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Introduction

Au Québec, la Loi sur l’Instruction publique suggère la mise en oeuvre de services éducatifs complémentaires pour « assurer à l’élève des conditions propices à l’apprentissage » (Vézina et al., 2002, p. 15) et ainsi lui fournir l’aide nécessaire pour réussir et se qualifier. Pour soutenir les enseignants, les services sont déployés par différentes personnes-ressources dont l’expertise assure un soutien au développement des compétences disciplinaires et transversales du programme de formation. Le service de bibliothèque scolaire fait partie des services éducatifs complémentaires et est défini comme étant « un service de soutien à l’utilisation des ressources documentaires » (Vézina et al., 2002, p. 31). Les publications gouvernementales et associatives définissent la bibliothèque scolaire en lui attribuant le même rôle. Plus précisément, en sciences de l’information, on définit l’accès aux ressources d’une bibliothèque par ses activités de sélection, de description, de classification et d’indexation. Des services sont aussi développés pour répondre aux besoins des usagers et commandent nécessairement des activités de formation, de médiation et de diffusion des ressources. Ces tâches font référence aux différents maillons de la chaîne documentaire. Ces services, lorsqu’ils sont développés de façon optimale, orientent, conseillent et accompagnent les usagers dans l’univers d’abord littéraire, mais aussi informationnel (Comité permanent de la section Bibliothèques scolaires de l’IFLA, 2015). L’application de ces tâches dans le réseau scolaire nécessite donc une fine connaissance des besoins pédagogiques des enseignants et des besoins d’apprentissage des élèves. Cela permettra de développer de façon optimale un service de bibliothèque scolaire spécialisé oeuvrant réellement en soutien à l’enseignement et l’apprentissage.

Dans cet article, nous tenterons d’exposer les points de convergence de la bibliothéconomie et de la didactique et ainsi espérer nommer quelques conditions favorables à la collaboration de ces disciplines. Ceci nous paraît essentiel pour positionner la bibliothèque scolaire comme un véritable service de soutien à l’enseignement et à l’apprentissage et donc, un service qui serait au coeur du système didactique, celui-là même qui étudie les relations entre les élèves, les enseignants et les différents savoirs. Nous débuterons par la présentation des contextes éducatif, scientifique et social dans lesquels nous étudions la bibliothèque scolaire au Québec. Ensuite, nous aborderons les théories en sciences de l’information et en sciences didactiques pertinentes pour étudier cette collaboration. Sur la base des concepts et des résultats de recherche recensés, nous exposerons un exemple d’application pratique pour les formations documentaires.

La problématique

Au Québec, l’usage pédagogique de la bibliothèque scolaire a rarement fait l’objet d’études tant en didactique qu’en bibliothéconomie et est donc peu documenté. Une étude qui prendra en compte ces deux approches disciplinaires permettrait pourtant de développer un regard nouveau sur ce lieu pour l’intégrer au coeur du système didactique et ainsi aménager des espaces adaptés pour réaliser différentes situations d’enseignement et d’apprentissage ; encadrer le développement et le traitement des collections imprimées et numériques selon des approches pédagogiques ; accroître l’offre de services de formation et d’accompagnement selon les besoins des enseignants et des élèves. Avant d’analyser la bibliothèque scolaire comme objet d’étude au coeur de ce système didactique, il faut comprendre les différents contextes éducatif, scientifique et social dans lesquels elle évolue.

Le contexte éducatif : du Rapport Parent au Plan d’action numérique en éducation

Les rapports Parent et Bouchard

Au Québec, il est impossible de parler de l’histoire des bibliothèques scolaires sans faire mention de la contribution du rapport de la Commission Parent. Publié dans les années 1960, le rapport évoque l’idée « que c’est par la lecture des oeuvres qu’on apprend le mieux sa langue maternelle. Dès le niveau élémentaire, il faut habituer l’élève à lire, à aimer les livres, à y faire des recherches. » (Parent, 1963, p. 55). C’est ainsi qu’il en vient à dénoncer le piètre état des bibliothèques scolaires, la trop grande présence d’oeuvres de mauvaise qualité, l’absence de livres dans les écoles primaires et le manque de formation offerte aux enseignants et aux élèves pour maximiser l’usage des oeuvres de fiction et des documentaires. Il suggère donc un modèle de développement du service des bibliothèques et établit, par ses propositions, des liens étroits entre les sciences de l’éducation et la bibliothéconomie. Il juge non seulement important d’embaucher du personnel qualifié en bibliothéconomie pour assurer la gestion des bibliothèques, mais il valorise aussi une pédagogie collaborative entre l’enseignant et le bibliothécaire pour travailler conjointement à développer le goût de lire, pour soutenir l’enseignement de la lecture et pour améliorer l’enseignement de la méthodologie de recherche. Il favorise l’utilisation de la bibliothèque par les élèves pour apprendre la démarche de recherche et pour faire l’analyse des sources, ce qui témoigne déjà à cette époque d’une préoccupation des auteurs pour l’enseignement des compétences informationnelles (Parent, 1963). Il propose, dès lors, l’utilisation de la bibliothèque comme outil d’enseignement. À partir de cette prémisse, le ministère de l’Éducation[2] (MEQ) adoptera certaines mesures, car des conditions matérielles adéquates sont indispensables pour assurer l’action pédagogique de la bibliothèque. Lors de la création des écoles polyvalentes vers la fin des années 1960, le Ministère injecte 55 millions de dollars dans les bibliothèques pour garnir suffisamment les écoles de livres de qualité (Bouchard, 1989). Ce budget n’était pas réservé qu’à l’acquisition des oeuvres dans les nouvelles écoles. Il prévoyait également de la formation aux enseignants pour que ces derniers développent des séquences d’enseignement en bibliothèque. L’accompagnement offert par le personnel qualifié en bibliothéconomie visait une meilleure exploitation pédagogique des ressources.

Jusqu’au début des années 1980, le développement de la bibliothèque est à géométrie variable, d’autant qu’un lot d’inquiétudes s’installe notamment en ce qui a trait à l’arrivée de la technologie dans le réseau. C’est dans ce climat d’instabilité qu’est demandé, à Gilles Bouchard et son équipe, de faire un état de la situation des bibliothèques scolaires. En 1989, le rapport est publié et reste, à ce jour, le plus complet quant à l’état des bibliothèques scolaires au Québec. Hormis quelques constats fort positifs, il souligne entre autres que « [m]algré les affirmations et les déclarations de principe, la bibliothèque ne semble pas avoir trouvé sa place dans l’organisation pédagogique et administrative de l’école » (Bouchard, 1989, p. 7). Il constate, à nouveau, le piètre état des collections, le manque de personnel, les heures d’ouverture coupées, les locaux dans un état lamentable, etc. (Bouchard, 1989). Bref, il sonne l’alarme. Le rapport Bouchard, auquel ont contribué plus d’une vingtaine de commissions scolaires, consacre une section entière à des mesures de redressement et à des recommandations dans les domaines suivants : les ressources humaines et matérielles, les services, l’exploitation pédagogique et la gestion.

Dans les années 1990, les réflexions et les interrogations sur le système éducatif mèneront à la Commission des États généraux sur l’éducation. Ce vaste mouvement de consultation interpelle toutes les personnes intervenant de près ou de loin en éducation. À la fin de son mandat, la commission publie Rénover notre système d’éducation : dix chantiers prioritaires (Commission des États généraux sur l’éducation,1996). Les nombreux intervenants rencontrés par le comité ont déploré à nouveau le manque de ressources pour soutenir le développement des moyens d’apprentissage et d’enseignement, dont la bibliothèque :

L’urgence d’améliorer la qualité des bibliothèques fait consensus. Les bilans tracés sont plutôt sombres : au primaire, les collections seraient désuètes, l’équipement informatique serait absent et le personnel spécialisé serait insuffisant, même pour répondre au besoin d’encadrement des bénévoles.

