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Présentation

L’accompagnement représente une facette importante de la formation à la profession enseignante. Or, chaque formateur devant accompagner un étudiant (ou un collègue) est confronté à une tension entre sa proximité avec l’apprenant et une prise de distance inhérente à ce rôle nécessitant une médiation entre savoirs théoriques et d’action. Cette dualité implique une vigilance à la fois réflexive et didactique.

En introduction d’Accompagner les pratiques des enseignants, Colognesi, Beausaert et Van Nieuwenhoven précisent certains éléments qui caractérisent une posture favorable en accompagnement: le caractère déterminant du soutien d’une communauté de pairs, l’importance d’une dynamique positive, la complémentarité des apprentissages formels et informels, ainsi que la nécessité d’une responsabilisation de l’apprenant afin qu’il devienne un praticien réflexif. De plus, comme le souligne De Ketele dans un chapitre jouant le rôle de cadre conceptuel de l’ouvrage, l’accompagné n’est jamais seul à s’inscrire dans une démarche de développement professionnel, car chaque accompagnement implique également des remises en question pour l’accompagnateur.

L’ouvrage comporte trois sections, selon trois strates de ce cheminement: 1) au cours de la formation initiale des enseignants, qui comporte des stages se réalisant en alternance de la formation théorique, 2) lors de l’insertion professionnelle en milieu de travail, soit en contexte scolaire, et 3) et au service d’une démarche de formation continue, liée à un modèle de professionnalité en enseignement pouvant évoluer au cours d’une carrière. Cette recension propose un survol de ces trois sections, suivi de notre point de vue sur l’ouvrage, par différentes mises en tension et questionnements.

En formation initiale

Dans leur chapitre reposant sur une recherche collaborative, Colognesi, Parmentier et Van Nieuwenhoven s’intéressent aux caractéristiques d’une relation de collaboration constructive entre les enseignants associés (ou maîtres de stage) et les stagiaires, du point de vue de ces derniers. Le moment d’accueil lors du commencement du stage s’avère essentiel pour l’établissement d’une relation positive et efficace, et les stagiaires soulignent l’importance que l’enseignant associé accorde du réel temps de rencontre, et par le fait même, qu’il soit disponible et rassurant. Lors du déroulement du stage, les stagiaires témoignent qu’ils se doivent d’être ouverts à la discussion, d’aller vers leur enseignant associé, d’être à l’écoute de celui‑ci et de tenir compte de ses remarques. Quant aux enseignants associés, les stagiaires souhaitent qu’ils soient des partenaires encourageants, soutenants. Les stagiaires soulignent également la valeur de l’autonomie et de la liberté permises par les enseignants associés, une fois que le stage se déroule bien. Une notion d’équilibre émerge entre le besoin de défi et celui de soutien. En fin de chapitre, cette tension se retrouve dans un modèle de l’accompagnement, du point de vue de la relation entre enseignant associé et stagiaire.

Blondeau propose quant à lui un cadre de référence pour une utilisation de l’autoconfrontation au service de l’analyse de l’activité en stage. Il note deux écueils d’une observation exclusivement extérieure (par le superviseur, et non pas par le stagiaire): 1) le risque de ne s’intéresser qu’au résultat qui ne relève pas de l’essence de l’activité et 2) un accès limité à la partie visible. Ainsi, les commentaires de l’acteur sont nécessaires au bon fonctionnement d’une telle analyse afin de témoigner de la partie invisible de l’activité, soit celle qui porte les germes du développement professionnel. L’autoconfrontation se révèle donc un puissant levier permettant la prise de recul quant à l’activité.

