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Introduction

Les parents présentant une consommation problématique d’alcool ou de drogues ressentent souvent des inquiétudes et de la culpabilité quant à l’impact de leur consommation sur la santé de leur enfant (Coyer, 2001 ; Ehrmin, 2001 ; Rhodes et al., 2010). Ces parents sont effectivement enclins à adopter des pratiques éducatives moins favorables au développement de leur enfant et courent un risque accru de négliger leur enfant en raison de leur consommation (Hogan et Higgins, 2001 ; Mayer et al., 2005). S’il est reconnu que la consommation problématique d’alcool ou de drogues interfère directement avec l’exercice de la parentalité (Street et al., 2008), on ne peut inférer de simples liens causaux. En effet, tous les parents qui ont une dépendance à l’alcool ou aux drogues ne sont pas des parents incompétents (Hogan et Higgins, 2001 ; Lussier et al., 2010). Il est toutefois reconnu que la présence d’une consommation problématique chez le parent affecte le parent lui-même, la famille et l’enfant (Barnard et McKeganey, 2004 ; Bertrand et al., 2007 ; Carlson, 2006 ; Hogan et Higgins, 2001 ; Landry et al., 2010 ; Mayer et al., 2005 ; Morissette et Venne, 2009 ; Neger et Prinz, 2015 ; Park et Schepp, 2015 ; Vitaro et al., 2004). Ces répercussions peuvent varier en fonction du genre du parent. Chez les mères consommatrices, on observe moins de réactivité, de chaleur face à leur enfant et un style parental davantage autoritaire et punitif (Solis et al., 2012). Alors que chez les pères consommateurs, on observe une fréquence plus élevée de comportements violents à l’endroit de l’enfant (Scaife, 2008) et un désengagement émotif (Solis et al., 2012).

Parmi les facteurs pouvant contribuer à expliquer le lien entre la consommation problématique d’alcool ou de drogues et les compétences parentales se retrouve le sentiment d’auto-efficacité parental (SAEP) (Raynor, 2013). Le sentiment d’auto-efficacité est l’auto-évaluation de la capacité d’une personne quant à la réalisation de son comportement dans une situation (Bandura, 1977). En contexte de parentalité, le SAEP réfère à la confiance du parent à l’égard de ses habiletés, en ce qui concerne l’organisation et l’exécution des tâches parentales (Bandura, 1977 ; Junttila, 2012 ; Montigny et Lacharite, 2005 ; Sevigny et Loutzenhiser, 2010). Ainsi, la présence d’un faible SAEP empêcherait le parent d’accomplir certaines tâches parentales et lui ferait vivre des préoccupations et des expériences émotionnelles négatives en lien avec son rôle parental (Korja et al., 2015). Le SAEP et les compétences parentales sont fortement corrélés (Sevigny et Loutzenhiser, 2010). Les parents qui ont un SAEP plus élevé auraient plus de chance d’utiliser de stratégies parentales appropriées (Junttilla et al., 2007). Le SAEP serait également un important déterminant dans la construction d’une relation saine entre le parent et l’enfant (Ardelt et Eccles, 2001 ; Coleman et Karraker, 2003 ; Jones et Prinz, 2005 ; Sevigny et Loutzenhiser, 2010 ; Shumow et Lomax, 2002). Plus spécifiquement, les parents qui ont un SAEP élevé auraient tendance à voir les difficultés de leur enfant comme un défi qui nécessite un effort. À l’inverse, ceux qui ont un SAEP plus faible verraient les difficultés de leur enfant comme une menace à leur capacité (Albanese et al., 2019).

Pour certains auteurs, le SAEP est également positivement corrélé à la présence de détresse psychologique chez le parent. La détresse psychologique se caractérise par un ensemble d’émotions négatives ressenties par le parent et dont la persistance peut entraîner chez ce dernier des symptômes dépressifs et de l’anxiété (Camirand et Nanhou, 2008). Ainsi, certains auteurs observent un lien entre un faible SAEP et une plus grande détresse psychologique (Albanese et al., 2019 ; Kunseler et al., 2014). Malgré qu’il soit reconnu que la détresse psychologique affecte le SAEP des parents, et ce, indépendamment de leur genre, chez la mère, la présence cette corrélation serait plus marquée (Sevigny et Loutzenhiser, 2010). Chose certaine, la présence de détresse psychologique est étroitement associée à des difficultés sur le plan des pratiques éducatives et de la relation parent-enfant (Anthony et al., 2005 ; Kashdan et al., 2004 ; Korja et al., 2015 ; Luthar et Sexton, 2007 ; Middleton et al., 2009 ; Murphy et al., 2010). En effet, les parents qui vivent plus de difficultés émotives, dont la dépression ou l’anxiété, ont plus de difficultés à avoir des pratiques éducatives constantes et positives à l’endroit de leur enfant (Kashdan et al., 2004 ; Korja et al., 2015 ; Luthar et Sexton, 2007 ; Murphy et al., 2010). Qui plus est, les symptômes dépressifs et anxieux chez le parent sont associés à une relation parent-enfant moins chaleureuse et à davantage de maltraitance (Kashdan et al., 2004 ; Korja et al., 2015 ; Middleton et al., 2009).

