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Introduction

À mesure de leur avancée en âge, les personnes aînées sont susceptibles de connaître des problèmes de santé et une diminution des capacités qui rendent leur mobilité plus difficile (Lecours et al., 2013). Or, les villes n’ont pas été conçues pour répondre aux besoins de leurs citoyens plus âgés ou présentant des incapacités, et elles tardent à apporter les ajustements nécessaires dans leur aménagement. Les personnes âgées se trouvent ainsi confrontées à des obstacles qui restreignent ou empêchent l’accès à certains lieux (Clément et al., 1996 ; Lord et al., 2009 ; Séguin, 2012). Ces obstacles dans l’environnement urbain concernent notamment l’éloignement des services et commerces, l’insécurité des déplacements à pied et la desserte inadéquate en transport en commun (Michael et al., 2006) ; et ils pénalisent particulièrement les aînés. Faire ses courses, visiter des proches, s’adonner à des activités de loisir, tout cela peut donc exiger des efforts considérables, et ces difficultés peuvent avoir des répercussions négatives sur la participation sociale et la santé des aînés, en plus d’augmenter leur sentiment de solitude et d’isolement (Ziegler et Schwanen, 2011 ; Bigonnesse et al., 2018).

Cet état de fait impose aux personnes âgées d’adapter leurs pratiques quotidiennes pour maintenir leurs activés et leur mobilité à l’extérieur du domicile selon leurs limitations fonctionnelles, qui évoluent dans le temps. Si elles doivent parfois renoncer à certaines activités, elles arrivent souvent à contourner les difficultés en faisant preuve de détermination et de capacité d’adaptation (Caradec, 2008 ; Nordbakke, 2013 ; Stjernborg et al., 2015).

À l’aide du concept de déprise, un « processus de réaménagement de la vie » (Clément et Mantovani, 1999), nous analysons, dans cet article, les pratiques de déplacement des aînés. Nous décrivons les adaptations qu’ils apportent, les tactiques qu’ils développent et les ressources qu’ils utilisent pour maintenir leur mobilité dans un arrondissement central de Montréal : Rosemont–La Petite-Patrie. Nous examinons en outre les conséquences attribuables aux difficultés de mobilité sur d’autres activités de la vie quotidienne. Enfin, nous suggérons quelques pistes d’action au niveau local pour soutenir la mobilité des personnes aînées.

Le concept de déprise

Le concept de déprise, élaboré par des sociologues français dans les années 1990, désigne le « processus de réaménagement de la vie qui tient compte des modifications dans les compétences personnelles, de la trajectoire de vie antérieure, des situations interpersonnelles d’aujourd’hui, dans un contexte social particulier » (Clément et Mantovani, 1999 : 100). Ce processus produit de multiples reconversions que les gens réalisent avec l’avancée en âge (Caradec, 2007 : 15). Il s’agit d’un travail d’adaptation, d’un « principe d’économie des forces, comme formidable travail de prévention, ce souci des plus âgés de se ménager pour pouvoir continuer à tenir ce qu’ils privilégient et […] à faire des choix qui ont le plus grand sens dans leur vie » (Clément et Mantovani, 1999 : 101).

La déprise n’a rien d’un processus mécanique et irréversible ; elle revêt des formes variées. Ce concept permet, certes, de mettre au jour les renoncements, mais aussi les tactiques et résistances négociées par les personnes (Meidani et Cavalli, 2018). Caradec (2008) distingue quatre types de pratique de déprise : l’abandon sélectif, l’abandon-substitution, l’abandon complet et le rebond.

L’abandon sélectif peut se présenter en deux modalités : celle d’abandonner une activité jugée secondaire pour maintenir une activité jugée essentielle, et celle de poursuivre une activité, mais à plus petite échelle ou à un rythme plus lent. Par exemple, une personne aînée peut continuer à conduire sa voiture, mais sur des distances plus courtes. Une autre qui aime jardiner renoncera à la plantation de fleurs, mais conservera un petit potager. L’abandon-substitution consiste à remplacer une activité devenue trop exigeante par une autre qui l’est moins, mais qui se situe dans le même registre, comme cesser d’aller à l’église, mais regarder la messe à la télévision. L’abandon complet, qui se traduit par la cessation d’une activité, est le plus douloureux à vivre, surtout lorsqu’il se traduit par l’arrêt d’une activité importante aux yeux de la personne. Pour reprendre les exemples précédents, il consisterait à abandonner complètement la conduite automobile ou le jardinage. Enfin, le rebond consiste à renouer avec une activité après une interruption temporaire, comme ce peut être le cas après un incident de santé ou une chirurgie qui élimine ou réduit une incapacité (pose d’une prothèse du genou, par exemple).

Les obstacles à la mobilité constituent un facteur de déprise, car les personnes ayant des problèmes de santé ou des incapacités peuvent être appelées à modifier, voire à abandonner, les activités qui exigent de se déplacer. Mais les pratiques de mobilité quotidienne en tant que telles, quel que soit le mode emprunté, peuvent aussi être analysées sous l’angle de la déprise et de ses différentes déclinaisons. Nous proposons donc, dans cet article, non seulement d’analyser les impacts que les difficultés éprouvées dans les déplacements ont sur les activités quotidiennes, mais aussi d’examiner les transformations des pratiques de mobilité sous l’angle de la déprise.

