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La musique est un stimulus auquel la population est constamment exposée, que ce soit de manière consciente ou inconsciente. En effet, en 2019[1], d’après la Fédération internationale de l’industrie phonographique, la population écoute en moyenne quatorze heures de musique par semaine et ce nombre augmente chaque année. La musique est également, selon Adam Lonsdale et Adrian North (2011), un des loisirs et arts les plus populaires. Bien que tout le monde ne s’intéresse pas à la musique, il est rare qu’un individu n’aime aucune musique ou n’en écoute jamais.

Les études en science politique montrent que l’exposition de manière répétée à des stimulus politiques peut influencer nos opinions politiques (Hassin, Ferguson et Shidlovski 2007). La musique est souvent politique (Street 2003), et notre exposition à cette dernière constante, il est plausible que notre écoute de la musique et nos idées politiques soient reliées.

Par ailleurs, la politologue Iwona Massaka (2013) affirme que la recherche sur la musique et la politique est urgente. En effet, malgré le poids de la musique dans notre vie quotidienne, son caractère politique, son utilisation par les politiciens (Thorson, Christ et Caywood 1991) et les études montrant le lien entre le monde politique et le monde musical (Street 2003), les études s’intéressant spécifiquement au lien entre attitudes politiques et préférences musicales au niveau individuel sont rares et restent cantonnées au contexte américain.

L’objectif de notre étude est d’explorer, pour la première fois au Québec, dans quelle mesure les préférences musicales sont liées aux attitudes politiques. Cela permettra de contribuer à cette littérature naissante sur le lien entre musique et politique et d’en comprendre les particularités dans le contexte québécois.

Nous avons plusieurs raisons de penser qu’un tel lien existe, la première étant que l’on est constamment exposé de manière volontaire ou involontaire à de la musique. De plus, celle-ci est souvent politique[2], parfois de manière radicale (anarcho-punk, black-métal national-socialiste[3]). L’exposition à ce contenu politique peut amener à adhérer aux idées présentes dans les pièces musicales ou, au contraire, à les remettre en question. Il est ainsi possible, afin que ses idées soient cohérentes avec la musique qu’elle écoute, qu’une personne ajuste ses opinions ou, inversement, qu’elle ajuste la musique à ses opinions.

La seconde raison a pour origine l’exposition aux prises de position politique des artistes (par leur présence dans les rassemblements politiques, par les entrevues ou par l’imagerie utilisée[4]), ce qui peut amener une personne à s’ajuster politiquement en adhérant aux propos des musicien·nes qu’elle apprécie ou au contraire en les rejetant[5].

Finalement, dans certains genres musicaux (surtout le métal, le hip-hop et le punk rock), la musique devient une composante d’un mode de vie particulier. On parle alors de sous-culture musicale. Ces sous-cultures peuvent avoir pour origine un genre musical auquel se greffent progressivement des idéaux politiques et culturels. Dans les sous-cultures, l’échange entre musique et idéologie politique est bilatéral (Nomous 2001). En s’impliquant dans des genres musicaux, certaines personnes accèdent à ces sous-cultures et aux idées qui les caractérisent. Un individu sera donc non seulement exposé aux idées politiques véhiculées par la musique, mais aussi aux idées politiques des autres auditeur·rices impliqué·es dans le genre (Fairchild 1995). Ces fréquentations peuvent influencer les préférences politiques[6]. Ce troisième point relève donc de l’implication : plus on s’implique dans un genre musical, plus on en intègre les codes politiques[7].

S’il est plausible que les préférences musicales soient associées aux attitudes politiques, il est impossible de déterminer si c’est la musique qui influence les idées politiques ou l’inverse. Cela suppose que ces deux éléments sont liés et se nourrissent l’un et l’autre sans qu’il soit possible pour le moment d’établir une réelle causalité.

Les résultats des études indiquent que les préférences musicales sont faiblement associées aux préférences politiques. Cette relation existe seulement pour les genres musicaux « plus politisés » (rock, métal, folk), mais reste faible. Les genres peu politisés, quant à eux, ne sont pas du tout associés aux attitudes politiques, sauf pour la musique électronique, le hip-hop et la pop, qui sont associés à certaines préférences politiques. Pareillement, les diverses analyses suggèrent que l’implication musicale n’altère pas la relation entre les préférences musicales et les attitudes politiques. Cela sous-entend que les préférences musicales seules sont suffisamment fortes pour être associées aux attitudes politiques. Finalement, les résultats suggèrent l’existence de similitudes entre le Québec et les États-Unis concernant la relation entre les préférences musicales et les attitudes politiques.

Revue de littérature

L’intérêt pour le lien entre musique et politique se retrouve dès la Grèce antique, où la musique a été considérée à la fois comme une forme d’art et comme la composante nécessaire d’une société harmonieuse. À cet égard, des philosophes tels que Platon et Socrate considéraient la musique comme un outil politique permettant d’influencer la population en faveur d’une décision politique plutôt qu’une autre (Desplanques 2007).

