Corps de l’article

Introduction

L’insertion socioprofessionnelle réfère, au minimum, à la capacité d’une personne à s’intégrer socialement et physiquement ou techniquement sur le marché du travail (Allard et Ouellette, 2002; Bourque et al. 2007; Mukamurera et Balleux, 2013). Différents projets et activités voient le jour dans les milieux scolaires québécois et ontariens pour soutenir l’insertion professionnelle des nouveaux enseignants (Gagnon, 2017), considérée comme un passage éprouvant pour les enseignants.

La formation initiale en enseignement contribue également à faciliter ce passage par une alternance cours et stages. Autrement dit, la formation s’articule entre la salle de classe à l’université et le milieu de pratique. Cette alternance vise, entre autres, à permettre une immersion des novices dans la profession et le développement de leurs compétences professionnelles d’enseignants (Gouvernement du Québec, 2008). Des accompagnateurs – enseignants associés et superviseurs universitaires – sont ainsi mandatés par les différentes instances responsables afin d’accompagner les stagiaires et d’assurer cette part de formation qui se déroule dans les milieux scolaires. Cette situation prévaut dans la majorité des programmes de formation initiale à l’enseignement. Cependant, dans certains programmes, dont l’enseignement professionnel, le processus d’insertion professionnelle diffère, car les enseignants se forment à l’enseignement en même temps qu’ils exercent la profession dans les centres de formation professionnelle (Balleux, 2006). En effet, les enseignants de la formation professionnelle sont recrutés parmi les professionnels du métier qu’ils sont appelés à enseigner. Ils commencent habituellement à enseigner avant d’entreprendre leur formation universitaire en enseignement. Au moment de leurs stages, dont le nombre d’heures s’avère comparable aux autres programmes de formation à l’enseignement, la majorité de ces enseignants stagiaires réalisent leurs activités de stage dans leur propre classe. L’enseignant associé ou le mentor, selon l’appellation utilisée par l’université, se trouve alors être un collègue, normalement diplômé et détenteur d’un brevet d’enseignement, oeuvrant généralement dans le même programme que celui enseigné par le stagiaire qu’il accompagne. Cette réalité d’accompagnement particulière, conséquence d’un recrutement chez les travailleurs spécialistes du métier à enseigner, exige une adaptation du rôle d’accompagnement des enseignants associés et des mentors (Gagnon, 2013). Pour s’approprier et occuper ce rôle, ces accompagnateurs peuvent accéder à de la formation continue, offerte à l’ensemble des enseignants associés, pour développer leurs compétences en accompagnement. Toutefois, les enseignants associés et les mentors du secteur professionnel jugent ces formations peu adéquates dans leur contexte d’accompagnement (Deschenaux et al., 2011). Cet article porte sur les caractéristiques d’un dispositif de formation continue susceptible de répondre aux besoins des accompagnateurs en milieu scolaire des enseignants stagiaires en enseignement professionnel.

1. Problématique

Divers travaux (Caron et Portelance, 2012; Leroux, 2019; Pellerin et al., 2020; Portelance, 2005, 2009; Portelance et al., 2008) mettent en lumière la pertinence et l’importance de la formation continue pour laquelle les accompagnateurs de stagiaires se montrent habituellement intéressés et ouverts, et ce, principalement dans une visée pragmatique d’amélioration des pratiques. Pouvoir échanger entre collègues et s’approprier les différents savoirs théoriques relatifs à l’éducation et à la formation à l’enseignement constituent des préoccupations importantes (Portelance, 2005). La formation continue doit permettre aux accompagnateurs d’innover en pédagogie, de mettre en oeuvre de meilleures pratiques et de favoriser l’établissement de relations enrichissantes avec les autres.

Portelance et al. (2008) insistent sur le fait que ces formations doivent tenir compte de la composition des groupes. Par exemple, il peut s’agir de formations de base ou d’enrichissement selon les accompagnateurs qui s’y trouvent. De plus, l’offre de formation doit favoriser la construction d’une communauté d’apprentissage appuyée sur le partage d’expériences et de réflexions. Ainsi, le dispositif de formation continue doit placer les participants en interaction, offrir un cadre pour favoriser les échanges et fournir des ressources concrètes. À cet égard, Portelance et al. (2008) proposent de faire appel à différents médias comme la vidéo (annotation vidéo, vidéoscopie…), les diaporamas et les forums de discussion.

