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Introduction

L’influence qu’exerce l’origine sociale de l’apprenant sur ses chances de réussite scolaire est une problématique qui alimente les analyses en sociologie de l’éducation (Duru‑Bellat, 2002; Duru‑Bellat et Van Zanten, 2009). Une des approches s’oriente sur la question des inégalités scolaires induites par les inégalités de revenus familiaux. La théorie de la reproduction sociale par l’école (Bourdieu et Passeron, 1970) domine toujours dans les opinions qui soutiennent que les inégalités sociales se perpétuent en produisant des inégalités de réussite scolaire entre enfants d’origines sociales différentes. Le Burkina Faso, à l’instar de la plupart des pays du monde, s’est engagé à atteindre, au plus tard en 2030, l’Objectif de développement durable (ODD) no 4, qui vise à « assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». Peut-on garantir un accès égalitaire à une éducation de qualité dans un contexte où le monde de l’éducation n’offre pas toujours un accès égalitaire aux ressources éducatives, surtout celles qui accompagnent les approches et les outils pédagogiques et didactiques innovants? En effet, dans la dynamique des mutations marquées par une expansion de l’usage du numérique, les technologies de l’information et de la communication (TIC) prennent de plus en plus d’assises dans tous les domaines d’activité humaine. Elles désignent l’ensemble des outils électroniques permettant le recueil, l’enregistrement, le stockage, le partage et la diffusion des informations. À l’évidence, le rythme accéléré du développement technologique dans le monde entier exige la rénovation des systèmes éducatifs. Ainsi se construisent des approches pédagogiques centrées sur l’exploitation des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE).

L’UNESCO (2010) reconnaît que les TIC peuvent contribuer à améliorer l’accès universel, l’équité, la pratique d’un enseignement/apprentissage de qualité, le développement professionnel des enseignants et la mise en oeuvre d’une gestion, d’une gouvernance et d’une administration de l’éducation plus efficace. (47e Conférence internationale de Genève en 2004 sur l’éducation de qualité pour tous les jeunes (EQPTJ))[1]. La déclaration du Forum mondial sur l’éducation à Incheon en 2015 soutenait que « les technologies de l’information et de la communication doivent être mises à profit pour renforcer les systèmes éducatifs, la diffusion du savoir, l’accès à l’information, ainsi que l’efficacité et la qualité de l’apprentissage, et pour assurer une offre de services plus performante » (UNESCO, 2015).

Le Burkina Faso a amorcé depuis les années 1980 une phase d’intégration des TIC dans ses établissements d’enseignement. Selon Sia (2012), c’est à la rentrée scolaire de 1986‑1987 que l’informatique fut expérimentée dans douze établissements[2]. Les objectifs de ce programme étaient, entre autres, la formation des élèves, des enseignants et du personnel administratif à l’utilisation de l’ordinateur comme outil de travail. Ce programme devait permettre aux enseignants d’intégrer l’outil informatique dans leurs pratiques pédagogiques et aux administrateurs scolaires d’utiliser l’ordinateur comme outil de gestion. Aujourd’hui, les TIC sont utilisées dans l’administration scolaire, notamment dans la saisie des documents administratifs, des listes des élèves, des devoirs, du traitement des notes en fin d’année ainsi que dans l’élaboration des listes des candidats aux différents examens scolaires (Sia, 2012). D’autres initiatives, notamment le Programme Global Teenager Project (GTP), « Word Links », le projet Technologie de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement, le projet cyber centres scolaires et le projet pilote e‑school du Nouveau Partenariat Économique pour le Développement économique de l’Afrique (NEPAD) ont permis d’équiper les établissements en matériel informatique et de former plusieurs acteurs du système éducatif. En 2013, une cyberstratégie sectorielle dite « e‑Éducation » fut élaborée. Selon le rapport de la politique nationale de développement de l’économie numérique (PNDEN, 2016), cette cyberstratégie envisage entre autres 1’« amélioration de l’accès aux TIC ». Il s’agit d’une mise en place progressive d’infrastructures favorables au développement et à l’extension de l’usage des TIC dans l’éducation de base.

Si le processus d’intégration des TIC dans le système éducatif semble une réussite sur le plan de la bureautique, l’exploitation des TIC pour l’enseignement au lycée et au collège reste embryonnaire, se limitant à l’apprentissage de l’informatique en tant que discipline scolaire dans les établissements d’enseignement technique. Du reste, les équipements technologiques tels que les ordinateurs sont généralement peu nombreux et servent très peu comme didacticiels dans des situations d’apprentissage. Autrement dit, l’usage des TIC en tant qu’outils didactiques dans l’acte de l’enseignement/apprentissage reste encore très limité, voire absent de la plupart des établissements.

