Corps de l’article

Introduction

En mai 2019 fut organisé pour la première fois dans le cadre du congrès annuel de l’ACFAS un colloque visant à mettre de l’avant les nouvelles connaissances sur les réalités multiples des personnes LGBTQ+ migrantes, ethnicisées et racisées. L’objectif marqué de ce colloque est alors de créer « un espace d’échanges entre chercheur·e·s, étudiant·e·s et intervenant·e·s des milieux communautaires pour débattre des enjeux liés aux intersections des sexualités, des migrations et des diversités ethnoculturelles » (Chbat, Lee et Chamberland, 2019, § 2). Les échanges lors de ce colloque ont soulevé plusieurs tensions entre les milieux universitaires et les milieux communautaires quant à l’implication des personnes concernées dans la construction des savoirs sur les personnes LGBTQ+ migrantes. Trop souvent, les personnes concernées ne sont pas incluses dans les lieux de pouvoir où les décisions sont prises et où les connaissances sont produites. Les débats qui ont eu lieu révèlent l’importance de la célèbre formule « Rien sur nous sans nous » (« Nothing About Us Without Us »).

Les différentes communications orales lors de ce colloque ont souligné l’apport des milieux communautaires dans la recherche sur les personnes LGBTQ+ migrantes, notamment à travers la recherche communautaire. Cette dernière permet de favoriser une « démarche de collaboration » pour que les chercheur·e·s et les acteurs et actrices communautaires puissent mettre en oeuvre « ensemble une recherche guidée par les besoins des groupes concernés et [qui] vis[e] la transformation sociale » (Demange, Henry, Bekelynck et Préau, 2012, p. 18). Ainsi, elle permet de s’assurer que les recherches répondent aux besoins réels des communautés concernées en favorisant leur implication dans l’ensemble des étapes d’un projet de recherche. Ces bonnes intentions ne sont pas dénuées de limites. En effet, plusieurs communications orales et une table ronde lors du colloque ont souligné les défis méthodologiques et éthiques associés au déroulement de la recherche communautaire, enjeux que nous souhaitons exposer ici.

Cet article est élaboré à partir d’un processus d’autoréflexion de plusieurs acteurs et actrices de « terrain » (membres soutenu·e·s, membres du conseil d’administration, membres de l’équipe de soutien et employé·e·s) impliqué·e·s dans une recherche communautaire menée en collaboration avec l’organisme communautaire AGIR (Action LGBTQ avec les immigrant·e·s et les réfugié·e·s). Cette recherche avait pour objectif d’évaluer la structure organisationnelle d’AGIR et ses activités de soutien. À travers une démarche méthodologique dite de la table ronde, nous visons ici à explorer les points de vue de chacun·e, afin d’approfondir les connaissances sur les défis méthodologiques et éthiques entourant la recherche communautaire auprès des personnes LGBTQ+ migrantes.

Contexte et recension des écrits

L’émergence des théories queer, trans et critical race ces dernières décennies ont poussé les chercheur·e·s à se tourner vers des thèmes de recherche jusqu’ici délaissés par les sciences sociales, et notamment à s’intéresser aux enjeux qui touchent spécifiquement les groupes marginalisés, comme les personnes LGBTQ+ et les personnes racisées ou encore celles à l’intersection de ces deux groupes (Chávez, 2010 ; Chbat, 2017; Irazábal et Huerta, 2016; Lee et Brotman, 2015; Lee et Miller, 2014; Luibhéid, 2008). Dès lors se pose la question de la manière dont il convient de mener ces recherches sur ces groupes et sur les problématiques qui les concernent (Bhopal, 2010; Bhopal et Deuchar, 2015; Finney et Rishbeth, 2006; Phoenix, 2001). Longtemps hors d’atteinte, attaché·e·s à une certaine vision de l'objectivité scientifique et à leur positionnement académique, les universitaires ont progressivement accepté les critiques, d’abord formulées par les milieux communautaires et de plus en plus au sein des universités, sur leur capacité à mener des recherches sur les groupes marginalisés et ils ont repensé leurs démarches méthodologiques, épistémologiques et éthiques (Atkins, 2013; Lee 2017; Ormond, Cram et Carter 2006). L’une des questions de fond, que nous abordons plus loin dans le texte, est : dans quelle mesure des chercheur·e·s majoritairement blanc·he·s et privilégié·e·s par leur position académique peuvent-ils comprendre les spécificités, les parcours et les expériences propres aux groupes marginalisés?

Au début des années 1990, la théoricienne Linda Alcoff (1991) traite de cette problématique, qu’elle nomme le « problème de parler pour les autres ». Elle soutient ainsi que les ethnographies et autres expériences « sur le terrain », des méthodes couramment utilisées par les chercheur·e·s en sciences sociales pour développer leurs analyses, sont à priori « régressives » (Alcoff, 1991, p. 6). Deux prémisses sont à l’origine d’une telle affirmation : d’une part, la prémisse que le positionnement du chercheur·e· (sa situation sociale et son identité sociale) influence épistémologiquement le contenu et le sens de son analyse et, d’autre part, la prémisse qu’en tant que personne privilégiée, parler au nom d’une personne moins privilégiée renforce l’oppression subie par le groupe au nom duquel elle parle.