En somme, le SAEP joue un rôle important en ce qui concerne les compétences parentales et la qualité de la relation parent-enfant. Un meilleur SAEP serait précisément associé à une relation parent-enfant plus saine, alors qu’inversement, un plus faible SAEP serait associé à davantage de difficultés relationnelles (Coleman et Karraker, 2000 ; Jones et Prinz, 2005 ; Raynor, 2013 ; Sevigny et Loutzenhiser, 2010). La présence de détresse psychologique chez le parent pourrait contribuer à expliquer ces relations. Or, parmi les études portant sur le SAEP et la détresse psychologique, peu ont été réalisées auprès de parents qui ont une consommation problématique à l’alcool ou aux drogues, une population pourtant très vulnérable en matière de parentalité (Raynor, 2013). À ce jour, les études jumelant parentalité et consommation problématique se consacrent davantage sur les facteurs personnels et environnementaux affectant les compétences parentales de cette clientèle (Barnard et McKeganey, 2004 ; Bennet, 1995 ; Bertrand et al., 2007 ; Cannon et al., 2008 ; Carlson, 2006 ; Hogan et Higgins, 2001 ; Landry et al., 2010 ; Mayer et al., 2005 ; Morissette et Venne, 2009 ; Neger et Prinz, 2015 ; Park et Schepp, 2015 ; Rhodes et al., 2010 ; Vitaro et al., 2004). Raynor (2013) y ajoute l’étude de la détresse psychologique sur le SAEP des parents consommateurs. Dans une approche de réduction de méfaits, s’intéresser au SAEP et à la détresse psychologique des parents ayant une consommation problématique permettrait de mieux comprendre, voire expliquer, l’impact de leur consommation sur leurs pratiques éducatives et leur relation avec leur enfant. Ces connaissances spécifiques à une population de parent ayant une consommation problématique permettraient d’améliorer les interventions et les programmes parentaux destinés à ces familles.

La présente étude vise à vérifier, chez des parents ayant une consommation problématique à l’alcool ou aux drogues, si (1) le niveau de SAEP est corrélé à la gravité de la consommation (alcool et drogues), à la sévérité de la détresse psychologique, à la qualité des pratiques éducatives et à la relation parent-enfant et si (2) la sévérité de la détresse psychologique contribue à expliquer la relation entre le SAEP et les pratiques éducatives, ainsi que la relation entre le SAEP et la relation parent-enfant. Il est attendu que la présence d’un plus faible SAEP soit d’une part corrélée à une consommation davantage problématique et d’autre part à la présence d’une plus grande détresse psychologique (dépression et anxiété) chez le parent. Il est également attendu qu’un plus grand SAEP soit corrélé avec l’utilisation de davantage de comportements éducatifs positifs et de moins de supervision lacunaire ou de discipline inconstante. Dans le même sens, il est attendu qu’un meilleur SAEP soit corrélé à la présence de davantage d’attitudes parentales chaleureuses/affectueuses et à moins d’attitudes parentales hostiles/agressives ou négligente/indifférente. Finalement, il est attendu que la sévérité de la détresse psychologique contribue à expliquer la relation entre le SAEP et les pratiques éducatives, de même que la relation entre le SAEP et la relation parent-enfant.

Méthode

Déroulement de l’étude

La présente étude a été approuvée par le comité d’éthique de la recherche de l’Institut universitaire sur les dépendances du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Cette étude repose sur un devis transversal. Pour y participer, les parents devaient (1) présenter une consommation problématique d’alcool ou de drogues ou avoir présenté une consommation problématique d’alcool ou de drogues dans la dernière année et (2) avoir au moins un enfant âgé entre 6 et 12 ans. Les parents ont été sollicités à participer à la recherche lors de leur inscription au programme d’entraînement aux habiletés parentales (PEHP) Cap sur la famille (Laventure et al., 2015), offert dans les centres de réadaptation en dépendances du Québec. Ce programme est un PEHP spécifiquement développé pour les parents ayant une consommation problématique et leurs enfants âgés entre 6 et 12 ans. Composé de 11 ateliers, le principal objectif de ce programme vise à réduire les répercussions de la consommation sur le système familial. La participation au programme est volontaire. En ce sens, pour accepter de participer au programme, les parents devaient minimalement reconnaître qu’ils avaient une consommation problématique et qu’ils avaient besoin d’aide en lien avec leurs compétences parentales. L’invitation a participé à la recherche s’est faite via les personnes animatrices du programme lors de la rencontre préprogramme. L’ensemble des parents invités à participer à la recherche avant le début du programme ont accepté et rempli un formulaire de consentement à la recherche. Cette forte réponse positive s’explique sans doute par le fait que la rencontre préprogramme inclus d’emblée une évaluation clinique. Pour participer à la recherche les parents devaient accepter que les résultats anonymisés de son évaluation préprogramme soient transmis à l’équipe de recherche. Le protocole d’évaluation portait sur différentes caractéristiques personnelles, parentales et familiales. Comme les données utilisées dans cette étude ont été colligées avant le début du programme, s’il y a un biais d’échantillon lié aux choix des participants, soit des parents en traitement pour leur consommation, aucun biais n’est associé au contenu du programme.

Échantillon

L’échantillon est composé de 81 parents (75,9 % de femmes) âgés de 24 à 50 ans (M = 37,12 ; ÉT = 6,1). Leurs enfants (54,4 % de filles) sont âgés de 5 à 12 ans (M = 8,42 ; ÉT = 1,8). À l’entrée dans le programme, 79,5 % des parents présentaient une consommation dite problématique ou à risque, alors que 20,5 % présentaient une consommation dite contrôlée. Les familles étaient à 19,0 % intactes, 64,6 % monoparentales et 16,4 % recomposées. Un parent sur trois (30,8 %) vivait de l’aide sociale, 44,9 % avaient un travail (temps plein ou partiel) et 24,3 % des parents étaient soit étudiants, sur le chômage, en congé maladie ou invalides.

