Corps de l’article

Dans plusieurs domaines de vie, le succès et l’échec se départagent en quelques millisecondes ou en quelques points sur une grille d’évaluation. La majorité des situations d’accomplissement (examen, match, entrevue) mettent explicitement ou implicitement en compétition des personnes qui possèdent un niveau d’habiletés relativement égal. Dans de telles situations, où la majorité des gens visent à repartir avec les grands honneurs, il y a inévitablement des gagnants et des perdants. Se préparer pour maximiser ses chances de réussite, tout en acceptant ses erreurs et ses défaites, est essentiel pour que les performeurs puissent relever les défis en minimisant les impacts potentiellement négatifs sur leur ajustement psychologique. Malgré la meilleure préparation, l’échec demeure toujours une possibilité. C’est dans ce contexte que la psychologie de la performance humaine vise à minimiser l’anxiété de performance en identifiant pourquoi certaines personnes semblent moins lourdement incommodées avant, durant et après les situations d’accomplissement. La peur de l’échec s’inscrit comme une manifestation cognitive fréquemment associée à l’anxiété de performance (Taylor et al., 2021). Dans cet article, nous utilisons une nouvelle théorie – le modèle de l’excellencisme et du perfectionnisme (MEP; Gaudreau, 2019) – pour explorer de nouvelles pistes, afin de mieux comprendre les relations entre le perfectionnisme et la peur de l’échec ressentie par plusieurs performeurs à l’école et dans les sports.

État de la documentation à propos du perfectionnisme

Le perfectionnisme est caractérisé par une tendance à poursuivre des standards extrêmement élevés et irréalistes qui sont accompagnés de nombreuses évaluations critiques récurrentes à propos de leur poursuite et de leur réalisation (p. ex., Frost et al., 1990; Stoeber, 2018). Le perfectionnisme est une disposition de la personnalité qui se découpe en deux grandes dimensions (p. ex., Burgess et al., 2016; Cox et al., 2002). La première dimension représente la poursuite de standards perfectionnistes, aussi nommée le perfectionnisme de standard personnel. Elle caractérise la tendance à viser et poursuivre des standards extrêmement élevés souvent de manière volontaire et sans ressentir de la pression sociale. Les individus qui sont élevés sur cette dimension possèdent un perfectionnisme orienté vers soi, qui les oriente à la fois vers la recherche de hauts standards et vers une auto-évaluation construite autour de l’atteinte de tels critères. La deuxième dimension représente les préoccupations perfectionnistes. Elle est caractérisée par la présence récurrente de doutes à propos de nos actions, de craintes à propos des erreurs et d’une perception de pression sociale diffuse émanant de la société et de l’environnement social. Les individus qui sont élevés sur cette dimension sont hypercritiques envers leur imperfection, réagissent de manière excessivement négative à leurs erreurs et ils sont éternellement insatisfaits et incertains face à leurs actions.

De nombreuses méta-analyses ont documenté les associations entre le perfectionnisme et différents critères d’ajustement psychologique. La dimension de préoccupations perfectionnistes corrèle positivement avec le burnout (Hill et Curran, 2015), la dépression (Smith et al., 2016), l’anxiété (Smith, Vidovic et al., 2018), les intentions suicidaires (Smith, Sherry et al., 2018) et divers indicateurs de psychopathologie (Limburg et al., 2017). De fait, la liste des corrélats qui sont négativement associés aux préoccupations perfectionnistes est trop exhaustive pour être ici recensée. En somme, de nombreuses preuves existent à propos de la nature débilitante de cette dimension du perfectionnisme.

Quant à la dimension du perfectionnisme de standard personnel, elle est associée à des conséquences beaucoup plus nuancées. Après avoir contrôlé statistiquement pour les préoccupations perfectionnistes, il arrive souvent que la dimension des standards perfectionnistes corrèle positivement avec la performance et des indicateurs de bien-être (Gotwals et al., 2012), tout en corrélant négativement avec des indicateurs de détresse psychologique (Levine et al., 2020). Ces résultats, qui illustrent la nature complexe du perfectionnisme, ont donné lieu à l’élaboration d’un modèle quadripartie – le modèle 2 × 2 (Gaudreau et Thompson, 2010; Gaudreau et Verner-Filion, 2012). En croisant les deux dimensions du perfectionnisme, ce modèle permet d’étudier quatre sous-types de perfectionnisme qui tendent à être associés à des conséquences allant de très mauvaises à moins mauvaises : (1) purement orienté vers les préoccupations perfectionnistes, (2) perfectionnisme mixte, orienté à la fois vers les standards personnels et les préoccupations perfectionnistes, (3) non-perfectionnisme et (4) purement orienté vers les standards personnels. Environ une cinquantaine d’études tendent à conclure que ce dernier sous-type, qui consiste à poursuivre des standards perfectionnistes sans ressentir de préoccupations perfectionnistes, est à la fois possible et souhaitable (Gaudreau et al., 2018; Hill et Madigan, 2017; Hill et al., 2020). En fait, les individus caractérisés par une telle combinaison de traits perfectionnistes semblent généralement plus performants, motivés et adaptés psychologiquement que les non-perfectionnistes. Mais le sont-ils véritablement?

