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1. Introduction

L’école reflète la société et son rôle consiste notamment à former les futur⋅e⋅s adultes. Au primaire, le programme d’études de Géographie, histoire et éducation à la citoyenneté fait partie du domaine d’apprentissage de l’univers social (sciences humaines) et aspire, par ses approches et méthodes, à développer la pensée critique des élèves permettant, entre autres, de contextualiser et de favoriser les échanges de divers points de vue par la recherche d’information et le dialogue.

De plus en plus, la pensée critique est considérée comme une praxis (Daniel, 2008 ; Habermas, 1972). Les situations d’enseignement-apprentissage ou d’apprentissage-évaluation mettent en avant diverses stratégies pédagogiques participant à son développement par les élèves, en plus de renforcer certaines valeurs associées à la citoyenneté. À titre d’exemple, la mise en oeuvre de différentes composantes du programme de Géographie, histoire et éducation à la citoyenneté au primaire peut contribuer à la réalisation du Vivre-ensemble et citoyenneté, l’un des domaines généraux de formation correspondant à un ensemble de grandes questions auxquelles les jeunes doivent se confronter (Québec, 2006a).

Au-delà de la dimension démocratique et citoyenne qui fonde l’enseignement de l’univers social au primaire, nous savons peu de choses de la recherche produite dans le champ de la didactique des sciences humaines au primaire et sur les pratiques effectives en classe. Depuis les années 1960, des recherches ont été produites au Québec à propos de l’enseignement de l’histoire et de la géographie au primaire. Parmi ces travaux, on relève des exemples issus du Groupe de recherche en didactique de l’histoire, tels que Sur l’histoire : contribution à l’élaboration de préliminaires pour l’enseignement (Lefebvre, 1969) ; L’enseignement des sciences humaines à l’élémentaire : quoi ? comment ? (Lefebvre et Allard, 1976) ou encore Essais de pédagogie universitaire en sciences sociales et en formation des enseignants (Racette, Ansart et Allard, 1982). Ces contributions révèlent la présence d’une réflexion sur les questions de didactique de l’histoire et de la géographie bien avant les années 2000. Néanmoins, depuis l’instauration du nouveau Programme de formation de l’école québécoise (Québec, 2006b), un nouveau souffle balisant le champ est perceptible. En effet, le champ de recherche de la didactique des sciences humaines au primaire a produit quelques ouvrages faisant avancer la réflexion au cours des dernières années, dont ceux de Lebrun et Araújo-Oliveira (2009), d’Éthier, Lefrançois et Demers (2014) et de Larouche et Araújo-Oliveira (2014b), entre autres. De telles publications contribuent à la structuration du champ de recherche ainsi qu’à la diffusion et au transfert des connaissances. Elles ne représentent néanmoins qu’une partie du portrait d’ensemble et, à ce jour, il demeure complexe d’identifier les principaux axes d’intérêt et les résultats émanant de la recherche en didactique des sciences humaines au primaire au Québec.

Notre intention est donc d’explorer cette question. Dans ce texte, nous nous intéressons d’abord à la problématique et aux contextes au sein desquels s’inscrit la recherche dans ce domaine. Nous exposons ensuite le cadre de référence qui balise notre démarche. Puis, la méthodologie présente la manière dont le corpus a été constitué et analysé, de même que la façon dont les résultats sont présentés. Enfin, les résultats et la discussion nous permettent d’engager une réelle réflexion en montrant les faits saillants de notre enquête qui révèle les principaux apports de la revue systématique des écrits scientifiques en didactique des sciences humaines au primaire au Québec (2000-2020).

2. Problématique et contexte

Les résultats des recherches conduites en univers social sont souvent méconnus des enseignant⋅e⋅s. Par conséquent, cela pourrait limiter l’intégration des connaissances les plus récentes produites à propos de l’enseignement-apprentissage des sciences humaines au primaire. En outre, la pratique enseignante ne bénéficierait pas des résultats de recherche qui pourraient pourtant contribuer à l’améliorer. Cet état de fait affecte tant la formation initiale des enseignant⋅e⋅s que la formation continue. De même, les formateur⋅rice⋅s des futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s ou les responsables des formations continues, les conseiller⋅ère⋅s pédagogiques, entre autres, ont peu accès aux conclusions des recherches empiriques conduites dans le champ de la didactique des sciences humaines au primaire, même si des efforts notables sont déployés par les associations d’enseignant⋅e⋅s d’univers social (Association québécoise pour l’enseignement de l’univers social et Société des professeurs d’histoire du Québec) et le Groupe des responsables en univers social. Faire connaitre les résultats issus de ce champ de recherche nous parait d’une importance capitale afin que les principaux⋅les acteur⋅rice⋅s puissent y avoir recours et que la pratique enseignante s’exerce en phase avec les plus récents aboutissements de la recherche.

D’entrée de jeu, nous accordons une attention particulière aux résultats de la recherche empirique puisqu’elle explore le monde sensible en s’appuyant sur l’expérimentation, l’observation, ainsi que sur un processus d’évaluation par les pairs – qui permet de faire un tri dans les connaissances scientifiques produites et de ne garder, au fil du temps, que ce qui reste valide. En outre, il nous semble crucial que les connaissances produites par ces processus systématiques contribuent à améliorer, sinon à conforter la pratique enseignante. Il s’agit de procurer et de faire connaitre aux enseignant⋅e⋅s des données issues de la recherche empirique. Ces démarches concernent autant les futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s (formation initiale) que celles⋅ceux qui exercent déjà en contexte scolaire. Le fait de mettre au jour les connaissances produites par les chercheur⋅se⋅s en didactique des sciences humaines qui ont expérimenté, validé ou invalidé certaines approches permet d’actualiser les pratiques enseignantes au profit des élèves et de participer, de ce fait, à donner du sens aux actions des enseignant⋅e⋅s (Jeffrey, 2011). D’ailleurs, les recherches ont documenté le faible sentiment d’efficacité personnelle ressenti par un bon nombre d’enseignant⋅e⋅s (Bandura, 2003). En conséquence, l’absence de sens et de signification dans les activités d’enseignement peut générer un sentiment d’inaptitude et encourager le désengagement enseignant, l’une des principales causes de l’abandon de la profession (Jeffrey, 2011 ; Kamanzi, Barrosto Da Costa et Ndinga, 2017 ; Létourneau, 2014). En mettant en évidence les résultats de la recherche récente en didactique des sciences humaines au primaire, nous espérons contribuer à l’atténuation de ces effets négatifs.