Berthelot, 1996, p. 73

Le ministère de la Culture et des Communications entre en scène également dans le dossier des bibliothèques scolaires en publiant Le temps de lire, un art de vivre (1998). Il s’agit d’une première politique de la lecture et du livre au Québec qui représente, pour bien des acteurs culturels, un levier à plusieurs égards. On y reconnaît l’importance que doit jouer la bibliothèque scolaire notamment pour réaliser les objectifs du Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) et fournir les premiers repères culturels aux enfants. Au début des années 2000, une coalition en faveur des bibliothèques scolaires, composée d’associations professionnelles des milieux de l’éducation et du livre, dénonce, dans les médias, le manque de volonté du gouvernement de mettre en place les recommandations du rapport Bouchard et ainsi attaquer ce chantier pourtant jugé prioritaire par de nombreux experts (Dion, 2008). Il faut donc presque 15 ans après la publication du rapport Bouchard pour voir naître une volonté gouvernementale et le début de l’application de certaines des nombreuses recommandations de ces rapports. La bibliothèque scolaire semble alors en voie de devenir un acteur dans les paysages éducatif et culturel québécois pour développer des lecteurs pour la vie.

L’adoption du Programme de formation de l’école québécoise et de l’approche par compétence

Au début des années 2000, le Québec, en étant précurseur, ne fait pas exception aux autres systèmes éducatifs francophones et adopte un programme de formation misant sur l’approche par compétences. Celles-ci sont définies dans le PFEQ comme étant « un savoir-agir fondé sur la mobilisation et l’utilisation efficaces d’un ensemble de ressources » (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006, p. 4). Les ressources font référence aux savoirs, mais aussi aux expériences, aux habiletés, aux intérêts, etc. Ainsi, le programme vise le développement de la pensée critique. Le PFEQ présente un projet éducatif sous le couvert de cinq grands domaines généraux de formation : santé et bien-être, orientation et entrepreneuriat, environnement et consommation, médias, vivre-ensemble et citoyenneté et vise le développement de compétences disciplinaires et transversales en regroupant les savoirs selon cinq domaines d’apprentissage : les langues, les arts, la mathématique, la science et la technologie, l’univers social et le développement de la personne. Des documents nommés « Progression des apprentissages » se sont greffés au PFEQ afin d’identifier les savoirs à enseigner dans les compétences disciplinaires pour chaque cycle du primaire et du secondaire. Bien que la lecture se retrouve dans le domaine des langues, il faut reconnaître qu’elle est à la base de ce projet de formation, puisqu’elle permet aux élèves d’apprendre, de structurer leur pensée, de s’exprimer et d’exercer leur sens critique, et ce, dans toutes les disciplines autant que dans leur vie citoyenne. L’école doit créer chez les élèves de bonnes pratiques en lecture et offrir des situations d’enseignement et d’apprentissage qui permettent de former des lecteurs compétents, curieux et motivés à apprendre :

La lecture est non seulement un outil d’apprentissage, de communication et de création, mais aussi une source de plaisir. La plupart des activités quotidiennes font appel à la lecture, qu’il s’agisse d’effectuer une tâche, de se renseigner ou de se divertir. L’élève apprend à lire pour mieux s’intégrer dans la vie scolaire et sociale, mais il doit aussi lire pour apprendre dans différents contextes disciplinaires. 

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006, p. 74

Cela dit, le PFEQ est un document prescriptif des savoirs à enseigner et des compétences à développer. Il suggère de créer des environnements riches et stimulants, en plus de nommer explicitement les différents types de textes à explorer pour développer le bagage culturel des élèves. Néanmoins, il ne suggère en aucun cas des approches ou des moyens pédagogiques spécifiques pour transmettre ces savoirs, ni de progression des apprentissages pour l’enseignement des compétences transversales. À ce sujet, l’article 19 de la Loi de l’Instruction publique reconnaît que l’enseignant demeure libre de faire usage du moyen pédagogique de son choix pour transmettre ces savoirs (Gouvernement du Québec, 2020). Ainsi, on reconnaît l’autonomie professionnelle de l’enseignant pour prendre les meilleures décisions pour sa classe en fonction des capacités d’apprentissage de ses élèves.

Malgré ces principes, le PFEQ et les différentes progressions des apprentissages ne mentionnent pas les usages et les apprentissages pouvant être faits en bibliothèque scolaire. Ils accordent d’abord une place à l’univers littéraire, via entre autres le développement de la compétence à apprécier des oeuvres littéraires et ils suggèrent de former les élèves au vocabulaire du monde du livre (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006). Des éléments reliés à la méthodologie et aux stratégies de recherche documentaire, qu’on nomme aussi compétences informationnelles, se trouvent disséminés à divers endroits, et ce, de façon implicite, dans les contenus disciplinaires (Mottet & Morin, 2012). À titre d’exemple, il suffit de lire les différentes stratégies qui soutiennent le développement de la compétence à lire pour établir des liens importants avec les compétences informationnelles. Le PFEQ fait aussi une place au concept des compétences informationnelles par le biais des compétences dites transversales tels « Exploiter l’information » et « Exercer son jugement critique ».

Ces différentes notions qui se trouvent au coeur du PFEQ, combinées au libre choix des moyens et techniques pour enseigner, commandent une collaboration accrue entre le personnel documentaire et les enseignants pour développer la bibliothèque scolaire en soutien à l’enseignement et à l’apprentissage. Cette collaboration mettra d’une part l’expertise du personnel en milieu documentaire au service de la pédagogie et de la planification des situations d’enseignement-apprentissage et favorisera, d’autre part, la réflexion et le déploiement de bonnes pratiques bibliothéconomiques en vue d’un usage pédagogique de la bibliothèque scolaire.

Les plans d’action et les différentes mesures ministérielles

Dans l’histoire de l’éducation au Québec, les quinze dernières années ont été parmi les plus florissantes en investissements pour les bibliothèques scolaires. Par les sommes injectées dans le réseau, le ministère de l’Éducation affirme une volonté de soutenir financièrement les bibliothèques scolaires pour les doter de collections riches et variées et certainement soutenir l’implantation du PFEQ. Effectivement, en 2005, après des années de dénonciations et de contestations de la part du milieu (Dion, 1998, 2008 ; Gervais, 2002), le gouvernement met en place le Plan d’action sur la lecture à l’école. Partant du constat que l’apprentissage de la langue d’enseignement est une condition de réussite scolaire, ce plan se donne comme orientation première de former de jeunes lecteurs qui prennent plaisir à lire, qui ont régulièrement recours à la lecture de façon efficace et qui prennent l’habitude de lire pour la vie (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005). Pour ce faire, les mesures adoptées dans le plan proposent d’agir simultanément sur quatre volets : présence de documents variés ; multiplication des lieux de lecture ; médiation ; action et engagement. Le plan vise aussi à

améliorer l’accès à des ressources de qualité, sur les plans physique, pédagogique et culturel, et à mettre en oeuvre une série de mesures pour en assurer l’efficacité.

