Corps de l’article

Introduction

La crise des opioïdes a touché plusieurs pays, dont les États-Unis et le Canada au cours des dernières années (Donroe et al., 2018). À Montréal, l’ampleur du problème s’est révélée davantage entre mai et août 2014, alors que la Direction de la santé publique de Montréal (DSP) a rapporté 83 surdoses graves dont 28 menant à un décès (Leclerc et Morissette, 2015).

Dans le contexte où les personnes qui utilisent des substances (PUS) consomment souvent en groupe, l’Organisation mondiale de la santé (World Health Organization [WHO]) recommande de former les PUS ainsi que leurs proches à l’administration de la naloxone, un antagoniste des opioïdes qui permet de renverser la dépression respiratoire engendrée par leur consommation (WHO, 2014). Ces formations, issues des Take Home Naloxone Programs (THN), sont généralement offertes par des organismes en réduction des méfaits (Bennett et al., 2011 ; Clark et al., 2014) et des instances de santé publique (Banjo et al., 2014 ; Chronister et al., 2018).

L’impact de ces programmes se traduit non seulement par une diminution du nombre de décès par surdoses d’opioïdes (voir McAuley et al., 2015), mais aussi par des effets psychologiques positifs, en fournissant aux participants les connaissances nécessaires pour assumer le rôle gratifiant de « secouriste ». Outre ce sentiment d’autonomisation, ce nouveau rôle peut également induire des changements dans les comportements de consommation en favorisant l’adoption de pratiques plus sécuritaires (Marshall et al., 2017 ; Wagner et al., 2014).

Dans un contexte de rétablissement, ces programmes font souvent appel à des pairs, soit dans le rôle d’éducateurs (pairs-formateurs), de décideurs ou de sources d’un savoir expérientiel riche (Marshall et al., 2018). Ces pairs peuvent aussi agir en tant qu’agents de liaison avec les PUS ciblés par les programmes (Greer et al., 2016). De plus, les pairs représentent souvent un modèle pour les personnes en recherche d’aide. Ils peuvent leur faciliter l’accès à un service, offrir un traitement ou un enseignement personnalisé, ou encore constituer une source de soutien social (Barker et al., 2018). En outre, les pairs sont fréquemment associés à l’éducation sur la réduction des méfaits dans le contexte de la prévention des surdoses (Marshall et al., 2015). Ce type de programme leur permet de jouer le rôle d’intervenant et de « secouriste » dans leur communauté et leurs réseaux (Bennett et al., 2011).

Hausse des décès de surdoses et création de PROFAN

Pour faire face à la « crise » des opioïdes à Montréal, le programme PROFAN (Prévenir et Réduire les Overdoses – Former et Accéder à la Naloxone) a été initié par Méta d’Âme, un organisme de pairs composé de personnes faisant usage ou ayant fait usage d’opioïdes (PUO), en collaboration avec le Centre de recherche et d’Aide pour Narcomanes (Cran) et la DSP de Montréal. Dans un cadre de réduction des méfaits, le programme vise à transmettre des notions de prévention et de prise en charge des surdoses. Les participants y sont aussi formés à l’administration de la naloxone ainsi qu’aux manoeuvres de réanimation cardio-respiratoire.

La formation PROFAN se distingue des programmes courants de naloxone dans la mesure où des pairs ont été impliqués à chacune des étapes de son développement et de son implantation. Elle se distingue aussi par le contenu proposé, qui ne se restreint pas uniquement à l’administration de la naloxone, mais couvre aussi les techniques de réanimation cardio-respiratoire (RCR) et les pratiques préventives entourant les surdoses. Conséquemment, sa durée de sept heures est plus longue que celle de la majorité des programmes de formation de distribution de naloxone, dont certains peuvent ne durer que cinq minutes (Behar et al., 2015).

Afin d’identifier les facteurs qui ont contribué à la mise en place du programme PROFAN par un groupe de pairs, le présent article présente les résultats d’une évaluation d’implantation réalisée en collaboration avec l’équipe de Méta d’Âme.