À ce jour, à part quelques tentatives isolées (Araújo-Oliveira, 2019), presque aucune reconnaissance systématisée des connaissances scientifiques produites par des recherches conduites pour alimenter et actualiser la pratique enseignante en sciences humaines au primaire selon des critères précis n’a été réalisée. C’est dans cette perspective que nous proposons une revue systématique des recherches empiriques ayant été menées en didactique de l’univers social au primaire.

Dans les années 2000, le programme d’étude québécois a affirmé sa centration sur le développement des compétences dans une perspective socioconstructiviste. Au Québec, depuis plusieurs années, un programme de sciences humaines existait au primaire, mais un autre est entré en vigueur en 2001. Il prend la forme du cours Géographie, histoire et éducation à la citoyenneté dans le domaine de formation de l’univers social. Des observations et analyses préliminaires issues de la programmation des congrès (scientifiques et professionnels) permettent d’avancer que davantage d’attention a été accordée à la didactique des sciences humaines au secondaire qu’au primaire. Il importe donc de connaitre le véritable portrait de la recherche en didactique des sciences humaines au primaire. Cela pose cette question générale de recherche : quel est l’état actuel de la recherche des 20 dernières années en didactique des sciences humaines au primaire au Québec ?

3. Cadre de référence

Le cadre de référence préconisé repose sur deux concepts clés. Afin de mener à bien notre projet, nous avons recours à la notion de métasynthèse. Pour saisir la nature des recherches réalisées, nous nous appuyons sur la situation pédagogique qui permettra de catégoriser et d’analyser les différents résultats de recherche. Nous présentons ces deux concepts ci-après.

3.1 La revue systématique d’écrits scientifiques

Pour réaliser une revue systématique des écrits scientifiques en didactique des sciences humaines au primaire, nous nous inspirons du concept de métasynthèse, une méthode d’analyse secondaire qui traite d’une même problématique (Sandelowski et Barroso, 2003). Elle a comme objectif principal de regrouper un grand nombre d’études primaires pour en combiner les résultats et en tirer une représentation élargie d’un phénomène donné. Ce processus permettra de définir et justifier notre approche visant à déterminer l’état actuel de la recherche dans le champ qui nous occupe. Dans le but de présenter un aperçu plus complet des écrits scientifiques en didactique des sciences humaines au primaire, nous répondrons aux sous-questions suivantes :

  • (Q1) Qui sont les contributeur⋅rice⋅s au champ de connaissances ?

  • (Q2) Quelle est la nature des recherches produites ?

  • (Q3) Quelles sont les thématiques abordées par les recherches ?

3.2 La situation pédagogique

La situation pédagogique en enseignement général consiste en l’anticipation des relations d’enseignement. Elle se définit comme étant « une situation contextuelle où se déroulent les processus d’enseignement et d’apprentissage » (Legendre, 1993b, p. 1167).

La situation pédagogique s’inscrit dans un milieu où sont en interaction l’élève, « le sujet », le programme, « l’objet », et l’enseignant⋅e, « l’agent⋅e ». Pour chacune de ces composantes, nous nous intéresserons aux conceptions des élèves sur les sciences humaines ; à l’état des apprentissages ; aux moyens employés pour enseigner et apprendre l’univers social en identifiant quels outils pédagogiques, quelles approches didactiques sont privilégiés en appui au programme ; aux représentations sociales des enseignant⋅e⋅s, à leurs pratiques déclarées et observées ainsi qu’au milieu dans lequel les situations d’enseignement-apprentissage se déroulent (la classe, les lieux d’éducation extrascolaires et non formels).

Les relations entre les composantes de la situation pédagogique (les relations d’enseignement, d’apprentissage et de didactique) forment la situation d’enseignement, les activités de formation et la situation didactique. La situation pédagogique permet de rendre compte des différentes composantes d’une recherche dans le champ de la didactique de l’univers social au primaire. C’est ainsi que nous pourrons déterminer certaines particularités de la recherche. Dans ce contexte, nous aspirons répondre aux questions suivantes :

  • (Q4) Quels sont les axes de la situation pédagogique (sujet, objet, milieu, agent⋅e) privilégiés par les recherches ?

  • (Q5) Quelles sont les retombées des recherches produites au regard des relations de la situation pédagogique ?

Enfin, nous formulons la question spécifique qui guidera notre démarche : que nous apprennent les contributions scientifiques entre 2000 et 2020 à propos des recherches conduites dans le domaine de l’univers social au primaire au Québec ? La réponse à cette question pourrait éclairer les connaissances produites par la recherche et contribuer à la consolidation et à l’amélioration des pratiques enseignantes.

4. Méthodologie

Nous exposons ici la méthode employée pour rassembler, analyser et présenter les écrits recensés dans le cadre de notre étude.