Vers une nouvelle conceptualisation du perfectionnisme

Pourquoi avons-nous besoin d’un nouveau cadre théorique du perfectionnisme? À ce jour, il existe une incohérence entre l’état de la documentation et les recommandations pratiques qui en découlent. D’une part, plusieurs études empiriques ont montré que le perfectionnisme purement orienté vers les standards personnels est associé à des conséquences désirables. D’autre part, plusieurs histoires de cas ont illustré les nombreux dangers du perfectionnisme dans la vie courante (p. ex., Flett et al., 2014; Hewitt et al., 2017). Le perfectionnisme, sous toutes ses formes, est considéré comme un facteur de risque de la psychopathologie (Limburg et al., 2017). La prévalence de cette caractéristique de la personnalité a augmenté durant les dernières décennies (Curran et Hill, 2019), si bien que des psychologues n’hésitent plus à parler d’une pandémie de perfectionnisme (Flett et Hewitt, 2020) et à le positionner comme un désordre de la personnalité (Ayearst et al., 2012). En ce sens, malgré les effets positifs documentés empiriquement, la majorité des scientifiques refusent de positionner et de promouvoir le perfectionnisme comme un « mode de vie » efficace pour aider les gens à arriver à leurs fins (p. ex., Gaudreau et al., 2018; Wade, 2018).

Gaudreau (2019) a récemment développé le MEP afin de séparer conceptuellement la poursuite de l’excellence de la poursuite de la perfection. Ce modèle souligne la possibilité que toutes les formes de perfectionnisme – y compris un sous-type purement orienté vers les standards personnels – puissent être associées à des conséquences moins favorables que celles de l’excellencisme. La poursuite de l’excellence – l’excellencisme – représente la tendance à viser des standards élevés, mais réalisables, et à les poursuivre d’une manière engagée, teintée d’effort et vigoureuse, mais flexible. L’excellencisme implique la recherche de la compétence, de l’accomplissement, de la productivité, de la grandeur, de la maîtrise et des très bons résultats. Certes, ces caractéristiques se retrouvent également chez les gens qui visent et poursuivent la perfection. Cependant, le perfectionnisme implique une élévation ou une exagération des standards recherchés, ainsi que des moyens pour y parvenir. Là où la poursuite de l’excellence se termine, la poursuite de la perfection se poursuit. Le lexique francophone est rempli de synonymes et d’expressions qui décrivent la nature excessive, démesurée, exagérée, extrême, stricte, déraisonnable, non nécessaire, idéalisée, sans faille, exacte, stricte et inflexible du perfectionnisme. Ce sont ces caractéristiques additionnelles – celles qui ne sont pas partagées avec l’excellencisme – qui constituent le point de chute qui délimite la frontière du perfectionnisme. Dans le MEP, le perfectionnisme est donc redéfini comme la tendance à viser des standards idéalisés, déraisonnables et excessivement élevés et à les poursuivre sans relâche et sans ménagement. En résumé, les gens qui visent l’excellence se contentent de poursuivre l’excellence, alors que les gens qui visent la perfection poursuivent la perfection bien au-delà des critères et des moyens associés à l’excellencisme.

Le MEP contribue à la documentation sur le perfectionnisme d’au moins trois façons. Premièrement, il formalise une distinction souvent mentionnée dans la documentation (p. ex., Wade, 2018), mais qui nécessitait d’être conceptuellement définie et empiriquement mesurée. L’instrument de mesure qui découle de cette théorie permet maintenant d’étudier les associations distinctes de l’excellencisme et du perfectionnisme au sein de leur réseau nomologique respectif (Gaudreau et al., 2021). Deuxièmement, il est maintenant possible d’évaluer si le perfectionnisme (en tant que poursuite de standards allant au-delà de l’excellence) demeure associé à des conséquences désirables. En extrayant l’excellencisme des mesures du perfectionnisme, il est probable que le perfectionnisme ne corrèle plus positivement avec les conséquences désirables telles que la performance, le progrès dans la poursuite des buts, les affects positifs et le bonheur. Si la poursuite de l’excellence est suffisante, on devrait pouvoir démontrer que le perfectionnisme n’a aucune valeur ajoutée bénéfique au-delà de l’excellencisme.

Troisièmement, le MEP fait appel à l’analogie du retour sur l’investissement (Brue, 1993) pour élaborer des hypothèses à propos des associations de l’excellencisme et du perfectionnisme avec l’ajustement psychologique. L’excellencisme devrait aider les individus à se réaliser et à obtenir de bons retours sur leur investissement. Les gens qui poursuivent l’excellence devraient s’accomplir davantage que ceux qui ne poursuivent pas l’excellence, et ce, sans pour autant vivre plus de stress, d’anxiété, de fatigue ou de dépression. Qui plus est, l’excellencisme offre un point de comparaison nécessaire pour évaluer les effets associés au perfectionnisme. En partant de ces principes, Gaudreau (2019) propose trois hypothèses alternatives. D’abord, il est possible (bien que peu probable) que le perfectionnisme confère des avantages ou des bienfaits au-delà de l’excellencisme. Après contrôle statistique de l’excellencisme, le perfectionnisme prédirait positivement, par exemple, le bonheur. Ensuite, il apparaît plus probable que le perfectionnisme n’apporte aucune valeur ajoutée bénéfique au-delà de l’excellencisme. Après contrôle statistique de l’excellencisme, le perfectionnisme deviendrait un prédicteur non significatif du bonheur. Si tel était le cas, ces résultats apporteraient un appui à la prémisse du MEP selon laquelle les études antérieures ont surestimé la positivité du perfectionnisme en confondant ses effets avec ceux de l’excellencisme. Les gens qui poursuivent l’excellence seraient plus heureux que ceux qui ne poursuivent pas l’excellence, mais les perfectionnistes n’auraient aucun avantage incrémental au-delà des gens qui poursuivent l’excellence. Malgré un investissement démesurément plus élevé, les perfectionnistes ne récolteraient aucun dividende additionnel malgré leur visée et leur poursuite supplémentaire. Finalement, il est même possible que le perfectionnisme finisse par nuire à l’ajustement psychologique. En contrôlant statistiquement pour l’excellencisme, le perfectionnisme pourrait devenir un prédicateur négatif du bonheur et peut-être même un prédicateur positif de différents indicateurs de détresse psychologique. En résumé, ces trois hypothèses alternatives du MEP offrent un cadre théorique pour évaluer si le perfectionnisme, au-delà de l’excellencisme, possède une valeur incrémentale bienfaisante, nulle ou débilitante.