Méthode

Cadre d’analyse

Les éléments qui caractérisent le processus d’implantation du programme PROFAN sont présentés sous forme de modèle logique (Porteous, 2009), en fonction de : 1) ses intrants (conditions qui ont favorisé sa mise en oeuvre), 2) ses activités, 3) ses extrants (produits émanant du programme), 3) ses résultats et 4) son impact (voir figure 1). Le modèle logique permet de fournir une vue d’ensemble du programme, de sa planification à son évaluation, ainsi que de certains facteurs ayant facilité son implantation.

Le processus d’implantation est analysé à l’aide du cadre théorique proposé par Proctor et al. (2011), en fonction de quatre grands concepts : 1) l’adoption de la formation (l’intention, la décision initiale ou les actions menées pour essayer d’implanter ou pour mettre en oeuvre une innovation ou une pratique) ; 2) son acceptabilité (la perception qu’une pratique ou une innovation est acceptable, agréable ou satisfaisante selon les parties prenantes) ; 3) son adéquation avec les demandes des différents publics cibles (appropriateness : la perception qu’une pratique est adaptée pour répondre à un besoin ou à un problème) ; 4) sa faisabilité (jusqu’à quel point une nouvelle pratique parvient à être mise en place dans un milieu déterminé).

Collecte de données

Cinq sources de données sont utilisées pour évaluer l’implantation du programme :

  • Les données d’opération permettent de documenter la participation des publics ciblés et la faisabilité du programme.

  • Des entrevues individuelles permettent de documenter la perspective des quatre membres de l’équipe de Méta d’Âme concernant l’adéquation des différentes versions de la formation avec les demandes des différents publics cibles ainsi que la capacité à recruter et à former des participants.

  • Des échanges en comités d’orientation et de recherche permettent de documenter la perspective des principaux partenaires du programme.

  • Un questionnaire d’évaluation composé de 14 questions à choix multiples et de 7 questions à développement administré aux participants au terme des sessions de formation permet de documenter la satisfaction générale des participants, leur niveau d’aisance à intervenir en situation de surdose, leur appréciation des modalités et du contenu de la formation (durée, langage et matériel utilisé), ce qui pourrait être amélioré, le niveau de connaissances des participants en lien avec les opioïdes, les thèmes qui pourraient être ajoutés à la formation, l’animation, ainsi que la facilité d’accès à des formations de ce type dans leur région (Ferlatte et al., 2020).

  • Des entrevues téléphoniques avec les participants (n=75 PUS et leur entourage) trois mois après avoir suivi la formation, à l’aide d’un canevas d’entrevue adapté de Chartier-Otis (2011) permet de documenter l’acceptabilité de la formation (modalités, durée, satisfaction générale et suggestions d’amélioration) et son contenu, en plus d’évaluer l’impact de la participation sur le plan personnel et l’aisance à intervenir dans une situation de surdose (Marshall et al., 2017).

Analyse des données

Le contenu des entrevues individuelles et des groupes de discussion a été transcrit par l’équipe de recherche. Des grilles d’analyse, produites par Perreault et al. (2006) et Chartier-Otis (2011) dans le cadre du développement de formations pour des pairs, ont été adaptées aux fins d’une analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2008). Les données descriptives provenant des questionnaires ainsi que les données d’opération (offre et participation aux sessions de formation) ont été compilées.

Résultats : description du programme et évaluation de son implantation

Les principales étapes de la mise en oeuvre du programme PROFAN sont présentées en fonction du modèle logique d’évaluation et sont analysées à l’aide du cadre théorique proposé par Proctor et al. (2011).

1) Intrants

À partir des informations recueillies, trois principaux éléments sont identifiés comme des facteurs facilitant la mise en place d’une formation sur la prévention des surdoses d’opioïdes : 1) l’effet mobilisateur de la hausse des décès par surdose et l’urgence d’agir, 2) l’expertise et l’engagement de Méta d’Âme auprès de la population ciblée, et 3) la capacité de Méta d’Âme à mobiliser les principaux acteurs concernés pour soutenir la conception, l’adoption, l’accès aux ressources nécessaires et le déploiement du programme. Ces éléments sont abordés en détail ci-dessous.