Le chapitre de Schillings, Depluvrez et Fagnant découle d’un atelier (un cercle de lecture) ayant réuni des accompagnateurs de stagiaires en enseignement afin de les former quant à l’entretien post-observation. Le stagiaire devant s’interroger, décrire, problématiser et interpréter des aspects de son activité en stage lors de celui-ci, il est préférable que l’accompagnateur adopte une attitude d’investigation et de compréhension. L’atelier a permis de combiner les deux polarités de l’accompagnement: une transmission de démarches d’enseignement préétablies et décontextualisées et une supervision plus constructiviste, dynamique, complexe. Dans les deux cas, l’entretien post-observation semble permettre une conciliation des logiques d’intelligibilité et de socialisation professionnelle, dans la mesure où on donne suffisamment de place à l’apprenant afin qu’il puisse revenir sur les éléments de son activité.

Bocquillon et Derobertmasure s’intéressent dans leur chapitre aux dispositifs de formation visant notamment le développement de la compétence réflexive. Ils y proposent trois activités-clés: 1) une séance de microenseignement filmée, 2) un visionnement de la vidéo, suivi d’une occasion de rétroaction en compagnie du superviseur et 3) un rapport réflexif. Ce dispositif de formation permet de porter un regard réflexif sur différents gestes professionnels selon le modèle de l’enseignement explicite. Les résultats de cette étude soulignent l’intérêt d’une telle didactisation de la réflexivité, entre autres par le modelage de la pratique réflexive. En plus de favoriser une pratique autonome, cette démarche semble encourager les étudiants à faire davantage appel à des éléments d’ordre théorique.

Dans leur chapitre, Vifquin, Geelen et Lauwens portent leur regard sur des ateliers de formation professionnelle au coeur d’une formation en enseignement. Ils font appel à un dispositif misant sur la vidéoformation, au service d’une articulation théorie-pratique et du développement de l’observation professionnelle chez les futurs enseignants. Leur analyse du dispositif se fait selon trois axes caractérisant l’insertion professionnelle: la socialisation, la transformation identitaire et la professionnalisation. Au fil des différentes situations du dispositif (observation en direct, autoscopie individuelle, vidéoclub en collectif, microenseignement, etc.), les chercheurs notent un passage d’une vision «magistrocentrée» vers une posture davantage «pédagocentrée», entre autres par l’usage de situations complexes susceptibles de faire émerger la coopération, et lors desquelles l’accompagnateur n’a plus à être sous les projecteurs. Tout en rappelant que le stagiaire se doit d’être davantage autonome, cette recherche appuie l’importance du processus social et des espaces de liberté au sein d’un tel dispositif misant sur la vidéoformation.

En insertion professionnelle

Face au décrochage tout particulièrement élevé et symptomatique des enseignants en début de carrière, plusieurs programmes de mentorat ont vu le jour afin de d’accompagner leur insertion professionnelle, et favoriser leur engagement en début de carrière dans un processus de développement professionnel. Toutefois, l’accompagnement pouvant aussi nuire en menant vers un certain conformisme, l’expérience de la personne mentor ne suffit pas: elle aura à mobiliser des compétences liées à l’accompagnement.

Le chapitre de Vivegnis propose des résultats témoignant de traces de réflexivité chez les accompagnateurs lors d’entretiens ayant eu lieu a posteriori des conversations avec leur mentoré. Ces traces sont de trois ordres: 1) les accompagnateurs ont la capacité de poser un regard critique sur leur pratique et d’avoir certaines prises de conscience, 2) les accompagnateurs argumentent leur pratique d’accompagnement et précisent leur intention quant à celle-ci et 3) les accompagnateurs témoignent de connaissances quant au processus d’accompagnement et de l’accompagnement en général. Ainsi, la réflexivité des accompagnateurs est présente à plusieurs égards, sous différentes formes, et témoigne d’une transformation, voire de la professionnalisation de ceux-ci.