Cependant, ce cadre ne tient pas spécifiquement compte du contexte particulier d’exercice des enseignants associés et des mentors de l’enseignement professionnel (Comité-conseil sur la formation du personnel enseignant, 2006; Deschenaux et al., 2011; Gagnon et Mazalon, 2016; Tardif et Deschenaux, 2014). L’enseignant stagiaire accompagné occupe généralement une tâche d’enseignement dans le même centre de formation professionnelle et dans le même secteur d’enseignement que celui qui l’accompagne. La réussite ou l’échec du stage étant étroitement associé au maintien de la tâche d’enseignement, la collégialité lors des stages en enseignement professionnel prend une couleur distincte et constitue un enjeu important de cette activité de formation en milieu de pratique (Gagnon, 2013). Pourtant, le rôle des accompagnateurs des milieux de pratique s’avère primordial auprès des stagiaires du secteur de l’enseignement professionnel, tout comme leur besoin de formation quant à l’accompagnement (Deschenaux et al., 2011).

Au-delà d’une utilisation d’outils techniques, le numérique ayant pénétré plus largement la société, incluant la formation et la salle de classe, les pratiques d’accompagnement et les besoins des apprenants peuvent impliquer des modalités de formation à distance et en ligne (Petit, 2021). Aucune recherche ne s’est intéressée, à notre connaissance, aux dispositifs numériques de formation continue des accompagnateurs d’enseignants stagiaires en enseignement professionnel. Face à la nécessité de revoir l’alignement pédagogique (Biggs, 2014) des formations habituellement offertes en présentiel lorsqu’elles sont transposées dans un environnement numérique (Bates, 2016), une réflexion s’impose par rapport à l’offre de formation continue offerte de plus en plus à distance. Cet article vise donc à répondre à la question suivante : Quelles sont les caractéristiques d’un dispositif de formation continue partiellement ou entièrement à distance pouvant répondre aux besoins des accompagnateurs, enseignants associés et mentors, de l’enseignement professionnel au Québec?

2. Cadre conceptuel

Bates (2016) offre un point de départ pour appréhender l’intégration du numérique dans la formation continue : « Les apprenants et apprenantes utilisent un ordinateur, une tablette ou un autre dispositif pour leur apprentissage. Cela implique aussi qu’à un certain point dans leurs [formations], ils doivent aller en ligne (par le biais d’Internet) pour avoir accès à de l’information ou pour communiquer avec le personnel enseignant ou d’autres apprenantes et apprenants » (p. 5). Cela suppose une variété de dispositifs, d’outils et de méthodes pédagogiques susceptibles de répondre aux besoins des apprenants, notamment ceux des accompagnateurs de l’enseignement professionnel. Une diversité de propositions, possiblement hybrides, peut donc s’inscrire sur un continuum entre la formation en face à face (celle en salle de classe) et la formation entière en ligne (synchrone ou asynchrone). Cette définition de Bates (2016) ne prend cependant pas en compte le caractère capacitant du numérique pour construire, voire coconstruire les apprentissages.

Un dispositif de formation hybride « se caractérise par la présence […] de dimensions innovantes liées à la mise à distance. Le dispositif hybride, parce qu’il suppose l’utilisation d’un environnement numérique, repose sur des formes complexes de médiatisation et de médiation » (Charlier et al., 2006, p. 481). Selon Allen et Seaman (2007), une portion substantielle d’une formation doit être offerte à distance afin que celle-ci soit considérée comme hybride. Alors que les aspects d’innovation et de technopédagogie invitent à revoir la manière d’apprendre et de faire apprendre à distance, la médiatisation désigne plus particulièrement l’instrumentation et l’ingénierie pédagogique de la formation (Charlier et al., 2006). Cela comprend l’élaboration et la mise en oeuvre du dispositif, incluant l’analyse et le choix du média. De son côté, la médiation réfère plutôt à la relation pédagogique, à la communication et à la manière dont le dispositif numérique oriente le processus de construction des apprentissages. Pour aller plus loin en ce qui concerne la médiatisation et la médiation, il s’avère pertinent de référer à la notion de proximité (Paquelin, 2011).

