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Introduction

Les débats sur les migrations relèvent de l’actualité politique et sociale, aussi bien dans les pays du « Nord » que dans les pays du «  Sud ». Les travaux de recherche dévoilent différentes réalités liées aux parcours de mobilité et aux vécus des migrations (Auzanneau et Greco, 2018 ; Pieret, 2016). Concernant le Maghreb, la région connaît différentes configurations de la réalité migratoire. D’une part, des groupes de migrant·e·s venant d’Afrique subsaharienne font de l’espace maghrébin une zone de résidence ou de transit vers l’espace européen. D’autre part, des groupes d’origine maghrébine immigrent vers l’Europe occidentale. Les mobilités au Maghreb se présentent ainsi comme un fait transnational marquant (Bensaad, 2020).

Les études sur les sexualités ont été peu conjuguées avec l’analyse des expériences migratoires (Arab, Gouyon et Moujoud, 2018). Toutefois, certains travaux renseignent sur les politiques européennes liées aux demandes d’asile sur la base de l’orientation sexuelle (Hamila, 2019). Dans le contexte de la « migration sexuelle », les politiques migratoires tentent d’imposer une vérité « homosexuelle » qui ne tient pas compte des réalités ethno-sexuelles des demandeurs d’asile. Elles prescrivent des standards de définition du genre et des sexualités pour contrôler l’intime que les migrant·e·s doivent incorporer et auxquels ils doivent se conformer (Fassin et Salcedo, 2019). Par ailleurs, dans l’espace d’accueil, les migrant·e·s expérimentent différentes tensions et développent des stratégies multiples de négociation de leur sexualité. Les personnes LGBT+ d’origine libanaise vivant à Montréal choisissent entre visibilité et invisibilité de leur identité sexuelle, malgré un contexte propice et accueillant (Chbat, 2017). Les parcours migratoires des gays marocains vers la Belgique sont loin d’être émancipatoires, au sens de constituer une esquive des normes hétérosexuelles oppressantes dans le pays d’origine : ils se trouvent confrontés à d’autres formes de contraintes de type raciste et sexiste (Gouyon, 2010). Dans une perspective de recherche en sciences de l’art, Mai (2014) trace les moments forts de la trajectoire migratoire de Samira, une femme algérienne transgenre et réfugiée en Italie puis en France qui s’investit dans le travail du sexe. Samira cumule les discriminations liées au travail du sexe, mais aussi celles qui ciblent les minorités sexuelles réfugiées. Il s’avère ainsi qu’au-delà des frontières géographiques, les minorités sexuelles sont confrontées à des « barrières » multiformes dans les pays d’accueil, qui les figent souvent dans une situation subalterne (El-Hage et Lee, 2016).

S’agissant des lesbiennes migrantes, Falquet (2012) attire l’attention sur le manque d’études focalisées sur les trajectoires de mobilités féminines, notamment en France. L’auteure insiste sur la spécificité des parcours des lesbiennes migrantes puisque ces parcours se démarquent du modèle de « l’hétéro-circulation » classique. Pour sa part, Amari (2018) se penche sur l’expérience des lesbiennes d’origine maghrébine en France. Le lesbianisme demeure un sujet « tacite » dans le milieu familial de ces femmes et rend difficile leur reconnaissance de soi en tant que lesbiennes. De plus, les lieux de sociabilité LGBT+ semblent peu accueillants pour les lesbiennes racisées et participent ainsi à leur invisibilité dans l’espace public.

Dans le sillage de ces travaux, cette étude tente de croiser le phénomène migratoire avec l’étude d’une forme de sexualité dite non normative. Elle vise à rendre compte de la trajectoire migratoire d’une jeune femme libyenne qui se définit comme lesbienne : Fatma (pseudonyme). Dans son pays d’origine, Fatma est confrontée à un contexte socio-juridique qui soutient une hétérosexualité obligatoire (Rich, 1981) et qui la force à quitter la Libye. Cependant, le changement de territoire et la fuite vers l’espace européen lui font découvrir une autre réalité, celle de l’imbrication de son identité sexuelle à son identité ethnique. Sa mobilité du « Sud » vers le « Nord » s’avère ainsi marquée par différentes formes de discrimination et de marginalisation. Selon une approche intersectionnelle qui éclaire l’articulation de différents rapports de pouvoir marquant le vécu des acteurs et actrices (Bilge, 2015), il est question de rendre compte de l’interaction des formes de subordination subies par Fatma, aussi bien en Libye qu’en Italie, mais aussi de sa résilience et de son pouvoir d’agir pour faire face aux oppressions.

Homosexualité en Libye : des fondamentaux et des pratiques

La Libye est un pays situé géographiquement au Nord de l’Afrique, qui relève du Maghreb. Elle a connu l’occupation italienne de 1912 à 1951. C’est une société de culture berbéro-arabe, majoritairement de confession musulmane et plus spécifiquement relevant de l’école religieuse sunnite malékite, connue par sa stricte condamnation des pratiques sexuelles entre personnes de même sexe (Mezziane, 2008).

