Corps de l’article

« Markets are conversations [1]  » constitue la première des 95 thèses du « Cluetrain Manifesto » publié en 1999 par quatre experts de la nouvelle économie (Levine et al., 2000). Trente ans plus tard, ce texte pionnier et lumineux résonne encore avec force, notamment dans le secteur du tourisme et à l’ère des réseaux sociaux. En effet, selon le baromètre Hootsuite, en 2018, neuf entreprises sur dix déclarent utiliser Facebook et 83 % d’entre elles Twitter, deux plateformes devenues incontournables dans la galaxie des réseaux sociaux. Le « touriste consommateur » (Decrop, 2015) prépare ses voyages en consultant son téléphone intelligent et tient compte des avis fournis par sa communauté. L’utilisation et la gestion des réseaux sociaux numériques sont désormais déterminantes pour les acteurs touristiques en quête de compétitivité.

Dans un contexte de renouvellement des pratiques touristiques, nous avons privilégié l’étude d’acteurs touristiques associés au « tourisme alternatif ». Souvent présenté comme une réaction au tourisme de masse et aux effets de la standardisation (Butler, 1990), celui-ci s’incarne dans la découverte de lieux non investis par « l’industrie touristique ». Les comportements du touriste contemporain, plus « sensible aux dimensions symboliques, culturelles, ethniques et environnementales », évoluent (Lequin et Carrière, 2011 : 76). La place de l’expérience s’avère centrale dans le processus de construction des attentes et dans le choix des destinations. Elle est à appréhender du point de vue du sujet, en s’interrogeant sur les significations que celui-ci attribue aux objets mobilisés dans les destinations (Decroly, 2015). À l’instar de Boualem Kadri et Maria Bondarenko, on peut la considérer comme « l’état intérieur de l’individu, provoqué par quelque chose qui est personnellement rencontré, subi ou vécu » (2015 : 25), selon des séquences « espace–temps » (Jafari, 2000 : 214).

En marketing, l’expérience est le résultat d’un processus de production d’un produit touristique et propose une offre différentiée de services (Pine et Gilmore, 1999). Créatrice de sens entre un individu et un objet consommé (Roederer, 2012), elle correspond à un moment intense dont la personne se souvient. Pour offrir davantage de valeurs au touriste, le producteur de l’expérience en renforce les dimensions affectives, émotionnelles, porteuses de gratifications hédonistes (Carù et Cova, 2006). L’expérience est dès lors le résultat d’une relation dynamique entre le producteur et le consommateur (Cooper et Hall, 2011).

Dans ce cadre, le numérique et la prédominance de l’informatique révolutionnent les pratiques touristiques et celles des professionnels du tourisme. Cela brouille aussi les frontières traditionnelles entre les acteurs de l’offre et ceux de la demande. Sources de créativité, ces outils indispensables pour atteindre et mieux cibler la « communauté touristique » permettent de solliciter les touristes et les invitent à « s’engager » en recommandant les acteurs du secteur. Ils sont reconnus comme co-acteurs de la production touristique.

Cet article cherche à comprendre comment les usages du numérique et le recours aux réseaux sociaux peuvent constituer un nouvel outil de communication pour les gestionnaires de sites patrimoniaux et/ou les acteurs du tourisme. L’originalité de la recherche repose sur la confrontation et l’analyse de deux discours : celui de gestionnaires de sites et d’acteurs touristiques à travers leur utilisation des réseaux et le discours des visiteurs – touristes ou habitants – consommateurs de ces mêmes réseaux [2] . Notre hypothèse de départ est que l’utilisation des réseaux sociaux contribue au renouvellement de l’offre et des discours touristiques, en favorisant, au-delà de la singularité ou de l’originalité de l’expérience, cette dimension expérientielle par l’interactivité avec le visiteur, la personnalisation des services et le lien social établi.

À partir de trois exemples napolitains, le cas d’une aire marine protégée, la Gaiola, celui d’un site patrimonial, les catacombes de Naples, symbole de la renaissance touristique d’un quartier longtemps en déshérence, et d’une petite coopérative, Vascitour, à l’origine d’une offre de tourisme expérientiel, notre objectif est de comprendre comment ces acteurs du tourisme valorisent ou non ces données et les intègrent dans leur stratégie. Comment l’utilisation des réseaux sociaux par les touristes contribue à nourrir cette dimension expérientielle ? Dans quelle mesure les interrelations nées entre les gestionnaires des sites et les touristes, usagers des réseaux sociaux, permettent-elles de prolonger l’expérience de visite ? En quoi cela participe de la relation dynamique établie entre le producteur et le consommateur ?

Après avoir expliqué le cadre théorique qui sous-tend notre réflexion et présenté notre méthodologie, notre ambition est de confronter l’analyse des discours postés sur les réseaux sociaux par les visiteurs et l’administration de ces données par les gestionnaires des sites, et d’envisager comment ces derniers les intègrent, ou non, à leur stratégie.

