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L’objet de cet ouvrage est la pédagogie Freinet, du point de vue de son application pratique au sein d’une institution d’enseignement secondaire. C’est la proposition d’une « autre » façon de concevoir le rôle de l’enseignement, à travers des textes produits par des membres de l’équipe pédagogique du Lycée Auguste et Louis Lumière de La Ciotat.

Le livre est divisé en deux parties. « Les méthodes naturelles » rassemble en quatre chapitres autant de tableaux d’enseignements en classe (littérature, anglais, sciences de la vie et de la terre, philosophie) où se trouvent mises en pratiques certaines approches pédagogiques inspirées des principes fondamentaux de la pensée de Célestin Freinet. Suivent les chapitres cinq et six, respectivement intitulés « L’émancipation par le travail » et « Description du dispositif », qui forment la seconde partie.

L’ouvrage est donc majoritairement constitué de témoignages. Pour Marion, enseignante de littérature, il s’agira de donner aux élèves le gout de la lecture et de l’écriture à partir d’un sentiment premier : celui d’avoir produit de manière autonome des textes bien faits et d’en tirer fierté, sans égard pour le niveau de complexité de la composition. Pour Dorothée, enseignante des sciences de la vie et de la terre, il suffit souvent de placer les élèves dans une position de chercheurs sur le terrain ou en laboratoire pour faire germer des interrogations qui les amènent à formuler des hypothèses qui pourront ensuite être vérifiées empiriquement dans un esprit de collaboration. Il faut partir des expériences et des intérêts des élèves, car ce sont là les véritables « moteurs du désir de progresser » (p. 50). Il ne s’agit pas de donner les réponses, mais d’aider à chercher. Il faut encore privilégier la pleine liberté des élèves dans les choix de projets et de lecture, afin de leur permettre d’« éprouver des affects de connaissance » (p. 104). On reste parfois étonné, voire incrédule devant certains aspects de l’approche pédagogique proposée. Par exemple, on reconnait a priori à l’élève la capacité de définir ce qui doit être considéré comme un travail et on le juge qualifié pour en déterminer la valeur (p. 26, 132). Et pourtant, tout se tient, moyennant quelques postulats généraux : les éléments constitutifs du modèle proposé sont déduits d’un ensemble de propositions de nature anthropologique et psychologique susceptibles d’être confirmées ou réfutées empiriquement.

À chacun de ces différents tableaux d’enseignement vécus s’adjoint un prolongement théorique proposé par Nicolas Go, enseignant-chercheur à l’Université Rennes II. Or, ces suppléments, pour pertinents qu’ils soient à certains égards, sont par trop imprégnés de considérations politiques, alors même que les témoignages présentés nous invitent plutôt à des tableaux de pure positivité, lestés de la rhétorique agonistique de Célestin Freinet. En cherchant à organiser l’ouvrage selon une structuration dialectique entre pratique et théorie, Go ne parvient bien souvent qu’à assujettir son projet pédagogique aux cadres élémentaires d’une posture résolument conflictuelle. Enfin, le cinquième chapitre, du même auteur, demeure dans les mêmes tons, alors que le sixième et dernier chapitre (à peine cinq pages, signées Marion Agostini) clôt le livre sur les grandes lignes du cadre pédagogique proposé et des dispositions inhérentes au projet.

À terme, il convient de souligner ce qu’un tel ouvrage est susceptible d’offrir de réflexion – et d’éventuelles discussions subséquentes. On retiendra que l’égalité qui est au centre de la proposition se veut singularisante et ne signifie donc pas l’égalité des résultats. En amont de l’égalité des chances (au sens classique de la sociologie bourdieusienne), il s’agit de l’égalité des chances… de désirer les savoirs scolaires et de prendre plaisir aux apprentissages dispensés, en classe et ailleurs.