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005

De 2005 à 2018, le ministère de l’Éducation proposait des investissements de 15 millions de dollars par année en soutien à la bibliothèque scolaire, ce chiffre a atteint 20 millions de dollars en 2018, afin de procéder à l’acquisition d’oeuvres littéraires et d’ouvrages documentaires, en formats imprimé et numérique. Cela représente un investissement de 21 $ par élève, ce qui tend vers la norme émise par la Canadian School Library Association (CSLA), établie à 35 $ par élève pour une école primaire et à 46 $ pour une école secondaire (Oberg et al., 2006). L’investissement total représente un montant de 146 millions de dollars dans les bibliothèques scolaires au cours des 15 dernières années (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2020). L’ajout de sommes pour l’embauche de personnels qualifiés en bibliothéconomie n’arrive qu’en 2008, soit trois ans après l’implantation du Plan d’action sur la lecture à l’école. Un montant récurrent de 5,3 millions de dollars est injecté pour ajouter 200 bibliothécaires dans le réseau, ces derniers devant détenir un diplôme de deuxième cycle en sciences de l’information (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2020). L’objectif est de

soutenir les écoles dans le développement et la gestion des collections, la médiation et l’utilisation pédagogique des ressources littéraires et documentaires, imprimées et numériques, l’aménagement des bibliothèques scolaires et le développement des compétences informationnelles des élèves et des enseignants.

Ministère de l’Éducation, 2020, p. 84

Pour atteindre ces objectifs, le ministère établit un ratio d’un bibliothécaire pour 5 000 élèves. De 2004 à 2018, le nombre de bibliothécaires a connu une forte croissance, passant de 46 à 131 bibliothécaires scolaires pour l’ensemble des élèves du Québec (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2020). Ce nombre est revu à la baisse par le syndicat des professionnels de l’éducation qui évaluait, dans une enquête réalisée en 2016, à 93,8 le nombre de bibliothécaires en équivalent temps complet dans le réseau (Quirion, 2017). Ces données, qu’elles proviennent du ministère ou du syndicat, démontrent toutefois que le ratio souhaité n’est toujours pas atteint et que le nombre de professionnels dans le réseau est insuffisant pour soutenir le développement des bibliothèques scolaires.

Finalement, par le lancement en 2018 du Plan d’action numérique en éducation, le Ministère souligne à nouveau son engagement pour l’essor de la bibliothéconomie scolaire. L’axe 4 de l’objectif 2 de ce plan ambitieux encourage la mise en commun des ressources et des services : « les bibliothèques scolaires, collégiales et universitaires offrent des terrains particulièrement propices à l’implantation de solutions numériques permettant de mutualiser les services » (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2018, p. 42). Deux mesures du plan y sont consacrées. La première, la mesure 15, vise le déploiement d’une plateforme nationale de ressources éducatives. La deuxième, la mesure 17, injecte des sommes pour le développement d’une plateforme de prêts de livres numériques et l’acquisition de licences pour permettre l’achat et le prêt d’oeuvres en format numérique pouvant être utilisées en classe par les enseignants. Finalement, le plan d’action numérique en éducation suggère la transition des bibliothèques scolaires en carrefours d’apprentissage, concept qui suggère une évolution conceptuelle de l’usage de la bibliothèque scolaire, de ses ressources mais aussi de ses services. Finalement, le plan commande la rédaction d’un cadre de référence de la compétence numérique dans lequel on retrouvera un axe d’intervention visant le développement et la mobilisation d’une culture informationnelle (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2020).

Après des années d’investissement et l’ajout de ces mesures incitatives, il n’existe, en 2021, aucun portrait des bibliothèques scolaires, encore moins d’état de situation des usages qui en sont faits pour évaluer l’impact de ces mesures financières. Hormis celle du plan d’embauche, aucune évaluation ne semble avoir été faite de ces investissements pour assurer un suivi ou encore une évaluation qualitative et quantitative des collections et des services des bibliothèques scolaires. Il demeure impossible d’affirmer si les collections des bibliothèques scolaires atteignent la norme de titres par effectifs scolaires, celle-ci étant basée, toujours selon les recommandations établies par la CSLA, à un minimum de 5 000 titres (35/élève) pour une école de 300 élèves et à 40 000 titres (25 titres/élève) pour une école de plus de 1 000 élèves (Oberg et al., 2006). Aucune étude récente ne permet de confirmer ou d’infirmer si l’objectif d’améliorer les bibliothèques scolaires sur les plans physique, pédagogique et culturel est atteint, ni si les bibliothécaires scolaires jouent un rôle de soutien pédagogique dans les milieux pour le développement des compétences en lecture et des compétences informationnelles des élèves. Cependant, dans une récente étude menée auprès de plusieurs enseignants du primaire, 69 % d’entre eux disent avoir une bibliothèque scolaire permettant d’avoir accès à la littérature jeunesse en classe (Lépine, 2018), sans toutefois fournir des données plus précises quant à l’usage pédagogique de la bibliothèque. Le plan d’embauche des bibliothécaires scolaires a pour sa part fait l’objet d’une évaluation. Il en ressort que l’augmentation, bien qu’elle soit considérable, est toutefois loin d’atteindre le ratio souhaité (1/5000), se chiffrant actuellement à un bibliothécaire pour 7500 élèves. Ce déséquilibre semble avoir suscité l’attention du Conseil supérieur de l’éducation qui, dans son rapport Éduquer au numérique : Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2018-2020 (2020), évoque les différences des ratios entre l’enseignement régulier et post-secondaire :

Les différences (en matière de ressources humaines et matérielles) entre les bibliothèques scolaires (qui sont beaucoup plus nombreuses et touchent une plus grande partie de la population) et celles de l’enseignement postsecondaire sont presque choquantes.

Conseil supérieur de l’éducation, 2020, p. 61

La formation des maîtres et celle des bibliothécaires : suffisantes pour engager la collaboration ?

Pour agir et être en mesure d’offrir un soutien à l’enseignement et à l’apprentissage, des collaborations doivent se tisser dans la formation des bibliothécaires et des enseignants. Bouchard déclarait en 1989 que

l’utilisation de la bibliothèque ne dépend pas seulement des ressources humaines, matérielles et financières. Elle dépend aussi de l’organisation de l’enseignement, des stratégies d’apprentissage, des démarches pédagogiques et de la supervision pédagogique de la direction d’école.

Bouchard, 1989, page 61

Dès lors, les connaissances en pédagogie et en didactique qui concernent l’enseignement et l’apprentissage de la lecture sont-elles suffisamment connues du personnel en milieu documentaire pour qu’elles puissent avoir un impact sur le développement des bibliothèques scolaires ? Les enseignants, en contrepartie, connaissent-ils suffisamment l’apport potentiel de la bibliothéconomie scolaire sur les apprentissages ? Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons analysé quelques formations offertes au Québec aux bibliothécaires et aux enseignants en matière de bibliothéconomie scolaire.

Formation des bibliothécaires scolaires

Il est impossible d’analyser la situation et le développement des bibliothèques scolaires en faisant abstraction de la formation bibliothéconomique et pédagogique que reçoit le personnel oeuvrant dans le milieu scolaire. Bouchard parlait en 1989 d’un « sérieux coup de barre à donner » (Bouchard, 1989, p. 83) pour l’ensemble des mesures de redressement, mais le chantier de la formation initiale des bibliothécaires scolaires était celui qui nécessitait les plus grands travaux d’arrimage. Son rapport évoque à de nombreuses reprises l’importance du travail de collaboration entre les bibliothécaires et les enseignants :

À ce jour, l’évolution des bibliothèques scolaires s’est faite principalement sous la responsabilité de deux catégories de personnel professionnel ayant des profils de formation différents : le spécialiste de la bibliothéconomie et le spécialiste des sciences de l’éducation.