Ressources individuelles et environnementales inégales et enjeux de mobilité

De nombreux auteurs de travaux sur la mobilité ont souligné les inégalités dans les pratiques de déplacement et l’existence différenciée de contraintes au déplacement selon les populations concernées (Le Breton, 2004 ; Orfeuil, 2004 ; Kaufmann et Widmer, 2005 ; Jouffe et al., 2015). Les pratiques de mobilité hors domicile ne sont pas seulement influencées par les compétences des personnes : capacités organisationnelles et cognitives, possession d’un permis de conduire, connaissance du système de transport en commun, etc. (Kaufmann et Widmer, 2005 ; Vandersmissen, 2012). Elles le sont aussi par les ressources matérielles et financières disponibles (possession d’une voiture par exemple), lesquelles sont inégalement réparties dans la population d’un même territoire et d’un territoire à l’autre (Orfeuil, 2004 ; Cresswell, 2010).

Avoir accès au soutien de différentes personnes peut aussi permettre de maintenir sa mobilité, notamment pour les déplacements plus difficiles ou plus lointains, comme une visite médicale dans un hôpital. Souvent informelle, cette aide est fréquemment non encadrée, ce qui la rend invisible et donc difficilement quantifiable. Dans un sondage québécois auprès des proches aidants de personnes de 65 ans et plus, concernant les soins et le soutien aux aînés recevant de l’aide en raison d’un problème de santé, d’une incapacité ou de problèmes liés au vieillissement, 80 % des aidants ont affirmé avoir offert des services de transport à la personne aidée (L’APPUI, 2016). Cependant, des contraintes de temps et de ressources des proches aidants peuvent limiter l’aide apportée à leur proche. De leur côté, les personnes isolées socialement ayant accès à un bassin limité d’aidants ont plus de mal à trouver un soutien pour leurs déplacements.

Les travaux sur le processus de production du handicap (Fougeyrollas, 2010 ; Sawchuk, 2014 ; Gharebaghi et al., 2018) et ceux de géographes (Hansen et Philo, 2007) ont aussi montré que les activités quotidiennes – dont les déplacements – d’une personne vivant avec des incapacités ne sont réalisables que s’il existe une bonne adéquation entre les capacités de cette personne et les caractéristiques de son environnement social (famille, amis, voisins, services publics et communautaires, etc.) et physique (aménagement, topographie, caractéristiques du bâti, etc.).

Les formes de déprise des personnes vieillissantes peuvent ainsi être conçues comme le résultat de nombreux facteurs, dont un environnement urbain inapproprié, mal ajusté à leurs besoins, une faible offre de ressources communautaires locales, ou encore un réseau social très limité. Cette perspective permet de mettre l’accent sur la responsabilité collective dans le maintien des prises des individus âgés, pour rependre le terme de Caradec (2018), sur leur mobilité et, plus globalement, sur leur vie quotidienne.

Dans ce texte, nous souhaitons mettre en lumière les formes d’adaptation, les tactiques et les résistances négociées par les personnes âgées pour maintenir leur mobilité. Nous aborderons ensuite les formes de déprise qui découlent d’une mobilité restreinte ou difficilement praticable. Pour documenter les éléments qui rendent (im)possible la mobilité, nous accorderons de l’importance au contexte spatial, qui n’est pas toujours approprié, en nous intéressant aux expériences du déplacement lors de trajets réalisés par différentes personnes âgées.

Méthodologie

Population et territoire étudiés

Cette recherche sur les mobilités quotidiennes de personnes âgées a été réalisée à Montréal. L’étude a porté sur des résidents de Rosemont–La Petite-Patrie, un des arrondissements les plus populeux de la métropole, avec plus de 139 590 résidents, dont 15 % étaient âgés de 65 ans ou plus, en 2016. L’arrondissement est desservi par trois stations de métro et plusieurs lignes d’autobus. Il est également doté de cinq artères commerciales regroupant commerces et services variés. En 2016, les ménages d’une seule personne représentaient 49 % des ménages privés de l’arrondissement, et 21 % des personnes de 65 ans ou plus avaient un faible revenu (Ville de Montréal, 2018 : 12‑29). Notre recherche a été réalisée dans un type particulier d’environnement où l’accessibilité spatiale aux services et commerces est généralement bonne et où les solutions de rechange aux déplacements en automobile sont assez répandues. De ce fait, nous ne prétendons pas rendre compte de l’expérience des personnes aînées dans tous les quartiers montréalais.

L’étude porte sur des personnes de 70 ans ou plus qui vivent seules et qui peuvent avoir certaines difficultés à se déplacer. Nous voulions ainsi observer des personnes d’un âge avancé, plus susceptibles que d’autres de se heurter à des contraintes de mobilité (tous modes de transport confondus) et devant faire tous les déplacements nécessaires à leur maintien à domicile sans pouvoir compter sur un autre membre du ménage pour les trajets plus difficiles. Les participants à l’étude pouvaient recourir à une aide à la mobilité (canne, déambulateur, fauteuil motorisé), mais devaient être capables de se déplacer sans être soutenus physiquement par une autre personne. La collecte de données s’est déroulée à l’automne 2014, en tout respect des règles canadiennes d’éthique en recherche.