Intrant #1. L’effet mobilisateur de la hausse des décès par surdose et l’urgence d’agir 

Les promoteurs du programme considèrent que la hausse des décès par surdose survenue en 2014 a mis en évidence l’urgence d’agir et a facilité l’émergence et le soutien d’initiatives comme PROFAN. Cette situation aurait permis de mobiliser les principaux acteurs impliqués : les responsables du programme, les pairs-formateurs, les participants et les partenaires. De plus, l’équipe de Méta d’Âme était déjà familière avec les programmes mis en place par des pairs en Colombie-Britannique et aux États-Unis, et était prête à lancer un projet sur la prévention des surdoses. Les promoteurs avaient déjà sollicité différentes instances pour le développement d’un programme impliquant la naloxone bien avant la hausse importante de surdoses mortelles liées à l’utilisation d’opioïdes à Montréal. La clientèle de l’organisme avait d’ailleurs déjà exprimé son grand intérêt pour le développement d’une formation sur l’administration de la naloxone.

Comme ce type de programme avait déjà été démontré efficace pour diminuer le nombre de décès par surdose d’opioïdes (Banjo et al., 2014), il présentait un intérêt pour les acteurs en santé publique, tant au niveau régional, que provincial ou fédéral. Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) avait d’ailleurs inscrit l’accès à la naloxone parmi ses priorités (Gouvernement du Québec, 2018).

Intrant #2. L’expertise de Méta d’Âme et son engagement auprès de la population ciblée

Fondé en 1999, Méta d’Âme est un organisme de pairs ayant développé une connaissance approfondie de la problématique des personnes aux prises avec un trouble lié à l’usage d’opioïdes (TUO). Depuis plus de 20 ans, ces pairs ont fait preuve de leadership dans le développement de programmes « par et pour » les PUO. À titre d’exemple, leur projet d’habitation Prométhéus est une initiative de logement transitoire qui offre un hébergement abordable à des PUO sous traitement pour un TUO. Depuis ses débuts, Méta d’Âme propose également des services de soutien communautaire aux PUO. La fréquentation de l’organisme témoigne de sa capacité à rejoindre et desservir cette clientèle.

Intrant # 3. La capacité de Méta d’Âme à mobiliser les principaux acteurs concernés pour soutenir la conception, l’adoption, l’accès aux ressources nécessaires et le déploiement du programme

L’implantation d’un programme nécessite de mettre en place les conditions permettant sa conception, son adoption, son soutien et son déploiement. Afin d’y parvenir, l’équipe de Méta d’Âme a mobilisé les partenaires concernés à chacune des étapes du projet.

Conception du programme : Les pairs de Méta d’Âme ont mis à profit leurs connaissances et leur savoir expérientiel ainsi que des expertises connexes complémentaires pour développer le contenu du programme. Certains éléments ont été inspirés de programmes préexistants, dont celui de Colombie-Britannique (BCTHN ; Deonarine et al., 2016). À Montréal, les pairs de Méta d’Âme ont fait appel à un organisme spécialisé pour le volet RCR de la formation. Ce volet était initialement offert par des instructeurs spécialisés, jusqu’à ce que les membres de l’équipe PROFAN soient formés et certifiés pour enseigner les manoeuvres de RCR, en 2018. Un médecin spécialiste en dépendances ainsi que des infirmières du Cran ont participé au comité de travail pour assurer la pertinence et l’exactitude des aspects médicaux de la formation. Leur rôle consistait à soutenir les pairs-formateurs au cours des premières sessions de formation, jusqu’à ce que ces derniers maîtrisent suffisamment bien le contenu.

Adoption du programme : L’implication des partenaires clés au début du processus de développement du programme PROFAN a permis de profiter de leur expertise et de leur appui pour franchir les étapes menant à sa reconnaissance et à son adoption. À cet effet, Méta d’Âme a d’abord été parrainé par le Cran et a aussi développé un partenariat avec la DSP, ce qui a facilité la mise en place de la formation PROFAN à Montréal. À ce sujet, il importe de rappeler qu’en 2014, la naloxone n’était disponible que pour les médecins et les infirmières au Québec et que son administration par d’autres personnes soulevait plusieurs enjeux légaux (Paré, 2014). En effet une PUS, ou un proche témoin d’une personne en surdose n’avait ni accès à la naloxone, ni le droit de l’administrer. Pour permettre la réalisation du programme, la DSP a alors émis une ordonnance collective à l’intention de trois pharmaciens afin que les participants à la formation PROFAN puissent accéder à la naloxone (Cran, 2020).

