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Vingt-deux ans après l’évocation du principe, dix-neuf ans après la recommandation d’un tel outil en droit français et huit ans après la formulation d’une proposition de texte, l’obligation réelle environnementale a enfin été consacrée par l’article 72 de la Loi no 2016-1087 du 8 août 2016 sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages[1].

Le texte, aujourd’hui codifié à l’article L. 132-3 du Code de l’environnement, dispose en son premier alinéa que :

[L]es propriétaires de biens immobiliers peuvent conclure un contrat avec une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement en vue de faire naître à leur charge, ainsi qu’à la charge des propriétaires ultérieurs du bien, les obligations réelles que bon leur semble, dès lors que de telles obligations ont pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques.

L’idée est de permettre à un propriétaire, qui en exprime la volonté, de mettre à sa charge, comme à celle de tous les propriétaires successifs du bien pendant la durée de la convention, des obligations de faire ou de ne pas faire, pourvu que ces dernières, consenties au bénéfice de personnes publiques ou privées agissant pour la protection de l’environnement, aient pour objet « le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques[2] ». Comme nous le démontrerons, l’obligation réelle environnementale ressemble à une servitude en ce qu’elle est attachée au terrain et non à la personne de son propriétaire ; elle s’en distingue toutefois radicalement dans la mesure, d’une part, où elle ne profite pas à un fonds dominant mais à une personne et, d’autre part, où elle peut mettre à la charge du constituant et de ses successeurs des obligations de faire[3].

Si l’obligation réelle environnementale apparaît, en France, comme une innovation juridique, qui a suscité beaucoup de résistances, il ne faut pas oublier que des dispositifs comparables existent depuis fort longtemps dans certains droits étrangers.

Ce nouvel outil n’est pas encore très bien connu, ce qui justifie que nous en ferons une présentation générale. S’agissant toutefois de l’évoquer à propos des zones humides, nous mettrons l’accent sur les caractéristiques de l’obligation réelle environnementale susceptibles d’être mises au service de ces zones[4], et ce, chaque fois qu’un exemple ou une situation concrète le justifiera. Pour autant, il convient de garder à l’esprit que cet instrument n’a pas été spécialement conçu en vue de gérer et de protéger un milieu particulier. Sa souplesse permet cependant de l’adapter à la diversité des milieux naturels, et l’expérience démontre qu’il a d’ores et déjà été mis en oeuvre à plusieurs reprises au bénéfice de zones humides.

L’exposé de la genèse, des résistances et des potentialités de l’obligation réelle environnementale (partie 1) précédera la présentation des points essentiels de son régime juridique (partie 2).

1 Les obligations réelles environnementales : genèse, résistances et potentialités

L’idée de permettre à un propriétaire de renoncer à certaines utilités de son fonds et de les partager avec des entités ou des personnes porteuses d’intérêts collectifs, voire de l’intérêt général, est née depuis fort longtemps hors d’Europe. Elle s’impose de nos jours peu à peu dans plusieurs pays européens. C’est dans cette inspiration du droit comparé que se trouve la genèse de l’adoption de cet instrument par le droit français (1.1). Cependant, la décision a été précédée d’une très longue gestation (1.2) principalement due aux résistances qui se sont exprimées (1.3), alors que les potentialités des obligations réelles environnementales s’avèrent pourtant nombreuses (1.4).

1.1 La genèse

Le droit comparé a joué un rôle essentiel pour formuler la proposition qui a finalement été adoptée après une longue gestation.

1.1.1 L’inspiration tirée des législations non européennes

C’est aux États-Unis que les premiers exemples de servitudes de conservation (conservation easements) ont été relevés au début des années 60. On s’accorde pour considérer que la toute première est apparue en 1961 dans un accord signé entre une organisation non gouvernementale (ONG) de protection de la nature (The Nature Conservancy), une agence publique à vocation de conservation de la nature (The Bureau of Land Management) et un propriétaire forestier, pour aider à la protection et organiser la cogestion d’une importante forêt ancienne considérée comme patrimoniale en Californie[5]. Pour donner un cadre à ces initiatives, qui se sont rapidement multipliées, un modèle a été proposé au niveau fédéral en vue de guider les États fédérés, compétents en la matière, soit l’Uniform Conservation Easement Act qui a été définitivement approuvé en 1981 par la National Conference of Commissioners on Uniform State Laws[6]. Les conservation easements[7] sont actuellement prévus et régis par la législation de quasiment tous les États fédérés[8] et sont présents sur l’ensemble du territoire des États-Unis : 140 000 contrats au moins, englobant 10 millions d’hectares, ont été conclus depuis 1961[9].

Dès les années 70, le développement de cet instrument a été également observé au Canada, dans les provinces de l’Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba et de l’Ontario. Selon une étude publiée en 2011, le Canada avait enregistré à la fin de l’année 2007 au moins 1 359 conservation easements, consentis sur près de 13 000 hectares de terres appartenant à des propriétaires privés ; 45 p. 100 l’avaient été à titre gratuit et 55 p. 100, à titre onéreux. La moitié de ces conservation easements avaient pour objet la conservation de la biodiversité[10].

C’est à la même période que l’instrument se développe en Australie[11] et en Nouvelle-Zélande où il est désigné par l’expression conservation covenant (au sens de « convention ou servitude de conservation ») et dont le régime juridique est défini dès 1977 dans une loi néozélandaise : Reserves Act 1977[12]. Une analyse des conservation covenants conclus dans la région néo-zélandaise de Canterbury laisse voir que l’immense majorité d’entre eux est souscrite pour une durée très longue, et souvent perpétuelle, à titre gratuit, à des fins altruistes de protection. Comme c’est le cas aux États-Unis et au Canada, un propriétaire accepte de grever son fonds de charges consistant en des obligations de faire et de ne pas faire au bénéfice d’une entité publique ou privée ayant pour objet statutaire la protection de la nature, la conservation de la biodiversité et la protection du patrimoine naturel ou culturel[13].

Le Chili, pour sa part, a permis, par la Loi no 20930, publiée le 25 juin 2016[14], la constitution d’un « droit réel de conservation environnementale » qui investit son titulaire du droit de veiller à la conservation du bien sur lequel il porte et qui est sans doute très proche de ce que le droit français nomme « droit réel de jouissance spéciale[15] ».

1.1.2 L’inspiration tirée des législations européennes

En Europe, il faut attendre la Land Reform (Scotland) Act de 2003[16] pour voir introduire les conservation covenants dans la législation écossaise, tandis que le droit anglais l’ignore encore. Toutefois, la Commission des lois de la Grande-Bretagne a recommandé son introduction dans la législation, et le gouvernement, en 2016, s’est engagé à examiner favorablement cette recommandation dans le contexte du 25e Plan pour l’Environnement[17]. Les protecteurs de la nature et de la vie sauvage insistent régulièrement sur la nécessité de bénéficier de cet outil le plus rapidement possible[18].

Parmi les pays européens de tradition romano-germanique, la Suisse, avant la France, a fait une place à un dispositif proche, mais non exclusivement tourné vers la protection de l’environnement ou du patrimoine, en prévoyant, dans l’article 782 de son code civil la possibilité pour un propriétaire de consentir une « charge foncière[19] » : « [l]a charge foncière assujettit envers un tiers le propriétaire actuel d’un fonds à certaines prestations pour lesquelles il n’est tenu que sur son immeuble[20] ». Elle est automatiquement transmise aux propriétaires successifs.

C’est dans ce contexte par exemple qu’un propriétaire s’est engagé, dans un contrat conclu avec la Ligue fribourgeoise pour la protection de la nature, à conserver et à entretenir « un élément esthétique du paysage gruyérien [ ], présent sur sa propriété, élément constitué d’une allée d’arbres indigènes et d’un mur de pierre sèche[21] ».

On ne sera donc pas surpris que la doctrine française ait trouvé dans ces multiples expériences étrangères réussies l’inspiration pour faire des propositions ayant pour objet d’introduire un dispositif comparable en droit français.

1.2 La longue gestation en droit français

En 1994, le Congrès des notaires de France évoque brièvement pour la première fois l’idée d’instituer en France une « servitude conventionnelle environnementale ». À la même période, le ministère de l’Environnement apporte son soutien au projet de recommandation no 71 débattu par le Comité permanent de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe (adoptée à Berne, en 1979)[22]. Ce texte recommande aux parties d’examiner la possibilité de prendre des mesures pouvant consister à

[d]éroger, lorsque cela est nécessaire, à la législation relative aux servitudes pour en éliminer les exigences de contiguïté et de nécessité d’un fonds dominant ; prévoir explicitement que des servitudes peuvent être cédées à des organismes de conservation agréés ; et soutenir cette réforme par des dispositions fiscales encourageant les personnes privées à établir des servitudes de conservation de la nature[23].

En effet, les notaires en étaient réduits, lorsqu’ils souhaitaient utiliser le droit des servitudes à des fins environnementales, à « tordre » le droit des servitudes pour créer artificiellement un fonds dominant et un fonds servant. Ils avaient notamment recours à des mécanismes complexes telle la donation avec réserve d’usufruit d’une petite partie du terrain, laquelle faisait ensuite office de fonds dominant.

En 1997, la proposition d’inscrire un tel instrument dans le droit français est faite dans un rapport remis au ministère de l’Environnement. Rédigé sous la direction de Mme Catherine Giraudel et ayant pour objet « [l]a protection conventionnelle des espaces naturels en droit français et comparé[24] », le rapport s’appuie en particulier sur l’étude des conservation easements et des techniques similaires élaborées à l’étranger. Ce rapport n’a eu aucune suite immédiate.