Panorama général : tourisme et réseaux sociaux

Réseaux sociaux et marketing

L’utilisation des médias sociaux par les acteurs économiques reflète des réalités très différentes en fonction notamment de la taille de l’organisation. Sans surprise, ce sont surtout les grandes entreprises qui animent le plus grand nombre de comptes sur les réseaux sociaux. La situation des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME) est différente. Ainsi, 51 % des sociétés de moins de vingt personnes [3] ne gèrent qu’un maximum de trois comptes et la majorité (82 %) d’entre elles ont une gestion centralisée (une seule équipe, voire une seule personne). Six plateformes sociales (Facebook, YouTube, WhatsApp, Messenger, WeChat et Instagram), totalisant plus d’un milliard d’utilisateurs, sont principalement employées pour améliorer la notoriété et l’e-réputation. Les entreprises favorisent la création d’une véritable communauté, engagée autour de la marque (ambassadeur) ou du recrutement de nouveaux clients (parrainage), contribuant ainsi au transfert de liens, d’informations et aux échanges.

En raison de la spécialisation des médias sociaux (micro-blogging avec Twitter, publications de photos avec Pinterest ou Instagram), les entreprises ont intégré dans leur stratégie ces réseaux selon des choix opérationnels : créer une communauté, susciter l’engagement pour interagir avec la marque ou l’organisation. Elles se focalisent sur des stratégies orientées vers le client. Le consommateur peut ainsi fédérer sa communauté grâce au bouche-à-oreille électronique. La domination de Facebook et la pénétration du téléphone mobile chez les consommateurs ont ainsi obligé les praticiens à réfléchir à de nouveaux outils plus performants. La littérature sur les réseaux sociaux, abondante, relève de nombreuses disciplines cherchant à comprendre et à interpréter les phénomènes sociaux des « communautés sociales » (couple, famille, communauté virtuelle). Dès le début du XXsiècle, plusieurs champs disciplinaires s’en saisissent : la sociologie et la philosophie avec G. Simmel (1900), la psychologie sociale de J. Levy Moreno (début des années 1930), la linguistique avec R. Jakobson (1963) ; même les mathématiques développent une théorie autour des réseaux sociaux, « la théorie des graphes » (Mercklé, 2004 : 9). Pour les anthropologues et les sociologues, ce sont les interactions sociales et les relations entre les individus et non les individus eux-mêmes et leurs attributs qui constituent les objets élémentaires. L’analyse des réseaux sociaux propose donc « deux ambitions conjointes, qui consistent à la fois à rendre compte des comportements des individus par les réseaux dans lesquels ils s’insèrent et à décrire la structuration de ces réseaux à partir de l’examen de l’interaction entre les individus et leurs motivations » (ibid. : 99). Deux approches épistémologiques s’opposent dans l’analyse des réseaux sociaux. D’un côté, les partisans d’une analyse structurale (structural analysis), approche dominante et quantitativiste, élaborée dans les années 1970 à l’Université de Harvard et utilisant les mathématiques pour représenter des modèles abstraits afin d’examiner les interactions au sein d’un réseau social. De l’autre, les défenseurs d’une approche plus qualitative et compréhensive héritée de la tradition anthropologique et influencée par les travaux de l’école de Manchester.

Avec l’arrivée des réseaux sociaux numériques, le marketing a trouvé un nouveau terrain d’expérimentation. Bernard Cova (cité dans Michel, 2009) souligne l’importance d’analyser le collectif et non les liens entre les individus. Quatre critères sont nécessaires pour caractériser un réseau social : 1) les individus hétérogènes mais interreliés par une même subjectivité, 2) la conscience de ses membres de former un groupe à part, 3) l’obligation morale d’entraide entre membres, 4) l’existence de rituels et de traditions. À l’intérieur d’un tel réseau social, les marques peuvent créer de la valeur en facilitant le lien entre les membres, notamment en soutenant les rituels des différents réseaux sociaux. Leur impact sur le lien marque/consommateur aboutit à une relation affective et émotionnelle(Lazega, 2009 : 77).Les multiples définitions fournies [4] font ainsi référence aux notions de partage, d’échange, d’interaction, de contenu et de collaboration. Deux termes sont souvent utilisés pour évoquer une réalité en apparence identique : « réseau social » et « média social ». Pourtant, une différence importante s’établit quant à la création du lien social. La finalité principale d’un « média social » est la création et la diffusion de contenu, alors que le « réseau social » ambitionne la création d’une communauté, qui peut partager des intérêts communs et des interactions. Andreas M. Kaplan et Michael Haenlein (2010) définissent les médias sociaux comme étant un groupe d’applications en ligne, fondé sur l’idéologie et la technologie du Web 2.0, permettant la création et l’échange de contenus générés par les utilisateurs.

Médias sociaux et tourisme

Dans le champ du tourisme, les liens entre média social et tourisme ont aussi été largement investigués dans les recherches universitaires (Zeng et Gerritsen, 2014 ; Nezakati et al., 2015 ; Xiang et al., 2017). Les travaux s’organisent autour de trois thématiques (Lamberton et Stephen, 2016) : l’impact de l’utilisation par les touristes des réseaux sociaux sur leur comportement d’achat (Hudson et Thal, 2013) ; l’impact des contenus générés par les utilisateurs (user-generated content, UGC) (Kumar et al., 2016) sur l’attitude des consommateurs ; et les réseaux sociaux comme moyen d’expression, notamment par la diffusion d’avis (Godes et Mayzlin, 2004). Les méthodologies combinent à la fois des méthodes explicatives/quantitatives et d’autres plus qualitatives. Utilisant une approche post-positiviste, Julian K.Ayeh, Norman Au et Rob Law (2013) proposent un modèle d’équations structurelles pour prédire des intentions comportementales quant à l’utilisation des réseaux sociaux pour préparer son voyage, en testant des variables comme l’attitude ou le plaisir. L’étude révèle que le plaisir perçu, représentant la valeur hédonique (Holbrook et Hirschman, 1982) de l’utilisation des médias sociaux, a plus d’influence sur l’intention des voyageurs d’utiliser les contenus proposés sur les réseaux sociaux pour planifier leurs déplacements que la valeur utilitaire.