Plus récemment, des politologues tels que John Street et Martin Cloonan (1998) ont exploré les liens entre musique et politique. Ces auteurs concluent que les politicien·nes et les musicien·nes utilisent la musique comme une arme pour induire des changements sociaux, et ce, particulièrement aux États-Unis où, depuis les années 1950, la musique est indissociable de la lutte pour les droits civiques (Kay 2002).

Cependant, s’il a été observé[8] que musique et attitudes politiques des groupes et des communautés sont indissociables (Street 2003), on sait peu de choses sur cette relation au niveau individuel.

Il y aurait pourtant, selon Karen-Beth Mashkin et Thomas Volgy (1975), des raisons plausibles de penser que la musique pourrait induire des attitudes politiques des individus, à travers, entre autres, les paroles, l’expression des idées politiques des musicien·nes dans les médias, l’imagerie musicale (pochettes d’albums, aspect vestimentaire, etc.) et les normes politiques[9] construites autour des genres musicaux. De plus, selon Street (2003), la musique peut être qualifiée de politique en fonction de trois critères évoqués par Mashkin et Volgy (paroles/musique ; imagerie musicale ; prise de position ; et normes politiques).

Si l’on applique ce raisonnement au rock, on remarque tout d’abord qu’il peut être considéré comme assez politisé. En effet, les paroles sont parfois engagées et souvent orientées vers des idéaux progressistes (Dawson 2005). De plus, les musicien·nes évoquent souvent leurs idées politiques dans les médias (par exemple Thurston Moore, Grimskunk, Rage Against the Machine). On constate également que selon les sous-genres (rock psychédélique, punk, post-rock), on trouve des normes politiques différentes, mais souvent orientées vers des valeurs comme le respect ou l’égalité, particulièrement dans le cas du punk et du rock indépendant (Grossberg 1991). Le rock pourrait donc être associé à des préférences pour les idées progressistes économiquement et socialement (en d’autres termes de « gauche ») [10].

À titre de comparaison, la « musique du monde » serait moins politisée, car les prises de position des musicien·nes, la présence de paroles et l’existence de normes politiques y sont moins courantes que dans le rock (Reynolds 2013). L’appréciation pour la musique du monde serait donc moins associée à des préférences politiques que le rock, mais peut-être tout de même associée à la gauche post-matérialiste décrite par Ronald Inglehart (1981)[11], gauche qui se décrit comme étant « citoyen du monde » et qui est beaucoup plus ouverte à la mondialisation (de tout, y compris des échanges culturels, dont la musique).

Selon Street (2003), la popularité des genres musicaux joue également un rôle dans leur association avec les attitudes politiques. En effet, la politisation de genres très populaires tels que le rock, le hip-hop et la pop est plus saillante du fait de leur capacité à toucher le grand public. Les musicien·nes, conscient·es de ce pouvoir de diffusion, sont incité·es à écrire des morceaux engagés dans le but de faire connaître leur message (Kizer 1983). Également, la popularité de ces genres musicaux entraîne une forte médiatisation de ces artistes et donc de leurs opinions politiques, que leur musique soit engagée ou non (Frith 2002)[12].

Finalement, la popularité de ces genres leur permet de véhiculer des valeurs politiques de manière saillante. Par exemple, il n’est pas nécessaire d’être un admirateur assidu de hip-hop pour associer ce genre avec des valeurs comme l’antiracisme et la défiance de l’autorité (Mitchell 2001)[13]. Ces valeurs politiques seront moins saillantes dans des genres musicaux moins populaires (dub, post-rock, harsh noise) et l’association entre ces genres et les attitudes politiques au niveau individuel demande donc une implication plus forte.

Malgré l’existence de ces théories sur les liens entre préférences musicales et préférences politiques, les preuves empiriques d’une relation sont relativement rares. Nous notons néanmoins que certains chercheurs se sont penchés sur la question, comme William Fox et James Williams qui, en 1974, ont réalisé la première étude sur ce sujet. Ces auteurs observent qu’écouter du rock est lié au fait d’être libéral. Un an plus tard, Karen-Beth Mashkin et Thomas Volgy (1975) constatent que les admirateurs de rock sont plus impliqués politiquement que les admirateurs de country. À l’inverse, Peter Christenson et Jon Brian Peterson (1988) remarquent qu’une préférence pour le rock des années 1970 et 1980 est significativement associée à des orientations politiques conservatrices. Ruth Glasgow, Adrienne Cartier et Glen Wilson (1985), quant à eux, soulignent le lien entre préférence pour la musique traditionnelle et conservatisme (pop, folk, électronique). Plus récemment, Peter Rentfrow et Samuel Gosling (2003) démontrent que les auditeur·rices s’identifiant comme libéraux n’apprécient pas la musique traditionnelle (pop, musique de film, folklorique), préférant la musique rythmique (soul/funk, électronique, hip-hop) ainsi que la musique réflective (jazz, expérimentale, classique).