Collecte et analyse de données

Les participants ont été sollicités dans des lieux susceptibles d’être fréquentés par une clientèle aînée : commerces, associations ou organismes locaux et résidences pour personnes âgées. La première auteure de l’article a diffusé l’information, rencontré des aînés lors d’activités organisées et sollicité leur aide pour inviter leurs proches à y participer. Les données ont été recueillies en plusieurs phases. La première a consisté à collecter des données « objectives » sur les déplacements des participants (par exemple, heures de départ et de retour, fréquence de déplacement, destinations, moyens de transport) à l’aide d’un questionnaire, ainsi que d’un appareil de système de positionnement mondial (Global Positioning System [GPS]) et d’un carnet de déplacements qui leur étaient remis. Le questionnaire a servi à recueillir de l’information pour établir leur profil. Le GPS et le carnet ont permis de collecter des données sur les déplacements effectués durant sept jours consécutifs. Les données GPS ont ensuite été cartographiées et analysées à l’aide de statistiques descriptives. Ces résultats ont été présentés plus en détail ailleurs (Wiebe, 2018). Dans le cadre de cet article, seules les informations concernant les principales caractéristiques des déplacements sont présentées.

Ensuite, des entrevues individuelles, notre principal outil de collecte, ont été réalisées auprès de ces mêmes participants afin de connaître leur expérience de mobilité. D’une durée moyenne d’une heure et demie, les entrevues ont d’abord permis de présenter au participant la carte de ses déplacements et de l’interroger sur ses pratiques et activités durant la semaine de collecte de données afin de valider certaines informations. Les thèmes abordés subséquemment ont été les suivants : l’expérience de la mobilité (lieux agréables ou désagréables à fréquenter, expérience des trajets parcourus, lieux vers lesquels l’accès est problématique, présence d’obstacles ou d’éléments facilitateurs de la mobilité) ; la perception de l’état de santé et ses répercussions sur les déplacements ; la manière de faire face aux difficultés rencontrées (modifications pour les contourner, sorties abandonnées, etc.). Les entrevues ont été enregistrées et transcrites et les noms des participants ont été changés pour assurer leur confidentialité.

L’analyse des données qualitatives est inspirée de l’approche de Huberman et Miles (1991) qui préconisent une formalisation et systématisation du processus d’analyse, qui passe notamment par la codification des données. Le guide de codage est basé sur des thèmes préétablis découlant du cadre conceptuel, mais il intègre aussi quelques mots-clés qui ont émergé durant la collecte de données (tableau 1).

Caractéristiques des participants à l’étude

Au total, 21 personnes ont participé à notre étude, principalement des femmes (19). Leur âge moyen (au moment de l’étude) est de 79 ans. Près de la moitié (9) n’ont pas poursuivi d’études au-delà de la 9 e année, les autres ayant une formation collégiale (7) ou universitaire (5). Leur niveau de revenu est très modeste (de 0 à 20 000$/an) ou relativement modeste, voire moyen (de 20 001 à 40 000$/an). La majorité ont des enfants (17), mais qui n’habitent pas toujours à proximité : 12 participants ont au moins un enfant vivant soit sur l’île de Montréal, soit dans la couronne nord (incluant Laval) ou sud (incluant Longueuil).

Leurs capacités de déplacement sont très diversifiées : 8  participants se déplacent à pied sans aide à la mobilité ; les 13 autres se déplacent à l’extérieur du domicile avec une canne, un déambulateur ou en fauteuil motorisé ; 7 possèdent une voiture et 10 ont une attestation qui leur permet d’utiliser le transport adapté offert par la Société de transport de Montréal (STM). Ce service est un transport collectif de porte-à-porte qui fonctionne sur réservation et s’adresse aux personnes ayant une déficience ou des limitations importantes sur le plan de la mobilité.

Outre les incapacités liées directement à la mobilité, plusieurs participants ont mentionné d’autres limitations, lors de l’entrevue : problèmes de vision, de tonus musculaire, ou encore difficultés auditives rendant leurs déplacements problématiques. Certains ont également dit souffrir d’une fatigue accrue, de malaises soudains ou d’étourdissements augmentant les risques de chute ou d’accident.

Résultats

Difficultés de mobilité des personnes aînées

Les obstacles le plus souvent mentionnés par les participants relèvent de l’aménagement urbain, de l’entretien et de la gestion des infrastructures. Même si la recherche porte sur un arrondissement montréalais où les services et commerces sont accessibles à de relativement courtes distances et où l’offre de transport collectif est bonne (trois stations de métro et nombreuses lignes d’autobus, dont plusieurs à fréquence élevée), de nombreux participants éprouvent de la difficulté à se déplacer vers les principaux commerces et services (épicerie, pharmacie, restaurant, café, etc.). L’absence de lieux de repos sur le trajet, de bateaux pavés (abaissements de trottoir) ou de refuges pour piétons dans les grandes artères et de nombreux autres facteurs comme le réglage des feux pour piétons et des trottoirs fissurés amplifient les difficultés des personnes aînées, qui ont peur de perdre l’équilibre, de tomber ou de ne pas avoir suffisamment de temps pour traverser la rue.

