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Les travaux critiques ont depuis longtemps mis en lumière les conséquences de la production de l’espace (Lefebvre, 1974) répondant aux besoins du capital (Harvey, 2001), notamment à l’échelle des quartiers (Smith, 1996). Dans cette « stratégie urbaine globale » (Smith, 2002), les espaces urbains sont des ressources à mettre en valeur (Brenner, Marcuse et Mayer, 2009; voir aussi Van Criekingen, 2013). On assiste ainsi à la mise en scène des quartiers et à leur sécurisation visant à offrir une expérience, un paysage, un mode de vie (Lefebvre, 1974). Au-delà du discours des acteurs politiques et économiques sur la ville pour tous, les programmes, projets ou politiques de « redynamisation » et de « revitalisation » des espaces centraux visent plutôt à attirer investisseurs privés, touristes, travailleurs et résidents plus fortunés au prix d’une exclusion des populations marginalisées, des populations pauvres et des commerces et services répondant à leurs besoins, qui sont remplacés afin de satisfaire à la nouvelle demande (Gibson, 2005; Zukinet al., 2009).

Cette gentrification[1] est alimentée par la financiarisation de l’économie, le logement étant le produit par excellence de cette financiarisation (Aalbers, 2017; voir aussi Gaudreau, 2017). Avec une accélération de la marchandisation du logement depuis 20 ans, on assiste à un rétrécissement du marché privé traditionnel, qui se traduit dans les villes comme Toronto ou Montréal par une érosion du marché locatif privé abordable et de la protection des ménages locataires (Gaudreauet al., 2018; Rosen et Walk, 2015). Petits et grands investisseurs de ce nouveau marché du logement en quête de profits rapides et importants visent spécifiquement les classes moyennes et supérieures, contribuant à la bulle spéculative et à la gentrification (Rosen et Walks, 2015) ou à la touristification par la location à court terme du type Airbnb (Wachsmuth et Weisler, 2018).

Nos travaux récents et actuels sur les impacts de la revitalisation, sur l’appropriation des espaces et la gentrification (Bélanger, 2012, 2014; Bélanger, Lapointe et Guillemard, 2020), ainsi que sur les territoires spectaculaires et le chez-soi (Bélanger et Cameron, 2016), et d’autres qui portent sur la production de territoires touristiques (Lapointe, 2020a), semblent par ailleurs avoir identifié un nouveau phénomène dans ces dynamiques, phénomène qui mérite une plus grande attention. Il s’agit de l’« hypermarchandisation » de la vie urbaine (Brenner, Marcuse et Mayer, 2012), du logement et espace, portée par un discours promotionnel à l’adresse des résidents/clients potentiels, visant à les considérer comme les touristes de leur propre vie quotidienne. Nous nommons ce phénomène la « touristification » du quotidien.

Cet article présente les premiers résultats d’une étude exploratoire sur la touristification du quotidien des quartiers centraux de la ville de Montréal. L’analyse du discours promotionnel de nouveaux développements immobiliers résidentiels situés dans l’arrondissement Ville-Marie, liés à la gentrification instantanée avec le retour du capital dans les quartiers centraux, montre que la bulle touristique s’étend vers les espaces quotidiens de l’habiter dont les résidents potentiels sont visés comme s’ils étaient des touristes dans leur propre vie. Avant de présenter les résultats de cette étude, le phénomène de la touristification du quotidien sera discuté dans la prochaine section. Suivront la méthodologie et la présentation du cas, le Quartier des spectacles à Montréal et ses quartiers limitrophes.

La touristification du quotidien

La touristification du quotidien serait née de l’évolution de la coconstruction des territoires touristiques et quotidiens, dans un contexte de gentrification instantanée et sauvage, alimentée par la financiarisation du logement. Les géographes français avaient déjà, selon une perspective socioconstructiviste, souligné l’importance des structures économiques, sociopolitiques et culturelles, à différentes échelles, dans la construction des territoires.

Sur le socle que dresse la réalité socio-culturelle, le territoire témoigne d’une appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale donc) de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité.

