de maturité et de consolider leurs connaissances et habiletés sur le plan de l’autonomie fonctionnelle, du travail et des habiletés d’interaction sociale.

Enfin, l’importance du milieu familial dans la formation et la motivation du jeune est un aspect indiqué par la majorité des éducateurs, qui déplorent le manque de participation des familles dans l’implantation du programme. À ces difficultés s’ajoutent plusieurs divergences de point de vue, mentionnées par les éducateurs spécialisés.

Dans beaucoup de sphères de sa vie, [le jeune] est traité comme un enfant, mais au niveau de sa sexualité, là il a une blonde, il est traité comme un homme. Alors avec ça, la Carte routière, ça me permet de discuter avec lui et d’aborder la sexualité avec sa famille, c’est mon moyen d’amener la discussion.

Éducatrice en réadaptation 4

La dimension « Mon réseau »

Tous les participants à la recherche reconnaissent l’importance du réseau de soutien social pour les jeunes présentant une DI. Plus de la moitié des éducateurs du centre de réadaptation ont utilisé du matériel compris dans cette section pour aider le jeune à développer son réseau de soutien social. Ils ont particulièrement apprécié le « Guide pour apprendre à se faire des amis », le document « Pour être un bon ami » de même que l’exercice de réflexion « Le soutien social que j’offre ». Ils ont identifié des stratégies pour surmonter les obstacles au développement de liens sociaux, principalement les défis présents chez ces jeunes sur le plan de la communication et des habiletés interpersonnelles. Des comportements de surprotection de la part de leur entourage sont également présents.

[…] lorsqu’il fait quelque chose qui n’est pas correct, il a rarement les conséquences qui s’y rattachent. De plus lorsqu’il vit une situation qui peut lui amener une crainte, peine, peur, il est souvent retiré [de l’école] pour éviter de faire face à ces émotions…

Éducatrice scolaire 1

Les éducateurs en milieu scolaire ont aussi utilisé du matériel de cette section de la Carte routière lors d’activités de groupe. Ils mentionnent que ceci leur a permis d’aider à la fois au développement des habiletés d’interaction sociale des jeunes et à celui de leurs habiletés à se faire des amis et à entretenir leurs liens d’amitié. Les obstacles qui persistent selon les éducateurs concernent la tendance, chez certains jeunes, à interagir davantage avec le personnel de l’école ou les adultes en qui ils ont confiance qu’avec leurs pairs et les difficultés liées à la collaboration et la concertation avec les familles.

Juliette [prénom fictif] n’arrête pas de se plaindre qu’elle n’a pas d’amis… on se rend compte qu’elle s’identifie très peu aux autres jeunes de son âge, elle préfère le contact avec le personnel, ça l’aide pas vraiment à se faire des amis…

Éducatrice scolaire 2

Plusieurs d’entre eux ont mentionné que cette section de la Carte routière serait particulièrement intéressante pour les parents et les intervenants des milieux communautaires, notamment ceux des loisirs. Selon ces éducateurs, ils pourraient bénéficier d’informations pertinentes pour aider les jeunes ayant des incapacités.

La dimension « Chez moi »

La dimension « Chez moi » est celle qui a été peu explorée par les éducateurs en centre de réadaptation. Quelques-uns d’entre eux ont mentionné que, puisque le jeune à qui ils offraient du soutien résidait dans une famille substitut, ils leur apparaissaient moins appropriés d’investir cet aspect de la transition vers la vie adulte. D’autres ont fait référence au manque de temps pour investir cet aspect du soutien au jeune et à sa famille. Pour les éducateurs en milieu scolaire, la vie résidentielle était parfois abordée avec les jeunes dans le cadre des activités de groupe. Plusieurs ont souligné que le matériel développé pour cette dimension leur apparaissait intéressant, tout particulièrement le « Tableau des éléments de l’autonomie résidentielle » qui permet de faire ressortir les habiletés des jeunes et leur contribution à la vie familiale.

Si mon autonomie est assez efficace. Je vais peut-être m’essayer pour aller en appartement, pour la première fois. Juste pour voir si j’suis capable d’y aller seul.

Jeune 4

Quelques éducateurs ont aussi mentionné que l’aspect résidentiel était parfois abordé, surtout pour les jeunes plus autonomes, lors de la préparation du plan d’intervention (ou plan de transition; Goupil, 2020) du jeune, en concertation avec ses parents.

