Corps de l’article

Tant en Europe qu’en Amérique du Nord, les migrants représentent une part importante de la population âgée. Le Québec ne fait pas exception : à Montréal, 44 % des aînés sont nés à l’extérieur du Canada (DRSP et TCAIM 2019) et la plupart d’entre eux vieillissent et meurent dans leur localité d’adoption. Malgré des travaux foisonnants sur les proches aidants (par exemple, Lavoie et Guberman 2010 ; Ducharme 2012) d’une part et sur la mort, notamment sur la « bonne mort » (Déchaux 2001 ; Kaufman et Morgan 2005 ; Castra 2010), d’autre part, les expériences de la fin de vie, du mourir et de la mort en contexte migratoire ont, jusqu’à tout récemment, fait l’objet de peu de recherches. Au Québec, certains travaux récents ont abordé des thèmes connexes, dont la diversité des trajectoires des aînés immigrants (Olazabal et al. 2010), les points de vue et expériences de la vieillesse de femmes immigrantes et réfugiées (VatzLaaroussi 2013 ; Charpentier et Quéniart 2017) ainsi que le deuil et les pratiques funéraires immigrantes (Rachédi et al. 2016 ; Le Gall et Rachédi 2019), ce qui a permis d’amorcer une réflexion sur la mort en contexte migratoire.

En ce qui concerne la fin de vie et la mort, les quelques travaux qui tiennent compte du point de vue des familles immigrantes soulignent un écart de perspectives entre patients, familles et soignants (de Graaff 2016). En effet, la co-construction d’une « bonne mort » ne se fait pas toujours sans poser problème (Seal et van der Geest 2004 ; Gunaratnam 2013). Les normes et valeurs portées par les différents acteurs sont multiples, allant du choix pensé comme individuel à son inscription dans un collectif familial ou communautaire (Soom Ammann et al. 2016), du besoin de savoir au désir de taire, d’une fin de vie qui doit avant tout être vécue sans douleur à un mourir en pleine conscience, d’une mort qui survient à domicile à un décès en institution de soins (Kellehear 2009 ; Fortin et al. 2016). Ces différences de perspectives concernent également les notions de « qualité de vie » et de « dignité » et le passage d’une trajectoire active de soins à une trajectoire plutôt orientée vers le confort du malade.

Cet article examine comment des proches (généralement des membres de la famille) ayant accompagné un migrant âgé en fin de vie perçoivent les expériences du mourir et de la mort. Il porte une attention particulière à l’accompagnement assuré par les enfants et les petits-enfants et à leurs relations avec les services formels (services de santé et services sociaux publics ou privés) à Montréal. L’argument principal est que par-delà les éléments propres à la trajectoire de fin de vie de l’aîné et aux dynamiques de soutien familial, les proches estiment que la qualité des expériences de fin de vie des aînés est grandement influencée par la qualité des relations tissées avec les différents intervenants impliqués dans les soins. Dans cette optique, une bonne mort correspond d’abord à la capacité d’offrir les meilleurs soins physiques et émotionnels possible, selon les attentes de l’aîné ou celles de ses proches. En outre, la bonne mort dépend aussi du lien de confiance développé avec les intervenants, lien d’autant plus essentiel lorsque les attentes et les besoins ne peuvent pas être complètement satisfaits en fin de vie. Après avoir présenté les notions clés au coeur de notre propos et esquissé les grandes lignes du contexte de la recherche, nous explorons les dynamiques familiales de soin, la rencontre avec les services formels/professionnels telle que racontée par les proches et les éléments qui participent à la qualité de la fin de vie et de la mort.

L’accompagnement des aînés immigrants en fin de vie

La place respectivement occupée par la famille et les services formels a fait l’objet de débats dans les recherches sur les soins aux migrants âgés (Liversage et Mirdal 2017). Plusieurs d’entre elles suggèrent que les migrants âgés sous-utiliseraient les services de soin formels sur la base d’une préférence pour une aide plus informelle, notamment celle de leur famille, insistant sur l’aspect collectiviste des familles immigrantes (comparativement aux populations locales) (Schans et Komter 2010 ; Dykstra et Fokkema 2012). Ce sentiment d’obligation de fournir des soins aux siens persisterait malgré la distance, donnant lieu à une prise en charge transnationale (Horn et Schweppe 2017).

Ces travaux ont toutefois été nuancés. En effet, il n’existe pas « une norme univoque de solidarité familiale » et la part des soins que les enfants adultes apportent à leurs parents âgés est déterminée par de nombreux autres facteurs (Lavoie et al. 2007 ; Liversage et Mirdal 2017). Parmi les éléments qui cadrent ou limitent la capacité et la volonté des familles à prendre soin de leur proche figurent leurs ressources financières, les changements des dynamiques familiales et les structures de soins du pays d’installation (Schans et Komter 2010 ; Liversage et Mirdal 2017). La responsabilité principale de l’aide incombe le plus souvent à un ou parfois deux membres de la famille, principalement des femmes (Lavoie et al. 2007).

