Corps de l’article

L’Université de Moncton occupe une place centrale en Acadie des Maritimes. Créée en 1963, elle devient immédiatement la principale institution d’enseignement supérieur en français des Maritimes. Elle fait de la formation interdisciplinaire en langue française son principe fondateur, ce qui explique l’accent mis sur l’enseignement du français. Au fil des ans, les questions linguistiques ont fréquemment provoqué le débat : les instances universitaires s’inquiètent à échéance régulière de la « qualité du français » des étudiants (Arrighi et Violette, 2013). Dans le but de trouver une solution à une situation perçue comme un problème de « perfectionnement linguistique » (expression employée dans les documents internes), l’Université requiert les avis de chercheurs externes pour la conseiller sur la formation en français. Cette démarche a donné naissance, à la fin des années 1990, à un cours d’un genre particulier intitulé « La langue et les normes » (dont le sigle est FRAN1903). Ce cours obligatoire pour tous les étudiants proposait de les amener à réfléchir sur le français et sa variation, sur l’élaboration des normes linguistiques et leur institutionnalisation, et sur les conséquences que les politiques linguistiques peuvent avoir sur la pratique sociale. Pour une série de raisons qui sont analysées dans ce texte, l’Université fait marche arrière quelques années plus tard; le cours est alors aboli au profit d’un retour à un enseignement beaucoup plus axé sur la transmission de normes standardisées. Autour de « La langue et les normes » s’articulent un certain nombre de débats institutionnels riches en enseignement sur la circulation des discours sur les langues dans l’institution universitaire acadienne. C’est pourquoi il est analysé comme un évènement discursif : « L’évènement discursif ne se confond ni avec le fait divers, ni avec le fait désigné par le pouvoir, ni même parfois avec l’évènement construit par l’historien. Il est à saisir dans la consistance d’énoncés qui font réseau à un moment donné » (Guilhaumou, 1994, p. 93).

Les questions au coeur de ce texte sont les suivantes : Qu’est-ce qui a mené à la création d’un tel cours? Comment a-t-il été mis en place? Pourquoi a-t-il disparu si vite? Surtout, quels discours et quels arguments ont motivé ces choix? Ces questions permettent d’analyser de façon critique les discours tenus à différentes périodes (Fairclough, 2003; Blommaert, 2005) et en particulier les ancrages idéologiques des choix linguistiques effectués à l’Université de Moncton.

Trois types de données sont utilisés dans les analyses : d’abord, l’ensemble des rapports administratifs et des documents produits à l’occasion de deux processus d’évaluation externe de la formation linguistique. La première évaluation est conduite en 1993 par le Centre de recherche en éducation franco-ontarienne de l’Université de Toronto (désormais abrégé CREFO) et aboutit à la création du cours de sociolinguistique; la seconde est conduite en 2005 par deux chercheuses en didactique et sociolinguistique et aboutit à sa suppression. L’ensemble des rapports produits à l’occasion de ces deux processus d’évaluation se répartit comme suit :

  • « Le perfectionnement en français à l’Université de Moncton » rapport de l’étude externe du CREFO, avril 1994 (désigné « créfo94 » dans le texte);

  • « Rapport du CREFO sur le programme de perfectionnement linguistique à l’Université de Moncton : réactions de la population universitaire », résultats de la consultation menée par le Centre de recherche en linguistique appliquée (désormais CRLA), juin 1996 (désigné « crla96 » dans le texte);

  • « Évaluation du FRAN1903 par les étudiants », consultation menée par un professeur, décembre 2003;

  • « La formation linguistique à l’Université de Moncton », rapports colligés de l’évaluation externe de 2005, document publié en 2007 (désigné « éval2005 » dans le texte).

Les sommaires du cours « La langue et les normes » sont le deuxième type de données utilisées. Le troisième ensemble est constitué d’entretiens semi-directifs conduits, en 2013 et 2014, auprès de professeures ayant enseigné ce cours.

Les données s’étendant sur une vingtaine d’années, il est difficile d’en dresser un portrait complet. Je cherche plutôt, à travers des analyses critiques du contenu des discours, à raconter une tranche d’histoire de l’Université de Moncton, relative à son rapport aux normes linguistiques. Je souhaite proposer une lecture des tensions idéologiques (institutionnelles et individuelles) qui semblent inhérentes à toute université dans sa situation : celle d’un haut lieu de diffusion du savoir, implanté dans une région linguistiquement minoritaire, dans un cas de diglossie complexe (Valdman, 1994), c’est-à-dire où une population se trouve doublement minorisée sur la base d’un critère linguistique (en l’occurrence, à l’égard de l’anglais, d’un côté, et d’une norme de français standardisée alignée sur un modèle exogène, de l’autre).

Une fenêtre ouverte vers la Finlande

Ces situations de croisement de minorisations linguistiques (Vernet, 2020) ne sont pas si rares. Au cours de mes recherches en Acadie, d’autres terrains ont nourri ma réflexion; c’est le cas en particulier de la situation des suédophones de Finlande, minorité séculaire de ce pays qui se trouve toujours dans l’ombre de la Suède voisine. Dans une dernière partie de ce texte, qui constitue une autre voix, j’ai proposé à Simo Määttä, sociolinguiste à l’Université de Helsinki, de présenter ce terrain, en s’intéressant en particulier à la situation de l’enseignement du suédois en Finlande. Langue minoritaire de Finlande (5,2 % de la population en 2018 sont comptés comme suédophones natifs[1]), le suédois est aussi une des langues officielles, présent surtout dans quelques communes du sud et de l’ouest, et dont l’enseignement est obligatoire dans les écoles et les universités de tout le pays. Cette contribution porte sur les processus de minorisation linguistique dans le cadre finlandais et peut éclairer les choix politiques effectués par les différentes institutions concernées par ces situations sociolinguistiques. Il ne s’agit pas d’une comparaison sur la base de problématiques identiques, mais davantage d’une fenêtre ouverte sur un autre cas de diglossie complexe; S. Määttä montre d’ailleurs que la réalité finlandaise est très singulière. Mais nous espérons, S. Määttä et moi, que faire ce pas de côté éveillera des curiosités et, pourquoi pas, alimentera des réflexions dans la recherche sur les situations de minorisation.

1. La question linguistique au coeur de l’Université de Moncton

La lutte pour l’éducation en français dans la région acadienne est longue et âpre. Les sources manquent concernant la période française, c’est-à-dire de 1604, date de l’établissement de Port-Royal, première colonie française en Amérique du Nord, à 1713, date du traité d’Utrecht, qui signe définitivement le changement de souveraineté de l’Acadie. On sait qu’à leur arrivée, certains colons se sont faits prédicateurs et éducateurs, essentiellement pour des populations autochtones et dans un but d’évangélisation (Le Gresley, 1925, p. 14), et qu’à partir de 1633 un premier séminaire a été créé à l’intention des enfants de colons (Breault, 1933, p. 9). Sous l’administration britannique, l’éducation en français reste le fait d’initiatives religieuses. Elles sont limitées, individuelles, financées par les familles et, accessoirement, destinées aux garçons (les filles sont éduquées dans des couvents mis sur pied tardivement). Il faut attendre 1841 en Nouvelle-Écosse pour que la première loi favorable à l’enseignement en français voie le jour (Couturier-Leblanc, Godin et Renaud, 1993, p. 546); elle est cependant abolie en 1864 et remplacée par une loi imposant l’usage de l’anglais. Au Nouveau-Brunswick, c’est en 1858 qu’une loi permet la création d’écoles confessionnelles (majoritairement financées par les familles); elle est abolie dans les heurts en 1871 pour faire place à un enseignement non-confessionnel (LeBreton, 2002).