Des recherches dans les pays en développement révèlent que le manque de compétences techniques est un sérieux obstacle à l’intégration des TIC comme moyen d’enseignement (Pelgrum et Law, 2004; Mastafi, 2013). Ainsi, le déficit de formation conduit les enseignants à manquer de confiance quant à leurs aptitudes à mener des activités pédagogiques exploitant les TIC. Cette situation les amène à se départir de l’usage des TIC pour ne pas s’appuyer sur des compétences informelles en séance de classe formelle. L’utilisation pédagogique des TIC dans l’enseignement repose sur des tâches d’enseignement et d’apprentissage. Selon Raby (2004), quatre étapes y sont nécessaires : la familiarisation, l’exploitation, l’infusion et l’appropriation. Notre étude se focalise sur l’étape d’infusion, qui marque l’utilisation des TIC dans le cadre d’activités impliquant les élèves. En fait, l’élève y est l’acteur opératoire qui manie les outils. En effet, nous nous intéressons au cas où l’enseignant engage l’élève dans des activités de recherche au sujet de savoirs complémentaires sur Internet en dehors de la classe et à l’aide d’outils qui sont accessibles. Il s’agit d’apprécier l’efficacité et l’opportunité de cette pratique en lycée et en collège dans une vision égalitaire des chances de réussite pour tous les élèves.

1. Problématique

Au Burkina Faso, les défis en matière de réduction des inégalités sociales et économiques subsistent en dépit des engagements politiques (Kobiané et al., 2019, p. 7). De fortes disparités perdurent dans l’accès et la réussite en éducation, notamment dans le sous-cycle du post-primaire. Selon Ouédraogo (s. d., p. 15), « les enfants nés entre 1994 et 1996 ont 37 % [plus] de chance[s] d’atteindre l’enseignement post-primaire que les enfants nés entre 1982 et 1984 ». La pauvreté monétaire des parents, le sexe de l’élève, le milieu de résidence et la région administrative restent des facteurs qui déterminent l’accès et le maintien à l’école. Ainsi, les enfants des ménages pauvres ont 1,2 fois plus de risque d’être hors du système scolaire par rapport à ceux des ménages non pauvres (INSD, 2015a). Les différences sont plus importantes en « milieu urbain où les enfants des ménages très riches ont près de quatre fois plus de chances d’accès au post-primaire que ceux des ménages très pauvres » (Gnoumou-Thiombiano et Kaboré, 2017, p. 38). En outre, de fortes disparités existent entre les régions. Kobiané et al. (2020, p. 31) ont relevé de grands écarts entre les régions présentant les plus faibles taux d’achèvement du post-primaire en 2017‑2018, à savoir le Sahel (8,6 %), le Sud‑Ouest (28,3 %), le Centre‑Nord (30,7 %) et l’Est (32,0 %), et les régions présentant de forts taux d’achèvement du post-primaire, soit le Centre (72,3 %), les Hauts Bassins (47,6 %) et le Centre‑Ouest (44,9 %). Par ailleurs, Gnoumou-Thiombiano et Kaboré (2017, p. 34) ont montré que les enfants vivant en milieu urbain ont nettement plus de chances de fréquenter le post-primaire que ceux du milieu rural, car le milieu urbain offre plus d’opportunités d’accès au post-primaire que le milieu rural (MENA, 2017). Par ailleurs, certaines innovations pédagogiques peuvent être interrogées dans le sens du degré d’égalité des chances qu’elles offrent aux apprenants.

Dans les lycées et les collèges, à la faveur de la diffusion de plus en plus large des TIC, certains enseignants intègrent la recherche sur Internet, en autonomie par les élèves, de documents complémentaires aux contenus dispensés en classe. Ce procédé de gestion de la classe reposant sur une organisation des enseignements-apprentissages à partir d’Internet requiert que l’élève dispose des outils adéquats et des moyens pour les exploiter. En effet, il incombe que les élèves disposent d’ordinateurs à l’école et en dehors de l’école, de smartphones, mais aussi d’électricité et de crédit Internet. Or le taux de pauvreté est si élevé dans ce contexte, soit 40,1 % en 2014 (INSD, 2014), que les préoccupations de cette population portent sur les questions de survie, leur priorité étant de se nourrir et de se soigner. La pauvreté économique des familles est citée comme un frein à la scolarisation de leurs enfants. En effet, les charges liées à la scolarisation des enfants sont apparues comme un obstacle qui maintient certaines familles réticentes à l’école. Les approches sociologiques de l’école montrent qu’en contexte de pauvreté, le coût est une raison récurrente dans l’explication de la faible demande d’éducation, les familles devant honorer avant tout, souvent avec l’apport de l’enfant, les besoins essentiels de subsistance.