Si de nombreux travaux de recherche se sont intéressés à l’utilisation des réseaux par les acteurs touristiques, à notre connaissance peu de chercheurs ont tenté de confronter et d’analyser à la fois les pratiques des offreurs et le discours des visiteurs sur les plateformes sociales. C’est l’enjeu du présent travail d’obtenir une meilleure compréhension de l’interaction entre ces deux acteurs touristiques.

Méthodologie

Notre approche de recherche pluridisciplinaire (géographie – marketing) vise à interroger à la fois les acteurs en charge de la gouvernance des sites étudiés et les visiteurs qui ont laissé des traces numériques sur les réseaux sociaux. Deux approches dominent en effet l’analyse des réseaux sociaux. D’un côté, les tenants de « l’analyse structurale », approche dominante, très quantitative, issue de la tradition sociométrique de Moreno et incarnée par la « structural analysis » anglo-saxonne, s’intéressent surtout au projet théorique de définir tout phénomène social en termes relationnels et interactionnels. De l’autre, ceux qui défendent une approche plus qualitative (Kozinets, 2020) héritée de la tradition anthropologique et influencée par les travaux de l’école de Manchester des années 1950-1960, montrent un intérêt pour les réseaux posés comme des objets spécifiques (Eve, 2002). Cette dernière approche permet de mieux rendre compte des comportements individuels au sein du réseau social étudié (Mercklé, 2004). Nous avons choisi de combiner deux techniques qualitatives ; notre approche épistémologique « anti-structuraliste » s’inscrit davantage dans les travaux de l’école de Manchester.

La collecte des données

La collecte s’est déroulée en trois étapes :

  • Des entretiens individuels auprès de trois gestionnaires de sites [5] afin de comprendre leur vision des médias sociaux, l’usage qu’ils en font et leurs attentes.

  • L’analyse systématique [6] de leur présence sur les réseaux sociaux pour cerner les outils privilégiés et mesurer leur efficacité.

  • L’analyse des avis postés sur les principaux médias utilisés par ces acteurs (Facebook, TripAdvisor et Twitter).

Notre approche repose sur l’étude de trois corpus d’avis postés par des particuliers, visiteurs des sites ou consommateurs des visites guidées (touristes, excursionnistes ou habitants) (tableau 1). Cette méthode qualitative consiste à observer les actes communicationnels des membres d’une communauté virtuelle. La confrontation des données permet de comparer la cohérence et la pertinence de la stratégie marketing choisie. Les Tweets ont été collectés à l’aide de RStudio [7] pour deux des acteurs (Vascitour et les catacombes) ; 1850 Tweets du compte @Vascitour et 1035 Tweets du compte @catacombenapoli ont ainsi été recueillis. Les avis TripAdvisor et Facebook ont été extraits directement des comptes des trois plateformes.

Tableau 1

Les données collectées sur les trois réseaux sociaux

Les données collectées sur les trois réseaux sociaux
Source : Compilation des données, réalisation et conception des auteurs.

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L’analyse des données

Le corpus collecté est à la fois riche et complexe car il s’appuie sur les verbatim des gestionnaires des sites (réponses apportées aux avis publiés) complétés par des entretiens effectués sur place et les avis des touristes postés sur les trois plateformes. Il permet en contrepartie d’avoir une compréhension plus fine du phénomène étudié. Notre processus est en outre itératif plutôt que linéaire (Miles et Huberman, 2003), puisque les contacts réguliers avec les acteurs autorisent une analyse inscrite dans une dimension temporelle [8] . L’intervention sur le corpus a donné lieu à la retranscription intégrale des entretiens semi-directifs. Pour les avis, nous avons procédé à une analyse de contenu par média étudié. L’enjeu est de trouver dans cette multitude de données disponibles des informations utiles et porteuses de sens (Gavard-Perret et al., 2018 : 241). L’analyse du corpus d’avis respecte les « trois pôles chronologiques » de l’analyse de contenu définie par Laurence Bardin (2009) : une lecture flottante des verbatim pour se familiariser avec le discours des visiteurs et leur expérience touristique ; une exploitation du matériel grâce au logiciel d’analyse de données textuelles (NVivo) pour dégager les thèmes majeurs récurrents (nœuds), et une dernière étape consacrée à l’inférence et à l’interprétation des données.

D’autres médias, comme Twitter, ont aussi été utilisés pour préciser les analyses sémantiques et celles des sentiments, mais le traitement et l’étude des données diffèrent. Rappelons que la longueur d’un Tweet est calibrée (280 caractères) et des caractères spéciaux permettent d’identifier les auteurs (@) et les thématiques (#). Des abréviations et des émoticônes y sont régulièrement utilisés. Il est donc nécessaire de « nettoyer » les Tweets avant d’effectuer les analyses textuelles.