Les préférences musicales sont également corrélées aux évaluations des politiciens. Omari Stringer (2017) observe en effet que l’électorat d’Hillary Clinton préférait le rap au rock, l’électorat de Ted Cruz la musique religieuse plutôt que le hip-hop, et l’électorat de Donald Trump appréciait le rock.

Bien que ces études semblent démontrer que les préférences musicales sont associées aux préférences politiques, nous constatons que certains résultats sont contradictoires[14]. En outre, la plupart d’entre elles ne se concentrent que sur certains genres et certaines attitudes. Une seule étude, celle de Jessica Feezell (2017), a tenté de comprendre comment les préférences musicales peuvent interagir avec une autre variable musicale (le temps passé à écouter de la musique). Cette auteure montre que cette variable n’influence pas la relation entre préférences musicales et politiques. Finalement, les études citées concernant uniquement les États-Unis, nous ne savons pas si ces relations se manifestent dans d’autres contextes. Pourtant, selon Diana Boer et ses collaborateur·rices (2012), le contexte est important pour comprendre la relation entre la musique et la politique. La connotation politique d’un même morceau ou d’un même genre musical change en fonction des pays (voire des villes et des régions)[15].

À ce jour nous constatons que le lien entre préférences musicales et attitudes politiques n’a jamais été étudié dans un contexte canadien et, de surcroît, québécois. Un de nos objectifs dans la présente étude est donc de comprendre comment cette relation s’exprime au Québec, et si elle diffère de celle des États-Unis. Nous vérifions également si l’implication musicale[16] est associée aux préférences politiques à la fois directement et en interaction avec les préférences musicales. Nous utilisons la méthode du sondage en ligne pour évaluer la nature de cette relation.

Avant d’aborder la méthodologie plus en détail, il est nécessaire de souligner que le Québec possède des caractéristiques musicales qui lui sont propres, d’abord à travers la langue dans laquelle s’expriment plusieurs musicien·nes, le français, cette langue qui, sur certaines chaînes de radio, doit être représentée dans 65 % des morceaux diffusés (Tremblay 1992). L’environnement culturel y est également unique et la manière dont les musicien·nes vont évoquer la politique est propre aux caractéristiques politiques de la région. À titre d’exemple, le black métal[17] québécois est parfois orienté vers le souverainisme, alors que le black métal américain s’intéresse moins aux questions politiques[18] (Hagen 2014). Il est donc difficile de formuler des hypothèses concernant la nature de la relation entre préférences musicales et préférences politiques au Québec.

Néanmoins, au regard des travaux effectués aux États-Unis et de certains travaux sur la musique au Québec, nous avons quelques intuitions[19]. Comme indiqué précédemment, nous estimons que le métal au Québec est plus politisé et plutôt orienté vers la droite (plus qu’aux États-Unis). Selon les travaux d’Éric Fillion (2016), le jazz (particulièrement le free jazz) serait également assez politisé au Québec et orienté vers des idées de gauche. Cet engagement politique se retrouve aussi dans les cercles de musique expérimentale et le rock indépendant (Bedford 2015 ; Giroux 2015)[20]. Nous estimons possible qu’une forte implication musicale et une appréciation pour la musique expérimentale et le rock soient associées à un rejet des partis politiques et à un soutien pour des idées de gauche. La musique folklorique québécoise serait également politisée. En effet, les musicien·nes mentionnent régulièrement les partis politiques et insistent sur l’identité québécoise. Une préférence pour ce genre serait donc liée à une évaluation positive des partis politiques qui mettent en avant l’identité québécoise (Grenier 1997). Quant aux fans de hip-hop, elles et ils seraient, selon Myriam Laabidi (2010)[21], peu intéressé·es par la politique. Une préférence pour le hip-hop serait peu associée aux préférences politiques, à la différence du hip-hop américain qui, selon James Stewart (2005), est engagé contre le racisme et la pauvreté. Concernant les autres genres mentionnés dans le sondage (pop, soul/funk, classique, nouvel âge, musique du monde, électronique), nous n’avons pas trouvé de travaux sur leur niveau de politisation dans le contexte québécois. En revanche, si l’on se base sur les études américaines, la musique pop pourrait être associée aux préférences politiques, car les artistes évoluant dans ce genre évoquent souvent publiquement les idées qu’elles et ils défendent. Ces idées sont rarement « radicales » et vont souvent dans le sens de la majorité et du statu quo (Diamond, McKay et Silverman 1993). Pour les autres genres, rien ne semble indiquer un fort niveau de politisation[22] (que ce soit au niveau des paroles, de la prise de position ou des normes politiques).