Mesures

Sentiment d’auto-efficacité parentale

Le SAEP a été évalué à l’aide de la version française de la Parenting Self-Agency Measure (PSAM ; Dumka et al., 1996), laquelle mesure le niveau de confiance global que détient le parent envers sa capacité à réussir son rôle parental. Les cinq items sont rassemblés en une seule échelle et font référence au sentiment de confiance du parent, à ses connaissances parentales et à sa volonté de consacrer des efforts à résoudre les problèmes dans sa famille. Le parent répond aux questions à partir d’une échelle de type Likert en cinq points allant de « fortement d’accord (5) » à « fortement en désaccord (1) ». Des questions telles que « Je me sens sûr de moi-même en tant que mère/père. » ou « Je sais des choses sur le rôle de mère/père qui pourraient aider d’autres parents. » permettent de mesurer le SAEP. Un score moyen élevé indique que le parent a un fort SAEP alors qu’un score moyen inférieur à 3,0 laisse présager que le parent a le sentiment de manquer de compétence dans son rôle parental. Dans le cadre de l’étude, la variable du SAEP est traitée de manière continue. Dans l’échantillon, le score moyen varie de 2,0 à 5,0 (M = 3,82 ; ÉT = 0,6). Dans le présent échantillon, la cohérence interne de l’outil est jugée satisfaisante (αpoly) = 0,81) (Gadermann et al., 2012 ; Zumbo et al., 2007).

La consommation (alcool et drogues)

L’échelle de consommation problématique du DÉBA-Alcool/Drogues (Tremblay et al., 2001) a été utilisée pour évaluer la consommation d’alcool et de drogues des parents. La mesure permet de situer le niveau de contrôle du parent face à sa consommation, les préoccupations qui y sont rattachées et à son envie d’arrêter. Les parents répondent aux questions à partir d’une échelle de type Likert en quatre points allant de « jamais (0) » à « presque toujours (4) ». Des questions telles que « Au cours de la dernière année, avez-vous pensé que vous aviez perdu le contrôle de votre consommation ? » ou « Avez-vous souhaité être capable d’arrêter votre consommation ? » permettent de mesurer la gravité de la consommation d’alcool ou de drogues. Un score brut élevé indique que la consommation du parent est jugée problématique. Dans le cadre de l’étude, la gravité de la consommation (alcool et drogues) est traitée de manière continue. Dans l’échantillon, le score brut varie de 0 à 15 (M = 7,29 ; ÉT = 4,4). Dans le présent échantillon, la cohérence interne de l’outil est jugée satisfaisante (αpoly = 0,91).

La détresse psychologique du parent (anxiété et dépression)

La détresse psychologique (anxiété et dépression) du parent a été évaluée à l’aide des échelles Dépression et Anxiété de la version abrégée de l’Indice de détresse psychologique (IDP ; Préville et al., 1992, 1995). L’IDP est l’adaptation québécoise du Psychiatric Symptoms Index (PSI) de Ilfeld (1976) et a été développé dans le cadre de l’Enquête Santé Québec de 1987. La validité de la structure factorielle multidimensionnelle de la version abrégée de l’IDP a été démontrée satisfaisante (Préville et al., 1992).

L’échelle Dépression de l’IDP abrégé est composée de cinq items alors l’échelle Anxiété est composée de trois items (Préville et al., 1992, 1995). Les items sont présentés sous une échelle de mesure de type Likert en quatre points allant de « jamais (1) » à « très souvent (4) », où le parent est invité à répondre en fonction des sept derniers jours. Des questions telles que « Au cours des sept derniers jours, « Vous êtes-vous senti(e) tendu(e) ou sous pression ? » ou « Vous êtes-vous senti(e) seul(e) ? » permettent de mesurer la présence d’anxiété ou de dépression, respectivement, chez le parent. Dans le cadre de la présente étude, les variables sont traitées de manière continue, dans l’échantillon le score moyen pour l’anxiété varie de 1,0 à 4,0 (M = 2,51 ; ÉT = 0,7) et de 1,0 à 3,8 (M = 2,18 ; ÉT = 0,8) pour la dépression. Plus le score moyen est élevé plus le parent présente une détresse psychologique élevée. Dans le présent échantillon, la cohérence interne est satisfaisante (Anxiété : αpoly = 0,76 ; Dépression : αpoly = 0,88).

Les pratiques éducatives

La version française de l’Alabama Parenting Questionnaire (APQ ; Frick, 1991) a été utilisée pour évaluer les pratiques éducatives adoptées par le parent auprès de son enfant. Le parent indique la fréquence à laquelle il utilise différentes pratiques, sur une échelle de type Likert en cinq points allant de « jamais (1) » à « toujours (5) ». Les échelles comportements éducatifs positifs, supervision lacunaire et discipline inconstante ont été utilisées, totalisant 22 items. Des questions telles que « Vous laissez savoir à votre enfant quand il(elle) fait quelque chose de bien. » ou « Vous mettez un terme à votre punition plus tôt que prévu (comme lever les restrictions plus vite que vous l’aviez dit au départ). » permettent d’évaluer la qualité des pratiques éducatives. Dans le cadre de l’étude, les trois variables liées aux pratiques éducatives sont traitées de manière continue. Pour les trois échelles, plus le score est élevé, plus le parent utilise la pratique éducative. Dans l’échantillon, pour les comportements éducatifs positifs, le score moyen varie de 2,83 à 5,00 (M = 4,21 ; ÉT = 0,5), pour la supervision lacunaire, le score moyen varie de 1,00 à 2,40 (M = 1,26 ; ÉT = 0,3) et pour la discipline inconstante, le score moyen varie de 1,00 à 4,00 (M = 2,55 ; ÉT = 0,8). Dans le présent échantillon, la cohérence interne est jugée acceptable pour les échelles comportements éducatifs positifs (αpoly = 0,84), supervision lacunaire (αpoly = 0,80) de même que pour l’échelle discipline inconstante (αpoly = 0,86).