4.1 La constitution du corpus

Nous avons sélectionné des textes s’intéressant à la didactique des sciences humaines au primaire au Québec, publiés au cours de la période allant de 2000 à 2020. Ce choix correspond à la mise en oeuvre du renouveau pédagogique ayant proposé le Programme de formation de l’école québécoise en 2001 (Québec, 2006b), qui a stimulé la recherche en matière de didactique des sciences humaines au primaire. Cela dit, des écrits pertinents et importants pour le développement de ce champ de recherche ont certes été publiés avant 2000 (Lenoir et Laforest, 1991), mais ils portaient leur attention sur une réalité tout autre que celle du programme actuel. Pour ces raisons, nous avons limité notre étude aux écrits des 20 dernières années.

Les contributions intégrées au corpus de notre étude sont des textes scientifiques faisant état de résultats de recherches exploitant de nouvelles données de recherche. Il s’agit de données empiriques prélevées auprès d’élèves et d’enseignant⋅e⋅s ou provenant d’analyses de documents comme les programmes de formation ou le matériel didactique. Ces contributions prennent la forme d’articles de revues scientifiques, de chapitres d’ouvrages scientifiques collectifs, de monographies ou encore de mémoires et de thèses. Nous n’avons pas exclu les cas où plusieurs textes reposent sur les mêmes données de recherche, car ceux-ci peuvent présenter des nuances dans l’interprétation d’une contribution à l’autre. En ce sens, notre étude porte sur la recherche publiée, ce qui peut comporter des différences avec la recherche menée. Certes, il existe toute une variété de textes diffusés dans les revues professionnelles comme Vivre le primaire et dans des ouvrages collectifs ou des monographies basés sur les résultats de recherches pour présenter des approches d’enseignement des sciences humaines au primaire. Ces textes contribuent au transfert des connaissances en matière de didactique des sciences humaines au primaire, mais nous ne les avons pas inclus dans le corpus, car nous voulions réaliser une revue systématique des productions scientifiques.

Seuls les textes publiés en français ou en anglais ont été sélectionnés. Les écrits diffusés hors Québec ont été considérés si les données de recherche avaient été collectées au Québec et lorsque l’objet de la recherche portait sur la didactique des sciences humaines au primaire, au Québec. Les auteur⋅e⋅s n’avaient pas à être originaires du Québec ou à être affilié⋅e⋅s à une institution québécoise.

La constitution du corpus s’est déroulée en deux phases. Durant la première, réalisée à l’automne 2020, nous avons conduit une recherche systématique avec les termes « enseignement ; apprentissage ; didactique ; primaire ; histoire ; géographie ; éducation à la citoyenneté ; éducation civique ; univers social ; sciences humaines ; Québec » en français et en anglais, selon le cas, dans différentes combinaisons, mais en incluant toujours une référence aux sciences humaines ou à l’univers social au primaire en contexte québécois. Cette recherche a été réalisée dans les moteurs de recherche Eric (eric.ed.gov), Érudit (erudit.org), Canadian Business and Current Affairs, CAIRN (cairn.info) et sur le site Internet de la bibliothèque de l’Université de Montréal (bib.umontreal.ca). Cette méthode nous a permis de récolter 43 références qui ont été intégrées à notre corpus.

Durant la deuxième phase de la constitution du corpus, réalisée au printemps 2021, nous avons mené de nouvelles recherches dans les mêmes moteurs, mais cette fois en utilisant les noms des auteur⋅e⋅s des 43 premières notices afin de recenser des écrits moins bien référencés, comme les chapitres d’ouvrages collectifs du début des années 2000. Cette démarche a permis d’ajouter 20 références supplémentaires pour un total de 63. La procédure de recherche a été élaborée par les chercheur⋅se⋅s et mise en application par une assistante de recherche[1]. La décision d’intégrer ou d’exclure chaque texte au corpus a été prise de manière unanime par ce comité.

4.2 Analyse du corpus

L’analyse du corpus a été réalisée à l’aide du logiciel QDA Miner (6.0.2). Chaque référence a été entrée comme un cas. Pour chaque cas, des parties substantielles de chaque texte, comme le résumé et les paragraphes présentant les objectifs, les méthodes et les résultats, ont été reproduites dans la base de données. Chaque référence a été analysée en fonction d’une grille d’analyse thématique inspirée de Potvin et Hasni (2014) contenant quatre grandes catégories présentées dans l’annexe 1. Bien que la grille ait été conçue et élaborée avant de débuter l’analyse, elle a été validée et raffinée en faisant l’analyse d’un échantillon de 10 références au préalable du traitement de la totalité du corpus. Le corpus entier a été codé de manière indépendante par un chercheur et l’assistante de recherche. Cette première analyse a montré une fidélité interjuges de 92,7 %. Les disparités ont été résolues dans une consultation entre les deux codeur⋅se⋅s.

Nous avons ensuite cherché à tirer du sens de nos données par le biais de différentes analyses. Au premier chef, nous avons effectué une analyse descriptive à partir de la fréquence de chaque code. Ces analyses permettent de montrer, par exemple, quels outils de collecte de données sont employés par les chercheur⋅se⋅s et dans quelles proportions, ou encore, à quelle institution sont affilié⋅e⋅s les contributeur⋅rice⋅s. Nous avons ensuite vérifié la cooccurrence entre certaines caractéristiques de chaque recherche. Ainsi, nous avons étudié le corpus pour savoir si, par exemple, un type précis de texte (article, chapitre, mémoire ou thèse) employait une catégorie d’outil de collecte de données spécifique, ou si les chercheur⋅se⋅s affilié⋅e⋅s à une institution en particulier s’intéressent plus souvent à un thème de recherche qu’à un autre. Nos objectifs de recherche ont guidé les comparaisons réalisées entre les codes.