Limites

L’exploitation de ces corpus disparates souffre néanmoins de certains biais et fait apparaître des difficultés. Nous avons dû procéder à un tri dans les corpus étudiés (nombre de mots, langues utilisées, biais de traduction) afin de garantir la diversité des discours. Les avis sont bien souvent bienveillants ou positifs, contrairement à certains sites marchands qui manipulent une portion des avis. Cela peut s’expliquer par la relative confidentialité de ces sites et surtout leur gestion encore « artisanale ». Les corpus sont de taille variable et comportent de nombreuses insuffisances, limitant la connaissance des échantillons (origine géographique et profil démographique). Les données collectées s’étalent sur plus de deux ans, avec des périodes différentes en fonction de médias étudiés. Or, les publications sur les réseaux sociaux sont très réactives à l’actualité, notamment sur Twitter. De plus, les avis postés offrent une faible représentativité au regard de la fréquentation des sites [9] (le ratio entre les avis postés et le nombre de visiteurs pour les catacombes en 2016 par exemple est de 1,34 %). Ils ne sont donc qu’une « trace imparfaite » laissée sur les réseaux sociaux par les visiteurs, la composante locale marquée de certains des échantillons orientant probablement la nature des avis et leur contenu (Salomone et Haddouche, 2018). En dépit des difficultés observées, ils constituent un matériau fertile pour appréhender la stratégie numérique de certains des acteurs du tourisme à Naples.

Les réseaux sociaux au cœur de l’expérience touristique : vers de nouvelles pratiques ?

Une présence inégale sur les réseaux sociaux

Trois sites napolitains, dont deux sites patrimoniaux, emblématiques du renouveau actuel de la destination, sont étudiés dans cette approche comparative [10]  : les catacombes de Naples gérées par une coopérative de jeunes du quartier Sanità depuis 2009 (la Paranza). Cette dernière, avec le soutien de la Fondation de communauté San Gennaro et des investisseurs privés, est devenue un maillon fondamental de la valorisation patrimoniale, culturelle et touristique de ce quartier populaire de Naples, marge traditionnelle du centre historique (Salomone, 2013). L’aire marine protégée de la Gaiola, parc sous-marin situé à l’ouest de Naples dans une zone résidentielle, est la seule aire marine protégée (AMP) d’Italie à être localisée au cœur d’une métropole de trois millions d’habitants, qui est conjuguée à la présence de ressources archéologiques, environnementales et paysagères indéniables (Salomoneet al., 2019). Étant donné la nature du site, sa gestion a été confiée par décret à la Surintendance spéciale pour les biens archéologiques de Naples et de Pompéi. Par manque de moyens financiers et humains, la Surintendance est forcée d’en confier la gestion à une association locale, le CIS Gaiola (centre d’études interdisciplinaires) composé de jeunes chercheurs en biologie, d’archéologues et d’experts en biens culturels. Enfin, le troisième acteur étudié est une coopérative, créée en 2016 par quatre jeunes napolitains, à l’origine d’un produit relevant du tourisme expérientiel : visites guidées et circuits dans des quartiers napolitains présentés comme « typiques » du centre historique avec des services personnalisés. L’attractivité de la destination napolitaine s’est renforcée depuis les années 2000 grâce notamment à l’émergence de sites touristiques et/ou de nouveaux acteurs. Ils témoignent du rôle essentiel joué par les acteurs associatifs dans le champ culturel et/ou touristique dans le cadre d’un désengagement de l’État et de la crise financière affectant les acteurs institutionnels (Froment, 2016). Les deux sites patrimoniaux présentent des similitudes quant à leur mode de gestion, à la nature de la fréquentation touristique et à leur succès récent. Sites emblématiques au statut différent, longtemps négligés ou oubliés, leur réouverture au public évoque une reprise en main effectuée par deux associations très actives, engagées dans la réappropriation d’un patrimoine « oublié » et dans sa valorisation touristique (Salomone et Haddouche, 2018). Celles-ci incarnent la reconquête citoyenne et les initiatives « bottom up » (ascendantes). Pour ces opérateurs touristiques, les réseaux sociaux sont indispensables pour atteindre et mieux cibler leur communauté touristique.

Néanmoins, leur présence sur les réseaux sociaux apparaît très variable (tableau 2). Ces disparités témoignent à la fois d’un engagement et d’une notoriété inégale des sites touristiques – fonction aussi de leur date de création – et de moyens financiers et humains très hétérogènes. Les gestionnaires des catacombes font figure de « pionniers » : leur présence est ancienne et active (dès 2009) avec des moyens dédiés pour leur permettre d’afficher un positionnement Web (entretien avec Enzo Porzio, février 2018). À l’inverse, le CIS Gaiola néglige cet outil par manque de ressources financières et humaines et se contente d’une présence résiduelle [11] (entretien avec Maurizio Simeone, 2016).En revanche, la coopérative Vascitour, « pure player », a donné à son activité sur les réseaux sociaux une dimension centrale. Apparue récemment sur la scène touristique, son activité sur les réseaux sociaux peut y sembler limitée. En réalité, au vu du nombre de publications et d’abonnés sur Facebook et Instagram, cet acteur s’est rapidement approprié l’outil. Il demeure encore peu présent sur TripAdvisor (étant donné le public ciblé jusqu’à présent, principalement italien et local), mais il a investi tous les médias, à la différence des deux autres acteurs (tableau 2). Intégrés à la personnalité de l’entreprise, les réseaux à la fois servent de soutien à son image de marque et constituent un outil de dialogue permanent avec la clientèle. « Nous cherchons à personnaliser cette expérience, et donc nous créons ces prémices et nous l’expliquons, parce que l’entente est rapide ; nous sommes amis jusqu’à aujourd’hui, nous nous tutoyons, nous rompons toutes les barrières, en somme, nous cherchons tout de suite à être extrêmement directs. » (Entretien avec Achille Centro, membre fondateur de Vascitour, 1er mars 2018)

