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Présentations

Geneviève Piérart est professeure en travail social à la Haute école en travail social de Fribourg (Suisse). Du fait de sa double formation en anthropologie et en éducation spécialisée, elle s’intéresse aux questions de handicap abordées particulièrement dans une perspective interculturelle. Ses travaux de recherche portent principalement sur la situation des familles migrantes ayant des enfants en situation de handicap. Elle a également mené plusieurs études dans le domaine de la surdité, abordée dans une perspective socio-anthropologique. En contribuant à différents projets internationaux, elle s’inscrit dans le développement d’une perspective comparative des dispositifs et des politiques sociales du champ du handicap, permettant d’articuler la compréhension des expériences vécues par les personnes concernées et par leurs proches avec l’analyse des contextes sociétaux dans lesquels ces expériences s’inscrivent. Dans ses travaux, elle mobilise notamment les récits de vie comme support à la mise en mot de ces expériences.

Alida Gulfi, docteure en science de l’éducation de l’Université de Fribourg, est professeure à la Haute école en travail social de Fribourg (Suisse). Ses intérêts scientifiques portent principalement sur la collaboration interprofessionnelle (travailleurs sociaux, enseignants, professionnels de la santé), notamment dans le champ du handicap, ainsi que sur la transition entre la formation et l’entrée dans le monde du travail (enseignants, travailleurs sociaux). Elle a également été impliquée dans plusieurs projets internationaux sur le rapport à la différence (culture, handicap) en contexte de formation et dans la pratique professionnelle des travailleurs sociaux.

Elena Albertini-Früh est professeure associée à OsloMet – Oslo Metropolitan University (Faculty of Health Sciences, Department of Nursing and Health Promotion) à Oslo. Elle a une formation en soins infirmiers et une spécialisation dans les soins à l’enfant. Elle a travaillé, entre autres, dans le suivi des familles avec des enfants avec des maladies chroniques ou à besoins spéciaux, en particulier avec des enfants avec des maladies neurologiques. Ses domaines de recherche sont la qualité de vie des familles immigrées et non immigrées ayant des enfants avec des maladies chroniques ou à besoins spéciaux ainsi que leur capacité d’accès aux soutiens socio-sanitaires disponibles en Norvège.

L’accompagnement des familles migrantes ayant un enfant en situation de handicap, un objet au croisement d’approches théoriques

Vous exercez dans des champs professionnels différents, mais qui participent avec d’autres espaces à la définition des notions comme le handicap et l’interculturalité. Partagez-vous un ou des cadres théoriques de référence en santé et en travail social ? Si oui, en quoi vous permettent-ils d’éclairer la mise en relation des notions de handicap et d’interculturalité ?

Elena A.-F. Dans le courant des disability studies, l’attention habituellement accordée aux déficiences est remise en question : l’accent est mis sur les conséquences sociales du handicap, c’est-à-dire les problèmes rencontrés par les personnes en situation de handicap au sein de la société dans laquelle elles vivent. Il ne s’agit plus d’étudier les déficiences, mais les conditions ou pratiques sociales qui produisent le handicap, envisagé ici comme une construction sociale, et l’exclusion des personnes, et qui expliquent l’échec de la société à prendre en compte les besoins de ces personnes. Ces recherches visent aussi à accroître le pouvoir des personnes sur leur propre vie. Trois principes fondamentaux des disability studies sont en lien avec notre propos. Premièrement, elles s’inscrivent dans une perspective cross-disability, qui implique de ne plus tenir compte des différents types de déficiences, et donc de ne plus mener de recherches sur un type de déficiences en particulier. Deuxièmement, le savoir résulte de la co-construction des expériences de personnes ayant différents degrés d’expertise dans la thématique, notamment les personnes en situation de handicap, mais aussi les proches, les intervenants et les chercheurs. Enfin, elles s’inscrivent dans une perspective interdisciplinaire dans le but d’accéder à une vision holistique des situations de handicap.