Bouchard, 1989, p. 92

Il mentionne le manque de collaboration entre la bibliothéconomie et la pédagogie dans la formation universitaire, mais évoque surtout l’immense difficulté à faire changer ou à faire évoluer la situation au Québec. Cette situation pourrait être à la source d’un certain clivage entre les applications pratiques de la bibliothéconomie scolaire et les besoins pédagogiques. Ailleurs aux États-Unis, dans les provinces canadiennes anglophones, en Australie et en France, le bibliothécaire scolaire détient une formation initiale en enseignement avant de parfaire ses connaissances en bibliothéconomie, dans un parcours de formation spécialisée, ce qui lui permet d’exercer la profession de bibliothécaire enseignant. Le cahier de recommandations de l’IFLA où il est question du personnel qualifié en fait aussi mention, ce qui nous laisse croire que la situation au Québec est plutôt exceptionnelle :

La bibliothèque scolaire étant au service de l’enseignement et de l’apprentissage, elle doit être placée sous la responsabilité de professionnels ayant le même niveau d’études et de qualification que les enseignants de discipline.

Comité permanent de la section Bibliothèques scolaires de l’IFLA, 2015, p. 10

L’analyse de la formation reçue par les bibliothécaires-enseignants ailleurs au Canada permet de confirmer cette disparité. À Queen’s University en Ontario, par exemple, le certificat d’études supérieures pour les bibliothécaires- enseignants est offert à la faculté d’éducation. Les cours, offerts en formation continue, permettent donc aux enseignants de se spécialiser en bibliothéconomie et de parfaire leur expertise d’enseignement pour agir dans toutes les disciplines (Queen’s University, 2021). En résumé, la mission d’enseignement y est au coeur de la profession. Aucune formation de ce type n’est offerte au Québec, tant dans la formation des maîtres que dans la formation pour les bibliothécaires. On pourrait pourtant penser que, si une telle formation existait au Québec, elle formerait des professionnels aptes à prendre en charge les notions reliées aux compétences informationnelles, notions qui sont par ailleurs décrites dans le PFEQ et qui sont actuellement laissées à la responsabilité de chaque enseignant disciplinaire sans une réelle prise en charge (Landry & Letellier, 2016). La profession de bibliothécaire-enseignant n’est peut-être pas la solution à ce clivage mais elle plaide en faveur d’une collaboration plus étroite entre les deux facultés mais aussi entre les enseignants et les bibliothécaires.

Les cours offerts à la maîtrise à l’École des sciences de l’information de l’Université de Montréal ont été analysés. Les étudiants de première année suivent un parcours commun où il est question des différentes activités de la chaîne documentaire et peuvent prendre par la suite des cours à option pour se spécialiser. Dans l’offre de cours à option, un seul vise à étudier tous les types de services offerts pour les jeunes et un autre concerne davantage les bibliothèques scolaires en lien avec les apprentissages. Pour la plupart des bibliothécaires entrés en poste dès 2008, soit au début du plan d’embauche, et interrogés lors de l’évaluation de celui-ci, les quelques cours offerts à la maîtrise en sciences de l’information semblent insuffisants et cela va même jusqu’à représenter une entrave à la collaboration avec les autres professionnels sur le terrain pour qui la profession de bibliothécaire est méconnue (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2020). En plus de ne pas avoir obligatoirement de formation universitaire de premier cycle en enseignement, les bibliothécaires disent souffrir d’un manque de cours en pédagogie pour agir adéquatement en milieu scolaire. L’apprentissage de la profession se fait donc lors de l’entrée dans le milieu. Finalement, les bibliothécaires interrogés souhaiteraient recevoir des cours en pédagogie, ce qui exigerait une meilleure collaboration entre les différentes facultés d’éducation et l’école des sciences de l’information pour offrir dans un premier temps un meilleur corpus de cours spécialisés et, dans un second temps, de la formation continue aux services des travailleurs sur le terrain.

La formation des enseignants

Les cours offerts en éducation préscolaire et en enseignement primaire et secondaire des universités de Montréal et de Laval ont été analysés à titre d’exemple. Il semble que les enseignants, pour leur part, ne reçoivent aucun cours durant leur parcours universitaire où il est question de l’usage pédagogique de la bibliothèque scolaire. Certes, des cours en littérature jeunesse sont offerts pour soutenir son utilisation en classe comme moyen d’enseignement mais aucune formation n’est donnée pour soutenir l’usage et les pratiques pédagogiques en lien avec la bibliothèque scolaire. Le constat semble le même pour la formation en technologie éducative où il est question des compétences informationnelles, sans faire mention des liens possibles avec la bibliothèque scolaire et son personnel qualifié. Cette absence de spécialisation en bibliothéconomie scolaire dans les facultés d’éducation de ces deux universités québécoises pourrait expliquer, en partie, l’écart entre les énoncés théoriques et les applications pratiques de la bibliothéconomie scolaire et les difficultés reliées à la reconnaissance du rôle pédagogique des bibliothécaires scolaires.

En définitive, le modèle québécois de développement de la bibliothèque scolaire semble certes pertinent dans les documents ministériels et les différents rapports produits depuis 70 ans, mais dans la pratique, ces mesures lui ont-elles réellement permis de prendre sa place au sein de l’organisation pédagogique de l’école, comme l’a souhaité Bouchard dans son rapport ? La bibliothèque semble demeurer un lieu peu articulé au regard des pratiques d’enseignement et des compétences disciplinaires que doivent développer les élèves.

Le contexte scientifique : une absence de collaboration

Les recherches scientifiques s’étant intéressées à la bibliothèque scolaire au Québec comme objet d’étude sont peu nombreuses voire quasi-inexistantes. Plusieurs éléments ont remis en question sa présence dans l’école, notamment l’accès à l’information par Internet ou encore l’arrivée du livre numérique dans les écoles. Cette remise en question persistante de ce lieu, jumelée aux besoins de locaux pour répondre à l’augmentation des effectifs scolaires (Robillard, 2019), a eu un impact majeur sur le développement de la bibliothèque scolaire, d’autant qu’aucune étude récente n’a permis de comprendre, d’analyser et d’évaluer son rôle pédagogique dans le contexte québécois. La bibliothéconomie scolaire souffre manifestement de cette absence de recherches scientifiques qui lui auraient possiblement permis de mieux définir le rôle pédagogique qui lui est dévolu et ainsi d’organiser adéquatement son développement en s’appuyant sur des modèles rigoureux, éprouvés par des pratiques efficaces. Pour arriver à encadrer l’usage pédagogique de la bibliothèque scolaire, Bouchard recommandait en 1989 un modèle de développement établi sur la collaboration et sur les responsabilités partagées entre trois instances : « le ministère de qui relève les orientations, les commissions scolaires qui assurent l’organisation et l’école qui voit à la réalisation » (Bouchard, 1989, p. 74), le tout soutenu par la recherche scientifique. Cela dit, l’articulation de ce modèle réside dans la collaboration des acteurs sur le terrain, mais commande aussi une collaboration entre les gouvernements et le milieu et entre les chercheurs en didactique et en bibliothéconomie pour encadrer le développement de la bibliothéconomie scolaire québécoise.