Par ailleurs, l’accès aux bâtiments et leur aménagement intérieur affectent la faisabilité des déplacements. Les obstacles mentionnés le plus souvent sont la présence de marches, l’absence de portes automatiques, d’une rampe ou d’un escalier mécanique, ainsi qu’un espace insuffisant pour circuler à l’intérieur des édifices. L’absence d’un vestibule et de mobilier empêche par ailleurs les aînés de se reposer avant de retourner chez eux.

Les difficultés varient en outre en fonction des saisons. La pluie, les périodes de canicule et certains effets du microclimat (absence d’ombre et vents soutenus) peuvent rendre les déplacements difficiles. En hiver, la capacité de déplacement est plus limitée que le reste de l’année, les aînés ayant de la difficulté à enjamber les bancs de neige et craignant de glisser sur une surface glacée. Les personnes se déplaçant en fauteuil motorisé ou avec un déambulateur sont souvent incapables de manoeuvrer leur appareil lorsqu’il y a trop de neige.

Ces observations n’ont rien d’étonnant, car de nombreuses recherches démontrent que le risque de chute est bien réel chez les aînés et que les conditions hivernales rendent les déplacements périlleux. Les blessures graves causées par la présence de glace au sol sont responsables de nombreuses hospitalisations, au Canada. Les chutes peuvent entraîner des blessures, parfois graves, et même une perte considérable d’autonomie (ASPC, 2014 ; Morales et al., 2014 ; Negron-Poblete, 2015).

TABLEAU 1

Traitement et analyse des données qualitatives

Traitement et analyse des données qualitatives
Conception : Wiebe et Séguin, 2019

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Confrontés à ces difficultés, les participants à notre étude réagissent de différentes manières : en abandonnant certains déplacements et en modifiant des pratiques, parfois en faisant preuve d’inventivité ou en sollicitant de l’aide, en mobilisant des ressources particulières, ou encore en planifiant très attentivement leurs déplacements pour réduire les difficultés.

Modification des pratiques et tactiques de déplacement pour éviter des mobilités pénibles

Adopter un rythme plus lent

La réalisation d’un déplacement en plusieurs étapes, avec des pauses, est une pratique courante chez les personnes interrogées afin de ménager leur énergie. Voici l’exemple de Mme Paquin, qui découpe son trajet en étapes précises.

Je pars d’ici. Je me rends au stop d’autobus. Là je m’assois. Là je continue jusqu’au collège. […] Puis là, il y a des gros blocs de ciment. […] Là je m’assois sur un bloc. […] Puis là, je suis reposée, puis je repars. (…) Un peu plus loin, il y a une table de pique-nique. […] J’arrête […]. Puis après, je me rends [au domicile]. [… Faire] tout ça, tout d’un coup, ça serait plus difficile. J’arriverais trop épuisée

Mme Paquin, 70 ans, se déplaçant avec une canne

L’adoption d’un rythme de marche plus lent permet de mieux repérer les obstacles sur le trajet (inégalités ou trous dans les trottoirs et hauteur des marches). Laisser passer la foule avant d’emboîter le pas évite de se faire bousculer. Cette préoccupation à l’égard des foules rejoint les observations de Clément et al. (1996), en France. Les participants à notre étude ont évoqué leur prudence et une observation plus attentive des détails du parcours comme autant de stratégies pour éviter les chutes ou pour ménager leur énergie : « Je fais attention. Il faut que je regarde. […] Quand ça se bouscule, j’attends […] Le métro, il passe à peu près toutes les 8-10 minutes. […] Plutôt que de tomber, […] j’y vais tranquillement puis j’prends mon temps » (Mme Saint-Amour, 81 ans).

Prendre son temps permet aussi de préparer les tâches complexes nécessaires à la traversée d’une grande voie routière. Selon Lachapelle et Cloutier (2017), il faut choisir le bon endroit et le bon moment pour traverser, et analyser la circulation routière. Nos résultats appuient ces constats. En présence d’un feu de circulation avec décompte numérique pour piétons, de nombreuses personnes interrogées mentionnent qu’elles s’assurent de partir au début du cycle pour piétons pour avoir suffisamment de temps pour traverser. L’inadéquation entre les normes de régulation du trafic et les capacités des personnes âgées complique cependant les traversées des rues[1]. Dans le quartier montréalais étudié, les feux de circulation sont normalement réglés en fonction d’une cadence de marche trop rapide, rendant difficile la traversée de larges chaussées dans les temps alloués, surtout lorsqu’il y a absence d’aménagements (terre-plein avec refuge pour piétons, par exemple) qui permettraient une traversée en deux étapes, particulièrement pour les personnes qui se déplacent avec une aide à la mobilité.