Ensuite, plusieurs de ces études omettent de considérer certains facteurs structurels constituant des barrières à l’utilisation des services (coût de certains services et rigidité de leur organisation, manque d’information, langue, statut migratoire, etc.). Sur ce point, des recherches québécoises sur les proches aidants suggèrent que la plupart des familles immigrantes n’hésitent pas à utiliser les services formels et ont même plusieurs attentes à l’égard du réseau (Lavoie et Guberman 2010). En fait, la sous-utilisation des services par les familles serait plus une contrainte qu’un choix (Brotman et Ferrer 2015). Ces recherches montrent comment l’existence d’aprioris familialistes entraîne parfois un accès et un traitement différenciés dans le réseau formel de soins (Koehn 2009 ; Lavoie et Guberman 2010). En effet, plusieurs travaux suggèrent que la prise en charge des aînés par ces familles peut être tenue pour acquise par les milieux de soins formels (Koehn 2009), du fait d’une « ethnification » du vieil âge (Forssell et Torres 2012). Des études européennes insistent par ailleurs sur la complémentarité des soins familial et professionnel (Bolzman et Vagni 2017), voire sur la préférence de certains immigrants pour les services professionnels en raison de leur disponibilité (Karl et al. 2017).

La fin de vie, le mourir et la mort en contexte québécois

Le décès représente la fin d’un parcours, l’étape ultime de la vie et du mourir. Il renvoie à un moment inéluctable alors que la « fin de vie » est une notion plus floue (Kaufman 1998 ; Lloyd 2004 ; Chapple 2010). Selon l’interlocuteur, la fin de vie évoque une temporalité (avec des trajectoires plus ou moins définies et prévisibles précédant le décès) et une condition de vulnérabilité et de fragilité du mourant et des proches qui l’accompagnent (Kellehear 2009 ; Méchin 2013). Dans le cadre de notre enquête, les morts accidentelles et subites étaient exclues et tous les défunts ont donc eu une fin de vie plus ou moins longue. Ce qui constitue une bonne fin de vie ou une bonne mort, en revanche, est labile. En tant qu’idéaux ou ensembles normatifs, leurs formes et contenus sont mouvants, selon le contexte et l’époque. Dans cet article, nous témoignons de ces fins de vie au regard des expériences de proches d’aînés ayant participé à notre recherche. Ces expériences pourront toutefois apporter un éclairage particulier sur les conceptions normatives de la fin de vie et de la mort dans nos sociétés occidentales.

Les fins de vie discutées ici s’inscrivent dans un contexte québécois de soins publics de santé. La plupart des services de santé et des services sociaux y sont couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), qui est accessible aussi aux immigrants indépendants et parrainés (après un délai de carence[1]). Les services d’assistance personnelle (exemple : soins d’hygiène) et d’aide domestique (exemple : ménage), quant à eux, sont partiellement couverts ou pris en charge par le réseau communautaire. Les aînés en fin de vie peuvent se retrouver dans un service hospitalier, dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), dans une résidence pour aînés (RPA) ou encore vivre à domicile et y recevoir des soins du centre local de services communautaires (CLSC).

Le système de santé québécois a connu des transformations importantes ces dernières décennies qui ont notamment concentré progressivement les pouvoirs décisionnels, implanté une vision axée sur les résultats et la performance, promu la mission hospitalière au détriment des services de proximité et ouvert la porte au secteur privé (Lavoie et al. 2014 ; Benoit 2017 ; Jobin 2017). Ces réformes ont eu des conséquences déplorables pour les aînés, la pandémie de COVID-19 ayant révélé les lacunes déjà existantes (Béland et Marier 2020). Si l’amélioration des services de proximité se trouvait toujours au coeur du plus récent plan d’action destiné aux aînés (voir, par exemple, Québec 2018), le réinvestissement nécessaire dans ces services est lacunaire. Dans les faits, nous constatons plutôt une diminution du soutien à domicile (Gilbert et al. 2018) et l’adoption de critères de plus en plus restrictifs qui réduisent les critères d’admissibilité et l’intensité des services (Québec 2019[2]). Si ces données concernent les soins offerts aux aînés en général, il est plausible qu’elles évoquent des tendances qui se poursuivent en fin de vie. À ce sujet, un récent rapport de la Commission sur les soins de fin de vie (2019) souligne les inégalités toujours existantes dans l’accès aux soins de fin de vie (à domicile comme en institution de soins), qui varie selon les régions, les établissements et les ressources humaines et financières disponibles.

