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Existe-t-il une « différence » québécoise dans le traitement réservé aux peuples autochtones? Sans répondre explicitement à cette question, cet essai biographique de feu David Cliche permet certainement d’alimenter et d’enrichir le débat à ce sujet. Fier Beauceron, David Cliche a été négociateur pour le Grand Conseil des Cris, puis pour le gouvernement du Canada, avant de se lancer en politique sous la bannière du Parti québécois. Élu en 1994, il occupera diverses responsabilités ministérielles, mais il sera surtout responsable du dossier autochtone sous Jacques Parizeau lors du référendum de 1995. C’est principalement au récit de ces années charnières que s’attarde David Cliche dans son ouvrage.

À partir de documents d’archives et de ses souvenirs personnels, l’auteur pose un regard parfois candide, souvent nuancé et toujours sincère sur plusieurs évènements marquants des années 1990 dont il fut un acteur important. En onze chapitres courts, écrits dans un style direct à la première personne, Cliche aborde notamment les relations parfois tendues avec les Mohawks à la suite de la crise d’Oka, le conflit entourant le projet hydroélectrique de Grande-Baleine ou encore les tractations entourant la réception internationale des résultats du référendum de 1995. Tout au long de l’ouvrage, il montre bien l’importance stratégique du « dossier autochtone » pour les gouvernements du Parti québécois sous Jacques Parizeau, puis Lucien Bouchard. Ces derniers l’ont en effet bien compris : la souveraineté du Québec, si elle passe par la reconnaissance internationale, dépend aussi de la bonne entente avec les nations autochtones. Une forte opposition de ces dernières, à qui on ne saurait nier le droit à l’autodétermination, risquerait d’entacher la légitimité du projet souverainiste aux yeux des Américains et des Européens. C’est donc à David Cliche que sera confié le délicat mandat d’atténuer les conflits avec les peuples autochtones, tout en réaffirmant du même souffle la pleine et entière souveraineté du Québec sur son territoire.

Ce jeu d’équilibre entre une réelle volonté d’ouverture envers les premiers peuples et le projet d’affirmation nationale québécois constitue la trame narrative de l’ouvrage. Comme le souligne feu Max Gros-Louis dans la préface qu’il signe, Cliche était un ami des autochtones, mais un ami qui pouvait aussi parfois se révéler un adversaire coriace. L’auteur manifeste en effet tout au long de l’ouvrage une sympathie évidente pour les Premières Nations. Cependant, l’ouverture s’arrête là où commencent les intérêts de la nation québécoise, et tout particulièrement son intégrité territoriale. Le titre de l’ouvrage traduit d’ailleurs assez bien la position de l’auteur à ce sujet. Pour Cliche, si le dialogue est nécessaire, il n’est pas question de reconnaitre l’autorité des Peacekeepers Mohawks comme corps de police qui ne relèverait pas de Québec. Il ne peut davantage envisager un règlement des revendications territoriales des Innus sans que ceux-ci renoncent à leurs droits ancestraux.

La lecture de cet ouvrage nous rappelle en fait à quel point les relations entre l’État québécois et les peuples autochtones au tournant du 21e siècle sont marquées par de nombreuses crises, mais aussi par des avancées incontestables. L’effervescence politique de l’époque crée un climat propice au dialogue « de nation à nation » et certaines communautés autochtones sauront en tirer profit. Si elle existe, c’est sans doute là que se situe cette différence québécoise dans ses relations avec les peuples autochtones. Ce n’est pas tant par élan de générosité que le gouvernement du Québec agit que parce qu’il n’a guère le choix dans le contexte de l’époque.

L’ouvrage est particulièrement éclairant à ce sujet lorsque sont relatés les échanges de l’auteur avec l’ancien Premier ministre Jacques Parizeau concernant le projet Grande-Baleine. Pour Cliche, c’est bien parce que les Cris ont « gagné la bataille de l’opinion » et risquent d’entacher durablement l’image du Québec aux États-Unis que le projet Grande-Baleine doit être abandonné. Si d’autres considérations ont certainement joué, il ne fait pas de doute pour ce dernier que la campagne internationale des Cris contre le mégaprojet hydroélectrique constituait une épine au pied du gouvernement péquiste à la veille du référendum de 1995. Le gouvernement n’avait en quelque sorte pas le choix.

On ne peut, enfin, s’empêcher de comparer l’effervescence de l’époque, relatée avec brio dans ce petit ouvrage, avec la situation actuelle. Alors qu’ailleurs au Canada le « fait colonial » est désormais abordé de front, le gouvernement du Québec reste en quelque sorte campé dans ses vieilles ornières. François Legault continue de nier l’existence même de racisme systémique au Québec et reste empêtré dans un discours dépassé sur la souveraineté absolue de l’Assemblée nationale. Il serait peut-être temps de passer à autre chose. Un véritable dialogue sur la mise en oeuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones serait sans doute une première étape en ce sens.