Elle a fait des séjours […] depuis l’été dernier, à raison d’un séjour mensuel. Et ça, elle tripe. […] C’est une ressource avec des appartements, avec des services sur place, donc [la jeune] a plus sa liberté, est dans son appartement.

Mère 2

La dimension « Ma communauté »

Cette dimension permet de mieux connaître les services qui sont offerts dans la communauté d’appartenance du jeune, tant sur le plan des loisirs que des activités communautaires ou des services aux citoyens. Cette dimension aborde également l’exercice de ses droits et responsabilités en tant que membre d’une communauté. Plusieurs éducateurs en centre de réadaptation ont utilisé le matériel de la Carte routière pour accompagner les jeunes dans l’exploration des ressources de leur milieu, notamment les activités de formation à l’intention des adultes, les loisirs et les ressources communautaires. Les éducateurs du milieu scolaire indiquent qu’ils ont encouragé les jeunes à participer à des activités parascolaires, à explorer les ressources de leur environnement. Ils ont particulièrement apprécié la fiche « Trucs pour trouver ce qui existe dans ma communauté ».

Bref, la carte routière c’est tellement un bel outil là! On l’utilise avec les élèves et ça anime la discussion, de dire : « Ah, tu fais ça toi? » C’est le fun car l’autre voit ce qu’un autre fait chez lui. Comme une élève disait : « Oui ! Moi je fais l’épicerie » et l’autre se questionnait, à savoir pourquoi lui ne la faisait pas. Ça leur fait des références.

Éducatrice scolaire 1

Cependant, les éducateurs déplorent le nombre restreint de possibilités de participation communautaire pour les jeunes présentant une DI. L’implantation du programme étant réalisée dans une région à l’extérieur des grands centres, mentionnons la rareté des services de transport en commun à la disposition des jeunes. De plus, les activités qui leur étaient accessibles étaient presque exclusivement offertes par des organismes communautaires dédiés aux personnes en situation de handicap.

Discussion

Les résultats de cette étude pilote ont permis de répondre à notre question de recherche : effectivement, le programme Carte routière, tel qu’expérimenté par les éducateurs spécialisés a suscité de l’intérêt dans les deux milieux d’intervention (il a été appliqué pendant 18 mois par les participants), sa pertinence et son utilité sont confirmées par les nombreux témoignages d’éducateurs spécialisés, de jeunes et de parents. Toutefois, la Carte routière ayant été développée pour guider les jeunes en situation de handicap, elle nécessite certaines adaptations du contenu pour qu’il soit plus accessible à ceux qui ont une DI. Sur ce plan, les résultats d’une recherche-action – ayant regroupé des concepteurs, des personnes ayant une DI et leurs accompagnateurs – ont permis l’élaboration de matériel accessible et significatif pour les personnes présentant une DI, confirmant la validité d’une démarche de rédaction inclusive (Ruel, Moreau et al., 2018; Ruel et al., 2016). Une démarche similaire a été mise sur pied dans cette étude par les éducateurs en milieu scolaire, qui ont adapté le matériel de la Carte routière avec les jeunes présentant une DI lors d’activités en petits groupes. Pour ces jeunes, l’accès à des documents d’informations accessibles renforce leur pouvoir d’agir (Ruel, Allaire et al., 2018) et en conséquence, leur résilience (Julien-Gauthier et al., 2020).

Les aspirations des personnes présentant une DI sont différentes de celles qu’ont pour elles leurs parents et intervenants (Boland et al., 2008), il faut donc les aider à explorer les possibilités qui s’offrent à elles, les inciter à exprimer et affirmer leurs choix. Cet aspect est important et tout particulièrement lors de la période de transition vers la vie adulte, en raison de la tendance à l’acceptation qui caractérise la DI (Héroux et al., 2011). Pour les aider à s’exprimer sur les sujets qui les préoccupent et à s’affirmer, ces auteurs suggèrent l’adoption d’une attitude de considération positive, de confiance dans les capacités du jeune et de reconnaissance de son potentiel. Celui-ci doit avoir la conviction que son opinion est valable et importante. Le matériel de la Carte routière, conçu pour placer le jeune au premier plan, comme acteur principal de son propre cheminement, peut contribuer à l’appropriation de sa démarche de transition vers la vie adulte. Les fiches d’activité « J’explore mes qualités » favorisent également l’autodétermination et la résilience de ces jeunes, par la reconnaissance de leurs qualités et de leurs réussites (Ionescu, 2018). L’étude de Miller (2002), réalisée auprès de 10 jeunes qui éprouvaient des difficultés d’apprentissage, montre que les jeunes résilients identifient avec enthousiasme leurs forces et en retirent une grande fierté. De plus, l’une des différences les plus notables entre les élèves résilients et non résilients est la capacité des élèves résilients à identifier des expériences de réussite et à décrire ces expériences comme des étapes vers la réalisation de leurs projets.