4.3 Présentation des résultats

Les résultats sont présentés sous différentes formes en fonction de l’angle d’analyse. En effet, la description des résultats prend la forme de graphiques qui présentent la proportion ou la fréquence des occurrences discutées. Pour illustrer la cooccurrence de certains codes au sein d’un même cas (un cas est égal à une publication), nous utilisons des cartes en deux dimensions générées par le logiciel QDA Miner qui illustrent la proximité entre différents codes par la représentation de bulles. Leur taille représente l’importance du code en matière de fréquence et la distance entre les bulles expose la probabilité que les codes apparaissent dans un même cas. La couleur des bulles symbolise des agrégations (clusters), qui sont des groupes de codes apparaissant davantage dans les mêmes cas.

Enfin, certains cas sont cités en exemples dans la présentation des résultats et dans la discussion. La référence qui apparait entre crochets « [auteur, année] » correspond à un texte du corpus. Ces crochets identifient des exemples prototypiques. Par conséquent, certains textes sont inclus dans les compilations sans être toujours donnés en exemple.

5. Résultats et interprétation

Nous présentons ici les résultats de notre enquête. Ils sont structurés en fonction de nos questions de recherche.

5.1 Les contributeur⋅rice⋅s au champ

L’une des questions que notre enquête soulevait est celle de l’identité des chercheur⋅se⋅s impliqué⋅e⋅s dans le champ de la didactique des sciences humaines au primaire. Au-delà de dresser un catalogue des auteur⋅e⋅s, ce que la⋅le lecteur⋅rice peut voir en consultant la liste des références précédées d’un astérisque dans la bibliographie, nous étions intéressé⋅e⋅s par une caractéristique particulière des auteur⋅e⋅s : leur affiliation institutionnelle. Notons que nous avons établi ces informations uniquement en fonction de ce qui était inscrit dans le texte, sans chercher nous-mêmes à vérifier cette donnée. Certain⋅e⋅s chercheur⋅se⋅s ont été associé⋅e⋅s à plus d’une institution au fil de leur carrière et il aurait été hasardeux pour nous de confirmer cette information par des moyens indirects.

La figure 1 montre une forte représentation de l’Université de Sherbrooke dans le corpus. Cette donnée reflète l’intensité de l’activité de recherche émanant de cette institution. Elle indique aussi que la contribution au champ de la didactique des sciences humaines au primaire n’est pas le fait d’une seule institution. Plusieurs universités québécoises ont en effet apporté des contributions significatives au champ. C’est le cas de l’Université du Québec à Montréal, de l’Université de Montréal et de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Arrivent ensuite, dans une proportion un peu moins importante, l’Université du Québec à Rimouski et l’Université du Québec en Outaouais. Ces données reflètent à la fois la capacité de créer des équipes de recherche qui produisent des textes à plusieurs auteur⋅e⋅s, comme c’est le cas de l’Université de Sherbrooke [Lebrun, Hasni et Lenoir, 2015 ; Lenoir, Larose, Grenon et Hasni, 2000], et le fait que des professeur⋅e⋅s ont été engagé⋅e⋅s dans les dernières années et ont commencé à publier des résultats de recherche récemment, comme c’est le cas à l’Université du Québec à Rimouski [Martel, Cartier et Butler, 2014 ; Martel et Boutin, 2015 ; Martel, Cartier et Butler, 2015].

Figure 1

Fréquence de l’affiliation institutionnelle des chercheur⋅se⋅s ayant signé ou cosigné un article

Fréquence de l’affiliation institutionnelle des chercheur⋅se⋅s ayant signé ou cosigné un article

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5.2 La nature des recherches

Il nous importait de cerner les caractéristiques des recherches menées dans le champ de la didactique des sciences humaines au primaire en commençant par le type de publication. Dans les écrits recensés, 47,6 % représentent des articles de revues scientifiques, tandis que 38,1 % d’entre eux constituent des chapitres d’ouvrages collectifs scientifiques, 6,3 % sont des mémoires et 7,9 %, des thèses. Par ailleurs, 58,7 % des recherches incluses dans le corpus emploient une méthodologie qualitative ; 33,3 % utilisent une méthode mixte et 7,9 %, une méthode d’analyse quantitative.

Quant aux caractéristiques plus détaillées des recherches, la figure 2 montre une nette prédominance de l’entrevue et du questionnaire comme outils de collecte de données. Elle indique aussi une certaine diversité, puisque sept outils de collecte sont présents dans au moins 10 % des recherches. Enfin, la figure 2 montre que trois des quatre outils les plus utilisés – l’entrevue, le questionnaire et le journal de bord – amènent les participant⋅e⋅s aux recherches à se prononcer elles⋅eux-mêmes sur leur pratique, leur vécu ou leurs conceptions en lien avec l’enseignement ou l’apprentissage des sciences humaines au primaire. En somme, une large proportion des données collectées dans le champ de la didactique des sciences humaines au primaire est autorapportée.

Comme l’illustre la figure 3, les enseignant⋅e⋅s (44,4 %) ou futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s (25,4 %) forment la majorité des sujets des recherches répertoriées. D’autres données (figures 6 et 7) montrent que les futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s sont considéré⋅e⋅s comme « agent⋅e⋅s » de la situation pédagogique, et non comme des apprenant⋅e⋅s (universitaires en formation initiale). Ces données indiquent que la recherche s’intéresse beaucoup plus aux enseignant⋅e⋅s qu’aux élèves, ce qui recoupe nos analyses subséquentes montrant que la recherche vise davantage l’enseignement que ses retombées, soit l’apprentissage des élèves.