Optimiser l’itinéraire et varier les moyens de transport

Les propos des participants indiquent qu’ils sélectionnent avec soin les moyens de transport les plus appropriés selon la situation et le contexte du déplacement. Une des observations les moins documentées dans la littérature qui est ressortie de notre étude est que de nombreux participants (17) varient leurs modes de déplacement : ils se déplacent à pied, en fauteuil motorisé ou avec un déambulateur, en auto (comme conducteurs ou passagers), en métro, en autobus, en transport adapté ou en taxi. Ceux qui possèdent une automobile évitent de l’utiliser pour se rendre dans des lieux où les stationnements sont trop coûteux ou peu nombreux (hôpitaux, centre-ville et rues commerciales achalandées) et empruntent plutôt le transport en commun. Deux participants entreposent leur voiture dans le garage de leur immeuble durant la saison hivernale pour ne pas avoir à conduire dans la neige, même si, comme le mentionne Mme Horvath (80 ans), cela « va réduire presque au minimum [les] sorties en hiver ».

La desserte plutôt généreuse en transport en commun dans plusieurs secteurs de l’arrondissement permet aux participants d’adapter l’itinéraire et les options de transport selon leur état de santé, leur niveau de fatigue, l’horaire, la topographie, etc. Certaines personnes prennent l’autobus, ne serait-ce que pour un arrêt, pour minimiser le trajet à pied. Lorsqu’ils ont le choix, les participants préfèrent généralement se déplacer en autobus plutôt qu’en métro, en raison des nombreux escaliers et des pannes fréquentes des escaliers mécaniques qui donnent accès aux quais d’embarquement. Comme les fortes pentes augmentent la pénibilité des déplacements piétonniers, ils tentent de les éviter en prenant des rues parallèles moins pentues. Enfin, les participants utilisent occasionnellement le taxi lorsque les trajets piétons sont trop risqués.

Solliciter de l’aide de proches pour permettre ou faciliter le déplacement

Pour certains déplacements jugés difficiles, les personnes âgées mobilisent leur réseau social ou des organismes communautaires. L’accompagnement est une pratique assez répandue chez elles, le quart y ayant recours. Plusieurs mobilisent des proches possédant une auto pour aller à l’épicerie, pour effectuer des achats occasionnels comme les vêtements et les objets difficiles à transporter ou pour les accompagner à l’hôpital ou visiter des proches. L’accompagnement ne se fait pas toujours en auto ; il peut aussi se faire à pied ou en transport en commun, une autre observation moins documentée dans la littérature. Certaines personnes préfèrent sortir accompagnées pour augmenter leur sentiment de sécurité au cas où surviendrait une faiblesse ou un malaise.

On magasine à deux – ma voisine et moi – puis on se repose à deux. […] Parce que […] si on est mal pris, s’il y en a une qui a une faiblesse ou quelque chose… au moins, on a quelqu’un qui nous connaît. […] Je me sens plus sécurisée si je pars avec une compagne

Mme Paquin, 70 ans, se déplaçant avec une canne

Pour les participants, le réseau social constitue une ressource importante sur le plan de la mobilité. S’ils sont accompagnés, ils le sont souvent par leurs enfants, mais également par des membres de leur fratrie, des amis ou des voisins et, même, par des membres du réseau plus élargi, notamment des personnes qui fréquentent le même centre de loisirs. Mais il est important d’ajouter que l’étendue du réseau social (le nombre de personnes) et le niveau de ressources possédées par les membres de ce réseau (revenu et accès à une auto, par exemple) peuvent varier grandement, comme le montrent les deux exemples suivants, l’un illustrant l’absence de possibilité d’aide et l’autre, la présence.

Ma voisine […] a un ami qui vient la chercher depuis de nombreuses années. […] Il a une voiture ; elle sort. Puis elle a une fille ; elle sort. […] Moi, ma fille reste en Ontario. […] Elle travaille. Elle a des responsabilités familiales

Mme Côté, 86 ans, se déplaçant en fauteuil motorisé

Je ne sors pas […] s’il y a beaucoup de neige. Mon amie de femme va venir. Elle va aller au [supermarché] ou si je suis mal prise, mon garçon va descendre. Son bureau est ici à Montréal, mais il reste à Pincourt. Il va me dire, maman, tu as besoin de quoi là, je m’en viens. […] Mais j’essaye de ne pas l’achaler trop. C’est trop loin. […] Ma fille aussi. […] Ils travaillent. Ils ont leurs familles, puis moi je ne veux pas être dans le chemin sans raison

Mme Thibault, 83 ans, se déplaçant avec un déambulateur

De nombreux participants essaient de ne pas trop en demander à leurs proches, de peur de déranger, par désir d’indépendance ou parce que leurs aidants potentiels travaillent ou ont des enfants ou petits-enfants dont ils s’occupent, ce que corroborent d’autres recherches (Quiroga, 2015 ; Séguin et al., 2017).