Pour les jeunes présentant une DI, le développement des habiletés de communication et d’interaction sociale est un aspect essentiel de la réussite de la transition vers la vie adulte (Agran et al., 2016). Les parents et éducateurs spécialisés sont conscients de la nécessité de développer ces habiletés et malgré le soutien reçu, ces difficultés persistent lors de l’entrée dans la vie adulte (Martin-Roy, 2019; Picon, 2009) et au-delà. Pour soutenir le développement des habiletés de communication et d’interaction sociale, les groupes de parole (Picon, 2009) ou ceux d’éducation à la citoyenneté (Beaudoin et Raymond, 2016), de même que les activités en petits groupes (tel qu’utilisées par les éducateurs en milieu scolaire dans notre étude), sont autant d’initiatives à favoriser. La Carte routière comprend plusieurs fiches d’activité qui facilitent l’expression de la personne et l’affirmation de son point de vue, dont la fiche « J’explore ma capacité à donner mon opinion et à faire des choix » et celle du « Soutien à la prise de décision ». Selon Picon (2009), la situation groupale est favorable à l’expression des jeunes présentant une DI et permet un mouvement d’affirmation de soi et de différenciation.

La dimension « Mon travail » porte sur l’exploration des intérêts professionnels du jeune et le développement de ses habiletés de travail afin d’accéder à des activités qui lui conviennent à la fin de la scolarisation. Pour ce faire, l’utilisation du matériel proposé dans la Carte routière, a permis d’accompagner ces jeunes dans l’identification de leurs forces et leurs ressources, de même que des habiletés à développer pour améliorer leurs performances au travail et dans les activités quotidiennes. Cependant, les jeunes présentant une DI apprennent « en contexte » et c’est lors de stages dans des milieux de travail dans leur collectivité qu’ils peuvent valider leurs intérêts (Julien-Gauthier, Martin-Roy et al., 2016). Ils développent lors de ces stages d’apprentissage, des compétences qui leur permettront d’accéder à un travail ou à des activités productives dans leur communauté. La réalisation de stages de travail, imbriquée dans le parcours de formation préparatoire à l’emploi offert aux jeunes présentant une DI (Julien-Gauthier, Martin-Roy et al., 2016; Martin-Roy, 2019) est l’un des principaux facteurs qui contribue à leur réussite professionnelle (Wehman et al., 2015). Dans cette étude, les éducateurs ont identifié plusieurs obstacles à la réalisation de stages de travail, dont le manque d’expertise et de ressources dans le milieu scolaire.

Chez les jeunes présentant une DI, la mise en évidence et le développement de leur potentiel les aide à surmonter les situations d’adversité et renforce leur résilience naturelle (Ionescu, 2018). Dans cette étude, les qualités des jeunes ont été reconnues et mises en valeur. Toutefois, l’accompagnement qui leur est offert dans les milieux de réadaptation et les milieux scolaires doit leur permettre d’être « aux commandes » de leur avenir. Le matériel de la Carte routière, par l’utilisation de représentations facilement compréhensibles (les dimensions) favorise leur appropriation du processus de transition vers la vie adulte. En exemple, le « Tableau des éléments de l’autonomie résidentielle », souligné par les éducateurs spécialisés, permet de faire ressortir les habiletés des jeunes et leur contribution à la vie familiale. Sur ce plan, l’exercice de responsabilités à la maison est une activité qui favorise l’accès à une vie active après la scolarisation (Wehman et al., 2015). D’autre part, les éducateurs ont peu abordé le type d’accompagnement qu’ils offraient aux jeunes afin de faciliter l’appropriation de leur démarche et de s’assurer qu’ils soient vraiment « aux commandes » de leur avenir. Selon Martin-Roy (2019), l’implantation d’un modèle qui soutient la participation et le leadership du jeune dans son parcours scolaire, pouvant aller jusqu’à le former à l’animation de son plan de transition, nécessite des changements culturels et organisationnels significatifs.