Figure 2

Outils de collecte de données (proportion des recherches recensées)

Outils de collecte de données (proportion des recherches recensées)

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Figure 3

Sujets participant aux recherches (proportion des recherches recensées)

Sujets participant aux recherches (proportion des recherches recensées)

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Lorsque l’on s’intéresse aux cycles d’enseignement primaire visés par les recherches répertoriées, la figure 4 met en évidence une surreprésentation (38,1 %) du troisième cycle (cinquième et sixième années, élèves de 10 à 12 ans). Il est difficile de formuler des hypothèses sur les causes de cet intérêt, mais la conséquence est très claire. Beaucoup moins de recherches ont été conduites à propos de l’enseignement et de l’apprentissage sur des élèves plus jeunes du niveau préscolaire (élèves de 5 ans) et du premier cycle (première et deuxième années, élèves de 6 à 8 ans).

Figure 4

Cycles d’enseignement visés par les recherches (proportion des recherches recensées)

Cycles d’enseignement visés par les recherches (proportion des recherches recensées)

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5.3 Les thématiques abordées

La figure 5 illustre que seule une minorité de recherches s’intéresse explicitement aux apprentissages réalisés par les élèves. Une partie significative des recherches s’intéresse à l’enseignement et aux outils pédagogiques, parmi lesquels on retrouve les manuels scolaires [Lebrun, 2002], la littérature jeunesse [Martel, Cartier et Butler, 2015] et les outils numériques [Larouche, Landry et Fillion, 2015]. Si nous considérons l’enseignement et l’apprentissage comme deux volets d’un même phénomène (Legendre, 1993a), les résultats de la recherche des dernières années nous permettent de constater que les connaissances produites renseignent davantage sur les stratégies, les approches et les moyens d’enseignement que sur les effets de ceux-ci sur l’apprentissage des élèves.

La figure 5 met aussi en évidence le fait que le milieu constitue un thème de recherche qui retient l’attention d’une partie non négligeable de chercheur⋅se⋅s (20,6 % des recherches). En effet, nous avons classé dans cette catégorie tous les résultats de recherche qui impliquent une ressource du milieu, par exemple les musées [Larouche, Meunier et Lebrun, 2012 ; Lebrun, Larouche et Meunier, 2008], les sites patrimoniaux [Larouche, Landry et Fillion, 2014] et le terrain de manière générale [Demers, Boutonnet, Lessard, Éthier et Lefrançois, 2016 ; Larouche, 2016]. Ce résultat illustre le fait que plusieurs chercheur⋅se⋅s s’intéressent à des moyens extrascolaires d’enseignement.

Figure 5

Type de résultats présentés par les recherches (proportion des recherches recensées)

Type de résultats présentés par les recherches (proportion des recherches recensées)

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5.4 La situation pédagogique

Dès le début de notre démarche, il nous est apparu essentiel d’examiner sur quelles composantes de la situation pédagogique porte la recherche dans ce domaine. La figure 6 met en lumière le fait que les sujets de la situation pédagogique dont il est question dans les recherches sont très largement des élèves, ce qui ne revient pas à dire que les élèves sont des participant⋅e⋅s de toutes ces recherches, mais que le sujet concerné ou l’apprenant⋅e concerné⋅e par l’étude peut être un⋅e élève. En contrepartie, la même figure montre que les chercheur⋅se⋅s s’intéressent moins souvent aux futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s [Brunet et Demers, 2018 ; Meunier et Bélanger, 2014] et aux enseignant⋅e⋅s [Déry et Martel, 2014] dans leur posture d’apprenant⋅e⋅s, donc en formation initiale ou continue. Sur le plan du transfert des connaissances, il appert qu’un travail reste à faire pour mieux outiller les formateur⋅rice⋅s qui cherchent à soutenir le développement des enseignant⋅e⋅s du primaire dans le volet de l’univers social de leur tâche d’enseignement. Dans les deux cas, cela confirme que les recherches portent en général sur les personnes concernées par ce qui se passe dans une classe à l’école primaire.

Figure 6

Sujets de la situation pédagogique visés par les recherches (proportion des recherches recensées)

Sujets de la situation pédagogique visés par les recherches (proportion des recherches recensées)

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Par ailleurs, la figure 7 montre bien que les enseignant⋅e⋅s sont les principaux⋅les agent⋅e⋅s faisant l’objet des recherches. Elle indique aussi que les futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s sont fréquemment considérée⋅s dans leur rôle d’agent⋅e⋅s, alors qu’elles⋅ils n’ont pas encore terminé leur formation initiale. Cette situation s’explique en bonne partie par la disponibilité des futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s qui sont souvent sollicité⋅e⋅s par leur professeur⋅e pour participer à des recherches dans le cadre de leurs cours. Les conséquences d’avoir recours aux étudiant⋅e⋅s comme sujets représentatifs de la profession enseignante en sondant leurs conceptions à propos des manuels [Lebrun, 2001] ou des finalités de l’enseignement des sciences humaines au primaire [Araújo-Oliveira, 2010 ; Araújo-Oliveira, 2012] sont complexes à déterminer. En effet, les résultats des recherches qui impliquent ce profil de participant⋅e⋅s peuvent en partie nous renseigner sur les retombées de la formation initiale, sans pour autant s’intéresser ou rendre compte du processus de formation. Par ailleurs, des étudiant⋅e⋅s ne peuvent offrir un regard informé par l’expérience en classe de la pratique enseignante relative aux sciences humaines au primaire, autre que l’expérience accumulée lors de leurs stages. Cela nous apparait comme une limite évidente de leur implication dans la recherche pour refléter les pratiques dans l’enseignement de l’univers social.