En lycée et en collège au Burkina Faso, outre les frais de scolarité et de participation aux examens scolaires, le coût de l’uniforme scolaire, des manuels et des fournitures scolaires, les parents doivent supporter également des frais de transport et de cotisations annuelles des Associations des parents d’élèves (APE). Mises ensemble avec les coûts d’opportunité consécutifs à la perte de la part contributive de l’enfant dans le renforcement des ressources familiales, ces charges peuvent devenir impossibles à honorer chez de nombreuses familles. Dans un tel contexte, peu de familles disposent d’ordinateurs et d’outils tels les smartphones pour leurs enfants (Karsenti, 2009). Seules les familles aisées peuvent s’offrir le luxe de s’en procurer. De facto, selon leurs origines socioéconomiques, les enfants vivent dans l’inégal accès aux TIC, et partant, bénéficient d’opportunités inégales de soutenir leurs apprentissages avec les ressources numériques sur Internet. Le présent article s’intéresse à l’analyse des disparités d’accès des élèves à l’information en ligne lorsque l’enseignant construit certaines activités pédagogiques sur l’exploitation des TIC par l’élève en autonomie. La question de recherche est la suivante : dans quelle mesure les conditions socioéconomiques des élèves déterminent-elles des inégalités d’accès aux ressources numériques dans les lycées et les collèges du Burkina Faso?

2. Cadre théorique

La question de l’inégalité des chances d’accès et de réussite scolaires est récurrente dans l’analyse des politiques et des dispositifs d’éducation. Assurément, l’éducation scolaire est un bien désirable pour tous, mais y accéder selon ses voeux reste une gageure pour les familles pauvres. Dans nos sociétés, les familles occupent des positions inégales au regard de leurs capacités économiques. Les sociologues ont mis en évidence le fait que les inégalités scolaires s’expliquent dans une certaine mesure par les inégalités socioculturelles et économiques (Duru-Bellat, 2002; Crahay, 2000). Comme le faisaient déjà observer Beaudelot et Establet en 1971, de manière générale, les élèves issus des catégories sociales à faible niveau économique et culturel obtiennent en moyenne des performances plus faibles comparativement à leurs camarades d’origine familiale plus aisée. L’élite scolaire créée par la richesse économique et culturelle familiale compte plus de chances de réussir un bon parcours scolaire et de réunir les diplômes nécessaires pour une position socioprofessionnelle plus confortable. La théorie de la reproduction de Bourdieu et Passeron (1964; 1970) trône toujours dans les établissements scolaires. Elle met en évidence le fait que les contraintes sociales et économiques ainsi que les influences culturelles déterminent les performances scolaires des apprenants. Dans le présent article, notre analyse s’inscrit dans cette approche théorique de l’explication des inégalités scolaires par l’avantage ou le désavantage créé par le niveau de revenu parental. Nous pensons que dans les lycées et les collèges, en fonction de la catégorie socioéconomique de leurs familles d’origine, les élèves auront des possibilités d’accéder à des ressources numériques à des degrés proportionnels à leurs capacités économiques. Vu ainsi, il est probable que les élèves de familles pauvres, c’est-à-dire de catégorie économique faible, ne soient pas en mesure de se procurer les outils leur permettant d’accéder aux ressources éducatives numériques disponibles dans Internet. De ce point de vue, les occasions pour l’élève d’accéder à des ressources numériques par l’Internet sont fortement dépendantes du niveau de revenu parental. Nous formulons à propos l’hypothèse de recherche suivante : en lycée et en collège au Burkina Faso, l’accès des élèves aux ressources numériques par Internet est largement dépendant du niveau de revenu parental. Cette situation augmente les inégalités de chances de réussite.

L’inégalité sociale est la distribution inégale des ressources entre les membres d’une société en raison de la structure de cette société (Duru-Bellat, 2002). L’inégalité est une différenciation dans la distribution des ressources économiques et sociales, créant de ce fait des avantages pour les riches et des déficits pour les pauvres. L’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD) du Burkina Faso définit la pauvreté par l’absence de revenu et de ressources productives suffisantes pour assurer les moyens d’existence viables, induisant un faible accès aux services sociaux de santé, au logement, à l’éducation, à l’eau potable, etc. (INSD, 2000).