La question a été reprise en 2003 à l’occasion des réflexions préalables au projet de création d’une grande loi sur le patrimoine naturel, projet abandonné par la suite. Néanmoins, le Comité interministériel d’aménagement et du développement du territoire (CIADT) du 14 septembre 2004 a demandé « aux ministres de l’équipement et de l’écologie d’identifier d’ici la fin de l’année les mesures nécessaires à la constitution de servitudes permettant de garantir la protection d’espaces naturels sans passer par l’acquisition[25] ».

C’est dans cette perspective qu’a été rédigé un rapport commandé par le ministère de l’Écologie à la Société française pour le droit de l’environnement (SFDE). Son devenir n’a pas été meilleur que celui qui avait été réservé au rapport de 1997. Aux prises avec « la réticence des acteurs agricoles et forestiers devant une nouvelle forme de servitudes permanentes, [ainsi qu’avec le] blocage psychologique et social devant la terminologie des servitudes[26] », le Ministère et le gouvernement ont renoncé et ont choisi plutôt de réfléchir à une évolution du bail rural par l’introduction de possibles « clauses environnementales ».

En 2007, un nouveau rapport a été commandé ; il a été présenté en 2008 au Comité opérationnel de la trame verte et bleue[27]. À la différence des précédents, ce rapport proposait un texte entièrement rédigé visant soit à procéder à une modification des articles 637 et 686 du Code civil, soit à introduire une servitude environnementale « dérogatoire » au droit commun dans le Code de l’environnement ou, enfin, à créer dans ce dernier une obligation propter rem à finalité environnementale. Selon MM. Christian Barthod et Thierry Lavoux, « [l]a proposition se heurta aux vives réticences des organisations professionnelles agricoles et forestières, nettement plus opposées qu’en 2004[28] ». Néanmoins, le rapport soumis au ministre par le sénateur Raoult, le 14 mars 2008, soulignait l’intérêt de cette proposition, tout en relevant que, « si un tel outil devait se développer en France, il faudrait alors l’articuler avec le statut français du fermage, s’agissant d’un point extrêmement sensible pour le monde agricole[29] ». Faute d’une réelle volonté politique et d’arbitrage clair, la proposition n’a finalement pas été retenue par le projet de loi succédant à la démarche lancée par le « Grenelle de l’environnement » et n’a pas figuré dans la Loi no 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement[30].

Deux ans plus tard, en 2011, l’idée est une nouvelle fois reprise par Mme Geneviève Gaillard, députée, dans le rapport qu’elle coordonne pour la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale qui se prononce « pour une politique audacieuse et intégrée de conservation et de reconquête de la biodiversité[31] ».

Parallèlement, le processus de concertation relatif à la révision de la Stratégie nationale pour la biodiversité a mis en évidence une nouvelle fois l’enjeu de cet outil, et l’État a publié le 19 mai 2011 une série d’engagements parmi lesquels figurait celui d’« étudier la possibilité de mettre en place des servitudes contractuelles ou d’utilité publique pour préserver certaines caractéristiques naturelles de parcelles[32] ». Pour aider à la réalisation de cet engagement, Mme Gaillard a même préparé une proposition de loi, que le calendrier politique et l’approche des élections présidentielles n’ont pas permis de déposer !

L’ensemble de ces travaux, réflexions et discussions, auxquels il faut encore ajouter les conclusions d’un groupe de travail mis en place par le Commissariat général au développement durable au début de 2012, est sans doute à l’origine de l’insertion d’un texte, largement inspiré de l’une des propositions du rapport de 2008[33], dans le projet de loi cadre no 1847, relatif à la biodiversité, projet qui devait devenir la Loi no 2016-1087 du 28 août 2016 sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Qu’il ait fallu plus d’une vingtaine d’années pour en arriver là témoigne de la force des résistances qu’a rencontrées cette proposition[34].

1.3 Les résistances

Les résistances qui se sont exprimées les premières et tout au long du processus décrit plus haut sont de nature corporatiste. Les représentants du monde agricole et du monde cynégétique, comme les représentants des propriétaires forestiers, se sont opposés dès l’origine à la proposition. Au-delà des oppositions de principe à tout nouvel instrument pouvant venir d’une façon ou d’une autre limiter leurs droits, leur argumentation portait, en premier lieu, sur l’idée même d’instaurer une servitude, perçue (à tort) comme le possible cheval de Troie d’une servitude d’utilité publique[35] à venir, et, en tout état de cause, telle une contrainte attachée à la terre, et donc de nature à peser non seulement sur le signataire, mais aussi sur ses successeurs. Dans cette perception des choses, la servitude environnementale a même parfois été présentée comme manifestant le retour d’une forme de servage ! En deuxième lieu, le dispositif proposé a été perçu comme un élément risquant, selon ses détracteurs, de remettre en cause le statut du fermage, en ce qu’il permettrait au propriétaire du terrain d’accepter des charges et des limitations qui pèseront en réalité sur le fermier[36].

À côté de ces résistances corporatistes se sont également manifestées des résistances que nous pourrions qualifier de politiques ou philosophiques. Du côté des pouvoirs publics, un certain nombre de craintes ont été exprimées sur la question de savoir si la multiplication de contrats instituant des obligations réelles environnementales ne risquait pas d’entraver le pouvoir décisionnel et réglementaire des planificateurs et des aménageurs du territoire. Certains redoutaient que l’existence de droits réels (ou du moins attachés à la terre) et opposables à tous, parce qu’ils seraient publiés, soit de nature à contraindre la liberté de ceux qui avaient pour mission de produire la norme environnementale ou d’urbanisme. Comme nous le verrons plus loin, cette crainte n’était pas fondée[37], mais elle exprimait la perplexité éprouvée par une partie du corps social devant la possibilité pour une personne privée de concourir à l’intérêt général en exerçant son droit privatif.

Comme le soulignent Mme Nadège Reboul-Maupin et M. Benoît Grimonprez, l’obligation réelle environnementale se rattache en effet à une philosophie, « “alternormative” : à la logique autoritaire et descendante publique, elle substitue une démarche ascendante et négociée, où les propriétaires, au lieu d’en être la cible, deviennent les auteurs de la norme écologique créée[38] ». Ce sont précisément ce changement de perspective et le fait que des propriétaires privés usent de leur volonté et de leur bien pour participer à une mission d’intérêt général qui ont été regardés avec suspicion et réserve. À vrai dire, la légitimité du propriétaire pour définir des mesures favorables à la protection de l’environnement était contestée.

C’est un peu le même esprit qui peut être relevé dans le monde des ONG. Sans qu’elles manifestent une véritable hostilité, leur soutien a été compté, tant elles ont eu du mal à accepter que l’intérêt collectif environnemental puisse être porté par d’autres que le mouvement associatif, surtout lorsque cet « autre » est un propriétaire privé !

Enfin, le monde académique a formulé des réserves, d’ordre plus dogmatique. Insérer une sorte de servitude sans fonds dominant et comportant à la charge du constituant des obligations de faire, c’était enfoncer un coin dans le droit des servitudes, tel qu’il avait été mis en place dans le Code civil de 1804, et donc indirectement toucher au droit de propriété. Sur le même thème, certains auteurs ont relevé, pour le critiquer, le fait que l’obligation n’entrait pas aisément dans les catégories connues du droit de biens[39].

La convergence de ces craintes et de ces réserves a eu pour premier effet de retarder l’adoption du nouveau dispositif, qui existe pourtant depuis bientôt 60 ans aux États-Unis ! Cependant, elle a aussi très largement déterminé les discussions sur la nature et le régime juridiques du nouvel instrument.

Il a d’abord rapidement été acquis que la « servitude de conservation à la française » ne devrait pas être… une servitude, tant le terme suscitait l’hostilité de certains milieux et tant il paraissait inimaginable de saisir cette occasion pour revisiter le droit des servitudes régi par le Code civil. Voilà pourquoi le nouvel instrument a reçu la qualification d’« obligation réelle » qui, tout en traduisant le lien avec le terrain d’assiette, l’éloignait autant que possible des servitudes conventionnelles. Pour renforcer le caractère exceptionnel et non « civiliste » de l’innovation, on a également décidé qu’elle trouverait sa place dans le Code de l’environnement et non dans le Code civil. Ce dernier choix s’imposait d’ailleurs dès lors qu’était écartée l’idée d’en faire une servitude[40].

C’est bien entendu à la lumière des craintes exprimées qu’il faut comprendre le régime juridique de l’obligation réelle environnementale, tout spécialement les dispositions relatives à la recherche du consentement du preneur à bail ou celles qui réitèrent, de manière totalement surabondante, la protection du droit des tiers et font une place aussi originale que discutable aux chasseurs[41]. Il est encore possible de retrouver une traduction de ces craintes et réticences dans les dispositions relatives aux contreparties que le constituant doit recevoir ou à la durée et aux modalités de révision du contrat[42].

Nombreux sont les acteurs qui ont espéré que la préparation du guide d’usage de l’obligation réelle environnementale par le ministère de la Transition écologique et solidaire[43] serait l’occasion de rouvrir ces discussions. Ils ont alors milité pour que ce guide ait un contenu prescriptif et qu’il soit aussi détaillé que possible. Heureusement, là encore, tel n’a pas été le cas, le Ministère ayant respecté l’esprit du texte, qui fait de l’obligation réelle environnementale un instrument de liberté contractuelle et un outil qui doit laisser toute sa place à la créativité des parties en fonction des particularités de la situation et de leurs besoins. C’est à cette condition que l’obligation réelle environnementale peut exprimer l’ensemble de ses potentialités.

1.4 Les potentialités de l’obligation réelle environnementale

Les potentialités de l’obligation réelle environnementale s’avèrent importantes, en raison notamment de la souplesse de ce nouvel outil[44]. La constitution de ce type d’obligation aidera à la mise en place ou à l’accompagnement de politiques publiques, mais elle servira aussi de cadre à des initiatives privées.