Figure 7

Agent⋅e⋅s de la situation pédagogique visé⋅e⋅s par les recherches (proportion des recherches recensées)

Agent⋅e⋅s de la situation pédagogique visé⋅e⋅s par les recherches (proportion des recherches recensées)

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5.5 Les retombées de la recherche

Cerner les retombées de la recherche en didactique des sciences humaines au primaire au Québec n’est pas chose aisée, d’autant plus que nous avons cherché des tendances plutôt que des informations précises en analysant notre corpus. Nous présentons ici le résultat de quelques analyses de cooccurrence. Les analyses de cooccurrence illustrent les liens existants entre certaines caractéristiques des recherches recensées. Ces analyses révèlent comment et dans quelle mesure certains codes se retrouvent dans les mêmes cas, chaque cas représentant une recherche intégrée au corpus. Comme notre enquête se situe dans une perspective qualitative et exploratoire, nous utilisons ces analyses pour formuler des hypothèses qui peuvent alimenter la discussion.

La figure 8 illustre, par un regroupement basé sur la cooccurrence des codes identifiant l’affiliation institutionnelle des auteur⋅e⋅s et le type de résultat des recherches, qu’un noyau clair (bulles bleues) se forme autour des résultats concernant l’enseignement, l’apprentissage et les outils pédagogiques (la grosseur des bulles témoignant de l’importance de chaque code). On remarque que les chercheur⋅se⋅s issu⋅e⋅s de l’Université de Sherbrooke ont davantage porté leur attention vers les outils pédagogiques [Lebrun, 2002 ; Laforest et Lenoir, 2000]. On note le même phénomène à propos des chercheur⋅se⋅s de l’Université du Québec à Trois-Rivières et de leur intérêt pour l’impact du milieu [Larouche, Landry et Fillion, 2015]. L’éloignement des bulles de l’Université de Sherbrooke par rapport à celles des universités de Montréal et du Québec à Rimouski témoigne du fait que ces institutions ont porté leur attention sur des problématiques différentes et peut refléter des traditions de recherche différentes.

Figure 8

Affiliation institutionnelle des chercheur⋅se⋅s et types de résultats des recherches (cooccurence des codes)

Affiliation institutionnelle des chercheur⋅se⋅s et types de résultats des recherches (cooccurence des codes)

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Lorsque l’on observe les sujets amenés à participer aux recherches en fonction des universités, là encore on discerne des regroupements que montre la figure 9. Les travaux réalisés au sein de l’Université de Sherbrooke montrent une tendance au recours aux futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s [Lebrun, Araújo-Oliveira et Lenoir, 2010] ainsi qu’aux professeur⋅e⋅s et chargé⋅e⋅s de cours [Lenoir, Larose, Grenon et Hasni, 2000]. La majorité des autres universités québécoises ont plutôt oeuvré avec des enseignant⋅e⋅s et des élèves. Il serait ainsi attendu que les recherches issues de l’Université de Sherbrooke permettent d’en apprendre davantage sur la formation initiale que sur l’enseignement pratiqué sur le terrain.

Figure 9

Affiliation institutionnelle des chercheur⋅se⋅s et sujets de la recherche (cooccurence des codes)

Affiliation institutionnelle des chercheur⋅se⋅s et sujets de la recherche (cooccurence des codes)

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Par ailleurs, la figure 10 révèle qu’il existe une grande proximité entre les recherches qui présentent des résultats sur l’enseignement et la considération des enseignant⋅e⋅s dans leur rôle d’agent⋅e⋅s. Surtout, elle révèle que le volume des résultats associés aux enseignant⋅e⋅s est plus important que celui des résultats associés à tou⋅te⋅s les autres agent⋅e⋅s. En somme, même s’il existe une tendance à solliciter beaucoup les futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s, celle-ci est loin d’occuper toute la place dans le champ de la recherche en didactique des sciences humaines au primaire.

Figure 10

Agent⋅e⋅s de la situation pédagogique impliqué⋅e⋅s dans les recherches présentant des résultats sur l’enseignement (cooccurence des codes)

Agent⋅e⋅s de la situation pédagogique impliqué⋅e⋅s dans les recherches présentant des résultats sur l’enseignement (cooccurence des codes)

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En portant notre attention sur les recherches qui présentent des résultats en lien avec l’apprentissage, on constate que celui-ci est associé de près à certains outils de collecte de données – les productions d’élèves [Déry, 2008 ; Poyet, 2018] au premier chef (figure 11). Bien que les entrevues et les questionnaires soient tout de même très présents dans ce type de recherche [Martel et Boutin, 2015 ; Poyet, 2011], la grande proximité entre les résultats de recherche associés à l’apprentissage et à la collecte de productions d’élèves semble indiquer que les connaissances issues de ces recherches reposent moins sur des informations autorapportées que sur une analyse de contenu. De fait, l’apprentissage est souvent évalué par l’analyse des productions des élèves.

Figure 11

Outils de collecte de données utilisés dans les recherches présentant des résultats associés à l’enseignement (cooccurence des codes)

Outils de collecte de données utilisés dans les recherches présentant des résultats associés à l’enseignement (cooccurence des codes)

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Enfin, les moyens d’enseignement, qu’ils soient constitués de ressources diverses, du programme ou de manuels scolaires, sont en général examinés dans une perspective singulière. La figure 12 montre que les manuels scolaires [Spallanzani, Biron, Larose, Lebrun, Lenoir, Masselter et Roy, 2001] et les programmes de formation [Lévesque, 2019] sont en général associés à des résultats de recherche proches de l’enseignement et, par le fait même, de résultats de recherche que nous avons associés aux outils pédagogiques. Quant aux résultats des recherches qui portent sur l’apprentissage, ils concernent les ressources technologiques [Larouche, Landry et Fillion, 2015], muséales et patrimoniales [Larouche, Fillion, Roy, Paillé, Murray, Boyer et Godin, 2016], littéraires [Martel et Boutin, 2015] et les documents visuels [Larouche, Meunier et Lebrun, 2012]. C’est donc dire que les recherches portant sur l’enseignement de l’univers social au primaire ont tendance à s’appuyer sur le programme de géographie, histoire et éducation à la citoyenneté et les manuels scolaires, alors que celles qui concernent l’apprentissage des élèves s’appuient davantage sur des documents visuels, des ressources littéraires, technologiques, patrimoniales et muséales.