La recherche de Maes, Paul, Watteyne et Doidinho Vicoso porte sur deux dispositifs afin d’accompagner les diplômés d’une formation en enseignement en HEP (haute école pédagogique en Belgique). Intitulé «Professionn’ailes», le premier dispositif est un groupe de soutien animé par un formateur d’une HEP, en collaboration avec des conseillers (ou ingénieurs) pédagogiques. Le deuxième dispositif est un groupe de co‑développement professionnel dont l’objectif est d’améliorer la pratique professionnelle et la réflexivité des enseignants en insertion. Les deux dispositifs s’avèrent complémentaires quant aux facteurs de protection, et considérant l’importance d’un tel accompagnement, les auteurs soulignent la pertinence d’initier les futurs enseignants à des collaborations du genre au cours de la formation initiale afin de bien les préparer pour le marché de l’emploi.

Le chapitre de De Vos, Beausaert, De Wilde et Lecot propose de faire les choses autrement, et de voir l’enseignant débutant non pas comme une personne qui a besoin d’aide, mais comme un atout au sein de sa nouvelle équipe-école, et ce grâce à la méthode de la carte des talents. Les résultats mettent de l’avant l’intérêt de cette méthode afin de créer ou renforcer le réseau de collègues, le potentiel collaboratif des individus, voire d’une équipe-école, et la reconnaissance des atouts et du travail de ses pairs au service de la satisfaction au travail des enseignants. La carte des talents sert ainsi non seulement les débutants, mais tout le personnel de l’école. Il s’agit d’une autre solution, d’une option innovante pour répondre à la problématique du décrochage en enseignement.

En formation continue

Cette section comporte quatre chapitres. Trois concernent les enseignants en contexte scolaire, mais celui de Wouters et Raucent porte sur le développement professionnel des formateurs universitaires et sur le rôle d’un service de soutien technopédagogique institutionnel à cet égard, soit le Louvain Learning Lab (le LLL) de l’Université catholique de Louvain. Malgré sa distinction, ce chapitre trouve sa place dans le recueil par la pertinence de certains cadres et outils applicables en contexte scolaire.

Le chapitre de Ria décrit l’évolution d’un dispositif d’accompagnement (dont le site Néopass@ction fait partie) destiné aux réseaux d’éducation prioritaires afin de faire face au décrochage des enseignants français lors de leur entrée sur le marché du travail. Ces laboratoires reposent sur l’analyse vidéo de l’activité enseignante et sur le principe que les enseignants ont besoin d’un accompagnement bienveillant et «local», se faisant directement dans leur école. Afin de transformer l’activité des enseignants, la démarche repose sur une progression, au gré de différentes modalités d’apprentissage: l’accompagnement débute par une analyse de l’activité d’autrui (alloconfrontation en session collective), pour ensuite passer à l’analyse de sa propre activité. L’une des pistes prometteuses de ce projet relève de l’hybridation de cet accompagnement (avec des modalités en présence et à distance), en plus des combinaisons individuelles et collectives. Les retombées de ce dispositif soulignent l’importance d’un accompagnement fondé sur des relations égalitaires, symétriques.

La vidéo fait place au récit dans le chapitre de Boucenna à propos d’un dispositif d’analyse de pratiques professionnelles destiné aux enseignants. La chercheure y décrit une utilisation atypique du dispositif alors que l’animation est confiée à deux animateurs: le premier gère la dynamique du groupe et le deuxième propose une situation (par un récit) au collectif afin de s’engager selon un protocole d’analyse. Il s’avère que l’ajout de ce nouvel acteur ne nuit pas à la sécurité du groupe, mais la chercheuse demeure sceptique quant à sa pertinence, considérant la difficulté de sa double posture: il est l’objet d’une démarche d’analyse, en plus d’assurer le rôle de co-animateur.

Le dispositif de formation au coeur du chapitre de Lussi Borer, Muller, Guffond et Sonzogni repose sur une enquête collaborative impliquant tous les acteurs d’une équipe-école (des enseignants jusqu’à la direction d’établissement). Lors de rencontres préparatoires (misant sur de nombreux outils relevant de la vidéoformation), ils ont pu changer de posture sur leur activité, entre autres grâce aux dualités entre travail prescrit et travail réel, entre activité réalisée et activité réelle et entre activité productive et activité constructive. Cette démarche a permis des interactions sans enjeux hiérarchiques, au bénéfice du développement professionnel de tous.