S’agissant des politiques publiques, les obligations réelles environnementales peuvent se révéler très utiles, moins onéreuses et plus faciles à mettre en oeuvre que des outils traditionnels (tels que les servitudes d’utilité publique).

Les obligations réelles environnementales peuvent d’abord intervenir dans le domaine de l’eau, en particulier pour améliorer la gestion des bassins hydrographiques ou protéger des périmètres de captage, mais également en vue de participer à une gestion durable des zones humides.

Dans un rapport parlementaire intitulé Terres d’eau, terres d’avenir, remis au premier ministre et au ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire en janvier 2019, Mme Frédérique Tuffnell et M. Jérôme Bignon soulignent combien il importe, dans la situation présente, de « faire [des] zones humides des territoires pionniers de la transition écologique[45] ». Au titre des recommandations que formule ce rapport, les auteurs insistent pour que le recours aux obligations réelles environnementales soit facilité et élargi. Ils écrivent ce qui suit :

[L’obligation réelle envieronnementale (ORE)] est particulièrement adaptée à la préservation des zones humides. L’ORE doit avoir un support foncier, à savoir une ou plusieurs parcelles, bâties ou non, composées de terre et/ou d’eau. Elle est le fruit de la convergence de deux volontés : celle d’un propriétaire de protéger un bien déterminé contre les atteintes dont il pourrait faire l’objet et celle d’une autre personne, propriétaire on non, d’accompagner dans sa démarche le souscripteur de l’obligation[46].

Dans l’Avis relatif à la Stratégie nationale pour les aires protégées 2020/2030, adopté le 1er octobre 2020, le Comité national de la biodiversité relève que « [l]a Stratégie devrait aussi indiquer, précisément, la façon dont les gestionnaires d’aires protégées vont recourir aux obligations réelles environnementales dans les années qui viennent, par exemple […] les agences de l’eau pour la protection des périmètres de captage et dans le cadre de leurs nouvelles missions de protection des zones humides et espaces terrestres[47] ».

Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si la première obligation réelle environnementale signée en France l’a été pour protéger une zone humide. En mai 2018, le Conservatoire d’espaces naturels (CEN) de Savoie a conclu une obligation réelle environnementale avec la commune de Yenne, prise en sa qualité de propriétaire de terrains relevant de son domaine privé[48], en vue de préserver une zone humide. Depuis 30 ans, ladite commune avait acquis des terrains dans cette zone humide sensible classée Natura 2000[49]. En signant une obligation réelle environnementale avec le CEN de Savoie, elle a confié à celui-ci une coresponsabilité pour gérer et valoriser ce site à des fins écologiques, pédagogiques et touristiques. D’une durée de 30 ans et renouvelable par période de dix ans, cette obligation prévoit, en application des dispositions légales, des engagements réciproques. De son côté, la commune propriétaire s’engage à ne pas construire sur les parcelles (hormis les équipements pédagogiques prévus), à ne prendre aucune initiative risquant de porter atteinte aux espèces de faune et de flore ainsi qu’aux habitats du site et, enfin, à mettre tout en oeuvre (les obligations sont détaillées dans le contrat) pour éviter le dérangement de la faune. Quant au CEN de Savoie, il doit, d’une part, assurer une gestion écologique du site conformément au plan de gestion écologique défini et approuvé par les deux parties et, d’autre part, réaliser des inventaires et faire un suivi de l’évolution des habitats et des espèces. Le plan de gestion a été annexé au contrat.

L’obligation réelle environnementale accompagne également parfois des politiques publiques dans des domaines autres que l’eau ou les zones humides. Ainsi, elle sera mise en oeuvre pour la protection de certains sites fragiles (forêts, sites Natura 2000), pour la réhabilitation de certains sites dégradés ou encore pour la gestion et la protection de certains espaces protégés ou de leur voisinage. Les obligations réelles environnementales s’avèrent notamment très utiles pour organiser et gérer des « zones tampons » au voisinage des réserves naturelles ou pour décliner les engagements contenus dans la Charte signée avec les communes situées dans l’aire d’adhésion des parcs nationaux[50] ; elles sont en outre un outil fort souple susceptible d’implanter les projets concertés de développement durable dans les parcs naturels régionaux[51].

Cependant, les obligations réelles environnementales constituent aussi un outil susceptible d’encadrer des initiatives privées. Elles seront utilisées, par exemple, pour mettre en oeuvre des mesures de compensation[52], redonner vie à des projets de réserves volontaires, supprimées par la Loi no 2002-276 du 27 févr. 2002 relative à la démocratie de proximité[53], ou encourager des propriétaires à « valoriser » leurs terrains en leur donnant une vocation environnementale.

Ces différentes possibilités sont ouvertes en raison de la nature juridique particulière de l’obligation réelle environnementale et des spécificités de son régime juridique.

2 L’obligation réelle environnementale : nature et régime juridiques

La nature juridique d’un nouvel instrument juridique fait souvent débat. L’obligation réelle environnementale n’y a pas échappé (2.1). Quant au régime juridique que le législateur a dessiné, il est le fruit d’un compromis entre l’esprit initial imprégné de souplesse et de liberté contractuelle et les revendications associées aux résistances qui s’étaient exprimées (2.2).

2.1 Les débats sur la nature juridique de l’obligation réelle environnementale

Même si l’obligation réelle environnementale est inspirée des « servitudes de conservation » qui existent dans certains droits étrangers[54], et bien qu’elle soit souvent présentée comme une « servitude environnementale », il n’est pas possible, en l’état du droit, de la qualifier techniquement de servitude (2.1.1). Malgré leur esprit comparable, on ne peut pas davantage assimiler l’obligation réelle environnementale à un droit réel de jouissance spéciale (2.1.2). Il faut donc considérer que la qualification d’obligation réelle retenue par le législateur est la plus satisfaisante, même si elle appelle quelques précisions (2.1.3).

2.1.1 L’impossible qualification de servitude

En renonçant à réformer le Code civil et à accepter, d’une part, que des servitudes conventionnelles aux finalités environnementales puissent être constituées, non au profit d’un fonds dominant, mais de certaines personnes et, d’autre part, que les mêmes servitudes puissent comporter, à titre principal, des obligations in faciendo (de faire), le législateur a clairement fait le choix de ne pas soumettre le nouvel instrument au droit des servitudes.

Même si l’affirmation peut être discutée ou nuancée, la doctrine largement majoritaire, s’appuyant sur les textes et sur une jurisprudence abondante, rappelle, en effet, que le Code civil ne conçoit la servitude « du fait de l’homme » « que comme une charge réelle grevant la propriété d’un bien, et non comme assujettissant une personne »[55].

Pareillement, et bien que la discussion soit sur ce point plus ouverte encore, il est généralement tenu pour acquis que les servitudes ne créent que des obligations de ne pas faire[56], et même, pour certains auteurs, qu’elles n’entraînent aucune obligation, les prétendues obligations de ne pas faire étant seulement la marque de l’opposabilité du droit réel qui impose à tous, y compris au propriétaire de la chose grevée, le respect du droit réel du titulaire de la servitude[57]. Or, le service écologique que promet le propriétaire constituant une obligation réelle environnementale peut consister en des obligations de ne pas faire, mais aussi en des obligations actives de faire. L’incompatibilité apparaît donc « totale avec la qualification même de servitude[58] ».

Si le rejet de la notion de servitude ne fait guère de doute d’un point de vue strictement technique, il n’empêche que les premiers commentateurs considèrent que, « d’un point de vue fonctionnel », l’obligation réelle environnementale « transfigure la notion de servitude »[59].

Qu’on l’espère ou qu’on le déplore, il faut donc admettre que, si l’obligation réelle environnementale n’est pas une servitude, elle « bouscule » néanmoins le droit classique des servitudes. Cela est d’autant plus vrai que dans les hypothèses qui ont déjà donné lieu à des signatures de contrat — et il y a tout lieu de penser que ce sera ainsi dans la majorité des cas —, il est possible de relever que le propriétaire constituant confie l’exécution concrète de ses obligations de faire soit à l’organisme au profit duquel il a accepté cette obligation réelle environnementale, soit à un tiers qui agira pour le compte de ce dernier.

En conséquence, l’obligation réelle environnementale fonctionnera en accordant à son bénéficiaire un droit d’accès et d’intervention sur le « fonds servant ». C’est dire, en d’autres termes, que les parties utilisent le mécanisme comme si la personne morale bénéficiant de l’obligation réelle environnementale était titulaire d’un « fonds dominant », alors que ce n’est évidemment pas le cas. Il reste que les considérations techniques mentionnées plus haut interdisent bien d’y voir une servitude.

2.1.2 Le rejet du droit réel de jouissance spéciale

Commentant l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 31 octobre 2012 dans l’affaire dite de « la Maison de la poésie[60] », un auteur avait mis en évidence les « virtualités environnementales du droit réel de jouissance spéciale[61] ». Dans l’attente d’une consécration de l’obligation réelle environnementale, qui paraissait freinée par des résistances de toutes sortes[62], cet auteur écrivait « [N’]aurait-on pas ici l’opportunité, face à un législateur frileux, d’intégrer en droit français un “droit réel environnemental”, une “obligation réelle” qui suivrait le bien immobilier et s’imposerait à tous les acquéreurs du bien[63] ? »

Cette proposition faisait écho à l’une des propositions de l’avant-projet de réforme du droit des biens de l’Association Henri Capitant en vue d’autoriser la constitution d’un droit réel de jouissance spéciale[64]. Au terme de son analyse, M. Mustapha Mekki concluait ce qui suit :

La création de droits réels perpétuels, du moins en matière environnementale, peut reposer sur l’équation suivante : un droit réel de jouissance spéciale exprimé de manière claire, précise et univoque, comportant des obligations de faire et de ne pas faire, prescriptible en cas de non-usage trentenaire, justifié par un but d’intérêt général environnemental dont la motivation doit figurer dans l’acte, portant une atteinte strictement proportionnée au droit de propriété, et attribué à certaines catégories de personnes morales sélectionnées par l’État en fonction de leur intérêt pour la question environnementale[65].