Bien plus qu’une question d’espaces physiques dont les frontières ont éclaté avec l’intégration du numérique, la proximité relève de la structure et de la présence qu’offrent les dispositifs de formation (Jézégou, 2019). C’est l’organisation qui permet aux apprenants et aux formateurs de réaliser des activités et d’interagir dans le but de faire apprendre (Paquelin, 2011). La structure comprend le temps, le lieu, le rythme, la séquence, le contenu, le format, les méthodes, les ressources, etc. (Jézégou, 2007). Ultimement, plus un environnement se révèle structuré, moins il offre de flexibilité, ce qui accroît la distance (Moore 2007/2015). Néanmoins, une certaine distance s’avère nécessaire pour encourager l’engagement des apprenants (Deaudelin et al., 2016). Il convient donc de choisir des modalités de médiatisation qui favorisent la proximité sans rendre la structure trop rigide.

En ce qui a trait à la notion de présence, elle englobe les interactions entre les apprenants et le formateur ou entre les apprenants (Jézégou, 2007). Jézégou (2012) relève trois formes de « présence à distance » : socioaffective, sociocognitive et pédagogique. La présence socioaffective correspond à la capacité du dispositif à permettre aux individus de se projeter affectivement et émotionnellement au sein de la communauté. La présence sociocognitive s’arrime au pouvoir du dispositif pour coconstruire et donner du sens aux apprentissages. Enfin, la présence pédagogique renvoie aux interactions afin d’orienter les acteurs vers l’atteinte d’objectifs signifiants pour eux du point de vue éducatif. La présence influence la satisfaction, la motivation et l’attitude des apprenants et la perception de leurs apprentissages (Petit et al., 2015). Ces auteurs rapportent également, en citant les travaux de Garrison et al. (2000), que la présence enseignante (qui s’apparente à la présence pédagogique de Jézégou [2012]) relève, entre autres, de l’apport du formateur dans l’organisation du cours, l’enseignement et les échanges. Ferone (2011) appuie également la place du formateur, affirmant qu’il doit s’engager activement dans la formation, car cet engagement influe sur celui des apprenants. En outre, la « présence à distance » amène à déterminer des modalités de médiation qui favorisent les interactions en ligne entre le formateur et les apprenants.

Pour en revenir brièvement aux questions énoncées précédemment en matière de formation continue des accompagnateurs de l’enseignement professionnel au Québec, il apparaît important de s’intéresser à leurs besoins et aux caractéristiques d’un dispositif susceptible d’y répondre. Le cadre conceptuel avancé nous mène à deux objectifs : 1) déterminer les besoins des accompagnateurs d’enseignants stagiaires relatifs à l’offre de formation continue, 2) cibler les caractéristiques liées à la médiatisation et à la médiation d’un dispositif numérique pouvant répondre à ces besoins.

3. Dispositif méthodologique

Cet article est issu d’une démarche de recherche doctorale (Gagné, 2019) plus vaste portant sur la dynamique expérientielle et identitaire des accompagnateurs en enseignement professionnel au Québec, incluant leur expérience de formation en accompagnement. Essentiellement, cette thèse s’inscrit dans une perspective interactionniste symbolique, soit une quête de sens partagé entre les participants rencontrés et la chercheuse (Poupart, 2011). En ce sens, elle fait appel à des méthodes de collecte et d’analyse dynamiques qui exigent un travail interactif et réflexif entre les acteurs. Ces stratégies visent à interpréter, au plus près de la représentation dégagée, les thématiques ou le phénomène à l’étude et à en rendre compte (Lillrank, 2012). La recherche a donc mis en oeuvre un dispositif méthodologique comprenant, notamment, des entretiens biographiques à la manière de Demazière (2011) desquels sont issus les résultats exposés subséquemment. Au cours de deux phases d’entretien, d’une durée d’un peu plus d’une heure, 16 enseignants associés et mentors intervenant auprès d’enseignants stagiaires des cinq universités québécoises offrant un programme de baccalauréat en enseignement professionnel ont été interrogés à propos de leur parcours professionnel. Ils ont entre autres été invités à s’exprimer quant à la formation continue reçue, et souhaitée, par rapport à leur rôle d’accompagnement auprès des enseignants stagiaires en enseignement professionnel.