La recherche

Les résultats présentés dans cette étude s’appuient sur les témoignages de vingt-trois proches (généralement un membre de la famille) ayant accompagné une personne à un âge avancé (c’est-à-dire entre 81 et 98 ans) en fin de vie, dans l’année précédant l’entrevue. Dans le cadre d’entretiens individuels semi-dirigés centrés sur les expériences du mourir et la qualité de la fin de vie et de la mort telles que perçues par les proches, nous avons documenté les trajectoires de fin de vie d’immigrants de grand âge à Montréal et les défis rencontrés par le ou les proches au fil de cette trajectoire. Dans l’optique de tenir compte des expériences de soins en milieux et institutions sanitaires, mais aussi de recueillir des trajectoires diversifiées, nos méthodes de mobilisation ont été des plus variées, notamment la diffusion d’affiches dans des commerces de proximité de quartiers ciblés pour leur mixité, une présence soutenue dans différents organismes et milieux de culte, des annonces dans des journaux de quartier et la distribution d’encarts (flyers) dans des endroits aussi variés que les sorties de métro ou des fêtes populaires à Montréal. Par ailleurs, le corpus traité dans le présent article s’inscrit dans une recherche plus large[3] couvrant la fin de vie de plus d’une centaine de personnes (de tous les âges, migrantes et non migrantes).

Concernant les vingt-trois défunts (douze femmes et onze hommes) au coeur de notre propos, la moitié ne parlait aucune des langues d’usage de la société locale (c’est-à-dire le français ou l’anglais). Presque tous vivaient au Québec depuis au moins dix ans. Une majorité de ceux ayant immigré après les années 1980 était venue par le biais d’un programme de réunification familiale. Neuf n’avaient jamais travaillé au Québec. Neuf étaient membres d’une maisonnée multigénérationnelle ; sept vivaient avec leur conjoint et sept demeuraient seuls avant que leur santé décline. Une fois que leur condition a diminué sévèrement, certains ont été transférés à l’hôpital (1), en CHSLD (5) ou en RPA (4), tandis que d’autres sont restés à domicile (l’une des personnes qui vivaient seules a déménagé chez un proche). Les maux dont ces aînés souffraient étaient divers et ont mené à des trajectoires de fin de vie marquées par des va-et-vient entre le domicile et l’hôpital. Quinze d’entre eux souffraient de maladies chroniques à un stade avancé ou d’une condition multiple associée au grand âge[4]. Parmi les huit autres, un souffrait du parkinson et sept ont été diagnostiqués tardivement d’un cancer avancé à évolution rapide, parfois d’une récidive. En fin de compte, cinq aînés sont décédés à domicile, un en résidence pour aînés et un autre en CHSLD. Les autres décès (16) sont survenus à l’hôpital.

Des vingt-trois proches rencontrés, quatorze étaient immigrants, sept étaient nés au Québec de parents immigrants et deux participantes étaient Québécoises d’origine canadienne-française. Une large majorité (19) était des femmes, plus précisément la fille de la défunte ou du défunt (7), sa petite-fille (7) ou sa conjointe ou amie (5). Les quatre hommes rencontrés étaient tous le fils de la défunte ou du défunt.

La fin de vie comme projet familial

Il ressort de notre étude que s’occuper de parents vieillissants et en fin de vie peut poser des difficultés en raison des transformations de l’organisation des familles contemporaines, ce qui est d’autant plus complexe lorsque leurs membres sont dispersés dans le monde. Dans ces familles transnationales (Nare et Baldassar 2017), comme dans les familles où la taille de la fratrie est réduite, la responsabilité du soin incombe principalement à une fille ou un fils, parfois avec l’aide d’un autre enfant ou d’un petit-enfant présent au Québec (les hommes sont généralement impliqués lorsque le nombre d’aidantes est réduit). Dans d’autres familles, enfants ou petits-enfants installés au Québec s’occupent de l’aîné, parfois avec l’aide du conjoint. Ici encore, une ou deux personnes jouent alors un rôle central dans les soins et la prise de décision, principalement les filles de l’aîné. Lorsque les petits-enfants (uniquement les petites-filles) sont impliqués, leur poids dans les décisions est généralement moindre alors que leur rôle se limite à assurer une présence auprès de l’aîné, à participer aux soins ou à faire office d’interprète.

Nos résultats montrent que l’accompagnement revêt des formes plurielles et est marqué par une prise en charge familiale de l’ensemble des besoins de l’aîné. Selon les personnes interrogées, le ou les membres de la famille présents au Québec se mobilisent fortement pour lui prodiguer les soins nécessaires au quotidien et assurer une présence constante à toutes les étapes de la fin de vie. Ces personnes se relaient à ses côtés et l’aident dans sa toilette et ses repas, lui apportent des soins physiques, l’écoutent et le distraient, lui administrent des médicaments, s’occupent des démarches administratives, le conduisent à ses rendez-vous. Le domicile de l’aîné ou d’un proche est privilégié puisqu’il est garant d’une présence et d’un soutien accru.

Si une responsabilité plus grande incombe aux proches à domicile, on observe que leur implication se maintient lors d’une hospitalisation ou d’un transfert en institution de soins. Les personnes interrogées indiquent également que le conjoint et les enfants (au Québec et ailleurs) participent aux nombreuses décisions qui touchent l’aîné (administration d’un traitement, lieu de fin de vie, dévoilement du pronostic, passage du curatif au palliatif, contrôle de la douleur et de la sédation, etc.), où se dessinent parfois des divergences entre générations ou entre personnes au pays ou à l’extérieur du pays.