Nous analysons également si l’implication musicale modère la relation entre attitudes politiques et préférences musicales. Bien que cette variable soit à prendre en compte dans la nature de la relation entre musique et attitudes politiques, nous n’avons pas trouvé de travaux sur le rôle de l’implication musicale. Nous faisons l’hypothèse que l’implication musicale modère la relation entre attitudes politiques et préférences musicales pour des genres musicaux possédant des caractéristiques extramusicales fortes, comme une communauté soudée ou une esthétique vestimentaire propre. C’est le cas de genres comme le métal, le hip-hop et le rock (Easton 1989 ; Baka 2015). En étant impliqué·es dans ces genres, les auditeur·rices ont plus de chances d’être exposé·es à d’autres fans et à d’autres formes d’expression politique (les graffitis dans le hip-hop par exemple). En revanche, nous n’anticipons pas de modération pour les autres genres, du fait de leurs plus faibles communauté et caractéristiques extra-musicales. Nos attentes sont résumées dans le tableau 1.

Tableau 1

Attentes concernant la politisation des genres musicaux au Québec

Attentes concernant la politisation des genres musicaux au Québec

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Méthodologie

Le questionnaire a été diffusé en ligne via la plateforme Qualtrics, entre septembre et novembre 2019, à un échantillon de 525 répondant·es recruté·es principalement à l’Université de Montréal, l’Université du Québec à Montréal et l’Université de Sherbrooke. Des invitations ont été diffusées sur les réseaux sociaux de ces universités et parmi les étudiant·es, les professeur·es et le personnel administratif des départements d’histoire, d’économie, de mathématiques, de génie et de science politique. L’étude était présentée aux potentiel·les participant·es comme un questionnaire sur les habitudes musicales et les attitudes politiques.

Afin d’éviter un biais de sélection, nous n’avons pas diffusé ce questionnaire auprès d’une population dont l’implication musicale est connue, notamment les étudiant·es en musique ou les fans d’un genre précis. Néanmoins, il est possible que l’étude ait davantage attiré les étudiant·es intéressé·es par la musique. Nous n’avons pas restreint le recrutement aux participant·es ayant la nationalité canadienne, 14 % de la population québécoise n’ayant pas cette nationalité (Statistique Canada 2020). Nous considérons que cette population, bien que non québécoise par son pays de naissance, appartient néanmoins par sa présence sur le territoire et son implication dans la vie de la province à la société québécoise. Finalement, nous soulignons que cet échantillon est majoritairement composé d’étudiant·es. Il n’est donc pas démographiquement représentatif de la population québécoise.

L’âge moyen des répondant·es est de 27 ans et l’échantillon est composé de 52 % d’hommes, 46 % de femmes et 2 % de personnes non binaires ; 75 % de l’échantillon est canadien, le reste étant majoritairement de nationalité française ; l’ensemble de l’échantillon est francophone. Le niveau d’études varie entre le diplôme d’études secondaires et le doctorat, la majorité des participant·es ayant un baccalauréat.

La durée médiane de réponse au questionnaire est de 10 minutes. Nous avons supprimé 35 participant·es de l’analyse, car leur questionnaire était soit incomplet, soit rempli trop rapidement (moins de 4 minutes). Parmi les 35 participant·es, 10 n’ont pas répondu correctement aux contrôles d’attention[23] effectués lors du questionnaire. Nous avons donc après nettoyage 490 participant·es.

Nous avons élaboré un questionnaire (en français) qui permet de mesurer les préférences musicales et les préférences politiques. Les questions sont construites à partir de mesures validées. En premier lieu, nous mesurons les préférences musicales. Pour cela, nous nous nous sommes inspiré des items (que nous avons traduits en français) du Short Test of Music Preferences (STOMP), qui mesure les préférences musicales de 14 genres (Rentfrow, Goldberg et Levitin 2011)[24]. Les préférences musicales sont mesurées sur une échelle en 6 points allant de 0 « je n’aime pas du tout ce genre » à 5 « j’aime beaucoup ce genre »[25].