La relation parent/enfant

La relation parent-enfant a été évaluée à l’aide de la version française courte du Perceived Parental Acceptance-Rejection Questionnaire (PARQ ; Rohner, 2005). Pour la présente étude, les échelles présentant les attitudes chaleureuses/affectueuses, hostiles/agressives et négligentes/indifférentes, ont été retenues, pour un total de 19 items. Le parent répond aux questions telles « Je dis de bonnes choses à mon enfant. » ou « J’ignore complètement mon enfant. » permettent d’évaluer la relation parent/enfant à partir d’une échelle de type Likert en quatre points allant de « presque toujours vrai (4) » à « presque jamais vrai (1). Dans le cadre de l’étude, les trois variables liées aux attitudes du parent sont traitées de manière continue. Plus le score moyen est élevé plus le parent présente cette attitude à l’égard de son enfant. Pour les attitudes chaleureuses/affectueuses le score moyen de l’échantillon varie de 1,75 à 4,00 (M = 3,70 ; ÉT = 0,4), pour les attitudes hostiles/agressives, le score moyen varie de 1,00 à 3,00 (M = 1,51 ; ÉT = 0,4) et pour les attitudes négligentes/indifférentes, le score moyen varie de 1,00 à 3,33 (M = 1,57 ; ÉT = 0,5). Dans le présent échantillon, la cohérence interne est jugée acceptable pour les échelles attitudes chaleureuses et affectueuses (αpoly = 0,88), attitudes hostiles et agressives (αpoly = 0,73) et attitudes négligentes et indifférentes (αpoly = 0,79).

Analyses

Pour répondre au premier objectif de l’étude, soit d’identifier si le niveau de SAEP est corrélé à la gravité de la consommation (alcool et drogues), à la sévérité de la détresse psychologique, à la qualité des pratiques éducatives et à la relation parent-enfant, des analyses de corrélation ont été réalisées. La matrice de corrélation incluant toutes ces variables ainsi que le genre du parent et celui de l’enfant a également permis d’étudier les relations entre les variables pour choisir les variables de contrôle à inclure dans les modèles de régressions multivariées et d’analyses de modération décrits ci-après.

Pour répondre au deuxième objectif de l’étude, soit de vérifier si la sévérité de la détresse psychologique contribue à expliquer la relation entre le SAEP et les trois variables représentant des pratiques éducatives, soit (1) les comportements éducatifs positifs (2) la supervision lacunaire et (3) la discipline inconstante), ainsi que la relation entre le SAEP et les trois variables qualifiant la relation parent-enfant, soit (4) les attitudes parentales chaleureuses/affectueuses (5) hostiles/agressives et (6) négligentes/indifférentes, dans un premier temps, des analyses de régression linéaire multiple hiérarchiques, ont été réalisées. Cette méthode statistique a été sélectionnée pour, d’une part, confirmer les corrélations soulevées dans la première partie des analyses et d’autre part en déterminer l’ampleur. Les régressions linéaires multiples permettent d’étudier l’effet de divers facteurs sur un résultat anticipé, en l’occurrence, d’évaluer si le SAEP et la détresse psychologique permettent d’expliquer la variance des comportements éducatifs et des attitudes parentales (Fortin et Gagnon, 2016). Pour chacune des variables dépendantes, un modèle de régression a été testé en retenant les variables indépendantes d’intérêt (SAEP et sentiment anxieux ou sentiment dépressif) et uniquement les variables de contrôle (genre du parent, genre de l’enfant et gravité de la consommation du parent) avec lesquelles une corrélation significative avait été identifiée précédemment. Pour chacun des modèles de régression, les variables de contrôle, lorsque pertinentes, et indépendantes ont été introduites dans l’ordre suivant : (1) genre du parent et genre de l’enfant ; (2) gravité de la consommation d’alcool ou de drogues ; (3) SAEP et (4) sentiment anxieux ou dépressif. Considérant la forte corrélation entre les variables anxiété et dépression (r > 0,70), seule la variable de détresse psychologique la plus fortement corrélée à la variable dépendante a été retenue pour éviter des effets de multicolinéarité.

Dans un second temps, pour tester spécifiquement l’effet modérateur de la détresse psychologique dans la relation entre le SAEP et les pratiques éducatives parentales ou la relation parent-enfant (5) l’effet d’interaction entre le sentiment anxieux ou dépressif et le SAEP a été inclus dans les modèles de régression linéaire multiple hiérarchique. Les effets d’interaction entre une variable de contrôle et le SAEP ont également été testés lorsque pertinents vues les corrélations avec les variables dépendantes. Le module d’extension pour SPSS Process version 3,4 de Hayes (2018) a été utilisé pour tester les effets d’interaction (modération) dans les analyses de régression.