La dimension religieuse semble particulièrement déterminante de la réalité homosexuelle. En effet, les interprétations religieuses se réfèrent systématiquement aux versets coraniques qui concernent le peuple de Loth pour justifier le caractère illicite de l’homosexualité et l’attitude hostile à son égard. En ce sens, la pratique homosexuelle est perçue comme une violation de la « nature » et une atteinte à la volonté divine (Siraj, 2012). Cependant, le Coran n’évoque pas l’homosexualité féminine. Il reste silencieux à l’égard du sihaq, le lesbianisme, et son jugement. Dans une perspective historique, Habib (2007) a pu mettre en évidence que les pratiques sexuelles entre femmes étaient répandues en islam sans aucune forme de réprimande. Ce n’est qu’à l’époque médiévale que naissent des représentations intolérantes et des formes de stigmatisations basées sur une vision religieuse dogmatique. Toutefois, plusieurs exégètes remarquent que le lesbianisme dans le Coran est associé au terme fahisha, qui renvoie aux différentes transgressions liées aux sexualités (Siraj, 2012). Dans une perspective critique, Youssef (2009) souligne que les rapports sexuels entre des femmes seraient perçus comme « affreux » et font qu’ils ne méritent même pas d’être mentionnés.

La dimension légale est également importante dans l’expérience homosexuelle en Libye. Le Code pénal, promulgué en 1953, mentionne que toutes les formes de sexualité en dehors du mariage hétérosexuel sont illégales et passibles d’une peine de prison allant de trois à cinq ans. En effet, l’article 407, alinéa 4, stipule que « Quiconque a des relations sexuelles avec une autre personne, avec son consentement, sera puni, tout comme son partenaire, par une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans ». L’article 408, alinéa 4, ajoute que « Quiconque commet un acte indécent avec une autre personne, avec son consentement, sera puni, tout comme son partenaire, par une peine de détention ». Ainsi, les pratiques sexuelles entre personnes de même sexe ne sont pas explicitement évoquées dans le code pénal libyen. Elles ne sont même pas nommées et ne semblent pas envisageables.

L’homosexualité en Libye demeure fortement condamnée, notamment dans la Libye post-Kadhafi. Le premier gouvernement post-Kadhafi proclame l’application de la chariâ. Dans ce nouveau contexte, la montée de la violence dans l’espace public est devenue un fait marquant qui se traduit par des actes de harcèlement sexuel et de viols, d’enlèvements et d’assassinats. Différents groupes armés et des milices tentent de prendre le contrôle de l’appareil d’État (Morone, 2020). Entre les milices rattachées aux défenseurs de l’islam politique et celles issues des vestiges de l’ancien régime, le conflit armé fait que les femmes et les homosexuel·le·s deviennent particulièrement vulnérables (Johansson-Nogués, 2013 ; Alnaas et Pratt, 2015). Selon Reda Fhelboom, journaliste et activiste libyen vivant en Tunisie, la situation des homosexuel·le·s s’est fortement aggravée après l’effondrement du régime. Ainsi, les extrémistes islamistes ont exécuté trois jeunes hommes accusés d’actes homosexuels en avril 2014 (Development and Cooperation du 18 juin 2015). Il s’agit de la première condamnation à mort contre des homosexuels en Libye. Pour sa part, Abdelwahab Elalam, journaliste indépendant et défenseur des libertés individuelles, rapporte son expérience de détenu par les dites milices pour de multiples accusations, notamment celle d’être gay (HuffPost Maghreb du 18 septembre 2018). De nombreux activistes ont dû quitter la Libye après avoir subi de fortes menaces, à l’instar de Farouk, militant pour les droits des personnes LGBT+ en Libye. En 2018, il déclare à Human Rights Watch qu’il a été menacé de mort par des milices en Libye. N’étant plus en sécurité dans son pays, il demande l’asile aux Pays-Bas, asile qu’il se voit accordé.

Face à la peur et à l’oppression, les personnes LGBT+ libyennes se tournent vers les réseaux sociaux pour créer un espace d’échanges et de partages. Une page Facebook, Fol et Yasmine, est ainsi créée le 3 juillet 2017 pour sensibiliser aux droits des homosexuel·le·s et initier la communauté aux mécanismes de protection sur Internet. Elle sert aussi à partager des vécus singuliers et à recenser les cas de violence et de persécution. À l’occasion de la journée mondiale des droits de l’Homme, le 10 décembre 2018, une campagne est lancée sous le slogan « L’amour n’est pas un crime ». Cette campagne repose sur le partage de photos individuelles, accompagnées par ce hashtag, pour dénoncer les formes de violence subies et donner du sens au droit d’existence.