Au volet de l’implication musicale, nous avons utilisé certains items du questionnaire Measuring Music Engagement (MUSE), qui mesure la place de la musique dans nos vies (Chin et Rickard 2012), et du Music in Mood Regulation (MMR), qui mesure les raisons pour lesquelles nous écoutons de la musique (Saarikallio et Erkkilä 2007). Avec ces items, nous nous intéressons donc au temps que passent les participant·es à écouter de la musique chaque jour ; cette variable est codée sur une échelle de 0 « jamais », à 7 « plus de 4 heures »[26], et vérifie la pratique ou non de la musique (variable dichotomique 0/1)[27]. Nous mesurons plus directement l’implication dans le milieu musical en demandant aux participant·es s’ils sont bénévoles, s’ils sont musicien·nes ou s’ils travaillent dans le milieu musical. Une personne s’impliquant dans trois activités ou plus sera codée 1 ; 0,5 si elle est « impliquée dans au moins une activité », et 0 si elle ne « s’implique dans aucune de ces activités »[28]. Finalement, nous mesurons l’implication dans le milieu do-it-yourself[29], codée 1 pour ceux qui « sont impliqués », et 0 pour ceux « qui ne le sont pas ». L’implication musicale ne comprend pas seulement la pratique musicale ou le bénévolat, elle peut aussi se traduire par la présence à des concerts et par le fait de construire des amitiés à travers la musique. Afin de mesurer cet aspect de la musique, nous avons utilisé des items d’autres questionnaires tels que ceux de Jessica Feezell (2017), Peter Rentfrow et Samuel Gosling (2003), Williams Fox et James Williams (1974). Ces items mesurent la présence à des concerts (rock, électronique, autres, au total 3 items), et sont codés sur une échelle allant de 0 « jamais », à 5 « je vais très souvent à des concerts »[30]. Par le biais d’un dernier item, nous mesurons le rôle social de la musique avec la question « écoutez-vous de la musique dans un contexte social ? ; l’échelle des réponses allait de 0 « jamais » à 5 « très souvent »[31]. Avec ces 8 items, nous avons calculé un score d’implication musicale qui correspond à la moyenne de chaque participant·e sur ces 8 items, le score allant donc de 0 « pas du tout impliqué » à 1 « très impliqué ».

Concernant la partie politique du questionnaire, tous nos items ont pour origine l’Étude électorale canadienne (Fournier et al. 2015) qui est un questionnaire dont la validité est établie. Nous utilisons trois mesures d’engagement politique. La première mesure la participation électorale lors de la dernière élection provinciale[32]. Les réponses sont codées 1 pour celles et ceux qui « ont voté », et 0 pour celles et ceux qui « n’ont pas voté ». Nous mesurons ensuite la participation politique à travers 4 items portant sur la signature de pétitions, la participation à des manifestations, l’utilisation d’Internet à des fins politiques et le boycott ou non de certains produits. Ces items sont codés de 0 « jamais », à 5 « très souvent »[33]. En faisant la moyenne des réponses des participant·es à ces 4 items, nous pouvons leur donner un score de participation politique, 0 signifiant « une faible participation », et 1 « une participation forte ». Puis nous évaluons l’intérêt pour la politique, les réponses étant codées sur une échelle en 11 points allant de 0 « je ne suis pas du tout intéressé·e par la politique », à 10 « je suis très intéressé·e par la politique »[34].

Afin de comprendre comment la musique peut être associée à l’évaluation des partis politiques, nous demandons aux participant·es d’évaluer les partis provinciaux et fédéraux[35] sur une échelle de 11 points allant de 0 « je n’aime pas du tout », à 10 « j’aime beaucoup ».

Pour vérifier si les préférences musicales sont liées aux préférences idéologiques, nous utilisons trois mesures : d’abord une échelle des préférences idéologiques des participant·es entre droite et gauche, 0 étant « très à gauche », et 10 « très à droite »[36]. Ensuite, des questions mesurent la dimension économique : les participant·es doivent indiquer s’ils souhaitent que le gouvernement dépense plus/autant/moins dans 7 différents secteurs[37] : santé ; aide sociale ; éducation ; environnement ; immigration/minorités ; défense/affaires internationales ; et criminalité/justice. Ainsi, répondre « dépenser plus » aux 5 premiers items indique une orientation vers la gauche économique, et répondre « dépenser plus » aux 2 derniers items une orientation vers la droite. Nous obtenons un index en combinant les scores à ces 7 items, 1 signifiant une « orientation économique vers la droite », et 0 « vers la gauche »[38]. La troisième variable idéologique concerne les attitudes au regard des enjeux sociaux. Nous évaluons donc le degré d’accord des participant·es par rapport à 3 enjeux sociaux : « Les immigrants enlèvent des emplois aux Canadiens », « La société se porterait mieux si moins de femmes travaillaient à l’extérieur du foyer », et « Que pensez-vous du mariage entre personnes du même sexe ? » Un fort degré d’accord[39] aux deux premiers items ainsi qu’une opinion négative du mariage entre personnes de même sexe dénotent une orientation vers la droite. Comme pour les dimensions précédentes, nous calculons le score de chaque participant·e en combinant les réponses aux 3 items : 0 signifiant une « orientation sociale vers la gauche », et 1 « vers la droite ». Pour plus de détails concernant les questions, se reporter à l’annexe 1.

Résultats

En premier lieu, nous explorons les caractéristiques de l’échantillon en termes de préférences musicales et de tendance politique (tableaux 2, 3, 4 et figure 1). Puis, afin d’observer les liens entre préférences musicales et préférences politiques, nous effectuons trois analyses de régression multivariée. La première comprend pour variable indépendante les préférences musicales (goûts musicaux et implication musicale) et pour variables dépendantes les préférences politiques en matière d’engagement, d’idéologie et d’intérêt (tableau 5). La deuxième et la troisième portent sur les relations entre les préférences musicales et le support aux partis fédéraux (tableau 6), puis provinciaux (tableau 7). Dans chaque modèle, nous contrôlons pour l’âge, l’éducation, le genre et la nationalité ainsi que les préférences pour les autres genres musicaux[40]. Nous effectuons les analyses multivariées une seconde fois en excluant les participant·es qui n’ont pas la nationalité canadienne (annexe 4). Finalement nous effectuons aussi un test Bonferonni (pour correction après multiple comparaison) pour chaque analyse (Napierala 2012)[41]. Les préférences musicales les plus présumément « politiques » sont en haut et les moins présumément politiques en bas.