Parmi les suggestions apportées par les éducateurs spécialisés, le travail de concertation et de collaboration entre les éducateurs du centre de réadaptation et ceux du milieu scolaire est souhaité. Cette suggestion correspond aux recommandations issues de l’évaluation de l’Entente de complémentarité entre les réseaux scolaires et sociaux[6], bien que selon les résultats de cette étude, cette entente tarde à se concrétiser sur le terrain (Tétreault et al., 2010). Ces auteurs recommandent d’augmenter la présence des éducateurs du centre de réadaptation à l’école, car il s’agit du principal milieu de vie des jeunes, après leur famille. De plus, ces éducateurs connaissent bien les jeunes et leur famille, et ils possèdent des informations précieuses sur leurs valeurs et la culture de leur milieu d’appartenance, informations utiles pour les accompagner dans leur trajectoire. Quant aux éducateurs en milieu scolaire, le fait qu’ils côtoient les élèves environ six heures par jour en fait des partenaires privilégiés de leur formation scolaire et professionnelle.

Les éducateurs spécialisés ont aussi exprimé une préoccupation pour le développement du réseau de soutien social des jeunes, à la fin de la scolarisation. À cet effet, ils mentionnent l’utilité des documents compris dans la section « Mon réseau » de la Carte routière, notamment le « Guide pour apprendre à se faire des amis » et le document « Pour être un bon ami », tout en étant conscients des limites des ressources dans leur communauté. Dans les classes d’adaptation scolaire qu’ils fréquentent pendant huit à neuf ans, les jeunes présentant une DI ont créé des liens solides avec leurs pairs et les intervenants scolaires. Cet univers risque de s’effondrer à la fin de la scolarisation et leurs éducateurs sont conscients des risques d’isolement et même d’exclusion sociale. L’étude de Miller (2002) a montré que les jeunes qui sont capables de développer des liens d’amitié avec leurs pairs, qui leur fournissent des encouragements et du soutien, sont plus résilients. De plus, la résilience se développe dans l’interaction avec l’entourage, des tuteurs de résilience ou des réseaux sociaux qu’il est important de préserver et d’enrichir, particulièrement lors de changements ou de transitions dans la trajectoire de vie (Ionescu, 2018). Les résultats de cette étude montrent que les éducateurs encouragent les jeunes à participer à des activités de loisirs ou parascolaires pour développer des liens sociaux et déplorent le manque de ressources de soutien ou d’accompagnement dans leur collectivité. Selon Tétreault et al. (2012), la participation à des loisirs permet aux jeunes de se connaitre, de s’épanouir et de s’engager dans de nouvelles activités. À cet effet, les loisirs les amènent à vivre des expériences en dehors de leur cercle familial, à développer des liens d’amitié et à découvrir leurs intérêts. La participation à des activités de loisir peut aussi les amener à découvrir un sport ou une activité artistique et les amener à explorer de nouvelles occasions de participation sociale dans leur collectivité (Julien-Gauthier, Martin-Roy et al., 2016). Pour ce faire, la contribution des municipalités et des organismes de loisirs est nécessaire, afin de favoriser la mise en place de structures favorables à la participation de tous les citoyens. Les résultats de cette étude évoquent aussi des difficultés d’accès à une participation sociale optimale des jeunes présentant une DI dans les régions éloignées des grands centres.

Les résultats de la recherche de Martin-Roy (2019) ont montré que les parents reconnaissent l’expertise des intervenants scolaires en tant que « Maîtres d’oeuvre » du processus de transition vers la vie active. Ils envisagent une contribution familiale qui consiste à participer au plan d’intervention et à encourager leur enfant dans la réalisation de ses engagements. Dans le même ordre d’idée, les résultats de cette étude n’ont pas permis de documenter l’appropriation de leur démarche de transition par les jeunes présentant une DI ou le développement de leur autodétermination. Selon des éducateurs spécialisés, ils ne semblaient pas se représenter le processus de transition dans son ensemble, étaient plus ou moins conscients de l’importance de cette période, des compétences à acquérir pour réaliser leurs rêves. Selon Lachapelle et al. (2010), un comportement autodéterminé doit tout d’abord être réalisé de manière autonome, c’est-à-dire sans influence externe exagérée et en accord avec les intérêts, les préférences et les aptitudes de la personne. Le matériel compris dans la Carte routière, entre autres les fiches portant sur les qualités, intérêts ou préférences des jeunes peuvent contribuer à l’appropriation de leur démarche. Ainsi que l’ont mentionné les éducateurs spécialisés, il faut du temps et ces résultats militent en faveur de l’implantation du programme au début des études secondaires, soit autour de l’âge de 14 ans, tel qu’inscrit dans la législation aux États-Unis et en Ontario (Bissonnette, 2018). Au Québec, les résultats de l’étude de Desmarais et al. (2020) portant sur un modèle optimal de transition de l’école à la vie active pour ces élèves indiquent :

Accompagner l’élève tôt, au plus tard dès l’âge de 15 ans, et miser sur le plan d’intervention dans la planification d’un projet de vie, à partir des besoins, intérêts, habiletés et préférences du jeune en s’assurant que le plan lui soit facilement accessible pour favoriser sa participation.