Ces réflexions sont à l’origine de tout un courant de littérature, notamment porté par des chercheures et féministes noires, qui s’organise autour de la dichotomie insider/outsider et qui remet en question la légitimité du savoir produit sur les groupes marginalisés par des personnes privilégiées (Collins, 1986 et 1999; Hellawell, 2006; Kauffman, 1994; Naples, 2003). Si certaines ont argué qu’il valait mieux, pour produire une recherche légitime, être un insider, c’est-à-dire partager une identité, des caractéristiques et des expériences communes avec ses participantes, d’autres, au contraire, ont soutenu que la position d’outsider est à favoriser pour agir en tant qu’observatrice distante et objective (Becker, 1967; Dwyer et Buckle, 2009).

Très vite, ces théoriciennes ont complexifié la dichotomie insider/outsider en montrant que chaque individu, du fait de l’intersectionnalité de ses caractéristiques identitaires, est généralement dans une position multisituée et mouvante, à la fois en marge et au centre, et que de ce fait il est très difficile de s’auto-identifier en tant qu’insider ou outsider (Breen, 2007; Carling, Erdal et Ezzati, 2014; Caron, Lee et Sansfaçon, 2020; Yacob-Haliso 2018). C’est ainsi que, par exemple, Patricia Hill Collins développe la notion d’« outsider within » (1986, 1999 et 2016), reprise par plusieurs chercheures (Harrison, 2008; Martin, 1994; Watts, 2006), pour exprimer comment les chercheures féministes noires ont utilisé à la fois leur position de marginalité dans le milieu académique et de privilège au sein des communautés noires pour développer leurs travaux sur les féminismes noir et intersectionnel.

Ce qui ressort de ces recherches, c’est que plutôt que de suggérer que chaque individu doive uniquement mener des recherches sur le groupe (ou les groupes) auquel il appartient pour que celles-ci soient considérées comme légitimes, il convient qu’il se questionne sur son positionnement dans le processus de recherche et le rende explicite, surtout lorsqu’il s’agit d’aborder des enjeux spécifiques aux groupes marginalisés (Bilge, 2015; Bourke, 2014; England, 1994; Sultana, 2007).

Si les propositions suggérées dans cette littérature pour résoudre le « problème de parler pour les autres » dans la recherche se situent essentiellement au niveau individuel (se questionner sur son positionnement et le rendre explicite), il existe un autre moyen, qui se situe davantage au niveau institutionnel/organisationnel, qui consiste à impliquer directement les groupes marginalisés et les personnes concernées, et ce, à travers la recherche de type communautaire (Kerstetter, 2012). Le principe de base de ce type de recherche est que les organismes communautaires et leurs membres sont directement impliqués dans le processus de recherche, et ce, aux différentes étapes de celui-ci : l’élaboration du projet, la collecte des données et l’analyse et la diffusion des résultats (Viswanathan et al., 2004). Loin d’être une panacée, cette démarche permet toutefois une meilleure représentation des personnes marginalisées dans la production du savoir qui les concerne et elle est en outre directement au service des groupes étudiés (Minkler, 2005; Strand, Cutforth, Stoecker, Marullo et Donohue, 2003).

Renvoyant aux pratiques collaboratives de chercheur·e·s qui avaient pour objectif d’être plus proches des réalités et des besoins des populations étudiées, la recherche communautaire se développe à partir des années 1990 en Amérique du Nord (Israël, Schulz, Parker et Becker, 1998). Comme le rappellent Demange, Henry et Pérau (2012), en contexte francophone, la recherche communautaire s’est d’abord développée et institutionnalisée au Québec par le biais des associations dans la lutte contre le VIH/sida, avant d’émerger en France à la fin des années 2000. Depuis lors, plusieurs projets de recherche communautaire, qui impliquent notamment les communautés LGBTQ+, ont vu le jour (Logie et Lys 2015; Pullen Sansfaçon, Hébert, Lee, Faddoul, Tourki et Bellot, 2018; Strunk, Baggett, Beall et Hafftka, 2017). Plusieurs de ces recherches communautaires, à l’instar de notre recherche, traitent spécifiquement des enjeux relatifs aux communautés LGBTQ+ racisées (El-Hage et Lee, 2016; Lee et Brotman, 2011; Tourki, Lee, Baril, Hébert et Pullen Sansfaçon, 2018).

Ces travaux ont fait la preuve de l’intérêt de la recherche communautaire qui permet, d’une part, de contribuer aux progrès des connaissances en offrant l’accès à de nouvelles informations et à une diversité d’analyses et, d’autre part, de renforcer le pouvoir des communautés impliquées et transformer les résultats de recherche en actions (Lee et Brotman, 2015). Cependant, peu de ces recherches mettent de l’avant l’expérience des personnes impliquées dans la recherche communautaire et les défis auxquels elles ont dû faire face dans ce processus. C’est cette lacune que notre article entend combler, en documentant les expériences des personnes directement impliquées dans la recherche communautaire que nous avons menée.

