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Yaoundé carcérale. Géographie d’une ville et de sa prison est une conversion authentique d’une thèse de doctorat en livre. Présenté en version numérique, le livre de Marie Morelle est un mélange complexe et compliqué d’une thématique abordée en journalisme, histoire, sociologie, ethnographie et géographie. Nous le qualifions de complexe en raison du fait que chacune de ces disciplines dispose de sa terminologie, ses méthodes, sa manière d’aborder et de restituer les faits étudiés. En l’absence de la maîtrise des savoirs propres aux différentes disciplines, le mélange devient compliqué, aussi bien dans son état que dans sa forme. Le géographe qui lit le titre Yaoundé carcérale. Géographie d’une ville et de sa prison veut bien, dans un élan de curiosité, savoir comment l’auteur pose le problème de la prison centrale de Yaoundé qu’il se propose de résoudre, comment il entend le résoudre et quelles sont ses trouvailles.

Le livre de Marie Morelle comprend trois parties précédées d’une très longue introduction générale dans laquelle on trouve des expressions comme « économie de punition en ville » ( troisième paragraphe, p. 9 ) ; « études urbaines en lien avec une approche sociale et politique de la géographie » ( p. 9 ) ; « plusieurs approches de la géographie » (p. 9) ; « géographie(s) et enfermement » (p. 11)  ; « la ville carcérale » (p. 15) ; « la prison comme un terrain » (p. 25), qui retiennent immanquablement l’attention du lecteur géographe. Après une lecture horripilante, on cerne mal ce que l’auteur veut faire. S’agit‑il d’une revue de littérature ou d’une nouvelle ? La première partie, intitulée La prison en Afrique et au Cameroun : la construction d’un problème public, s’ouvre avec une introduction en pages 37 et 38. L’auteure y restitue une image de la prison corollaire d’un fort constat de désolation transformé en un enjeu politique. Viennent tour à tour les chapitres I ( Images et représentation de la prison en Afrique et Cameroun) et II ( La prison au Cameroun : l’inscription territoriale du pouvoir de l’État) qui s’inscrivent dans la logique du constat servant de fil conducteur aux réflexions de l’auteure.

En l’absence d’adéquation entre le titre du premier chapitre et son contenu, invoquer les standards internationaux, les réformes et réglementations, ainsi que la surpopulation confirme que la déshumanisation et l’humiliation servent plus que bien le système colonial, toujours sous grande protection. Le deuxième chapitre, écrit dans un style clair, se lit agréablement ; il combine notes de lecture et réflexions de l’auteure pour décrire ce qu’est la prison. S’il avait été écrit avec plus de rigueur aurait mieux servi la cause. Le sous‑titre Une cartographie politique des prisons camerounaises (p. 75) est mal choisi, car il existe une différence entre l’historique des prisons camerounaises et la cartographie politique des prisons camerounaises ( dresser une carte des prisons politiques). En lisant les pages 75 à 79, on constate qu’il s’agit bien d’une reconstitution de l’historique de ces prisons. La conclusion de la première partie couvre les pages 91 et 92. L’auteure y restitue assez bien les perceptions de la prison.

La deuxième partie du livre s’intitule Gouverner la prison centrale de Yaoundé. Elle comprend une introduction et les chapitres III et IV. L’introduction s’ouvre sur une question : « comment fonctionne la prison centrale de Yaoundé » ? L’auteure propose d’y répondre en se servant des logiques informelles, des logiques institutionnelles, des logiques de production d’un ordre carcéral négocié et de la logique de la pacification de la prison. Le recours à ces quatre logiques montre que Marie Morelle a une excellente compréhension de ce qui se passe à Kondengui. Les deux chapitres de cette partie, qui traitent de la production de l’espace carcéral, et de soi et des autres, s’arriment bien aux quatre logiques. Soulignons toutefois qu’une meilleure conception, appuyée sur des données recueillies, bien traitées et analysées, aurait apporté robustesse et rigueur scientifique aux efforts de l’auteure.

La troisième partie du livre a pour titre « Enfermer ou “s’arranger” » et se compose d’une introduction, des chapitres V et VI et d’une conclusion qui entraînent le lecteur dans des analyses sociologiques aux affirmations fragiles et douteuses. « Au Cameroun, du moins à Yaoundé, la prison apparaît aujourd’hui comme la peine des pauvres » (p. 141). En l’absence de faits vérifiables, il devient plus que difficile de souscrire à ce genre d’affirmation fragilisant tous les efforts déployés par l’auteure, qui a pourtant pris soin de montrer comment la structuration de l’espace carcéral de la prison centrale de Yaoundé respecte les logiques socio‑politico‑économiques. Il existe bel et bien, à la prison centrale de Yaoundé, une section réservée aux riches et aux hautes personnalités. Comment réconcilier cette réalité et l’affirmation de Marie Morelle ?

Le titre du chapitre VI, « Illégalisme et gouvernement urbain », prête à confusion. Toutes les anecdotes qui composent les sections Gérer l’incertitude et La routinisation de l’incarcération émeuvent, certes. Leur valeur scientifique reste toutefois à démontrer lorsqu’on exploite mal l’approche qualitative.

Même si les réflexions faites dans ce livre, parfois de façon caricaturale, devraient intéresser les géographes, sociologues, juristes, politologues, et les administrateurs pénitenciers, elles manquent de robustesse; elles sont un peu faibles. Les faiblesses proviennent surtout d’un manque de rigueur conceptuelle, méthodologique et de rédaction scientifique. Les cartes 1, 2, 3, 4, 5 et 6 ne sont pas des cartes, à proprement parler, car en l’absence des coordonnées géographiques, il s’agit vraisemblablement de croquis.

Après avoir lu Yaoundé carcérale. Géographie d’une ville et de sa prison, on se demande pourquoi parler de géographie d’une ville et de sa prison alors qu’on se trouve plutôt en présence d’un ensemble de réflexions sociologiques ou encore ethnologiques. Il n’y a pas de géographie dans ce document. Le fait d’utiliser de temps en temps les notions d’espace et de milieux urbains ne peut à lui seul conférer un caractère géographique à cette production éminemment sociologique. Le titre de ce livre est incongru, car il n’est pas en adéquation avec son contenu. Cela est d’autant plus vrai que, dans le premier paragraphe de la conclusion générale, on lit : « Cette recherche s’appuie sur une ethnographie de la prison centrale de Yaoundé ». Faire de l’ethnographie n’est pas faire de la géographie!