L’importance affective du lien et la responsabilité ressentie à l’endroit de la personne âgée sont évoquées par les participants pour justifier le soutien apporté à l’aîné. En prendre soin et assurer son bien-être émotionnel peut apparaître comme un devoir. Quelques personnes associent explicitement la solidarité familiale à des valeurs culturelles et religieuses et décrivent la famille comme un bloc. L’histoire d’Amza, un homme d’origine libanaise de 82 ans (arrivé à Montréal en 1993), en est une bonne illustration. Un an avant son décès, son médecin lui diagnostique un cancer du sang et une insuffisance rénale qui entraînent des complications et une lourde perte d’autonomie. Il reste chez lui jusqu’à sa dernière hospitalisation, une semaine avant sa mort, grâce au soutien de sa conjointe et de ses enfants. Les soins quotidiens nécessaires au regard de sa situation sont toutefois très lourds. Ses trois enfants et ses petits-enfants adultes vivent pour la plupart dans le voisinage et l’aident dans l’accomplissement des actes essentiels de la vie quotidienne. Sa conjointe veille sur lui jour et nuit et un fils lui administre les médicaments et s’occupe des soins d’hygiène quotidiennement. En raison de sa corpulence, une corde a été installée au bout du lit pour l’aider à se lever et un système a été mis en place pour gérer les fréquentes chutes, comme l’explique sa petite-fille Hadda, qui est aussi impliquée dans les soins comme d’autres petits-enfants : « Il tombait la nuit ; elle [sa grand-mère] pesait sur un bouton [du téléphone], ça appelait chez ma tante ; ma tante appelait mon père ou mon oncle […] et la plupart du temps ils arrivaient à deux pour pouvoir le lever. » Hadda évoque les normes de responsabilité familiale de la culture libanaise et de la religion musulmane pour expliquer la priorité accordée au bien-être du grand-père au détriment des autres membres de sa famille : « C’est très rare que tu vas voir un Arabe qui a mis ses parents dans un… dans une résidence. Parce que pour nous, c’est vraiment… comme au côté religion, c’est vraiment les parents : c’est la base de la base. » En même temps, le grand-père ne reçoit la visite d’une infirmière à domicile que deux fois par semaine, alors que sa situation exige un soutien 24 heures par jour et, de ce fait, rend l’appui des proches incontournable.

De bonnes et moins bonnes expériences de fin de vie

Nos résultats montrent que les perceptions des expériences du mourir diffèrent autant que les trajectoires de fin de vie. Un tiers des personnes interrogées nous font part d’histoires qu’elles estiment tragiques et dont elles gardent un goût amer alors qu’un nombre un peu plus élevé évoque des expériences moins malheureuses. Entre les deux, on retrouve quelques récits ponctués d’épisodes plus ou moins difficiles. Quels éléments participent à cette diversité de perceptions et font d’une expérience du mourir une bonne ou une moins bonne expérience ? La disponibilité et la qualité des soins offerts par les services formels de santé de même que la qualité de la relation entre les familles et les intervenants apparaissent comme des éléments essentiels.

La disponibilité et la qualité du soutien formel

Nous avons observé que ce n’est pas parce que des familles veulent garder leur proche à domicile qu’elles rejettent l’aide formelle, bien au contraire. Elles rencontrent toutefois fréquemment des difficultés dans leurs démarches. Les familles vivent aussi des déceptions relatives aux services publics reçus, les poussant à faire appel au réseau privé pour recevoir certains services. L’histoire de Chu, une femme de 81 ans originaire de Hong Kong (arrivée depuis plus de 40 ans au Québec), témoigne du désarroi que peuvent vivre les proches de l’aîné devant certains obstacles. Selon sa fille Mandy, psychologue et principale aidante (les deux autres enfants vivant à l’étranger), la santé de Chu, qui vit seule à domicile, a commencé à se dégrader quelques années avant sa mort. Au cours de ses derniers mois de vie, elle éprouve des difficultés à se déplacer et à s’alimenter. Malgré les nombreuses demandes de service de soins, Chu reçoit uniquement la visite occasionnelle d’une infirmière pour les prises de sang. Mandy se plaint du roulement de personnel de même que des retards aux rendez-vous, en plus d’avoir à transmettre elle-même les résultats au médecin traitant. Des services d’hygiène sont aussi proposés par le CLSC, mais Mandy juge que sa mère a plutôt besoin d’un physiothérapeute ainsi que d’une aide pour cuisiner ses repas. Après un an d’attente, Mandy se résigne à solliciter le secteur privé pour ces services : « J’ai donc fait… j’ai payé beaucoup d’argent parce que je savais que je ne pouvais [pas] obtenir les services publics. »

Nos résultats soulignent que même lorsqu’ils sont disponibles, les soins de fin de vie ne correspondent pas toujours aux besoins de l’aîné et de sa famille. Dès lors, selon nos répondants, s’organiser soi-même devient moins laborieux que de négocier avec les services publics. L’histoire de Chu suggère un manque de flexibilité de la part des services formels pour répondre à des besoins spécifiques. La responsabilité de les combler repose alors sur les familles et semble tributaire de leurs moyens. Parmi les besoins récurrents des proches se trouve également celui de traduire les discussions entre malade et intervenants, alors qu’aucun service d’interprète n’a été offert aux aînés qui ne maîtrisent pas la langue. Nos résultats démontrent que si l’aîné jouit d’un réseau familial élargi, la question de l’interprétation cause moins de difficultés et ne constitue pas un obstacle à l’accès à des soins de qualité. Toutefois, dans les cas où l’accompagnement est effectué par une seule personne, l’absence d’interprète formel ou informel constitue un obstacle réel.

