Corps de l’article

Introduction

Le projet de recherche à l’origine de cet article vise à analyser et critiquer l’évolution du discours relié aux différents programmes et à décrire et comprendre la place de l’enseignement de la musique dans le système scolaire québécois dans une perspective historique. Un examen de la littérature nous a permis de constater l’existence de recherches consacrées à l’évolution des programmes d’études de langue française[1] et de certaines matières enseignées dans notre système scolaire[2]. On y retrouve quelques rares mentions de la présence de la musique, sans plus. Toutefois, Isabelle Héroux (2002) a traité de la place de la musique dans les programmes de formation depuis les années 1960 avec une perspective philosophique. Le présent article propose un historique des programmes de 1904 à 2020 aux différents cycles de l’école primaire et secondaire. Nous espérons ainsi offrir une perspective globale et actualisée sur la place de l’enseignement de cette matière depuis son entrée dans les programmes scolaires québécois de langue française.

Corpus étudié

Pour réaliser cet article, nous avons analysé la littérature traitant des programmes d’études (Grégoire 1987 ; Gauthier, Tardif et Belzile 1993 ; Allard et Lefebvre 1998 ; Gauthier et Saint-Jacques 2002, Héroux 2002), ainsi que les sources gouvernementales (les programmes d’études aussi bien que les publications et avis ministériels ; voir la liste des sources dans la Bibliographie), en retenant uniquement les programmes provinciaux francophones qui font mention de l’enseignement de la musique de 1904 à 2020 des niveaux primaires et secondaires.

Il est pertinent de noter que les programmes des différentes matières ne sont pas toujours publiés au même moment et que certains auteurs[3] datent l’arrivée d’un programme avec l’année de publication de celui-ci tandis que d’autres considèrent plutôt l’année de la première implantation en classe. Il faut d’ailleurs garder en tête que l’implantation des programmes d’études s’effectue de manière progressive après leur publication par le gouvernement. Ainsi, les élèves qui commencent l’école primaire seront assujettis à un nouveau programme tout au long de leur parcours, alors que les anciennes cohortes termineront leurs études en suivant l’ancien. Nous avons donc choisi de dater les programmes selon l’année de publication.

Dans la présente étude, nous adoptons l’identification des types de programmes proposée par Réginald Grégoire (1987). En effet, l’auteur analyse les programmes de 1873 à 1980 et en propose une nomenclature permettant d’en saisir l’essence et l’esprit de leur conception, sans égard à une matière spécifique. Ainsi, il qualifie de « programmes locaux » les programmes réalisés de manière autonome dans chaque école de 1861-1872 (p. 33), et de « programmes indicatifs » (car ils n’offrent que de simples lignes directrices) ceux imposés par la première fois par une instance gouvernementale de 1873 à 1903. En contraste, les Programmes d’études pour les écoles primaires catholiques de la province de Québec (peecpq) publiés entre 1904 et 1969 étaient constitués de listes de contenu à faire apprendre, d’où le nom de « programmes catalogues ». Les « programmes-cadres », de 1970 à 1980, visaient quant à eux à encadrer l’enseignement de la matière proposée. Gauthier, Tardif et Belzile (1993) ont repris cette nomenclature des programmes pour ajouter les plus récents, soit les « programmes-habiletés » (1981-1999), qui mettaient l’accent sur le développement des habiletés des élèves, et les « programmes par compétences » (2000) structurés selon le développement de trois compétences (créer/inventer, interpréter et apprécier) dans toutes les matières.

Dans la première partie de notre article, nous traiterons de l’évolution de l’enseignement de la musique dans le système scolaire québécois. Cette étude suivra l’ordre chronologique d’apparition des programmes. La seconde partie se penchera sur les raisons invoquées par les rédacteurs des programmes (qui ne sont jamais identifiés, ces documents étant uniformisés dans leur structure et leur écriture) pour soutenir l’enseignement de la musique. L’analyse, faite à partir des principales thématiques issues de notre analyse de contenu, ne suit pas toujours la chronologie des programmes.

L’évolution du système scolaire québécois et de l’enseignement de la musique

L’évolution du système scolaire québécois et de l’enseignement de la musique sera présentée en cinq sections correspondant aux grandes familles de programmes ayant existé entre 1861 et 2021. Afin d’enrichir la perspective historique, la première section propose une mise en contexte de l’origine du système scolaire québécois préalable à l’arrivée de l’enseignement de la musique. Par la suite, pour chaque section nous présenterons l’organisation du cursus scolaire, les instances, le statut de l’enseignement de la musique, le nombre d’heures imparties à la musique dans l’horaire ainsi que les approches pédagogiques préconisées.

La mise en place d’une structure : les programmes locaux et les programmes indicatifs

C’est en 1841, à la suite de la signature de l’Acte d’union entre le Haut- et le Bas-Canada, que l’on voit apparaître différentes lois visant à améliorer l’éducation dans le Canada-Est[4], que sont créées les instances auxquelles seront rattachées les écoles, et que l’on cherche à standardiser l’enseignement (voir Grands textes). Les écoles étaient alors de juridiction municipale et l’élaboration des programmes d’études sous la responsabilité de commissaires d’école élus, qui, sachant à peine lire et écrire, déléguaient cette tâche au corps enseignant, souvent peu scolarisé (Gauthier, Tardif et Belzile 1993, p. 19).

Dès sa création en 1859, le Conseil de l’instruction publique met en place une liste de 1727 questions d’examen auxquelles tout aspirant devait pouvoir répondre afin d’obtenir le brevet d’enseignement dans les écoles. Ce Programme d’examen est considéré comme la première tentative de standardisation de l’enseignement (Gauthier, Tardif et Belzile 1993, p. 19), bien qu’il ne représente pas un programme d’étude à proprement parler. En effet, il faudra attendre 1873 pour que des contenus soient imposés à tous les écoliers de la province de Québec sous forme d’indications qui feront l’objet de plusieurs modifications au fil des ans. Si nous ne retrouvons aucune mention de la musique dans ces programmes, nous savons qu’elle était néanmoins enseignée, principalement par les religieux dans les couvents et scolasticats, auprès d’enfants issus de familles plus fortunées, ou dans les écoles publiques des grandes villes à la suite de demandes des parents (Desrosier 2019, p. 86). D’ailleurs, dès 1857, la musique vocale et instrumentale figurait déjà parmi les matières au programme des futurs enseignants inscrits à l’École normale Jacques-Cartier de Montréal (Allard 2019, p. 35). De plus, l’enseignement de la musique, grâce au chant et au solfège, figurait dans le programme de la Commission scolaire des écoles catholiques de Montréal publié en 1873, mais toutes les écoles de Montréal ne l’enseignaient pas (Pilote 1973, p. 23).