Avant 1871, très peu d’enfants acadiens sont scolarisés, l’école est trop chère pour des familles trop pauvres. De plus, les enseignants religieux n’ont ni formation ni matériel en français adéquat (Savoie, 1978, p. 35). La loi de 1871 permet la scolarisation d’un plus grand nombre d’enfants acadiens. Dans les décennies qui suivent, le gouvernement du Nouveau-Brunswick consent, au compte-goutte, des concessions pour l’enseignement du français, mais jusque tard dans le XXe siècle, l’école publique reste une école d’assimilation, où le français est enseigné avec parcimonie, sans manuels, sans moyens, sans formation pour les enseignants de français.

À l’orée des années 1960, un réseau d’institutions éducatives spécifiquement francophones se développe, mais il reste irrémédiablement de l’ordre du privé et du religieux. L’élection en 1960 de Louis J. Robichaud comme premier ministre du Nouveau-Brunswick change la donne : son programme « chances égales pour tous » contribue à une redistribution des ressources favorisant le désenclavement des populations francophones[2]. Une commission d’enquête sur l’enseignement supérieur est également mise sur pied, la commission Deutsch, laquelle recommande, en 1962, « que l’assemblée législative accorde une charte en vue de l’établissement de l’Université de Moncton, comme seule institution d’enseignement supérieur de langue française au Nouveau-Brunswick autorisée à conférer des grades » (Deutsch, 1962, p. 99). Les quelques institutions religieuses disséminées sur le territoire de la province fusionnent en 1963 pour former l’Université de Moncton, dont le père Clément Cormier prend la tête (Cormier, 1975).

L’institution comprend trois campus : le campus principal se situe à Moncton, dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, région de forts contacts linguistiques entre anglophones et francophones[3]; un campus se situe dans la péninsule acadienne, à Shippagan, dans le nord-est de la province; un dernier se situe à Edmundston, dans le nord-ouest, sur les frontières américaine et québécoise. Ces deux derniers campus sont dans des régions considérées comme plus homogènes linguistiquement. Cette précision géographique a son importance, car les discours tenus sur la formation de français à l’Université dépendent de l’environnement dans lequel ils évoluent et qui varie considérablement d’un campus à un autre.

Dès sa création, l’Université de Moncton est un lieu important de l’émancipation politique des Acadiens, comme en témoignent les revendications des droits des minoritaires et les mouvements de grève à partir de 1968 (Brault et Perreault, 1971; Boudreau 2016, p. 29-34). L’Université contribue largement à la démocratisation de l’enseignement supérieur, exerçant un pouvoir d’attraction important dans toute la province (Higgins et Beaudin, 1988). L’engagement communautaire est encore aujourd’hui une des premières missions qu’elle se donne[4]. L’établissement exprime également un désir de centralité dans l’espace acadien et dans tout l’espace francophone.

La question linguistique est immédiatement au coeur des préoccupations des instances de l’établissement : enseigner en français et enseigner le français. Un parcours de perfectionnement linguistique est créé, constitué d’une série de cours de français obligatoires. Dans le même temps, des chercheuses du CRLA s’intéressent de plus en plus à l’insécurité linguistique des jeunes acadiens (Boudreau, 1991; Boudreau et Dubois, 1991, 1992, 2008). Elles analysent ce phénomène comme le résultat d’une surconscience de la norme légitime de la part des étudiants qui provoque la conscience d’une distance (réelle ou fantasmée) de ses propres pratiques linguistiques avec cette norme légitime.

Ainsi, au début des années 1990, les discussions autour de la formation de français à l’Université de Moncton prennent de l’ampleur, impliquant tant l’administration que le corps professoral. Ces discussions font l’objet du présent article. Mon corpus remonte en 1992; à l’automne de cette année-là, un débat sur la « qualité du français » agite l’Université de Moncton ainsi que les médias et les cercles politiques. Le Département d’études françaises charge le CRLA et, à travers lui, le CREFO d’effectuer une étude sur les cours de perfectionnement linguistique de l’Université et les besoins en la matière.

2. « La langue et les normes », un cours obligatoire de sociolinguistique?

2.1. Analyses divergentes d’une situation

Le rapport du CREFO parait en 1994, à la suite d’une étude externe de grande ampleur menée à l’automne 1993. Le devis, proposé au Département d’études françaises de l’Université de Moncton, concerne une évaluation des structures, des méthodes et des contenus des cours de français, ainsi qu’une analyse des besoins (créfo94, p. 39). Le CREFO analyse en profondeur toute la documentation relative aux cours de français et mène une série d’entretiens avec les membres des corps professoral et étudiant, le personnel administratif et même des employeurs de la région.

Le rapport souligne dès la première page que l’étude est motivée par une « campagne de presse sur la qualité de l’enseignement du français » à l’Université (créfo94, p. 1). Les chercheurs mentionnent qu’il existe à l’Université de Moncton un écart important entre la norme linguistique attendue des étudiants (et donc enseignée) et les pratiques linguistiques réelles : « La démocratisation de l’université entraîne un écart entre les normes de l’élite et celles de sa nouvelle clientèle. » (créfo94, p. 8) De fait, les formes de français enseignées traduisent une volonté d’alignement sur une idéalisation d’une variété de prestige en grande partie exogène, importée d’ouvrages de référence publiés pour la plupart en France (Bérubé, 2010; Vernet, 2016). La domination symbolique de cette représentation du français est telle que l’ensemble des pratiques linguistiques, mesurées à cette aune, paraissent marquées du sceau d’une hétérogénéité incompatible avec une bonne communication entre francophones. Le rapport mentionne qu’un ressenti d’un « état de crise » (créfo94, p. 9) résulte de telles représentations; situation qui est analysée à l’interne comme un manque de compétence des étudiants, causé à la fois par le milieu d’origine et par les manquements de l’école secondaire (créfo94, p. 11). Dans le rapport du CRLA de 1996, portant sur la mise en place de la réforme proposée par le CREFO, on trouve une annexe qui mentionne la position adoptée par le Sénat de l’Université en 1990 à l’égard des normes linguistiques dans tous les examens. On peut inférer que ce document correspond à la stratégie mise en place pour répondre à ce « ressenti de crise » décrit dans le rapport du CREFO. On y lit ce qui suit :

Une partie de l’évaluation des travaux des étudiants et étudiantes porte sur le français […] la note attribuée à l’épreuve d’évaluation sera abaissée d’une demi-lettre (exemple : B devient C+) ou d’une pleine lettre (exemple : B devient C) si la qualité du français est mauvaise ou très mauvaise.