Geneviève P. L’approche des disability studies paraît pertinente en ce qu’elle intère la question des conditions sociales créant des inégalités ainsi que leur impact sur le quotidien des familles. On retrouve ce même objectif dans le courant de l’hyperdiversité (superdiversity), qui remet en question la pertinence d’étudier les populations migrantes en les classant par appartenance ethnique ou pays d’origine. En effet, le focus sur l’origine rend insuffisamment compte de la diversité présente au sein des groupes ainsi désignés : les conditions de vie des individus qui les composent peuvent varier notablement selon, notamment, leur statut migratoire, leur niveau d’éducation, leur position sur le marché de l’emploi, leur âge, leur genre, leur lieu de vie et selon les opportunités offertes par les services et la population locaux. Lorsque les recherches portent sur les enfants de migrants, la complexité s’accroît. À la diversité susceptible de caractériser la situation des parents migrants (couples transnationaux, couples regroupant un parent migrant et un parent non migrant, couples comprenant un parent migrant de première génération et un parent migrant de deuxième génération, etc.) vient s’ajouter celle des trajectoires des jeunes (nés dans le pays d’accueil, arrivés alors qu’ils étaient enfants, etc.). Le fait de se centrer sur des groupes spécifiques d’enfants de migrants a pu conduire à confondre la variable « origine » avec les variables socio-économiques qui sont fortement influencées par les politiques migratoires des pays d’accueil.

Alida G. L’approche intersectionnelle permet d’aller encore plus loin dans l’analyse des situations en s’intéressant aux rapports sociaux de domination et de discrimination situés à l’intersection de différentes catégories sociales : elle s’inscrit dans une démarche à la fois scientifique et socio-politique. Initialement développée à la faveur d’une lecture critique des constructions sociales de genre et de race dans les années 1990, l’approche intersectionnelle est mobilisée depuis quelques années maintenant pour étudier d’autres croisements de catégories sociales, dont celui du handicap et de la migration. L’adoption d’une telle perspective permet de saisir l’hétérogénéité des facteurs en lien avec le handicap et la migration. Cette hétérogénéité est renforcée par la multiplicité des acteurs mobilisés autour du jeune, de l’enfant ou de l’adulte en situation de handicap (professionnels de plusieurs disciplines, différents membres de la famille, autres acteurs issus du réseau local de soutien). Le concept d’intersectionnalité permet aussi bien d’identifier les effets de différentes inégalités sociales que les conséquences de l’interaction entre ces catégories.

Vous participez chacune dans vos espaces au questionnement sur l’accompagnement des familles migrantes ayant un enfant dit « en situation de handicap » (en Suisse) ou à besoins spéciaux (en Norvège, quand on traduit barn med spesielle helsebehov). Dans d’autres pays comme la France, on parle d’« enfant à besoins éducatifs particuliers ». Quels sont pour vous les principaux résultats similaires qu’il faut retenir des recherches menées sur l’accompagnement des familles migrantes dont un enfant est en situation de handicap ?

Elena A.-F. Les résultats de ces recherches, généralement centrées sur un périmètre défini (pays, région, communauté migrante spécifique, type de besoins de l’enfant) aboutissent à des constats relativement similaires. D’une part, les enfants concernés et leurs parents rencontrent des difficultés d’accès aux services, en particulier par manque d’accès à l’information sur les ressources existantes, par manque de compétences à mobiliser ces ressources, en raison de problèmes de communication ou à cause de situations de précarité socio-économique. D’autre part, les relations des familles avec les intervenants des services sociaux, éducatifs, de santé ou de réadaptation peuvent s’avérer conflictuelles en raison de divergences de perception du handicap ou de sa prise en charge. La survenue du handicap entraîne également des remaniements importants des relations au sein de la famille et, parfois, de la communauté. Enfin, les intervenants peuvent se sentir peu outillés pour accompagner les différentes familles immigrées.

Alida G. Au-delà de ces constats, il existe actuellement peu de données sur la manière dont ces résultats sont pris en compte dans l’accompagnement des familles ou dans les réponses socio-politiques aux problématiques sociales articulant handicap et migration. Quelques articles relatent l’implémentation de bonnes pratiques. Par exemple, la communication entre les familles migrantes d’enfants d’âge préscolaire et les intervenants en réadaptation est favorisée par 1) la compétence culturelle des intervenants, 2) le recours aux interprètes et à des supports de communication diversifiés, 3) l’organisation d’une information accessible de la part des services, 4) le développement de ressources spécifiques (par exemple les parents pairs) et 5) le développement de formations à la compétence culturelle pour les intervenants. Une recherche-action que nous avons menée en Suisse, dans laquelle nous avons proposé des ateliers pour les familles et des intervisions pour les professionnels, a mis en évidence l’importance de la mobilisation des savoirs expérientiels pour améliorer la collaboration entre les familles et les intervenants.