LA PRÉSENTE ÉTUDE

La peur de l’échec s’inscrit comme une manifestation cognitive fréquemment associée à l’anxiété de performance (Taylor et al., 2021). Nous rapportons ici les résultats d’une étude, réalisée auprès de la population étudiante et sportive, dans laquelle nous avons testé les hypothèses du MEP en examinant la difficulté à concilier le sport et les études, la peur de l’échec et la réussite perçue dans la poursuite des buts scolaires et sportifs. Il est attendu que ces manifestations cognitives de l’anxiété de performance soient plus prévalentes chez les personnes qui poursuivent la perfection que chez celles qui poursuivent l’excellence.

Dans le passé, la peur de l’échec a été conceptualisée à l’aide de deux approches théoriques distinctes. D’une part, la théorie de la motivation à l’accomplissement différencie le désir de réussir et la peur d’échouer (p. ex., Atkinson, 1957; Covington, 2000). Le désir de réussir représente l’attrait des individus envers des tâches stimulantes et difficiles, dans lesquelles leurs habiletés seront mises à contribution. Dans ce modèle, la peur de l’échec est conceptualisée en mesurant la tendance des gens à ressentir de l’inconfort dans des situations nouvelles et exigences dans lesquelles les enjeux sont grands pour la personne et pour les autres (Lang et Fries, 2006). D’autre part, le modèle multidimensionnel de la peur de l’échec s’intéresse aux évaluations cognitives manifestées par les individus qui ont peur d’échouer (Conroy et al., 2002; Taylor et al., 2021). Les gens qui ont peur de l’échec remettent en question leur talent lorsqu’ils échouent. Ils craignent que l’échec bouleverse leur plan d’avenir. À un niveau social, ils ont peur que les gens s’intéressent moins à eux après un échec et que les membres de leur entourage soient déçus d’eux. Ils s’inquiètent donc de ce que les autres vont penser s’ils venaient à échouer. Dans cette étude, notre modélisation de la peur de l’échec à l’école et dans les sports, repose sur ce modèle multidimensionnel des évaluations cognitives de la peur de l’échec.

Les recherches antérieures ont obtenu des résultats inattendus à propos des relations du perfectionnisme avec la peur de l’échec et l’accomplissement en milieu sportif et académique. La corrélation positive entre le perfectionnisme de standard personnel et la peur de l’échec est faible et souvent statistiquement non significative (p. ex., Conroy et al., 2007; Sagar et Stoeber, 2009). À l’opposé, le perfectionnisme de standard personnel corrèle positivement avec divers indicateurs objectifs et subjectifs d’accomplissement tels que les notes et le progrès dans la poursuite des buts. Cette association, de force modérée, est robuste à travers plusieurs échantillons (Hill et Madigan, 2017; Madigan, 2019). À première vue, ces études antérieures semblent soutenir la thèse voulant que le perfectionnisme facilite la performance scolaire et académique, et ce, sans exacerber les manifestations cognitives de l’anxiété de performance telles que la peur de l’échec. Cependant, ces études ont mesuré le perfectionnisme sans insister sur la distinction entre l’excellencisme et le perfectionnisme. Le but de notre étude était donc de revisiter ces résultats inattendus à la lumière des récents avancés conceptuels et théoriques proposés dans le MEP (Gaudreau, 2019). En isolant les effets du perfectionnisme de ceux de l’excellencisme, il est attendu que le perfectionnisme sera associé positivement à la peur de l’échec, alors que l’excellencisme sera associé positivement à l’accomplissement scolaire et sportif. Le perfectionnisme, au-delà de l’excellencisme, aura une valeur incrémentale nulle pour prédire l’accomplissement et une valeur incrémentale débilitante pour prédire la peur de l’échec.

Méthode

Participants

Nous avons recruté un échantillon de 156 membres de la population étudiante qui participaient à des activités sportives. La majorité étudiait à temps plein (96,8 %) en première année (66,7 %) ou en deuxième année (20,5 %) à l’université et leur moyenne d’âge était de 19,10 ans (ÉT = 3,03). L’échantillon est constitué de femmes (45,5 %), d’hommes (28,8 %) et de gens (25,6 %) qui n’ont pas révélé leur identité de genre. Les participants sont majoritairement Blanc (72,4 %), Noir (4,5 %), Hispanique (3,2 %), Asiatique (11,5 %), Arabe (3,2 %) ou autre (5,1 %). La plupart pratiquaient leur sport depuis cinq ans ou plus (75 %) à un niveau récréatif (48,1 %), régional (16,7 %), provincial (18,6 %), national (10.9 %) et international (5,8 %) à une fréquence moyenne de 3,55 jours par semaine (ÉT = 1,85). Les sports pratiqués par les membres de l’échantillon sont très variés, mais les plus fréquents sont le soccer (n = 21), le hockey (n = 20), le volleyball (n = 16), le basketball (n = 14), la danse (n = 10) et la ringuette (n = 8). Un formulaire de consentement libre et éclairé a été complété électroniquement et cette étude a été approuvée par le comité de déontologie de l’université où la collecte de données a eu lieu. L’étude a été réalisée en anglais dans une université de l’Ontario à travers un système de participation à la recherche, pour les gens inscrits dans le cours d’introduction à la psychologie.