Enfin, considérant la petite taille de l’échantillon combinée à l’anormalité de distribution des variables dépendantes et, plus particulièrement, des valeurs résiduelles pour les modèles de régression 2 (supervision lacunaire), 4 (attitudes chaleureuses/affectueuses) et 6 (attitudes négligentes/indifférentes), la méthode de rééchantillonnage (bootstrapping) a été utilisée. Cette méthode permet de contourner le problème d’anormalité de distribution des variables en estimant les propriétés de la distribution d’échantillonnage à partir des données d’échantillon (Field, 2018).

Résultats

Corrélations entre le SAEP, la gravité de la consommation, la détresse psychologique, les pratiques éducatives parentales et la relation parent-enfant

Les résultats indiquent d’abord (voir tableau 1) que le SAEP des parents de l’échantillon est significativement et positivement corrélé à la présence de comportements éducatifs positifs (= 0,47, p < 0,01) et aux attitudes chaleureuses/affectueuses du parent à l’endroit de son enfant (= 0,28, p < 0,05). Ainsi, plus le parent présente un SAEP élevé, plus ses comportements éducatifs sont positifs et plus les attitudes envers son enfant sont de nature chaleureuse/affectueuse. Comme il s’agit de corrélations, il est aussi vrai de dire que plus les comportements éducatifs sont positifs et plus les attitudes envers son enfant sont de nature chaleureuse/affectueuse, plus le SAEP est élevé. Les résultats indiquent ensuite que le SAEP est significativement, mais négativement corrélé au sentiment dépressif du parent (= -0,25, p < 0,05), à une discipline inconstante (= -0,29, p < 0,05) ainsi qu’à des attitudes parentales hostiles/agressives (= -0,43, p < 0,01) et négligentes/indifférentes (= -0,40, p < 0,01). Par conséquent, plus un parent présente un SAEP élevé, plus son sentiment dépressif est faible et moins il présente de discipline inconstante et d’attitudes hostiles/agressives ou négligentes/indifférentes à l’égard de son enfant. De plus, moins un parent présente de sentiment dépressif et use de discipline inconstante ou d’attitudes hostiles/agressives ou négligentes/indifférentes, plus son SEAP tend à augmenter.

En ce qui concerne les variables de détresse psychologique, les résultats des analyses de corrélation indiquent que les symptômes anxieux de même que les symptômes dépressifs du parent sont significativement et positivement corrélés à la gravité de la consommation (alcool et drogues) (respectivement= 0,34, p < 0,01 ; = 0,25, p < 0,05) et à la présence d’une discipline inconstante (respectivement= 0,24, p < 0,05 ; = 0,23, p < 0,05), mais significativement et négativement corrélée à une supervision lacunaire (respectivement= -0,38, p < 0,01 ; = -0,30, p < 0,01). En ce sens, plus le niveau de détresse psychologique du parent est élevé, plus sa consommation est jugée problématique, plus il démontre une discipline inconstante, mais moins il présente de supervision lacunaire. Interpréter à l’inverse, plus la consommation est problématique, plus la discipline est inconstante et moins la supervision est lacunaire, plus la détresse psychologique est élevée. Enfin, les symptômes anxieux, mais pas les symptômes dépressifs, sont significativement et positivement corrélés aux attitudes parentales hostiles/agressives (= 0,27, p < 0,05) et aux attitudes négligentes/indifférentes (r = 0,32, p < 0,05) et négativement aux attitudes chaleureuses/affectueuses (-0,32, p < 0,01).

Tableau 1

Corrélations r de Pearson entre le genre du parent, le genre de l’enfant, la gravité de la consommation, le sentiment d’auto-efficacité parentale, la détresse psychologique, les pratiques éducatives parentales et la qualité de la relation parent-enfant (n = 76)

Corrélations r de Pearson entre le genre du parent, le genre de l’enfant, la gravité de la consommation, le sentiment d’auto-efficacité parentale, la détresse psychologique, les pratiques éducatives parentales et la qualité de la relation parent-enfant (n = 76)

Note. *p < 0,05 ; **p < 0,01.

-> Voir la liste des tableaux

Contributions du SAEP et de la détresse psychologique à la prédiction des pratiques éducatives parentales et de la qualité de la relation parent-enfant

Considérant les corrélations significatives avec les diverses variables indépendantes et de contrôle potentiel, les modèles suivants ont été étudiés (voir tableau 2). Dans tous les cas, le SAEP a été inclus, puisqu’il s’agissait du principal prédicteur d’intérêt. De plus, le score d’anxiété étant plus fortement corrélé aux diverses variables dépendantes que le score de symptômes dépressifs, le premier a été retenu pour étudier la contribution de la détresse psychologique à la relation entre le SAEP et les diverses pratiques éducatives et attitudes parentales.

Au niveau des pratiques éducatives parentales, pour prédire les comportements éducatifs positifs (Modèle 1), comme c’était le cas en analyse de corrélation bivariée, le SAEP s’avère être, à lui seul, un prédicteur significatif (β = 0,47 ; p < 0,001) et explique significativement 22,0 % de la variance des comportements éducatifs positifs auprès de cet échantillon de parents ayant une consommation problématique d’alcool ou de drogues. L’ajout des symptômes anxieux comme prédicteur ne permet pas d’améliorer significativement le modèle.

Pour prédire la supervision lacunaire (Modèle 2), le SAEP seul ne contribue pas significativement à expliquer la variance de cette pratique éducative (β = -0,11, p > 0,05). Toutefois, lorsqu’est ajouté le sentiment anxieux, représentant la détresse psychologique, à la seconde étape, le SAEP (β = -0,19, ≤ 0,05) ainsi que le sentiment anxieux (β = -0,41, ≤ 0,01) contribuent tous deux significativement à expliquer la supervision lacunaire et ils expliquent conjointement 17 % de sa variance. Pour ce modèle, l’ajout d’un effet d’interaction entre le SAEP et l’anxiété ne permettait pas de mieux prédire les pratiques de supervision lacunaire et la modération s’est avérée non significative. Ce modèle de modération n’a donc pas été retenu (non présenté en tableau).