Méthodologie

Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’objectif de la recherche communautaire menée en collaboration avec AGIR visait à évaluer la structure organisationnelle de l’organisme et ses activités de soutien afin de renforcer l’implication des personnes LGBTQ+ migrantes au sein d’AGIR. Sur les trois années du projet, l’équipe de recherche a travaillé en étroite collaboration avec un comité consultatif composé des membres du conseil d’administration (CA) d’AGIR, essentiellement des personnes LGBTQ+ migrantes et des alliées. Les membres du comité consultatif, qui ont reçus une compensation pour leur contribution au projet, ont été consultés à plusieurs étapes du projet : lors de l’embauche des auxiliaires de recherche, lors du processus de recrutement des particpant·e·s, lors de l’analyse des données, lors de la présentation des résultats, etc. Par ailleurs, ils ont été invités à participer aux différentes activités de recherche, aussi bien aux entretiens qu'à une journée de formation sur la recherche communautaire, ainsi qu’au colloque de l’ACFAS évoqué en introduction.

Au cours du projet, il y a eu plusieurs changements parmi les membres de l’équipe de recherche et du comité consultatif. Par ailleurs, il y a eu un changement organisationnel au sein d’AGIR qui, pour la première fois de son histoire, a pu embaucher deux employés à temps partiel. Bien que ces changements aient ralenti certaines étapes de la recherche, chaque personne impliquée au sein du projet l’a enrichi avec sa propre expérience et son point de vue. Cet article vise ainsi à mettre en relief le vécu et le point de vue de plusieurs personnes impliquées au sein du projet à différentes étapes de celui-ci. Ce que nous préconisons à travers notre démarche empirique, c’est que « les connaissances qui se dégagent des expériences vécues par les personnes opprimées […] constituent une partie intégrante des savoirs réflexifs » (Lee, 2017, p. 36). Ainsi, les savoirs réflexifs valorisent les expériences des personnes concernées, tout en portant un regard critique sur la manière dont le contexte sociohistorique, structurel et organisationnel façonne l’articulation de ces expériences (Lee, 2017).

Pour ce faire, nous utilisons la méthodologie dite de la table ronde. Depuis plus d’une décennie, cette méthodologie est préconisée par les chercheures et les militantes au sein des études féministes, queer et trans afin d’approfondir les connaissances sur les enjeux méthodologiques et épistémologiques liés à la construction des savoirs sur les réalités des personnes LGBTQ+, en particulier les personnes LGBTQ+ migrantes, ethnicisées et racisées (Blackwell, Briggs et Chiu, 2015; Dinshaw et al., 2007; Muñoz et Garrison, 2008; Tauqir et al., 2011). Cette table ronde a permis aux membres de l’équipe de recherche et aux membres du comité consultatif de partager leur vécu du projet et leurs réflexions sur la recherche communautaire. Il convient de souligner que, si la plupart des personnes qui ont participé à la table ronde sont des personnes LGBTQ+ migrantes ou racisées originaires de pays du Sud, leurs trajectoires migratoires ainsi que leurs positionnements sociaux et identitaires et leurs situations de privilège diffèrent. En effet, certain·e·s sont demandeurs d’asile, d’autres réfugié·e·s et d’autres encore sont migrant·e·s (de première ou de deuxième génération), ce qui peut influencer leurs réflexions par rapport à la recherche communautaire et à sa capacité à intégrer les personnes concernées dans la production du savoir sur les personnes LGBTQ+ migrantes. L’une des forces de la méthodologie de la table ronde est qu’elle permet d’exposer ces différents points de vue plutôt que de les amalgamer et de les homogénéiser.

Notre démarche méthodologique consiste à ce que chaque personne réponde à une série de questions en lien avec ses motivations à s’impliquer dans le projet, son vécu de celui-ci ainsi qu’à propos de son point de vue sur la pertinence de la recherche communautaire. Ces questions ont été envoyées par voie électronique et les réponses ont également été reçues par voie électronique. Ces réponses ont par la suite été organisées et révisées dans le but de présenter la diversité des points de vue au sein des membres de l’équipe de recherche. Chaque personne a eu l’occasion de lire la synthèse des réponses et de réviser sa propre réponse. La table ronde permet un espace de dialogue à travers le partage de réflexions individuelles par chaque participant·e (Munoz et Garrison, 2008). En effet, au-delà de la mise en commun de divers points de vue, cette démarche réflexive collective permet de mettre en avant les nuances exprimées par chaque membre de la table ronde, et ainsi de dépasser les représentations souvent binaires et normatives de la recherche communautaire.

Discussion de la table ronde

Qui êtes-vous et pourquoi vous intéressez-vous aux réalités des personnes LGBTQ+ migrantes?

Les affiliations présentées dans cette section sont celles qui étaient valables au moment de la recherche. Depuis, elles ont changé (voir la section Affiliation en fin d’article).

Membres de l’équipe de recherche

Javier(auxiliaire de recherche, étudiant à la maîtrise) : Depuis mon arrivée au Québec en 2016, je me suis intéressé aux réalités des personnes migrantes marginalisées dans ma pratique en recherche et en intervention sociale. Je porte un intérêt particulier aux pratiques innovantes de soutien, à la défense de droits et au développement d’espaces sociaux et de réflexion dans une approche « par et pour » les personnes migrantes LGBTQ+, en tant que population large et diverse à laquelle je m’identifie.