Quant à l’inégalité scolaire, elle est « la performance scolaire différentielle selon l’origine sociale » (Terrail, 2002). De ce point de vue, si l’école est déterminante dans l’ascension sociale, le niveau de hauteur atteint par chacun au sortir de l’école est horizontalement comparable au niveau des capacités économiques familiales. Ainsi, l’influence du statut social sur la réussite scolaire se fait plus particulièrement sentir dans les milieux socioéconomiques défavorisés. La faiblesse des capacités financières, comme le soulignaient Bourdieu et Passeron, en 1970, constitue une barrière à la réussite scolaire des élèves issus de familles à faible revenu. C’est justement le cas au Burkina Faso, où la situation de pauvreté économique est une réalité dans la majorité des familles.

L’analyse de la façon dont les individus « socialement défavorisés » développent des usages utilitaires d’Internet révèle une « fracture numérique » vis-à-vis des usages de conceptions et d’innovations chez les individus plus nantis sur les plans culturel et économique (Granjon, 2005). Au Burkina Faso, la profondeur de la pauvreté économique est généralement associée à l’analphabétisme (INSD, 2015b). Ce double déficit crée davantage une distanciation aux TIC du fait de la non-maîtrise technique par manque de « capital technique » (Granjon, 2005), mais aussi par manque de « capital économique », qui limite la capacité des familles pauvres de se doter des équipements techniques : ordinateur, smartphone, modem de connexion. « À l’instar des autres formes de capital dont la distribution est fondamentalement ordonnée par la position occupée au sein de l’espace social, l’obtention du capital technique tient aussi aux conditions d’existence » (Granjon, 2005, p. 6).

3. Méthodologie

L’objectif de notre recherche est de saisir les facteurs qui conditionnent chez les élèves la réalisation ou non des travaux individuels de recherche sur Internet. Notre approche de recherche est qualitative et s’inscrit dans une perspective microsociologique. C’est pourquoi nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès d’élèves (24) et d’enseignants (12) d’un lycée public et d’un lycée privé de la ville de Ouagadougou en vue de saisir les variations liées aux catégories socioéconomiques des élèves. À l’image de tous les lycées publics, celui qui a fait l’objet de l’enquête accueille des élèves dont les familles sont issues de classes économiques moyenne et pauvre, les parents étant des agents moyens ou des subalternes des services publics ou privés, des « petits commerçants » du secteur informel, des ouvriers ou des agriculteurs et éleveurs. Le lycée privé accueille davantage d’élèves originaires de familles aisées, les parents étant des cadres moyens, de hauts cadres des services publics ou privés, ou des propriétaires de moyennes ou grandes entreprises diverses.

Les enseignants d’histoire-géographie et de sciences de la vie et de la terre ont été ciblés parce qu’à notre avis, ces disciplines sont plus susceptibles de confier des activités de recherche aux élèves. La participation était volontaire, mais seuls les enseignants qui, préalablement, ont affirmé donner au moins une fois par mois à leurs élèves des activités de recherche documentaire sur Internet ont été retenus. D’ordinaire, chaque enseignant demande à chaque élève de rapporter un minimum de cinq documents numériques, seuil que nous avons considéré dans notre recherche pour distinguer les élèves qui réalisent ce seuil et ceux qui restent en deçà. Dans chaque établissement, trois (3) enseignants de chacune des deux disciplines ont été interviewés. Il s’est agi de savoir à quel dessein les enseignants donnent aux élèves des travaux de recherche sur Internet, quelles sont les caractéristiques socioéconomiques des élèves qui réussissent et de ceux qui réussissent faiblement ou pas du tout à réaliser la recherche en autonomie sur Internet sur la base d’un seuil minimal de cinq documents numériques par activité, et comment ils expliquent les différences entre les résultats des élèves, selon qu’ils atteignent ou non ce seuil minimal requis (voir annexe 1). Dans chaque établissement, une douzaine d’élèves répartis dans les différentes classes de la quatrième (année à partir de laquelle les élèves commencent à effectuer des travaux de recherche sur Internet) à la terminale, ont été interviewés sur une base volontaire.

Dans chaque classe nous avons interviewé un élève qui réussit toujours à collecter les cinq documents demandés et un qui n’y parvient jamais. Chacun a été invité à justifier son résultat de collecte à la suite de la consigne de recherche documentaire sur Internet (voir annexe 1). Les guides d’entretien ont été testés respectivement auprès de cinq enseignants et de cinq élèves. Le traitement des données s’est fait avec le logiciel Sphinx. Nous avons procédé à l’analyse de contenu du discours des enquêtés selon une approche thématique axée sur la compréhension des conditions socioéconomiques qui déterminent les résultats de collecte des élèves. Les thématiques principales se rapportaient au niveau de revenu de la famille, au niveau d’équipement de la famille en TIC, aux possibilités d’exploitation des TIC en autonomie au sein de la famille ou en dehors, à la quantité de ressources numériques collectées, à l’attitude des enseignants face aux résultats de collecte de chaque élève.