Que l’évaluation du français dans les travaux des étudiants et étudiantes soit faite selon le barème présenté en annexe, ou selon un barème différent établi par le professeur […] [qu’il] soit deux fois plus exigeant dans le cas de travaux où le temps n’est pas une contrainte importante […] que les travaux majeurs en 4e année, 5e année et maîtrise […] ne soient acceptés que s’ils sont présentés dans un français correct.

crla96, p. 46-47

S’y ajoute une comptabilisation des fautes, où chaque type coûte un certain nombre de points et où le total de ces points équivaut à une baisse variant entre une demi-lettre et une lettre de la note finale attribuée. On comprend donc qu’à l’arrivée de l’équipe de Toronto sur le terrain, l’enseignement est orienté vers un modèle normatif et traditionnel, où la pédagogie s’organise autour d’un contenu grammatical et syntaxique avancé, et autour de la notion centrale de faute de langue.

Pour les chercheurs du CREFO, l’analyse de la situation faite à l’interne est erronée. L’étude considère que « l’écart de normes » est permanent, qu’il ne résulte pas d’un manque de compétence et que la solution d’un enseignement normatif ne règlera pas le problème (créfo94. p. 17). Les chercheurs proposent alors l’instauration d’un cours obligatoire destiné à réfléchir à la question des normes linguistiques et à leur imbrication dans des rapports de pouvoir, en particulier en contexte acadien. Il s’agit d’un cours de sociolinguistique obligatoire pour tout étudiant, initiative décrite comme une première dans une grande université francophone (créfo94, p. 31).

2.2 « La langue et les normes »

Le rapport CREFO fait une série de recommandations relatives à la pédagogie (comme l’abandon des méthodes « punitives » basées sur la faute) et aux structures institutionnelles (lutte contre la précarité du corps professoral, par exemple). Mais celle qui m’intéresse ici est la mise en place d’un cours obligatoire à contenu sociolinguistique, afin que les professeurs et les étudiants s’interrogent en profondeur sur la situation sociolinguistique de l’Acadie :

Un cours obligatoire de trois crédits destiné à tous les étudiants de première année, et portant, d’une part, sur la variation linguistique en Acadie et sur la création des normes linguistiques, et d’autre part, sur le savoir métalinguistique, sur l’utilisation des outils de travail et sur les possibilités offertes par l’Université de Moncton en matière de perfectionnement linguistique

créfo94, p. 26

L’équipe de recherche propose également que, à la suite de ce cours, un bloc de six crédits de cours de français soit obligatoire, à choisir parmi un ensemble de modules, en fonction des envies et des besoins que les étudiants auront eux-mêmes identifiés durant le premier cours, ce qui signifie que le cours à contenu sociolinguistique devra comporter également une part d’évaluation, sous une forme quelconque, pour que chacun puisse identifier la suite de son parcours. C’est là où réside une ambiguïté, dont certains campus se saisissent pour revenir à un enseignement traditionnel du français. J’y reviendrai.

D’un point de vue idéologique, la réforme esquissée dans ce rapport représente un changement majeur : il s’agit d’intégrer un savoir sociolinguistique à l’enseignement de la langue (complémentaire d’un enseignement normatif, malgré tout) et de passer à une « pédagogie de la réussite » (créfo94, p. 31) en abandonnant les méthodes punitives.

Pressentant peut-être que l’implantation d’une telle réforme serait difficile, le CRLA – qui a accepté de travailler à sa mise en oeuvre en organisant des séances d’information sur le rapport et sur les notions sociolinguistiques, et en s’engageant à produire un document d’appui à la création des cours – fait une étude par questionnaire pour prendre le pouls de la communauté professorale et administrative. Le questionnaire comporte 24 questions qui couvrent un champ très large : on demande aux répondants de donner leur avis sur les compétences linguistiques de la population étudiante, sur les pratiques pédagogiques de leur département en matière d’expression linguistique, sur les mesures prises jusqu’à ce moment pour favoriser le perfectionnement linguistique, sur les principes du rapport CREFO et les contenus proposés. Les résultats de cette étude sont compilés dans un document qui parait en juin 1996.

Les chercheuses qui rédigent ce rapport précisent d’emblée que « deux types de commentaires ont été émis à maintes reprises par les répondants » (crla96, p. 6) :

Plusieurs répondants ont déploré que l’accès à l’université ne soit pas régi par des critères de sélection plus élevés et que le niveau de compétence linguistique des candidat.e.s ne soit pas déterminant.

crla96, p. 6

Plusieurs répondants ont émis des commentaires qui mettaient en cause l’enseignement du français à l’élémentaire et au secondaire. Généralement, ils faisaient valoir en même temps que l’Université n’avait pas à suppléer aux carences du système scolaire ni à s’investir dans le perfectionnement linguistique des étudiant.e.s

crla96, p. 8

L’idée de la sélection à l’entrée à l’Université semble coïncider avec une forme d’idéal méritocratique qui donne toutes les apparences de la neutralité : il incombe aux étudiants de fournir les efforts nécessaires pour correspondre au standard attendu et non nécessairement de modifier les méthodes ou les contenus des cours. Cette vision inverse la charge de la responsabilité de l’acquisition de ce standard en la faisant reposer sur les étudiants et procède, du même coup, à un effacement de sa dimension idéologique (Irvine et Gal, 2000; Gal, 2012), car ledit standard n’est pas neutre. Il est plutôt socialement façonné à partir de variantes linguistiques de prestige issues des grands centres de pouvoir. Ces commentaires font réagir les chercheuses du CRLA : dans cinq pages de réponse critique, elles expliquent que le premier « remet en question […] la démocratisation de l’accès aux études supérieures » (crla96, p. 6) et appellent pour le second à ne pas « culpabiliser les élèves » ou « pourfendre le système scolaire », mais plutôt « d’évaluer, sinon de remettre en question, les méthodes d’enseignement du français » (crla96, p. 8).

Si les chercheuses du CRLA soulignent que ces commentaires sont réguliers, une faible majorité de répondants semble pourtant favorable à une réforme de la structure des cours de français (crla96, p. 20). Mais dans quel sens faut-il réformer? À la question 15, qui demande aux répondants s’ils estiment important que les étudiants réfléchissent à la situation sociolinguistique acadienne, 85 % d’entre eux manifestent leur approbation (crla96, p. 21). Pourtant, deux questions plus loin, quand il s’agit d’estimer l’importance qu’ils accordent à différents contenus pédagogiques, le message est inverse. Les items relatifs à un enseignement traditionnel de la langue (exposés, cours magistraux, rédactions de rapports et de comptes rendus, consultation d’ouvrages de référence) recueillent des taux d’approbation au-delà de 80 %, voire 90 % (crla96, p. 22). À l’opposé, les items sociolinguistiques (relatifs à l’étude des variétés de langues en Acadie et de leur histoire comparée avec d’autres variétés de français) recueillent des taux d’approbation en-dessous des 50 % (crla96, p. 23). Comme le soulignent les chercheuses du CRLA, « l’intérêt manifesté à l’égard des propositions de modules portant sur le français d’Acadie est plutôt mitigé. » (crla96, p. 24)

Ces résultats sont-ils paradoxaux? Pas nécessairement. Ils semblent plus probablement exprimer une tension idéologique : le corps professoral ne parle pas d’une seule voix, certains demeurent tenants d’une approche d’enseignement classique et doutent des bienfaits et de l’intérêt d’un contenu sociolinguistique. Conscientes de l’état d’hésitation de l’institution (corps professoral et administratif), les chercheuses du CRLA recommandent une mise en oeuvre souple et par étapes, dont la première serait de confier le cours de sociolinguistique à des professeurs impliqués et motivés (crla96, p. 30). Quelques années plus tard, le cours « FRAN1903 La langue et les normes » est mis sur pied.