Utiliser des ressources matérielles et des objets

Les personnes âgées mobilisent divers objets et ressources matérielles pour réaliser leur mobilité. La possession d’une auto augmente la mobilité et permet de pallier certaines incapacités, comme c’est le cas de Mme Beaulieu (84 ans) et de M. Pham (84 ans) qui se déplacent tous les deux avec une canne et disent avoir plus de facilité à conduire qu’à marcher. L’utilisation du déambulateur ou d’une canne permet de bénéficier d’un meilleur soutien pour éviter des chutes. Lorsque muni d’un siège, le déambulateur permet aussi de réaliser le trajet par étapes sans avoir à repérer un banc. Ainsi, Mme Johnson (77 ans) souligne : « Moi, j’ai jamais besoin de bancs [pour me reposer], je m’assois sur mon déambulateur. »

L’hiver, Mme Horvarth (80 ans) munit sa canne d’un pic à glace pour une meilleure stabilité. La possession d’un téléphone cellulaire a aussi été évoquée comme élément contribuant au sentiment de sécurité. En outre, plusieurs participants se servent d’un cabas à roulettes pour transporter leurs achats ou effets personnels. Ceux qui se déplacent avec un déambulateur ou en fauteuil motorisé utilisent un panier qui y est fixé à cet effet.

Planifier le déplacement

La planification attentive des déplacements constitue, pour plusieurs, une condition essentielle pour assurer la faisabilité de la sortie et limiter les risques de blessures. Lorsqu’ils peuvent choisir entre plusieurs destinations (pour faire des achats, par exemple), les aînés optent davantage pour les édifices munis d’une porte automatique, d’une rampe d’accès, d’un ascenseur ou d’un escalier mécanique, et où les allées sont suffisamment larges. Ils sont également nombreux à avoir besoin d’un endroit équipé de mobilier (chaises, bancs, tables) pour l’attente ou le repos. Cet espace à l’abri des intempéries permet toutes sortes de gestes banals comme se reposer après un trajet éprouvant ou durant ses activités, vérifier la facture après avoir fait des achats ou bien remédier à un malaise soudain. Il est essentiel pour les personnes qui doivent attendre le transport adapté.

Les aînés évitent certains moments de la journée (intempérie, obscurité, heure de pointe) pour ne pas tomber ou avoir à naviguer dans les foules ou pour pallier des problèmes de vision. Les personnes dont la mobilité est précaire se renseignent sur les caractéristiques de leur destination. Elles vont téléphoner au restaurant pour savoir s’il y a un stationnement, une rampe d’accès, et s’il est nécessaire d’emprunter des escaliers pour se rendre aux toilettes. Les participants qui utilisent le transport en commun s’informent couramment auprès de la société de transport concernant le meilleur trajet, la présence, l’emplacement et la bon fonctionnement des escaliers mécaniques dans l’édicule du métro.

Durant le déplacement, ils doivent demeurer alertes et s’assurer de bonnes conditions, par exemple se stationner près de l’entrée, repérer l’ascenseur, connaître les endroits où l’on peut s’asseoir. L’organisation des déplacements repose donc sur une multitude d’aptitudes et de capacités et peut provoquer beaucoup de stress chez certaines personnes, comme dans le cas de M. Pham : « Chaque fois que je dois aller à l’hôpital pour un rendez-vous afin de passer un examen de routine, la nuit, la veille de l’examen, je ne peux pas dormir. Je planifie. Je dois chercher le moyen d’aller à l’hôpital » (M. Pham, 84 ans, se déplaçant avec une canne).

La planification des rendez-vous médicaux est particulièrement difficile pour les personnes qui utilisent le service de transport adapté. Avant de réserver leur transport, elles doivent évaluer la durée du trajet, incluant un possible retard de 30 minutes que s’accorde la société de transport pour des raisons logistiques. Elles doivent ensuite se renseigner pour connaître la durée approximative du rendez-vous, pour finalement convenir d’une heure de retour avec la société de transport. Le jour du rendez-vous, elles doivent s’assurer d’être prêtes à temps. Lorsque les rendez-vous sont plus longs ou plus tard que prévu, le rajustement de l’heure du retour du transport adapté impose des délais importants. L’attente peut se révéler particulièrement pénible lorsqu’il n’y a pas de lieu à l’abri des intempéries pour être à proximité et prêt immédiatement à l’arrivée du véhicule de transport.

La pénibilité des déplacements comme facteur de déprise

Jusqu’ici, nous avons examiné les difficultés des déplacements en tant que telles et les tactiques nécessaires pour y obvier. Nous allons maintenant nous intéresser aux formes de déprise qui découlent d’une mobilité pénible, voire impraticable, selon les quatre types de pratique décrits par Caradec (2008) : abandon sélectif, abandon-substitution, abandon complet et rebond.

Abandon sélectif

De nombreuses études ont montré que les personnes aînées ont tendance à abandonner la fréquentation de certains lieux lointains au profit de destinations locales et à se déplacer moins souvent (Drulhe et al., 2007 ; Lord et al., 2009 ; Chapon, 2011 ; Quiroga, 2015). Les parcours GPS des participants confirment ces résultats et montrent que les personnes âgées recourent plus souvent aux services et équipements de proximité (commerces, services, parcs). Plus du tiers des déplacements des participants à notre étude s’effectuent vers des destinations relativement proches, soit à un kilomètre ou moins du domicile.