Le contexte sociopolitique libyen s’avère largement hostile à l’égard de l’homosexualité. Les minorités sexuelles et de genre vivent dans la peur et l’insécurité et subissent différentes formes de violence. Une telle situation incite les un·e·s et les autres à traverser les frontières et se diriger vers l’espace européen perçu comme « safe space ». Il est ainsi question de mettre en avant le parcours migratoire d’une lesbienne libyenne réfugiée en Italie, afin de rendre compte de son expérience de la traversée des frontières du «  Sud » vers le «  Nord » et de ses multiples défis.

Questions de recherche et méthodologie

L’étude s’inscrit dans un projet de recherche personnel, non financé, sur l’homosexualité au Maghreb, mené à l’institut de recherche sur le Maghreb contemporain (Tunis). Il a débuté en 2014 et s’intéresse aux parcours des jeunes homosexuel·le·s et leurs formes de résistance dans une aire géographique particulièrement hostile à la diversité sexuelle. La migration constitue l’un des aspects marquants des trajectoires des gays et des lesbiennes maghrébin·e·s, notamment libyen·ne·s. Nous cherchons spécifiquement, dans le cadre de notre recherche, à saisir comment se dessine l’itinéraire de Fatma et quels sont les événements marquants de sa trajectoire. Quel sens donne-t-elle aux formes de discriminations vécues et quelle stratégie adopte-t-elle pour y faire face ? Le récit de Fatma, la seule personne ayant accepté de participer à l’étude parmi les quatre personnes d’origine maghrébine rencontrées, atteste d’une expérience singulière. Bien qu’il demeure peu représentatif des parcours des réfugié·e·s sur la base de leur orientation sexuelle, son vécu constitue une étude de cas particulier qui témoigne de la complexité des parcours et de l’imbrication des rapports de pouvoir qui marquent le vécu des lesbiennes réfugiées originaires du Maghreb.

Fatma, âgée de 30 ans, a vécu dans la capitale libyenne, Tripoli, jusqu’à l’âge de 23 ans et bénéficie depuis 7 ans du statut de réfugiée en Italie (Milan). Elle est issue d’une famille de classe moyenne composée de sa mère, d’une soeur et de deux frères, son père étant décédé depuis son jeune âge. En Libye, Fatma a fait des études en droit tout en travaillant chez un concessionnaire automobile, sur ses dossiers juridiques. La trajectoire de Fatma se compose de plusieurs « lignes biographiques » (Hélardot, 2006, p. 60), des fragments de son histoire qui attestent d’une variété de situations vécues à des moments différents et dans différents espaces géographiques. Ils s’accompagnent de moments de bifurcation, entendus comme des épreuves qui conduisent à un changement dans son parcours (Bidart, 2006).

En tant que Tunisienne résidante en Tunisie, je me suis rendue à Milan en février 2019 pour un court séjour, au cours duquel j’ai pu m’entretenir avec Fatma. Cette rencontre a été facilitée par le président de l’association LGBT+ tunisienne Mawjoudin (We Exist). Dans le but de préparer la rencontre, des échanges téléphoniques ont eu lieu au préalable pour établir un contact rassurant, bénéficier du consentement de la participante, expliquer les objectifs de l’étude et prévoir une série d’entrevues. L’identité sexuelle de la chercheure n’a pas été discutée. Par contre, l’acceptation de Fatma est largement motivée par l’utilité de sa contribution à lever le voile sur la réalité des réfugié·e·s qui se définissent par une sexualité dite non normative.

Quatre entretiens, d’une durée variant entre 90 et 150 min, ont été réalisés en langue arabe. Ces entretiens ont été entièrement enregistrés, retranscrits puis traduits en langue française. La langue maternelle de Fatma est l’arabe. La première langue étrangère d’usage en Libye est l’anglais. Trois des entretiens se sont déroulés dans la journée, dans un espace public choisi par Fatma pour être proche de son lieu de travail. Le quatrième a eu lieu en soirée, à son domicile. Les entretiens ont porté sur différents aspects de la trajectoire de Fatma et son vécu en tant que lesbienne en Libye et en tant que réfugiée en Italie, avec un focus sur son histoire personnelle, sexuelle et amoureuse. Il est à noter que la peur et la timidité sont deux émotions qui ont marqué la narration de Fatma, notamment lors de la première rencontre. Ces émotions se sont estompées au fur et à mesure des échanges. De plus, Fatma nous a révélé au moment des entretiens qu’elle était en couple avec une lesbienne chilienne réfugiée en Suisse. Elles s’organisent pour se retrouver régulièrement à Milan ou en Suisse.