2.3 Divergences sur le rôle et le contenu du cours

Durant mes recherches documentaires, j’ai pu retrouver les sommaires du cours FRAN1903 La langue et les normes, des trois campus, des années universitaires 2002-2003 et 2003-2004. En principe, ces documents sont rédigés collégialement, mais certaines sections sont laissées à la discrétion du professeur qui enseigne. Les sommaires sont des documents rédigés collégialement et censés être identiques d’un campus à un autre. Or, ce n’est pas le cas pour ce cours. On sait que le cours FRAN1903 devait être divisé entre un contenu sociolinguistique et une forme d’évaluation (ou d’autoévaluation) permettant aux étudiants de faire des choix de modules de français pour la suite de leur cursus. Voyons donc comment les campus de Moncton et d’Edmundston proposent de remplir ce cahier des charges[5].

À Moncton, le contenu du cours se répartit en cinq points :

a) les variétés de français en usage dans la francophonie et l’évolution de la langue française; b) la variation linguistique : sortes de variation, l’oral et l’écrit; c) l’élaboration de normes pour chaque variété de français; d) les conséquences que comporte un choix d’utiliser une variété de langue donnée à l’oral et à l’écrit; e) les besoins individuels par rapport aux exigences linguistiques universitaires (français standard).

Suivent le contenu détaillé, divisé en deux colonnes (contenu sociolinguistique et précisions sur la « prise de conscience et [l’]établissement des besoins en formation linguistique »); la méthodologie (les outils pédagogiques proposés); les précisions sur l’évaluation (60 % de la note est attribuée aux aspects théoriques sociolinguistiques; 10 %, à la participation aux exercices diagnostiques, 30 % à l’examen final); la bibliographie d’une page; le barème d’une demi-page (incluant un tableau du nombre de points perdus en fonction des erreurs de langue pour les rédactions). On observe que le contenu du cours est plutôt axé sur la sociolinguistique, le point e) étant le seul concernant l’évaluation des besoins futurs des étudiants.

Au campus d’Edmundston, les cinq points du contenu apparaissent bien, mais un sixième s’intercale en avant-dernière position et mentionne le « français standard et les problèmes grammaticaux les plus fréquents ». Le document propose ensuite une partie « objectifs spécifiques[6] » (absente du document de Moncton) :

À la fin de la session, l’étudiante ou l’étudiant:

  1. aura mis au point l’utilisation des outils de base nécessaires à la conception et à la présentation de travaux écrits à l’Université,

  2. aura saisi plus facilement les liens entre les phrases et les propositions,

  3. aura établi, en collaboration avec la professeure, un programme de perfectionnement linguistique adapté à l’identification de leurs besoins et conforme aux exigences universitaires.

On trouve ensuite le détail du contenu du cours. Les deux mêmes points qu’à Moncton y figurent, mais il s’en ajoute un troisième intitulé « étude de l’organisation de la phrase » qui comprend : a) les groupes fonctionnels dans la phrase; b) les phrases simples et complexes; c) les problèmes syntaxiques.

L’examen final vaut toujours 30 %, mais les aspects théoriques sont réduits à 25 % et les 45 % restants sont attribués à des « exercices écrits variés ». Suivent enfin trois pages de barèmes : des tableaux dressent la liste du nombre de points perdus selon le type de faute de français et précisent l’impact sur la note finale.

En résumé, le contenu du cours est ici plutôt normatif. La partie sociolinguistique est réduite à sa portion congrue, pour faire place à un enseignement traditionnel composé de grammaire, de syntaxe et d’évaluations formelles. Les bibliographies sont également différentes. Des références sociolinguistiques sont présentes dans les documents de Moncton, mais sont absentes dans ceux d’Edmundston ou remplacées par des ouvrages correctifs.

La divergence d’approches entre les campus de Moncton et d’Edmundston est clairement visible : à Moncton, il y a une volonté de suivre les recommandations du CREFO, tandis qu’à Edmundston, on prend l’initiative d’abandonner partiellement les objectifs initiaux au profit d’un enseignement normatif du français. Cela semble corroborer ce qui est pressenti dans le rapport du CRLA : un contenu sociolinguistique n’est pas particulièrement attendu par les membres du corps professoral et administratif. Rapidement, un mouvement s’enclenche et aboutit à l’abolition du cours.

3. L’enterrement inéluctable d’une tentative sociolinguistique dans l’enseignement de la langue

3.1. La consultation des étudiants

En 2003, un professeur prend l’initiative de distribuer un questionnaire à ses étudiants pour mesurer leur adhésion au cours. J’ai retrouvé la compilation des réponses dans les archives administratives de l’Université de Moncton; 155 répondants se sont prêtés à l’exercice et ont fourni 40 pages de données. L’enquête n’est pas rigoureuse et ne suit pas de méthodologie particulière, mais a l’avantage de fournir un grand nombre d’avis circonstanciés et est utilisée quelques années plus tard au cours du second processus d’évaluation de la formation linguistique. Ici, je ne donne pas de cette enquête une analyse exhaustive, puisqu’elle nécessiterait à elle seule un article en soi; je me contente de donner un aperçu des principaux arguments évoqués par les étudiants.

Globalement, on trouve dans cette enquête deux attitudes qui ne sont pas mutuellement exclusives. La première est une critique lourde : les étudiants ont l’impression d’apprendre des choses inutiles et n’aiment pas l’aspect « fourre-tout » du cours (histoire de la langue; variation linguistique; cours de classement, de grammaire…). La seconde tendance, minoritaire, souligne l’intérêt des enseignements. Cependant, beaucoup de répondants fonctionnent par concession rhétorique. Par exemple :

Les objectifs sont O.K. mais j'aurais pu me passer du cours 1903 et prendre des cours de grammaires au lieu.

Inutile! (À mon avis). Intéressant, mais… pas ce que j’expectais d'un cours de français.[7]

Il est probable que ces formulations récurrentes, organisées autour d’un « mais » pivot, permettent de faire passer une critique plus facilement, en la voilant derrière un compliment de façade. Lorsque le questionnaire demande aux étudiants s’ils ont des suggestions, très peu sont favorables au statu quo. Pour la majorité, il faut faire plus de grammaire et de syntaxe :

Enlever ce cours et donner un cours de grammaire/syntaxe au lieu. (plus important dans le futur que celui-ci)

Ma suggestion serait de rejeter ce cours, car il n'a aucune importance par rapport au français en général.

Ces critiques reviennent ni plus ni moins à supprimer l’essence même du cours. Beaucoup d’étudiants semblent attendre des cours de français un contenu immédiatement profitable, validé par une note. Leur parcours à l’Université dépendant en grande partie de leurs résultats en français normatif, certains s’attendent à ce que l’accent soit mis sur cet élément, et voient comme une distraction ou une perte de temps toute tentative de leur faire voir l’enseignement de la langue sous un autre jour.