L’enseignement de la musique dans les programmes catalogues

Les Programmes d’études pour les écoles primaires catholiques de la province de Québec (peecpq), nommés « programmes catalogues » (Grégoire 1987, p. 38), sont implantés en 1904 et seront en vigueur jusqu’à la fin des années 1960. Dans la continuité des programmes indicatifs, ils présentent une liste des matières à couvrir pour chaque niveau, des éléments de contenu et des pistes pédagogiques qui évolueront au fil des ans. Pendant cette période, le système d’éducation est géré par le Conseil de l’instruction publique du Québec (cipq) et les programmes francophones par le Comité catholique (cc)[5].

Comme la musique était présente dans certains établissements d’enseignement francophones du Québec au xixe siècle, il est fort à parier que la situation est restée à peu près la même lors de son apparition dans le programme de 1904, car la musique était une matière facultative, partageant ce statut avec, entre autres, la gymnastique, la télégraphie, l’économie domestique pour les filles et les exercices militaires pour les garçons (Anciens programmes 1861-1923, p. 104)[6]. Le programme justifie ce statut ainsi : « il était nécessaire de ne pas surcharger le programme des études, et surtout de ne pas imposer aux titulaires de certaines écoles peu favorisées par les circonstances, une tâche au-dessus de leurs forces et de leurs ressources » (ibid., vol. 1, p. 201). Ainsi, jusqu’en 1936, lorsqu’enseignée, la musique pouvait se limiter au simple apprentissage à l’oreille de chants religieux, patriotiques ou autres, car « si la théorie musicale, voire le simple solfège élémentaire, n’est pas partout chose facile à enseigner, il est toujours relativement facile de donner au moins des leçons de chant par l’audition » (ibid., vol. 2, p. 109).

C’est en 1937 que l’enseignement de la musique devient obligatoire au primaire à raison de trente minutes par semaine et que l’on voit apparaître les notions à enseigner pour chaque niveau (intervalles à reconnaître, notions théoriques et oeuvres prescrites) dans un souci de progression des apprentissages. Ainsi, l’apprentissage du solfège sera imposé jusqu’en 1959 afin que les élèves acquièrent « des notions élémentaires de solfège moderne et de solfège grégorien qui les rendront aptes à lire et à interpréter vocalement la musique d’une façon convenable » (Programme 1947, p. 71). Il importe ici de rappeler que le niveau primaire offrait des cours de spécialisation professionnelle (cours commercial, scientifique, etc.) de la 8e à la 11e année, et dans certains de ceux-ci, la musique n’était pas enseignée. À cet égard, il est surprenant de constater que des cours au-delà de la 6e année figurent dans le cursus primaire, mais selon Michel Allard (2019), « les directions des collèges classiques désireuses de protéger en quelque sorte leur monopole s’opposèrent à ce que le système public s’étende au cours secondaire » (p. 55, note 100).

L’implantation du secondaire

Ce n’est donc qu’en 1956 que l’implantation de l’enseignement secondaire s’est effectuée grâce à une période de transition pendant laquelle des cours de spécialisation professionnelle étaient encore offerts au primaire (7e, 8e, 9e, 10e et 11e année). Dans le premier programme secondaire, les matières regroupées sous l’appellation « Arts »  font partie des seize matières obligatoires au programme, parmi lesquelles figurent l’Enseignement ménager (filles), les Travaux manuels (garçons), la Culture physique, l’Initiation à la musique et les Arts plastiques. De 1956 et 1969, le temps réservé à la musique en deuxième et troisième secondaire est variable selon les programmes, les années et les profils choisis par les élèves. L’enseignement de la musique est possible en 4e et 5e secondaire, mais selon les spécialisations et sous forme d’option pour les élèves qui le souhaitent.

Pendant cette période, le chant est encore la principale activité pédagogique offerte au secondaire, avec l’écoute d’oeuvres, dans un enseignement plutôt théorique comme nous indique la section « Directives méthodologiques » :

Ce contact avec l’oeuvre [par l’écoute] constitue la méthode pédagogique principale. L’étudiant identifiera les voix humaines et les instruments de l’orchestre ; il identifiera également les principaux genres musicaux : folklore, lied, oratorio, opéra, sonate, concerto, symphonie, musique de chambre, et à cette occasion le professeur donnera un aperçu sommaire de l’histoire de la musique. Il est à souhaiter que dans chaque école secondaire on trouve une salle de piano, tourne-disques, discothèque et bibliothèque musicale à l’usage des élèves. On pourrait même dans quelques cas et à peu de frais, favoriser certaines activités : chorales, fanfares, orchestre, à condition d’en faire un complément de formation musicale

Programme1956, p. 140

Outre ces indications, une liste d’oeuvres à étudier est fournie dans le but de « Faire connaître et apprécier les chants de notre folklore et le chant liturgique » et « préparer des chantres d’églises » (Programme 1956, p. 139). Il faut cependant souligner l’ajout de la musique instrumentale avec la possibilité d’expérimenter les instruments en groupe dans les écoles qui en possèdent.