Analyses descriptives

Nous observons que les genres musicaux préférés de l’échantillon sont le rock (0,64) la pop (0,66) et la musique soul/jazz/classique (0,60), tandis que le métal (0,29) et la musique expérimentale (0,32) sont les deux genres les moins appréciés (voir le tableau 2)[42]. Il n’est pas surprenant d’observer ces préférences, la pop et le rock étant des genres populaires, alors que le métal est connu pour être plus difficile d’accès. L’échantillon n’est pas très impliqué musicalement (0,37).

Les goûts de l’échantillon sont assez divers (voir la figure 1). En moyenne, les participants apprécient 6 genres musicaux sur 12, la majorité des participants en apprécient 5, seule une minorité de répondants écoutent moins de 3 genres musicaux[43].

Certaines préférences musicales sont également corrélées entre elles (voir le tableau 4). Nous y observons par exemple qu’apprécier le rock est corrélé à l’appréciation du métal (0,59), que l’appréciation de la musique du monde est liée à celle de la soul/funk (0,48). Finalement, nous constatons qu’aimer la musique classique est associé à l’appréciation du jazz (0,42).

Le tableau 3 montre que le parti favori de l’échantillon est au fédéral le Parti vert canadien (0,58), et au provincial Québec solidaire (0,55). L’échantillon n’a pas d’orientation idéologique claire sur l’échelle gauche/droite (0,47), mais les répondants n’adhèrent aucunement au conservatisme social. Il s’agit d’une population « assez » intéressée par la politique (0,57).

Tableau 2

Analyse descriptive des variables musicales

Analyse descriptive des variables musicales

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Tableau 3

Analyse descriptive des variables politiques

Analyse descriptive des variables politiques

PCC : Parti conservateur du Canada ; PLC : Parti libéral du Canada ; NPD : Nouveau Parti démocratique ; BQ : Bloc québécois ; PVC : Parti vert du Canada ; CAQ : Coalition avenir Québec ; PLQ : Parti libéral du Québec ; QS : Québec solidaire ; PQ : Parti québécois.

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Tableau 4

Corrélation entre les préférences musicales

Corrélation entre les préférences musicales

*p < 0,05 ; **p < 0,01.

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Figure 1

Diversité des goûts musicaux

Diversité des goûts musicaux

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Analyses multivariées

De manière générale, nous observons au tableau 4 que les préférences musicales sont très peu liées aux attitudes politiques. Il n’y a que l’idéologie et l’intérêt pour la politique qui sont associés à des préférences musicales. Conformément à nos attentes, la musique classique, la musique du monde, la pop et la musique électronique ne sont pas associées à des attitudes politiques spécifiques. En revanche, contrairement à nos prédictions, le jazz, la musique expérimentale, la musique folk et le métal, qui sont selon la littérature des genres « politisés », ne sont finalement pas associés de manière significative aux attitudes politiques. Finalement, l’implication musicale n’est associée à aucune attitude politique. Il est intéressant de noter que malgré la forte popularité de la pop dans notre échantillon, cette dernière n’est pas associée à des valeurs politiques particulières.

Parmi les rares genres à être associés à des préférences politiques, notons que le rock, conformément à nos attentes, est positivement associé à une préférence pour les idées de gauche, particulièrement sur des sujets économiques. Ce constat n’est pas surprenant, les chanteurs de rock prennent souvent position en faveur de la réduction des inégalités. Du fait de sa popularité, l’attachement du rock pour les questions de justice économique est saillant auprès des auditeurs.

Une appréciation pour le hip-hop est également corrélée positivement à l’intérêt politique (0,18) ainsi qu’à une tendance vers les idées de gauche (‑0,14). Ces constations contredisent les conclusions de Myriam Laabidi (2010) indiquant que les admirateurs de hip-hop sont désintéressés des questions politiques au Québec et confirment des études américaines attestant du lien entre hip-hop et engagement politique (voir Stewart 2005 et Dowdy 2007). La musique nouvel âge serait quant à elle négativement associée à l’intérêt pour la politique (‑0,16), et la musique soul/funk positivement corrélée à une préférence pour la droite (0,14), ce qui peut surprendre, car celle-ci est souvent associée à des idées progressistes (Maultsby 1983).