Alors, les étudiants sont-ils conservateurs, endoctrinés par des méthodes normatives et verticales, incapables de concevoir un modèle différent? C’est une hypothèse. Mais je crois qu’il faut plutôt comprendre (et ce n’est pas antinomique) que la structure institutionnelle pèse de tout son poids en faveur d’un enseignement traditionnel et prescriptif du français. Une question générale se pose : Un contenu sociolinguistique peut-il avantager les étudiants dans leurs apprentissages à l’Université et ensuite les aider à obtenir un bon emploi?

3.2. La procédure d’évaluation de 2005

En 2004, une nouvelle procédure d’évaluation est lancée. Un Comité d’évaluation de la formation linguistique rédige un mandat composé de six blocs de questions numérotés portant sur : 1) la nature des cours, 2) l’organisation des cours et l’enseignement, 3) le contenu, 4) le point de vue des étudiants, 5) le corps professoral et 6) les ressources matérielles. Ce mandat sert ensuite à une auto-évaluation dans chacun des trois campus, avant de servir de socle à une enquête externe, cette fois-ci prise en charge par deux chercheuses, une didacticienne à l’Université de Montréal et une sociolinguiste à l’Université Laval. Dans leur rapport, les deux chercheuses font une série de propositions de réforme, que le comité évalue en fin de processus avant de proposer son propre plan d’action. Lors de cette procédure d’évaluation, le cours à contenu sociolinguistique est le point qui cristallise les débats.

À Moncton, le cours « La langue et les normes » est vu par l’équipe professorale comme une innovation positive. L’équipe déclare que ce cours « semble combler la majeure partie des besoins de la population étudiante » (éval2005, p. 23), du moins celle dont le français est la langue première et qui est plus ou moins concernée par des problèmes d’insécurité linguistique. L’équipe affirme donc que le cours « répond aux objectifs visés » (p. 24), mais porte une critique sur la lourdeur du processus d’évaluation concomitant au contenu sociolinguistique : « L’évaluation des compétences langagières, écrivent les professeurs, alourdit la tâche d’enseignement. » (éval2005 : 26) L’équipe semble donc favorable à ce que le contenu sociolinguistique reste obligatoire, mais soit livré seul, et demande, par ailleurs, que les ressources nécessaires soient allouées pour assurer un bon encadrement des effectifs et la stabilité du corps professoral.

Une fois encore, on trouve du côté du campus d’Edmundston des avis radicalement opposés. Pour l’équipe professorale, le cours a « suscité la critique » (éval2005, p. 6) :

L’insécurité linguistique, qui serait à l’origine de la partie théorique du cours, n’est pas un problème majeur pour les étudiants du campus d’Edmundston, particulièrement, pour les étudiants internationaux et québécois. Dès lors, il nous semble qu’il serait temps de supprimer le cours FRAN1903 ou à tout le moins de le redéfinir.

éval2005, p. 7

On lit également que, en « outre, [les professeurs du secteur] croient qu’un(e) étudiant(e) qui maitrise la langue orale ne souffre pas d’insécurité linguistique. » (éval2005, p. 12) De cette analyse de la situation, ils tirent la conclusion que le besoin se situe du côté des cours de français normatif. En 2000, soit à peine deux ans après la mise en oeuvre de la réforme proposée par le CREFO, les professeurs d’Edmundston prennent l’initiative de réaménager le cours FRAN1903. Au début du semestre, les étudiants passent un test qualifié « d’objectif » (éval2005, p. 8) portant sur la grammaire, l’orthographe et la conjugaison, et font une rédaction de 300 mots. Les résultats permettent de classer l’étudiant :

En FRAN1903 A s’ils rencontrent de grands problèmes en grammaire fondamentale, en FRAN1903 B s’ils éprouvent des difficultés moyennes en grammaire fondamentale, en FRAN1903 C s’ils ne maitrisent pas la grammaire de la phrase, en FRAN1903 D si leurs lacunes se situent au niveau de la rédaction et du développement des idées.

éval2005, p. 8

Ils ajoutent qu’ils se sont entendus pour :

[…] réduire au minimum (quatre semaines) le temps consacré à la partie théorique. À la fin du mois de septembre, tous les étudiant(e)s inscrits en FRAN 1903 doivent passer un test qui porte sur les connaissances théoriques[8]. Dès le début du mois d’octobre, les professeurs entament la partie pratique, à savoir la grammaire fondamentale pour les groupes A et B, la grammaire de la phrase pour le groupe C et la rédaction universitaire pour le groupe D.

éval2005, p. 8-9

La réforme du CREFO a été proposée précisément pour aller à l’encontre de ce type d’analyse de la situation sociolinguistique acadienne – considérée par le CREFO comme erronée – et d’un enseignement « tout-normatif » plus à même de creuser le fossé entre les vernaculaires et l’idéalisation d’une variété de prestige que de le combler. Le fait que les professeurs d’Edmundston n’ont pas appliqué l’intégralité de la réforme et se sont permis de la modifier montre qu’un travail au niveau des convictions restait à faire. En l’état, l’analyse des pratiques linguistiques des étudiants est faite à l’aune d’un français exogène idéalisé, dont la domination symbolique n’est pas déconstruite, car elle n’est pas théorisée. D’ailleurs, cette domination symbolique est-elle même perçue? Ce n’est pas sûr; les professeurs et les étudiants, on l’a vu, avancent plutôt l’idée que les pratiques vernaculaires n’ont pas leur place dans cet espace social qu’est l’université. Ainsi, l’idée que les pratiques linguistiques locales soient inférieures à un « standard » idéalisé n’est pas nécessairement perçue comme un jugement axiologique, mais plutôt comme un constat pragmatique (Fuller, 2019, p. 126). En corollaire, l’écart qui sépare les étudiants de la pratique d’un tel français standard est perçu comme une question d’effort individuel qui est mesurable de manière « objective ». Quid alors des étudiants qui restent sur le bord de la route? Selon cette grille d’analyse, ils font partie des dommages collatéraux, des personnes vouées à connaître l’échec en raison d’une démocratisation trop importante de l’université[9].

De leur côté, les deux évaluatrices externes, qui s’appuient sur les auto-évaluations et leur propre enquête, valident l’analyse sociolinguistique du rapport CREFO, mais constatent que la réforme n’a pas complètement été mise en place, qu’il existe des dissensions chez les professeurs qui ne sont pas tous d’accord avec l’approche sociolinguistique et que le rapport ne fournit pas de dispositif pédagogique clé en main qui aurait facilité sa mise en oeuvre (éval2005, p. 50-51). Elles émettent un diagnostic sans équivoque : la mise en place a été erratique, l’ambivalence entre sociolinguistique et enseignement normatif est évidente, et les dissensions sont nombreuses.

Ce qui avait comme objectif principal la valorisation des étudiants devient, selon l’avis de la très grande majorité des étudiants rencontrés, un long pensum, voire une punition échelonnée sur quatre mois, pour recevoir, en bout de piste, le verdict attendu, celui de leur incompétence. Ce cours ne semble contribuer ni à l’amélioration du français ni à l’apaisement du sentiment d’insécurité; il suscite en fait de vives frustrations en maintenant les étudiants dans un climat d’incertitude face à leur cursus universitaire

éval2005, p. 52

Elles recommandent son abolition, et proposent que la partie classement soit effectuée avant l’inscription de chaque étudiant à l’Université et qu’une partie du contenu sociolinguistique soit désormais diffusée dans un nouveau cours de communication orale – ce qui sera partiellement réalisé – qui s’accompagne d’un cours de communication écrite, les deux cours formant la base obligatoire de la formation en français (les étudiants n’ayant pas obtenu la note de passage au test de classement devant suivre, selon leur résultat, un ou deux cours de perfectionnement).