Figure 12

Objets de la situation pédagogique et types de résultats de recherche (cooccurrence des codes)

Objets de la situation pédagogique et types de résultats de recherche (cooccurrence des codes)

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6. Discussion

Nous présentons ici quelques réflexions issues des analyses réalisées sur les 63 écrits savants à propos de la didactique des sciences humaines au primaire au Québec ayant constitué notre corpus. Afin de bien cadrer la portée de ces réflexions, rappelons d’abord que notre ambition est de déterminer certaines caractéristiques de la recherche dans le champ qui nous intéresse par le biais d’une exploration d’un corpus ayant été constitué de manière intentionnelle d’écrits scientifiques présentant de nouvelles données de recherche.

Il importe de réaffirmer que nos réflexions prennent appui sur une analyse qualitative du corpus et que la proximité entre les données rapportées repose sur la présence des codes à l’intérieur d’un même cas. Or, plusieurs des recherches recensées s’intéressent à la fois à l’enseignement et à l’apprentissage [Lanoix, 2019] et utilisent une variété d’outils de collecte de données [Martel, Cartier et Butler, 2014 ; Stan, Zarié et Vallée-Longpré, 2019] pour apporter des éléments de réponse à leurs questions. Il peut ainsi être difficile, voire impossible, d’établir des liens de cause à effet entre certaines données. Nous sommes plutôt à la recherche de tendances.

Enfin, notons qu’un très vaste éventail d’analyses pourraient être menées sur notre corpus. Celles que nous avons présentées jusqu’ici et qui sont développées dans la discussion sont celles qui ont attiré notre attention en fonction de questions de recherche spécifiques énoncées dans le cadre de la présente démarche. Il y aurait encore beaucoup à dire sur la question de la recherche en didactique des sciences humaines au primaire au Québec. Nous ne prétendons pas que notre démarche soit achevée. Au contraire, le corpus de données recueillies pourrait être exploité à partir d’intentions de recherche subséquentes.

6.1 La publication des recherches

La figure 13 montre une nette progression à l’intérieur de la période en ce qui concerne la quantité de publications savantes en didactique des sciences humaines au primaire au Québec. Cette intensification de l’activité de recherche peut représenter un indicateur à la fois du nombre de personnes impliquées dans le champ de recherche et de la production de chacun⋅e des chercheur⋅se⋅s. Si Larouche et Araújo-Oliveira (2014a) remarquaient que peu d’ouvrages sur la didactique des sciences humaines au primaire avaient été publiés depuis les années 1990, nos données montrent une nette tendance à l’augmentation de la production. La quantité de publications n’est pas une indication valable de la qualité de la recherche ni de la pertinence des résultats produits. Elle montre toutefois qu’un groupe grandissant de chercheur⋅se⋅s s’intéresse à la didactique des sciences humaines au primaire, ce qui, sur la durée, devrait stimuler la maturation du champ.

Figure 13

Nombre de publications savantes en didactique des sciences humaines au primaire par année (2000 à 2020)

Nombre de publications savantes en didactique des sciences humaines au primaire par année (2000 à 2020)

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6.2 La situation pédagogique

L’analyse du corpus en fonction des composantes de la situation pédagogique offre l’avantage d’associer les résultats de recherche à l’un ou l’autre de ses volets pour déceler des tendances. Or, notre enquête permet d’identifier des aspects de la situation pédagogique qui semblent mieux documentés que d’autres et de discuter des données à la source de ces connaissances produites. Les données citées montrent bien que l’agent⋅e de la situation pédagogique, incluant tout le volet des résultats qui porte sur l’enseignement, est le principal objet des recherches recensées. Or, les données révèlent que, même si plusieurs recherches s’intéressent aux agent⋅e⋅s, on le fait souvent de manière indirecte, c’est-à-dire en notant des pratiques déclarées et en interrogeant des futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s, qui ont une courte expérience, voire qui n’ont aucune expérience professionnelle, de la posture d’agent⋅e⋅s. La difficulté d’accéder aux acteur⋅rice⋅s d’une classe du primaire (enseignant⋅e⋅s comme élèves) pourrait expliquer cette situation. Toutes sortes de considérations peuvent entraver l’accès aux enseignant⋅e⋅s du primaire, y compris les embuches liées au recrutement de participant⋅e⋅s disposé⋅e⋅s à donner de leur temps pour des recherches (considérant la charge de travail déjà fort grande), les difficultés à faire connaitre les projets de recherche ou les aléas administratifs (obtention d’autorisations des centres de services scolaires et certification des comités d’éthique universitaires). En somme, les recherches sont parfois menées avec les participant⋅e⋅s immédiatement disponibles, et non avec les intervenant⋅e⋅s qui procureraient les résultats les plus significatifs et révélateurs de l’état de l’enseignement des sciences humaines au primaire. Selon nous, cela est susceptible de rendre compte de résultats qui ne représentent peut-être pas tout à fait la situation de la pratique enseignante en didactique des sciences humaines au primaire.