Plus particulièrement, les résultats de cet article ont été dégagés à partir d’une analyse inductive (Savoie‑Zajc, 2011) complémentaire à la démarche d’analyse structurale réalisée dans la thèse (Demazière et Dubar, 2004). Ils constituent donc une première exploration de la problématique exposée et se veulent, en ce sens, une ouverture sur la question de la formation continue des accompagnateurs intégrant le numérique, et ce, sur les plans scientifique et de la pratique. Pour sa part, le protocole de l’analyse structurale repose sur cinq étapes : 1) le codage des segments, 2) le classement des unités codées, 3) la création de tableaux servant de matrice structurale, 4) la production de catégories disjonctives dans les segments, 5) la structuration par la découverte de conjonctions dans ces mêmes unités. En outre, l’analyse inductive (Savoie‑Zajc, 2011) a été réalisée sur une partie des segments codés, classés et structurés à la troisième étape de l’analyse structurale. Au total, ce sont 1 616 segments correspondant à des unités de sens qui ont été analysés à la suite des entretiens. De ce nombre, 675 portaient sur la période de l’accompagnement, les autres couvrant les périodes de la carrière initiale et de l’enseignement ou les transitions entre elles, et 312 fournissaient un argumentaire à propos de différents sujets abordés, dont ceux de la formation continue et de l’intégration du numérique présentés dans cet article. L’analyse inductive a ainsi permis de dégager des résultats inédits par rapport aux principaux besoins relatifs à l’offre de formation continue. Le sous-codage des extraits ciblés a permis de recenser les propos concernant : l’interaction entre les participants et avec le formateur, le partage entre les participants, la mise à contribution de l’expérience professionnelle, les dispositifs numériques employés, les objets de formation traités et les objectifs poursuivis.

4. Résultats

Cette section synthétise les propos exprimés par les accompagnateurs interrogés. Les catégories ayant émergé de l’analyse concernent notamment les objets à aborder, les besoins en matière d’interactions, de partage d’expériences, d’authenticité des situations et d’accessibilité aux outils à l’égard de l’offre de formation continue, ainsi que les principales finalités à poursuivre selon les interviewés.

De manière générale, il semble important de préciser que les participants ont soulevé des distinctions importantes entre les dispositifs de formation des différentes instances universitaires responsables de la formation continue. Ainsi, nos résultats reposent sur une diversité de dispositifs pour la formation continue des enseignants associés et des mentors, allant de « formations avec des petites capsules vidéos ou sur Moodle » (P6), à « deux journées de formation en classe ou à distance associées à des webinaires » (P7), en passant par « des rencontres Skype tripartites avec le stagiaire et le responsable de l’université » (P5).

4.1. Les objets à aborder

L’analyse des données précédant la présentation des besoins relatifs au dispositif de formation continue a permis de dégager des résultats quant aux principaux objets à aborder. Il apparaît pertinent de les exposer dans cet article puisqu’ils orientent les caractéristiques des dispositifs de formation à mettre en place. Ainsi, lorsque les accompagnateurs sont questionnés sur les objets de formation, ils rapportent, par exemple :

Savoir de quelle manière on procède. Les choses à voir dans chacun des stages plus précisément, les exigences par rapport au niveau attendu (P2[1]).

J’aurais aimé mieux comprendre comment l’encadrer; si c’est ce qu’on doit faire. Ce qui est attendu du rôle d’enseignant associé

P8

J’ai eu des formations sur chacun des programmes des universités ou sur l’approfondissement des objectifs de chacun des stages

P11

Ainsi, les accompagnateurs souhaitent participer à des activités de formation portant sur les spécificités, les critères et les objectifs du programme de formation (incluant les stages) des enseignants stagiaires qu’ils accompagnent. Ils souhaitent pouvoir situer leurs actions dans le continuum de la formation universitaire et de l’insertion en emploi des personnes accompagnées. Par la suite, les accompagnateurs questionnés veulent se positionner par rapport à leur rôle, à leur mandat et à leurs responsabilités, c’est-à-dire connaître et comprendre les attentes qui s’y associent.