Les campus de Shippagan et d’Edmundston se félicitent de ces recommandations, tandis que le campus de Moncton est plus mesuré et aurait souhaité des analyses approfondies. Un comité de planification valide ces réformes en octobre 2007; le cours « La langue et les normes » est aboli et son contenu partiellement abandonné.

3.3. L’abolition du cours La langue et les normes: revue d’arguments

Lors de mon enquête de terrain en 2013 et 2014, la moitié des membres du corps professoral interviewée est déjà en fonction lorsque le cours FRAN1903 est enseigné et peut témoigner de son ressenti. Sur les six professeures concernées, une seule souligne que le cours s’est toujours bien déroulé et déclare n’avoir jamais eu de retour négatif des étudiants. Les autres émettent un certain nombre de critiques et se révèlent globalement satisfaites de sa suppression. Par exemple :

Prof1. J’aimais pas du tout le cours non plus parce que je me disais les étudiants ont un besoin criant de maitriser la langue et on leur fait perdre quatre mois. Moi je voyais ça comme ça, le cours 1903 je l’aimais beaucoup pour le classement diagnostic, je trouvais que c’était équitable c’était juste, mais pour le reste je me disais… parce que le but du cours c’était vraiment d’éliminer le plus possible l’insécurité linguistique chez nos étudiants, c’était ça le coeur du cours 1903 mais…[10]

Enq. Ça fonctionnait pas?

Prof1. Moi je… non. J’ai pas l’impression que ça fonctionnait. Ben ça fonctionnait peut-être jusqu’à un certain point mais moi je disais ils ont tellement de difficultés en français pourquoi on leur fait suivre ce cours-là pendant quatre mois, hey c’est quatre mois de perdus là, faut qu’ils travaillent la langue, faut qu’on commence maintenant.

L’argument principal est le suivant : le besoin des étudiants est de « maitriser la langue », ce cours n’est pas censé répondre à ce besoin, il est donc une perte de temps. On a rencontré plusieurs fois cette formulation, « maitriser la langue », qui subsume l’ensemble des pratiques linguistiques derrière une dénomination singulière, répondant à une « dimension fantasmatique de l’homogène » (Canut, 2007, p. 15) et revenant, in fine, à exclure de « la langue » tout ce qui n’est pas de l’ordre de la norme prescriptive. Vingt ans auparavant, le rapport CREFO identifie déjà ce problème de représentations des langues et des normes, et propose d’utiliser le concept de répertoire linguistique. Les prémisses théoriques du CREFO n’ont, semble-t-il, pas été comprises par les membres du corps professoral. Mais alors, est-ce que le contenu est décalé par rapport aux attentes, ou les professeurs le sont-ils par rapport au contenu? La question est légitime et la même professeure en témoigne :

Prof1. On est des grammairiens, on n’est pas des linguistes, on est très très bons pour enseigner la grammaire et la syntaxe, mais l’étude de la langue j’ai pas de formation là-dedans moi, tu sais. Je fais du mieux que je peux, puis je me je me débats du mieux que je peux avec cette matière-là mais, c’est ça, souvent ça pouvait nous insécuriser aussi d’enseigner ce cours-là.

C’est l’autre argument majeur qui ressort en 2013-2014 : on a demandé à des professeurs de français de donner un cours de sociolinguistique, ce pour quoi beaucoup ne pensent pas avoir les compétences nécessaires. Les professeurs témoignent que ce n’est pas le lieu idéal, qu’un cours de français n’est pas un cours de linguistique – cursus linguistique qui, d’ailleurs, existe en parallèle. Cette contingence des disciplines, où la sociolinguistique n’aurait pas lieu d’être dans un cours de langue, me semble être une expression de la domination symbolique de l’enseignement traditionnel normatif.

Cet ensemble d’arguments indiquent que la situation était dès le départ défavorable à l’intégration d’un contenu sociolinguistique. Or, comme je l’ai écrit plus haut, le contenu du cours « La langue et les normes » est hybride; il doit permettre aux étudiants de réfléchir à leurs besoins en matière linguistique pour orienter la suite de leur cursus. En à peine quelques années, la mission principale du cours, qui est sociolinguistique, se déplace vers une mission de « classement ». En 2014 encore, les professeures témoignent majoritairement de leur aise d’alors d’avoir à leur disposition un semestre entier pour analyser les lacunes en français de chaque étudiant.

Prof2. Mais j’aimais moi ce cours-là, oui je l’aimais. Honnêtement, je trouve que le classement des étudiants était mieux fait parce que, tu sais que le classement se faisait à partir de ce cours-là, à partir de quatre rédactions, qu’on donnait durant le semestre. De courtes rédactions mais on les classait à partir de ça.

L’une d’elle toutefois critique :

Prof3. On prenait beaucoup de temps à tester les étudiants pour savoir dans quels cours ils devaient aller, c’est devenu que le cours était nommé le cours de, comment ils appellent ça, classement, ils appelaient ça le cours de classement. Puis là les étudiants disaient je sais pas pourquoi j’ai besoin de faire un cours de classement, en anglais ils font ça dans un test. Ce qui est vrai.

Le développement du cours, évoqué par ces deux professeures, est très opposé à ses buts initiaux posés par le rapport CREFO qui, pour rappel, sont, d’une part, de réfléchir « sur la variation linguistique en Acadie et sur la création des normes linguistiques, et d’autre part, sur le savoir métalinguistique » (créfo1994, p. 26)[11]. Finalement, la réforme des cours, opérée à partir de 2007, ne vient qu’entériner un retour déjà partiellement entamé aux méthodes traditionnelles.

Des tensions idéologiques institutionnalisées en Acadie

Dans ce texte, j’ai voulu utiliser la mise en place d’un cours obligatoire de sociolinguistique dans une formation linguistique à l’Université de Moncton comme un évènement discursif me permettant d’analyser un noeud de tensions idéologiques.

Ce cours, proposé par des sociolinguistes, est construit par des professeurs (pas toujours linguistes) qui ne croient pas tous en son contenu et qui se sont majoritairement avérés favorables à un enseignement traditionnel. Il est parfois enseigné avec bonne volonté, comme à Moncton, mais ailleurs, le contenu sociolinguistique est réduit au minimum, dénaturant complètement l’objectif du cours. Tout se passe comme si cette initiative sociolinguistique se heurtait à une idéologie du standard très institutionnalisée.

Les défenseurs du cours « La langue et les normes » voient l’enseignement normatif comme un puissant générateur d’insécurité linguistique, témoin encore tenace aujourd’hui du fait que les pratiques vernaculaires sont considérées comme inférieures, moins utiles, moins compréhensibles qu’un français standard. Dans une telle grille de lecture, la suprématie de la grammaire et de la syntaxe dans l’enseignement de la langue est in fine la suprématie dudit standard. Les opposants, eux, avancent l’argument que le besoin des étudiants se situe au niveau formel, c’est-à-dire au chapitre de la grammaire, de la syntaxe et de l’orthographe; ils voient l’enseignement normatif comme une réponse pragmatique à ce besoin. On enseigne alors un français exogène (appuyé fortement sur des ouvrages de référence qui ignorent tant la situation acadienne que ses variantes linguistiques) au nom d’une homogénéité souhaitée du français[12] et de son utilité et intelligibilité supposées dans le monde global (Fuller, 2019, p. 126). Finalement, dans cette grille de lecture-ci, la question de la domination linguistique n’est tout simplement pas posée : le rapport de force politique entre différentes pratiques linguistiques est invisible et la hiérarchie sociale qui découle de telles inégalités de statut est naturalisée.