L’enseignement de la musique dans les programmes provisoires et les programmes-cadres

La décennie 1960-1970 marquera un point tournant dans la société québécoise avec plusieurs remises en question et réformes. Le ministère de l’Éducation du Québec prendra le contrôle du système scolaire et de l’élaboration des programmes dès sa création en 1964, même année où le Conseil supérieur de l’éducation sera fondé afin de conseiller le ministère sur différents sujets ad hoc. Une vaste consultation publique, la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province du Québec sera mise en place par le gouvernement, et la Commission d’enquête sur l’enseignement des arts au Québec, plus modeste, sera initiée par le milieu artistique. Ces commissions présenteront dans leurs rapports respectifs, communément appelés Rapport Parent (1963) et Rapport Rioux (1969), des réflexions approfondies, d’une part, sur le système d’éducation et, d’autre part, sur l’enseignement des arts au Québec, qui auront une grande influence sur le système scolaire québécois (Héroux 2002, p. 20).

Des programmes provisoires visent le secondaire exclusivement et font office de transition avant l’arrivée des programmes-cadres (Grégoire 1987, p. 87), secondaire et primaires, qui font leur apparition en 1969. Ces derniers, qui ont été en place pendant dix ans, offrent aux enseignants un cadre général qui doit être complété localement par des programmes institutionnels (Gauthier et Saint-Jacques 2002, p. 8 ; Grégoire 1987, p. 89). Nous voyons alors apparaître le système scolaire dans la forme encore en vigueur aujourd’hui, composé de la maternelle, de six années au primaire et de cinq années au secondaire.

Pendant cette période, soit de 1937 à 1980, l’enseignement de la musique est obligatoire au primaire à raison d’une heure par semaine tout comme lors de la première année du secondaire, voire même la deuxième, selon le cursus choisi. Cependant, pour les niveaux suivants, la musique et les autres cours d’arts deviennent une option que les élèves peuvent choisir et qui les engagent pour la durée de leur secondaire. Si l’élève choisit le cours de musique, il y aura un minimum de trois voies possibles qui à leur tour seront déclinées en autant de cours au contenu différent : Orientation éducation musicale, Orientation instrumentale régulière et Orientation instrumentale forte (Programme 1969, p. 7). En cinquième secondaire, l’élève aura également accès à une quatrième option, l’Atelier d’expression libre (« Cours de musique et arts plastiques », cote 54, ibid., p. 8).

Les programmes provisoires du primaire, selon leur ordre d’apparition, sont liés soit aux anciens programmes, soit aux programmes-cadres qui sont en préparation. Ces derniers donnent un avant-goût d’un changement majeur dans la manière de concevoir l’enseignement de la musique au Québec :

On cherche l’assimilation réelle du matériel musical, et non pas l’accumulation des connaissances. Une grande importance est donnée à la création musicale, à l’improvisation individuelle et collective utilisant le chant et des instruments simples : percussion, xylophone, flûte à bec[7]. De cette manière, on fait davantage appel à l’imagination, au goût, au sens artistique, au jugement esthétique. La musique se révèle ainsi comme un moyen direct d’expression et de création. Son langage nuancé et mystérieux permet l’expression profonde de tout l’être

Programme 1970, p. 6

Pour la première fois, dans un programme de musique, on peut lire des citations de pédagogues qui font office d’objectifs de programme, par exemple, « Faire des enfants des récepteurs et des transformateurs, et non des spectateurs » (Émile Jaques-Dalcroze (1885-1950), voir Programme 1970, p. 6), ou « Procurer à tous les enfants une éducation musicale qui épanouit leur sensibilité, développe leurs facultés intellectuelles et les prépare aux joies de la musique d’ensemble » (Zoltán Kodály (1882-1967), ibid.). Si certains pédagogues cités sont encore connus de nos jours, d’autres sont plus difficiles à identifier, comme Exaltier ou Ribière-Raverlat (ibid., p. 6-7). Le programme fait la part belle aux méthodes actives[8] en consacrant des paragraphes à la présentation de la méthode Jaques-Dalcroze, la méthode Martenot, la méthode Ward, la méthode Orff-Bergese [sic], la méthode Kodály et la méthode Suzuky.

Au secondaire comme au primaire, l’expérimentation musicale notamment à l’aide de « la création musicale, l’improvisation individuelle et collective utilisant le chant et des instruments » est centrale. Cependant, si les apprentissages sont moins théoriques, l’élève doit néanmoins « connaître et reconnaître la relation entre le son, la lecture et l’écriture musicale » (Programme 1969, p. 5).

Les programmes habiletés et l’enseignement de la musique

Les changements initiés dès le milieu du xxe siècle prennent du temps à se concrétiser tant dans les structures du système d’éducation que dans les programmes. Par exemple, si la Direction générale de l’enseignement élémentaire et secondaire du Québec est créée en 1969 pour superviser la rédaction des programmes d’enseignement, elle doit composer pendant une décennie avec le Conseil catholique qui deviendra consultatif seulement en 1979, à la suite de la création de la Direction générale du développement pédagogique (dgdp). Autre fait à noter, les commissions scolaires resteront confessionnelles jusqu’en 2001. Aujourd’hui, seule la langue d’usage, l’anglais ou le français, différencie les commissions scolaires qui étaient catholiques de celles qui étaient protestantes.

Un cycle de consultations publiques et de publications ministérielles (Livre vert 1977 ; Énoncé 1979) sera réalisé afin d’aboutir à de nouveaux programmes, communément appelés les « programmes habiletés » (Martineau et Gauthier 2002, p. 11), publiés dès 1979. C’est à partir de cette époque, influencée par les recommandations du Rapport Rioux (1969), que l’enseignement de la musique n’est plus considéré de manière individuelle dans les programmes, mais comme une des composantes du Domaine des arts avec la danse, l’art dramatique, et les arts plastiques. Ainsi, ce n’est plus l’enseignement de la musique qui est obligatoire dans les écoles du Québec, mais bien l’enseignement d’une des quatre disciplines, selon le choix des écoles, qui doivent s’assurer d’offrir deux disciplines artistiques au primaire.

À partir des programmes habiletés, l’enseignement des arts se voit prescrit au primaire à raison de deux heures par semaine, représentant entre 8 et 8,7 % du temps d’enseignement selon les niveaux. Au secondaire, l’enseignement d’un art, et non forcément de la musique, est obligatoire au premier cycle seulement (première et deuxième année) et le temps qui doit lui être imparti est dorénavant calculé en nombre d’heures par année. Au deuxième cycle, l’enseignement artistique est optionnel, permettant néanmoins jusqu’à 300 heures par année en cinquième secondaire, ce qui constitue jusqu’à 33 % de la grille-matière, grâce à une option de spécialisation. De plus, les écoles doivent s’assurer d’offrir la discipline artistique choisie par l’école tout au long du parcours scolaire dans un souci de continuité disciplinaire (Régime pédagogique secondaire 1981, p. 34).