Une autre priorité concerne l’approfondissement de leurs pratiques d’accompagnement et d’encadrement, notamment pour favoriser une approche réflexive chez la personne qu’ils accompagnent. Cet approfondissement passe par deux aspects selon les participants interrogés. D’une part, l’aspect technique ressort avec les pratiques à mettre en place, les outils à utiliser et la planification des activités de stage à réaliser. D’autre part, des accompagnateurs souhaitent aborder l’aspect fondamental de l’accompagnement et de la pédagogie en général qui passent, selon eux, par une meilleure connaissance des innovations en éducation.

4.2. Placer les interactions au premier plan

Ce qui retient principalement l’attention par rapport aux besoins, c’est la nécessité selon la majorité des accompagnateurs d’offrir des dispositifs de formation continue favorisant les interactions entre les acteurs. Pour exprimer ce besoin, ils réfèrent à la plus-value des formations en présence qu’ils considèrent comme plus favorables aux échanges.

Il y a quelques années, c’est devenu sur Internet. Je suis très heureuse d’avoir connu l’équipe, et que quelqu’un soit venu nous former, car on pouvait parler et les formations avaient lieu dans notre milieu de travail

P13

Dans les formations, ce serait intéressant aussi d’être avec des collègues en provenance de différents milieux, nous pourrions voir différentes réalités

P12

Ces extraits pointent deux éléments. D’un côté, des accompagnateurs apprécient le fait de pouvoir suivre les formations à distance depuis leur lieu de travail, tout en souhaitant s’ouvrir à des collègues d’ailleurs. D’un autre côté, certains d’entre eux ne considèrent pas le numérique comme un outil favorisant la proximité, même s’il permet les échanges désirés.

Toujours dans la comparaison des dispositifs en présence et à distance, un participant affirme que « la formation en présence, c’est bien parce que ça permet de prendre des notes, de poser des questions et d’écouter, parce que même si les lectures c’est bien, on les oublie vite » (P9). Ce participant ne semble pas envisager la formation à distance comme une formule pouvant soutenir les interactions. D’autres participants vont même jusqu’à suggérer le mentorat ou l’accompagnement individuel pour répondre à leur besoin d’entrer en relation malgré leur horaire chargé et la complexité de leur tâche. Selon eux, l’accompagnement individualisé, même à distance, devrait permettre de « recevoir des critiques constructives, des rétroactions correctives et positives et des stratégies pour utiliser les technologies » (P12).

4.3. Favoriser le partage d’expériences

Au-delà de la recherche de proximité dans la relation avec le formateur et les autres apprenants, la plupart des participants soutiennent que les interactions doivent mener à un partage d’expériences. Ils témoignent que lorsqu’ils « posent des questions, ce sont d’autres collègues qui suggèrent des manières de faire » (P15). En prenant conscience de l’expertise de l’autre, ils découvrent leurs propres forces et lacunes. Ils pensent également pouvoir apprendre davantage en élargissant leur réseau, grâce aux expériences d’accompagnateurs d’autres programmes d’enseignement et d’autres formateurs d’enseignants comme les conseillers pédagogiques ou les superviseurs et les professeurs universitaires.

C’est bien de donner des documents et de savoir quoi faire dans telle situation, mais quand nous échangeons sur nos expériences, c’est là qu’on retient quelque chose et qu’on sait que ça peut s’appliquer

P1

Les expériences partagées par d’autres apprenants se démarquent par leur crédibilité. Du fait de leur applicabilité, elles incitent davantage à la remise en question et aux changements de pratiques chez les collègues en formation.

4.4. Construire à partir de situations authentiques

Dans la continuité des besoins manifestés à l’égard d’un dispositif soutenant les interactions et le partage d’expériences entre les apprenants et avec le formateur, des accompagnateurs ayant participé à notre étude précisent leur pensée en ajoutant qu’ils veulent échanger sur des situations authentiques, réelles et actuelles. De leur point de vue, la formation continue doit s’adresser à des accompagnateurs expérimentés, sinon il s’agit d’initiation au rôle d’accompagnement. Une participante témoigne : « J’ai suivi les formations, mais à ce moment‑là je n’avais pas de stagiaire et je ne les ai pas mises en pratique, alors je ne m’en souviens plus » (P10). De ce fait, suivre une formation continue sans posséder d’expérience, c’est courir le risque de ne pas saisir la nature de ce qui se déroule, ce qui réduit la contribution possible au sein du groupe.