Accès aux ressources financières, humaines, physiques et matérielles : L’équipe de Méta d’Âme a bénéficié d’un financement de la DSP pour la mise en place du programme PROFAN, en 2015, et de l’Initiative canadienne de recherche sur l’abus de substances (ICRAS-CRISM) pour l’évaluation de son implantation. Le programme a été sélectionné comme projet de démonstration dans le cadre de cette initiative financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). En 2018, Méta d’Âme a été mandatée par le MSSS pour former l’ensemble des PUS et des organismes communautaires du Québec. Pour appuyer le développement de la formation destinée au milieu communautaire, de même que pour soutenir le déploiement du programme à l’ensemble du Québec, l’équipe de Méta d’Âme s’est adjoint un partenaire déjà présent sur l’ensemble du territoire, l’Association des intervenants en dépendance du Québec (AIDQ). La collaboration des pairs de Méta d’Âme et des intervenants de l’AIDQ a nécessité la clarification du rôle et de l’expertise de chacun, comme c’est fréquemment le cas dans les programmes où des pairs travaillent conjointement avec des professionnels (Greer et al., 2016). L’embauche d’un pair comme chargé de projet pour le déploiement du programme a constitué un facteur facilitant, tant pour la gouvernance du projet que pour le développement de liens avec les partenaires régionaux.

Les financements obtenus pour PROFAN en collaboration avec ses différents partenaires ont permis à Méta d’Âme de concevoir, de développer, de dispenser et d’évaluer la formation offerte aux groupes ciblés. Les ressources physiques (locaux du centre de jour de Méta d’Âme pour accueillir des groupes de participants) ainsi que les ressources matérielles (équipement informatique et audiovisuel, impression et téléphonie) ont aussi été rendues disponibles pour l’implantation du programme.

En ce qui a trait au recrutement de formateurs et de pairs pour travailler au programme PROFAN, la proximité des résidents de Prométhéus (le programme d’hébergement de Méta d’Âme situé au-dessus du centre de jour de Méta d’Âme) a facilité leur participation à la formation ainsi que leur implication dans le développement du programme.

Sur le plan de l’évaluation du programme, dès les débuts, les pairs de Méta d’Âme ont fait appel à une équipe du Centre de recherche de l’Hôpital Douglas pour les accompagner dans l’implantation et l’évaluation des divers projets. Plusieurs rapports de recherche et articles scientifiques ont été publiés, lesquels ont permis, entre autres, de soutenir des demandes de subvention. Ces démarches ont fourni une rétroaction utile à la conception, à l’ajustement et à l’amélioration du programme, ajoutant par le fait même de la crédibilité et de la rigueur scientifique au projet et soutenant ainsi sa notoriété auprès des partenaires gouvernementaux et autres bailleurs de fonds.

Le développement de ces nombreux partenariats a également facilité le recrutement de membres pour les divers comités formés dans le cadre du programme : l’équipe de coordination, le comité d’orientation, le comité de travail et le comité de recherche. Ces comités ont été instaurés dès le début du projet avec tous les acteurs du milieu, ainsi que des membres de l’équipe de recherche et du MSSS pour guider le développement de la formation, son implantation à Montréal et son déploiement dans les autres régions.