Les opposants à ce cours ont rapidement gain de cause, aidés en cela par des étudiants troublés par l’innovation pédagogique, et par l’institution universitaire elle-même : les évaluations formelles et la pédagogie « de la faute » n’ont jamais disparu, les tests de classement, considérés comme objectifs, ont gagné de l’espace au fil des ans, sans oublier le manque de moyens matériels et humains (point soulevé tant par la procédure d’évaluation de 1994 que par celle de 2005).

Cet épisode de la création-disparition d’un cours à contenu sociolinguistique dans l’enseignement du français signe l’implantation durable d’un modèle « low/high variety », évoquant la diglossie selon Ferguson (1959). Les pratiques linguistiques méritant d’être enseignées sont subsumées derrière une dénomination singulière (la langue, le français), excluant toute forme de variation vernaculaire, réservée, elle, à des sphères privées et apolitiques.

Mais la porte ouverte par l’institution universitaire dans les années 1990 ne s’est pas totalement refermée. Le renouvellement du corps professoral amène dans les salles de classes des personnes ayant suivi une ou des formations sociolinguistiques. Et si le contenu des cours de français de l’Université de Moncton se rapproche toujours aujourd’hui d’une pédagogie traditionnelle et normative, le terreau y est peut-être plus fertile qu’ailleurs pour enseigner les questions de langue autrement, selon une pédagogie qui relèverait d’un autre cadre idéologique, que l’on pourrait appeler, faute de mieux, « sociolinguistique ».

Discussion

LES PHÉNOMÈNES SOCIAUX OBSERVÉS EN ACADIE
POUR PENSER D’AUTRES SITUATIONS :
LE CAS DU SUÉDOIS EN FINLANDE

Simo Määttä
Université de Helsinki

Si comme le dit Samuel Vernet, les situations de croisement de minorisations ne sont pas si rares, il reste que la dynamique de chaque situation est particulière; par conséquent, il est difficile de trouver un écho parfait ailleurs. L’analyse ci-dessus porte sur les tensions idéologiques autour de l’enseignement du français, L1 pour la plupart des étudiants de l’Université de Moncton. Dans cette discussion, je parcours cet axe en me concentrant sur l’enseignement du suédois en Finlande (L2 à l’échelle nationale et souvent localement, mais aussi L1 dans beaucoup de communes), c’est-à-dire l’enseignement obligatoire d’une langue minoritaire qui est pourtant une langue officielle dans ce pays. Le but est de voir s’il y a des parallèles entre ces situations diglossiques et si les phénomènes observés dans un cas peuvent informer les enjeux présents dans l’autre.

Il faut dire en premier lieu que les processus historiques de minorisation des Acadiens au Canada et des suédophones en Finlande sont très différents. Sur le territoire actuel de la Finlande, il y a une population suédophone depuis plus de huit siècles : la plupart sont des descendants des Suédois qui se sont installés en Finlande à différentes époques, d’autres sont d’origine allemande, balte ou finnoise. Ils vivent surtout dans les Îles Åland et sur les côtes sud et ouest du pays. C’est une minorité, mais c’est aussi l’ancienne élite. En effet, la majeure partie du territoire est intégrée au royaume de Suède jusqu’en 1809, date à laquelle toute la Finlande est annexée à l’empire russe. Le suédois est la langue de l’administration, la langue de prestige, l’unique langue officielle jusqu’en 1902, tandis que la plupart de la population parle différents dialectes du finnois. Ce n’est que dans la deuxième moitié du XIXe siècle, sous le régime russe, que la langue finnoise commence à s’unifier et à s’émanciper, pour être utilisée dans tous les domaines de la vie sociale, à commencer par l’école[13] (Havu et Klippi, 2006). Cette évolution est parallèle au déclin du nombre de locuteurs du suédois : au XVIIe siècle, ils comptent entre 17 et 18 % de la population (Karlsson, 2017, p. 18), environ 13 % en 1900 (Karlsson, 2017, p. 28), et 5,2 % à la fin de l’année 2018 (Statistics Finland, 2019).

Après l’indépendance de la Finlande en 1917, le statut de la langue suédoise est consolidé dans la constitution de 1919, selon laquelle le finnois et le suédois sont des langues nationales de la Finlande – les autres langues des minorités historiques, telles que les langues des signes finlandaise et suédo-finlandaise, les trois langues sámi parlées en Finlande ou la langue des Rom finlandais ne sont reconnues officiellement que beaucoup plus tard. Des précisions concernant la relation entre le finnois et le suédois sont adoptées dans deux lois linguistiques au début des années 1920. Ainsi, tandis que l’administration étatique est bilingue et que les fonctionnaires de l’État doivent maitriser les deux langues nationales, l’administration des communes où la minorité suédophone ou finnophone représente au moins 8 % de la population ou au moins 3000 personnes sont officiellement bilingues; dans le cas contraire, la commune est unilingue. À l’heure actuelle, la Finlande compte 311 communes, dont 33 sont bilingues et 16 unilingues en suédois; ces dernières sont toutes situées dans les Îles Åland. Concernant l’enseignement des deux langues officielles, depuis le régime russe et pendant les premières décennies de l’indépendance, les écoles primaires sont soit finnophones, soit suédophones, de sorte qu’il n’y a jamais eu de rupture dans l’enseignement de la langue minoritaire, à la différence de l’Acadie. Dès 1918, une université suédophone est créée pour sécuriser l’existence d’un enseignement supérieur en langue suédoise, l’Åbo Akademi (située à Åbo, dit « Turku » en finnois, l’ancienne capitale de la Finlande lorsque celle-ci était une région du royaume de Suède). À l’Université de Helsinki, un conflit dure jusqu’en 1937, date à laquelle on décide que le finnois sera la langue de l’enseignement et de l’administration, tandis que l’enseignement en suédois est garanti par un système de quota. Ce régime linguistique permet de calmer les tensions linguistiques postindépendance, dans une ambiance où certains partis politiques revendiquent un statut exclusif pour la langue finnoise, tandis que des habitants des régions suédophones souhaitent intégrer la Suède.

Quelques décennies plus tard, au début des années 1970, alors que des réformes viennent généraliser l’instruction obligatoire, on impose du même coup l’apprentissage de la deuxième langue nationale à partir de la 7e année (aujourd’hui, à partir de la 6e). Ainsi, la langue minoritaire est aujourd’hui obligatoire à l’école pour la totalité des enfants finlandais.