Par ailleurs, la majorité des individus interviewés s’entendent sur la pertinence de réfléchir autour de situations concrètes.

Lorsque le matériel de formation est enregistré, peut-être que pour des gens qui ne sont pas à l’aise avec les technologies c’est utile, mais on n’apprend pas beaucoup, parce que ça ne nous rejoint pas

P12

Le matériel de formation entièrement en ligne peut s’avérer, selon certains participants, pertinent pour expliquer des éléments de base liés au rôle et aux responsabilités, mais pas pour ce qui exige d’être intériorisé afin de faire sens. Bref, il apparaît impératif d’entrer en relation sur la base de situations authentiques vécues dans des environnements ou des contextes similaires. Chercher à travailler sur ce type de situations aurait même un impact sur les acteurs responsables de la formation puisque ces derniers auraient, selon les interviewés, un portrait plus juste de la réalité de l’accompagnement en enseignement professionnel.

4.5. Faciliter l’accès aux outils

Le matériel de formation et les outils destinés à être utilisés dans le cadre du rôle d’accompagnement des enseignants associés et des mentors de l’enseignement professionnel ont longtemps été remis exclusivement en format papier. Dans certains milieux, les documents étaient même envoyés par voie postale. De nos jours, ils sont généralement accessibles en version numérique et envoyés par courriel, bien que chaque établissement de formation possède ses propres documents et ses propres manières de les transmettre.

Comme le décrit un participant : « C’est quand même exhaustif comme documents et tu dois te démêler pour les retrouver » (P14). D’autres interviewés abondent dans le même sens et souhaitent disposer d’un espace, par exemple une plateforme en ligne, regroupant tout le matériel dont ils peuvent avoir besoin pour les formations. Certains pensent également que des synthèses des formations, des tableaux et des figures ou des documents utiles pour remplir leur mandat auprès des stagiaires devraient s’y retrouver, ce qui pose toutefois un défi d’organisation, de gestion et d’appropriation d’un espace infonuagique (institutionnel ou non).

4.6. Les finalités à poursuivre

La présentation des résultats se conclut sur un dernier aspect relevé dans les propos des accompagnateurs en enseignement professionnel, soit les finalités à poursuivre à travers un dispositif numérique de formation continue.

Selon nos répondants, la formation continue doit notamment favoriser le sentiment d’appartenance, car « ces formations viennent confirmer l’engagement envers le rôle d’enseignants associés » (P13) et « c’est ce qui nous fait embarquer en tant qu’enseignant associé » (P1).

La formation continue, surtout lorsqu’elle porte sur des éléments de base, doit aussi viser à réduire l’anxiété des participants et à les rendre aptes à remplir leur mandat au regard des exigences des instances de formation. Lorsqu’elle se rapporte plutôt à des éléments d’enrichissement, la formation continue doit poursuivre une perspective de développement professionnel et, pour des accompagnateurs interrogés, cela signifie simplement qu’elle doit leur permettre de « se mettre à jour » (P7 et P13).

5. Discussion

Au Québec, la formation continue pour les accompagnateurs d’enseignants stagiaires est offerte par les universités et certaines d’entre elles misent sur des dispositifs numériques afin de fournir cette formation à distance. Même lorsqu’elles sont offertes en présentiel, ces formations varient en matière de contenu, de quantité et de mode de diffusion, comme en témoignaient Portelance et al. (2008). Cette variété semble toutefois prendre une tangente nouvelle avec les dispositifs de formation à distance (Petit, 2021). Comme le montrent nos résultats, une formation entièrement à distance et asynchrone semble à éviter considérant les perceptions qu’entretiennent les accompagnateurs à l’égard du potentiel des outils numériques pour soutenir les interactions et favoriser les échanges d’expériences autour de situations authentiques. Eu égard au cadre conceptuel, des constats se dégagent néanmoins concernant des modalités de médiatisation et de médiation pour la mise en oeuvre de dispositifs hybrides de formation continue pouvant répondre aux besoins des accompagnateurs de l’enseignement professionnel au Québec.