En se basant sur la méthode de Bertaux (1997), nous avons conduit une analyse des entrevues de type qualitatif qui repose sur une approche biographique visant à construire une représentation des rapports et des processus capables d’éclairer les réalités évoquées dans le récit recueilli. L’intérêt est ainsi de produire du sens à partir des significations que Fatma attribue à ses actions et à son vécu. Au-delà de la dimension singulière du récit de vie, la construction des moments forts du parcours de Fatma permet aussi de rendre compte de niveaux différents de la réalité politique et socioculturelle, aussi bien en Libye qu’en Italie. La démarche d’analyse des verbatims respecte une approche diachronique qui met l’accent sur des périodes significatives du vécu de la participante, notamment avant et après l’expérience migratoire. Elle tient compte aussi d’une analyse thématique qui consiste à identifier les événements importants qui traversent son histoire en lien avec son vécu de l’homosexualité et le franchissement des frontières. L’intérêt est ainsi de construire une représentation des rapports et des processus à l’origine des phénomènes dont parle le récit recueilli.

Il est ainsi question de mettre en évidence l’expérience de la persécution qui provoque une bifurcation dans la trajectoire de vie de Fatma, la conduit à quitter son pays d’origine et à demander l’asile sur la base de l’orientation sexuelle. Puis seront rapportés des éléments marquants de son vécu en tant que lesbienne et réfugiée qui renseignent, parallèlement, sur le rapport à l’altérité en Italie. Enfin, l’analyse tente de rendre compte des formes d’engagement d’une lesbienne racisée en faveur des lesbiennes migrantes.

De la nécessité de quitter la Libye et de demander l’asile

Le défi de Fatma lié à son orientation sexuelle a commencé au début de l’année 2009, bien avant les soulèvements en Libye et la chute de Mouammar Kadhafi. À l’époque, en tant que jeune étudiante, Fatma programmait des activités de divertissement avec un groupe de cinq jeunes lesbiennes libyennes : des rencontres dans des salons de thé, des balades de plage, etc. Pourtant, la visibilité des femmes dans l’espace public n’est pas appréciée et d’usage en Libye (Pargeter, 2011).

Au milieu de l’année 2009, Fatma et ses trois amies lesbiennes reçoivent des messages menaçants sur leur téléphone portable ainsi que des appels téléphoniques pour les intimider, les insulter et leur faire peur. Fatma raconte qu’elle est restée longtemps persécutée par des hommes inconnus. Elle dit :

J’ai eu très peur et je ne savais plus quoi faire. Ils me disaient, « tu sors avec une femme ? Qu’est-ce que vous faites ensemble ? Si tu continues dans ces relations sales, on va informer ta famille et tu verras ce qui pourrait t’arriver ». Je ne réponds plus aux appels inconnus et j’ai commencé à douter d’une connaissance, ensuite d’une amie de notre groupe. J’étais complètement déstabilisée, mais je n’ai jamais imaginé que ces menaces viennent des services de renseignements.

La situation de Fatma devient encore plus pénible lorsque sa mère et sa soeur aînée apprennent son homosexualité. Sa vie « a basculé », dit-elle. C’est à ce moment qu’elle soupçonne l’intervention des services de renseignements, d’autant plus qu’un jeune activiste a déjà subi le sort de la persécution et de l’outing. Les services de renseignements rapportent des détails de sa vie privée, des photos et des chroniques « compromettantes » qu’elle a publiées comme preuves de transgression des « bonnes conduites ». Ils seraient à la base de l’acte d’outing de Fatma. En effet, le pouvoir libyen en place est de nature autoritaire. Il se caractérise par l’impunité de ses services de sécurité, des arrestations arbitraires, des disparitions forcées et le déni des droits de la personne (Pargeter, 2011). Les femmes sont aussi ciblées par de tels agissements, notamment lorsqu’elles sont incriminées pour « transgression de codes moraux » (Haddad, 2011, p. 276).

À la suite de la divulgation de son orientation sexuelle, Fatma nous révèle avoir subi différentes formes de violence et d’intimidation dans sa famille. Elle rapporte avoir été agressée par sa mère, violentée par ses frères, humiliée par sa soeur.

J’étais enfermée à la maison, maltraitée par tous les membres de la famille, interdite d’aller au travail. J’ai perdu la confiance de ma mère, la sérénité familiale, la liberté de sortir, d’aller travailler… C’est important pour moi, c’est ma manière d’exister.

Ces épisodes de violence ramènent à la question du mariage, perçu dans ce cas comme une solution idéale qui permettrait de lever tous les soupçons sur son homosexualité. Cependant, Fatma n’est pas de cet avis et s’y oppose fermement en disant :

Je n’ai jamais pensé au mariage, contrairement à ma soeur qui voit le mariage comme une chose sacrée. Avant, j’esquivais la question en disant que je tiens à finir mes études, à travailler et à perfectionner mes compétences… Ces arguments pouvaient passer. Par contre, refuser le mariage parce que je suis lesbienne, mithliya[1], là c’est autre chose. La situation est donc devenue intenable.