Point de vue

Sous la direction de Van Nieuwenhoven, Colognesi et Beausaert, le livre Accompagner les pratiques des enseignants s’adresse aux formateurs et aux responsables de programmes (ou de stages) en enseignement, ainsi qu’aux différents professionnels et cadres des administrations scolaires ou universitaires. Mettant en lumière une variété de dispositifs innovants, le panorama proposé par ce collectif d’auteurs de haut calibre est vaste, contemporain et diversifié. Certains retours d’expérience négligent de préciser la méthodologie employée, mais les ancrages théoriques ne font pas défaut.

Quelques tendances s’observent d’une section à l’autre. Premièrement, l’ouvrage fait l’apologie de la vidéo comme trace de l’activité et comme élément déclencheur d’une démarche réflexive, et ce dès la formation initiale jusqu’à la formation continue des enseignants d’expérience. Cette médiatisation de l’accompagnement (complémentée par des cadres d’analyse) favoriserait l’autonomie des apprenants, mais la majorité des dispositifs du livre met l’emphase sur la dimension sociale.

L’importance du collectif de pairs afin que la démarche de développement professionnel s’inscrive dans la durée s’avère un autre élément transversal du livre. Les collègues peuvent se révéler d’excellentes personnes-ressources afin d’aider les enseignants à faire face aux situations critiques. Or, cette aisance de collaborer avec d’autres enseignants (en partageant une vidéo peu glorieuse de son enseignement par exemple) ne s’avère pas gagnée d’avance. Même avec les dispositifs du livre, aucun accompagnement n’est à l’abri de conflits de valeurs ou de personnalités.

Les programmes de formation en enseignement auraient intérêt à favoriser l’insertion professionnelle de leurs étudiants en leur proposant des dispositifs axés sur le codéveloppement et la critique constructive au service du développement de leur compétence réflexive en stage. Considérant que les formations initiales en enseignement doivent composer avec des contenus pédagogiques, didactiques et disciplinaires en plus de nombreuses compétences professionnelles, est-ce raisonnable d’avoir de telles attentes? De plus, qu’en est-il des stagiaires en difficulté pour qui la relation d’accompagnement est problématique?

La formation initiale ne semble plus suffire, et les milieux scolaires doivent davantage formaliser l’accompagnement offert en début de carrière. Cette nécessité de la formation continue constitue une omerta chez les enseignants. L’espace-temps mis à la disposition des enseignants afin qu’ils puissent s’engager dans une démarche de développement professionnel, voire se former afin d’accompagner leur communauté dans un tel dispositif, s’avère un enjeu au coeur de l’ouvrage. Dans le contexte actuel de pénurie de main-d’oeuvre et de difficulté liée à la suppléance, de complexité de la tâche et d’absence de reconnaissance (et de budget), comment un tel changement de posture peut-il s’opérer?

Plusieurs chapitres témoignent de la difficulté à réellement accompagner un collègue, que cela exige des compétences distinctes, mais cette dialectique implique une logique horizontale, et par le fait même des rapports égalitaires qui font fi d’une certaine hiérarchie qui balise encore le fonctionnement de nombreuses écoles. La relation stagiaire et enseignant associé bénéficierait également d’une dynamique bidirectionnelle. Qu’en est‑il de l’accompagnement offert par les directions d’école ou les conseillers/ingénieurs pédagogiques?

Si le statut d’enseignant expert est contre-productif, il est malheureusement valorisé par plusieurs acteurs de l’enseignement, dans de nombreux milieux scolaires. Il faut donc briser un carcan (tout particulièrement lors des deux moments clés que représentent le début de stage et l’entrée en poste), et ce livre comporte plusieurs pistes de solutions à la fois fondées et concrètes.