Alors, quel suédois est enseigné dans les écoles finlandaises? De façon similaire à ce que l’on peut observer en Acadie, le suédois utilisé et enseigné dans les institutions scolaires et universitaires est un suédois dit standard, aligné sur la langue écrite et plus ou moins identique en Finlande et en Suède (Reuter, 2006). Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’écart entre le suédois de Finlande et le suédois de Suède n’est pas très bien perçu par les suédophones de Finlande. Ce n’est qu’à la naissance du mouvement svécomane[14] et des études « identitaires » que cet état de fait devient évident. Différents courants animent alors le mouvement, d’un côté, ceux qui souhaitent un rapprochement avec le suédois de Suède, de l’autre, ceux qui prônent l’idée de cultiver une identité culturelle à part en normalisant le suédois de Finlande de façon autonome. Cette seconde idée n’emporte pas l’adhésion des masses (Havu et Forsskåhl, 2016, p. 75), et ce, pour différentes raisons qui font écho à la situation acadienne à l’égard du français : l’idée d’un panscandinavisme est vivace, et les suédophones de Finlande tiennent à ce rapprochement avec la Suède; ils refusent l’isolement d’une variété de suédois en Finlande, qui serait d’autant plus menacée par le finnois. C’est ainsi que l’on trouve, au début du XXe siècle, un courant normatif suédophone qui rejette avec force les « provincialismes » suédois ainsi que les emprunts et les calques du finnois[15]. L’histoire de cette forme standardisée est donc différente de celle des suédois finlandais vernaculaires qui se distinguent des vernaculaires de Suède et de la forme standardisée de suédois par la présence de nombreux « archaïsmes[16] » et de caractéristiques liées au contact avec la langue finnoise et à la position périphérique par rapport aux parlers de Suède. Par exemple, un des traits caractéristiques des parlers suédois de Finlande est l’absence d’accent de hauteur, ou accent dissyllabique, ce qui fait que ces vernaculaires finlandais paraissent plus « monotones » que les parlers de Suède et se rapprochent, de ce fait, de la prosodie du finnois (af Hällström-Reijonen, 2019).

Ces différences linguistiques indexent bien des distinctions sociales et peut-être un certain rapport centre-périphérie diglossique à l’égard de la Suède voisine, mais le sujet reste un champ d’étude à défricher. En Finlande, la question des normes linguistiques dans l’enseignement du suédois est logiquement restée en retrait par rapport à un évènement discursif de loin plus essentiel : l’instauration, dans la réforme de l’école primaire et du collège exécutée entre 1972 et 1977, de l’obligation de l’enseignement de la deuxième langue officielle, ce qui revient à faire accepter à la très grande majorité des Finlandais l’apprentissage de la langue minoritaire (tandis que les élèves suédophones doivent étudier la langue majoritaire, à savoir le finnois). Cette réforme est à l’origine de nombreux débats et controverses qui permettent d’étudier les ancrages idéologiques du rapport des gens aux langues. Il existe encore un sentiment de minorisation de certains Finlandais à l’égard du suédois, et dont cette loi rendant l’apprentissage du suédois obligatoire se fait le catalyseur. Comme expliqué plus haut, pendant des siècles, le suédois n’a pas seulement été la langue maternelle d’une partie minoritaire de la population, elle a aussi été la langue de l’administration et de l’élite. En d’autres mots, d’un point de vue finnophone, il s’agit d’une situation de diglossie classique, où la variété de prestige (le suédois), utilisée dans l’administration, l’éducation et la vie culturelle, se juxtapose avec une variété vernaculaire (finnois dialectal) qui doit attendre le changement de souveraineté au XIXe siècle pour commencer à s’émanciper. L’opposition au suédois obligatoire dans les écoles, ancrée aujourd’hui dans les discours populistes et nationalistes, peut donc être lue comme la continuation de l’émancipation du finnois, revendiquée par les « fennomanes » dans les années 1920 et comme la manifestation d’un sentiment d’infériorité par rapport à la langue de l’ancien colonisateur. C’est un front renversé par rapport à la situation de l’Acadie : ici, la langue suédoise, minoritaire, jouit encore d’un prestige entretenant chez les Finnois une minorisation profondément intériorisée. Celle-ci se trouve renforcée par une insécurité linguistique générée par le fait que les élèves finnophones n’arrivent pas à maitriser le suédois comme on le leur demande.

Les débats autour de la position de la langue suédoise sont essentiellement liés à la démocratisation de l’enseignement – l’instauration d’une scolarité obligatoire comprenant l’école primaire et le collège, ce qui ouvre aussi la voie aux études universitaires pour un nombre croissant d’étudiants. Or, le fait que les étudiants finnophones n’atteignent pas un niveau satisfaisant en suédois est devenu un problème qui touche aussi l’université : de nombreux étudiants éprouvent des difficultés pour passer les examens obligatoires de suédois qui pourraient les qualifier pour les postes de fonctionnaires d’État. La diminution du nombre d’heures dédiées à l’enseignement du suédois dans le plan d’enseignement national des collèges et lycées est citée comme une des causes; de surcroît, depuis 2003, la deuxième langue nationale ne figure plus parmi les matières obligatoires du baccalauréat[17] (voir par exemple Tuokko, 2009). Pour améliorer les résultats, les études de la deuxième langue nationale commencent maintenant dès la sixième année de la scolarité obligatoire (et les études de la première langue étrangère, dès la première année). On envisage également de réinstaurer l’obligation de passer l’épreuve de la deuxième langue nationale au baccalauréat (Kosonen, 2018).

Les attitudes négatives sont un autre facteur important ayant un effet sur les mauvais résultats en suédois. Plus de la moitié des finnophones sont contre l’obligation d’étudier le suédois (Pitkänen et Westinen, 2017, p. 3-4) et de nombreux groupes de pression demandent que ce soit une matière facultative dans les écoles et les universités. Les attitudes sont particulièrement négatives parmi les collégiens (Pitkänen, 2018) et la volonté d’étudier le suédois est basse, surtout dans l’est de la Finlande, où il n’est guère parlé (Kosonen, 2018). Les discours défendant l’obligation d’étudier le suédois se placent généralement sur un terrain utilitariste : on mentionne l’utilité de cette langue dans le monde du travail et la coopération avec les pays nordiques, ainsi que la garantie apportée par cette obligation pour le bon fonctionnement d’un État bilingue. Quelquefois, on avance aussi que faire connaitre la langue de l’Autre est une manière de promouvoir la tolérance – une idée discutable si l’apprentissage des mots et des structures grammaticales ne s’accompagne pas d’une familiarisation avec l’histoire, les cultures et les sociétés liées à la langue en question.

Une réflexion au sujet de la relation tant linguistique, historique que sociale, entre le finnois et le suédois pourrait être un moyen efficace d’apaiser la situation conflictuelle actuelle et de changer les attitudes négatives des élèves envers le suédois. Or, l’analyse du cours de sociolinguistique obligatoire à l’Université de Moncton montre que l’instauration d’un tel cours ne suffit pas : il faut aussi que les professeurs possèdent les connaissances et la motivation nécessaires pour dispenser le cours et que les étudiants comprennent pourquoi ce genre de cours leur est aussi utile, ou plus utile qu’un cours de langue. En outre, l’exemple de Moncton semble montrer que, selon les locuteurs, c’est la connaissance et la maitrise de la norme qui forme l’essentiel de la valeur utilitaire d’une langue. C’est peut-être, pour beaucoup de situations de diglossie complexe, la leçon à tirer de l’analyse de l’instauration à l’Université de Moncton du cours « La langue et les normes ».