Pour prédire les scores de discipline inconstante, le genre du parent, le SAEP ainsi que les symptômes anxieux ont été entrés comme prédicteurs dans une analyse de régression multiple hiérarchique (Modèle 3). Ces trois premières étapes de régression (présentées dans le tableau 2) ont mené à retenir la deuxième étape, soit un modèle qui incluait uniquement le genre du parent et le SAEP à titre de prédicteurs. L’ajout du score de sentiment anxieux n’ayant pas permis d’améliorer significativement le modèle (ΔR² = 0,03 ; ΔF = 2,51 ; = 0,12), le principe de parcimonie permet de prioriser le modèle de régression linéaire précédent[1]. De plus, l’ajout d’un effet d’interaction entre le genre du parent et le score de SAEP n’a pas permis d’améliorer significativement le modèle de régression et l’effet d’interaction entre le genre et le SAEP s’est avéré non significatif. Ce modèle de modération n’a donc pas été retenu (non présenté en tableau). Ainsi, les résultats du modèle retenu suggèrent que le SAEP est un prédicteur significatif de la discipline inconstante, et ce, en contrôlant pour le genre des parents (β = -0,24 ; p < 0,05). Ensemble, le genre du parent et le SAEP expliquent significativement 12 % de la variance des scores de discipline inconstante dans l’échantillon.

Au niveau de la qualité de la relation parent-enfant, les coefficients de corrélation ont permis de retenir uniquement le SAEP et les sentiments anxieux comme variables à inclure dans les modèles de régression linéaire multiple hiérarchique, et ce, comme prédicteurs des trois types d’attitudes parentales à l’étude, soit les attitudes parentales chaleureuses/affectueuses (Modèle 4), les attitudes parentales hostiles/agressives (Modèle 5) et les attitudes parentales négligentes/indifférentes (Modèle 6).

Pour les modèles 4 et 6, l’ajout des sentiments anxieux permet d’améliorer significativement la prédiction des scores d’attitudes parentales chaleureuses/ affectueuses (ΔR² = 0,06 ; ΔF = 5,90 ; p < 0,05) et négligentes/indifférentes, respectivement, comparativement au modèle qui inclut uniquement le SAEP à titre de prédicteur. Cependant, malgré que le modèle 4 se soit avéré significatif (R² = 0,16 ; F = 7,21, p < 0,01), le SAEP, de même que les sentiments anxieux, se sont avérés être non significativement associés aux attitudes chaleureuses/affectueuses (SAEP : β = 0,26 ; = 0,13 ; Anxiété : β = -0,26 ; = 0,11) lorsque les deux prédicteurs sont considérés. Il importe de rappeler que la méthode de rééchantillonnage a été appliquée à ce modèle de régression pour limiter les risques d’estimation biaisée des paramètres de l’échantillon considérant la non-normalité de la distribution des données pour l’échelle d’attitudes chaleureuses/affectueuses. Dans le cas du modèle 6, le SAEP et les symptômes anxieux se sont avérés être des prédicteurs significatifs des attitudes parentales négligentes/indifférentes et permettent d’expliquer 22,0 % de la variance de cette variable. Un SAEP plus faible et un sentiment anxieux plus élevé sont associés à plus d’attitudes parentales négligentes/indifférentes (SAEP : β = -0,37 ; p < 0,01 ; Anxiété : β = 0,24 ; p < 0,05). Enfin, dans le cas du modèle 5, l’ajout des sentiments anxieux n’améliore pas significativement le modèle de régression et il semble que d’inclure uniquement le SAEP comme prédicteur des attitudes parentales hostiles/ agressives soit un modèle plus parcimonieux. À lui seul, le SAEP permet d’expliquer 18 % de la variance des scores d’attitudes parentales hostiles/agressives avec un coefficient de régression standardisé de -0,42 (p < 0,001).

Pour prédire chacune des trois attitudes parentales, l’ajout d’un effet d’interaction entre le SAEP et la sévérité des sentiments anxieux a été testé et n’a pas permis d’améliorer significativement les modèles de régression et l’effet d’interaction entre le SAEP et le sentiment anxieux s’est avéré non-significatif (non présenté en tableau). Comme pour les pratiques éducatives parentales, des modèles de modération n’ont donc pas été retenus pour décrire la relation entre le SAEP et les attitudes parentales des parents vivant avec une consommation problématique.

Tableau 2

Modèles de régression linéaire multiples hiérarchiques

Modèles de régression linéaire multiples hiérarchiques

Tableau 2 (suite)

Modèles de régression linéaire multiples hiérarchiques

Note. †p < 0,10 ; *p ≤ 0,05 ; **p ≤ 0,01 ; ***p ≤ 0,001. Les coefficients en gras visent à repérer rapidement les coefficients de régression ainsi que les variations de R² significatifs à p < 0,05.

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Discussion

Considérant l’impact que peut avoir la consommation problématique d’alcool ou de drogues sur le fonctionnement familial et sur le développement de l’enfant, s’intéresser à la parentalité en contexte de dépendance est essentiel. Comparée aux études populationnelles où seulement une partie de l’échantillon est composée de parents ayant une consommation problématique, la présente étude porte sur un échantillon clinique où tous les parents sont en traitement pour leur consommation d’alcool ou de drogues. Les résultats obtenus seront discutés dans cette perspective.