La pédagogie active est toujours présente au primaire dans les programmes habiletés, mais c’est l’expérience esthétique qui devient centrale (Héroux 2002, p. 26) : « La réaction esthétique paraît donc être la clef de toute éducation musicale et sa présence est le catalyseur sous-jacent au plaisir d’être en contact avec la musique » (Programme 1981a, p. 119). La matière à couvrir, présentée en objectifs détaillés pour chaque niveau dans un esprit béhavioriste est conceptualisée autour des axes « Percevoir-Faire-Réagir », au primaire, auxquels s’ajoutent « Exécuter et Créer, Conceptualiser et Analyser, Évaluer et Valoriser » au secondaire, où la matière est organisée autour de six modules : environnement sonore, création, langage musical, exécution, littérature musicale et graphisme. On y propose aussi une conceptualisation de la démarche pédagogique en trois temps : préparation, réalisation et intégration. Si l’organisation pédagogique semble béhavioriste, les valeurs sous-jacentes sont néanmoins humanistes (Héroux 2002, p. 28), comme l’illustre cet extrait : « En 1981, avec le présent programme, on continue à faire de la musique et on accorde une part importante au domaine affectif avec, entre autres, la découverte et l’amélioration de son environnement sonore » (Programme 1981b, p. 4). Pour terminer, notons que ces programmes, tant au primaire qu’au secondaire, reposent sur une littérature beaucoup plus abondante composée d’ouvrages pédagogiques et philosophiques figurant pour la première fois dans une bibliographie en bonne et due forme, notamment dans les révisions des niveaux secondaires effectuées entre 1996 et 1999.

L’enseignement de la musique dans le Programme de formation de l’école québécoise

Depuis la publication du Programme de formation de l’école québécoise en 2001 au primaire et en 2003 au secondaire, le Domaine des arts est considéré essentiel à la formation de tous les enfants de la province et demeure obligatoire tant au primaire qu’au secondaire. D’ailleurs, l’obtention du diplôme d’études secondaires est conditionnelle à la réussite d’un cours d’art en quatrième secondaire, que ce soit la musique, la danse, l’art dramatique ou les arts plastiques.

Il est bien difficile d’évaluer le nombre d’heures imparties à la musique, tant au primaire qu’au secondaire, puisqu’il est compris dans un bloc d’heures à répartir entre différentes matières selon le choix des écoles. Par exemple, au premier cycle du primaire (de la première à la deuxième année), sept heures sont à répartir entre le Domaine des arts, Éthique et culture religieuse ainsi qu’Anglais langue seconde. Ces matières figurent aussi au deuxième cycle, auxquelles s’ajoutent Géographie, Histoire et éducation à la citoyenneté et Sciences et technologie dans un bloc de onze heures à répartir. Par contre, les écoles doivent s’assurer d’offrir un art en continu pour la durée du cours primaire et de proposer le choix d’un deuxième, sans obligation de continuité cependant. Au secondaire, l’enseignement d’un art devient obligatoire à raison de cent heures par année pour le premier cycle et de cinquante heures par année pour le deuxième cycle. Cependant, à cela il faut ajouter un bloc, pouvant aller jusqu’à 300 heures, en cinquième secondaire, que les écoles utilisent de manière discrétionnaire et qui peut servir à ajouter des heures d’enseignement d’une discipline artistique ou de toute autre option qu’elle souhaite offrir.

Avec ce programme, au secondaire, la continuité disciplinaire n’est plus obligatoire. Selon l’orientation des écoles, les élèves peuvent changer de discipline d’une année à l’autre voire même chaque semestre. Par exemple, des élèves peuvent intégrer le cours de musique en quatrième secondaire, sans avoir suivi de cours de musique au préalable, dans une classe où d’autres élèves ont choisi l’option musique depuis plusieurs années, ayant donc des connaissances et habiletés supérieures. Cette situation serait inconcevable pour des matières telles que le français ou les mathématiques. Ce changement a été décrié par plusieurs acteurs du milieu représentés par la Fédération des associations de musiciens éducateurs du Québec (Gascon 2010).

Ce programme est, dans sa forme et son contenu, différent des programmes précédents. On parle d’ailleurs de réforme de l’éducation avec son implantation, car on y utilise des concepts pédagogiques nouveaux qui entraînent plusieurs changements dans les pratiques d’enseignement. L’enseignement de la musique est structuré autour du développement de trois compétences disciplinaires « complémentaires et interdépendantes » (Programme 2001, p. 138) (« Inventer » au primaire / « Créer » au secondaire, « Interpréter » et « Apprécier ») chacune définie par des composantes. Chaque activité d’apprentissage doit aussi contribuer à l’acquisition de compétences qui sont transversales à toutes les disciplines, par exemple « exploiter l’information » qui fait partie des compétences d’ordre méthodologique (Programme 2001, p. 244). De plus, les activités d’apprentissage doivent être reliées à l’un des cinq domaines généraux de formation qui transcendent les matières (Santé et bien-être, Environnement et consommation, Vivre ensemble et citoyenneté, Médias, Orientation et entrepreneuriat) et mise en contexte grâce à des repères culturels signifiants pour l’élève. Ainsi, l’enseignement de la musique doit être considéré en lien avec tous les éléments constitutifs de ce programme.

Contrairement au programme de 1981, la matière à couvrir n’est plus découpée en petites unités réparties en années assurant automatiquement une progression, et aucun corpus d’oeuvres musicales n’y figure. Ce programme propose plutôt un ensemble de « savoir essentiel » (au primaire) ou de « contenu de formation » (au secondaire) à acquérir selon les cycles en laissant une grande liberté quant aux activités à mettre en oeuvre pour y arriver et développer les trois compétences. Deux documents prescriptifs, soit la Progression des apprentissages (2009, 2010) et le Cadre d’évaluation (2010, révisé en 2011) ont été publiés tardivement afin de répondre aux demandes du milieu qui souhaitait des précisions et des directives plus claires.