Si nous laissons de côté la question de la durée, force nous est de constater que la proposition avancée ressemble à s’y méprendre à ce que le législateur a finalement retenu dans la loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages[66]. Cela veut-il dire que l’obligation réelle environnementale peut être qualifiée de droit réel de jouissance spéciale ? La doctrine majoritaire le conteste en relevant que « [l]e droit réel de jouissance confère une simple faculté d’usage à un tiers (pêcher, chasser, passer) sur le bien d’autrui ; il n’instaure aucun rapport d’obligation entre son titulaire et le propriétaire du bien concerné, lequel doit seulement souffrir la présence du droit concurrent[67] ».

À cet argument s’ajoute aujourd’hui que la question ne se pose plus dans les mêmes termes. Le législateur, qui connaissait ces propositions, n’a pas choisi le modèle du droit réel de jouissance spéciale, mais a expressément retenu une autre qualification, qui ne peut se confondre avec ce droit. Néanmoins, ces propositions ont sans doute contribué à accélérer le mouvement législatif. Elles ont convaincu ceux qui résistaient qu’un mouvement doctrinal et jurisprudentiel était en cours et allait, d’une façon ou d’une autre, conduire à autoriser un propriétaire à renoncer à certaines de ses prérogatives et à accepter des obligations envers autrui, dans un but d’intérêt général, en rattachant cette obligation à son bien. La qualification retenue d’obligation réelle semble donc celle qui correspond le plus exactement à la nature du nouvel instrument.

2.1.3 La pertinence de la qualification retenue 

L’obligation réelle n’est pas une forme inconnue du droit français[68]. Elle pèse « sur une personne en sa qualité de propriétaire d’un fonds ou de titulaire d’un droit réel[69] ».

Pour sa part, l’obligation réelle environnementale est construite comme toutes les obligations réelles : « Elle engage une personne en raison d’une chose dont elle a la maîtrise[70] » et elle le fait sur son patrimoine. Elle ne grève pas le bien et, à ce titre, ne peut pas être regardée comme une obligation scriptura in rem : elle pèse plutôt sur une personne parce que cette dernière est propriétaire du bien. C’est pourquoi il a été considéré que l’obligation réelle environnementale était « structurellement construite sur le modèle du droit personnel » et qu’elle devait être qualifiée de « droit personnel propter rem[71] ».

Si l’analyse est techniquement convaincante, il nous paraît cependant préférable de nous en tenir à la qualification d’obligation réelle — ou propter rem — qui, seule, permet de distinguer clairement cette obligation de celles que les propriétaires, mais aussi les simples détenteurs d’un bien, peuvent personnellement prendre à l’égard d’autrui. L’originalité de l’instrument tient au lien qui est établi entre les obligations elles-mêmes et le bien qui leur sert d’assiette et de périmètre de mise en oeuvre. Par l’expression de sa volonté, le propriétaire accepte, pour lui-même et tous ses successeurs pendant la durée de la convention, de partager les utilités de l’immeuble avec des personnes choisies pour leur engagement au service de la protection de l’environnement. Cette caractéristique essentielle devrait éclairer certains aspects du régime de l’obligation réelle environnementale et guider l’interprétation lorsqu’elle s’impose.

2.2 Le régime juridique de l’obligation réelle environnementale[72]

Le véhicule portant l’obligation réelle environnementale est un con-trat (2.2.1). Il en découle que, pour en étudier le régime, il faut d’abord s’interroger sur les parties au contrat (2.2.2), avant d’en examiner le contenu (2.2.3), puis d’en analyser les effets à l’égard des tiers (2.2.4) ; le régime fiscal, pour l’heure très sommaire, sera abordé en guise de conclusion (2.2.5).

2.2.1 Le contrat, véhicule de l’obligation réelle environnementale

L’idée à l’origine de l’obligation réelle environnementale est de permettre à un propriétaire, qui le souhaite ou l’accepte, de mettre à sa charge, et à la charge de tous les propriétaires successifs du bien pendant la durée de la convention, des obligations qui sont rattachées à la terre et qui ont une finalité écologique. Le caractère volontaire de l’acte constitutif de l’obligation réelle environnementale est donc sa caractéristique majeure et il devrait inspirer tout son régime[73].

Ceux qui ont proposé que cet instrument soit reconnu par le droit français en avaient tiré la conclusion que l’obligation réelle environnementale pouvait être créée soit par un contrat, soit au moyen d’un acte unilatéral de volonté, comme un testament[74]. Le législateur n’a malheureusement pas retenu cette solution. L’article L. 132-3 du Code de l’environnement dispose que l’obligation réelle environnementale ne sera mise au point que par un contrat. Rien ne justifie une telle limitation, mais la solution ne peut être discutée, dans la mesure où le texte prévoit expressément que « [l]es propriétaires de biens immobiliers peuvent conclure un contrat […] en vue de faire naître […] les obligations réelles que bon leur semble ».

Ce contrat doit être passé sous la forme authentique, c’est-à-dire devant un notaire ou un autre officier public. La doctrine majoritaire, s’appuyant sur les travaux parlementaires, considère que l’authenticité est requise aux seules fins de publicité foncière. L’article 28 du Décret no 55-22 du 4 janv. 1955 portant réforme de la publicité foncière a d’ailleurs été modifié en ce sens[75].

Le contrat conclu entre un propriétaire et une personne morale de droit privé est assurément un contrat de droit privé. Lorsque le propriétaire contracte avec une collectivité publique ou un établissement public, la question de la nature publique ou privée du contrat se pose. Elle déterminera le tribunal compétent en cas de difficultés. Si la convention comporte au bénéfice de la personne publique des clauses exorbitantes du droit commun, elle sera certainement qualifiée de contrat administratif. La même qualification devrait s’imposer si l’on s’attachait aux finalités du contrat. Le maintien, la conservation de la biodiversité et des fonctions écologiques relèvent, en droit français, d’une mission de service public, ce qui — avec la nature publique de l’une des parties au contrat — devrait conduire à retenir la qualification de contrat administratif.

2.2.2 Les parties au contrat

Le Code de l’environnement énonce que les parties au contrat seront, d’une part, le propriétaire d’un bien immobilier, et d’autre part, « une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement[76] ».

D’autres personnes pourraient-elles néanmoins intervenir au contrat ? Rien ne l’interdit. Il est parfaitement envisageable, par exemple, que le propriétaire et le bénéficiaire de l’obligation réelle environnementale s’entendent pour confier à une entreprise d’ingénierie écologique la réalisation et le suivi des mesures prévues dans le contrat. Ils pourront le faire par une convention séparée, mais préféreront parfois rédiger un contrat tripartite et intégrer des obligations de prestation de services écologiques pesant sur ladite entreprise dans le contrat constitutif de l’obligation réelle environnementale.

De même, si l’on considère que le texte interdit à un maître d’ouvrage tenu à compensation d’être lui-même le bénéficiaire d’une obligation réelle environnementale[77], il lui sera possible de déléguer l’exécution de ces mesures à l’une des personnes expressément habilitées par le Code à bénéficier d’une obligation réelle environnementale. Dans ce cas, il interviendra au contrat constitutif de l’obligation réelle environnementale en qualité d’organisme financeur.

Pour autant, cette partie tierce n’appelle aucun développement particulier. L’analyse se limitera donc au propriétaire du bien immobilier (2.2.2.1), à la collectivité ou à l’établissement public (2.2.2.2) et à la personne morale de droit privé (2.2.2.3) agissant pour la protection de l’environnement.

2.2.2.1 Le propriétaire d’un bien immobilier

S’agissant du propriétaire, il sera question soit d’un propriétaire strictement privé, soit d’une collectivité publique agissant sur son domaine privé[78]. Pour le reste, soulignons que l’obligation réelle environnementale ne peut être consentie que sur un bien immobilier, mais que rien n’oblige le propriétaire à soumettre l’ensemble de son bien au contrat constitutif de l’obligation réelle environnementale. Il se peut en effet que l’obligation ne concerne à l’occasion qu’une partie du bien, comme une ou plusieurs haies, un ou des arbres ou encore un plan d’eau.

Une modification avait tenté de limiter la possibilité de consentir une obligation réelle environnementale aux espaces naturels, forestiers et agricoles, ce qui n’avait aucune justification, spécialement au moment où les immeubles urbains se végétalisent ou accueillent sur leurs toits des espaces consacrés, par exemple, à la culture maraichère ou à l’apiculture.

Si seul le propriétaire a qualité pour accepter des engagements qui consistent à partager les utilités de son fonds avec autrui, le rédacteur de l’acte prendra soin de vérifier, dans l’hypothèse d’une propriété collective ou indivise, que le signataire de l’acte est bien porteur des pouvoirs nécessaires. Si la propriété est démembrée entre un nu-propriétaire et un usufruitier, ils devront consentir tous deux à l’acte, l’un « ne pouvant, sans nuire à l’intérêt de l’autre, souscrire des charges aussi lourdes[79] ».

2.2.2.2 Une collectivité publique, un établissement public agissant pour la protection de l’environnement

L’article L. 132-3 du Code de l’environnement précise que les cocontractants du propriétaire doivent agir « pour la protection de l’environnement ». Cette précision concerne les trois personnes morales (collectivité publique, établissement public, personne morale de droit privé) susceptibles de bénéficier d’une telle obligation.

À vrai dire, cette mention est sans véritable portée pour les collectivités publiques dont les compétences englobent nécessairement, à un titre ou un autre, la protection de l’environnement. Elle appelle en revanche quelques observations pour les établissements publics.