Geneviève P. L’étude de l’amélioration des pratiques d’accompagnement de ces familles a mis en lumière plusieurs stratégies intéressantes, mais leur transférabilité ou comparabilité à d’autres pays ou situations reste difficile en raison des éléments spécifiques à chaque contexte. Les recherches qui se sont intéressées aux familles d’enfants à besoins spéciaux s’inscrivent dans différents champs professionnels (santé, éducation, travail social, réadaptation), concernent des familles d’origines variées (parfois spécifiées, parfois non) et des enfants présentant des déficiences et incapacités diverses (déficience intellectuelle ou motrice, troubles du spectre de l’autisme, surdité), parfois regroupés sous des appellations génériques telles que « en situation de handicap » ou « avec des besoins spéciaux ». L’âge des enfants concernés peut également varier, allant de la petite enfance à la transition à l’âge adulte. Finalement, certains travaux s’intéressent à la famille dans son ensemble, alors que d’autres sont centrés sur l’enfant lui-même, les parents, voire uniquement les mères.

Approche, perspective ou objet : quels apports de la recherche comparée pour étudier les situations de handicap ?

Vous évoquiez précédemment une diversité de pratiques d’accompagnement selon les pays, l’âge ou les situations de handicap. Alors dans quelle mesure ces modèles de pratiques peuvent-il être comparés ? Pourquoi devrions-nous les comparer et dans quel but ?

Alida G. La recherche comparative contribue à mettre en évidence les mécanismes communs dans la prise en compte d’une situation par des institutions et des États différents. Comparer des aires géographiques plutôt que des groupes permet de révéler les composantes structurelles propres à chacune. La Convention internationale des droits des personnes handicapées promeut elle-même ce monitoring par comparaison, à partir soit de données quantitatives soit de données qualitatives. Dans notre domaine d’étude, les recherches quantitatives ont toute leur importance en ce qu’elles mettent en évidence le caractère invisible de la double réalité du handicap et de la migration, ainsi que l’impact des politiques publiques sur la situation des personnes concernées. Mais il est également nécessaire d’introduire d’autres paradigmes, qualitatifs, dans le but de susciter de réels changements dans les pratiques d’intervention. Des recherches mobilisant des méthodes qualitatives ont permis de faire émerger l’articulation entre le vécu des familles, les conditions structurelles existant dans leur pays d’accueil et les contextes relationnels entre ces familles et les intervenants.

Elena A.-F. Les recherches comparatives permettent d’identifier certains mécanismes sociaux émergeant dans des contextes diversifiés mais qui conservent leur propre singularité. Certains phénomènes, qui peuvent à priori sembler exceptionnels, apparaissent ainsi comme récurrents. Les démarches comparatives sont utiles à l’étude des politiques publiques, en ce qu’elles favorisent la confrontation de modèles ou dispositifs existant dans plusieurs espaces et l’analyse de la manière dont les acteurs et les populations se les approprient. La recherche comparative s’inscrit pleinement dans la démarche de déconstruction des catégories encouragée par les courants théoriques évoqués ci-dessus, en ce qu’elle révèle qu’une même terminologie peut désigner des réalités différentes et inversement, rendant nécessaire l’explicitation des catégories utilisées. Dans ce même ordre d’idées, afin d’éviter la réification des comparaisons, elle invite à comparer les relations des acteurs aux institutions plutôt que de comparer les types d’acteurs entre eux.

Geneviève P. Pour que des recherches soient comparables, il apparaît qu’il n’est pas nécessaire de définir des groupes spécifiques en fonction de l’origine des familles ou des types de besoins des enfants, mais qu’une analyse des dispositifs propres à chaque périmètre étudié ainsi qu’une clarification des référentiels mobilisés par la recherche sont indispensables. En même temps, il est pertinent et utile de croiser les perspectives en sollicitant une diversité de participants dans une perspective interdisciplinaire, de façon à tenir compte de la complexité des situations. Les enjeux identitaires et les représentations des participants sont des éléments centraux de la prise en compte des vécus des populations étudiées. L’articulation de tous ces éléments favorise ainsi la comparabilité des stratégies développées par les professionnels et des ressources mobilisées par les familles pour faire face aux inégalités. L’intérêt des recherches qualitatives comparatives est de pouvoir s’intéresser au sens que les parents attribuent aux expériences vécues, car c’est l’interprétation que les parents font de ces expériences qui est déterminante dans leur processus d’adaptation au handicap et à la migration.