Déploiement des activités dans l’ensemble du Québec : À l’échelle provinciale, la faisabilité du programme repose sur la capacité de ses responsables à recruter et à former des formateurs ainsi qu’à rejoindre les principaux acteurs régionaux du Québec afin de déployer l’offre de formation vers la population ciblée (pour accroître le niveau de « penetration » tel que défini par Proctor et al., 2011). Ce mandat, confié à un organisme dont les activités sont essentiellement concentrées dans le secteur du centre-est de Montréal, soulève plusieurs enjeux de faisabilité. À Montréal, la position privilégiée de Méta d’Âme dans le domaine des services communautaires aux PUO a facilité le recrutement de pairs-formateurs et de pairs pour assurer le soutien du programme. Pour le déploiement à travers les différentes régions du Québec, les pairs de Méta d’Âme ont identifié des personnes-ressources dans les milieux et établi des partenariats avec eux pour rejoindre les acteurs les plus susceptibles de soutenir la promotion et l’organisation des activités. Ces partenariats ont été établis aussi bien avec les répondants en surdoses du réseau de la santé que les directeurs et les responsables des différents organismes communautaires liés à la problématique des surdoses d’opioïdes au Québec. Ils ont aussi été établis avec les organismes en itinérance et en santé mentale.

2) Activités

Au début du programme, les sessions de formation de PROFAN visaient à intervenir en cas de surdoses d’opioïdes. L’évolution de la situation des surdoses, dont une part importante n’est pas reliée aux opioïdes, ainsi que les demandes des milieux intéressés par ce type de formation ont amené l’équipe de PROFAN à élargir le contenu des formations au moment du déploiement vers les différentes régions du Québec.

Trois versions de la formation ont été développées afin d’en adapter le contenu en fonction des différents auditoires cibles et des différentes régions, et ainsi accroître son adéquation avec les demandes de ces auditoires.

À cette fin, la formation offerte aux PUS et leur entourage a été modifiée afin de répondre aux demandes des acteurs des milieux communautaires pour qui l’intervention lors de surdoses ne devait pas se limiter à l’identification des surdoses et à l’administration de la naloxone, mais devait aussi comporter un volet post-intervention. L’équipe de Méta d’Âme, en collaboration avec l’AIDQ, a mis à jour le contenu de la formation, et leurs partenaires régionaux ont offert des conseils pour l’adapter en fonction de leurs différentes réalités.

Activité #1. La formation des pairs-formateurs

Le contenu de la formation pour les pairs-formateurs d’une durée de sept heures a été développé en collaboration avec le Cran. Il a été révisé et ajusté par le chargé de projet de PROFAN et un médecin du Cran, puis révisé et approuvé par la DSP. Dans le contexte de l’évaluation formative du programme, la formation des pairs-formateurs a été suivie d’un groupe de discussion auprès des participants afin de recueillir leur rétroaction et d’effectuer les améliorations et les ajustements nécessaires. Cette procédure a aussi été appliquée pour les deux autres types de formation.

Activité # 2. Formation destinée aux PUS et à leur entourage

La formation destinée aux PUS et à leur entourage, également d’une durée de sept heures, porte sur l’identification des signes et des symptômes d’une surdose d’opioïdes, l’intervention dans une situation de surdose, l’application des techniques de RCR et l’administration de la naloxone.

Activité # 3. Formation destinée aux acteurs du milieu communautaire

C’est en avril 2019 que le déploiement du programme PROFAN a débuté à travers le Québec. Une mise à jour de la formation pour les PUS et leur entourage a été réalisée et une formation distincte a été conçue pour les acteurs du milieu communautaire.

Cette formation s’adresse aux personnes oeuvrant dans le milieu communautaire qui sont susceptibles d’être confrontées à des situations de surdose d’opioïdes (ex. : intervenants, bénévoles, gardiens de sécurité, personnel administratif). Comme la majorité de ces participants sont des intervenants qui ont déjà reçu une formation RCR dans le cadre de leur emploi, le contenu de la formation a été modifié. Il est centré sur les notions de prévention et d’intervention, incluant l’administration de la naloxone et couvre sommairement une révision des étapes de RCR. Des vignettes de cas permettent d’aborder la prévention des risques de surdoses ainsi que les protocoles d’intervention des organismes pour faire face aux situations de surdoses. Enfin un volet d’intervention post-surdose vise à favoriser le retour à l’équilibre de la personne ayant été témoin ou victime d’une surdose.

3) Extrants

Les données d’opération du programme permettent d’évaluer la participation aux activités pour chacun des auditoires et chacune des régions visées. Les résultats témoignent de l’adéquation des formations avec les demandes et les besoins des différents publics cibles ainsi que de la faisabilité du programme.