Par exemple, Mme Paquin (70 ans) continue de faire des promenades dans le parc juste en face de son domicile, mais a cessé de fréquenter un grand parc nature situé dans le nord de la métropole depuis qu’elle a des problèmes de genoux qui l’empêchent de prendre l’autobus ou le métro. Mme Marois, dans l’exemple suivant, affirme qu’elle se rend moins souvent qu’auparavant dans un centre commercial où elle a travaillé pendant de nombreuses années.

[Le centre commercial], c’est plus difficile [pour s’y rendre]. Parce qu’on prend [l’autobus sur] Beaubien, on débarque boulevard des Galeries d’Anjou. Mais il y en a pas mal long à marcher avant d’arriver au centre d’achats […]. Fait que j’y vais moins. J’y vais une fois de temps en temps. […] Puis pourtant, j’aimerais ça parce que j’ai travaillé là 26 ans

Mme Marois, 85 ans

Abandon-substitution

L’abandon-substitution peut se concrétiser par le remplacement d’une activité devenue trop exigeante par une autre qui l’est moins. Les aînés tentent de continuer à pratiquer des loisirs et des activités sociales, mais en modifiant leurs pratiques. Plusieurs participants ont exprimé le besoin de sortir pour se maintenir en santé physiquement, pour leur bien-être. Lorsque les conditions hivernales rendent les déplacements trop risqués ou lorsque leur santé est mauvaise, ils modifient leurs habitudes et optent pour de petites promenades à l’intérieur, notamment dans le corridor de l’immeuble, montent et descendent l’escalier intérieur ou font des exercices modérés à domicile pour bouger un peu.

Afin de maintenir les liens avec des membres de leur famille ou des amis, les personnes demandent parfois à être visitées plutôt que de se déplacer, ou elles se tournent vers des échanges téléphoniques. Par exemple, Mme Horvarth (80 ans) utilise beaucoup le téléphone, et ses appels peuvent durer plusieurs heures. Elle qualifie d’ailleurs cette activité de « visite téléphonique ». Elle a aussi créé un groupe d’appels pour contrer l’isolement des personnes âgées.

Le recours au service de livraison offert par des supermarchés est relativement courant chez les participants, même s’ils préfèrent se rendre à l’épicerie par leurs propres moyens pour choisir leurs aliments ou tout simplement par plaisir, et faire livrer ensuite leurs emplettes, évitant ainsi de transporter des charges trop lourdes. Les commandes par téléphone sont plutôt réservées à des situations exceptionnelles (maladie, intempéries, etc.), lorsque le déplacement est trop risqué. Plusieurs participants utilisent aussi le service de livraison de la pharmacie, évitant ainsi de se déplacer pour renouveler leurs ordonnances.

Abandon complet

Nous avons observé des situations d’abandon complet de certaines activités. La lourdeur de la planification, la douleur physique, les efforts et la concentration nécessaires, ainsi que les risques inhérents aux déplacements découragent certaines personnes de sortir de leur domicile. Même lorsqu’elles ont planifié toutes les étapes de la sortie pour limiter les imprévus, si l’un des arrangements se défait (bris d’escalier mécanique, trajet d’autobus dévié, désistement d’un accompagnateur, etc.), l’accès au lieu est compromis. Ainsi, les possibilités de sortie se restreignent ; elles deviennent moins variées et les personnes âgées se limitent davantage aux sorties utilitaires. Mme Champagne (73 ans) témoigne de cet état de fait : « Ça limite beaucoup ce qu’on fait. On n’a plus de sorties, finalement… sauf pour aller faire l’épicerie. »

Tandis que les personnes interrogées se débrouillent assez bien pour faire leurs emplettes, seules ou avec un peu d’aide, d’autres sorties sont beaucoup plus complexes. La majorité ont tendance à abandonner les sorties culturelles ou de divertissement, car difficiles à organiser : faire l’achat des billets, s’assurer d’avoir une place pour personne handicapée, connaître les accès au bâtiment, sans compter le coût d’entrée. Les activités extérieures achalandées (festivals, concerts, marchés aux puces, etc.) se révèlent aussi moins adaptées à leurs besoins en raison de la présence de foules et du risque de bousculade. Les aînés qui se déplacent avec une aide à la mobilité ont souvent le sentiment d’être dans le chemin des autres parce qu’ils se déplacent plus lentement ou parce qu’ils prennent plus d’espace. Clément et al. (1996) évoquent également un sentiment d’incompétence généré par les déplacements piétonniers dans les foules. Enfin, les fêtes de famille nécessitent parfois un accompagnement pour s’y rendre. Étant donné qu’ils ne veulent pas déranger, ils préfèrent, dans certains cas, ne plus y participer.

Rebond

Finalement, le phénomène de rebond – la reprise des activités – est plus rarement observé. Pour quelques participants, quand ils obtiennent le droit d’utiliser le transport adapté, des lieux redeviennent accessibles. Chez certains, des chirurgies (stimulateur cardiaque, opération de genoux ou de hanches) peuvent améliorer leur capacité de mobilité. En outre, si des personnes âgées rencontrent parfois des obstacles insurmontables et doivent faire demi-tour, elles ne baissent pas nécessairement les bras et essaient de nouveau lorsque les conditions sont plus favorables ou en adaptant leurs pratiques, comme nous l’avons vu plus haut.