Plus complexe que les précédents, ce programme est critiqué par différents auteurs, notamment en musique. Denis Simard et Zara Pierre-Vaillancourt (2002) ont souligné la complexité de la démarche d’enseignement selon l’approche préconisée et la crainte du manque de temps, sachant que l’interprétation musicale occupe une grande place dans les écoles, notamment dans l’animation de la vie scolaire (p. 180). Pour Claude Dauphin (2011, p. 108-111), il est regrettable que, prétextant la nécessité de s’adapter à la réalité des jeunes, le programme encourage la fréquentation d’oeuvres ou de styles simplement par ce qu’ils sont largement diffusés par les médias et connus des jeunes, plutôt que pour leur qualité esthétique intrinsèque. Précisons ici qu’aucun corpus d’oeuvres n’est imposé dans ce programme. Ainsi, Dauphin fait écho à la vision aristotélicienne des programmes précédents selon laquelle la fréquentation du beau peut aider à rendre bon : l’expérience esthétique doit être à la base de l’éducation musicale pour affiner la sensibilité de l’enfant et transmettre le patrimoine culturel musical.

Les deux tableaux suivants proposent une synthèse chronologique des éléments présentés plus haut. La première colonne de chacun indique l’instance décisionnelle en matière d’éducation et la deuxième le type de programme selon la nomenclature de Grégoire (1987) et de Gauthier, Tardif et Belzile (1993). Le nom de chaque programme figure dans la troisième colonne avec l’année de publication de la première version et des révisions entre parenthèses, le cas échéant. La ligne du haut du tableau présente les années du cursus visé pour le primaire et le secondaire. Dans le tableau 1, on remarquera que la 7e année est rattachée à l’ordre d’enseignement primaire jusqu’en 1969 et que nous avons gardé entre parenthèses l’identification des années selon le rattachement au primaire lors de l’apparition du secondaire en 1956, car ces deux ordres d’enseignement ont coexisté pendant un peu plus d’une décennie. Les dernières colonnes du tableau 1 présentent respectivement le temps prescrit pour l’enseignement de la musique ou du bloc d’arts, selon les années du primaire. Dans le tableau 2, les colonnes 5 à 13 présentent le temps prescrit pour la musique ou les arts, selon le programme, au secondaire. Nous avons indiqué entre parenthèses le pourcentage alloué à l’enseignement de la musique dans les grilles- matières pour les programmes qui permettent ce calcul.

Tableau 1

Évolution des programmes de musique au primaire et des instances au Québec.

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Tableau 2

Évolution des programmes de musique au secondaire et des instances décisionnelles au Québec.

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Synthèse des éléments présentés

L’enseignement de la musique a donc occupé une place constante dans les programmes depuis 1904, avec trois changements de statut : facultatif pendant 32 ans (1904 à 1936) ; obligatoire au primaire et au premier cycle du secondaire pendant 43 ans (1937 à 1980), puis une option à choisir parmi les disciplines de la famille des arts depuis 40 ans (1981-2021). Sous l’impulsion tardive du Rapport Rioux, dans les programmes de 1981 l’enseignement de la musique perd son statut privilégié de matière obligatoire distincte[9]. Puis, dans le Programme de formation de l’école québécoise, c’est l’enseignement d’une des quatre disciplines artistiques qui sera obligatoire pour les deux cycles du secondaire, ainsi que pour l’obtention du diplôme.

Il est hasardeux de comparer le temps alloué à l’enseignement de la musique dans les différents programmes. Lorsqu’il est facultatif, de 1904 à 1936, il est impossible de déterminer le temps qui lui est consacré, tout comme lorsqu’il figure parmi un bloc de temps à répartir entre plusieurs matières à la discrétion des écoles, dès 1981. De plus, après la 7e année primaire et jusqu’en 1969, les différentes options de cursus professionnels qui évoluent au fil des années ont un impact sur l’offre de cours et le nombre d’heures consacrées à l’enseignement de la musique varie grandement.

En ce qui a trait aux approches pédagogiques préconisées, on constate que jusqu’en 1936, l’apprentissage à l’oreille de chants était l’activité pédagogique principale. C’est en revanche une pédagogie de la transmission du savoir de l’enseignant dans une approche plutôt livresque qui a prévalu jusqu’à la fin des années 1960. Les préceptes de la pédagogie nouvelle des Jonh Dewey, Édouard Claparède et Maria Montessori, qui gagnent du terrain aux États-Unis et en Europe, s’installent plus tardivement au Québec, grâce aux méthodes actives présentent dans les programmes-cadres de 1970 (Gauthier et Tardif 2017, p. 108). L’enseignement de la musique adopte alors des visées plus humanistes en voulant favoriser l’épanouissement des enfants dans toutes leurs dimensions. L’évolution des approches pédagogiques entre 1937 et 2000 pourrait être résumée par cette phrase extraite du programme de 1981 :

Avant 1969, on parlait de la musique ; avec le programme-cadre de 1969, on commença à faire de la musique. […] En 1981, avec le présent programme, on continue à faire de la musique et on accorde une part importante au domaine affectif avec, entre autres, la découverte et l’amélioration de son environnement sonore

Programme 1981b, p. 4, emphases originales

Si le programme de 1981 était humaniste dans ses visées, il était cependant conçu avec une découpe précise du contenu à faire apprendre selon une séquence prédéterminée d’enseignement de la matière à couvrir, dans un esprit tout à fait behavioriste. Le contraste est ainsi très fort avec le Programme de formation de l’école québécoise, qui offre une grande liberté aux enseignants quant aux choix des moyens pédagogiques à mettre en oeuvre et au répertoire à présenter aux élèves. Cependant, ce programme exige en retour une plus grande conceptualisation dans la planification des activités d’apprentissage afin que celles-ci correspondent à la cohérence exigée entre la discipline musicale et les autres éléments constitutifs du programme. En ce sens, l’enseignement de la musique, comme d’autres arts, doit être planifié avec la même rigueur que l’enseignement d’autres matières, témoignant ainsi de son importance. D’ailleurs, la formation des spécialistes de l’enseignement de la musique est en tout point similaire à celle des titulaires de classe, s’échelonnant sur quatre années.