Actions gouvernementales : un manque d’orientations claires

Les recherches québécoises sur les bibliothèques scolaires se font rares et datent d’une époque où les investissements étaient quasi-absents et où le numérique n’était pas encore bien implanté dans les écoles comme il l’est actuellement. Par conséquent, le peu de données ne permet pas au gouvernement d’énoncer des orientations claires (Dion, 2008). Les recherches scientifiques entreprises aux États-Unis semblent, de leur côté, avoir fait bouger les gouvernements de plusieurs États, notamment ceux de l’Ohio (Ohio Department of Education, 2021), de la Pennsylvanie (Commonwealth of Pennsylvania - Department of Education, 2019), de New York (New York State Education Department, 2020) et du Colorado (Colorado Department of Education, 2021). Ces quatre États, en plus d’investir massivement, ont récemment publié des lignes directrices pour inciter les écoles à embaucher du personnel qualifié, à développer des lieux accueillants et modernes et à soutenir l’implantation d’un programme où la littératie informationnelle est au coeur de la formation. Ils offrent du soutien aux administrateurs et aux personnels pour évaluer le service et suggèrent des moyens d’établir la collaboration entre le personnel qualifié en milieu documentaire et les enseignants. Le cahier de recommandation de l’IFLA pour la bibliothèque scolaire va par ailleurs dans le même sens que ces lignes directrices et reconnaît l’importance d’un financement adéquat et d’une législation sans toutefois en faire les seuls critères (Comité permanent de la section Bibliothèques scolaires de l’IFLA, 2015). Effectivement, le cahier expose 16 recommandations réunies sous six grands axes : le cadre légal et financier, la mission et les objectifs, les ressources humaines, les ressources physiques et numériques, les projets et les activités ainsi que l’évaluation.

Au Québec, les investissements des dernières années, faits principalement en réponse aux pressions relatives à la désuétude des collections, ne semblent pas avoir été accompagnés de lignes directrices ou d’orientations pédagogiques et organisationnelles pour soutenir le développement de la bibliothèque scolaire. Le manque d’orientations ministérielles a, par ailleurs, été soulevé récemment comme étant une entrave au travail des bibliothécaires lors de l’évaluation du plan d’embauche (ministère de l’éducation et de l’enseignement supérieur, 2020). Le peu d’orientations émises dans le Plan d’action sur la lecture à l’école ne semblent pas suffire aux écoles, puisqu’il concernait davantage la mise en oeuvre d’une bibliothèque qui fournit des ressources pour les élèves et qui suscite leur plaisir de lire. Le plan n’est toutefois pas accompagné d’orientations sur le développement des collections et sur les services attendus de la bibliothèque scolaire pour qu’elle agisse en soutien à la pédagogie. Par exemple, ce plan n’apporte aucune clarification sur les fonctions de la bibliothèque scolaire au regard de la bibliothèque de classe tel qu’encouragé par Giasson en 1999 :

[…] il semble que graduellement, la bibliothèque de l’école ait remplacé celle de la classe. Il faut bien réaliser cependant que l’une et l’autre remplissent des fonctions différentes.

Giasson & Saint-Laurent, 1999, p. 201

La bibliothèque scolaire, par ses activités de développement de collections imprimées et numériques et de traitement documentaire, a pour fonction d’offrir et de gérer une mutualisation des ressources pouvant être utilisées par les enseignants et les élèves. Elle a aussi comme fonction de former, d’accompagner et de conseiller pour en faire un bon usage.

Loin de faire double emploi avec la bibliothèque scolaire, le coin de lecture ou la bibliothèque de classe a une vocation propre. Il apprivoise l’enfant à la présence du livre en le mettant en contact quotidien avec plusieurs livres […].

Giasson, 2001, p. 23‑24

Ainsi, la clarification des fonctions de la bibliothèque scolaire et celles de la bibliothèque de classe aurait permis de préciser la mission et les objectifs de chacune pour mieux encadrer la gestion des ressources autant financières qu’humaines qui y sont dévolues.

Le manque de collaboration dans la recherche scientifique

Le peu de réflexions scientifiques sur le développement de la bibliothèque scolaire au Québec a certainement contribué aux difficultés d’ancrage de celle-ci dans le réseau éducationnel. La recherche scientifique, selon Bouchard, devrait pourtant soutenir le modèle de développement construit sur la base des responsabilités partagées (Bouchard, 1989) et permettrait d’analyser et d’évaluer le rôle de chaque acteur dans son développement. Ces recherches, faites de façon collaborative entre les didactiques et la bibliothéconomie, pourraient encourager le développement de la bibliothèque scolaire au regard des besoins de ses usagers que sont les enseignants et leurs élèves.

Aux États-Unis comme dans le reste du Canada, les recherches scientifiques entreprises argumentent en faveur de l’usage pédagogique des bibliothèques scolaires, si toutefois elles sont développées selon des critères de performance étant établis en collaboration entre l’équipe enseignante et le personnel en milieu documentaire (Curry Lance & Kachel, 2018). Après des années de sous-financement dans les bibliothèques scolaires, les recherches ont permis de constater, entre autres, l’impact majeur de l’implantation d’un programme d’enseignement dans les bibliothèques scolaires sur la réussite des élèves. « Data from more than 34 statewide studies suggest that students tend to earn better standardized test scores in schools that have strong library programs. » (Curry Lance & Kachel, 2018, para. 1). Résumées en 2013 par le School Library and Information technologies Department de l’Université Mansfield en Pennsylvanie, ces études ont évalué la qualité des programmes d’enseignement de bibliothèques scolaires et en quoi le personnel qualifié, tant bibliothécaires que techniciens, est nécessaire pour assurer l’implantation de ces programmes dans les bibliothèques (Kachel, 2013). Elles cherchent également à comprendre ce que chaque partie prenante dans une école pense des relations entre une bonne bibliothèque scolaire et la réussite éducative des jeunes :

Clearly, the studies confirm that quality school library programs with full-time, certified librarians and library support staff are indicative of and critical to student achievement. […] In closing the achievement gap and assuring that all students are prepared with the 21st century skills they need to succeed, school leaders and librarians need to embrace this body of research and foster school library programs that can make a difference in student learning. Schools that support their library programs give their students a better chance to succeed.

Kachel, 2013, p. 5

La plupart des recherches recensées ont établi une corrélation entre les résultats scolaires et les différentes variables bibliothéconomiques pertinentes, entre autres la présence de personnel qualifié tant professionnel que technique (Lance & Schwarz, 2012), la collaboration soutenue entre le personnel professionnel et les enseignants (Lance et al., 2010), la technologie (Ross & Heinstrom, 2006), les collections (Lance & Schwarz, 2012), et le budget (Achterman, 2008). Pour avoir un impact positif sur les résultats scolaires, l’établissement évalué devait avoir mis en place ces pratiques bibliothéconomiques depuis quelques années.

Au Québec, aucune évaluation n’a pu être faite de la bibliothèque scolaire sur la base de ces critères d’analyse, ce qui semble être un frein à l’implantation d’une bibliothéconomie dite spécialisée. Pour y arriver, la collaboration entre la bibliothéconomie et les sciences de l’éducation n’est donc pas uniquement souhaitable entre les corps d’emploi sur le terrain pour mettre en place de bonnes pratiques bibliothéconomiques dans les écoles. Il serait également encouragé de tisser des liens avec la recherche pour assurer l’analyse et l’évaluation de la bibliothéconomie scolaire, celle-là même qui permettrait d’avoir un impact sur la réussite éducative des jeunes. En somme, la mise en relation des données de la recherche en didactique avec celles de la bibliothéconomie soutiendrait le développement d’un cadre d’action structurant et efficace, permettant ainsi de définir, de former et d’accompagner à l’usage pédagogique de la bibliothèque scolaire.