Extrant #1. Pairs-formateurs recrutés et formés

Un total de sept pairs ont été recrutés parmi les PUO fréquentant Méta d’Âme et formés pour devenir pairs-formateurs.

Extrant #2. Formation des PUS et de leur entourage

En ce qui concerne la formation destinée aux PUS et leur entourage, les pairs-formateurs ont assuré la tenue de 81 sessions de formation à Montréal (810 participants) et de 13 sessions dans 11 autres régions du Québec (140 participants).

Extrant #3. Formation des acteurs du milieu communautaire

Quant à la formation destinée aux acteurs du milieu communautaire, 9 sessions de formation ont été organisées à Montréal (115 participants) et 50 sessions dans 13 autres régions du Québec (820 participants). Seules les régions les plus éloignées et difficiles d’accès ainsi qu’une région où il y avait déjà une offre de formation n’ont pas été couvertes.

Extrant #4. Déploiement provincial de la formation

Les pairs-formateurs ont été impliqués dans le déploiement de la formation dans 14 des 18 régions sociosanitaires du Québec.

4) Résultats du programme

En cinq années, 950 PUS et membres de leur entourage du Québec ont participé à une session de formation dans le cadre de PROFAN. Les participants ont par la suite été invités à remplir un questionnaire d’évaluation. Les résultats témoignent de l’acceptabilité de la formule, malgré sa durée beaucoup plus longue que les autres formations courantes.

L’évaluation globale de la formation révèle un indice d’appréciation élevé chez les participants. En effet, 15 % de ceux-ci rapportent être satisfaits et 83 % rapportent être très satisfaits (N = 699) (Ferlatte et al., 2019). En ce qui concerne la durée de la formation, 20 % des participants la jugent trop longue, et 13 % considèrent qu’elle comporte trop d’information. À l’inverse, plus de la moitié des participants (58 %) estiment que la durée de la formation n’est pas trop longue et 73 % considèrent que la quantité d’information transmise est adéquate. Les PUS et leur entourage rapportent une appréciation particulière pour les apprentissages tirés de la formation (dont l’administration de la naloxone), la qualité des formateurs, le dynamisme de la formation, ainsi que le vécu partagé et les interactions possibles au cours de la formation. La majorité des participants indique que le volet RCR de la formation est utile (97 %, N = 194) (Ferlatte et al., 2020).

En ce qui a trait aux acteurs du milieu communautaire, 935 personnes ont été formées. La très grande majorité des participants (95 %, N = 805) se disent satisfaits de la formation (78 % rapportent être tout à fait satisfaits et 17 % rapportent être satisfaits de la formation). Les acteurs du milieu communautaire soulignent leur appréciation particulière concernant les apprentissages tirés de la formation (dont l’emploi de la naloxone), l’animation, la présence de pairs-formateurs et les interactions au cours des sessions de formation (Ferlatte et al., 2020).

5) Impact

Impact sur les pairs-formateurs

Les résultats de l’évaluation du programme mettent en relief l’impact positif chez les pairs-formateurs, alors que les deux tiers d’entre eux rapportent une plus grande aisance pour intervenir en cas de surdose, à la suite de leur participation au programme.

Impact sur les PUS et leur entourage

Parmi les PUS et leur entourage, 75 ont accepté de participer à des entrevues individuelles. Plus des trois quarts de ces personnes (88 %) rapportent des changements post-formation positifs, dont l’amélioration de leur estime de soi, un sentiment plus grand de responsabilité envers les autres, l’impression d’être en contrôle lors de situations d’urgence, davantage d’espoir quant à leur avenir et le sentiment de pouvoir surmonter les préjugés liés à l’usage d’opioïdes (Perreault et al., 2021). Le tiers des pairs-formateurs et 17 % (n = 13) des participants interrogés à la suite de la formation rapportent avoir cessé ou diminué leur consommation, ou avoir adopté des comportements de consommation plus sécuritaires après la formation (Marshall et al., 2017 ; Perreault et al., 2021). Ceci peut contribuer à diminuer les décès liés aux surdoses d’opioïdes et met en évidence l’impact d’un programme de prévention des surdoses piloté par des pairs.