Raisons invoquées pour l’enseignement de la musique

Nous retrouvons les raisons invoquées pour l’enseignement de la musique dans les programmes sous différentes rubriques : « Observations générales » (programmes de 1904 et 1921, dans Anciens programmes 1861-1923, p. 201, et Anciens programmes 1923-1927, p. 109), « Buts » (Programme 1937, p. 52 ; Programme 1942, p. 48), « Avantages » (Programme 1947, p. 71 ; Programme 1959, p. 559), « Introduction » (Programme 1969, p. 5), « La musique à l’école et l’expression musicale à l’école élémentaire » (Programme 1970, p. 5-6), « Objectif global » (Programme 1981a, p. 119) et « Objectifs généraux » (Programme 1981b, p. 123), ou encore « Présentation » (Programme 2001 p. 238). Le tableau 3 synthétise leur évolution selon quatre thématiques argumentaires présentes dans le programme depuis 1904, soit « Développement de l’enfant », « Culture et sens esthétique », « Vie en société », et « Autres impacts ». Nous avons complété ce tableau avec les « Approches pédagogiques préconisées » afin de les mettre en parallèle avec les raisons invoquées. Pour chacune des thématiques, des mots synthèses issus de l’analyse du contenu des programmes permettent de constater l’évolution ou la persistance des justifications invoquées pour l’enseignement de la musique. Les programmes sont identifiés dans les lignes supérieures du tableau. Par souci d’espace, ils sont regroupés selon la nomenclature de Grégoire (1987), mais leur année de publication est indiquée, permettant de se référer aux tableaux 1 ou 2 pour leur nom exact.

Un regard rapide sur le tableau nous permet de constater l’évolution des raisons invoquées pour l’enseignement de la musique. On constate que si certaines ont traversé les décennies, d’autres sont disparues pour laisser place à de nouvelles. Sans surprise, au regard de la mission éducative de l’école ainsi que de la nature même de la discipline, les thématiques « Développement de l’enfant » ainsi que « Culture et sens esthétique » sont invoquées dès 1904 pour justifier la présence (facultative) de la musique dans les programmes : « on se rappellera que le chant et la gymnastique sont de puissants moyens de discipline, de culture physique et esthétique. Et, en conséquence, on tiendra ces exercices en aussi grand honneur que possible » (Anciens programmes 1861-1923, p. 201). Une seule phrase justificative est ajoutée au programme de 1921, mais elle permet de saisir les valeurs présentes dans la « Vie en société » de l’époque et de mettre en contexte les orientations données aux autres thématiques : « L’exécution des chants patriotiques, religieux et autres, pendant la classe ou en dehors, outre l’avantage sérieux d’être un puissant moyen de culture de la langue, met de l’animation et de la vie dans les écoles, et ouvre aux enfants quelques horizons vers le beau et, par suite aussi, vers le bien » (Anciens programmes 1923-1927, p. 109). Saisir sa culture est d’ailleurs rendu possible pour l’élève grâce à la fréquentation d’oeuvres de « notre folklore canadien, nos chansons patriotiques, le chant grégorien et les cantiques en langue vulgaire » (Programme 1937, p. 13) et grâce au « contact avec des oeuvres qui s’inspirent de l’esprit, de l’histoire et des traditions de son pays » (Programme 1947, p. 71). Ainsi, l’apprentissage de la musique permet le développement de la discipline et de la moralité, le beau étant garant du bien, en phase avec les valeurs cardinales de la vie en société de l’époque qui perdureront jusqu’aux programmes provisoires de la fin des années 1960, soit la religion et le patriotisme. En conclusion, le développement de la « Culture et du sens esthétique » par la musique soutient aussi cette mission, car elle permet à chaque enfant de connaître un répertoire favorisant une moralité exemplaire : « C’est enfin, du point de vue religieux et national, de combattre, dès l’école, la pénétration insidieuse, dans nos vies comme dans nos moeurs, de tous ces chants qui se font remarquer surtout par la pauvreté et le mauvais goût de leur inspiration musicale, la grivoiserie et l’immoralité de leur propos » (Programme 1947, p. 74).

Tableau 3

Raisons invoquées pour l’enseignement de la musique dans le système scolaire québécois.

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À travers les sous-catégories de nos quatre thématiques, on peut également constater les impacts de la prise en charge des programmes d’enseignement par le nouveau ministère de l’Éducation (1964), ainsi que des réformes sociales mises de l’avant par le gouvernement de Jean Lesage au début des années 1960. Cette décennie fut d’ailleurs qualifiée par plusieurs de Révolution tranquille, tant les changements sociétaux sont importants. À cet égard, dans la thématique du « Développement de l’enfant », l’autonomie, le sens des responsabilités et le jugement critique remplaceront la discipline et la moralité des premiers programmes. De plus, il est intéressant de constater que des éléments du développement affectif et cognitif sont évoqués brièvement dès 1947 : « L’initiation à la musique à l’école primaire aide au développement de toutes les facultés de l’enfant […] en créant une atmosphère favorable au maintien de son équilibre mental » et en faisant appel « à son attention, sa réflexion, sa mémoire et son raisonnement » (Programme 1947, p. 71). Il faut cependant attendre les premiers programmes de 1969-70 pour que les connaissances issues de la psychologie du développement de l’enfant et les principes de la pédagogie nouvelle qui en découlent soient invoqués : « La pratique de la musique développe l’homme sur tous les plans : affectif, intellectuel, sensoriel, psychomoteur et social » (Programme 1969, p. 5). Ainsi, on remarque que si la maîtrise physique de soi disparaît en 1979, le développement de la personnalité et de l’identité, de la créativité et nommément le développement psychomoteur sont présents depuis 1969.