Dans une société particulièrement conservatrice et sexiste, traversée par des rapports sociaux fortement structurés et orientés vers la vie privée, la condition des femmes demeure assez précaire dans la Libye de Kadhafi (Alnaas et Pratt, 2015 ; Pargeter, 2011). De fait, Fatma se trouve dans une situation critique. D’une part, le milieu familial, considéré comme un noyau central dans l’organisation sociale de la société libyenne, est devenu particulièrement inconfortable. D’autre part, l’espace public est peu sécurisé, voire dangereux pour une femme, notamment lorsqu’elle est identifiée comme lesbienne. Cette double précarisation, autant au niveau familial que social, est exacerbée par l’absence d’un tissu associatif susceptible de contenir les difficultés des personnes LGBT+ et de les soutenir dans leurs parcours vulnérables. En effet, la Libye est considérée comme un « pays sans société civile » capable d’affronter le pouvoir en place (Haddad, 2011). Il en résulte que Fatma vit désormais une « fracture entre elle et la Libye » qui s’exprime selon ses dires par :

Ma relation avec ma famille s’est délabrée, ma relation avec ma mère s’est cassée, ma relation avec ma soeur est frappée. Je n’ai jamais imaginé que ma relation avec ma famille se brise ainsi… C’est devenu insupportable et en une semaine j’ai pris ma décision de partir.

Malgré l’importance de la famille dans la vie de Fatma, celle-ci décide de la quitter. Il s’agit d’un moment de bifurcation dans la trajectoire de Fatma, qui la conduit à quitter son pays natal en raison des diverses formes de violence subies.

Fatma se dirige vers sa première destination, l’Égypte, un pays limitrophe de la Libye, où résidait alors sa partenaire égyptienne, Khadija (pseudonyme). Fatma et Khadija se sont connues sur Internet, un espace facilitateur de rencontres de différentes « communautés homosexuelles » à l’échelle internationale (Awondo, 2016). Leur relation amoureuse à distance est restée soutenue pendant trois ans. Comme Khadija vivait dans un logement indépendant, cela facilitait leurs rencontres et protégeait leur intimité. L’ambition des deux jeunes femmes était initialement de construire une vie commune de couple. Cependant, vivre ensemble au quotidien s’est avéré bien différent de l’expérience virtuelle à distance. Cet état de fait constitue un nouveau point de bifurcation dans la trajectoire de Fatma, et elle décide de quitter définitivement la Libye.

Puisqu’il n’est plus question de revenir en Libye… la Libye n’est pas le pays où je peux être moi-même… en tant que femme, en tant que lesbienne, en tant qu’être humain… J’ai commencé à réfléchir à l’asile. Malheureusement, à l’époque, je n’avais aucune idée sur ce que c’est que l’asile ni sur les démarches à suivre… Mais il fallait se lancer dans cette aventure.

Ainsi, Fatma prend la décision de tenter l’asile et se prépare pour se rendre en Suède, la deuxième destination de son itinéraire migratoire.

L’asile et l’expérience de lesbienne et réfugiée en Italie

Comme beaucoup de jeunes du Maghreb, partir en Europe constitue un rêve en soi (Bennani-Chraïbi, 1997). À ce propos, Fatma raconte :

J’ai toujours rêvé de partir à l’étranger… je ne sais pas pourquoi. J’avais l’idée que l’Occident est ouvert… La vie en Europe renvoie pour moi aux libertés, à la condition des femmes et beaucoup d’autres choses….

Les représentations de l’Occident, perçu comme libre et émancipateur, sont intériorisées par une majorité de jeunes du Sud. Toutefois, elles sont aussi contestées, notamment par des personnes LGBT+ racisées, confrontées au racisme dans les sociétés d’accueil (Rahman, 2018). Le récit de Fatma rend compte qu’au-delà de l’asile comme nécessité pour une lesbienne persécutée, l’idée de l’asile semble aussi liée à un projet de vie basé sur le principe du changement et la volonté de mener une vie autre, différente de la vie d’une femme en Libye. Cependant, elle se heurte à diverses difficultés dès le commencement du processus d’asile, difficile et méconnu :

On ne connaît rien sur l’asile. À la base, la société libyenne est renfermée sur elle même. Kadhafi nous a enfermés et bloqués, on ne connaît rien sur la vie, ni sur le monde.

L’accès en Europe, notamment sur le territoire suédois, nécessite pour Fatma, ressortissante libyenne, un visa d’entrée. Pour l’avoir, elle a été obligée de revenir en Libye, clandestinement, et de demander un visa Schengen auprès de l’ambassade d’Italie en Libye. Ce faisant, Fatma se rend en Suède, où elle est reçue par une amie de Khadija, lesbienne égyptienne réfugiée, et demande l’asile en Suède. Cependant, elle découvre au bout de trois mois que c’est en Italie qu’il faut demander l’asile. C’est ainsi qu’un autre trajet se dessine pour Fatma, qui décide de se rendre en Italie au milieu de l’année 2011, année des soulèvements sociaux, des conflits armés et de la chute du régime de Kadhafi (Morone, 2020). Le récit de Fatma révèle qu’elle a été accueillie par les associations LGBT+ italiennes, ArciLesbica et ArciGay, et soutenue dans ses démarches de demande d’asile. Elle insiste pour formuler sa demande d’asile pour orientation sexuelle. Néanmoins, l’administration responsable du dossier tient à rajouter le contexte politique incertain de la Libye.