Mike (ancien auxiliaire de recherche, intervenant de proximité chez GAP-VIES, étudiant universitaire au certificat en sexualité) : Ce qui m’intéresse principalement dans les réalités des personnes LGBTQ+ migrantes, c’est d’en apprendre davantage sur leur parcours de migration. Particulièrement d’avoir une meilleure compréhension des obstacles auxquels elles ont pu être confrontées et les stratégies de résilience qu’elles ont pu mettre en place tout au long de leur cheminement.

Edward (chercheur, professeur agrégé) : En tant que membre des communautés LGBTQ+ migrantes et racisées, je me suis impliqué dans l’organisation communautaire au sein de ma communauté depuis une vingtaine d’années. Il y a dix ans, j’ai coordonné un projet de recherche communautaire sur les réalités des personnes LGBTQ+ réfugiées et j’ai dû gérer les tensions entre les intérêts parfois discordants des milieux universitaires et communautaires. Cela étant dit, mon implication, tant dans la recherche que le militantisme, me permet de mobiliser des ressources universitaires vers la communauté.

Membres du comité consultatif et employés d’AGIR

Iyan (employé d’AGIR) : Who I am is always a hard question to answer easily. I am a person. A soul that wished to have a chance for a better life. That’s why I fled. I kept fleeing again and again until I made it to another piece of land where I can live in peace. The word “interested” is a bit funny. I don’t think I have a choice because this is my and my friends’ lives. When something happens within the circles of LGBTQ+ migrants, it does affect me on a personal level. Being part of an organization gives me a voice and gives me more tools to be able to help my people. I envision a world no one has to flee from the people that they love and the places they grew up in. Someone fought for me to be here today and I am fighting to give a chance for the next generation to live peacefully in this beautiful world.

Joseph (employé d’AGIR) : J’ai étudié en anthropologie et milité pour les droits des personnes LGBT au Cameroun en Afrique de l’Ouest entre 2006 et 2018. J’ai rejoint l’équipe d’AGIR en mars 2019 à titre de coordonnateur des formations. Cette implication au sein d’AGIR est en continuité avec mes engagements précédents et vise principalement à faire entendre des voix souvent marginalisées et invisibilisées.

Ahmed (comité consultatif) : Je suis membre du CA d’AGIR depuis près de deux ans. Par ailleurs, je suis également un chercheur qui a mené ses recherches doctorales sur les politiques d’asile liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre. Enfin, je suis également migrant queer au Canada depuis 2012. Outre un lien évident entre mes intérêts de recherches et la mission d’AGIR, je pense que ce qui m’a motivé à rejoindre AGIR, c’est surtout la volonté de retrouver des personnes avec des expériences similaires aux miennes et ainsi pouvoir partager avec elles. Par ailleurs, disposant d’un certain niveau de privilèges, liés notamment à mon éducation, j’ai souhaité les mettre au service de ma communauté.

Amanda (comité consultatif) : I’m a white, queer femme, a third generation settler born on the unceded territories of Kanien’keha:ka peoples. My work with LGBTQ+ migrants is directly linked to my belief, thanks to the lineage particularly of Black liberation activists, that our struggles are inextricably linked, and none of us will ever be free until we all are. As a queer person, this is part of my solidarity work for collective liberation and building meaningful communities of care. I specifically chose AGIR because of its core values (“heartbeat”), approach and non-hierarchical structure. I do not want to work “for” but “with” and I felt I had useful skills to bring to this work more broadly.

Brian (comité consultatif) : I identify as a queer man and have almost always been involved in some form of queer activism. Having worked as an English Language teacher for many years, I have extensive experience both living in a foreign environment and working in Canada with people who are encountering Canadian culture for the first time. Living abroad also made me aware of the realities for LGBTQ people in different countries.

Quelles sont vos motivations à vous impliquer dans ce projet de recherche communautaire?

Javier : En tant que migrant LGBTQ+, me tiennent à coeur les questionnements et la réflexion visant l’amélioration des connaissances auprès de cette population. La recherche communautaire auprès d’AGIR peut apporter une meilleure connaissance des enjeux, des pratiques prometteuses et des limites, dans une perspective de viabilité des modèles organisationnels qui s’avèrent pertinents auprès des migrants LGBTQ+ vivant diverses formes de marginalité et d’oppression.

Mike : Mes motivations seraient que les recherches communautaires puissent encourager un meilleur financement auprès de services dédiés aux personnes LGBTQ+ migrantes afin d’assurer des espaces d’échanges, de soutien et d’activités sociales. Aussi, avoir une réflexion sur les outils et les services d’aide déjà mis en place chez AGIR ou chez d’autres organismes.

Joseph : En tant que demandeur d’asile sur les bases de mon implication dans la défense des droits des personnes LGBT au Cameroun en Afrique, mon implication au sein d’AGIR est la suite logique de mes engagements passés. Il s’agit de faciliter la prise en compte des voix de personnes qui peuvent être marginalisées pour plusieurs raisons et surtout permettre leur pleine participation aux initiatives qui les concernent.