Si la question ne se discute pas pour les établissements publics dont la vocation première est la protection de l’environnement (parcs nationaux, parcs naturels régionaux, Conservatoire du littoral et des rivages lacustres, conservatoires régionaux ou départementaux d’espaces naturels, Office français de la biodiversité, Office de l’environnement de la Corse, etc.), ni même pour ceux dont la mission comporte sans discussion possible une dimension environnementale, telles les agences de l’eau, il paraît toutefois difficile d’admettre qu’un établissement public hospitalier ou universitaire puisse bénéficier d’une obligation réelle environnementale.

S’agissant des agences de l’eau, il est intéressant de signaler que certaines d’entre elles, notamment les agences de l’eau de Seine-Normandie et de Rhin-Meuse, ont fait le choix de promouvoir l’obligation réelle environnementale, dans laquelle elles voient un outil d’intervention beaucoup plus souple que les instruments traditionnels pour protéger certains captages ou gérer de manière durable des bassins hydrographiques. Leur action consiste alors à réunir les propriétaires de parcelles, à expliquer en quoi ils gagneraient à entrer dans une relation de partenariat avec une agence de l’eau et à conclure des obligations réelles environnementales[80].

En ce qui a trait aux chambres d’agriculture, le doute n’est plus permis depuis que le Code rural dispose que « les établissements qui composent le réseau des chambres d’agriculture […] contribuent, par les services qu’ils mettent en place, au développement durable des territoires ruraux et des entreprises agricoles, ainsi qu’à la préservation et à la valorisation des ressources naturelles […] et à la lutte contre le changement climatique[81] ».

Si la question venait à se poser pour d’autres établissements, ce serait la consultation de leur statut qui commanderait la solution.

2.2.2.3 Une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement

Toutes les associations ayant pour objet la protection de l’environnement, de la biodiversité ou bien de tels ou tels de leurs éléments peuvent bénéficier d’une obligation réelle environnementale constituée par un propriétaire foncier.

Le législateur n’a posé aucune limite, tenant par exemple à l’agrément ou à l’ancienneté des associations, pour qu’elles puissent être cocontractantes d’une obligation réelle environnementale. Ainsi, même une petite association locale ou dont l’objet social est orienté vers la protection d’une espèce très particulière est théoriquement susceptible d’être retenue comme cocontractante par un propriétaire désireux de lui consentir une obligation réelle environnementale. Dans ce cas, cependant, le propriétaire devra se montrer attentif aux capacités techniques et financières de même qu’au sérieux de l’association avec laquelle il contracte, en fonction, d’une part, de l’importance des obligations qu’il accepte de prendre à sa charge et d’attacher à son bien, et, d’autre part, des contreparties qu’il attend de son cocontractant.

Même s’ils ne sont pas visés expressément, les conservatoires régionaux d’espaces naturels, qui ont un statut d’association, sont donc des personnes morales de droit privé et sont évidemment les tout premiers à pouvoir bénéficier d’une obligation réelle environnementale.

Comme nous l’avons rappelé plus haut, le Conservatoire d’espaces naturels de Savoie a conclu la première obligation réelle environnementale ayant pour objet la conservation d’une zone humide. Une commune a décidé de réhabiliter, avec l’aide du Conservatoire, le marais des Lagneux, d’une surface de 40 hectares, qui faisait partie de son domaine privé. Cette action réalisée, elle a consenti à ce conservatoire une obligation réelle environnementale, assortie d’une convention de gestion, afin de maintenir, de conserver et de gérer la fonction écologique du marais et les éléments de biodiversité patrimoniale présents sur le site[82].

Si le doute n’est donc pas permis pour les associations, de sérieuses interrogations naissent en revanche pour savoir si certaines personnes morales de droit privé à but lucratif peuvent bénéficier d’une obligation réelle environnementale. Il faut certainement admettre que les entreprises d’ingénierie écologique sont des personnes morales de droit privé agissant pour la protection de l’environnement, même si l’on a pu émettre quelques réserves parfaitement justifiées sur le fait que l’encadrement de ces opérateurs et la vérification de leurs compétences et de la qualité de leurs prestations étaient laissés… au marché[83] !

La question se révèle beaucoup plus délicate dans le cas des maîtres d’ouvrage qui, tenus à compensation, souhaiteraient se faire consentir des obligations réelles environnementales par un propriétaire, et ce, afin de mettre en oeuvre les mesures compensatoires qui leur sont imposées. La doctrine majoritaire a considéré que la liste énoncée dans le Code de l’environnement les excluait[84]. À l’appui de leur position, les maîtres d’ouvrage soutiennent que, en exécutant des obligations de compensation, ils peuvent être considérés comme agissant pour la protection de l’environnement. La question se pose d’autant plus lorsque certains aménageurs, comme ceux qui construisent et installent des éoliennes ou des fermes photovoltaïques, ont une activité susceptible de se rattacher à la protection de l’environnement[85].

Le Code de l’environnement est muet à cet égard, et son interprétation s’impose en se référant à l’esprit de la loi. À notre sens, il ne fait aucun doute que, en visant « une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement », le législateur ne visait pas des entreprises dont ce n’est pas l’objet social et qui ne participent à cette protection que très ponctuellement, parce qu’elles y sont contraintes par leurs obligations de compensation. À cette observation, ajoutons qu’il serait curieux d’admettre que des entreprises (y compris celles qui ont un objet plus « environnemental » en rapport avec des énergies renouvelables), dont le projet a contribué à causer des atteintes à la biodiversité, puissent être considérées, au moment où elles compensent ces atteintes, comme « agissant pour la protection de l’environnement ». La solution d’exclusion de ces entreprises de la liste des cocontractants identifiés par la loi paraît donc s’imposer. Il reste que plusieurs contrats déjà signés aux fins de compensation l’ont été entre un propriétaire et un aménageur. Le juge éventuellement saisi devra dire si ces contrats entrent dans les prévisions de la loi.

2.2.3 Le contenu du contrat

L’objet du contrat constitutif d’obligations réelles environnementales est défini par la loi (2.2.3.1). Le Code de l’environnement prévoit également que l’obligation ou les obligations du propriétaire donnent nécessairement lieu à des contreparties (2.2.3.2). Pour sa part, l’article L. 132-3 du Code de l’environnement impose que certaines clauses soient insérées dans le contrat en vue d’organiser les relations entre les parties (2.2.3.3). Enfin, le législateur précise que l’instrument peut être utilisé aux fins de compensation. (2.2.3.4).

2.2.3.1 L’objet du contrat

Selon le législateur, l’obligation doit avoir pour « finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques ». La référence aux « éléments » et aux « fonctions écologiques » de la biodiversité renvoie aux travaux du Millenium Environmental Assesment (MEA)[86]. Elle est également présente dans l’article 1247 du Code civil français, qui définit le préjudice écologique comme celui qui porte « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ». Cette mention des finalités de l’obligation réelle environnementale confirme son caractère « spécial[87] », ce qui interdit aux propriétaires de consentir n’importe quel type d’obligations attachées à leur fonds[88]. Pour autant, dans le cadre ainsi défini, le propriétaire peut accepter des obligations très diverses, en fonction des particularités du site et des besoins de protection qu’exprimeront les contractants. L’Assemblée nationale a heureusement repoussé les suggestions de certains amendements adoptés au Sénat, qui avaient pour objet de limiter la liberté contractuelle des parties en dressant une liste d’obligations jugées « acceptables ». La prestation promise par le propriétaire pourra prendre la forme d’une abstention (par exemple, ne pas utiliser certains intrants, ne pas détruire les haies), consister en des précautions (par exemple, désherber ou curer les rus et les ruisseaux par des moyens non mécaniques) ou inclure des actions positives comme la pratique d’une agriculture biologique[89], la plantation de certaines espèces, la restauration des sols, la réhabilitation d’une zone humide ou l’entretien de certaines infrastructures. En fonction de leur nature et de la personne qui les exécutera concrètement, les travaux de restauration, par exemple, trouveront mieux leur place dans le contrat constitutif de l’obligation réelle environnementale ou dans un contrat annexe de prestations de services auquel pourra renvoyer le contrat principal. Comme nous l’avons déjà mentionné, en effet, ces prestations pourront être réalisées par le propriétaire lui-même ou bien déléguées soit au cocontractant du propriétaire, soit à un tiers qui se verront confier l’exécution des obligations.

Dans l’hypothèse où l’exécution des obligations est confiée au cocontractant, comme c’est le cas dans le contrat conclu par le Conservatoire d’espaces naturels de Savoie pour le marais des Lagneux, les obligations du propriétaire seront, pour l’essentiel, passives : ne rien faire qui puisse nuire à l’objectif de protection, et autoriser le libre accès au personnel du cocontractant qui met en oeuvre les prestations et assure le suivi du site, notamment. Ainsi, un contrat conclu au mois de décembre 2020 entre un propriétaire privé et le Département de la Gironde, concernant des parcelles situées dans une zone humide du Département, stipule que

[L]e propriétaire s’oblige […] à ne pas apporter de fertilisants minéraux et organiques ni des produits phytosanitaires, à ne pas irriguer, ne pas drainer ni mettre en place toute forme d’assainissement, à laisser au Département ou à un tiers autorisé par lui les tâches de maintien ou de restauration des fonctionnalités des milieux aquatiques et des zones humides adjacentes ; de manière générale, à ne pas perturber ou modifier le réseau hydrographique ou hydraulique, à ne pas porter atteinte à la continuité écologique, à maintenir la dynamique naturelle et la libre circulation des eaux en préservant l’espace de libre divagation du cours d’eau et de mobilité des eaux de surface (pas de digues ou de protection des berges).