La difficulté à accéder à certains services à la maison, en CHSLD ou à l’hôpital, couplée à la dégradation parfois rapide de l’état de santé de l’aîné, laisse le poids excessif des charges et des responsabilités reposer sur les membres de sa famille. Ces situations se révèlent particulièrement difficiles lorsqu’une seule personne est responsable de l’accompagnement. De telles circonstances laissent un goût amer aux personnes interrogées, qui se sentent coupables et soutiennent que le départ de l’aîné s’est déroulé dans de mauvaises conditions. Par exemple, Mandy s’en veut de ne pas avoir été présente lors des derniers moments de sa mère, décédée seule à la maison : « Je vis avec cette culpabilité du fait qu’elle est morte seule. Et je vivrai avec ça jusqu’au jour où je mourrai. » Comme d’autres, elle considère que l’absence de soins adéquats a privé sa mère d’une bonne fin de vie et, par conséquent, a entraîné pour elle-même un deuil compliqué.

Notre analyse montre qu’un transfert en CHSLD ou en RPA s’impose aux yeux du conjoint ou des enfants de l’aîné uniquement lorsque ceux-ci jugent ne plus avoir la capacité de s’en occuper correctement à la maison. Certains participants ont mentionné ressentir de la culpabilité et de l’anxiété lorsqu’ils considéraient que le nouvel environnement laissait à désirer, et ce, même s’ils ont raconté s’impliquer davantage pour combler les lacunes. Ajoutons que le placement en maison d’hébergement marque un point de rupture qui fait basculer l’expérience du mourir à leurs yeux. À titre d’exemple, Ava a longtemps refusé de placer son père, Farhad, un immigrant d’origine iranienne de 86 ans (arrivé en 1998) souffrant de la maladie de Parkinson. Il habitait chez sa fille qui s’en occupait seule, les autres enfants demeurant à l’étranger. Quelques mois avant sa mort, son état de santé se dégrade rapidement, au point où Farhad ne peut plus se déplacer et exige une supervision constante. Peinant à obtenir de l’aide du CLSC, Ava est épuisée et déçue des soins obtenus. Après plusieurs allers-retours consécutifs à l’hôpital en quelques semaines, elle se voit contrainte de le placer en CHSLD, affirmant qu’elle « ne peut plus se gérer ». La qualité de vie de son père s’en trouve nettement affectée selon elle et elle regrette rapidement sa décision (en raison des cris d’autres patients, des plaies de lit de son père et des conditions sanitaires de l’étage qu’elle considère comme insalubre).

À l’inverse de Chu, Amza et d’autres dont la trajectoire de soins en fin de vie a été complexe en raison des va-et-vient entre divers milieux et d’un accès limité aux services, une douzaine de proches dont l’aîné a bénéficié de services à domicile qualifient les soins reçus d’« excellents ». L’histoire de Baladhi, un homme d’origine indienne (arrivé en 1979) mort à 93 ans est éclairante à ce propos. Souffrant de divers problèmes de santé, il a reçu des soins à domicile du CLSC pendant trois ans avant qu’on ne lui diagnostique une tumeur maligne deux mois avant son décès. Les soins reçus ont parfaitement répondu aux attentes de sa conjointe qui ne tarit pas d’éloges à propos du travail de l’infirmière : « Elle était une pierre précieuse, un bijou. » C’est dire que pour les personnes interrogées et les autres membres de la famille, une relation privilégiée développée avec un intervenant du réseau public de la santé au fil des visites peut faire toute la différence dans leur appréciation des services de soins.

La dimension relationnelle des soins

Les témoignages recueillis font ressortir la place importante de la dimension relationnelle des soins. Lorsque les personnes interrogées ont l’impression que les intervenants « font équipe » avec les membres de la famille, c’est-à-dire lorsqu’ils les intègrent dans les soins plutôt que de se substituer à eux, ces derniers se disent dans l’ensemble satisfaits des services reçus par l’aîné malgré la présence de certains irritants. D’après ces personnes, si les professionnels prennent le temps de les écouter, d’acquiescer à certaines de leurs demandes et d’expliquer les raisons pour lesquelles ils en refusent d’autres, elles se sentent rassurées et ont davantage tendance à considérer que la fin de vie de l’aîné se passe conformément à leurs souhaits. Ainsi, Cecilia, une femme de 81 ans d’origine colombienne (arrivée en 2004), a reçu un diagnostic de cancer du cerveau deux mois avant son décès. Selon sa petite-fille Paola, les membres de la famille qui l’ont entourée dans cette épreuve sont satisfaits des soins palliatifs reçus à l’hôpital. Ils lui ont rendu visite jusqu’à la toute fin, ce qui aurait été plus difficile en Colombie. Paola insiste sur la bonne communication qui s’est établie entre les infirmières et ses tantes qui prenaient les décisions. Par exemple, le personnel soignant a accepté de diminuer la dose de morphine à la demande d’une des tantes qui croyait que sa mère aurait désiré que son départ se fasse progressivement, « le plus lentement possible ».