Ahmed : En tant que chercheur, je pense que la recherche a quelque chose à apporter à la manière dont AGIR fonctionne. Ça permet de comprendre et d'identifier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, pour mieux faire évoluer l’organisme. La recherche communautaire est selon moi encore plus intéressante dans la mesure où les personnes concernées sont directement impliquées dans le processus de recherche, et ce, à différentes phases du processus. En soi, je pense que toutes les recherches qui traitent des personnes marginalisées devraient être des recherches communautaires, pour éviter que ces personnes soient considérées comme des objets de recherche.

Amanda : En tant que personne qui a effectué des recherches dans un contexte académique avec des personnes déplacées (mais dans un contexte différent), je considère que la recherche communautaire est très importante dans un contexte de travail avec des personnes qui sont, historiquement, traitées comme des objets de recherche et non des agents indépendants et experts. Dans mon rôle au CA, je pense que ça nous aide à mieux comprendre les enjeux de notre organisation avec une perspective extérieure.

Ces deux premières questions ont permis à chaque membre de l’équipe de se situer et de partager la position à partir de laquelle son point de vue est exprimé. Cette section met en relief la diversité présente chez les co-auteur·e·s par rapport à leurs positionnements sociaux et leur rôle au sein d’AGIR et au sein de ce projet de recherche. Les motivations exprimées par l’équipe démontrent également à quel point la recherche communautaire est nourrie tant par le but d’améliorer les conditions de vie des personnes LGBTQ+ migrantes que par l’inclusion des personnes concernées dans le processus de recherche et la construction des savoirs. Les questions suivantes nous permettent de présenter la manière dont le projet a été façonné selon une approche « par et pour » – approche préconisée par AGIR – et de partager le vécu des membres de l’équipe du projet ainsi que les défis auxquels iels ont dû faire face durant le processus de recherche. La dernière question se focalise sur l’apport de la recherche communautaire à l’avancement du mandat d’AGIR.

Que pensez-vous de l’approche « par et pour » ?

Mike : Ce que je pense de l’approche « par et pour » est que cette approche peut apporter une richesse d’expérience de la part d’aidant·e·s qui ont vécu différents parcours migratoires. Par exemple, une personne LGBTQ+ migrante offrant un service d’aide, de soutien et d'accompagnement pourrait être mieux outillée dans son implication. Elle pourrait, par exemple, proposer diverses idées de service à mettre en place qui pourraient répondre à des enjeux spécifiques.

Une diversité de culture au sein d’un organisme peut créer un enrichissement de méthodes d’intervention, ainsi qu’une plus grande option de langues à laquelle un·e· bénéficiaire peut avoir accès. Qu’AGIR puisse avoir une équipe dont la majorité parle différentes langues peut, selon moi, favoriser les échanges auprès des bénéficiaires. En ce qui concerne les défis, dans le cadre d’une rencontre interculturelle, il reste important de tenir compte de son propre cadre de référence ainsi que du cadre de référence de la personne migrante afin de minimiser les obstacles liés, par exemple, aux stéréotypes, aux préjugés ou aux jugements de valeur.

Joseph : L’approche « par et pour » permet d’entendre les récits de personnes qui autrement seraient inexistants. Elle permet de mettre l’accent sur les personnes premièrement concernées, ce qui apporte une certaine sensibilité aux réponses/solutions sur les enjeux traités. Un défi de cette approche pourrait résider dans le fait que certaines personnes concernées ne sont pas toujours outillées à militer ou simplement sont aux prises avec d’autres enjeux (précarité, isolement, langues) qui limiteraient leur pleine participation dans l’organisme.

Ahmed : Je suis bien évidemment en faveur de l’approche « par et pour » dans la mesure où je pense que les personnes les mieux placées pour accompagner des personnes queer migrantes sont des personnes queer migrantes elles-mêmes. L’expérience de migration en tant que queer nous lie et il y a certaines choses qu’une personne qui n’a pas eu à passer par ce processus ne comprendra jamais. Cependant, je pense qu’une telle approche vient avec une série de défis non négligeables. D’une part, les personnes queer migrantes sont généralement dans une position de plus grande marginalité, donc leur engagement bénévole est plus compliqué que pour les personnes plus privilégiées. La priorité est de consacrer son temps à une position rémunérée plutôt qu’à une fonction bénévole. D’autre part, certaines personnes queer migrantes peuvent faire face à des angoisses et du stress du fait de l'expérience migratoire qu’iels ont subi·e·s, donc il est difficile pour elles de faire de l'accompagnement.

Iyan : There's a saying: “Nothing can itch your skin like your own fingernail”. Being in the position of a supporter while knowing how it feels helps. It’s also empowering. Many of us have been through a lot that made us gain lots of experiences. We know what we need, and we are capable of helping each other so we should be in those positions that help us and give us the tools to help our people better. Plus, many of us do it anyway. This is our life. Those our friends and chosen families and we do this because we care about our loved ones. I hope there will be more power given to people to lead for things within their own communities. Challenges would be the mental health of many of the supporters. We have also survived or are still surviving like many of the people that we are supporting. Sometimes I worry that people wouldn’t want to hire people like us because life has tired us rather than hiring us and giving us more support while we are doing it. Many of us are scared to complain that we are actually very tired because we don’t want to lose our job because that’s what’s feeding us.