Design et mesures

Nous avons utilisé un devis transversal et corrélationnel à un seul temps de mesure dans lequel les gens ont répondu à des questions générales et des questions spécifiques pour chacun de leurs deux domaines de vie : sport et école. Ce devis multidomaine est utile, car il permet d’évaluer des effets intradomaines (p. ex., le sport influence le sport) et des effets interdomaines (p. ex., le sport influence l’école). Il permet également de répliquer en évaluant la similarité des effets estimés à travers deux domaines de vie. Cet article fait partie d’un projet de recherche qui contenait d’autres mesures qui ne sont pas décrites dans ce manuscrit.

Excellencisme et perfectionnisme

Nous avons utilisé la version en 22 items du Scale of Excellencism and Perfectionism (SCOPE) afin de mesurer l’excellencisme et le perfectionnisme (Gaudreau et Schellenberg, 2018). Le SCOPE a été construit en fonction des définitions opérationnelles et des postulats du MEP (Gaudreau, 2019). Il contient 11 items qui mesurent l’excellencisme et qui sont suivis de 11 items qui mesurent le perfectionnisme. Cet ordre de présentation permet d’être cohérent avec le postulat selon lequel le perfectionnisme est une poursuite dont les visées et les moyens vont au-delà de l’excellencisme. Les items sont précédés de l’énoncé « En général, dans la vie, mon but est de … ». Alors que l’excellencisme est caractérisé par des objectifs élevés poursuivis de manière raisonnable (p. ex., « avoir de très bonnes performances », « travailler très fort jusqu’à atteindre l’excellence »), le perfectionnisme mesure des objectifs extrêmes et irréalistes poursuivis de manière inflexible (« avoir des performances parfaites », « de travailler sans relâche jusqu’à atteindre la perfection »). La validité factorielle, la cohérence interne, la fidélité test-retest et la validité critériée ont été testées à travers sept échantillons (Gaudreau et al., 2021) et font l’objet d’un programme de recherche continu pour documenter les propriétés psychométriques de l’instrument auprès de différents contextes et populations. Les items sont évalués sur une échelle allant de 1 (« Pas du tout ») à 7 (« Totalement ») et forment un score d’excellencisme (α = 0,958) et un score de perfectionnisme (α = 0,973).

Peur de l’échec

Nous avons utilisé la version courte en cinq items du Performance Failure Appraisal Inventory (Conroy et al., 2002), car cet instrument est fréquemment utilisé pour mesurer la peur de l’échec dans les sports (Conroy et al., 2002) et à l’école (De Castella et al., 2013). Cet instrument a fait l’objet d’un processus de validation rigoureux (Conroy et al., 2003), ce qui explique qu’il est l’un des instruments les plus fréquemment utilisés (Taylor et al., 2021). Chacun des items mesure une peur différente que les gens ressentent face à l’échec (p. ex., « Quand j’échoue, j’ai peur que cela bouleverse mes plans pour le futur ») et est évalué sur une échelle en cinq points : 1 = « Je n’y crois pas du tout; 0 % du temps » 3 = « Je crois à cela 50 % du temps » et 5 = « Je crois à cela 100 % du temps ». Dans cette étude, la peur de l’échec dans les sports et la peur de l’échec à l’école se trouvaient dans des sections différentes du questionnaire (c.-à-d., expérience sportive, expérience scolaire) afin d’obtenir des scores distincts de la peur de l’échec sportive (α = 0,768) et de la peur de l’échec scolaire (α = 0,872).

Atteinte des buts d’accomplissement

Obtenir une base comparative valable de la performance objective est difficile lorsque les gens pratiquent des sports différents et qu’une étude s’intéresse simultanément à la réussite scolaire et sportive. Une approche alternative consiste alors à mesurer le degré d’accomplissement subjectif à l’aide de critères théoriquement pertinents (Crocker et al., 2015). Dans cette étude, nous avons utilisé la version sportive et la version scolaire du Attainment of Sport (or School) Achievement Goal Scale (ASAGS) – une mesure subjective dans laquelle les participants utilisent trois critères pour évaluer leur degré d’accomplissement dans le cadre d’une activité ou d’un domaine de vie précis (Amiot et al., 2004). Cet instrument contient 12 items qui évaluent à quel point les gens réussissent (a) à maîtriser les exigences absolues de leurs tâches scolaires (p. ex., « j’ai fourni un effort de qualité dans l'apprentissage de la matière de mes cours ») ou sportives (p. ex., « j’ai bien exécuté mes mouvements »), (b) à s’améliorer à travers le temps (p. ex., « j’ai fait mieux que mes performances habituelles » ) et (c) à atteindre des niveaux de performance avantageux comparativement aux autres (p. ex., « j’ai démontré que je fais partie des meilleur(e)s » ). Chaque item est évalué sur une échelle allant de 1 (« Pas du tout ») à 7 (« Totalement »). Les scores sont suffisamment intercorrélés pour former un score total qui offre une vue d’ensemble du niveau d’accomplissement des individus en contexte sportif et scolaire, respectivement. La validité factorielle, la cohérence interne et la validité critériée ont été testées à travers différentes études (p. ex., Gaudreau et Braaten, 2016; Martinent et al., 2013). Dans notre échantillon, les trois sous-échelles étaient corrélées dans le sport (r = 0,512 à 0,642) et à l’école (r = 0,591 à 0,683) et la cohérence interne du score total était acceptable (école, α = 0,837; sport, α = 0,785).