Nous observons que les préférences musicales sont également très peu associées à l’évaluation des partis politiques fédéraux (voir le tableau 6). Seuls le métal, le folk, la pop et la musique électronique sont associés à l’évaluation de certains partis. Nous remarquons également que la tendance observée pour le hip-hop dans le tableau 1 ne se retrouve pas dans l’évaluation des partis. C’est l’appréciation de la musique folk qui est la plus fortement liée à l’évaluation de trois partis. Cette association est particulièrement forte pour le Bloc québécois (0,20), ce qui confirme nos intuitions (voir aussi Grenier 1997). En revanche, une préférence pour le métal est corrélée à une évaluation négative (‑0,17) du PLC. Il est surprenant de n’observer aucun lien significatif entre la musique rock et l’évaluation des partis fédéraux, alors qu’il s’agit d’un des genres qui prennent le plus souvent position sur les enjeux partisans (Campbell 2020).

Tableau 5

Liens entre préférences musicales et attitudes politiques

Liens entre préférences musicales et attitudes politiques

*p < 0,0125 ; **p < 0,001 (seuil de significativité après correction pour multiples comparaisons).

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Finalement, le fait d’aimer la musique électronique est associé positivement au score pour le PCC (0,14), et la musique pop à celui du PLC (0,13). Ce résultat concernant la pop est cohérent, les études précédentes montrent que l’appréciation de la pop est souvent associée à un soutien pour la logique politique dominante d’un pays (Diamond, McKay et Silverman 1993).

Tableau 6

Liens entre préférences musicales et évaluation des partis fédéraux

Liens entre préférences musicales et évaluation des partis fédéraux

* p < 0,0125 ** p < 0,001 ; PCC : Parti conservateur du Canada ; PLC : Parti libéral du Canada ; NPD : Nouveau Parti démocratique ; BQ : Bloc québécois ; PVC : Parti vert du Canada.

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Le tableau 8 montre l’interaction entre goûts musicaux et implication musicale sur l’évaluation des partis (pour les effets directs des interactions, voir l’annexe 3). Nous constatons que l’implication musicale ne modère l’association entre préférences musicales et évaluation des partis au fédéral que dans de très rares cas, comme celui de la pop avec le PVC, ainsi le jazz avec le BQ. Au provincial, nous n’observons que trois interactions significatives ; les genres concernés sont le rock et le nouvel âge pour l’évaluation du PLQ, et le jazz pour le PQ.

Tableau 7

Liens entre préférences musicales et évaluation des partis provinciaux

Liens entre préférences musicales et évaluation des partis provinciaux

*p < 0,125 ; **p < 0,001 ; CAQ : Coalition avenir Québec ; PLQ : Parti libéral du Québec ; PQ : Parti québécois ; QS : Québec solidaire.

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Le constat est similaire pour l’interaction entre goûts musicaux et implication musicale sur les attitudes politiques (voir tableau 9), avec seulement un résultat significatif : l’interaction entre musique du monde et implication musicale sur la participation politique. Ces résultats ne nous permettent pas de conclure que l’implication musicale influence la relation entre préférences musicales et attitudes politiques, du moins pas de manière systématique.

Tableau 8

Interactions entre goûts musicaux et implication musicale sur l’évaluation des partis

Interactions entre goûts musicaux et implication musicale sur l’évaluation des partis

* p < 0,125 ; **p < 0,001 ; PLC : Parti libéral du Canada ; PCC : Parti conservateur du Canada ; NPD : Nouveau Parti démocratique ; PVC : Parti vert du Canada ; BQ : Bloc québécois ; PLQ : Parti libéral du Québec ; CAQ : Coalition avenir Québec ; QS : Québec solidaire ; PQ : Parti québécois.

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Tableau 9

Interactions entre goûts musicaux et implication musicale sur les attitudes politiques

Interactions entre goûts musicaux et implication musicale sur les attitudes politiques

*p < 0,125 ; **p < 0,001.

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Discussion

Nous pouvons dégager trois grandes conclusions de cette recherche. La première et la plus importante est que les préférences musicales sont faiblement associées aux attitudes politiques. La seconde est que cette relation n’est pas affectée par l’implication musicale. La dernière est que nos résultats sont globalement cohérents avec la littérature américaine.

En effet, nos résultats suggèrent que la tendance à s’identifier fortement à la musique que l’on écoute ou à fortement apprécier un genre n’est que rarement associée à des attitudes politiques au Québec, malgré le fort niveau de politisation de certains genres musicaux. En revanche ce sont bien les genres considérés comme les plus « politiques » qui sont les plus associés aux variables politiques (rock, métal, folk). Cependant, le hip-hop, considéré comme peu politique selon la littérature québécoise, est associé à l’intérêt pour la politique et à l’idéologie. Nous observons également que malgré sa popularité, la pop est peu liée aux attitudes politiques.