Pour certains de ces gestionnaires, le numérique réinvente les expériences de consommation. Les réseaux sont un outil de communication et un support de promotion, mais ils permettent aussi de mieux valoriser les ressources patrimoniales ou territoriales, voire d’enrichir l’expérience touristique. Instruments de marketing, ils sont utilisés dans le but de dialoguer avec le public de manière plus personnalisée et moins traditionnelle (Duff et al., 2009). Pour le CIS Gaiola, Facebook est un instrument de promotion des événements et d’information du public [12] , en partie dans un but pédagogique et de sensibilisation à l’environnement. À l’inverse, pour les catacombes et Vascitour, les réseaux sont un moyen de créer un lien particulier entre le site et son visiteur et de participer à une démarche de « marketing expérientiel », en prolongeant l’expérience de la visite.

Tableau 2

Présence sur les réseaux sociaux*(statistiques au 1er septembre 2018)*Nous utilisons le RFF (ratio followers/following) qui correspond au nombre d’abonnés/nombre d’abonnements. Un ratio compris entre 0,75 et 1,5 et préconisé ; il semble que ce ratio puisse avoir une influence sur le référencement naturel du réseau social. Un ratio très élevé peut montrer un faible engagement envers une communauté.

Présence sur les réseaux sociaux*(statistiques au 1er septembre 2018)*Nous utilisons le RFF (ratio followers/following) qui correspond au nombre d’abonnés/nombre d’abonnements. Un ratio compris entre 0,75 et 1,5 et préconisé ; il semble que ce ratio puisse avoir une influence sur le référencement naturel du réseau social. Un ratio très élevé peut montrer un faible engagement envers une communauté.
Source : Compilation des données, réalisation et conception des auteurs. Le comptage des avis (Facebook) pour connaître la langue des textes publiés a été effectué manuellement.

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Le corpus d’avis : une vitrine « du » et « au » service du tourisme expérientiel

Par le biais des réseaux sociaux, les gestionnaires sollicitent en effet le visiteur, devenu co-producteur de l’expérience touristique. Cait Lamberton et Andrew T. Stephen (2016) précisent que l’un des trois axes de l’utilisation des réseaux est la possibilité offerte à une communauté d’exprimer et de partager des opinions. Moyens d’expression, ils se font alors le reflet de l’expérience à travers les récits et les commentaires postés. Un certain nombre de constantes sont observées dans la nature des textes et le ton utilisé, souvent bienveillant [13] . Les commentaires mentionnent les émotions ressenties et procurées lors de la visite. Ils évoquent les caractéristiques du site, son exceptionnalité ou sa beauté : « Expérience incroyable, inoubliable ; unique et bouleversante » ; « des lieux magiques qui respirent l’histoire et la culture »(verbatim, site Facebook des catacombes de Naples).

Les commentaires publiés témoignent également des modalités de la visite et de la qualité des prestations et/ou de l’encadrement fourni (professionnalisme des guides, maîtrise des langues étrangères, adaptation du produit à la clientèle…). La valeur accordée à l’expérience touristique s’incarne dans la découverte de ces lieux, présentés comme « enchanteurs », « authentiques » ou « préservés », loin du tourisme de masse (figure 1). Cela répond à une quête des touristes de lieux « autres » (Ashworth et Page, 2010). Le touriste en effet néglige la « célébration » des monuments au profit d’une quête culturelle et anthropologique (Aguas et Gouyette, 2011).

« Des histoires de Vascitour ont émergé les saveurs, celles naturelles et véritables qui ont rendu unique et authentique, le moment de la dégustation. Cette expérience m’a permis de vivre et de découvrir la ville avec d’autres yeux, grâce aussi à la sympathie et à la disponibilité de l’équipe. »(Verbatim, site Facebook de Vascitour) Ce tourisme alternatif s’appuie sur ces lieux non « investis » par l’industrie du tourisme. Cela se traduit aussi par la volonté de découvrir un patrimoine méconnu, réceptacle d’une certaine authenticité (MacCannel, 2005). Pour la coopérative Vascitour, qui se réclame d’un tourisme expérientiel, la découverte des marges populaires du centre historique, empreintes d’une forte identité (quartiers espagnols, Sanità), permet de répondre à cette quête. Ces quartiers sont attractifs par leur caractère préservé ou authentique, ou appréhendé comme tel par les touristes. Le tourisme alternatif repose à la fois sur les modalités de la visite (rencontre avec les habitants, dégustation de produits locaux…) et sur la singularité des lieux et de leur découverte [14] . L’attention est portée à l’ordinaire, au quotidien et aux interactions sociales. Le désir de distinction se traduit par la volonté d’atteindre des lieux où la vie de la population locale est observée, idéalement partagée (Urbain, 2002). Le touriste, dans la peau d’un « défricheur », redécouvre un patrimoine méconnu (catacombes), ou longtemps négligé (la Gaiola), ou explore un quartier typique, perçu comme préservé.