Lorsqu’un tiers est chargé de mettre en oeuvre les prestations, il agit sous le contrôle du propriétaire qui reste seul responsable de leur exécution à l’égard du cocontractant. Celui-ci joue alors le rôle de « tiers garant », en veillant à ce que les obligations soient correctement exécutées[90].

2.2.3.2 L’existence d’une contrepartie obligatoire

Alors que cela n’était pas conforme à l’esprit de l’obligation réelle environnementale, telle qu’elle avait été conçue par ses promoteurs[91], le législateur a suivi le Sénat en prévoyant que le contrat devait faire mention des « engagements réciproques » des parties. Selon nous, cette exigence restreint inutilement la liberté des parties, qui auraient dû avoir le choix de prévoir ou d’exclure une contrepartie. Contrairement à ce qui a pu être écrit[92], cette exigence ne résulte nullement de la nature contractuelle du véhicule. Le contrat unilatéral est, à côté du contrat synallagmatique, une forme de contrat reconnu par le droit français[93] ! Malgré cette évidence, la loi interdit donc au propriétaire de consentir une obligation réelle environnementale dans un but purement altruiste, alors que cette motivation largement dominante se trouve très présente dans les exemples étrangers.

Pour respecter le texte dans les hypothèses où le propriétaire serait mû par des motivations altruistes, le rédacteur de l’acte devra faire preuve d’ingéniosité pour suggérer une contrepartie ! Rappelons par ailleurs que l’exigence d’engagements réciproques n’implique pas que ces engagements soient équilibrés, ce qui a été heureusement écarté par le texte finalement adopté.

Le contrat constitutif de l’obligation réelle environnementale est donc nécessairement un contrat à titre onéreux. La contrepartie prévue par écrit pourra être de diverses natures. Elle sera souvent de nature financière lorsque l’obligation réelle environnementale servira à mettre en oeuvre des mesures compensatoires. L’avantage accordé par le cocontractant pourra être de nature fiscale si ce dernier est une collectivité publique. Par exemple, une commune pourra, en contrepartie des obligations environnementales acceptées par un propriétaire, accorder à ce dernier, comme l’y autorise expressément le Code de l’environnement, une exonération de taxe foncière sur la propriété non bâtie pour une durée qui sera librement négociée entre les parties[94]. D’autres fois, la contrepartie consistera en un soutien technique du cocontractant ou en l’apport de main-d’oeuvre. Dans le contrat conclu entre le Conservatoire d’espaces naturels de Savoie et la commune propriétaire, pour la gestion et la protection de la zone humide du marais des Lagneux, c’est très précisément ce qui a été prévu. Le Conservatoire, cocontractant, apporte — en contrepartie des obligations acceptées par la commune — son expertise technique, ses capacités d’analyse et de suivi ainsi que les services de son personnel[95]. Enfin, il est parfaitement concevable que la contrepartie se limite à une assistance intellectuelle et technique en vue, entre autres choses, de faire des demandes de subventions, notamment pour faciliter l’exécution des obligations acceptées par le propriétaire.

2.2.3.3 Les clauses obligatoires relatives à la durée du contrat, à sa révision et à sa résiliation

Outre la nécessité de mentionner dans le contrat les engagements réciproques acceptés par les parties, l’article L. 132-3 al. 3 du Code de l’environnement dispose que « [l]a durée des obligations […] et les possibilités de révision et de résiliation doivent figurer dans le contrat ».

On peut être surpris que le législateur ait cru nécessaire d’apporter de telles précisions dans la loi. Cela ne peut s’expliquer que par les fortes résistances qui se sont manifestées[96]. Il fallait rassurer les lobbies qui souhaitaient limiter autant que possible la portée des engagements. Cela étant, même sans prescription légale, ces clauses méritent de figurer dans les contrats conclus, car elles ne sont pas inutiles.

S’agissant de la durée, et par référence à ce que la jurisprudence semble décider en matière de droit réel de jouissance spéciale[97], l’obligation réelle environnementale ne saurait être perpétuelle.

La durée de l’obligation réelle environnementale sera, sous cette réserve, librement fixée par les parties ; elle pourra aller jusqu’à 99 ans, si l’on se réfère à la solution qui règne en matière de bail à construction ou de bail emphytéotique. Rien n’empêche de surcroît d’insérer dans le contrat une clause de renouvellement[98]. Pour autant, la pérennité de la protection ne peut être garantie par l’institution d’une obligation réelle environnementale… mais, contrairement à ce qui se lit parfois, elle ne l’est pas davantage par d’autres moyens. Cette limite doit donc être relativisée. D’une part, comme nous l’avons mentionné, la durée de 99 ans est renouvelable. D’autre part, rappelons que si, en droit français, les servitudes sont — en principe — perpétuelles, il est possible de créer des servitudes temporaires, pour une durée déterminée, de même qu’il existe un certain nombre de causes d’extinction des servitudes. Ainsi, les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent dans un tel état qu’il devient impossible d’en user, par exemple lorsque la source ou l’étang se tarissent dans le cadre d’une servitude de puisage. De même, une servitude de passage pour cause d’enclave s’éteint lorsque le terrain qui en bénéficie n’est plus enclavé, celle-ci ayant perdu toute utilité. L’extinction d’une servitude résulte parfois de la réunion de la qualité de propriétaire des fonds dominant et servant et, dans ce cas, dans l’hypothèse de séparation ultérieure de ces fonds, la servitude n’est pas automatiquement rétablie, et suppose un nouvel acte constitutif. Pareillement, toutes les servitudes dites « du fait de l’homme » sont éteintes par le non-usage pendant 30 ans. Enfin, les servitudes conventionnelles peuvent disparaître soit d’un commun accord entre les propriétaires des fonds servant et dominant, soit par renonciation du propriétaire du fonds dominant. Le notaire établit alors un acte authentique constatant cette renonciation à servitude qu’il publie au service de la publicité foncière afin de le rendre opposable aux tiers. Les décisions de l’autorité publique sont-elles, de leur côté, toujours pérennes ? Pas davantage : une nouvelle loi, un nouveau règlement, une nouvelle majorité politique peuvent venir défaire ce qui avait été auparavant prescrit. C’est donc, à bien des égards, un mauvais procès qui est fait à l’obligation réelle environnementale, même s’il faut reconnaître que la liberté laissée sur ce point aux parties peut susciter quelques craintes.

Pendant les travaux parlementaires, certains souhaitaient fixer une durée longue, au motif que la protection de la biodiversité devait s’inscrire dans le temps ; d’autres, au contraire, voulaient limiter autant que possible la durée du contrat en arguant que de telles charges ne devaient pas peser trop longtemps sur la propriété.

Le législateur a privilégié une solution de sagesse en laissant les parties librement déterminer cette durée. Il est en effet possible que le propriétaire accepte, dès la signature, une durée assez longue, notamment lorsqu’il adoptera cette formule pour protéger son terrain et la biodiversité qu’il supporte, dans une perspective de « réserve volontaire ». Il se pourra, au contraire, qu’il souhaite tester l’instrument sur une durée plus courte pour éventuellement renouveler son engagement s’il répond à ses besoins. Enfin, la diversité des situations de terrain, des besoins de protection et des hypothèses pouvant donner naissance aux obligations réelles environnementales commandait d’accorder le maximum de souplesse aux parties.

Les possibilités de révision doivent également être prévues dans le contrat. Cette obligation n’a guère de sens si la durée de ce dernier est très courte. Elle en a davantage pour un contrat dont l’exécution s’écoulera sur plusieurs dizaines d’années.

Outre les révisions commandées par un changement de la réglementation applicable au site ou aux éléments et aux fonctions écologiques qui s’y expriment, il est sage de prévoir des clauses de révision liées au suivi du site et à son évolution. S’agissant, en effet, de gérer le vivant, il est nécessaire de planifier l’évolution des obligations en fonction des transformations constatées de la situation[99] et des résultats obtenus, que ce soit pour renforcer lesdites obligations si les suivis mis en place démontrent que les actions n’ont pas été suffisantes ou au contraire pour les alléger si les processus écologiques, une fois réhabilités et restaurés, « prennent le relais » des actions humaines. Le contrat pourra imaginer le recours à un comité ad hoc pour en juger ou renvoyer cette appréciation au tribunal saisi par la partie qui sollicite une évolution du contrat. À cet égard, on insistera aussi sur l’utilité d’établir un « état zéro » du site qui permettra d’en évaluer l’évolution. La révision sera aussi utilement prévue dans l’hypothèse où un bail à ferme viendrait à être conclu postérieurement à la création de l’obligation réelle environnementale.

Enfin, le contrat doit contenir des clauses relatives à sa résiliation. Celle-ci pourra bien entendu résulter de la non-exécution des engagements réciproques, spécialement si aucune mesure d’exécution forcée ne peut être prescrite (par exemple, le site a été dévasté par une catastrophe naturelle ou encore par accident ou des actes de malveillance). Une telle précision dans le contrat n’est guère utile puisqu’elle résulte du droit commun.

Toutefois, le contrat pourra saisir cette occasion, d’une part, pour définir « les modalités de contrôle du respect des engagements[100] » et, d’autre part, pour préciser la procédure à suivre avant que la résiliation intervienne. Il pourra ainsi être prévu qu’une mise en demeure, restée sans effet pendant un délai déterminé, sera nécessaire ou que, en présence de difficultés dans l’exécution du contrat, les parties devront tenter de se concilier, éventuellement avec l’aide d’un tiers, en vue d’éviter cet échec du contrat.

Dans l’hypothèse où ces clauses obligatoires ne figureraient pas au contrat, la loi ne précise pas la sanction encourue par les parties. Nous ne voyons pas vraiment quelle autre sanction que la nullité pourrait être prononcée. Toutes les clauses énumérées par le texte ayant trait à l’intérêt privé des parties, nous croyons que la nullité relative devrait être retenue, sauf à admettre que l’intérêt général est en cause au motif que la protection de l’environnement en relève[101] ou parce que le créancier de l’obligation réelle environnementale est une collectivité publique[102].