5.1. La médiatisation de la formation continue

Selon Charlier et al. (2006), la médiatisation passe par un processus d’instrumentation de la communication. Elle invite donc à réfléchir à l’organisation et à la structure du dispositif de formation, notamment en ce qu’il offre ou non de la flexibilité aux apprenants et aux formateurs. Les accompagnateurs réclament une part importante du contrôle de l’apprentissage lors de ces formations, entre autres en apportant des situations authentiques sur lesquelles ils désirent travailler. Ainsi, le dispositif gagne à miser sur une forme de flexibilité. Pour y parvenir, la scénarisation pédagogique des formations peut faire appel à des supports médiatisés d’apprentissage et à des outils de communication à distance qui respectent, comme l’entend Jézégou (2007), des rythmes variables. Les séquences doivent favoriser la différenciation des méthodes et des objectifs, en vue de faciliter les cheminements individuels, mais aussi la coconstruction des apprentissages.

Pour cette raison, un dispositif hybride de formation continue associant la formation en présence et à distance apparaît le plus approprié. Sinon, il peut aussi s’agir d’un dispositif de formation continue entièrement à distance, mais qui comprend des périodes de formation synchrone, c’est-à-dire réunissant tous les participants en même temps. Les parties en salle de classe et celles à distance doivent composer un tout et s’articuler à partir d’outils numériques qui répondent aux besoins des deux modes de formation. Par exemple, que ce soit en présentiel ou à distance, une vidéo d’un entretien postobservation en stage peut se révéler fort authentique en plus de servir d’élément déclencheur (ou central) d’une formation entre accompagnateurs de stagiaires (Desmeules et Boutin, 2021).

En présentiel, les plateformes utilisées doivent faciliter l’accès aux documents et aux outils qui n’ont plus de raison d’être imprimés, mais aussi permettre le partage entre les participants, et ce, même après la fin de la formation. Il faut garder en tête que les accompagnateurs manifestent le désir d’être tenus au courant des innovations en éducation. Ce canal de communication pourrait donc servir à d’autres fins comme la diffusion de résultats de recherches par exemple. De plus, le choix des outils numériques et des médias doit s’accorder à la principale priorité des interviewés, c’est-à-dire favoriser les interactions entre les participants qui endossent le même rôle, mais dont les contextes d’accompagnement peuvent être différents. Toutefois, avant d’en arriver à exploiter le plein potentiel de tels outils, un travail reste à faire pour modifier les perceptions et inciter les accompagnateurs à s’engager davantage dans un processus de formation continue médiatisé, ce qui appuie encore une fois le choix d’un dispositif alternant les moments en présence et à distance.

5.2 La médiation dans la formation continue

Toujours en se référant à Charlier et al. (2006), la médiation repose sur la relation pédagogique ou, plus largement, sur le dialogue entre les acteurs. Si évidente en situation de formation en présence, elle exige une attention toute particulière en situation de formation à distance. Conséquence de la médiatisation, la manière de communiquer et de construire les apprentissages s’en voit inévitablement modifiée. Comme l’ont montré nos résultats, des accompagnateurs soulèvent le besoin de partager leur expérience et d’apprendre de celle des autres. Cependant, il est illusoire de penser qu’il suffit d’offrir à un groupe d’individus une plateforme permettant les interactions pour qu’ils s’engagent et que leurs interactions deviennent automatiquement sources de réflexion et de construction de sens. Comme en témoigne Ferone (2011), le rôle du formateur s’avère déterminant dans le processus de médiation.