4. Résultats

À l’issue des entretiens avec les enseignants et les élèves, nous avons traité les réponses de manière à regrouper les élèves en deux catégories : la première concerne ceux qui collectent au moins cinq ressources documentaires et la deuxième concerne ceux qui collectent moins de cinq ressources, voire aucune. Ensuite, nous avons caractérisé chaque catégorie selon le profil socioéconomique des élèves qui la composent (voir annexe 2 pour l’ensemble des résultats obtenus).

4.1 Situation des élèves ayant un rendu des activités de recherche documentaire en deçà du seuil fixé

La première catégorie concerne les élèves qui collectent une faible quantité de documents numériques et ceux qui n’en collectent pas du tout. En effet, les enseignants reconnaissent qu’une certaine proportion d’élèves collectent un ou deux documents numériques, ou ne parviennent pas du tout à en collecter à l’issue d’une consigne pour des activités de recherche en autonomie sur Internet. Cette catégorie est beaucoup plus importante au lycée public qu’au lycée privé. Elle représente 75 % des élèves du public (9 sur 12) et moins d’un dixième de ceux du privé (1 sur 12, soit 8,3 %).

4.1.1 Raisons de la faible performance

Au total, 41,6 % des élèves enquêtés au public et au privé (10 sur 24) ont un rendu inférieur au seuil de cinq documents; ce sont ceux qui ne réalisent pas les activités de recherche documentaire en autonomie sur Internet ou ceux qui n’obtiennent que quelques ressources numériques à la suite d’une navigation de durée brève. Selon leurs dires, seulement 1 sur ces 10 dispose d’un ordinateur à la maison. Les quelques-uns (10 %) qui en disposent sont des élèves du lycée privé, mais ils ne peuvent pas exploiter l’ordinateur pour effectuer des recherches parce que la famille ne dispose pas d’un accès à Internet. Par ailleurs, seulement 2 sur 10 (soit 20 %) des élèves qui ne réalisent pas les activités de collecte sur Internet possèdent un smartphone personnel pour mener les recherches. La moitié de ces élèves n’ont pas d’électricité à la maison.

Pour mener des activités de recherche sur Internet, les élèves qui ne disposent pas d’ordinateur, de smartphone, de connexion Internet ni d’électricité à la maison sont obligés de souscrire à des abonnements dans les cybers. Cependant, « les forfaits de connexion offerts par les “cybers” sont relativement chers pour nous, les élèves aux parents pauvres », soutient un élève (entretien, février 2021). De ce fait, quand les élèves peuvent sacrifier un petit montant pour une connexion au cyber, le temps consenti est insuffisant pour permettre des recherches avancées. Dans ces conditions, ils se contentent de télécharger quelques fichiers avant l’épuisement de leur abonnement. Cette alternative leur permet de collecter quelques ressources et de noter surtout les références des différents documents consultés pour les présenter au professeur comme preuve qu’ils ont exécuté sa consigne de travail.

Du reste, lorsque l’élève n’a pas pu exécuter la consigne de travail de recherche par manque d’outils de connexion ou de ressources financières pour s’abonner au cyber, il s’explique auprès du professeur qui, généralement, ne lui en tient pas rigueur. Un professeur confirme : « Ce n’est pas de leur faute si leurs parents n’ont pas de ressources pour leur offrir des ordinateurs ou des smartphones » (entretien, février 2021). 

Il en ressort que les élèves qui présentent peu ou pas de ressources numériques collectées sur Internet à la suite des consignes de leurs enseignants ont pour principale barrière le fait qu’ils ne disposent pas de ressources informatiques ou financières pour accéder à une connexion Internet de durée suffisante pour une bonne collecte. Les enseignants comprennent leur situation, mais ils ne renoncent pas à de telles consignes parce qu’ils estiment tous que cela est une pratique pédagogique très efficace dans la formation à la recherche personnelle et à l’autonomisation de l’élève.