Bien que Fatma réussisse à trouver refuge en Italie, elle raconte que l’expérience de l’asile est difficile et lourde :

L’asile n’est pas simplement une question de paperasse qui t’autorise une stabilité, une liberté de circulation... L’asile pour un réfugié c’est aussi une prison. Être obligé de rester dans un État pour une année ou deux, le temps d’avoir un passeport, n’est pas chose facile. Et puis, la vie n’est certainement pas rose pour le réfugié. Il faut qu’il apprenne la langue, ses diplômes n’ont aucune valeur parce qu’il n’a pas suivi le cursus nécessaire. En Libye, l’enseignement est nul, rien à voir avec ce qui se fait en Italie ou en Europe. Il est donc nécessaire de procéder à une équivalence de diplômes, ce qui est difficile en soi, ou reprendre à zéro.

Pendant une année et demie, Fatma est hébergée dans un centre d’accueil pour réfugié·e·s et rapporte les liens de solidarité et les expériences communes qu’elle a partagées avec d’autres réfugiés.

Au Centre, je me suis renfermée sur moi-même, je ne connaissais pas la langue et je ne connaissais personne. Ensuite, j’ai rencontré beaucoup d’Africain·e·s et j’ai beaucoup échangé avec eux/elles… Leurs histoires migratoires sont juste intolérables. C’est très dur d’être réfugié, je n’ai jamais imaginé vivre avec ce statut.

En plus des défis et des insécurités vécues par les personnes réfugiées, Fatma constate que la politique migratoire en Italie est assez particulière et qu’elle précarise fortement les personnes concernées :

Au bout d’une année dans le centre, ou un peu plus, tu risques de te retrouver dans la rue, sans rien… C’est une situation angoissante qui installe beaucoup d’incertitude… Elle se rajoute aux chocs multiples que chaque migrant·e expérimente.

Une telle situation incite Fatma à réfléchir à sa nouvelle vie et aux possibilités qui la façonnent. Elle se voit dans l’obligation de trouver du travail. Cependant, elle se trouve rapidement confrontée à de multiples discriminations dans son milieu de travail, comme le racisme et le sexisme.

Dans mon premier travail, dans un restaurant, j’ai fait face au sexisme et au racisme de la part du patron. Il ne cache pas ses préférences pour les Italien·ne·s, ni son regard méprisant pour les personnes racisées. Il sait que je suis lesbienne et il ne rate pas l’occasion pour prononcer des mots sexistes qui dénotent de la domination des hommes.

Les propos de Fatma attestent que la société italienne continue à être traversée par des rapports sociaux de sexe et de race inégalitaires qui transparaissent dans les pratiques de certain·e·s hommes et femmes. Les questions de l’égalité entre les sexes et de la reconnaissance de la diversité sexuelle, reconnus comme des signes de la modernité occidentale (Rahman, 2014), demeurent particulièrement d’actualité. Pourtant, ils sont classiquement perçus comme des indicateurs d’un « éternel “retard” civilisationnel » des pays de départ par rapport à « “l’Occident” » (Claire, 2012). Fatma commence, par ailleurs, à découvrir que les personnes LGBT+ ne sont pas les bienvenues, en Italie et en Europe, comme c’était le cas dans son pays d’origine. Elle raconte :

Mes collègues de travail ne sont pas ouverts sur les réfugié·e·s ni sur les personnes LGBT. Après tout ce que j’ai fait pour quitter la Libye, je me retrouve dans le même conflit… le même combat… Je suis encore appelée à m’affirmer et à convaincre… Il faut encore agir pour changer les représentations… Rien n’est vraiment fini...

Fatma continue à faire face à différentes formes de discrimination, un peu semblables à celles antérieurement vécues en Libye, dans un espace européen qui s’érige en figure de la « démocratie sexuelle » (Fassin, 2006). Le sexisme et l’homophobie/lesbophobie, perçus comme des traits caractéristiques des pays du «  Sud », notamment musulmans, apparaissent aussi en vigueur dans les pays du « Nord » (Kilani, 2019). Après avoir travaillé dans différents secteurs, Fatma se stabilise dans un centre d’accueil pour réfugié·e·s et s’engage parallèlement dans la lutte pour les droits des migrant·e·s, notamment des femmes lesbiennes et transgenres.

L’engagement pour les droits des personnes LGBT racisées

Si la marginalisation des personnes LGBT+ est reconnue dans les sociétés d’accueil (Chbat, 2017 ; Rahman, 2014), la résilience de certaines d’entre elles leur donne un pouvoir d’agir qui se manifeste dans une dynamique militante (Bilge, 2015). Le récit de Fatma nous révèle des éléments favorables à son engagement dans la lutte pour les droits et les libertés. En effet, après le décès de son père, elle a grandi en observant sa mère se battre durement contre les normes sociales et contre la domination de ses oncles paternels.