Nous proposions ces tours alternatifs dans le centre historique, qui devaient se dérouler non pas avec des guides touristiques mais avec des « local friends », des habitants, des locaux, des Napolitains qui emmènent les touristes dans les quartiers, les touristes que nous appelons en réalité les voyageurs, qui ont justement comme objectif de connaître l’authenticité du lieu qu’ils sont en train de visiter […] Ces tours prévoient en effet la rencontre avec les habitants pour créer une meilleure connexion. (Entretien avec Achille Centro, 1er mars 2018)

Cette expérience d’authenticité est renforcée par les liens sociaux établis avec la population locale (Camus et Sahut, 2012). Cela peut faire naître des formes de tourisme participatif où la rencontre avec l’habitant est essentielle. L’authenticité recherchée permet ainsi d’aller à la rencontre de l’Autre, des habitants et des lieux de vie.

La réussite de cette expérience touristique est enfin liée à la ressource humaine : les guides sont les principaux médiateurs, garants du succès de la visite. Véritables experts, leurs qualités humaines (gentillesse, cordialité, enthousiasme, sympathie) constituent un atout valorisé, une relation personnalisée établie et entretenue également par l’intermédiaire des réseaux sociaux [15] (figure 1).

Pour le site de la Gaiola, les avis insistent sur le statut de l’aire marine protégée où s’effectue la pratique vacancière et sur le personnel qui encadre les activités. Ils évoquent l’enchantement du lieu, sa beauté et/ou son caractère préservé. Les corpus révèlent ainsi les représentations des usagers de l’aire et leur expérience de visite (Salomone et al., 2019). À ce titre, le site relève bien du tourisme alternatif – même si le terme n’apparaît ni dans les corpus, ni dans le discours des membres de l’association –, car on propose la découverte d’un lieu atypique et la singularité d’une expérience effectuée par petits groupes et dans un cadre ludique. Les activités pratiquées permettent d’éprouver le lieu, de le ressentir comme participant à un apprentissage sensoriel et corporel. Les réseaux sociaux servent indirectement à la connaissance du site, à sa notoriété et à la promotion de l’expérience touristique. Ils relèvent davantage d’une création et d’une diffusion de contenu.

Figure 1

Comparaison des trois corpus d’avis sur TripAdvisor

Comparaison des trois corpus d’avis sur TripAdvisor
Source : Compilation des données, réalisation et conception des auteurs à l’aide du logiciel NVivo.

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Ces discours donnent à voir implicitement l’attachement aux lieux, au territoire (le quartier ou le site), d’autant qu’une bonne partie de la clientèle est régionale et napolitaine. À travers la redécouverte de ce patrimoine (catacombes, site naturel et archéologique) s’expriment un fort ancrage local et une fierté d’appartenance au territoire. Le CIS Gaiola ou la Paranza sont perçus comme les principaux artisans de la renaissance du quartier ou de la redécouverte du site ainsi requalifié. Les discours relaient et amplifient les éléments de langage fournis par les guides lors de la visite [16] . Ils entretiennent un véritable « mythe » véhiculé par les associations locales engagées dans une mobilisation patrimoniale. Ce processus de « patrimonialisation par le bas », porteur d’enjeux économiques, voire politiques, se donne à voir aussi à travers les réseaux sociaux ou le site Internet [17] . Ces outils offrent en effet une plus grande visibilité aux actions menées à l’échelle du quartier. Dans son discours médiatique, la coopérative la Paranza se met désormais en scène pour incarner cette renaissance, avec des récits plus personnalisés : depuis janvier 2018, quatre membres de la coopérative racontent leur parcours sur le site Internet – en italien – et incarnent cette renaissance du quartier. Elle se mobilise également sur des sujets plus polémiques et utilise les réseaux sociaux pour relayer son opposition aux souhaits de la Commission pontificale, propriétaire du site, de modifier les modalités de gestion [18] .

Au-delà des similitudes observées entre les corpus étudiés, de profondes différences et spécificités sont apparues quant à l’utilisation des réseaux (TripAdvisor et Facebook) par les visiteurs. La dimension touristique de TripAdvisor transparaît davantage dans l’origine des avis et leur contenu. Les commentaires reflètent une expérience de consommation, celle d’un service ou d’une prestation, et la satisfaction apportée à un client-touriste, qui nécessite une notation et/ou une recommandation (Salomone et Haddouche, 2018). Les utilisateurs de Facebook semblent plutôt appartenir à une communauté d’usagers, principalement des locaux, qui manifestent leur attachement au site et leur fierté d’être Napolitains. La requalification du site de la Gaiola et la renaissance de la Sanità incarnent cet attachement identitaire où le patrimoine devient vecteur d’appropriation territoriale (Morel, 1993 ; Di Méo, 2002).

L’enthousiasme de la communauté des usagers met également en exergue l’engagement des jeunes dans les coopératives (figure 2). Dans le cas de Vascitour, le réseau Facebook [19] entretient ces liens entre les membres de la communauté, regroupant « les invités » et « l’équipe » autour d’une expérience partagée. Cela remet par conséquent en cause la nature de cette interactivité créée avec le visiteur. « Nous saluons Achille et Martine, des organisateurs incroyables, et toutes les autres personnes qui sont désormais devenus des amis, des cousins, des parents. » (Extrait d’un verbatim, TripAdvisor, 2018)

Recherche d’une interactivité avec le visiteur : quête de la co-création de l’expérience touristique ?

Au regard des pratiques mises en œuvre par ces entreprises touristiques, les réseaux sociaux ne remplissent pas la même fonction. La place occupée par le touriste dans cette communication virtuelle est envisagée de manière différente et l’utilisation des réseaux sociaux correspond à des stratégies distinctes.