Amanda : Une grande partie du domaine des ONG n'est pas alimentée par la solidarité mais par un récit d’ « aide », de « sauvetage », dans lequel il y a des victimes à sauver. Le modèle « par et pour » bouleverse cette situation, et bouleverse l’idée que les personnes qui ont besoin d’aide ne peuvent pas aussi apporter leur soutien ou qu’iels sont en situation de manque d’ « agentivité » – ce qui n’est absolument pas le cas. Ce modèle estime que les gens sont des experts de leurs propres expériences et ont quelque chose de valable à partager pour se soutenir mutuellement. Il y a cependant des défis qui sont, à mon avis, une série de questions auxquelles nous devons faire face : comment « faire le travail » tel qu’exigé de notre système capitaliste de suprématie blanche? Comment nous adapter aux qualifications pour les subventions, etc., tout en laissant de la place aux complexités de ces expériences? Comment faire le bilan des oppressions systémiques? Comment modéliser et intégrer les soins communautaires (community care) au coeur de notre approche par et pour afin que ce qui se construit soit mutuel et relationnel? Comment nous assurer que nous ne tomberons pas dans les pièges du tokénisme ou d'être tokenisés ?

Brian : I believe that representation matters and that queer migrants can offer a lot to help those with similar circumstances. As a queer person, I would not want to see, say, a queer organization where most of the people in charge are straight and cisgender. The challenge here, however, is that being on the board is a big job and the setup puts pressure on LGBTQ people of colour to do a lot of unpaid work. I’m now in a strange, somewhat precarious space where I feel like I’m needed and able to contribute given the circumstances, but I’m also conscious that a time may come when there will be enough people who identify as LGBTQ migrants or people of colour and I could be seen as taking up space that should be given to someone else.

Quel est votre vécu du projet? Quels sont les défis et les dilemmes liés à ce type de recherche?

Javier : J’ai été impliqué dans le recrutement, la collecte et l’analyse de données. L’approche collaborative avec AGIR a été essentielle dans le recrutement des participants. J’ai remarqué également un dilemme éthique lors des entrevues. Des facteurs menant aux épisodes de burnout qui ont été décrits par d’anciens membres d’AGIR étaient aussi présents chez les membres actifs. Ces éléments ont été pour moi une source de stress et une source de motivation pour faire avancer la recherche et contribuer à garantir le bien-être des membres actifs d’AGIR.

Mike : Mon implication en tant qu’auxiliaire de recherche a été de courte durée. L’une de mes tâches a été la co-organisation d’un atelier portant sur le coeur d’AGIR, de réfléchir et d’échanger, en groupe, sur des questions portant sur la recherche communautaire. Cette activité m’a permis d’obtenir plus de connaissance sur la structure d’AGIR et sur la direction structurelle qu’elle souhaiterait prendre dans le futur. Elle fut utile par la motivation et la participation de ses membres de soutien et les échanges qui en ont découlé. La rétroaction des participant·e·s par la suite fut positive.

Edward : Au début du projet, les membres du comité consultatif ont partagé leur déception du fait que des auxiliaires de recherche avaient été embauchés sans consultation et ne faisaient pas partie de la communauté LGBTQ+ migrante. Suite aux échanges, l’équipe s’est excusée et a poursuivi l’embauche d’une auxiliaire de recherche d’une manière collaborative. Finalement, l’apport de ces auxiliaires de recherche LGBTQ+ migrants au projet était tellement riche! Leurs expériences et leurs points de vue ont également contribué au déroulement de chaque étape du projet. Cela étant dit, certain·e·s membres de l’équipe avaient besoin de soutien sur le plan psychosocial, en raison des barrières structurelles. Bien que cela ait retardé l’avancement du projet, il a été essentiel de ne pas contribuer davantage à leur épuisement.

Iyan : The challenge is that sometimes research takes some time to get the results. Many of the people on the ground have answers because we are with our people all the time and we hear from them, so we have a sense of what is needed right now. Both are important – long-term projects and immediate action projects. Sometimes I feel there’s lots of talk about taking action and less of taking actions.

Joseph : Le principal dilemme auquel j’ai fait face lors de la recherche, c’est celui de donner un avis objectif alors que je fais partie de l’organisme : comment ne pas transposer mes idéologies, ma vision du monde, comme la vérité?

Ahmed : Ce qui a été difficile à gérer pour moi c’est le fait de porter plusieurs casquettes : membre du CA, du comité consultatif et chercheur. J’ai eu l’impression de toujours être en conflit d'intérêts sans pouvoir gérer cela. Du fait de cette position que je trouve quand même délicate, j’ai toujours voulu prendre le moins de place possible aussi bien lors des rencontres du CA lorsqu’il s’agissait de traiter du projet de recherche communautaire que lors des rencontres du comité consultatif.

Quelle place la recherche communautaire devrait-elle prendre dans l’avenir au sein d’AGIR ?

Javier : La recherche communautaire peut contribuer à penser et mettre en place une structure de réflexion continue dans un modèle « par et pour », qui sera utile, d’après moi, pour garantir la viabilité d’AGIR, le bien-être de ses membres, le sens de la communauté et la reconnaissance du savoir expérientiel des personnes LGBTQ+ migrantes.

Joseph : La recherche communautaire devrait être l’un des piliers de l’action d’AGIR, elle permettrait ainsi d’actualiser les pratiques et les actions de l’organisme.