À l’inverse, nos analyses montrent que si les personnes interrogées et leur famille ont l’impression d’être laissées à elles-mêmes et que les intervenants font obstacle à leur projet ou sont jugés peu « humains », il y a risque de conflits, de tensions, de malentendus, et les expériences peuvent alors devenir très perturbantes. Le sentiment de ne pas avoir été entendu par les soignants, d’avoir obtenu des informations insuffisantes pour prendre les bonnes décisions, en raison d’un manque de détails ou d’un langage hermétique, suscite du mécontentement et le désarroi. Ceux-ci vont bien au-delà du manque de services ou des décisions cliniques et mettent à mal l’idéal d’une fin de vie de qualité et d’un bon accompagnement. Sharon, dont la mère d’origine trinidadienne de 88 ans (arrivée en 1976) souffre d’un cancer du poumon, est enchantée de l’ensemble des soins à domicile reçus et de la grande écoute des intervenants. Elle juge toutefois que la situation se détériore quelque peu au moment de la dernière hospitalisation de sa mère, puis lors de son admission dans l’unité des soins palliatifs. Sharon se plaint alors d’une mauvaise communication avec le médecin et ne comprend pas pourquoi ce dernier ne lui a pas révélé que sa mère avait des métastases et qu’elle était en fin de vie. C’est pour cette raison qu’elle n’a pas été en mesure d’avertir à temps tous ses frères et soeurs pour qu’ils se réunissent une dernière fois autour de leur mère :

J’ai amené ma mère à tous ces tests et j’étais toujours intéressée à connaître les résultats, à savoir si ça s’était répandu ou pas, si c’était métastasé. Ils ont fait un scan [une tomodensitométrie] du cerveau, pour vérifier si ça s’était répandu au cerveau… [Je] vérifiais toujours le gonflement des jambes et j’ai vu aucun signe de ça, donc j’étais très fâchée contre le médecin.

Lorsque la question des opioïdes et du soulagement de la douleur ou de la détresse respiratoire en fin de vie ne semble pas avoir été abordée avec les proches, ceux-ci considèrent que l’utilisation de ces substances a eu pour effet d’accélérer le processus de mort de l’aîné. Yannis, par exemple, juge désastreuse l’expérience de sa mère avec les hôpitaux et considère qu’elle n’a pas pu profiter d’une belle fin de vie, faute de soins appropriés. Cette dernière, d’origine grecque et âgée de 81 ans (arrivée en 1953), est décédée des suites d’un cancer du cerveau diagnostiqué tardivement, peu de temps après son transfert du domicile vers l’hôpital. Selon Yannis, si tout s’est bien déroulé dans le modeste appartement adapté à sa condition où elle habitait avec ses deux enfants adultes, la situation a dégénéré après son arrivée à l’hôpital où les mauvaises expériences se sont enchaînées. Jugeant être le mieux placé, avec sa soeur, pour connaître les besoins de sa mère et agir dans son intérêt, il s’est alors senti exclu des décisions et se montre très sévère à l’endroit des soins que sa mère a reçus lors de sa dernière hospitalisation : « Elle a vraiment été maltraitée. » A posteriori, Yannis considère le médecin traitant responsable du diagnostic tardif de la maladie de sa mère et de la prise inutile de médicaments. Il est également convaincu que les médecins qui lui ont administré de la morphine pour diminuer ses douleurs avaient la ferme intention de la tuer : « Parce que tout au long de la journée, ils lui ont donné de la morphine pour la tuer. Parce qu’à ce stade-là, tu sais, ils l’ont tuée ; je veux dire, ils… Pfff ! […] Penses-tu que… le gouvernement voulait lui payer vingt ans d’hospitalisation et continuer à lui payer sa pension ? Alors ils l’ont tuée. »

La prise de décision concernant les soins peut générer des mésententes profondes lorsque les personnes interrogées ont l’impression que la voix des familles (Fortin et al. 2011) n’est pas entendue, comme l’illustre le cas de Farhad cité précédemment, dont la trajectoire de fin de vie est marquée par une série de difficultés. Après s’être résignée à placer son père en CHSLD, sa fille Ava veut toujours le « sauver » et lui offrir des traitements curatifs, alors que les soignants lui répètent que la fin approche et qu’il faut privilégier des soins de confort ou palliatifs :

Il avait de la difficulté à respirer, mon père. Donc, je vois ça et je parle à l’infirmière, tu sais : « Pouvez-vous faire quelque chose pour mon père ? » Et cette infirmière, elle m’a crié dessus, euh… Elle m’a crié dessus d’une manière pas très gentille. Je rentre à l’intérieur de la pièce et je vois ça… « Qu’est-ce que je fais ? » [L’infirmière a dit :] « Il n’y a rien à faire » ou quelque chose comme ça.