Concernant la direction de cette relation, nous constatons que l’appréciation pour le rock est associée à une préférence pour les idées et les partis de gauche. Les fans de métal afficheraient, quant à eux, une aversion pour tous les partis provinciaux et fédéraux (sauf le Parti vert), témoignant d’une certaine défiance envers les institutions politiques. Dans le cas du hip-hop, les fans sont orientés idéologiquement vers la gauche, mais cette association ne se retrouve pas dans l’évaluation des partis. Quant à la musique folklorique, nous constatons logiquement[44] qu’elle est liée au soutien pour des partis indépendantistes comme le Bloc et le Parti québécois. Pour les autres genres (pop, musique électronique, nouvel âge), nos résultats sont ambigus.

Nous notons également l’absence de preuves d’un effet modérateur de l’implication musicale sur la relation entre préférences musicales et attitudes politiques. Cette absence de modération pourrait s’expliquer en partie par la facilité d’accès aux informations concernant les musiciens. Ce phénomène est souvent observé à plus grande échelle, par exemple lorsqu’un·e musicien·ne célèbre soutient un·e politicien·ne, cela a rarement un impact politique sur ses admirateurs, car elles et ils étaient déjà favorables à ce·tte candidat·e (Street 2003).

Finalement, nos résultats sont cohérents avec la littérature américaine à l’exception de ceux concernant le rock, qui sont cohérents avec les études québécoises (les résultats des études américaines se contredisant[45]). Nos résultats concernant la pop, le hip-hop, le jazz et la musique expérimentale sont en revanche plus cohérents avec la littérature américaine qu’avec la littérature québécoise. En effet, contrairement à la littérature québécoise, le hip-hop est associé à l’intérêt pour la politique, comme observé dans la littérature américaine. De même, le jazz et la musique expérimentale sont considérés comme fortement marqués à gauche dans la littérature québécoise, ce qui n’est pas le cas de la littérature américaine qui nuance cette association en liant ces genres musicaux à un faible engagement à gauche. Nous retrouvons aussi l’absence d’effet modérateur de l’implication musicale, comme dans la littérature américaine (Feezell 2017). Ces légères différences peuvent s’expliquer par la proximité méthodologique de notre étude avec les études américaines, ces dernières utilisant aussi des sondages, tandis que les études québécoises utilisent des méthodes qualitatives ou purement théoriques. Mais nous pouvons tout de même constater que la relation entre préférences musicales et préférences politiques est semblable aux États-Unis et au Québec, à l’exception du rock.

Si notre étude indique une association entre préférences musicales et préférences politiques dans certains cas spécifiques, nos résultats ne permettent pas de parler « d’influence ». Nous espérons qu’une étude plus approfondie tentera d’appréhender la nature de cette relation de manière plus précise et pourra révéler les mécanismes par lesquels la musique a une (possible) influence sur les idées politiques et inversement. Si notre étude ne révèle pas de nouveaux mécanismes, elle définit un cadre permettant d’appréhender la relation entre préférences musicales et attitudes politiques dans un nouveau contexte, le contexte québécois.

Il semble que l’hypothèse selon laquelle les préférences musicales sont associées dans certains cas (rock, métal, etc.) à des préférences politiques soit de plus en plus vérifiée ; il serait tout de même nécessaire de réaliser d’autres études dans des pays autres que les États-Unis et avec des échantillons plus larges que ceux qu’on retrouve dans les études déjà publiées sur le sujet (rarement plus de 500 participant·es). Il serait aussi intéressant de répliquer cette étude dans un contexte québécois avec un échantillon plus représentatif de la population. En effet, notre échantillon est essentiellement étudiant, ce qui constitue une limite à la généralisation de nos résultats.

Au vu de ce début de consensus sur le lien entre préférences musicales et préférences politiques, une nouvelle question émerge : « comment la musique est-elle associée aux idées politiques ? » Afin d’appréhender la question du « comment » (ou du pourquoi), nous suggérons d’utiliser des échantillons plus larges en posant des questions plus précises sur chaque genre musical, car les études sur le sujet ont tendance à associer une idéologie politique à un genre entier. Or, si l’on prend l’exemple du rock, ce dernier est constitué de plusieurs sous-genres (post-punk, psychédélique, shoegaze, math rock, etc.). Ces sous-genres sont parfois extrêmement différents d’un point de vue politique. Écouter du punk rock fait référence à des normes politiques différentes (voire antagonistes) de l’écoute du rock progressif. Cependant, les deux appartiennent au même genre de musique. En d’autres termes, il est désormais pertinent de poser des questions plus précises et fines concernant les préférences musicales, ce qui permet de faire des comparaisons à la fois entre les genres musicaux et au sein des différents sous-genres.

Nous recommandons également de contextualiser le plus possible la recherche, car certains contenus musicaux n’ont pas la même signification politique en fonction du pays, de la région, ou même de la ville où ils sont diffusés. Par exemple, écouter une chanson de guerre africaine n’a pas la même signification au Cameroun et en Biélorussie. De même, aller à un concert de métal à Montréal n’a pas la même signification qu’aller à un spectacle de métal dans un pays où cette musique est interdite[46].