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Depuis quelques années, la recherche s’intéresse à la santé mentale et physique des entrepreneurs, montrant notamment qu’ils ne sont pas des héros infaillibles. La crise sanitaire mondiale est venue confirmer la vulnérabilité des PME, largement liée à l’interpénétration entre l’entreprise et son dirigeant, et donc au lien étroit entre la santé de ce dernier et celle de son organisation. Les résultats des textes présentés dans notre dernier numéro (vol. 34, no 2) font ressortir différents aspects de cette vulnérabilité liés à la santé psychologique, au bien-être et à la résilience des entrepreneurs. Dans le texte introductif, nous avons également tenté de synthétiser les connaissances actuelles relatives à l’effet de la crise sur l’entrepreneuriat et la PME.

Dans le présent numéro, nous montrons d’autres aspects de cette pandémie, surtout au travers de travaux qui concernent plus directement les PME. L’étendue des conséquences de la crise est bien plus importante et plus variée que l’on ne pouvait l’imaginer lorsque le numéro précédent de la RIPME fut mis sous presse. Ce numéro-ci reflète cette étendue et cette variété et présente les liens entre crise, entrepreneuriat et PME sous de nouveaux angles. Ce volume a également bénéficié de données collectées plus tard et/ou sur une période plus longue, ce qui signifie aussi que les entrepreneurs étudiés ont eu plus de temps pour s’adapter aux conséquences de la crise ou les ont subies plus longtemps et avec plus de violence.

Ainsi, dans un article portant sur un sujet sensible et complexe à explorer empiriquement, André Modeste Abate montre comment des PME camerounaises, affectées par les conséquences économiques du confinement, réussissent à transformer cette situation en opportunité, tout en étant soutenues par l’État, alors qu’elles opèrent dans l’économie informelle. Le désarroi de certains gouvernements face à l’ampleur des conséquences de la situation sanitaire sur les plans économique, humain et de santé publique les amène à fermer les yeux sur des pratiques qui ne seraient pas tolérées en temps normal. Le retour à la normale présentera donc d’importants défis pour les autorités publiques qui devront trouver des façons de ramener dans la voie de l’économie formelle toutes les entreprises qui, au nom de leur survie, ont adopté des comportements normalement freinés, voire interdits.

Les divers pans de nos économies ont été affectés de façon très inégale durant les derniers mois : aux deux extrêmes du spectre, alors que certaines entreprises tiraient bénéfice de la crise sanitaire, d’autres ont dû fermer leurs portes ; entre ces deux situations, la plupart ont travaillé à assurer leur survie en modifiant leurs marchés, leurs façons de faire, leurs réseaux, etc. Le texte de Deprince, Mayrhofer et Pereira Pündrich nous rappelle qu’en situation de crise, les entreprises doivent informer leurs parties prenantes de leur situation afin de permettre à celles-ci de prendre des décisions appropriées pour assurer le maintien de leurs propres activités. Alors qu’elles sont engagées dans des activités internationales, donc fortement affectées par la fermeture des frontières, l’analyse des sites Internet et des réseaux sociaux numériques de 74 PME belges montre que seules 15 d’entre elles ont communiqué sur la pandémie. Les informations concernaient principalement la continuité des activités, la sécurité des salariés et, pour certaines, les nouvelles opportunités offertes par la crise. L’utilité des stratégies de communication ne semble pas bien mesurée par ces dirigeants, alors que c’est la seule façon de réduire l’incertitude environnementale pour rassurer leurs parties prenantes et soutenir l’économie.

Il est également intéressant de comprendre plus finement comment les entrepreneurs ont traversé cette période tumultueuse. Dans leur article, Constantinidis, Kuyken et Hughes proposent un retour temporel sur la crise. Les données collectées auprès de 30 entrepreneurs montrent que, malgré certaines variations individuelles, une synchronicité s’opère. Les entrepreneurs ont ainsi globalement traversé trois grandes phases communes entre mars et novembre 2020. Les auteurs illustrent également le phénomène d’élasticité du rapport au temps à travers ces phases. Plutôt que de considérer la crise comme un événement, elle est ici traitée comme un processus et les résultats présentés offrent des pistes intéressantes pour développer la capacité des entrepreneurs à faire face à d’autres crises qui pourraient survenir dans le futur.

Que se passera-t-il après la crise ? Comment les acteurs économiques reprendront-ils leur espace et leur rôle dans un contexte de restructuration dans le cadre duquel l’on sait que la pandémie offrira peu de possibilités de revenir à l’état « d’avant » ? Le texte de Terramorsi, Fabiani et Terrazzoni nous offre quelques solutions en se penchant sur la résilience et la façon dont les entrepreneurs peuvent traverser une période de forte incertitude. L’observation de leur vécu pendant le confinement en France au printemps 2020 montre trois étapes dans le processus de résilience, depuis le début de la crise jusqu’à la reprise des activités (partielle, on le sait au moment d’écrire ces lignes). Ce regard original porté à partir d’un tableau de bord complété par 40 dirigeants à différents moments pendant la crise, met en avant le processus par lequel l’entrepreneur apprend, vit et se réorganise durant une crise, ce que peu de chercheurs ont été en mesure de faire jusqu’à présent. Cette approche permet d’identifier des actions d’accompagnement concrètes et en adéquation avec la réalité mouvante de l’entreprise.

Ces textes offrent un autre regard sur la crise et ses effets sur les entrepreneurs et leur entreprise. Ces connaissances, profondément ancrées dans le contexte de la pandémie, auront-elles une portée plus vaste ? Que ferons-nous de ces connaissances dans le temps ? Seront-elles pérennes ? Seront-elles généralisables à toutes les crises ? Sans doute non… et c’est là le lot des connaissances scientifiques, soumises aux aléas du temps et de l’espace. C’est pourquoi nous souhaiterions revenir auprès de la communauté scientifique et des entrepreneurs dans les prochains mois afin de mesurer, autant que faire se peut, la nouvelle normalité : qu’aurons-nous appris ? Comment la situation inédite, vécue différemment selon les endroits, aura-t-elle imprégné les comportements, les attitudes, les processus décisionnels, etc. ? Nous vous inviterons donc à entamer une nouvelle conversation qui nous aidera à voir les choses du point de vue de Sirius, pour paraphraser Voltaire.

Bonne lecture et prenez bien soin de vous !