Pour assurer le déploiement d’un dispositif hybride de formation continue pour les accompagnateurs de stagiaires, les formateurs des universités concernées doivent mettre en oeuvre certaines modalités d’intervention pour soutenir le dialogue. Comme l’ont mis en lumière les résultats, le formateur doit être apte à fournir des rétroactions rapides et des critiques constructives, ainsi qu’en mesure de proposer des pistes d’amélioration et des ressources ciblées (Jézégou, 2007). Ces interventions témoignent de sa présence, en plus de favoriser la proximité et le sentiment d’appartenance, même lorsque la formation a lieu à distance, comme le soulignent Petit et al. (2015). Il apparaît donc particulièrement important que le dispositif choisi offre un équilibre entre l’autonomie des participants qui souhaitent orienter les discussions et la présence du formateur pour stimuler ces changements. Bref, la formation relève d’un processus d’accompagnement socioconstructiviste. D’ailleurs, des accompagnateurs proposent d’utiliser une formule de type mentorat, ce qui souligne leur besoin de renforcer la relation mieux que ne le permettrait une formule plus transmissive. Ce type d’approche implique une forme d’apport mutuel qui doit orienter la scénarisation du dispositif de formation et de sa mise en oeuvre dans l’interaction.

5.3. Limites de l’étude

Avant de conclure cet article sur les caractéristiques d’un dispositif hybride de formation continue pour les accompagnateurs de stagiaires en enseignement professionnel, il convient d’aborder les limites de cette entreprise. D’abord, il apparaît important de rappeler que les résultats présentés s’inscrivent en marge d’une recherche doctorale sur l’expérience professionnelle des acteurs concernés (Gagné, 2019). Sans s’avérer l’objet principal de la recherche, la formation continue des enseignants associés et des mentors a été explorée et le corpus de données recueilli est apparu suffisamment riche et pertinent pour mener à des analyses complémentaires dont cet article rend compte. En résumé, les limites concernent donc la manière dont les données ont été collectées. Les entretiens biographiques constituent une forme d’entretiens semi-dirigés amenant les participants à s’exprimer librement à propos de thèmes issus du cadre de référence. Les résultats témoignent donc uniquement de ce que les interviewés ont choisi de rapporter. D’autres données auraient pu s’ajouter si l’entretien avait été davantage contrôlé par l’intervieweur et orienté spécifiquement sur ce thème. Cependant, le fait de laisser aux participants le contrôle pendant l’entretien suggère qu’ils choisissent d’exprimer ce qui leur apparaît le plus important, ce qui renforce les conclusions dégagées (Poupart, 2011). De même, aucun retour sur ces éléments d’analyse spécifiques n’a été réalisé auprès des participants. Par ailleurs, la recherche principale a eu recours à cette stratégie de validation, ainsi qu’à d’autres, qui ne sont toutefois pas détaillées ici, mais qui appuient la validité des résultats présentés.

Conclusion

Cet article s’intéresse à la formation continue des accompagnateurs en enseignement professionnel, et plus précisément aux caractéristiques de dispositifs permettant de la dispenser. Comme il a été mentionné, l’offre de formation varie considérablement d’une université à l’autre (Deschenaux et al., 2011; Pellerin et al., 2020; Portelance et al., 2008), ces dernières misant de plus en plus sur les outils numériques afin d’offrir des formations partiellement, voire totalement à distance.

Selon différentes catégories de besoins exprimés par nos répondants (besoins d’interactions, de partage d’expériences, d’authenticité des situations et d’accessibilité aux outils), nos résultats ont permis d’établir des caractéristiques d’un dispositif hybride de formation continue, sous la forme de modalités de médiation et de médiatisation. Nous considérons que ces caractéristiques s’avèrent pertinentes pour orienter les dispositifs de formation continue des accompagnateurs, qu’ils soient enseignants associés, mentors ou superviseurs universitaires, de l’enseignement professionnel, mais aussi d’autres secteurs d’enseignement. C’est la nature des expériences partagées qui varierait principalement et, à la lumière des résultats, nous soutenons que l’offre de formation devrait reposer sur une rotation entre des groupes d’accompagnateurs homogènes, du même programme d’enseignement, et hétérogènes, donc réunissant des accompagnateurs de plusieurs programmes.

Comme le souligne Ferone (2011, p. 90), « la question de la compétence à former et à accompagner à distance interroge clairement la formation des formateurs ». Conséquemment, comment un seul formateur peut-il prendre en compte les contextes d’exercices spécifiques des accompagnateurs lorsque la formation favorise les interactions à distance entre acteurs de différents programmes d’enseignement ou milieux professionnels? En ce sens, au-delà de la résistance des accompagnateurs à s’engager dans une formation continue médiatisée, il importe de se questionner sur le rôle des personnes dispensant ce type de formation.