Le contexte social

La lecture étant à la fois la porte d’entrée sur le monde littéraire et sur l’univers de la connaissance et du savoir, l’école est mandatée pour créer des lecteurs pour la vie ; la bibliothèque scolaire se présente ainsi comme acteur en soutien à ce mandat en travaillant en synergie avec l’ensemble des partenaires internes et externes au réseau scolaire. Encore faut-il lui reconnaître socialement ce rôle pour assurer son développement maximal. Selon l’Unesco, la bibliothèque scolaire

fournit l’information et les idées indispensables à quiconque veut réussir sa vie dans la société d’aujourd’hui qui repose sur l’information et le savoir. La bibliothèque scolaire, en permettant aux élèves d’acquérir les outils qui leur permettront d’apprendre tout au long de leur vie et en développant leur imagination, leur donne les moyens de devenir des citoyens responsables.

UNESCO, 1999, para. 1

Cette bibliothèque scolaire, lorsqu’elle est bien développée, s’inscrit aux côtés d’autres acteurs éducatifs et culturels pour créer des lecteurs, mais a le privilège, du fait d’une présence étroite auprès de ce jeune lectorat, de pouvoir agir dès l’entrée à l’école sur l’ensemble des élèves du Québec et de poursuivre son mandat tout au long de la scolarité obligatoire. Par conséquent, encourager son usage ne peut qu’avoir un impact social positif, puisqu’à la sortie de l’école, l’élève, devenu jeune adulte, sera plus habile pour continuer à fréquenter les bibliothèques et utiliser leurs services pour diverses raisons, que ce soit au cégep, à l’université ou dans sa municipalité. On peut donc espérer de l’école qu’elle installe des habitudes de fréquentation et d’usage de ce lieu culturel et d’apprentissage qu’est la bibliothèque.

Cette présence continue de la bibliothèque scolaire au sein de l’école lui confère un rôle de première ligne pour agir positivement sur le développement de la compétence à lire et donc, pour inspirer de bonnes pratiques en lecture. Et le défi de l’école est justement là : capter le lectorat alors qu’il est en apprentissage et en développement de sa compétence : « Notre objectif ultime, comme société, devrait simplement être de permettre à tous les Québécois de s’épanouir pleinement comme lecteurs. » (Demers, 1998, p. 29) Un mémoire, publié quelque temps avant le rapport Bouchard, et qui semble être le seul document au Québec à avoir évalué l’impact d’un programme d’animation en bibliothèque scolaire, tire les conclusions suivantes : pour créer un réel plaisir en lecture et créer des lecteurs pour la vie, il faut s’attaquer au développement de la compétence à lire (Gervais, 1996). Cela dit, des animations se concentrant sur le plaisir de la lecture, comme le prévoit le Plan d’action sur la lecture à l’école, ne semblent pas suffire à développer des pratiques de lectures durables.

La recherche montre que toute intervention de stimulation, d’accompagnement ou de prolongement en lecture, si bien structurée soit-elle, ne produit pas nécessairement les effets escomptés sur le développement du goût de lire et des habitudes de lecture des jeunes du primaire »

Gervais, 1997, p. 39

Il faut donc arrimer plaisir de lire et développement de la compétence. Selon Dominique Demers, grande ambassadrice de la lecture au Québec, l’état des bibliothèques scolaires et la place qu’on accorde socialement à son développement sont déplorables (Harvey, 2005). Selon elle, comme l’école a un mandat clair de développer la compétence à lire, l’urgence d’agir pour les bibliothèques scolaires est en fait une priorité fondamentale pour atteindre les objectifs d’enseignement et d’apprentissage en lecture de l’école (Harvey, 2005). Cela appelle un nouveau travail de collaboration qui est à construire cette fois entre le personnel qualifié en bibliothéconomie scolaire et les différents acteurs externes au réseau, que sont les organismes communautaires, les acteurs culturels, les bibliothèques publiques, etc., tous engagés pour la même cause. Ainsi, à cette condition, pourrait-on espérer assurer le développement maximal de la bibliothèque scolaire.

La bibliothèque scolaire doit donc être développée et soutenue pour participer à la réalisation de ce mandat. Ce rôle qui lui est ainsi confié de soutenir l’enseignement et l’apprentissage de la lecture s’inscrit en plus dans un environnement dynamique, où le numérique, en constante évolution, occupe une place très importante. Le lecteur compétent est aussi un lecteur qui a une forte culture informationnelle, dans cette société dite de l’information et de la communication. Nous sommes désormais entourés, voire submergés d’informations de toute nature et surtout de qualité variable. Cette information est disponible sur différentes plateformes ou encore sur différents types de sites web (blogues, wiki, etc.) en plus d’être abondamment partagée sur les réseaux sociaux (Duplessis, 2010). Elle est de toute provenance et presque sans barrière d’accès. En d’autres mots, l’utilisation d’un moteur de recherche permet un accès simple et facile à des milliards de ressources diverses, non classées, non évaluées et sans personne pour nous y guider. Si le moteur de recherche n’est pas utilisé adéquatement et efficacement, cela peut rapidement devenir un cauchemar pour l’utilisateur, puisqu’il devra lui-même faire le tri des sources, juger de leur qualité et de leur pertinence. Sans le développement de compétences en lecture et en recherche d’information, cette « infobésité » risque d’écraser le chercheur sous un poids ingérable de données (Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017).

Selon le principe qui sous-tend un processus d’apprentissage complexe et différent de la lecture traditionnelle d’un texte littéraire par l’intégration notamment de l’hypertexte (Belisle, 2011 ; Lacelle et al., 2017), l’enseignant se voit obligé de transformer sa pratique. Le texte numérique est davantage modulaire et permet une lecture en discontinu tout en intégrant des éléments autres que du texte, comme des images, du son, des vidéos, de la musique. Ces éléments deviennent complémentaires au texte et transforment nécessairement le message. Inévitablement, l’élève doit adapter la lecture du texte et intégrer tous les éléments multimodaux pour se faire une idée globale du message et construire du sens en fonction de son intention de lecture dont il peut facilement être distrait (Lacelle et al., 2017). Aussi, comme l’information est omniprésente sur différents supports et est de qualité variable, et que la lecture devient davantage multimodale, l’enseignant qui ajuste sa pratique au regard de cette nouvelle réalité numérique devient un accompagnateur et un guide dans cet univers au lieu d’être le transmetteur d’information (Belisle, 2011 ; Lacelle et al., 2017). Les élèves, devenant en partie autodidactes, doivent apprendre à s’informer, à chercher et à analyser l’information présente sous différentes formes. Dès lors, ces compétences s’enseignent et doivent être mises de l’avant pour créer des lecteurs capables d’évoluer dans le monde numérique et d’agir à titre de citoyen critique et responsable. Dans ce contexte, le moment est-il venu de considérer la nécessité d’une éducation à la culture informationnelle à laquelle doit nécessairement contribuer la bibliothèque scolaire ? D’ailleurs, ce rôle lui est déjà confié par son mandat qui est d’agir « en soutien à l’utilisation des ressources » (Vézina et al., 2002, p. 9), et d’apporter l’expertise de son personnel, reconnue pour répondre spécifiquement à ces besoins.

Ce contexte appelle à une meilleure compréhension et reconnaissance du rôle social que peut jouer, dans la pratique, la bibliothèque scolaire au sein de l’école pour soutenir l’enseignement et l’apprentissage. Cette dernière est non seulement le lieu par excellence pour soutenir l’acquisition et l’intégration des habiletés et des compétences en lecture dès l’entrée à l’école, par la présence de son personnel qualifié, par la qualité de ses collections et de ses services, mais elle est aussi l’instance privilégiée pour établir des partenariats avec d’autres acteurs culturels et sociaux et ainsi agir en collaboration au développement d’un lectorat fort au Québec.