En ce qui concerne la thématique « Vie en société », les valeurs religieuses (morales) et patriotiques, qui s’expliquent par l’omniprésence du clergé catholique et deux guerres mondiales, laisseront place à un désir d’ouverture pour une intégration à la communauté ou à la société, la collaboration et l’esprit d’équipe, l’ouverture et développement d’une vision personnelle du monde « en vue d’en découvrir la nature et la diversité » (Programme 1981a, p. 4-5). Puis, en phase avec la mondialisation et les échanges migratoires, dans le programme de 2001 c’est le contact avec autrui qui permet à l’enfant de mieux saisir sa propre culture : « Il s’ouvre au monde, en découvre les particularités et la diversité et saisit mieux les éléments de sa propre culture » (Programme 2001, p. 442).

La thématique « Culture et du sens esthétique » reflète, elle aussi, une transformation progressive de la société québécoise. En effet, la fréquentation d’oeuvres spécifiquement choisies pour transmettre des valeurs morales évoluera vers le développement de la sensibilité individuelle, la valorisation d’expériences esthétiques diverses et le développement de l’identité culturelle personnelle. D’ailleurs, le contraste est frappant entre un répertoire d’oeuvres choisies pour « contrer la pénétration insidieuse des musiques populaires » (Programme 1947, p. 74) et l’objectif global du programme primaire de 1981 qui consiste à permettre à l’enfant de « découvrir et d’expérimenter divers genres de musique […]. L’homme vit à une époque où coexistent plusieurs styles de musique : musique concrète, électro-acoustique, folklorique, classique, etc. Il est donc essentiel de changer les habitudes d’écoute et de favoriser une acculturation musicale, c’est-à-dire une assimilation, une intégration de ces divers langages musicaux » (Programme 1981b, p. 119). On voit ainsi apparaître une conception de la musique comme phénomène sonore qui va au-delà des canons du répertoire classique et la volonté d’exposer les élèves de la province à différentes esthétiques.

Nous avons regroupé sous la rubrique « Autres impacts » différents éléments, dont un qui a traversé les époques : l’épanouissement et le plaisir. Les joies que permet la musique sont considérées sous plusieurs angles selon les époques : la musique est vue comme source d’« animation et de la vie dans les écoles » (Anciens programmes 1923-1927, p. 109), de « jouissances esthétiques dont ils goûteront les heureux effets » (Programme 1947, p. 74) ou permettant l’épanouissement grâce à « la possibilité d’une participation intense à la vie » (Programmes 1969, p. 5), ou plus tard permettant l’épanouissement grâce « au plaisir d’être en contact avec la musique » (Programme 1981b, p. 119). Le développement professionnel est abordé pour la première fois en 1947. On y mentionne que la musique « offre à celui qui a des aptitudes naturelles pour la musique l’occasion de se révéler à lui-même, de s’orienter vers la carrière musicale pour contribuer peut-être un jour à la gloire de sa patrie » (Programme 1947, p. 71). Le développement professionnel sera également au coeur de la mise en place d’une nouvelle option dans les programmes-cadres (1969-1980), soit celle de l’Orientation instrumentale. Le souci de préparer les élèves doués à une éventuelle professionnalisation sera présent dans les programmes jusqu’en 2001, bien qu’il ne s’agisse pas de l’objectif principal des programmes des écoles publiques qui visent plutôt l’accès à l’éducation musicale au plus grand nombre.

Le sous-thème de l’amélioration d’autres disciplines est apparu brièvement dans une révision des programmes-cadres de 1970, sans qu’aucune étude soit citée pour appuyer ce propos : « En outre, des expériences contrôlées démontrent que les enfants qui participent régulièrement à des activités musicales bien faites réussissent mieux dans les autres disciplines » (Programme 1970, p. 5). Cette idée est aussi reprise dans une des révisions du programme de 1981 citant Claire McCaughey (1984) : « Il est démontré en effet qu’un bon enseignement musical peut favoriser de meilleurs résultats dans d’autres disciplines » (Programme 1996, p. 5). D’autres bénéfices transdisciplinaires de l’enseignement de la musique sont aussi évoqués. On avance en effet que l’apprentissage de la musique permettrait aux enfants d’améliorer « leur ouverture par rapport à l’innovation, leur flexibilité dans la résolution de problèmes, leur capacité de poursuivre un projet à long terme et leur habileté à apprendre des autres » (ibid., p. 6). Dans le Programme de formation de l’école québécoise, les bénéfices transdisciplinaires sont plutôt privilégiés par le développement de neuf compétences transversales aux différentes matières, telles que « se donner des méthodes de travail efficaces » (Programme 2001, p. 33), par exemple.

Conclusion

Cet article présente l’évolution de la place de l’enseignement de la musique dans les programmes des écoles publiques québécoises. Bien que nous puissions nous réjouir de sa présence dès 1904, il faut cependant reconnaître que le Québec a pendant longtemps accusé un retard face à certaines régions du Canada. En effet, l’enseignement de la musique figurait dès 1846 dans les programmes des écoles publiques du Haut-Canada[10] (région sud de l’Ontario moderne) et il était obligatoire pour tous les niveaux scolaires dès 1871 (Green et Vogan 1991, p. 54). Les provinces maritimes ont aussi intégré l’enseignement de la musique dans les écoles publiques dès cette époque. À cet égard, en 1894 les instances de la Nouvelle-Écosse menaçaient de couper les subventions pour un an aux écoles qui n’offraient pas de cours de musique à tous les élèves (ibid., p. 29). Au Manitoba, l’enseignement du chant est imposé à tous, sur une base quotidienne, dès 1890 (ibid., p. 82), bien que le premier programme détaillé soit apparu seulement en 1928 (ibid., p. 55). Au Québec, il faut aussi noter que l’enseignement de la musique s’est développé beaucoup plus rapidement dans les écoles protestantes anglophones que catholiques francophones, au point que la Commission des écoles catholiques de Montréal nommera un directeur de l’enseignement de la musique pour redresser la situation, le compositeur Claude Champagne, qui siégera de 1934 à 1942 (Green 2006). C’est sous sa gouverne que l’enseignement de la musique devient obligatoire dans la commission scolaire, entre autres avec l’apprentissage du solfège.