La nécessité collective d’améliorer les environnements quotidiens

Nous avons montré que les difficultés liées à la mobilité des personnes aînées sont de différents ordres: brièveté des feux pour piétons, mauvais entretien des trottoirs, absence de mobilier urbain, design intérieur des bâtiments mal conçu, absence d’espaces de stationnement, ou encore transports en commun inadéquats.

Ne pas reconnaître les besoins particuliers des personnes âgées sur les plans architectural, d’aménagement urbain et d’entretien des infrastructures, c’est contribuer à leur exclusion et les empêcher de participer pleinement à la vie sociale (Mahmood et Keating, 2012 ; Séguin, 2012 ; Stjernborg et al., 2015). Il importe donc que les acteurs, tant gouvernementaux (fédéraux, provinciaux et municipaux) que privés (commerces et propriétaires de logements, notamment) ou associatifs (groupes communautaires, groupes d’entraide) travaillent de concert pour mieux répondre aux besoins de mobilité d’une population âgée croissante, qui comptera pour 25 % de la population québécoise en 2031 (Payeur et Azeredo, 2015 : 23). Cela nécessitera des investissements considérables ; mais de nombreuses modifications à l’environnement urbain susceptibles de soutenir la mobilité des aînés seront aussi utiles pour d’autres segments de population, comme les parents qui se déplacent avec de jeunes enfants ou avec une poussette et des personnes plus jeunes en situation de handicap ou temporairement malades. Les villes seront donc plus hospitalières pour tous, et non pas exclusivement pour les aînés.

Conclusion

Cette recherche a permis de documenter la complexité de la mobilité des personnes âgées et de valoriser leurs capacités d’adaptation, de résistance aux embûches et leur détermination à continuer leurs activités malgré les nombreux obstacles rencontrés. Elle montre aussi que l’abandon d’activités importantes à leurs yeux peut être la conséquence de multiples obstacles socio- et spatio-environnementaux qui entravent la mobilité.

Les résultats illustrent le caractère différentiel de la déprise et montrent la variété des tactiques que les personnes aînées déploient pour contourner les contraintes. Tandis que les unes se déplacent encore avec une certaine facilité, d’autres doivent composer avec des limitations fonctionnelles plus importantes et doivent s’adapter, voire abandonner certains déplacements. Certaines personnes peuvent recourir à l’aide des proches, tandis que d’autres n’ont que peu ou pas d’aide pour se déplacer.

Notre recherche a porté sur un arrondissement central de Montréal où les services et commerces sont accessibles à de relativement courtes distances et où l’offre de transport en commun est bonne. Les résultats observés ne peuvent être étendus à d’autres milieux, par exemple suburbains ou ruraux, dans lesquels les distances d’accès aux services sont généralement plus importantes et où la dépendance à l’automobile est plus forte. De futures recherches pourraient explorer ces types d’environnement.

Si nous voulons que nos villes soient hospitalières pour nos citoyens âgés, appelés à être de plus en plus nombreux, il est nécessaire d’intégrer leurs besoins dans la planification de l’aménagement de l’espace et des transports, la localisation des commerces et services et dans l’architecture. Plusieurs domaines prioritaires d’intervention devraient être considérés. À l’échelle du bâtiment, l’accessibilité universelle est essentielle. L’offre commerciale et la préservation de sa vitalité dans les quartiers résidentiels contribuent au bien-être des personnes âgées. Le réaménagement de certains parcours vers ces destinations significatives pour elles est une avenue d’intervention à prioriser. D’autres interventions possibles se situent sur le plan de l’aménagement et de l’entretien des trottoirs, la gestion et l’aménagement des infrastructures routières (réglage des feux de circulation, présence d’un refuge pour piétons dans les grands axes, etc.). En outre, les instances locales pourraient développer les services de transport d’accompagnement vers différentes destinations[2] et faire découvrir les solutions de rechange à l’automobile par des formations pour les aînés.

Le maintien à domicile est au coeur de plusieurs politiques du vieillissement du gouvernement québécois (Gouvernement du Québec 2018), qui a mis sur pied la démarche Municipalité amie des aînés (MADA) à laquelle la Ville de Montréal et l’Arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie ont adhéré [3]. Les résultats de cette étude éclairent certains enjeux de mobilité vécus par les aînés et les adaptations à apporter pour améliorer leur qualité de vie. Pour des retombées concrètes sur la qualité de vie des aînés, la démarche MADA devrait être au centre de tous les domaines d’intervention de la Ville, et sa mise en oeuvre adéquatement financée. Les interventions visant les aînés devraient être systématiquement intégrées aux politiques, plans et règlements municipaux (déneigement, accessibilité universelle, habitation, plans locaux de déplacement, programmes particuliers d’urbanisme, etc.) et de façon cohérente entre les échelles décisionnelles (ville, arrondissement, agglomération).

Toutefois, avant toute chose, les personnes âgées sont les mieux placées pour cerner leurs besoins et déterminer les principaux défis qu’elles rencontrent au quotidien, dans leur mobilité. Elles devraient donc faire partie intégrante d’une démarche de caractérisation des problèmes et de recherche de solutions.