En ce qui concerne les sujets de la situation pédagogique, incluant le volet des résultats qui portent sur l’apprentissage, nos données montrent qu’une proportion significative, mais minoritaire, des recherches s’y intéresse. C’est donc dire que moins d’attention a été portée aux effets des moyens et des stratégies d’enseignement en sciences humaines qu’au développement et à la mise en application de ces moyens et stratégies. Sur le plan du transfert des connaissances, cette situation peut avoir un impact significatif, puisque nous disposons de peu de données pour appuyer des approches qui seraient développées dans le cadre de la formation initiale et continue des enseignant⋅e⋅s. Certes, la formation peut s’appuyer sur un vaste corpus de connaissances à propos de l’apprentissage des sciences humaines en général, incluant plusieurs études menées sur le secondaire et à l’étranger, et sur un cadre de référence du développement de l’enfant. Néanmoins, des données plus abondantes et plus précises, provenant du contexte québécois, constituent un appui beaucoup plus solide sur lequel assoir à la fois le transfert des connaissances et la poursuite des travaux de recherche. En outre, ces données permettraient de mieux comprendre l’enseignement des sciences humaines dans le contexte spécifique du programme québécois.

Le problème se pose de manière encore plus prononcée lorsque l’on considère que la majorité des recherches sont conduites auprès des élèves plus âgée⋅s du troisième cycle du primaire (cinquième et sixième années, élèves de 10 à 12 ans). En effet, très peu de recherches ont été menées auprès des élèves les plus jeunes. Comment former des enseignant⋅e⋅s et futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s à l’enseignement des sciences humaines aux plus jeunes alors que l’on connait mal les apprentissages que celles⋅ceux-ci peuvent réaliser ? Comment envisager de nouvelles pratiques et stratégies d’enseignement alors qu’on connait mal celles déjà en place ? Comment convaincre de l’importance d’enseigner les sciences humaines au début du primaire, malgré le fait qu’elles ne soient pas évaluées (Québec, 2006b), alors que les effets de cet enseignement sont peu documentés ?

Les objets de la situation pédagogique, dans lesquels nous incluons les résultats de recherche associés aux outils pédagogiques, sont abordés sous divers angles dans notre corpus. Bien que plusieurs chercheur⋅ses s’intéressent aux ressources muséales, à la littérature jeunesse et aux outils numériques, les recherches sur les programmes et les manuels sont les plus nombreuses, ces outils étant encore centraux et omniprésents dans les classes du primaire. En rapport étroit avec l’enseignement, ces recherches portent plus sur les liens entre l’objet et l’agent⋅e qu’entre l’objet et le sujet. S’il est tout à fait pertinent de développer des programmes de recherche sur divers moyens pédagogiques et leurs effets sur l’apprentissage des élèves – notamment parce que cela peut inciter les enseignant⋅e⋅s à explorer différents outils et favoriser le transfert de connaissances en la matière –, il n’en demeure pas moins que nous connaissons peu de choses à propos des effets de l’utilisation des manuels scolaires sur l’apprentissage des élèves. Plusieurs données (Lebrun, 2006 ; Lebrun, Bédard, Hasni et Grenon, 2006 ; Lefrançois, Éthier, Demers et Fink, 2014) indiquent pourtant que les manuels et autres cahiers d’apprentissage exercent toujours une forte influence sur la planification de l’enseignement, le déroulement des cours et l’évaluation des apprentissages.

7. Conclusion

Nous avons précisé d’entrée de jeu que notre étude était exploratoire. La méthode employée et l’espace limité inhérents à une contribution de ce genre ne nous permettent pas d’explorer toutes les facettes de notre corpus. Nous croyons néanmoins que cette revue systématique de la recherche en didactique des sciences humaines au primaire au Québec a permis de cartographier la recherche réalisée au cours des 20 dernières années et d’identifier des tendances. La principale de ces tendances est le fait que le volet de l’enseignement a été davantage étudié que celui de l’apprentissage.

Nous sommes d’avis que les limites de la recherche récente que nous avons identifiées (prédominance de l’enseignement par rapport à l’apprentissage, recours aux étudiant⋅e⋅s en formation initiale pour enquêter sur la pratique enseignante) ne devraient pas être considérées comme des faiblesses du champ de recherche et des personnes qui y contribuent, mais bien comme les signes d’un champ en émergence, laissant en creux certains volets qui le constituent. Des recherches supplémentaires seraient nécessaires pour mieux comprendre ce phénomène. Cependant, il est permis de supposer qu’il était encore plus embryonnaire avant 2000 (Larouche et Araújo-Oliveira, 2014a). Il est normal et attendu d’un champ émergeant comme le nôtre que la relève soit formée peu à peu et que les études sollicitent les sujets les plus facilement disponibles (futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s). La croissance du nombre de professeur⋅e⋅s et d’étudiant⋅e⋅s de deuxième et de troisième cycles qui s’intéressent à la didactique des sciences humaines au primaire est prometteuse autant pour les activités de transfert des connaissances (qui s’appuient sur une variété d’autres publications sans doute beaucoup plus vastes que notre corpus actuel) que pour les activités de formation initiale et continue.

La didactique des sciences humaines au primaire au Québec semble présenter plusieurs des caractéristiques de ce que Williams (2012) appelle le stade intermédiaire de développement d’un champ de recherche : formation de groupes de recherche institutionnels, objets de recherche stables dans le temps et étude de différents aspects et préoccupations du champ. Si les 20 dernières années ont permis au champ de sortir d’un stade embryonnaire (incipient) (Williams, 2012), celui-ci traverse une phase de maturation, à défaut d’être arrivé à pleine maturité. Suivre l’évolution de la recherche en didactique des sciences humaines au Québec, tirer d’autres constats (notamment sur le plan des résultats) et établir des comparaisons avec la recherche d’autres champs de la didactique et en relation avec un volet international nous semblent être de prochaines étapes prometteuses.