L’analyse des programmes et des raisons évoquées pour l’enseignement de la musique au Québec nous permet de saisir les valeurs et les préoccupations qui ont animé le Québec au fil de son histoire. D’une société conservatrice repliée sur ses valeurs religieuses et guidée par un clergé qui imposait jusqu’au style de musique à écouter, nous voyons apparaître le Québec moderne au fil de la prise en charge des institutions et du système d’éducation par le gouvernement de Jean Lesage de 1960 à 1966. Des évènements tels que l’Exposition universelle de 1967 ou les Jeux olympiques de 1976, qui ont eu lieu à Montréal, ont permis à la population francophone de prendre conscience du monde et de sa richesse, mais aussi du besoin de former les citoyens québécois ouverts à la diversité dans un monde d’échanges économiques et culturels mondialisés. Les raisons évoquées pour l’enseignement de la musique relativement aux thématiques « La vie en société » et « Culture et sens esthétique » des programmes habiletés de 1981 et du programme de 2001 en font foi.

Le retard dans l’implantation de l’enseignement de la musique dans les programmes scolaires du Québec semble rattrapé et la situation actuelle pourrait être considérée comme avantageuse. En effet, la discipline musique fait partie du Programme de formation de l’école québécoise, à travers le Domaine des arts, et bénéficiant de la même attention que celle portée aux autres matières avec des documents prescriptifs officiels. Ces derniers encadrent les contenus de formation, la progression des apprentissages, proposent un cadre d’évaluation ainsi qu’un nombre d’heures qui est imparti tant pour les nouveaux primaires et secondaires. De plus, l’enseignement de la musique est généralement dispensé par des spécialistes musiciens possédant une formation de quatre années universitaires, aussi approfondie que celle offerte aux titulaires de classe des écoles primaires ou aux enseignants des matières comme le français ou les mathématiques, au secondaire. Les derniers chiffres disponibles de l’Institut de la statistique du Québec nous indiquent que 1575 spécialistes au primaire et 593 spécialistes au secondaire pour un total de 2168 enseignants de musique étaient à l’emploi des écoles pour l’année 2019-2020.

Si nous reprenons la comparaison avec l’Ontario, dans cette province, l’enseignement des arts est aussi obligatoire et guidé par un programme qui en définit le contenu. Cependant le manque de ressources enseignantes rend difficile la réelle mise en application du programme de musique particulièrement dans les régions loin du grand Toronto (Gallagher-Mackay 2013). Les arts semblent aussi moins valorisés au secondaire alors que les élèves doivent obtenir un seul crédit, soit l’équivalent de 110 heures pour toute la durée de leurs études (Programme Ontario 2016). S’ajoute à cette situation une formation des enseignants de musique non standardisée, oscillant entre deux crédits de cours en musique ou une formation sur plusieurs années, selon les programmes et les Universités (Willinghan et Cutler 2007, p. 10).

Si en comparaison la situation actuelle semble avantageuse pour l’enseignement de la musique dans les écoles du Québec qui est valorisé dans les programmes, il ne faut pas occulter les problèmes rencontrés sur le terrain. En effet, les conditions de travail des spécialistes de musique sont parfois difficiles. Ils doivent se battre pour maintenir les cours de musique dans les écoles, faire respecter le nombre d’heures imparties à la discipline, obtenir un local et de l’équipement ou enseigner dans plusieurs écoles primaires pour obtenir une tache pleine (Peters et Lemieux 2012 ; Bellemare et Lafortune 2018). Ainsi, l’enseignement de la musique au Québec rencontre les mêmes difficultés qu’en Ontario quant au financement et au respect de sa place au sein du curriculum scolaire, auquel s’ajoute une pénurie de main-d’oeuvre poussant un grand nombre d’écoles à embaucher des enseignants de musique non légalement qualifiés.

Avant de conclure, il nous apparaît important de reconnaître la contribution des congrégations religieuses enseignantes francophones à la formation des musiciens éducateurs au Québec. À Montréal, par exemple, elles ont intégré l’enseignement de la musique à la formation générale des futurs enseignants, notamment à l’École normale Jacques-Cartier, dès la seconde partie du xixe siècle. De plus, il faut se rappeler que de l’École normale Jacques-Cartier naîtra l’École normale de musique de l’Institut pédagogique (1926-1976) fondée par les Soeurs de la Congrégation Notre-Dame, qui a diplômé de nombreux musiciens éducateurs de la région de Montréal. Cette école sera par la suite au coeur du développement de la pédagogie musicale au Québec en misant sur les pédagogies actives et en assumant la formation des musiciens éducateurs avant que celle-ci ne soit prise en charge par le module de musique, futur Département de musique, de l’Université du Québec à Montréal (Corneille 2011).

Dans cette étude, nous avons choisi de nous concentrer sur les programmes provinciaux du système scolaire francophone public, délaissant ainsi d’autres avenues de recherche. Comme nous l’avons exposé précédemment, avant la fondation du ministère de l’Éducation en 1964, les communautés religieuses catholiques francophones, d’une part, et protestantes anglophones d’autre part, agissaient indépendamment tout en étant au coeur du système scolaire québécois. On sait qu’il y a eu des différences notables dans la formation musicale offerte aux enfants québécois sur une base linguistique, religieuse et, au final, culturelle. Il serait impératif qu’une étude comparative des programmes d’études offerts aux écoliers francophones et anglophones avant 1964 se penche sur l’enseignement de la musique. Nous avons choisi de ne pas étudier les écoles à vocation musicale, les programmes arts-études et autres projets particuliers qui ont fait et font toujours l’objet d’ententes individuelles avec le ministère de l’Éducation afin de permettre un enseignement enrichi de la musique grâce à plusieurs heures additionnelles à celles figurant aux programmes. Une étude pourrait s’y consacrer exclusivement et nous donnerait de précieuses informations. Aussi, nous encourageons les chercheurs à s’intéresser à la formation des musiciens enseignants, l’évolution du contenu des programmes et des styles musicaux qui y sont représentés ainsi que la présence des artistes à l’école.