4.1.2 Caractéristiques socioéconomiques des élèves ayant un rendu faible

Aussi bien au lycée public qu’au lycée privé, les élèves présentant de faibles résultats de collecte de documents numériques sur Internet (10 sur 24, soit 41,6 %) sont issus de familles à faible niveau économique. Aussi bien les élèves que les enseignants déclarent que ces familles vivent de ressources financières limitées ne leur permettant pas de profiter des équipements technologiques modernes, tels des ordinateurs et des smartphones. Certaines de ces familles (5 sur 10) ne disposent même pas d’électricité à domicile. Les priorités sont essentiellement orientées sur les frais alimentaires, les frais médicaux et les frais de scolarités des enfants. Le peu d’argent que l’on donne chaque jour à l’enfant est destiné à sa restauration à la pause de midi. « Si je dois prendre un abonnement d’une heure au cyber pour des activités de recherche, je dois renoncer à mon déjeuner », déclare un élève (entretien, janvier 2021). Si les plus grands au second cycle[3] peuvent consentir à ce sacrifice, les plus jeunes en quatrième et en troisième préfèrent se restaurer et renoncer à l’abonnement au cyber. Au second cycle, lorsque des professeurs proposent des polycopies comme support de cours, les frais du déjeuner sont utilisés pour l’acquisition desdits documents. À ce moment, l’élève se prive de son déjeuner et de son abonnement au cyber. Il ne peut donc plus mener de recherches en autonomie au cyber. Le niveau de revenu familial des élèves détermine donc leur possibilité d’accéder aux outils et aux ressources informatiques. Les parents des élèves dans cette situation sont des manoeuvres, ou exercent dans le secteur informel dans de petits commerces. Les enfants de quelques fonctionnaires de catégorie modeste se retrouvent également dans ces conditions où ils n’ont que des possibilités limitées d’accéder à l’Internet pour des travaux de recherche en autonomie.

En somme, les élèves qui ont une participation limitée lorsque l’enseignant donne des activités de recherche en autonomie sur Internet sont principalement ceux qui ne disposent pas d’équipements informatiques ni de ressources financières pour une exploitation efficace de l’Internet en accédant à des documents numériques. Ces élèves proviennent de familles à revenu financier faible et consacré prioritairement aux charges alimentaires, médicales et scolaires.

4.2 Situation des élèves ayant un rendu des activités de recherche important

La deuxième catégorie se compose d’élèves qui réalisent en autonomie sur Internet des activités de recherche importantes, c’est-à-dire ceux qui parviennent à collecter au moins cinq documents. Ils représentent 25 % des enquêtés au public (3 sur 12) et 91,6 % au privé (11 sur 12). Aussi bien au privé qu’au public, ce sont quasiment les mêmes raisons qui expliquent ces performances.

4.2.1 Raisons de la forte performance

Il ressort des entretiens avec les enseignants que chacun des élèves les plus productifs lors des activités de recherche en autonomie possède son smartphone et évolue dans un environnement familial où l’on trouve des ordinateurs et une connexion Internet plus ou moins permanente. En effet, 92,8 % des élèves de cette catégorie (13 sur 14) soutiennent que, dans leurs familles, il existe des ordinateurs de bureau à usage collectif ou individuel, mais aussi des ordinateurs portables disponibles pour celui qui en a besoin, ou parfois même affectés individuellement aux enfants. Il y existe toujours une ou plusieurs connexions Internet en wifi partagé ou en modems mobiles ouverts à tous les membres de la famille. Outre ces équipements informatiques disponibles à la maison, 92,8 % (soit 13 sur 14) des élèves obtenant des résultats de recherche importants confirment qu’ils possèdent également un smartphone : « un smartphone! C’est un minimum dès qu’on arrive en classe de sixième », soutient un élève (entretien, janvier 2021). Ces élèves disposent également de ressources financières suffisantes pour souscrire régulièrement aux « offres promotionnelles » de crédits Internet proposées fréquemment par les opérateurs de téléphonie mobile. Ces élèves font donc des recherches avancées, téléchargent les documents qu’ils conservent sur leurs ordinateurs ou sur leurs smartphones. Lorsqu’ils vont au cyber, « c’est seulement pour imprimer les fichiers collectés afin de les remettre aux professeurs ou de les partager avec leurs camarades qui n’ont pas les mêmes possibilités » qu’eux (entretien, janvier 2021).