Après le décès de mon père, elle [la mère] a tout fait, toute seule, pour nous élever et nous hisser aux plus hauts rangs. Elle nous a appris, filles et garçons, à compter sur nous mêmes. Ce n’est pas chose facile pour une femme en Libye.

Par ailleurs, en tant que jeune lesbienne consciente de la nécessité de défendre le droit à la différence, Fatma disposait également d’un blogue qu’elle animait et utilisait pour partager des éléments instructifs sur l’homosexualité, des histoires et des photos de personnes homosexuelles. Le blogue répond à une volonté de partager l’expérience de la différence et de construire un entre-soi favorable à un échange ouvert et fructueux. Des connexions avec les activistes LGBT+ libyen·ne·s en exil, la proximité avec les militant·e·s du mouvement LGBT+ au Maroc et surtout en Tunisie participent à la construction de cet engagement. D’autre part, sa formation universitaire en droit a aussi permis à Fatma de perfectionner un engagement politique en lien avec la reconnaissance des droits et des libertés individuelles.

Passionnée par l’activisme, Fatma s’investit dès 2012 dans le milieu associatif LGBT italien et contribue à la lutte pour les droits des personnes LGBT+ migrantes et réfugiées. Elle participe à des conférences, des débats, des manifestations, etc. Pour la première fois, elle s’engage dans la Gay Pride tenue à Milan en 2013 et représente, avec d’autres libyen·ne·s, le groupe de militant·e·s en ligne Kuzah (arc-en-ciel) à la Gay Pride de Milan en 2014. Cependant, elle raconte s’être surtout engagée auprès de l’association ArciLesbica qui s’intéresse aux femmes beaucoup plus qu’avec l’association ArciGay qui cible les hommes. Malheureusement, cette implication ne semble pas correspondre à ses intérêts puisqu’elle ne se sent pas interpellée par les discours tenus au sein de cette association en tant que lesbienne libyenne, maghrébine et africaine.

Leurs discours ne me touchent pas en tant que Fatma, dit-elle, leurs problématiques sont différentes des nôtres, surtout pour les lesbiennes racisé·e·s.

La revendication d’une identité lesbienne ne semble pas être remise en cause par Fatma. Par contre, les propos donnent à lire une mise en perspective d’une relation binaire entre « nous » et « vous » qui trace des frontières entre des espaces géographiques et culturels. La ligne de démarcation ainsi tracée semble s’inscrire dans le cadre de la lutte devenue classique entre « Orient » et « Occident ». D’autre part, les événements auxquels participe Fatma, qu’ils portent sur la communauté LGBT+ dans le monde ou encore sur la communauté LGBT+ migrante, sont organisés par des personnes « blanches » et sont fortement orientés par le savoir-faire occidental. Elle avance :

Lors d’un événement sur la communauté LGBT africaine, tout est déterminé par les “blancs”, le financement, le programme, les activités connexes, la manière de voir les choses… Je suis présente, avec d’autres, comme figurante. Les discours prononcés ne tiennent pas compte des différences culturelles, ni des différents contextes… D’abord, il leur arrive de parler à notre place, et puis la Tunisie n’est pas la Libye…n’est pas la Syrie par exemple ».

Le témoignage de Fatma soulève la normativité de la sexualité imposée par les organisations de lutte pour les droits LGBT+. Elle dénonce la domination des organisations « blanches » qui s’approprient les discours libérateurs des sexualités et les présentent comme des modèles hégémoniques et universels. En ce sens, l’homonormativité érigée révèle un « exceptionnalisme sexuel » (Puar, 2012) qui devient producteur d’autres types de frontières et de nouvelles formes de marginalité observables dans l’espace public. À juste titre, en discutant avec Fatma d’une éventuelle rencontre dans le quartier gay à Milan, elle relate :

Que veux-tu faire dans le quartier gay ? Il n’y a rien à voir… Si tu cherches les homosexuel·le·s maghrébin·e·s, ce n’est pas là-bas que tu vas les trouver. C’est un quartier réservé aux blancs que les personnes racisées ne fréquentent pas. J’ai accompagné une nouvelle arrivante lesbienne camerounaise… Tous les regards étaient fixés sur nous, comme si nous étions des extraterrestres. Oui… leurs regards sont intrigués… inquiets… c’est très gênant.

La violence des regards rappelle l’appartenance à une culture autre, différente, hostile et oppressive des sexualités dites non normatives. Elle affirme aussi un « nationalisme sexuel » peu tolérant à l’égard des modes d’être gay, lesbienne et queer de couleur (Puar, 2012).

En plus des défis vécus par les migrant·e·s, la question des femmes se pose avec acuité et apparaît fort importante dans le récit de Fatma. En effet, elle dénonce les rapports de domination hiérarchisés au sein des associations de lutte LGBT.