La présente étude avait pour objectif de vérifier si, chez des parents ayant une consommation problématique d’alcool ou de drogues, le niveau du SAEP était corrélé à la gravité de la consommation (alcool et drogues), à la sévérité de la détresse psychologique, à la qualité des pratiques éducatives et à la relation parent/enfant. Les résultats indiquent des corrélations significatives entre le SAEP et la plupart des variables à l’exception de la gravité de la consommation, de l’anxiété et de la supervision lacunaire. Ainsi, le lien d’un plus faible SAEP avec la présence d’un sentiment dépressif concorde avec les études précédentes en soutenant qu’un faible SAEP est associé à davantage de détresse psychologique chez le parent (Raynor, 2013). En lien avec les pratiques éducatives et les attitudes du parent à l’égard de son enfant, plus le SAEP est élevé et plus les parents ayant une consommation problématique ont des comportements éducatifs positifs à l’endroit de leur enfant et des attitudes chaleureuses/affectueuses, et moins ils ont une discipline inconstante et des attitudes hostiles/agressives et négligentes/indifférentes. Ces résultats corroborent avec les résultats d’autres auteurs (Ardelt et Eccles, 2001 ; Coleman et Karraker, 2003 ; Jones et Prinz, 2005 ; Junttilla et al., 2007 ; Korja et al., 2015 ; Raynor, 2013 ; Sevigny et Loutzenhiser, 2010 ; Shumow et Lomax, 2002) qui concluaient qu’un SAEP plus élevé était associé à de meilleures pratiques parentales et à une meilleure relation entre le parent et son enfant. Les résultats de la présente étude permettent d’étendre les conclusions populationnelles de ces auteurs à une population clinique de parents ayant une consommation problématique d’alcool et de drogues.

Les corrélations concluent, toutefois, à l’absence de lien entre le SAEP et la gravité de la consommation, entre le SAEP et l’anxiété et entre le SAEP et la supervision lacunaire. L’absence de lien peut être expliquée par la présence d’un échantillon clinique complètement composé de parents consommateurs. Effectivement, s’il est démontré que le SAEP est plus faible en fonction de la gravité de la consommation dans un échantillon populationnel (Street et al., 2008), dans un échantillon composé uniquement de parents ayant une consommation problématique, que la gravité de celle-ci soit contrôlée ou non, le SAEP semble comparable.

L’absence d’un lien entre le SAEP et l’anxiété, contraire à celui attendu (Albanese et al., 2019 ; Kunseler et al., 2014) est également observée. À ce stade, il semble difficile d’expliquer ce résultat. Il est possible que la présence d’anxiété augmente la culpabilité déjà fortement présente chez le parent consommateur (Coyer, 2001 ; Ehrmin, 2001 ; Rhodes et al., 2010) et que reconnaître un manque de confiance dans leurs compétences parentales ne ferait qu’augmenter leur anxiété.

L’absence de lien entre le SAEP et la supervision lacunaire, quant à elle, peut être expliquée par le fait que les parents ayant une consommation problématique, accordent beaucoup de temps et d’énergie à se procurer leur substance, à consommer et se remettre de leur consommation et ne priorisent pas la supervision de leur enfant (Neger et Prinz, 2015). Ainsi, pour eux, la supervision lacunaire ne serait pas vue comme un manque de compétence de leur part.

Toujours du point de vue des corrélations, si le SAEP n’est pas significativement associé à la supervision lacunaire, la détresse psychologique l’est. Or, le lien unissant ces variables semble contre-intuitif. En effet, chez les parents ayant une consommation problématique, plus ceux-ci rapportent un fort sentiment de détresse psychologique, moins ils rapportent utiliser une supervision lacunaire. À ce stade, il semble difficile d’expliquer ce résultat. La présence de culpabilité pourrait inférer un biais de désirabilité sociale en lien avec la supervision de son enfant. Les parents ayant une consommation problématique d’alcool ou de drogues étant réticents à rapporter des comportements pouvant être liés à de la négligence (Neger et Prinz, 2015) de peur de perdre la garde de leur enfant. Le fait que l’échantillon est composé à 75,0 % de mères, plus susceptibles que les pères d’avoir des sentiments dépressifs et anxieux (Korja et al., 2015), mais plus susceptibles d’être surprotectrices à l’endroit de leurs enfants (Cooklin, et al. 2013 ; Kalomiris et Kiel, 2016 ; Root et al., 2016) pourrait expliquer les résultats obtenus.

La présente étude avait également pour objectif d’identifier si la sévérité de la détresse psychologique de ces parents contribuait à expliquer la relation entre leur SAEP, leurs pratiques éducatives et leur relation parent-enfant. Or, à l’exception de la supervision lacunaire, l’anxiété ne semble pas contribuer, au-delà du SAEP, à l’explication de la variance des pratiques éducatives et de l’attitude des parents à l’endroit de leur enfant.