À la Gaiola, l’interactivité avec le visiteur est faible, les réseaux sociaux sont un simple outil d’information et de communication. Le touriste est considéré comme une cible des messages. Pour les catacombes, l’interactivité apparaît plus mesurée : les réponses standardisées et répétitives sont peu personnalisées, mais les gestionnaires font preuve d’un certain professionnalisme, avec une distinction opérée selon les réseaux sociaux. La masse des messages n’autorise pas un traitement systématique et individualisé [20] . Elle établit une relation cordiale, voire amicale avec l’auteur du commentaire. Le visiteur, par ses recommandations et son soutien, favorise la connaissance du site, sa médiatisation et sa fréquentation.

En revanche, Vascitour place les réseaux sociaux au cœur de son activité de communication, même si des contacts ont été noués avec d’autres professionnels du tourisme pour consolider l’activité de la coopérative. Or, « Les réseaux sociaux seuls ne suffisent pas, ils servent à soutenir l’image de l’entreprise. » (Entretien avec Achille Centro, septembre 2018)

L’utilisation des réseaux sociaux est au cœur de la stratégie d’un tourisme expérientiel reposant sur une relation personnalisée avec le client, presque intime, et sur l’individualisation des services. Le réseau sert à fonder une véritable « communauté » qui partage une expérience, des émotions, des sensations. La consommation du service n’est pas simplement fonctionnelle, elle se révèle de nature symbolique, hédonique ou esthétique. L’interactivité avec le client, appelé « hôte » ou « invité », est forte. Les réponses apportées sont systématiques et rapides pour entretenir le lien social, au centre de la démarche. Elles prolongent la relation qui s’est établie durant la visite guidée ou le repas chez l’habitant.

Nous cherchons à faire comprendre à ces jeunes [les guides en cours de formation] que les nôtres ne sont pas des clients, comment dire, comme si c’était une grande communauté de voyageurs. Pour cela, nous sommes une grande famille élargie, comme si nous étions un « club ». Et, donc, chacun de nous essaie de créer une relation vraie avec ceux qu’il accompagne. (Ibid.)

Le ton utilisé et la forme des messages laissent transparaître une proximité affective et émotionnelle. Les commentaires des touristes insistent sur la nature de l’expérience et font émerger un vécu, un ressenti partagé, voire amplifié par Achille, responsable de la communication. Des outils sont utilisés pour sensibiliser le touriste et préparer sa visite en amont (vidéos, échanges téléphoniques, photos, messages vocaux) ou poursuivre la relation créée et l’entretenir [21] . Le langage utilisé varie selon le réseau social et le type de public (le ton est très amical, badin et informel dans la communauté Facebook, alors qu’il semble plus distancé et professionnel sur TripAdvisor, notamment avec les touristes étrangers). Ainsi, le touriste devient un « consomma’acteur » (Raffour, 2010), un partenaire, qui participe non seulement à la promotion des services en les recommandant, mais partage ses émotions. L’attention est portée à ce que ressent le touriste au cours de son expérience (émotions, sensations, vécu). « Tu as su regarder, tu as su voir, tu as su écouter, tu as su entendre. » « Tu as contribué à rendre la promenade agréable et relaxante, tu as parlé à tous, tu as offert un sourire à tous ceux qui voulaient le partager et tu as partagé le projet Vascitour. » (Commentaires du gestionnaire du site).

Les médias sociaux permettent d’engager la conversation et fournissent une information personnalisée à chaque client. Le gestionnaire se doit d’adapter le contenu et ses réponses à la problématique de chaque visiteur (Zeng et Gerritsen, 2014). Les réseaux sociaux offrent une connaissance du « client-touriste » efficace et utile pour la stratégie à mener dans une optique plus interactive. L’offre se co-construit avec ce client, créatif et collaboratif, par ces « allers-retours ». Le service touristique se saisit de cette opportunité de co-création, la création de valeur se fait dans l’interaction, avec et par le client (Lusch et al., 2007). La révolution du « numérique » a profondément transformé le comportement du consommateur, grâce à un accès à l’information et un parcours d’achat simplifiés. La place du touriste-client et son rôle dans la relation marchande sont redéfinis. De nouveaux modes de consommation apparaissent, comme la consommation collaborative.

Limites et voies de recherches futures

En définitive, cette recherche à caractère exploratoire comporte de nombreuses limites qui apparaissent comme autant de perspectives à explorer. La nature de notre échantillon – de convenance – et nos choix méthodologiques de type qualitatif ne permettent pas pour l’instant de généraliser nos résultats à toutes les organisations touristiques, mais ouvrent en partie la voie à des recherches qui utiliseraient d’autres échantillons.

De plus, les acteurs étudiés relèvent d’un tourisme alternatif, voire expérientiel, qui s’adresse à de petits groupes de visiteurs. Ils sont liés au monde associatif, celui du « tiers secteur », disposant de moyens extrêmement limités. La dimension humaine apparaît fondamentale dans ces organisations, elle guide à la fois le fonctionnement des structures, leur communication et leur stratégie. Les modes de gestion varient néanmoins et leur modèle économique n’obéit pas nécessairement à un impératif de résultats. Si pour les catacombes, comme pour Vascitour, la hausse de la fréquentation touristique est essentielle au développement de la structure, la présence de financements externes est inégale [22] . Pour la Gaiola, l’objectif prioritaire demeure celui de la préservation du site et non son développement touristique. Derrière ces trois acteurs relevant d’un tourisme alternatif, ce sont les stratégies sur les réseaux sociaux qui sont examinées.