2.2.3.4 Le recours à l’obligation réelle environnementale aux fins de compensation

Le Code de l’environnement dispose expressément que « [l]es obligations réelles environnementales peuvent être utilisées à des fins de compensation[103] ». L’objet du contrat constitutif et les « finalités » des obligations souscrites serviront donc à mettre en oeuvre des mesures compensatoires imposées par l’administration à un maître d’ouvrage[104], ou par un juge au responsable d’un préjudice écologique qui, ne pouvant remettre purement et simplement en état, serait condamné à réparer par compensation en nature. Pour ce qui est des zones humides, les obligations de compensation susceptibles de les concerner sont souvent explicitées dans les schémas départementaux d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE)[105].

Si l’on accepte l’idée qu’un aménageur ne peut bénéficier lui-même directement d’une obligation environnementale[106], le schéma imaginé par le législateur met en présence trois personnes : le maître d’ouvrage (ou le responsable d’un préjudice écologique), tenu à compenser ; le propriétaire, acceptant de consentir l’obligation réelle environnementale ; et la collectivité publique, l’établissement public ou la personne morale de droit privé, agissant pour la protection de l’environnement, en qualité de cocontractants. L’obligation réelle environnementale consistera pour le propriétaire à accepter de mettre en oeuvre sur son terrain les mesures compensatoires imposées au maître de l’ouvrage ; ce dernier prendra à sa charge la contrepartie, généralement financière, due au propriétaire, et le cocontractant public ou associatif, bénéficiaire de l’obligation réelle environnementale, jouera le rôle de « tiers garant » de la bonne exécution des obligations. Il importe toutefois de préciser qu’au regard de l’administration, seul le maître d’ouvrage reste responsable de la bonne mise en oeuvre des obligations de compensation. Il bénéficiera cependant d’un recours contre le propriétaire, si celui-ci n’a pas correctement exécuté les obligations qu’il avait acceptées.

L’utilisation de l’obligation réelle environnementale aux fins de compensation permet-elle de répondre aux questions que soulèvent les mesures compensatoires ? Pas plus qu’aucune autre modalité, l’obligation réelle environnementale n’apporte de réponse à la question de la durée de la compensation. Rappelons que l’alinéa 2 de l’article L. 163-1 du Code de l’environnement dispose que les obligations de compensation doivent « être effectives pendant toute la durée des atteintes ».

Cela signifie donc que tant que les impacts de l’aménagement (autoroute, stationnement, voie de chemin de fer, etc.) ou de l’activité existeront, ces mesures devront être maintenues[107]. Or, la durée des obligations réelles environnementales est toujours limitée dans le temps, même si ce dernier peut être très long (99 ans). C’est pourquoi le rédacteur du contrat constitutif d’une obligation réelle aux fins de compensation devra absolument attirer l’attention des parties sur ce point et insérer une clause de renouvellement ou, au moins, de renégociation à son terme[108].

2.2.4 Les effets du contrat à l’égard des tiers

Si l’obligation réelle environnementale naît d’un contrat, elle n’en demeure pas moins attachée au bien immobilier et se transmet aux différents propriétaires de ce bien pendant toute la durée de la convention. Voilà une de ses caractéristiques principales et l’un « de ses intérêts majeurs[109] ». Son opposabilité aux acquéreurs successifs et aux tiers résulte de son inscription au fichier immobilier. Il va de soi néanmoins que le vendeur du bien auquel l’obligation est rattachée doit en informer l’acquéreur[110] ; à défaut, « il pourrait […] engager la garantie que lui impose l’article 1638 du Code civil au titre des charges grevant l’immeuble non révélées lors de la vente[111] ».

C’est précisément cette opposabilité aux tiers qui a suscité beaucoup de débats et qui explique, sans toujours les justifier, les dispositions contenues dans l’alinéa 5 de l’article L. 132-3 du Code de l’environnement. Le texte, très mal rédigé, dispose, en effet, ce qui suit :

Le propriétaire qui a consenti un bail rural sur son fonds ne peut, à peine de nullité absolue, mettre en oeuvre une obligation réelle environnementale qu’avec l’accord préalable du preneur et sous réserve des droits des tiers. L’absence de réponse à une demande d’accord dans le délai de deux mois vaut acceptation. Tout refus doit être motivé. La mise en oeuvre d’une obligation réelle environnementale ne peut en aucune manière remettre en cause ni les droits liés à l’exercice de la chasse, ni ceux relatifs aux réserves cynégétiques.

Il faut distinguer dans ce cas précis trois situations : celle des « tiers » (2.2.4.1), celle du preneur à bail rural, dont nous comprenons qu’elle a fait l’objet d’un régime spécial (2.2.4.2), et, enfin, celle des chasseurs qui ont ici simplement réussi leur exercice de lobbying (2.2.4.3).

2.2.4.1 La situation des « tiers »

Comme il vient d’être rappelé, l’obligation réelle environnementale est opposable aux tiers dès lors qu’elle a été inscrite au fichier immobilier. Fallait-il ajouter qu’elle ne peut être mise en oeuvre que sous réserve de leurs droits ? Nous pouvons en douter, car la solution résulte du droit commun. Si, en acceptant des engagements, le propriétaire viole des droits antérieurement acquis par des tiers, il engage à leur égard sa responsabilité. Il en irait ainsi, par exemple, si les engagements du propriétaire venaient à contredire une servitude acquise par un voisin ou un droit personnel dont celui-ci serait titulaire.

Le législateur ayant consacré des dispositions spéciales relatives au bail rural, il faut considérer que tous les autres titulaires de baux (commerciaux ou d’habitation) seront à ranger dans la catégorie résiduelle des tiers dont les droits, acquis antérieurement, doivent être respectés.

Au titre de ces tiers doit être soulevée ici la situation des pouvoirs publics. L’obligation réelle environnementale leur est évidemment opposable, mais cela ne leur interdit pas d’agir. Par exemple, les pouvoirs publics pourront « classer » la parcelle visée en zone constructible alors même que, dans le contrat constitutif de l’obligation réelle environnementale, le propriétaire aura pris l’engagement de ne pas construire, mais cette décision publique ne modifiera en rien la situation. Pendant toute la durée du contrat, l’engagement pris par le propriétaire s’imposera à lui comme à ses successeurs, à moins évidemment que les pouvoirs publics décident d’exproprier la ou les parcelles en question pour y réaliser un projet d’intérêt public, par exemple. L’existence d’une obligation réelle environnementale opposable n’interdira pas l’expropriation mais, si la décision d’aménagement prise dans l’intérêt public porte atteinte aux droits du bénéficiaire de l’obligation réelle environnementale, elle contraindra le décisionnaire public à l’indemniser. Dans ce cas, il n’est pas interdit de penser que l’existence d’une telle obligation et l’indemnité due en conséquence pourront être un levier de négociation pour remettre en cause, retarder ou modifier le périmètre de l’expropriation projetée.

Une autre question consisterait à se demander si l’opposabilité aux tiers de l’obligation réelle environnementale autorise parfois le cocontractant, bénéficiaire de cette obligation, à s’opposer notamment aux projets d’un voisin susceptibles de compromettre la bonne exécution du contrat et donc la protection du terrain d’assiette de l’obligation réelle environnementale. Une telle hypothèse n’a pas encore été soumise à un tribunal à ce jour. Si elle l’était, la réponse pourrait tenir en deux affirmations : d’une part, en vertu du principe de l’effet relatif des contrats[112], l’acte constitutif de l’obligation réelle environnementale ne peut créer d’obligations contractuelles à la charge de personnes non parties au contrat ; d’autre part, le contrat crée tout de même une situation de fait dont les tiers doivent tenir compte et dont le non-respect est susceptible d’engager, dans certaines conditions, leur responsabilité délictuelle. Par exemple, si le voisin acquérait une autre parcelle appartenant au propriétaire ayant consenti l’obligation réelle environnementale, pour y réaliser un projet de nature à compromettre les objectifs de protection sur le terrain d’assiette de l’obligation réelle environnementale, il se rendrait « complice » de la violation de cette obligation et pourrait voir sa responsabilité délictuelle engagée. En dehors de telles hypothèses plutôt marginales, c’est le principe de l’effet relatif des contrats qui interdit de prévoir une sorte « d’opposabilité positive » de l’obligation réelle environnementale.

2.2.4.2 La situation du preneur à bail rural

Si le Code de l’environnement consacre des dispositions spéciales au preneur à bail rural, c’est, d’une part, en raison de l’intense pression que les organisations syndicales agricoles ont fait peser sur le législateur et, d’autre part, parce que les obligations réelles environnementales ont vocation à concerner des terres agricoles, dont certaines sont exploitées en fermage. Le législateur a donc prévu que ces obligations ne pourraient être mises en oeuvre qu’avec l’accord préalable du preneur.

Il ne faut pas s’attacher à la maladresse de rédaction. En visant la « mise en oeuvre », le législateur a pu laisser croire que seule l’exécution de l’obligation réelle environnementale était en cause. Il n’en est rien : l’accord du preneur à bail à ferme est requis ad validitatem. C’est si vrai que le non-respect de cette disposition est sanctionné par une « nullité absolue ». Remarquons à ce propos que le législateur a ainsi fait peu de cas de la distinction entre les nullités relatives et les nullités absolues posée par l’article 1179 du Code civil français. On a du mal à considérer, en effet, que les intérêts du preneur concernent l’intérêt général, sauf à admettre que le sacro-saint statut du fermage est, en lui-même, une dimension de cet intérêt général !