Desmarais et al., 2020, p. 23

En terminant, toujours selon les éducateurs, les jeunes adultes étaient très engagés dans les activités du programme Carte routière, réalisaient avec soin les activités, participaient aux retours sur les activités antérieures et, avec de l’aide, plusieurs d’entre eux pouvaient établir des liens entre celles-ci (p. ex., mes qualités qui se retrouvent dans les intérêts que j’ai développés, qui influencent mes projets ou mes choix d’avenir). Comme mentionné plus tôt, l’apprentissage itératif et les retours fréquents sur les étapes antérieures permettent de consolider les connaissances acquises, elles leur permettent également d’échanger avec leurs pairs et de développer leurs habiletés d’interaction sociale et d’affirmation de soi.

Conclusion

Cette recherche participative visait à documenter l’appréciation de la Carte routière vers la vie adulte, un programme de soutien à la transition à l’intention des jeunes en situation de handicap. Le programme a été expérimenté par neuf éducateurs spécialisés en centre de réadaptation et en milieu scolaire qui travaillent auprès de jeunes présentant une DI et 17 jeunes participants. Les résultats confirment l’intérêt, la pertinence et l’utilité de la Carte routière dans l’accompagnement de ces jeunes, notamment pour les aider à s’approprier leur processus de transition, explorer et définir leurs objectifs de vie adulte. Ils soulignent également l’intérêt de l’implantation de la Carte routière dans une formule de groupe restreint comprenant des interventions individuelles selon les besoins des jeunes. Cette formule permet aux jeunes de développer ou consolider plusieurs habiletés essentielles à la vie adulte, notamment leurs habiletés de communication et d’interaction sociale, visant l’autodétermination, l’affirmation de soi et l’expression de son point de vue, notamment à des personnes extérieures à la famille.

Les résultats confirment l’intérêt de fournir aux jeunes présentant une DI des documents d’information accessibles avec des repères visuels pour les aider à comprendre et à participer de façon optimale à la construction de leurs projets. Pour favoriser la réussite de la transition, des modifications doivent être apportées à la structure des programmes qui leur sont offerts, afin de leur assurer un accompagnement qui mette en valeur leur potentiel et les amène à exercer un rôle de premier plan dans l’ensemble de leur processus de transition (Desmarais et al., 2020). Finalement, l’implantation de la Carte routière a permis de documenter l’intérêt, la pertinence et l’utilité de ce programme pour guider les jeunes adultes présentant une DI et contribuer à renforcer leur résilience. Au terme de l’étude, des éducateurs ont exprimé le souhait que l’implantation du programme auprès de ces jeunes puisse contribuer à changer les mentalités, à augmenter la confiance de la population à l’égard des personnes présentant une DI.

Cette étude a des limites : comme il s’agissait d’un projet pilote, un petit nombre d’éducateurs spécialisés ont implanté le programme. Pour les mêmes raisons, la collecte de données est limitée aux éléments d’appréciation du programme (intérêt, pertinence et utilité), l’impact de son implantation pour les jeunes participants n’est pas mesuré. Le roulement de personnel chez les éducateurs spécialisés du centre de réadaptation est un obstacle à la rigueur des résultats obtenus Certains éducateurs n’ayant pas participé à la formation initiale ou participé de façon partielle à son déroulement.

S’appuyant sur les résultats obtenus, d’autres études seraient à réaliser portant sur les modèles de soutien à la transition développés dans les milieux scolaires ou les milieux de réadaptation. Sur ce plan, Desmarais et al. (2020) suggèrent de valoriser les pratiques prometteuses déjà existantes. Également, une étude co-construite avec de jeunes adultes présentant une DI en transition permettrait de mieux comprendre leurs aspirations et leur vécu dans ce processus. L’approche par les communautés, de type Community conversation (p. ex., Carter et al., 2011), qu’on voit émerger dans certains pays est aussi une voie à explorer, pour une meilleure inclusion de ces jeunes dans les régions situées à l’extérieur des grands centres.