À la lumière des observations faites à propos des PME qui utilisent beaucoup moins les réseaux sociaux que les grandes entreprises, on peut vouloir analyser la relation entre type d’organisation et présence sur les réseaux sociaux (Gholston et Cooper Hakim, 2016). En effet, Wu He et son équipe (2017 : 153) ont identifié cinq facteurs d’adoption des réseaux sociaux : la perception de l’adoptant à l’égard des médias sociaux, les caractéristiques personnelles de l’adoptant, l’influence sociale de ses pairs et/ou des médias, le rendement actuel de l’entreprise, et les objectifs commerciaux de l’adoption. Or, Vascitour, petite coopérative de quatre membres, semble beaucoup plus active sur les réseaux que nombre d’acteurs privés de grande taille. La nature même de son activité et la recherche d’innovations l’obligent à s’inscrire dans une stratégie numérique dynamique, en dépit de sa taille. D’autres hypothèses sont donc à envisager par rapport aux résultats obtenus par He et ses collègues (2017).

Outre notre analyse approfondie des trois réseaux sociaux, nous entrevoyons nombre de perspectives de recherche dans ce champ des possibles, soit en sollicitant d’autres types de médias sociaux (comme Instagram [23] ), soit en utilisant d’autres types de données et de nouveaux outils (étudier le comportement d’une communauté par exemple au sein d’un compte Twitter en réalisant des graphes à l’aide d’un logiciel comme Gephi).

Conclusion

Pour beaucoup d’acteurs touristiques, la mise en place d’une stratégie sur les réseaux sociaux relève encore d’un véritable défi. Mener une politique numérique cohérente s’intégrant au niveau stratégique et non seulement opérationnel requiert en effet compétences et budgets. Des organisations de taille modeste, aux moyens réduits et relevant du tiers secteur, sont parfois capables d’innover à travers leurs discours et leurs usages, comme l’illustre l’exemple napolitain. Ces acteurs établissent de nouvelles relations avec les « touristes consommateurs » par l’intermédiaire des réseaux sociaux et mettent en place un marketing discursif leur permettant de co-construire l’offre proposée. La révolution du numérique a profondément transformé le comportement du consommateur et fait apparaître de nouveaux modes de consommation, comme la consommation collaborative, définie comme « un ensemble de systèmes de circulation des ressources permettant aux consommateurs d’utiliser et de fournir de manière temporaire ou permanente des ressources de valeur, à travers une interaction directe avec un autre consommateur ou à travers un médiateur » (Myriam Ertz et Fabien Durif, cités par Decrop, 2017 : 13). Le réseau social devient ainsi le support de cet échange, favorisant l’interconnexion entre les individus et le partage d’informations. Il peut également être envisagé comme un relais de l’expérience touristique, appréhendée dans sa dimension globale par le biais de séquences « espaces–temps ». Poster un avis y participe et contribue à « amplifier » l’expérience touristique, même à la prolonger à travers le récit du vécu ou le temps du souvenir. Pour le gestionnaire, l’interactivité créée permet la mise en scène de l’expérience. Cela concourt aussi à l’enrichissement et à la diversification de l’offre expérientielle proposée par les destinations, notamment urbaines (Kadri, 2009).

Dans cette étude, l’analyse des avis postés a mis en évidence trois dimensions essentielles et récurrentes au cœur de l’expérience touristique, telle qu’elle est racontée et transmise via les réseaux sociaux (figure 2).

  1. La dimension physique attachée à un lieu pour en illustrer les aspects esthétiques ou pratiques. Le tourisme présenté ou perçu comme alternatif se nourrit de la découverte de ces lieux singuliers, qui répondent à cette quête de différenciation souhaitée par le visiteur (ibid.).

  2. La dimension humaine reposant sur le rôle des guides comme relais et médiateurs de cette expérience.

  3. La dimension émotionnelle exprimée à travers la fonction sociale ou « réparatrice » (renaissance du quartier, requalification du site de l’AMP) et qui exalte l’attachement au territoire.

Figure 2

Proposition d’un modèle conceptuel

Proposition d’un modèle conceptuel
Source : Conception et réalisation des auteurs.

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Si ces trois dimensions sont présentes de manière inégale dans les corpus d’avis analysés selon la nature des sites et/ou le type de commentaires (longueur, type de media social, origine du visiteur), elles nourrissent un modèle théorique qui pourrait être analysé dans des recherches futures. Ces dimensions sont à mettre en relation avec le type d’entreprise touristique, ses discours et ses choix opérationnels, la forme de tourisme proposée et un contexte spatial et géographique spécifique.

Par ailleurs, sur le plan de la gouvernance des sites, les réseaux sociaux apparaissent comme des outils indispensables pour permettre aux acteurs touristiques d’être visibles et attractifs. Cela nécessite de recourir à des moyens plus efficaces et plus performants, habituellement plébiscités par les entreprises. En ce sens, on peut considérer que ces acteurs s’inscrivent dans la philosophie du « nouveau management public » (NMP) dont l’objectif est d’améliorer les performances des acteurs publics en utilisant les méthodes de gestion des entreprises. La question est de savoir si la transposition de ce NMP aux associations conserve sa pertinence dans un cadre associatif et s’avère réellement efficace (Delalieux, 2010). Les contraintes de rentabilité, les notions de performance sont-elles transférables lorsqu’il s’agit du secteur associatif et en particulier si celui-ci intervient dans le cadre de la préservation et de la valorisation d’un bien patrimonial ?