Je vais rebondir sur votre constat précédent d’une très grande diversité de catégorisations des publics quand on croise handicap et migration. Quels sont les apports de la recherche interculturelle pour étudier les situations de handicap ? Est-ce que cela n’engendre pas encore plus de complexité ?

Elena A.-F. Dans les travaux internationaux portant sur l’accompagnement des familles dont un enfant a des besoins spéciaux, la dimension culturelle est rarement évoquée par les parents comme problématique. Ceux-ci estiment qu’il est fondamental que l’enfant reçoive les soutiens nécessaires et soit intégré, mais face aux obstacles linguistiques et à leur manque de connaissance du système de prestations, ils se sentent impuissants. Ils dépensent beaucoup d’énergie pour qu’un accompagnement adéquat soit fourni à leur enfant, mais ils sont confrontés à des désavantages structurels qui limitent la participation sociale de l’enfant. L’approche interculturelle tout comme l’approche intersectionnelle contribuent à l’analyse à plusieurs niveaux (structurel, relationnel et identitaire) des manières dont les pratiques sociales émergent et comment elles génèrent et modifient les identités. Cette approche permet également de remettre en question la vision hégémonique du handicap portée par les institutions : les familles migrantes ne sont plus considérées comme inadaptées au système, c’est ce dernier qui est envisagé comme le fruit d’une construction socio-historique qui peut (et doit) évoluer.

Alida G. Les recherches interculturelles permettent de penser au-delà des catégories. Avec le développement des recherches émancipatoires – notamment les disability studies, des travaux sur l’hyperdiversité et des approches intersectionnelles – les catégorisations traditionnelles des sujets de recherche sont de plus en plus remises en question. Ainsi, dans le champ de la migration, le fait de s’intéresser à des groupes culturels précis est critiqué, de même que dans le champ du handicap où le fait de cibler des types de déficiences ou d’incapacités spécifiques est considéré comme une forme de stigmatisation des personnes concernées. Les participants à ces recherches tendent eux-mêmes à se distancier de ces catégorisations qu’ils vivent comme discriminatoires. L’apport de l’interculturel est de réfléchir et faire réfléchir les professionnels sur les processus de désignation et les incidents interculturels qu’ils peuvent générer dans le cadre de leur travail avec les familles migrantes dont un enfant est en situation de handicap.

Geneviève P. Pour ma part, j’utilise le modèle interculturel écosystémique : il permet d’identifier les aspects positifs de l’imbrication des rapports sociaux. Inspiré des travaux de recherche en interculturel, il permet une analyse des relations entre familles migrantes et intervenants en prenant en compte les différentes composantes de leurs identités respectives (par exemple le niveau d’éducation, l’origine, le statut migratoire, l’âge, le genre, les valeurs), le contexte global dans lequel ces identités sont en interaction (notamment les inégalités structurelles qui influencent la position de l’intervenant, susceptibles de le situer dans un rapport de pouvoir vis-à-vis des familles) et l’historicité de ces rapports, qu’elle soit microsociale (trajectoire de migration, histoire de vie, etc.) ou macrosociale (flux migratoires, relations historiques entre les pays impliqués. etc.). De nature situationnelle et interactionniste (on part de l’observation de situations de relations entre familles et intervenants), ce modèle présente l’avantage de porter sur les trois domaines de l’approche intersectionnelle (structurel, représentationnel et identitaire).

Avancées et limites épistémologiques des théories et méthodologies mobilisées

En plus de travaux menés spécifiquement sur la Suisse ou la Norvège, vous tentez d’articuler ensemble vos études dans le cadre d’une démarche comparative. Quels constats tirez-vous de ce travail conjoint ?