Le problème de recherche

Les contextes éducatif, scientifique et social présentés permettent de mieux comprendre la réalité des bibliothèques scolaires et mettent en exergue un possible clivage entre les pratiques sur le terrain et les recommandations issues de la recherche. Bien qu’elle soit définie et qu’on lui ait attribué par le passé un rôle important dans les différentes publications gouvernementales et associatives, il demeure difficile de développer la bibliothèque scolaire à son plein potentiel si on ne lui donne pas des orientations claires, si les recherches scientifiques en didactique et en bibliothéconomie ne dialoguent pas davantage et si la formation des bibliothécaires et celle des enseignants demeurent cloisonnées. N’ayant pas de données récentes sur l’état de situation des ressources et des services de la bibliothèque scolaire au Québec ainsi que sur son usage pédagogique par les enseignants, il est permis de croire qu’elle « ne semble pas avoir trouvé sa place dans l’organisation pédagogique et administrative de l’école » tel qu’énoncé par Bouchard en 1989. Les recherches américaines proposent pourtant des critères de développement permettant à la bibliothèque de se développer dans son plein potentiel et d’offrir les conditions gagnantes pour l’installer de façon affirmée dans son rôle spécialisé et d’agir concrètement sur la réussite éducative des jeunes. Une question reste donc irrésolue depuis la publication du Rapport Parent au Québec : comment la bibliothèque scolaire peut-elle prendre la place qui lui revient au coeur de l’intervention pédagogique dans le contexte québécois ? Pour tenter de répondre à cette question, nous mobiliserons quelques notions théoriques des sciences bibliothéconomiques et didactiques tout en présentant un exemple d’application pratique de cette collaboration.

Le cadre théorique : la bibliothèque scolaire au coeur du système didactique

Il convient maintenant d’analyser la place et le rôle de la bibliothèque scolaire et d’enrichir notre réflexion en mettant en relation des concepts des sciences didactiques et bibliothéconomiques, pour que celle-ci trouve sa place notamment en tant que lieu, mais surtout en tant que prestataire de services pédagogiques. Concrètement, cela demande d’établir des liens entre les différentes définitions de la bibliothéconomie et celles des compétences et des savoirs de la didactique. Nous avons opté pour une mise en relation des trois approches bibliothéconomiques pour décrire la mission d’un service de bibliothèque, présentées par Salaün et Arsenault (2009) aux étudiants à la maîtrise en science de l’information, avec le système didactique, tel que défini par Simard et al. (2019), dans leur ouvrage sur la didactique du français, celui-là même qui est présenté aux futurs enseignants inscrits au baccalauréat en enseignement du français dans plusieurs universités. Nous nous concentrerons principalement sur la théorie de la transposition didactique, telle que définie à la base par Chevallard.

Les sciences bibliothéconomiques et didactiques au service de la bibliothèque scolaire

L’étymologie du mot bibliothèque renvoie, tout comme le veut le sens le plus généralement répandu, au « lieu aménagé où se retrouvent des livres que l’on peut emprunter ou consulter » (Robert & Rey, 2021, p. 247). L’usager qui la fréquente peut ainsi consulter sur place ou à distance les ressources physiques et numériques et des activités de médiation, de formation et de diffusion s’offrent à lui selon ses besoins (Reitz, 2018). En d’autres mots, la bibliothèque, qu’elle soit physique ou virtuelle, permet un accès à l’information et favorise l’apprentissage (Legendre, 2005). Plus spécifiquement, en sciences de l’information, on définit la bibliothèque comme la porte d’entrée sur le monde du savoir, de la connaissance et de la culture. La bibliothèque est le résultat d’une construction, par des professionnels de l’information, « des divers maillons qui constituent ce que l’on nomme traditionnellement la chaîne documentaire. Celle-ci se définit comme l’ensemble des opérations successives de sélection/collecte, de traitement, de mise en mémoire et de stockage, et de diffusion de documents et d’information » (Salaün & Arsenault, 2009, p. 9). À travers les époques, les bibliothèques se sont adaptées aux différentes transformations politiques, économiques, sociales et culturelles et ont ajusté leur service en fonction de la même cible : les usagers. Trois approches sont utilisées pour décrire la mission et les objectifs d’un service de bibliothèque. Elle peut

offrir un accès aux collections pour la communauté qu’elle sert ; acquérir des ressources et produire des services dont l’usager est la raison d’être ; agir comme intermédiaire entre l’usager et les ressources dont la mission est de faciliter l’accès au savoir.

Salaün & Arsenault, 2009, p. 31

Somme toute, on retrouvera dans toutes les bibliothèques les activités de ces divers maillons, mais elles se distingueront selon les besoins des usagers desservis.

En ce qui concerne les définitions de la bibliothèque scolaire, celles-ci varient selon le regard bibliothéconomique ou didactique. La bibliothèque scolaire est une ressource spécialisée pour répondre aux besoins des enseignants et des élèves du réseau scolaire. Arsenault et Salaün la définissent comme étant « des services d’apprentissage, des livres et des ressources qui développent la réflexion critique et leur [les élèves] permettent d’utiliser efficacement l’information quels qu’en soit la forme ou le support » (Salaün & Arsenault, 2009, p. 14). Le ministère de l’Éducation parle, pour sa part, « d’un laboratoire d’enseignement et d’apprentissage » (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005). Par ailleurs, pour les didacticiens, la bibliothèque scolaire est davantage un lieu d’accès aux différentes ressources, ce qui réfère davantage à la première approche proposée par Arsenault et Salaün (Dezutter et al., 2012 ; Gervais, 2002 ; Giasson, 2003 ; Lépine, 2018). La didactique s’intéresse davantage aux ressources disponibles pour la mise en oeuvre de situation d’enseignement-apprentissage (Simard et al., 2019), et évoque parfois, principalement en didactique de la littérature, les services de soutien au choix des ressources littéraires (Turgeon & Noël-Gaudreault, 2014). On ne réfère que très rarement à la bibliothèque comme lieu où l’on reçoit des services d’aide et de formation à l’utilisation des ressources dans l’enseignement et donc, à cette bibliothèque qui agit comme un intermédiaire entre les ressources et l’usager. Ces services sont parfois évoqués en didactique de la littérature (Noël-Gaudreault, 1997) ou encore en didactique de la recherche d’information (Duplessis, 2010), concept plus populaire en France mais qui par ailleurs s’installe tranquillement en éducation, puisque plusieurs reconnaissent la nécessité, voire l’urgence de développer de telles habiletés chez les jeunes (Karsenti & Dumouchel, 2010).

Ainsi, on reconnaît une certaine disparité dans la compréhension de la mission de la bibliothèque scolaire. La mise en relation avec la théorie du système didactique permet de créer des ponts pour mieux orienter le développement de la bibliothèque scolaire, celle qui est en soutien à l’enseignement et à l’apprentissage et qui répond adéquatement aux besoins des enseignants et des élèves.