Je m’intéresse plus aux femmes par conviction, parce que je considère qu’elles ne profitent pas de leurs droits. Quand on parle des personnes LGBT, ce sont toujours les gays qui prennent le devant, les femmes sont toujours recalées et invisibilisées. Pourtant, les réalités des femmes sont multiples. Quand elles sont racisées, les différences deviennent encore plus prononcées. Elles ont donc besoin de plus d’attention et leurs situations nécessitent plus de travail.

Ces propos révèlent un positionnement féministe de Fatma qui émane de sa propre expérience, notamment dans le centre d’accueil des réfugié·e·s, mais aussi d’une connaissance des formes d’oppression subies par les femmes racisées. Il fallait ainsi, pour Fatma, trouver un autre cadre d’action plus spécifique, où elle se sentirait plus utile et plus efficace. La création d’une nouvelle association constitue ainsi la stratégie visée.

Avec un groupe de femmes, nous avons fondé l’association Lesbian Refugee centrée sur les femmes lesbiennes, migrantes et refugiées en Italie. Elles sont de plus en plus nombreuses.

Comme beaucoup de femmes racisées qui usent de leur capacité d’agir pour créer une dynamique de changement, Fatma se focalise sur les lesbiennes migrantes dans la société italienne.

Les difficultés des lesbiennes et femmes transgenres, surtout africaines [d’Afrique subsaharienne], sont monumentales. Quand elles me parlent des pratiques d’usage dans leur pays, c’est juste alarmant. Ici, en Italie, ce sont des migrantes, lesbiennes, noires… 

Avec Lesbian Refugee, Fatma tente de se démarquer et de mettre en évidence le vécu des femmes racisées dans la société italienne. Pourtant, celle-ci semble « bloquée » par le discours politique dominant contre l’immigration qui marque la condition des immigrant·e·s par plus de vulnérabilité et les fige souvent dans la position de subalternes (Campani, 2011). Dans le cadre de son implication au sein de Lesbian Refugee, Fatma souhaite « entreprendre des actions concrètes et résoudre des difficultés tangibles ». Elle contribue ainsi au montage d’un projet qui lui tient à coeur :

Le projet porte sur la conception d’un centre pour réfugié·e·s, son fonctionnement, le mode de traitement des dossiers des réfugié·e·s par la commission d’octroi de l’asile, et tout ce qui pourrait améliorer les conditions des personnes LGBT et réfugié·e·s. Il a été soumis aux autorités et nous attendons un retour…

Ce projet est important pour Fatma car, s’il est accepté, il serait susceptible de provoquer un changement dans l’expérience des migrant·e·s. Dans le cadre d’un projet émancipatoire, Fatma se montre solidaire des personnes différentes et aspire à participer au changement de leurs conditions de vie.

Conclusion

À partir de la trajectoire de Fatma, lesbienne libyenne réfugiée en Italie, il a été question de rendre compte des moments forts d’un parcours singulier. L’hétéronormativité et la violence politique en Libye incitent Fatma à quitter son pays et à penser à l’asile dans un pays européen, perçu comme ouvert à la diversité sexuelle. Après un transit par l’Egypte et la Suède, elle se rend en Italie où elle découvre des manifestations ordinaires et structurelles du sexisme et du racisme qui semblent marquer les vécus des personnes racisées. Celles qui se définissent par une sexualité dite non normative sont, en plus, confrontées à une façon d’être homosexuel·le définie par des critères occidentaux et blancs généralement reproduits par les principales organisations de lutte pour les droits LGBT+. Ainsi, pour ne pas participer à un projet « civilisationnel » et afin de lutter contre les diverses formes de victimisation auxquelles font face les personnes, qui comme elles, vivent des marginalisations multiples, Fatma s’engage dans la lutte pour les droits des migrant·e·s et se focalise sur les droits des lesbiennes racisées, dans le but de participer au changement de leurs modes d’appréhension et de leurs vécus.

Le récit biographique de Fatma atteste ainsi de l’imbrication de formes multiples de domination et de discrimination. Il éclaire la pluralité des rapports sociaux qui traversent l’expérience d’une femme, lesbienne, racisée, et rend compte d’une réalité complexe. Celle-ci est prise dans un entre deux, entre « Orient » et « Occident », dont les lignes de démarcation sont érigées par Fatma, mais aussi par ses interlocuteurs et interlocutrices. En effet, la logique d’opposition entre ces deux pôles est perceptible dans les discours, mais aussi dans les pratiques des un·e·s et des autres. Au nom des valeurs d’égalité et de liberté, la confrontation entre un « nous » et un « vous » ou un « eux » repose sur le principe de l’exclusion de l’autre. Elle n’aide pas, à ce titre, à un dépassement des limites d’un processus qui se veut émancipatoire et libérateur de toute forme d’oppression.