Ahmed : Cette question fait l’objet de beaucoup de débats au sein du CA. En tant que chercheur je suis bien évidemment pour que la recherche communautaire prenne plus de place, étant conscient de la plus-value pour le fonctionnement d’AGIR mais également auprès des organismes de subvention. Cependant, plusieurs craignent que la recherche n’accapare trop de temps et de ressources aux membres du CA. Je pense que c’est une réflexion que l’on doit garder à l’esprit dans la mesure où plusieurs des membres du CA ont fait des épuisements dernièrement.

Amanda : L'avantage et le défi de la recherche sont qu’elle évolue lentement – comment pouvons-nous nous assurer qu'elle est également utile en fin de compte pour le travail que nous faisons? Si nous ne pouvons disposer que de ressources pour la recherche, mais pas pour intégrer les enseignements de ces recherches dans l'organisation, c'est un gros défi aussi.

Discussion

Les multiples positionnements sociaux et identitaires des personnes interrogées dans le cadre de la table ronde remettent en question l’idée selon laquelle il existerait une frontière nette entre la recherche et la communauté. Rappelons que, bien que la plupart des personnes faisant partie de l’équipe de recherche et du comité consultatif interrogées dans le cadre de la table ronde aient été des personnes LGBTQ+ migrantes, leurs motivations pour s’impliquer au sein d’AGIR et au sein du projet de recherche sont nombreuses et variées. Toutes les personnes impliquées ont manifesté le désir de contribuer à des actions qui améliorent les conditions de vie des personnes LGBTQ+ migrantes. La majorité des personnes a également fait référence à des expériences antérieures (personnelles, de militant·e·, de chercheur·e·, etc.) comme vecteur de motivation supplémentaire pour s’impliquer.

Ainsi, cette table ronde permet de poser un regard critique sur le modèle dominant du chercheur « extérieur » qui, dans le cadre de sa recherche, doit établir un lien de confiance avec les personnes concernées. Ne s’inscrivant pas dans ce modèle dominant, il convient de développer de nouvelles stratégies de recherche sur le plan méthodologique, éthique et épistémologique (Atkins 2012; Lee, 2017; Ormond et al., 2006). Les réflexions partagées lors de la table ronde mettent en relief le positionnement mouvant et multisitué des participant·e·s, au-delà de la dichotomie « insider/outsider » (Breen, 2007; Carling, Erdal et Ezzati, 2013 ; Caron et al., 2020; Naples, 2004; Yacob-Haliso, 2018).

La table ronde souligne l’influence du positionnement social du/de la chercheur·e· sur sa compréhension d'une problématique et sur l’analyse effectuée dans le cadre du projet de recherche (Alcoff, 1991; Collins, 1986). À ce propos, Joseph soutient que l’approche « par et pour » apporte une sensibilité singulière au traitement des enjeux spécifiques aux groupes opprimés, permettant de donner la parole aux personnes concernées, qui autrement seraient difficilement entendues. Par contre, Iyan a expliqué qu’il considère ne pas avoir réellement eu le choix de contribuer pour le bien-être de sa communauté. Ces constats révèlent ce qui est en cause pour les personnes LGBTQ+ migrantes lorsqu’iels s’impliquent dans la recherche : bien que la recherche permette d’amplifier la parole souvent occultée, elle constitue toutefois un certain fardeau que des personnes non concernées n’ont pas à porter.

Plusieurs participant·e·s de la table ronde ont également mobilisé le concept de « outsider within » de Collins (1986, 1991, 2016). Cette notion met en lumière la complexité du positionnement multisituée des participant·e·s, en termes de privilèges au sein de leurs communautés et de marginalité dans le milieu académique. En effet, les participant·e·s sont situé·e·s sur un continuum par rapport à leur rôle dans le milieu académique (professeur·e·, auxiliaire de recherche, étudiant·e· aux études supérieures, membre du comité consultatif, etc.).

Cela étant dit, Edward a souligné les défis structurels qui empêchent l’embauche et la rétention de personnes concernées dans les équipes de recherche et aux études supérieures. Pour sa part, Ahmed a souligné les défis associés à gérer ses rôles multiples au sein d’AGIR (membre du CA), du projet de recherche (membre du comité consultatif) et comme étant chercheur ayant récemment terminé son doctorat qui porte sur les réalités des personnes LGBTQ+ migrantes. La sous-représentation des personnes LGBTQ+ migrantes, ethnicisées et racisées au sein du milieu académique, notamment aux études supérieures et au niveau facultaire, freine le développement d’outils méthodologiques qui prennent en compte ces complexités.

Par ailleurs, l’apport du rôle des allié·e·s dans la recherche communautaire a été souligné par la plupart des personnes interrogées dans le cadre de la table ronde. Bien que la priorité doive être accordée aux personnes LGBTQ+ migrantes, l’implication des personnes alliées, d’une manière réfléchie et cadrée, peut renforcer l’approche « par et pour » afin de soutenir l’implication des personnes concernées et amplifier leur voix. Comme l’a relevé Alcoff (1991), la remise en question de la légitimité des chercheur·e·s outsider n’implique pas une exclusion de ces personnes, mais plutôt la nécessité pour elles de se questionner sur leur positionnement et de le rendre explicite dans le processus de recherche (Bilge, 2015; Bourke, 2014; England, 1994; Sultana, 2007). Ainsi, l’implication des allié·e·s dans le milieu communautaire peut être particulièrement aidante lorsque les besoins de l’organisme sont criants et requièrent une implication active souvent non rémunérée, ce qui explique en partie les défis associés à l’implication des personnes concernées au sein des organismes « par et pour ». À ce sujet, Amanda se pose des questions réflexives par rapport au rôle des personnes alliées et Brian mentionne les défis créés par la charge de travail bénévole nécessaire au fonctionnement de l’organisme.