Le système didactique et la transposition didactique des savoirs : une mise en relation dans la pratique

Pour faire la distinction entre une bibliothèque scolaire et tout autre bibliothèque et pour adapter les différents maillons de la chaîne documentaire à sa spécialisation pédagogique, il faut nécessairement se référer aux concepts de la didactique, essentiels pour comprendre les phénomènes d’enseignement et d’apprentissage. La didactique, comme science qui se distingue des disciplines scolaires, « s’efforce, avec rigueur, d’étudier de façon rationnelle les problèmes touchant à la transmission et à l’appropriation des savoirs scolaires » (Simard et al., 2019, p. 15). Pour étudier tous les maillons de la chaîne documentaire de la bibliothèque scolaire afin d’éventuellement créer un lieu où se vivent des situations d’enseignement et d’apprentissage, il nous semble juste d’établir un lien entre la théorie du système didactique tel qu’expliquée par Simard et ses collaborateurs et la définition de la bibliothèque scolaire. Ce système, communément appelé le triangle didactique, est largement utilisé pour

décrire, analyser et comprendre les phénomènes d’enseignement-apprentissage des savoirs. […] Il y est étudié les processus d’élaboration des savoirs enseignés, leurs modes de présentation en classe et leur intégration par les apprenants.

Simard et al., 2019, p. 12

Les différents maillons de la chaîne documentaire devront être analysés pour qu’ils puissent graviter adéquatement autour des trois pôles du triangle didactique, plus spécifiquement dans l’axe entre l’enseignant et le savoir. Nous présentons ici l’exemple des formations documentaires offertes aux utilisateurs qui ont pour but de former à planifier la recherche, chercher, analyser et utiliser l’information dans le cadre d’un projet de recherche scolaire.

La transposition didactique dans les formations documentaires

Pour développer des services de bibliothèque adaptés aux situations d’enseignement et d’apprentissage des différents niveaux scolaires, il devient important d’évoquer la notion de transposition didactique, applicable à tous les maillons de la chaîne documentaire, et donc, aux savoirs bibliothéconomiques. Les formations documentaires, par exemple, se rattachent à l’axe enseignant-savoir, à l’acte de transmission des savoirs ou, plus concrètement, à l’élaboration didactique des savoirs à enseigner. On réfère ainsi à la notion de transposition didactique des savoirs savants en savoirs enseignés (Chevallard, 1986). La transposition didactique fait référence au processus d’adaptation ou de transformation d’un contenu en un objet d’enseignement en vue de son apprentissage (Chevallard, 1986 ; Simard et al., 2019 ; Thouin, 2014) . Pour le personnel en milieu documentaire, cela signifie à la fois d’entreprendre une démarche réflexive pour identifier les différents savoirs pouvant être enseignés à la bibliothèque selon le PFEQ et les différentes progressions des apprentissages disciplinaires et de transposer ces savoirs en savoirs à enseigner, selon le niveau cognitif des élèves.

Cette étape nous apparaît inévitable pour intégrer la bibliothèque dans le système didactique et passe, au Québec, par la collaboration entre le personnel en milieu documentaire et les enseignants de toutes les disciplines, tous concernés par le développement des compétences informationnelles (compétences transversales) qui sont au service des apprentissages disciplinaires :

Les bibliothécaires scolaires reconnaissent l’importance d’avoir un cadre systématique pour l’enseignement des compétences associées aux médias et à l’information, et ils contribuent au développement des compétences des élèves au cours de travaux en collaboration avec les enseignants.

Comité permanent de la section Bibliothèques scolaires de l’IFLA, 2015, p. 9

Il s’agirait d’appliquer le principe des progressions des apprentissages, réalisées pour les contenus disciplinaires, aux différents éléments de savoirs bibliothéconomiques. Les enseignants, qui ne possèdent pas tous des compétences informationnelles pour faire leurs propres recherches d’informations (Mottet & Gagné, 2017), doivent faire le travail d’identifier les savoirs à enseigner selon le niveau d’apprentissage des élèves, et donc faire l’exercice de transposer ces savoirs dans des situations d’enseignement et d’apprentissage. C’est ici que l’expertise du personnel qualifié en bibliothéconomie, bien que méconnue à cet égard, doit être mise à contribution. Un comité de bibliothécaires a récemment réfléchi à la question d’une progression de la compétence « Exploiter l’information » en proposant un Continuum sur le développement des compétences informationnelles (Association pour la promotion des services documentaires scolaires, 2020). L’outil développé par le comité et validé par les enseignants, s’arrime au PFEQ et aux diverses progressions des apprentissages disciplinaires en présentant les notions et les concepts aux enseignants selon le niveau d’enseignement. Le comité reconnaît dans ses travaux que la démarche de recherche demeure globalement la même tout au long du parcours des élèves, mais qu’il importe d’ajuster les savoirs selon leur niveau d’apprentissage. Par exemple, un enseignant ne développera pas la planification à la recherche d’information en première année du primaire de la même façon qu’en sixième année alors que l’intention pédagogique n’est pas la même et le niveau d’apprentissage des élèves est différent. L’application de ce Continuum requerra un travail encore plus étroit de collaboration entre le personnel en milieu documentaire et les enseignants pour planifier les séquences d’enseignement et d’apprentissage. Cet exercice de transposition didactique des savoirs bibliothéconomiques positionnera et intégrera la bibliothèque scolaire au coeur du système didactique. Car sans cet effort coordonné de transposition didactique, les compétences informationnelles des élèves ne pourront bénéficier de l’expertise des bibliothécaires et ceux-ci ne pourront arrimer leur savoir au besoin des élèves et des enseignants.

Il est donc permis de croire qu’établir une relation entre les savoirs didactiques et chaque maillon de la chaîne documentaire serait bénéfique pour définir des orientations claires de développement de la bibliothèque scolaire. Peut-être est-ce cet exercice qui permettrait un meilleur développement de la bibliothéconomie scolaire au service de l’enseignement, celui-là même qui, il y a plus d’un demi-siècle, a été évoqué et souhaité par la Commission Parent ? Est-ce que cette mise en relation permettra à la bibliothèque scolaire de se définir comme soutien à la pédagogie, de se positionner comme intermédiaire entre les usagers et les ressources, en prenant sa place au coeur du système didactique ? La mise en relation entre les sciences bibliothéconomiques et didactiques qui est souhaitée permettra d’offrir des orientations claires de développement des ressources et des services d’apprentissage et ainsi développer, analyser et évaluer ces derniers afin qu’ils agissent efficacement sur la réussite des élèves.

Conclusion

Il faut reconnaître que la bibliothèque scolaire a une histoire particulière et unique au Québec. Depuis les années 1960, des publications gouvernementales émettent des recommandations pour maximiser son développement et son utilisation, mais bien qu’elle soit définie dans la théorie et qu’on lui ait attribué un rôle important dans le développement de la littératie, il semble difficile de la développer à son plein potentiel à cause de nombreux facteurs : manque d’orientations gouvernementales, perceptions erronées quant à son rôle, vide scientifique, manque de soutien et de formation du personnel et manque de collaboration. Ce travail de collaboration entre le personnel en milieu documentaire et les enseignants est souhaité sur le terrain mais aussi dans la recherche afin d’établir les ponts nécessaires à son plein développement.

Une étude mettant en relation les réalités bibliothéconomiques et didactiques est donc nécessaire dans le but, dans un premier temps, d’étudier et de comparer les perceptions des enseignants et celles du personnel en milieu documentaire quant au rôle de la bibliothèque scolaire à des fins d’enseignement et d’apprentissage. Dans un deuxième temps, elle permettrait de dresser un portrait des usages de la bibliothèque scolaire et de collecter des exemples de pratiques enseignantes qui fassent usage de la bibliothèque scolaire. En somme, une telle étude, jamais menée encore au Québec, permettrait d’élaborer une liste d’éléments essentiels au développement d’une bibliothèque scolaire en soutien à l’enseignement et à l’apprentissage, notamment pour le développement de la compétence à lire et des compétences informationnelles.