Pour certains aspects de la parentalité (comportements éducatifs positifs, attitudes hostiles/agressives, attitudes négligentes/indifférentes), chez les parents ayant une consommation problématique d’alcool ou de drogues, le SAEP semble, à lui seul, prédire une bonne partie de la variance. Une partie des présents résultats corroborent ceux d’autres études qui ont identifié le SAEP comme un important déterminant des compétences parentales et de la qualité de la relation parent/enfant chez les parents de la population générale (Ardelt et Eccles, 2001 ; Coleman et Karraker, 2003 ; Jones et Prinz, 2005 ; Junttilla et al., 2007 ; Sevigny et Loutzenhiser, 2010 ; Shumow et Lomax, 2002). Pour d’autres aspects de la parentalité, le SAEP explique une partie de la variance chez les parents qui ont une consommation problématique, mais uniquement lorsqu’associé au genre du parent en ce qui concerne la supervision lacunaire ou à l’anxiété en ce qui concerne la discipline inconstante. Enfin, le SAEP ne permet pas d’expliquer de manière significative la variance des attitudes chaleureuses/affectueuses. Ces faibles niveaux de prédiction laissent croire deux choses. Soit que d’autres facteurs que le SAEP et la détresse psychologique pourraient expliquer les pratiques éducatives et la relation parent/enfant des parents ayant une consommation problématique d’alcool ou de drogues. À titre d’exemple, les comportements de l’enfant et la perception qu’a le parent des comportements de son enfant pourraient contribuer à expliquer l’adoption ou non de certaines pratiques éducatives ou pourraient influencer la relation qu’il entretient avec celui-ci (Chaplin et Sinha, 2013 ; Glatz et al., 2011). Soit que le parent comme seul répondant pour documenter ses pratiques éducatives et la qualité de sa relation avec son enfant infère un biais. Comme mentionné précédemment, cette hypothèse est tout à fait plausible chez les parents qui ont une consommation problématique, ceux-ci étant réticents à rapporter des comportements pouvant être liés à de la négligence (Neger et Prinz, 2015).

En ce qui concerne la supervision lacunaire, si initialement le SAEP n’était pas associé à celle-ci, lorsque le sentiment anxieux est ajouté, les deux variables permettent d’expliquer l’utilisation de cette pratique éducative. Conformément à ce résultat, un SAEP élevé permettrait de prédire une plus faible présence de supervision lacunaire. Ce résultat est tout à fait attendu et cohérent avec les études recensées sur le sujet (Korja et al., 2015). Toutefois, en ce qui concerne le sentiment anxieux, les résultats obtenus semblent, encore une fois, contre-intuitifs.

Ces différents résultats doivent être interprétés à la lumière de certaines limites. Le nombre de parents recrutés, quoique nombreux pour une étude associée à un programme, demeure limité d’un point de vue statistique et a pu limiter les résultats significatifs observés. Il serait intéressant de reproduire cette étude avec un échantillon plus large, afin de s’assurer de l’exactitude des conclusions. En ce sens, la signification de certains résultats ressortis comme marginalement significatifs dans la présente étude pourrait se voir bonifiée dans un plus vaste échantillon. De plus, le fait que la recherche ait été menée auprès d’un échantillon clinique peut avoir limité une certaine variabilité dans les données. Bien qu’il s’agisse d’un échantillon de parents ayant une consommation problématique, il s’agit de parents inscrits à un programme, participant à une intervention. En ce sens, les femmes sont de manière générale plus enclines que les hommes à s’inscrire dans ce genre de programme, ce qui pourrait expliquer que l’échantillon est composé à 75,9 % de femmes, ce qui est peu représentatif de la population de parents ayant une consommation problématique. En effet, bien que ceci soit représentatif des parents consommateurs participant dans des programmes d’intervention familiale (Ferland et al., 2013), cela rend difficile la généralisation des résultats à l’ensemble des parents consommateurs d’alcool ou de drogues. Subséquemment, le parent ayant une consommation problématique étant le répondant unique, un biais de désirabilité sociale est possible et cette façon de colliger les données n’a pas permis de trianguler les résultats obtenus pour éviter ce biais. Dans de futures études, l’ajout d’un second répondant ou de données qualitatives permettrait, sans doute, de limiter ce type de biais. Enfin, le devis transversal utilisé ne permet d’observer cette population ciblée que dans un instant donné, soit avant leur participation au PEHP Cap sur la famille. Pour de futures études, il serait intéressant d’opter pour un devis longitudinal, afin de voir l’évolution dans le temps du SAEP, des pratiques éducatives des parents et des attitudes qu’ils présentent envers leur enfant suite à leur participation à un PEHP.

Les résultats permettent certaines recommandations pour l’intervention. L’évaluation du SAEP et des interventions visant à le favoriser devraient être mises en place. Considérant la particularité de cette clientèle, des interventions ciblant plus spécifiquement la parentalité et développées pour les parents ayant une consommation problématique pourraient permettre d’apaiser le sentiment envahissant de culpabilité et de jugement (Morissette et Venne, 2009). Les programmes d’entraînement aux habiletés parentales considérés probants pour améliorer les habiletés parentales et favoriser la relation parent-enfant sont sans doute à privilégier (Lundahl et al., 2006). L’utilisation d’une approche collaborative, qui vise à reconnaître l’expertise parentale du participant pourrait sans doute contribuer à améliorer le SAEP chez des parents ayant une consommation problématique (Patterson et al., 2005).

Conclusion

En somme, les facteurs qui interfèrent avec l’exercice de la parentalité chez des parents présentant une consommation problématique d’alcool ou de drogues sont encore aujourd’hui peu définis. Or, chez ces parents, si le niveau SAEP n’est pas associé à la gravité de leur consommation, il permet néanmoins de prédire certaines pratiques éducatives que sont les comportements éducatifs positifs et la discipline inconstante, et certaines attitudes parentales que sont l’hostilité/agressivité et la négligence/indifférence. Les interventions visant à la fois à augmenter leur estime et à valoriser leur rôle parental seraient, sans doute bénéfiques.