Ava est d’avis qu’elle a été trahie par l’équipe soignante qui a tout fait pour que son père meure plus vite. Elle juge que malgré tout le temps et les efforts investis auprès de son père à la maison et en institution de soins pour qu’il souffre le moins possible, son avis a été ignoré et qu’il n’a pas eu la mort qu’elle espérait pour lui :

Je trouve que la fin, c’était quelque chose comme vous… vous avez ce clou et vous le faites lentement rentrer dans le bois, mais à la fin, vous faites comme une grosse, grosse pression et avec cette grosse pression, il rentre. Donc, la façon dont il est mort, c’était comme le coup ultime à ce que je traversais [l’événement de trop], c’était ça qui, tu sais, a achevé le tout.

Discussion : quelle qualité de fin de vie ?

La rencontre des aînés et des proches avec les services de santé semble déterminante dans l’expérience de fin de vie alors que les attentes soulevées à l’endroit des soins professionnels peuvent générer la satisfaction, mais aussi des déceptions. Le décalage entre ce qui est souhaité par les membres de la famille pour la personne âgée et la façon dont se déroule la fin de vie d’après les personnes interrogées influence le regard qu’elles portent sur cette expérience. Lorsque l’aîné a obtenu tous les soins jugés appropriés par les membres de la famille, ceux-ci considèrent qu’il est parti dans les meilleures conditions. C’est le cas de Baladhi, qui a reçu des soins palliatifs à domicile et dont la conjointe évoque une fin de vie paisible, rappelant ainsi la plus grande aisance des intervenants de première ligne à se fondre dans l’univers des familles (Fortin et Le Gall 2013). Il en va de même des enfants et petits-enfants de Cecilia, qui se sont constamment relayés auprès d’elle et sont satisfaits des services reçus. Au contraire, lorsque la fin de vie se déroule autrement que comme les proches l’auraient voulue, ils restent avec l’impression que l’aîné a terminé sa vie dans la douleur ou l’inconfort, seul, ou — pire encore — que les services reçus ont accéléré sa mort. Il en résulte un sentiment de colère, d’impuissance et de culpabilité qui découle de l’impression de ne pas en avoir fait assez. Le désarroi de Mandy devant la difficulté d’obtenir des soins pour sa mère est présent dans d’autres témoignages. La perception d’un tel manque de soins se répercute de façon particulière lorsque les responsabilités reposent sur les épaules d’une seule personne, renforçant l’idée que faire partie d’une famille transnationale a des conséquences pour les aînés (Nare et Baldassar 2017). Ainsi, dans la plupart des cas où sont observées des histoires moins heureuses de fin de vie, la taille du réseau est réduite. C’est notamment le cas d’Ava, de Yannis et de Mandy qui, malgré leur dévouement et leur sacrifice, se retrouvent avec un sentiment d’échec et de devoir mal accompli.

Cela dit, l’histoire d’Amza nous rappelle que même lorsque plusieurs membres de la famille sont impliqués, la responsabilité de chacun peut être élevée. Des ressources insuffisantes ou ne répondant pas aux besoins des familles, couplées à la volonté de celles-ci d’offrir les meilleurs soins de fin de vie à leur proche, soulèvent ainsi la question du « seuil tolérable », c’est-à-dire de ce qui est supportable comme effort à fournir pour offrir à l’aîné une fin de vie jugée de qualité. Jusqu’où les membres de la famille sont-ils prêts à sacrifier leur propre bien-être ? Dans les témoignages recueillis, plusieurs exemples comme celui du chevet d’Amza nous laissent penser que ce seuil peut être très élevé en raison du caractère familial de la fin de vie. Ce seuil demeure cependant tributaire du nombre de proches de l’aîné impliqués et des ressources financières disponibles. Le sous-financement des soins à domicile se traduit par une plus grande responsabilité pour ces familles, d’autant plus si celles-ci sont hésitantes à placer leur proche en fin de vie et désirent en prendre soin le plus longtemps possible. Si s’ajoute à cela la présomption que les immigrants ne désirent pas de services formels (Lavoie et al. 2007 ; Brotman et Ferrer 2015), l’accès à des services de qualité en fin de vie peut s’avérer encore plus complexe pour ces familles.