Impacts sur les acteurs du milieu communautaire

Les 806 acteurs du milieu communautaire qui ont rempli un questionnaire d’évaluation se sentaient mieux outillés pour intervenir en cas de surdose grâce aux connaissances acquises au cours de la formation (91 %). Parmi eux, cinq participants ont spontanément ajouté que la formation avait contribué à modifier leur perception des PUS et de leur consommation (Ferlatte et al., 2020).

Discussion 

Le programme PROFAN vise à prévenir et à réduire les décès liés aux surdoses d’opioïdes. Il a débuté au centre-ville de Montréal en tant qu’initiative locale, pour desservir des PUS et leur entourage. Sa pertinence et le dynamisme de ses promoteurs ont permis d’élargir la clientèle ciblée. PROFAN est maintenant offert dans l’ensemble du Québec aux PUS et leur entourage ainsi qu’aux acteurs du milieu communautaire. Trois principaux facteurs ont facilité l’implantation de PROFAN.

En premier lieu, le projet émanait d’un organisme établi depuis plus de vingt ans, comptant sur l’appui de partenaires engagés et influents dans le domaine. Cet appui était d’autant plus important qu’il a permis d’obtenir une ordonnance collective pour autoriser les pairs à se procurer et à administrer la naloxone. À cet effet, la situation de Méta d’Âme s’apparente à celle qui a prévalu en Colombie-Britannique. Le Vancouver Area Network of Drug Users (VANDU), aussi un organisme de pairs, a favorisé la mise en place de plusieurs démarches de santé publique et de sensibilisation à la réalité des PUS. Depuis 1997, cet organisme offre des séances d’informations sur les risques et les troubles liés à l’usage des substances, des patrouilles de rue, des services d’échange de matériel de consommation, ainsi qu’une démarche d’intervention et de soutien par les pairs. Les obstacles rencontrés par VANDU, outre le stigma envers les PUS, sont principalement d’ordre financier ou en lien avec le roulement de personnel lié parfois au décès de certains de ses membres en raison des surdoses ou du VIH (Kerr et al., 2006). Les enjeux liés à la stabilité et à la précarité ont ainsi représenté l’un des principaux obstacles à son développement, comme c’est le cas pour bon nombre d’organismes communautaires. Ces enjeux sont encore plus difficiles à surmonter pour les organismes récemment établis, tel que le Moss Park Overdose Prevention Site. Cette initiative a été établie à Toronto en 2017 par des pairs, des travailleurs en réduction des méfaits et des acteurs du milieu de la santé, alors qu’il n’y avait aucune autre offre d’injection supervisée en Ontario (Kolla et al., 2020), sans support préalable des autorités. Ce groupe axé vers la prévention a finalement reçu le soutien nécessaire du gouvernement pour s’installer dans des bâtiments plutôt que des tentes et poursuivre sa mission. D’autres projets de ce type n’ont malheureusement pas pu survivre dans le temps, soit parce qu’ils n’ont pas été reconnus par les instances gouvernementales (Kerr et al., 2005), soit parce que leur stabilité était précaire. Marshall et al. (2015) ont d’ailleurs noté l’importance de maintenir des relations positives dans la communauté, dont le soutien politique et la sécurité publique, pour assurer la réalisation des projets par les pairs.

Un second facteur ayant favorisé la mise en place et le développement de PROFAN réside dans le fait que les pairs de Méta d’Âme étaient déjà sensibilisés et engagés dans la lutte contre les surdoses d’opioïdes. Leur démarche pour développer le programme devançait le début de la crise des opioïdes au Québec, les positionnant en tant que ressource de pairs dotée de l’expertise et des contacts nécessaires pour mettre en oeuvre un programme de distribution de naloxone à Montréal. Déterminés à réduire les surdoses et à former le plus grand nombre de personnes possible pour intervenir efficacement en cas de surdose, les pairs-promoteurs avaient le souci de développer différentes versions de la formation en fonction des besoins de chacun de leurs publics cibles : les pairs-formateurs, les PUS et leur entourage, et les acteurs des milieux communautaires. Leur engagement envers les objectifs du programme et sa réalisation a aussi contribué à assurer la faisabilité de son implantation. D’ailleurs, cinq ans après le début de PROFAN, la moitié des pairs-formateurs formés initialement étaient toujours actifs sur le plan des activités de formation, malgré le défi que représente le maintien d’un tel engagement dans le temps pour des pairs (Greer et al., 2016).