Difficulté à concilier sport et école

Un nouvel item a été utilisé pour demander aux participants d’évaluer, sur une échelle allant de 0 (« Pas du tout difficile ») à 100 (« Extrêmement difficile »), à quel point ils trouvaient cela difficile de gérer leur vie scolaire et les exigences de leur sport.

Plan d’analyses

La distance de Mahalanobis et un examen des nuages de points ont été utilisés afin d’identifier des cas aberrants susceptibles de biaiser les associations entre les variables. Les statistiques descriptives et les corrélations entre les variables sont présentées dans le Tableau 1.

Une régression multiple multivariée (avec un estimateur de maximum de vraisemblance robuste) a été effectuée afin d’inclure simultanément les cinq variables dépendantes dans le même modèle. Cette approche est plus parcimonieuse, car elle minimise les risques de tabler sur la chance lorsque les variables dépendantes sont corrélées. Dans ces analyses, l’excellencisme et le perfectionnisme sont entrés comme variables indépendantes pour prédire chacune de nos cinq variables dépendantes. Un coefficient de régression positif de l’excellencisme indique que ceux qui poursuivent l’excellence ont un score plus élevé sur la variable dépendante que ceux qui ne poursuivent pas l’excellence et/ou la perfection. Un coefficient de régression positif du perfectionnisme indique que ceux qui poursuivent la perfection ont un score plus élevé sur la variable dépendante que ceux qui poursuivent l’excellence (voir Gaudreau, 2019, Tableaux 1 et 2). Pour faciliter l’interprétation, l’intercepte, les bêtas non standardisés et des valeurs faibles (-1ÉT) et élevées (+1ÉT) des variables indépendantes sont utilisées pour calculer les valeurs prédites pour des individus (a) qui ne poursuivent pas l’excellence ni la perfection (-1ÉT de l’excellencisme et du perfectionnisme), (b) qui poursuivent l’excellence (+1ÉT de l’excellencisme et -1ÉT du perfectionnisme) et (c) qui poursuivent la perfection au-delà de l’excellence (+1ÉT de l’excellencisme et du perfectionnisme). Les participants ne sont pas divisés arbitrairement en groupe et toutes les inférences reposent sur les résultats de la régression multiple (Gaudreau, 2012, 2013). La syntaxe de cette analyse, réalisée dans Mplus, est disponible en libre accès : https://osf.io/az64s/?view_only=5dc240985e2e4247ba9d463a4762fecb

Tableau 1

Statistiques descriptives et corrélations

Statistiques descriptives et corrélations

Note. N = 156. ** p < 0,01. * p < 0,05.

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Tableau 2

Résultats de la régression multiple multivariée

Résultats de la régression multiple multivariée

Note.N = 156. ** p < 0,01. * p < 0,05. E = Excellencistes. P = Perfectionnistes. N = Gens qui ne poursuivent ni l’excellence ni la perfection. Les tailles d’effet sont approximatives et elles sont calculées en divisant le résultat de la soustraction de deux valeurs prédites par l’ÉT de la variable dépendante.

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Résultats

Analyses préliminaires

Aucun cas aberrant n’a été détecté avec la distance de Mahalanobis. Un cas semblait suspect dans certains nuages de point, mais son inclusion ou son retrait n’influençait pas les résultats d’une manière substantielle. Toutes les analyses ont été effectuées auprès de l’échantillon complet de 156 personnes.

Le Tableau 1 présente les données descriptives et les corrélations entre les variables. Tel qu’attendu dans le MEP, l’excellencisme et le perfectionnisme étaient assez fortement corrélés (r = 0,507, p < 0,01). La peur de l’échec sportif et scolaire étaient fortement corrélées (r = 0,686, p < 0,01) alors que l’accomplissement sportif et scolaire étaient modérément corrélés (r = 0,324, p < 0,01). Les corrélations de l’excellencisme et du perfectionnisme avec les autres variables doivent être interprétées avec prudence puisque les hypothèses du MEP sont multivariées et doivent être testées avec des régressions multiples.

Régression multiple multivariée

Les résultats de la régression multiple multivariée sont présentés dans le Tableau 2. L’excellencisme était associé positivement et significativement à l’accomplissement sportif et à l’accomplissement scolaire. Le perfectionnisme était associé positivement et significativement à la peur de l’échec sportif, à la peur de l’échec scolaire et à la difficulté à concilier le sport et l’école. Au-delà de l’excellencisme, le perfectionnisme n’était pas associé à un gain significatif de l’accomplissement et il était associé à une élévation significative de la peur de l’échec et des difficultés à concilier le sport et la vie scolaire.