Par ailleurs, plus que l’affrontement de deux visions des soins mettant chacune en scène des normes et valeurs différentes, comme suggéré par les rares travaux sur la fin de vie en contexte de migration (Seal et van der Geest 2004 ; Gunaratnam 2013 ; de Graaffr 2016), la qualité de la relation entre familles immigrantes et soignants semble un enjeu important. Cela ne signifie en rien l’absence de différence de perspective entre les diverses personnes impliquées, mais bien que ces familles ne cherchent pas d’abord et avant tout à combler un tel écart, s’il est présent. Elles insistent surtout sur l’importance de développer un lien de confiance avec les soignants tout en voulant être considérées comme des acteurs dans les soins au mourant. Lorsque des divergences entre ces acteurs apparaissent, la qualité de la relation devient alors primordiale pour maintenir un lien de confiance, notamment lors des moments charnières tels que le passage d’une approche curative des soins à une approche de confort ou palliative et le contrôle de la douleur et la sédation (de Graaff 2016). Si ce lien est ébranlé, il influence la perception de la trajectoire de fin de vie qu’ont les membres de la famille impliqués. Par exemple, Ava a l’impression que l’on « a tué » son père non pas en raison d’un désaccord autour de l’approche à adopter (curative ou de confort), mais bien parce qu’elle considère que jamais l’équipe de soignants n’a pris le temps de l’écouter. Elle ne s’est sentie ni comprise ni soutenue dans son cheminement et aurait aimé qu’on lui dise qu’aucun autre traitement ne pouvait être administré à son père. Comme Yannis, Sharon et bien d’autres, Ava s’est sentie complètement exclue des soins une fois son père admis à l’hôpital alors qu’elle avait tout fait pour lui assurer une fin de vie de qualité, négligeant sa santé et sa vie professionnelle.

Pour les proches de Cecilia, le fait que les soignants aient pris le temps de les écouter et de répondre à leurs demandes a rendu l’expérience de fin de vie nettement plus positive. Ainsi, une situation similaire sur le plan clinique peut avoir des répercussions différentes sur l’expérience de fin de vie si la relation entre les membres de la famille et l’équipe de soins est reconnue comme satisfaisante. Paradoxalement, alors qu’au domicile la responsabilité des soins est assumée par un ou plusieurs membres de la famille en collaboration avec les intervenants de première ligne, ces proches se considèrent dans plusieurs cas privés de leur voix une fois l’aîné transféré en institution de soins. Cela soulève toute la question de la place du care et du cure dans la clinique contemporaine, alors que le premier est devenu facultatif face au second, jugé prioritaire (Fortin 2015). Au bout du compte, la perception de l’expérience de fin de vie semble moins liée à la situation clinique qu’à la relation entretenue entre les différents acteurs. La place importante de la dimension relationnelle des soins observée ici abonde dans le sens des études qui soulignent qu’être traité avec dignité par les soignants, pouvoir communiquer avec eux et obtenir des informations précises sur l’état de santé et les traitements, recevoir des traitements médicaux appropriés et conformes à ses souhaits améliorent les expériences de fin de vie (Carr et Luth 2019 ; Lee et al. 2020).

Conclusion

Notre article visait à faire ressortir la façon dont les proches ayant accompagné un migrant aîné en fin de vie au Québec perçoivent les expériences du mourir et de la mort. Ce faisant, il a mis en relief la place importante du soutien et de l’entraide familiaux, lesquels s’inscrivent dans le parcours de vie de l’aîné au Québec et font partie d’un projet familial plus large entamé avec la migration. Michèle VatzLaaroussi (2009) évoque à ce propos la construction d’un « nous familial » par les familles immigrantes. Un tel projet vise à offrir ce que les membres des familles estiment être les meilleurs soins physiques et émotionnels possible à leur proche. Cela dit, nos données vont dans le sens des études qui soulignent qu’une grande valorisation du soutien familial ne correspond pas à une réticence à recourir aux services publics ni à s’y substituer (Lavoie et al. 2007 ; Bolzman et Vagnir 2017). Au contraire, elles montrent que les familles n’ont pas toujours la possibilité de s’impliquer comme elles le souhaitent ou, au contraire, celle de passer le relai à des professionnels, illustrant ainsi divers enjeux rencontrés dans l’interface entre les services de santé et elles.

Nos résultats montrent également comment les familles jugent de la qualité de la mort de leur proche à la lumière de l’expérience de fin de vie de l’aîné et de leur rencontre avec les services de santé. Dans cette optique, et conformément à l’étude de Michel Castra (2010), une bonne expérience de la fin de vie correspond à une bonne mort et vice-versa. Derrière la prise en charge collective de l’aîné, où les besoins individuels apparaissent souvent secondaires, se dessine une vision particulière de la qualité du mourir. Il ne s’agit pas simplement d’un idéal de la bonne mort comprise comme une fin de vie sans douleur, à domicile ou en institution de soins, où l’individu en tant que sujet autonome est libre de ses choix bien qu’entouré des siens (Kellehear 2009 ; Soom Ammann et al. 2016). La fin de vie, selon ces familles, est intrinsèquement relationnelle et inévitablement négociée entre les différents acteurs impliqués dans les services et les soins (Broom et Kirby 2013). La qualité de celle-ci s’évalue donc aussi à l’aune de la capacité de réactualiser ou de développer les relations entre le malade, ses proches et les intervenants, en plus de jouir des meilleurs soins possibles et d’un soutien émotionnel.