Le Code de l’environnement poursuit en précisant que « l’absence de réponse à une demande d’accord dans le délai de deux mois vaut acceptation », ce qui a évidemment pour objet de ne pas figer la situation si le preneur, que ce soit par négligence ou par malveillance, ne prenait pas la peine de répondre. Le propriétaire devra faire sa demande par des voies qui lui ménageront une preuve (lettre recommandée avec avis de réception) et il devra détailler le contenu des obligations qu’il souhaite souscrire, le tout pour que le preneur ne puisse pas lui reprocher de ne pas avoir été complètement informé.

Enfin, la loi dispose que « tout refus » du preneur doit être motivé. On comprend que le législateur n’a pas voulu laisser au preneur la liberté de s’opposer à la constitution de l’obligation réelle environnementale par pur caprice ou seulement par opposition de principe à son propriétaire ou à l’obligation elle-même. L’abus de droit permet, en principe, de sanctionner de tels comportements. Toutefois, en l’espèce, le législateur a sans doute souhaité aller plus loin. Prévoir expressément que le refus éventuel doit être motivé, c’est indiquer au juge qui pourra être saisi d’un refus que son contrôle devra dépasser le contrôle traditionnel de l’abus de droit. Le tribunal ne devra pas s’en tenir à la recherche d’une intention de nuire ou d’une légèreté blâmable, qui caractérisent habituellement l’abus de droit ; il devra tenir compte des données objectives de la situation, c’est-à-dire la nature du terrain, l’intérêt de la biodiversité protégée et les limites apportées aux droits du preneur, pour évaluer le bien-fondé d’un éventuel refus.

Dans tous les cas, la demande adressée au preneur ouvrira sans doute une phase de négociations avec le propriétaire. Si l’obligation réelle environnementale a pour effet de limiter les droits et la liberté d’exploitation du preneur, celui-ci conditionnera très légitimement son accord à une révision à la baisse de son loyer ou à une autre forme de compensation, comme l’extension de la surface des terres louées. L’accord du preneur, qu’il soit donné expressément ou tacitement, ne le rendra cependant pas débiteur de l’obligation réelle environnementale. Consentie par le propriétaire, celle-ci n’engage que lui. C’est pourquoi, d’ailleurs, il est la plupart du temps nécessaire soit d’intégrer les obligations acceptées par le propriétaire dans le bail au moyen de clauses environnementales, lorsqu’il est possible de le faire, soit de demander au preneur de souscrire auprès du créancier un contrat de prestation de services environnementaux en contrepartie d’une rémunération. Le plus simple en pratique est de faire comparaître le fermier au contrat constitutif des obligations réelles environnementales en insérant dans ce contrat, d’une part, son accord formel et, d’autre part, une délégation ou une convention de prestation de services l’obligeant à exécuter ces obligations. L’article L. 163-2 du Code de l’environnement semble d’ailleurs le suggérer lorsqu’il traite de la compensation écologique.

Il reste que, en mentionnant le bail rural, le législateur n’a envisagé que la situation née d’un bail déjà souscrit au moment où est constituée l’obligation réelle environnementale. Qu’en est-il lorsque le bail rural est consenti alors que cette obligation se trouve déjà en place ?

La première règle qui s’applique dans ce cas est évidemment celle qui commande au propriétaire d’informer le futur fermier de l’existence et du contenu d’une obligation réelle grevant le terrain loué[113]. Cela devrait suffire à lui opposer les obligations réelles négatives ou passives[114].

Quant aux obligations positives, supposant une action, elles ne pourraient être opposables que si l’on admettait que le contrat a fait naître un droit réel. Or, nous avons vu que tel n’était pas le cas en droit strict même si, en fait, la situation est très comparable[115]. Il conviendra donc d’insérer dans le bail rural des clauses environnementales reprenant les obligations du propriétaire ou encore de réviser le contrat constitutif de l’obligation réelle environnementale, si la clause de révision le prévoit, pour y faire comparaître le nouveau fermier.

2.2.4.3 La situation des chasseurs

Pour contenter le lobby cynégétique, le législateur a cru bon de ne pas ranger les chasseurs parmi les tiers dont les droits doivent être respectés et de consacrer à la chasse une disposition spéciale qui n’ajoute ni ne retranche pourtant rien au droit commun. Selon le Code de l’environnement, la conclusion et la mise en oeuvre d’une obligation réelle environnementale ne pourront « en aucune manière remettre en cause ni les droits liés à l’exercice de la chasse, ni ceux relatifs aux réserves cynégétiques ». Le législateur a heureusement refusé de conditionner la constitution de l’obligation réelle environnementale à l’accord des chasseurs, ce qui aurait signé l’acte de décès du nouvel outil.

La violation des droits des chasseurs ne devrait pas pouvoir paralyser la mise en oeuvre de l’obligation réelle environnementale et ne devrait se résoudre qu’en dommages et intérêts, sauf dans les hypothèses où ces droits proviendraient d’un contrat, ce qui donnerait à leurs titulaires la possibilité de réclamer l’exécution forcée.

2.2.5 Le régime fiscal de l’obligation réelle environnementale

C’est sur le régime fiscal, malheureusement, que le Code de l’environnement se fait le plus discret, alors que toutes les études menées, notamment aux États-Unis, démontrent que l’incitation fiscale a été une des clés du succès de ce nouvel instrument qu’est l’obligation réelle environnementale[116]. Impossible de négliger en effet la crainte exprimée par certains propriétaires que la mise en place d’une obligation réelle environnementale ait une influence négative sur le prix du foncier et conduise à la dépréciation de leur propriété. À cela s’ajoute qu’il paraît légitime d’encourager ceux qui acceptent de renoncer à une partie de leurs prérogatives au bénéfice de l’intérêt commun. Enfin, la constitution d’une obligation réelle environnementale représente un coût initial (expertise, acte notarié) qui, sans être considérable[117], peut être de nature à décourager les propriétaires s’il n’est pas compensé d’une manière ou d’une autre.

En dépit de ces arguments, le législateur a seulement prévu, d’une part, que le contrat constitutif de l’obligation réelle environnementale serait exonéré des droits d’enregistrement et de la taxe de publicité foncière et, d’autre part, que les communes auraient la faculté, à partir du 1er janvier 2017, de dispenser de la taxe sur les propriétés foncières non bâties les propriétaires s’étant engagés dans ce dispositif. Cette solution est à l’évidence tout à fait insuffisante pour promouvoir l’outil, au moins lorsque l’obligation réelle environnementale ne donne pas lieu à une contrepartie financière importante, comme c’est le cas lorsqu’elle est utilisée à des fins de compensation[118].

L’espoir résidait dans l’article 73 de la loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages qui a donné naissance à l’obligation réelle environnementale. Ce texte prévoit en effet qu’un rapport du gouvernement devait être déposé… à l’été 2018 sur le Bureau de l’Assemblée nationale et du Sénat pour dresser un premier bilan de cette innovation et éventuellement proposer des mesures, notamment des mesures fiscales incitatives, pour en améliorer l’efficacité ! De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer le non-respect de cette obligation législative[119].

Le Congrès des notaires qui s’est tenu à Cannes en mai 2018 a proposé l’absence d’imposition de la contrepartie versée au propriétaire signataire de l’obligation réelle environnementale. Cette proposition ne vise que les obligations réelles environnementales donnant lieu à des flux financiers, c’est-à-dire précisément celles pour lesquelles l’incitation fiscale est la moins justifiée. D’autres idées sont dans le débat. Songeons, par exemple, à la généralisation de l’exonération de la taxe sur les propriétés foncières non bâties, telle que cette exonération existe pour les parcelles situées en zones humides[120] ou en zone Natura 2000[121], sous réserve qu’une compensation soit accordée par l’État aux collectivités locales pour cette perte de revenus. Cette proposition est intéressante certes, mais elle n’apporterait aucune plus-value aux propriétés situées en zones humides qui en profitent déjà à ce seul titre.

Une autre piste, plus novatrice, serait de considérer l’activité de maintien, de conservation, de gestion ou de restauration de la biodiversité comme une véritable activité productrice de richesses (notamment de services écosystémiques) et de soumettre les revenus issus de cette activité au prélèvement forfaitaire unique (de 30 p. 100) tel qu’il a été institué à la fin de l’année 2017 pour les revenus des valeurs mobilières. Ce serait aussi, sur le plan symbolique, un geste fort en mettant sur un pied d’égalité les revenus boursiers et ceux qui correspondent à un choix en faveur de la transition écologique.

Il a également été proposé d’exonérer de tout ou partie des droits la transmission à titre gratuit ou à titre onéreux du terrain d’assiette d’une obligation réelle environnementale. Dans cette hypothèse, il conviendrait cependant de vérifier que l’outil ne sert pas à seule fin d’évasion fiscale.

Pensons, enfin, à un éventuel recours à l’outil fiscal pour inciter les propriétaires à accepter des durées de contrat plus longues, à l’instar du droit américain[122]. Il faut espérer que toutes ces idées seront présentes dans le rapport lorsqu’il sera finalement établi par le gouvernement.

Conclusion

Si l’obligation réelle environnementale, telle qu’elle a été adoptée en droit français, a retenu notre attention, c’est parce que nous sommes convaincu de l’intérêt de cet instrument, dont les potentialités sont considérables et dont la souplesse permet l’application à de multiples terrains, dont les zones humides. Pour autant, l’obligation réelle environnementale n’est pas un dispositif juridique spécialement conçu pour protéger les zones humides. Simplement, l’analyse de son fonctionnement et les premières expériences de sa mise en oeuvre démontrent que l’outil se trouve bien adapté à cette mission même si, pas plus que d’autres dispositifs, l’obligation réelle environnementale ne parvient à garantir la pérennité de la protection, puisque sa durée est librement déterminée par les parties. Le législateur et les acteurs sur le terrain devront donc faire en sorte, par des incitations fiscales et une information adéquate, de favoriser le développement de cet instrument au service de la biodiversité, notamment des zones humides.