La Figure 1 rapporte les valeurs prédites pour des gens qui possèdent différentes combinaisons intra-individuelles d’excellencisme et de perfectionnisme. Ces valeurs prédites sont donc des représentations prototypiques pour (a) des gens qui ne poursuivent ni l’excellence ni la perfection, (b) des excellencistes et (c) des perfectionnistes. Dans cet échantillon, les perfectionnistes avaient des niveaux d’accomplissement scolaire et sportif qui ne différaient pas significativement des excellencistes. En termes clairs, il y a 50 % de chance qu’un perfectionniste tiré aléatoirement de l’échantillon performe mieux qu’un excellenciste tiré aléatoirement de l’échantillon (ou vice versa). Cependant, les perfectionnistes avaient des niveaux significativement plus élevés de peur de l’échec et de difficulté à concilier le sport et la vie scolaire comparativement aux excellencistes. Quant à eux, les excellencistes avaient des niveaux d’accomplissement significativement plus élevés, sans pour autant avoir des niveaux significativement plus élevés de peur de l’échec et de difficulté de conciliation que les gens qui ne poursuivent ni l’excellence ni la perfection.

Figure 1

Valeurs prédites pour des gens qui ne poursuivent ni l’excellence ni la perfection (Non) et pour des excellencistes et des perfectionnistes. Les barres de couleurs différentes diffèrent significativement les unes des autres (p < 0,05)

Valeurs prédites pour des gens qui ne poursuivent ni l’excellence ni la perfection (Non) et pour des excellencistes et des perfectionnistes. Les barres de couleurs différentes diffèrent significativement les unes des autres (p < 0,05)

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Analyses complémentaires

La peur de l’échec pourrait être prépondérante lorsque les gens se perçoivent en situation d’échec – c’est-à-dire, lorsque leur niveau subjectif d’accomplissement est faible. Dans cette optique, nous voulions déterminer si l’excellencisme et le perfectionnisme demeurent significativement associés à la peur de l’échec après avoir contrôlé statistiquement pour l’influence de l’accomplissement subjectif. Une régression multiple multivariée a été testée avec la peur de l’échec sportif et scolaire comme variables dépendantes et l’excellencisme, le perfectionnisme et l’accomplissement sportif et scolaire comme variables indépendantes. Les résultats de cette analyse sont similaires à ceux présentés dans le Tableau 2. D’une part, au-delà de l’accomplissement scolaire (β = -0,203, p < 0,05) et sportif (β = -0,132, p > 0,05), le perfectionnisme (β = 0,363, p < 0,01) demeurait un prédicateur significatif alors que l’excellencisme (β = 0,051, p > 0,05) demeurait un prédicateur non significatif de la peur de l’échec dans les sports (R2 = 0,172). D’autre part, au-delà de l’accomplissement scolaire (β = -0,296, p < 0,01) et sportif (β = -0,054, p > 0,05), le perfectionnisme (β = 0,329, p < 0,05) demeurait un prédicateur significatif alors que l’excellencisme (β = 0,067, p > 0,05) demeurait un prédicateur non significatif de la peur de l’échec à l’école (R2 = 0,180).

DISCUSSION

Dans le passé, les scientifiques ont évalué les conséquences du perfectionnisme en comparant les perfectionnistes et les non-perfectionnistes. Ce faisant, la documentation scientifique a potentiellement surestimé la positivité du perfectionnisme. En nous basant sur le MEP (Gaudreau, 2019), notre étude a examiné la peur de l’échec, l’accomplissement subjectif et la difficulté à concilier sport et études en comparant les perfectionnistes et les excellencistes (voir la Figure 1). D’une part, le perfectionnisme est associé à une élévation de la peur de l’échec à l’école et dans les sports et à une difficulté à concilier le sport et les études. D’autre part, l’excellencisme, et non le perfectionnisme, est positivement associé à l’accomplissement scolaire et sportif. Le perfectionnisme, au-delà de l’excellencisme, possède une valeur incrémentale nulle pour prédire l’accomplissement et une valeur incrémentale débilitante pour prédire la peur de l’échec et les difficultés de conciliation sport-études. Poursuivre l’excellence semble donc suffisant pour obtenir des niveaux élevés d’accomplissement scolaire et sportif, tout en limitant la peur de l’échec et les difficultés à concilier le sport et les études. En isolant les effets du perfectionnisme de ceux de l’excellencisme, nos résultats réfutent la thèse de la positivité du perfectionnisme.

Implications du MEP pour la recherche sur le perfectionnisme

Au cours des 20 dernières années, plusieurs études empiriques ont obtenu des résultats qui, à première vue, soutiennent la thèse de la positivité du perfectionnisme. Cependant, de nombreuses équipes de recherche ont critiqué cette position en rejetant l’idée que le perfectionnisme puisse être considéré comme un facteur de protection (p. ex., Greenspon, 2000; Hewitt et al., 2017; Shafran et al., 2002). Plusieurs psychologues considèrent le perfectionnisme comme un facteur de risque impliqué dans le développement et le maintien de multiples psychopathologies, et militent même pour qu’il soit considéré comme un désordre de la personnalité (p. ex., Ayearst et al., 2012; Bach et First, 2018). C’est dans ce contexte, que le MEP a été proposé afin d’offrir une explication susceptible de déterminer, une fois pour toutes, si le perfectionnisme est associé à des conséquences désirables. Au lieu de comparer le perfectionnisme au non-perfectionnisme, le MEP compare le perfectionnisme à l’excellencisme. Puisque le perfectionnisme implique une quête supplémentaire dans laquelle la personne vise des standards extrêmes et les poursuit d’une manière inflexible, la question de savoir si les perfectionnistes réussissent mieux que les excellencistes, est le véritable point de comparaison pour évaluer si le perfectionnisme est une quête nécessaire. Aucun des résultats de cette étude ne permet d’appuyer l’idée que le perfectionnisme offre une valeur incrémentale bénéfique au-delà de l’excellencisme.