4.2.2 Caractéristiques socioéconomiques des élèves ayant un rendu important

Selon les élèves qui disposent d’équipements et de ressources financières pour accéder en temps voulu à Internet pour des activités de recherche en autonomie, leurs parents disposent de ressources suffisantes pour leur donner des conditions de vie satisfaisantes. À la maison, ces familles disposent d’infrastructures et d’équipements modernes. Que l’élève soit au public ou au privé, il dispose d’un montant journalier pour son « argent de poche », destiné au « carburant » de sa motocyclette pour se rendre à l’école, à son « casse-croûte », à « l’achat de crédits de téléphone et d’Internet », et à tous ses « autres besoins » courants (entretien, janvier 2021). Certains parents complètent l’argent de poche des élèves en cas de besoin et répondent à leurs sollicitations pour satisfaire à tout besoin lié à la vie scolaire et parascolaire. La plupart des parents des élèves qui disposent de moyens pour la recherche sur Internet sont des cadres supérieurs ou moyens de la fonction publique ou du secteur privé, mais aussi de grands commerçants ou des opérateurs économiques exerçant en libéral. Ces parents garantissent à leurs enfants des ressources financières suffisantes pour couvrir leurs besoins divers.

Tout compte fait, il apparaît que le niveau de revenu des parents est déterminant pour la présence d’équipements informatiques et une connexion Internet à la maison qui facilitent les activités de recherche en autonomie chez les élèves. Les enseignants ont conscience de la situation, mais ils disent ne pas pouvoir limiter les possibilités d’apprentissages en renonçant à des recherches sur Internet. Selon l’un d’eux, « cette approche pédagogique renforce l’autonomie des élèves et leur permet de consolider les contenus du cours avec des ressources complémentaires sur Internet. Les élèves sont motivés pour les activités de recherche sur Internet » (entretien, février 2021). Les élèves qui éprouvent des difficultés d’accès à Internet affirment qu’ils tirent profit des résultats de recherche de leurs camarades, qui les partagent avec eux ou par le canal de l’enseignant.

Selon les enseignants, l’Internet apparaît comme une ressource qu’ils peuvent exploiter en engageant les élèves dans des activités guidées. « En plus de motiver les élèves, l’Internet permet d’enrichir et de consolider les apprentissages » (entretien, février 2021). Les activités de recherche en autonomie confiées par les enseignants s’avèrent un tremplin pour la formation de l’élève à l’exploitation des ressources disponibles sur la toile virtuelle. L’Internet s’affirme comme un moyen sûr pour éveiller et maintenir l’intérêt des élèves pour les apprentissages scolaires. Les TIC intègrent donc l’école de manière à accroître la participation des élèves à la construction de leurs propres apprentissages.

5. Discussion

En définitive, l’usage des TIC à l’école révèle davantage les inégalités sociales. L’accès aux TIC est conditionné par la disponibilité de ressources financières suffisantes pour l’acquisition des équipements et pour l’abonnement à un réseau d’accès à Internet. Les élèves issus de familles de niveau socioéconomique élevé disposent d’ordinateurs, de smartphones et d’une connexion Internet leur permettant de réaliser les recherches demandées par l’enseignant. En revanche, les élèves de familles à faible revenu ne disposent ni d’ordinateurs ni de smartphones, et encore moins de connexion à Internet. Ils sont obligés de consentir à des sacrifices pouvant aller jusqu’à renoncer à leur déjeuner pour payer un abonnement de quelques minutes en cyber afin d’effectuer ces recherches. Au regard de la modicité des ressources financières de leurs parents, certains renoncent carrément à exécuter la consigne de l’enseignant. Il y a, à ce moment, un accès inégal aux ressources numériques sur Internet. Les élèves des familles aisées ont plus d’opportunités d’accéder à une large gamme de ressources numériques parce qu’ils disposent de tous les moyens technologiques et financiers nécessaires pour naviguer et collecter les documents didactiques sur Internet. À l’opposé, les élèves issus de familles qui disposent de peu de ressources financières sont faiblement exposés aux opportunités d’accès aux ressources numériques du simple fait qu’ils manquent aussi bien d’équipements que de connexion Internet.