Alors que la recherche communautaire est pensée comme étant « incontournable » par la plupart des participant·e·s de la table ronde, il y a eu quand même un débat sur sa pertinence. Comme l’a mentionné Ahmed, ce type de recherche entraîne une série de défis non négligeables. Amanda considère que cette recherche est avantageuse dans la compréhension des enjeux propres à AGIR, à partir de l’inclusion des personnes directement concernées, mais elle s’interroge sur sa lenteur, son utilité et son intégration dans la pratique.

Qui plus est, ce type de processus a pu occasionner une surcharge du travail aux membres du CA et aux employé·e·s. L’épuisement psychologique des personnes concernées au sein de l’équipe de recherche est un enjeu qui a été souligné par Javier. Être témoin de la détresse des personnes interviewées a motivé Javier à faire progresser la recherche afin d’améliorer les conditions organisationnelles d’AGIR. Ceci a également été pour lui une source de pression non négligeable. Il y a eu plusieurs changements d’auxiliaires de recherche tout au long du projet, et chaque départ a impliqué d’établir à nouveau des liens de confiance entre l’équipe de recherche et le comité consultatif. Il convenait donc de garder un certain équilibre pour que les besoins de l’organisme et l’avancement du projet de recherche ne nuisent pas à la santé globale des personnes LGBTQ+ migrantes impliquées dans l’équipe de recherche.

Conclusion

Si la recherche communautaire est une excellente alternative aux modèles plus classiques de recherche, notamment pour permettre une meilleure représentation des personnes directement concernées dans le processus de production des connaissances, elle vient toutefois avec son lot de défis. D’une part, étant donné le sous-financement des organismes communautaires, et notamment de ceux qui s’inscrivent dans une approche « par et pour », il est difficile pour les personnes impliquées au sein de ces organismes de s’impliquer également dans des recherches communautaires. Le fait est qu’elles sont déjà très épuisées, et la recherche communautaire peut constituer une cause supplémentaire d’épuisement.

D’autre part, il y a un manque flagrant de considération de la plus-value de la recherche communautaire de la part des organismes subventionnaires. Les subventions destinées spécifiquement aux projets de recherche dits « communautaires » ou « participatifs » sont souvent d’une durée d’un ou deux ans afin de permettre l’embauche d’un·e· ou deux auxiliaires de recherche à temps partiel. Cela n’est pas suffisant pour réellement s’assurer que les membres de l’équipe qui font partie des communautés concernées puissent avoir accès à un soutien tant sur le développement des compétences de recherche que sur le plan émotionnel et psychologique.

De quelle manière les organismes subventionnaires et les universités pourraient-ils tenir compte de ces défis? Du côté des organismes subventionnaires, il convient qu’ils investissent davantage dans ce type de recherche et qu’ils apportent du soutien et de l’accompagnement supplémentaire pour leur mise en place, notamment en termes de formation. Par ailleurs, les subventions pour les recherches communautaires devraient être allongées (4 ou 5 ans au minimum) et une ligne budgétaire devrait être prévue pour le soutien psychosocial des membres de l’équipe de recherche afin de s’assurer que les auxiliaires de recherche puissent avoir accès aux soins en santé mentale.

Du côté des universités, il est nécessaire que les instances chargées de la promotion des professeur·e·s portent une attention supplémentaire à ce type de recherche pour qu’elle soit considérée à sa juste valeur dans les comités de promotion. Par ailleurs, les enjeux relatifs à la recherche communautaire pourraient être intégrés dans les plans d’action institutionnels sur l’équité, la diversité et l’inclusion (ÉDI), dans la mesure où, comme nous l’avons souligné, ce type de recherche permet une meilleure représentation des groupes marginalisés dans la production des savoirs. Ces changements sur le plan structurel et institutionnel pourraient favoriser l’avènement de chercheur·e·s et militant·e·s mieux outillé·e·s pour faire avancer les droits et le bien-être de leurs communautés.

En somme, non seulement la recherche communautaire permet de dépasser la dichotomie insider/outsider, mais elle peut aussi jouer un rôle crucial en faveur des groupes marginalisés et de l’expression de leurs voix. Encore faut-il agir sur les barrières institutionnelles et structurelles qui continuent de rendre difficile l’accès aux niches de savoir à ces groupes. Malgré les défis associés qui lui sont associés, elle peut contribuer à amplifier la parole des personnes concernées, à faire avancer le mandat des organismes « par et pour » et à approfondir les connaissances, que ce soit sur les réalités des personnes LGBTQ+ migrantes ou sur les méthodologies de recherche et d’intervention favorisant davantage l’implication des personnes concernées dans la co-construction des savoirs.