Qu’aurait-on conclu si notre étude n’avait pas distingué l’excellencisme et le perfectionnisme? Tel qu’illustré à la Figure 1, les perfectionnistes ont des niveaux d’accomplissement scolaire et sportif supérieurs aux gens qui ne poursuivent ni l’excellence ni la perfection. Donc, nous aurions aisément pu conclure que le perfectionnisme permet aux gens de s’accomplir davantage dans les sports et à l’école. Cependant, malgré leur quête supplémentaire, extrême, rigide et déraisonnable, les perfectionnistes ne réussissent pas mieux que les excellencistes. De plus, ils se retrouvent à ressentir davantage de peur de l’échec et ils rapportent vivre davantage de difficulté à balancer leur vie scolaire et leur vie sportive. La poursuite des standards élevés et ambitieux, mais réalisables et flexibles de l’excellencisme est suffisante pour obtenir des niveaux d’accomplissement élevés, tout en minimisant les craintes, les doutes et les peurs liés aux possibilités de vivre des échecs sportifs et scolaires.

Interprétation en lien avec la thématique de l’anxiété de performance

La peur de l’échec et l’anxiété de performance sont corrélées, mais tout de même considérées comme des concepts distincts (p. ex., Hagtvet et Benson, 1997). Les évaluations cognitives de la peur de l’échec s’apparentent davantage aux manifestations cognitives de l’anxiété de performance qu’à ses manifestations somatiques. En ce sens, il sera important de reproduire nos résultats en étudiant plus spécifiquement l’anxiété de performance à l’intérieur d’un cadre multidimensionnel, qui différencie non seulement les manifestations cognitives et somatiques, mais également le trait d’anxiété et son expression épisodique (état d’anxiété).

Savoir que le perfectionnisme (comparé à l’excellencisme) est impliqué dans la peur de l’échec est important pour le travail des psychologues cliniques. Nous pensons que la peur de l’échec pourrait agir comme un mécanisme cognitif-motivationnel impliqué dans le développement et le maintien de l’anxiété de performance. Au niveau cognitif, avoir peur que l’échec puisse entraîner des conséquences négatives au niveau personnel et social est définitivement quelque chose qui est susceptible d’augmenter notre anxiété, avant et durant l’exécution d’une performance. Les performeurs, dans les sports comme à l’école, doivent pouvoir se concentrer sur la tâche sans succomber aux distractions internes occasionnées par la possibilité d’échouer. L’échec est toujours une possibilité et l’acceptation de cette réalité est nécessaire pour une gestion optimale des émotions lors des matchs et des examens. La peur de l’échec plus élevée chez les perfectionnistes pourrait leur donner l’impression que l’anxiété est une chose anormale et susceptible de nuire à leur performance, à leur apprentissage et à leur santé. Une piste de recherche future serait donc d’étudier les ramifications entre la peur de l’échec et comment les perfectionnistes vivent leurs symptômes d’anxiété, en s’inspirant de paradigmes comme ceux traitant des perceptions facilitantes et débilitantes de l’anxiété (Hanton et al., 2008), des théories implicites du stress (Jamieson et al., 2018) et la sensibilité à l’anxiété (Olatunji et Wolitzky-Taylor, 2009).

Au niveau motivationnel, la théorie de la motivation à l’accomplissement postule que la peur de l’échec oriente les gens vers des tâches dans lesquelles le niveau de difficulté est élevé ou faible (Atkinson, 1957). Quand la tâche est très difficile, tout le monde risque d’échouer et il est facile d’attribuer l’échec à une cause externe et incontrôlable (Weiner, 2010). Quand la tâche est facile, les risques d’échec sont minimes. Choisir de s’investir uniquement dans des tâches faciles est un mécanisme lié à une motivation centrée sur l’évitement qui pourrait contribuer non seulement au développement, mais également au maintien de l’anxiété de performance des perfectionnistes. L’erreur et les échecs font partie du processus d’apprentissage. Le fait de volontairement choisir des tâches qui minimisent les risques d’erreur et d’insuccès pourrait perpétuer les fausses croyances des perfectionnistes à propos des effets indésirables des erreurs et des échecs. Si tel était le cas, une exposition progressive à des situations d’accomplissement posant un défi plus élevé pourrait être une intervention intéressante pour apprendre aux perfectionnistes à gérer plus efficacement leurs erreurs. Tester fréquemment son degré d’apprentissage (Yang et al., 2021), faire des pratiques faisant appel à un mode de répétitions aléatoires (p. ex., Lee, 2012) et la création d’éducatifs avec des exigences similaires à celles vécues en compétition (p. ex., Pinder et al., 2011) sont des méthodes d’apprentissage qui peuvent naturellement exposer les apprenants aux erreurs et aux échecs. Par contre, il est possible que les perfectionnistes préfèrent se rassurer en apprenant la matière par coeur ou en augmentant simplement le nombre de répétitions. En ce sens, il serait pertinent d’identifier les obstacles rencontrés par les perfectionnistes lorsqu’ils sont exposés à des stratégies d’apprentissage innovantes. Il reste à déterminer si l’efficacité des meilleures stratégies d’apprentissage préconisées par les experts en sciences cognitives (Brown et al., 2014; Weinstein et al., 2019) diffère chez les perfectionnistes et les excellencistes.