Comme le souligne Raby (2004), l’intégration pédagogique des TIC consiste en leur utilisation pour créer des contextes d’apprentissage actifs, réels et significatifs, toutes choses qui soutiennent et améliorent l’enseignement et l’apprentissage. Les TIC constituent des outils d’apprentissage et d’enseignement efficaces. Ce sont des sources d’information et de savoir qui se développent très rapidement et leur diffusion est facilitée par des systèmes d’information toujours plus performants. L’usage pédagogique des TIC renvoie à l’utilisation des TIC en tant qu’outils didactiques dans l’acte d’enseignement/apprentissage (Mastafi, 2013). Les TIC participent ainsi à la démocratisation du savoir en permettant une plus large ouverture aux connaissances. Mais de même que le supermarché expose une infinité de produits dont la possession exige le montant d’argent requis, l’accès aux ressources didactiques disponibles sur Internet est conditionné par la possession de ressources financières pour les équipements technologiques nécessaires et pour l’accès à un abonnement sur un réseau Internet. Les inégalités sociales déterminant des inégalités d’accès à Internet, l’intégration d’Internet dans les stratégies de gestion pédagogiques des classes peut engendrer des inégalités de réussite scolaire. Au Burkina Faso, « les défis sont énormes : faible accès à l’internet, faible débit de l’internet en général, faible accès des étudiants à des équipements électroniques performants, comme des ordinateurs portables ou des téléphones mobiles de type androïde » (Kobiané et al., 2020, p. 48). Ainsi, l’approche pédagogique consistant à engager les élèves dans des recherches de ressources didactiques complémentaires sur Internet crée des inégalités d’accès à la connaissance entre les élèves issus de familles aisées et ceux issus de familles pauvres. Les premiers disposent de tout pour accéder aux ressources sur Internet, alors que les seconds disposent de peu de possibilités à cause de leurs faibles ressources financières : le niveau de revenu familial détermine ainsi l’accès aux ressources éducatives (Bourdieu et Passeron, 1970). Les élèves sont alors inégaux devant les TIC en tant que sources d’accès aux ressources numériques. Les inégalités de revenus économiques des familles tendent alors à se convertir en inégalités d’accès au savoir. En somme, les inégalités sociales créent ou renforcent les inégalités scolaires. Duru‑Bellat et Van Zanten (2009) estiment que l’origine sociale est l’un des facteurs les plus visibles de l’inégalité scolaire. Outre mesure, l’école contribue à la construction des inégalités scolaires en organisant des activités pédagogiques par l’Internet à partir du moment où les élèves n’ont pas un accès égal aux outils de navigation. « C’est tout ce jeu de rencontres entre dispositions d’individus et des situations qui fait la réussite ou l’échec scolaire » (Duru‑Bellat et Van Zanten (2009, p. 148). C’est pourquoi les contacts famille-école sont nécessaires pour prendre connaissance des capacités de la famille et réduire l’incompatibilité entre les attentes du milieu scolaire et les possibilités financières des parents. Les paramètres liés aux capacités économiques des familles à prendre en charge la scolarisation de leurs enfants doivent être de mise dans la quête d’une éducation inclusive. C’est à juste titre que Coleman et al. (1966) considèrent que les performances des enfants de milieux défavorisés sont plus dépendantes des ressources éducatives des écoles. Au Burkina Faso, « dans un contexte où l’accès à la télévision, à la radio et à l’internet demeure très limité, il est à craindre que les solutions d’offre de contenus pédagogiques dans les médias et en ligne, ne contribuent à exacerber les inégalités entre catégories sociales » (Kobiané et al. 2020, p. 2). Il appartient alors à l’école de prévoir les conditions technologiques nécessaires à la mise en oeuvre d’activités pédagogiques conduisant l’apprenant à exploiter les TIC.

Conclusion

La pauvreté monétaire des familles apparaît comme un obstacle à la réalisation d’activités pédagogiques à l’aide des TIC et impliquant des recherches sur Internet par l’élève en autonomie hors de l’école. Le déploiement de telles activités par l’enseignant limite la participation des élèves issus de familles pauvres qui ne disposent ni d’équipements technologiques ni de connexion Internet. En revanche, les élèves issus de familles aisées profitent largement de ces activités pédagogiques parce qu’ils possèdent les équipements nécessaires et des ressources financières pour l’abonnement à un réseau Internet. En effet, les composantes essentielles de l’infrastructure, c’est-à-dire l’accès et le matériel, sont une condition incontournable pour utiliser les TIC dans la pratique éducative. Pelgrum et Law (2004) expliquent que l’absence ou le déficit d’équipements TIC constituent les principaux obstacles à l’intégration des TIC dans l’éducation. C’est le constat qui ressort des résultats de la présente étude, qui aboutit à la conclusion indiquant que, dans les lycées et collèges, le niveau de revenu parental détermine les possibilités des élèves d’accéder aux TIC et aux ressources documentaires numériques; toutes choses qui renforcent les inégalités d’accès au savoir, et partant, les inégalités de chances de réussite. Il apparaît que la pauvreté des ménages les empêche d’accéder au système éducatif sur un pied d’égalité avec les ménages plus aisés. Par conséquent, la promotion de l’exploitation pédagogique des TIC par l’implication des élèves pourrait se penser en partenariat avec les familles pour anticiper les difficultés et prévenir les disparités d’accès au savoir et les inégalités des chances de réussite. Sans doute que « c’est par l’égalité des chances scolaires qu’on atteindra l’égalité sociale » (Robert et Tondreau, 1997).