Finalement, l’équipe de Méta d’Âme, déjà bien ancrée avec les milieux concernés, a démontré son efficacité à réaliser l’implantation du programme en comptant sur ses ressources et ses partenariats. D’ailleurs, le processus de déploiement de PROFAN a permis aux pairs promoteurs d’étendre leur réseau de partenaires sur l’ensemble du Québec pour, éventuellement, assurer la viabilité du programme. Les liens ainsi établis leur ont permis d’identifier les besoins des différentes régions et d’ajuster leur formation en conséquence pour assurer sa pertinence et son adoption. Ces ajustements ont été possibles en raison de la volonté des pairs à évaluer leur programme de formation à chacune de ses étapes. Au moyen de consultations et d’outils de mesure intégrés dans une démarche d’évaluation formative, les pairs ont pu assurer une gestion « informée » de l’évolution de leur programme de manière à soutenir son développement et à procéder aux ajustements pertinents à chacune des étapes (Dehar et al., 1993). Les pairs ont d’ailleurs travaillé en étroite collaboration avec l’équipe de recherche pour l’élaboration et l’administration des instruments de mesure servant à l’évaluation. Ils ont aussi été constamment informés des résultats pour apporter les ajustements nécessaires à la formation (Cousins et Earl, 1992). Le monitorage des activités et la mesure des effets ont contribué à mettre en évidence les retombées du projet et pourront être utiles en ce qui a trait à la reddition de comptes auprès des bailleurs de fonds.

Les résultats témoignent de la faisabilité et de l’accessibilité du programme. En effet, les pairs promoteurs sont parvenus à déployer leur projet bien au-delà de leur réseau montréalais, pratiquement sur toutes les régions atteignables par les moyens de déplacement routier. Ils sont aussi en train d’initier un réseau de formation de formateurs à travers le Québec afin d’assurer l’accès au programme dans l’ensemble des régions.

Conclusion

Le programme PROFAN se démarque par la volonté des pairs à maintenir une collaboration constante de toutes les parties prenantes dans son développement et sa coordination, impliquant des pairs, des intervenants et des chercheurs. Sous l’égide d’un groupe de pairs, ce travail de collaboration a permis d’allier le savoir expérientiel et le savoir professionnel pour monter un programme s’étendant bien au-delà des objectifs des autres programmes de distribution de naloxone. Cette collaboration a aussi assuré l’implantation du programme à Montréal et son déploiement dans la quasi-totalité des régions sociosanitaires du Québec. Un total d’environ 2 000 personnes a été formé, dont près de la moitié sont des PUS et leur entourage. Le nombre élevé de participants aux formations, malgré que celles-ci durent une journée complète, démontre l’acceptabilité d’un tel programme par des PUS. D’autres activités d’évaluation du programme sont en cours concernant l’acquisition de connaissances, l’effet préventif de la formation sur les surdoses et les bénéfices de l’adoption du rôle de secouriste par les PUS.

Dans le contexte où la prévalence des surdoses chez les PUS a continué à croître et s’est même accentuée au cours de la COVID-19 (Gouvernement du Canada, 2021), il apparaît des plus pertinent de poursuivre l’évaluation de l’implantation du programme PROFAN sur l’ensemble du Québec et son appropriation par les organismes régionaux, afin de contribuer à la prévention et à la prise en charge des surdoses.

Figure 1

Modèle logique et éléments du cadre conceptuel de résultats d’implantation du programme PROFAN

Modèle logique et éléments du cadre conceptuel de résultats d’implantation du programme PROFAN

Figure 1 (suite)

Modèle logique et éléments du cadre conceptuel de résultats d’implantation du programme PROFAN

Note. Adapté de Porteous (2009) et Proctor et al. (2011).

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