Alida G. Lorsque l’on mène des recherches comparatives, la tendance est de constituer des échantillons le plus homogènes possible afin de garantir la comparabilité des résultats. Cela semble contradictoire avec la remise en question de l’utilisation de catégories préconstruites telle que nous l’avons présentée précédemment. Le défi est d’autant plus important dans les recherches qualitatives, où les échantillons, de taille plus restreinte que dans les recherches quantitatives, présentent souvent une plus grande variabilité interne. Il peut sembler également plus compliqué de comparer des variables qualitatives car celles-ci sont parfois issues du processus d’analyse et non pas prédéfinies comme dans la recherche quantitative. De plus, l’implication du chercheur est moins circonscrite dans la conduite de la collecte des données que dans une démarche quantitative, ce qui peut limiter la comparabilité des résultats obtenus. Si les comparaisons dans les recherches qualitatives s’avèrent pertinentes et éclairantes, elles exigent néanmoins une attention aux détails et une rigueur importante au sein des processus analytiques. Les chercheurs qualitatifs peuvent aussi parfois envisager de faire des comparaisons en sélectionnant un groupe de participants très diversifié : dans cette optique, les cas contrastés favorisent la mise en évidence de points communs entre les différents périmètres étudiés.

Elena A.-F. Lors d’une démarche de comparaison à posteriori dans laquelle nous avons mis en perspective la situation de familles migrantes d’enfants à besoins spéciaux en Suisse et en Norvège, nous avons relevé plusieurs résultats similaires ainsi que des différences. Par exemple, les besoins formulés par les parents étaient semblables alors que les stratégies de soutien proposées dans chaque pays variaient. En fait, la Suisse et la Norvège sont des sociétés d’immigration au sein desquelles les politiques d’intégration et de naturalisation varient. L’histoire de l’immigration des deux pays est également différente et influence les caractéristiques des populations migrantes qui y séjournent en termes d’origine, de temps de résidence, d’expérience d’intégration ainsi que de connaissance et d’utilisation des systèmes socio-sanitaires locaux. De plus, le recrutement des participants a été effectué au sein de services différents (éducatifs en Suisse et sanitaires en Norvège), mais cette différence a été réduite par le fait que les parents étaient interrogés sur l’ensemble des services dont leur enfant et eux-mêmes bénéficiaient.

Geneviève P. En fait, l’un des principaux écueils pour conduire un travail comparatif repose sur la clarification des référentiels mobilisés par les acteurs de chacun des systèmes nationaux, mais aussi par les acteurs conduisant la recherche (tels que « familles migrantes », « enfants à besoins spéciaux »). Cette clarification permet de limiter le risque de comparer des réalités intrinsèquement différentes et de tenir compte des différences constatées. La sollicitation de la participation des familles, qui passe souvent par les services en contact avec elles, peut introduire un biais de sélection en excluant les familles les plus isolées. Les défis liés à la mobilisation de traducteurs dans la recherche sont importants en raison des enjeux sociolinguistiques liés au concept de handicap. La production des savoirs elle-même peut induire ou refléter des rapports de domination, notamment lorsque les disciplines qui portent traditionnellement la recherche dans le champ du handicap (sciences infirmières, sciences de l’éducation, travail social, réadaptation) imposent leur propre représentation du handicap. Dans ce cadre, le modèle interculturel écosystémique, aussi peu opérationnel soit-il, permet d’identifier les aspects positifs de l’imbrication des rapports sociaux, alors que l’approche intersectionnelle, de même que celles des disability studies et de l’hyperdiversité, sont essentiellement centrées sur la mise en évidence des inégalités sociales. Le handicap envisagé dans une perspective de contacts de cultures et d’élaboration d’un espace de sens commun participe alors tant de la révélation des inégalités que du développement d’une certaine forme de vivre-ensemble, dont d’autres secteurs de la vie sociale peuvent s’inspirer.

Merci beaucoup pour ces échanges passionnants où vous nous avez fait généreusement partager vos réflexions sur l’intérêt et la difficulté de mettre en lien des notions comme le handicap, l’interculturalité, l’intersectionnalité et l’hyperdiversité qui, prises isolément, sont certes intéressantes mais qui, mises en lien, peuvent permettre de mieux rendre compte, expliquer et accompagner des situations de vie pluridimensionnelles comme peuvent le vivre des familles migrantes ayant un enfant en situation de handicap dans leurs relations intrafamiliales, mais aussi avec les professionnels avec qui sont en relation.