Études futures et limites

Les perfectionnistes ont une peur de l’échec plus élevée que les excellencistes et cet effet se maintient même après avoir contrôlé statistiquement pour leur niveau d’accomplissement. Si l’on compare deux personnes avec le même niveau d’accomplissement, celle qui possède un niveau plus élevé de perfectionnisme risque de ressentir une peur de l’échec scolaire et sportif plus élevée. Ce résultat indique que les associations entre le perfectionnisme et la peur de l’échec ne se résument pas au fait que certaines personnes vivent moins de succès que les autres. Dans le futur, il serait intéressant d’utiliser un devis journalier pour déterminer si ces effets se généralisent à un niveau épisodique. Du coup, nous pourrions conclure que la relation entre le perfectionnisme et l’expression quotidienne de la peur de l’échec opère tout autant dans les journées où nous avons de mauvaises performances que dans celles où nous avons de bonnes performances.

Dans nos analyses complémentaires, l’accomplissement scolaire est ressorti comme un prédicteur significatif de la peur de l’échec à l’école (effet intradomaine) et dans les sports (effet interdomaines). Les personnes qui ont l’impression d’atteindre des standards élevés d’accomplissement à l’école ont moins peur de l’échec dans leur sport. L’école est un domaine central dans l’identité des personnes qui étudient à l’université. Il est possible que le fait de bien réussir à l’école agisse comme un mécanisme de transfert interdomaines qui les aide à s’aventurer efficacement dans la poursuite d’autres activités importantes. Il serait intéressant de reproduire cet effet interdomaines auprès des gens qui s’investissent dans d’autres activités d’accomplissement comme les arts de performance (p. ex., la musique, le théâtre) ou des activités jouant un rôle dans le développement des habiletés sociales et professionnelles des jeunes adultes (p. ex., activités extracurriculaires).

Notre étude a utilisé un devis transversal et corrélationnel à un seul temps de mesure. Il est possible que la taille des effets se situe dans une fourchette supérieure à cause du biais de variance commune. Les études futures pourraient minimiser de tels biais en utilisant un devis prospectif en mesurant le perfectionnisme et l’excellencisme au temps 1 et les conséquences à un temps subséquent. Il serait également intéressant d’évaluer les variations quotidiennes de la peur de l’échec en fonction des obstacles expérimentés au cours des tâches de la journée. Une telle approche permettrait d’identifier des déclencheurs situationnels susceptibles d’accentuer la peur de l’échec, tout en départageant les états d’anxiété de performance de ceux liés à l’anxiété sociale.

Notre étude a également utilisé un échantillon de jeunes adultes qui étudient à l’université tout en faisant du sport organisé. Leur pratique sportive était hétérogène, allant de matchs récréatifs à des compétitions internationales. Il serait intéressant de déterminer si le perfectionnisme, l’excellencisme et leurs effets respectifs varient selon le niveau de compétition auquel sont exposées les personnes qui pratiquent un sport organisé. De plus, la majorité des gens qui font du sport fédéré sont âgés de 14 ans et moins. Il serait donc pertinent d’étudier le rôle joué par le perfectionnisme et l’excellencisme dans la pratique sportive durant l’enfance et l’adolescence, tout en déterminant si les perfectionnistes ont davantage tendance à prématurément abandonner le sport de compétition.

CONCLUSION

Le MEP (Gaudreau, 2019) a le potentiel de clarifier et de mettre un terme au débat entourant la positivité du perfectionnisme – controverse qui perdure depuis plus de 20 ans en psychologie. Cette étude apporte des premiers éléments de réponse. Le perfectionnisme, au-delà de l’excellencisme, semble avoir une valeur incrémentale nulle pour prédire l’accomplissement, et une valeur incrémentale débilitante pour prédire la peur de l’échec et les difficultés de conciliation sport-études. Poursuivre la perfection ne semble pas nécessaire. Poursuivre l’excellence semble suffisant, car l’excellencisme pourrait contribuer à obtenir de bonnes performances, tout en maintenant un équilibre adéquat entre la performance et le bien-être.

En dépit des résultats de cette étude, des sceptiques pourraient voir en l’excellencisme une forme plus flexible ou adaptée de perfectionnisme. Croire en un perfectionnisme flexible est un oxymoron (Greenspon, 2000). Avoir et poursuivre des standards élevés n’est pas du perfectionnisme (Osenk et al., 2020). Rien dans la définition opérationnelle du MEP, ni dans les items mesurant l’excellencisme, ne fait référence au perfectionnisme. Le perfectionnisme implique la poursuite de standards qui vont bien au-delà de l’excellence. Viser et poursuivre de hauts standards de manière raisonnable semble tout à fait adéquat et sain. À l’opposé, le perfectionnisme est un facteur de risque. Considérer l’excellencisme comme une forme adaptée ou flexible du perfectionnisme risquerait donc de désinformer le public et d’entretenir la fausse croyance que la perfection reste une quête réalisable. L’excellencisme et le perfectionnisme sont des quêtes distinctes susceptibles de mener à des conséquences différenciées. Une frontière conceptuelle doit être dressée entre ces deux dimensions de la personnalité.