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Daniel Clément — anciennement conservateur d’ethnologie au Musée canadien des civilisations et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique — poursuit dans ce récent opus son travail d’archivage de la mythologie algonquienne. Il s’agit en effet du troisième tome de la série « Les récits de notre terre » de la collection « Tradition orale » consacrée aux « mythes, épopées, légendes, contes, fables, proverbes, dictons, chants, récits de vie » — en bref, « à la parole » des Autochtones des Amériques. Les deux tomes précédents se consacraient aux Innus et aux Atikamekw. L’ouvrage recensé ici s’intéresse aux Algonquins (Anicinabek). Clément, bien connu pour ses travaux d’ethnoscience (Clément 2012) et d’ethnobotanique (id. 2014), nous propose dans ce recueil une sélection de plusieurs récits datant de la deuxième moitié du XIXe siècle jusqu’aux années 1990 et provenant de sept communautés algonquines.

La majorité des textes — à l’exception des notes et de la présentation — consiste en la reproduction de récits déjà consignés. Ces derniers proviennent de sources diverses : des anthropologues (George F. Aubin, Horace P. Beck, John M. Cooper, Daniel S. Davidson, Jacques Leroux, Scott Nickels, Michelle A. Poirier, Paul Radin, Roger Spielman, Frank G. Speck), mais aussi des auteurs algonquins (Kermoet A. Moore, Annette Smith, Jenny Tenasco, The Circle of Turtle Lodge), un missionnaire (l’abbé Cuoq) et une personne que l’auteur décrit comme une « aventurière » (Juliette Gaultier de la Vérendrye). L’ouvrage contient en tout cinquante-cinq récits divisés en dix thèmes : « Les origines », « Histoires de Décepteur », « Tcakabesh », « Autres héros culturels », « Géants, cannibales et petites gens », « Jongleur et jonglerie », « Spiritualité », « Animaux et plantes », « Au contact d’autres nations » et « Récits divers ». On retrouve à la toute fin du livre une section de notes concernant les sources des récits, des informations sur les conteurs, les traducteurs, les communautés d’origine des récits et quelques explications sur les récits eux-mêmes. Notons que le livre fournit certains récits qui n’avaient jamais fait l’objet d’une publication et que l’auteur a exhumé des notes de terrain de l’anthropologue John M. Cooper. On retrouve également certains récits tirés d’oeuvres difficiles d’accès aujourd’hui. Clément facilite ainsi grandement la tâche d’éventuels chercheurs.

Si l’objectif de rendre accessible au plus grand nombre « la parole » des Algonquins est tout à fait louable — et utile —, il n’en demeure pas moins que le livre de Clément comporte certains défauts. Un aspect qui me semble poser problème est l’inclusion dans la section « Spiritualité » d’« enseignements » reproduits d’un ouvrage publié par The Circle of Turtle Lodge (Bailey 2017). Ce groupe s’inscrit dans le mouvement « traditionaliste », dont les enseignements inspirés de la spiritualité panindienne ne font pas nécessairement l’unanimité chez les Anicinabek (sur ce sujet, voir entre autres Bousquet 2002 : 80-83). Une mise en contexte aurait été souhaitable, surtout pour les étudiants et les non-spécialistes.

Dans la même veine, on retrouve dans cet ouvrage certaines incohérences par rapport au public cible. Notons d’abord que les spécialistes auront sans doute tendance à consulter directement les ouvrages et articles où les récits ont été initialement consignés. Ainsi, si le livre s’adresse prioritairement à un large public de même qu’aux étudiants, ces derniers retrouveront moins dans les notes laissées par Clément une explication générale des récits qu’une série d’informations très pointues sur l’ethnobotanique et l’ethnoscience algonquines, sans compter les innombrables renvois aux travaux de l’auteur et à d’autres travaux spécialisés. Force est de constater que la valeur didactique de l’ouvrage s’en trouve sensiblement affectée.

Cela dit, les critiques exposées ici — qui sont somme toute assez mineures — ne remettent nullement en cause la valeur de cet ouvrage. Faciliter l’accès au plus grand nombre de lecteurs, qu’ils soient étudiants, simplement curieux ou autochtones, à une partie de la tradition orale anicinabek demeure un objectif important.