Di Méo, 1998, p. 107

De son côté, Klein (2008) s’intéresse plus spécifiquement à l’échelle locale où le territoire est « un espace délimité, façonné et occupé par une collectivité, qui est à la fois instrument et milieu de sa reproduction et qui agit comme ciment des liens sociaux entre ceux qui l’occupent » (p. 48). C’est donc du point de vue des personnes (individuellement et collectivement) que le territoire est produit et habité pour Klein, dans une relation réciproque, puisque le territoire influencerait les perceptions et les interrelations sociales (Klein, 2008). Le territoire est donc lié aux activités quotidiennes (Certeau, 1990), mais également à des dimensions immatérielles de sentiments, mémoires et identités (voir Mallet, 2004). Le chez-soi en tant que collection d’espaces significatifs (Wise, 2000) aux contours fluides pouvant inclure le logement et les espaces environnants, parfois appelé territoire du chez-soi (Madanipour, 2003; Bélanger, 2012), est un tel territoire. Cependant, il faut retenir que les personnes (individuellement et collectivement), avec leurs propres intérêts, capacités et habiletés, partagent de façon plus ou moins équitable le pouvoir d’agir sur les/leurs territoires. Et en retour, les territoires encadrent les personnes qui l’habitent ou le visitent dans leurs pratiques économiques et sociospatiales. Notre intérêt est dans cette dualité territoriale du tourisme (ou du spectaculaire) en contraste avec le chez-soi (ou quotidien). Comment ces territoires se superposent, s’influencent mutuellement, ou même se fondent l’un dans l’autre?

De nombreux travaux ont mis en évidence l’adoption de formules similaires par les coalitions de croissance[2] cherchant à rendre les villes compétitives à l’échelle régionale ou globale pour attirer de nouveaux capitaux. Le succès de Barcelone ou l’effet Guggenheim (voir par exemple Smith 2005; Plaza, 2006) « engendrent des clones », pour reprendre l’expression d’Eisenschitz (2010) qui s’est particulièrement intéressé aux villes touristiques. C’est en suivant ces « recettes » que les parties prenantes travaillent à la réalisation de grands projets de revitalisation (ou revitalisants) tels que la réhabilitation de sites historiques, la construction d’infrastructures de transport, la construction de nouveaux quartiers sur des friches industrielles, ou la création de districts culturels sur des espaces « dévitalisés ». Cette troisième vague de gentrification (Hackworth et Smith, 2001) prend place sur des espaces vacants, transformant les quartiers sans déplacer directement (ou très peu) les résidents, ce qui en fait un outil privilégié par les décideurs (voir par exemple Davidson et Lees, 2005; Van Criekingen, 2013). Une caractéristique centrale de cette gentrification instantanée, est qu’elle nécessite un très grand investissement en capital, tant de la part des promoteurs pour produire des environnements résidentiels, que de celle des résidents/clients pour accéder à un mode de vie « commodifié » (Davidson et Lees, 2005).

Ce type de stratégie de développement peut également prendre la forme d’espaces touristiques standardisés qui concentrent, d’une ville à l’autre, les mêmes aménités (Fainstein et Judd 1999; voir aussi Eisenschitz, 2010) : centre de congrès, franchise de sport professionnel et son stade, mégacentre commercial (ou aire commerciale), casino, architecture iconique, rue piétonne, pour ne nommer que ces exemples. Ces espaces sont qualifiés de bulles touristiques (Fainstein et Judd, 1999) car ils standardisent et concentrent les aménités touristiques dans des enclaves plus ou moins hermétiques (Saarinen, 2017), créant une forme d’altérité en porte-à-faux avec les autres activités économiques (Lapointe, 2020b). Les espaces publics eux-mêmes sont alors conçus avec l’objectif de répondre aux besoins et attentes des touristes en ce qui a trait à l’esthétique et au besoin de sécurité (Lofland, 1998; Iveson, 2007). Il se produit une forme de worldmaking (Goodman, 1978; Hollinshead et Suleman, 2018) là où les discours, les mobilités et les populations se croisent avec des actes matériels et discursifs, tant au niveau de l’individu qu’à celui des structures qui enclenchent le développement touristique. Il participe à l’ordre symbolique du monde, où certaines représentations deviennent dominantes tandis que d’autres sont marginalisées. Dans ce contexte, le tourisme contribue à coder, décoder et recoder la culture, les gens et les territoires et à prioriser certaines formes d’habiter (Meethan, 2001).

Cette forme de production territoriale peut être visible dans des districts culturels tels que le Quartier des spectacles à Montréal, qui est lui-même, comme nous le verrons, à la fois un territoire spectaculaire et un site de spectacles (Bélanger et Cameron, 2016). Cette forme de production territoriale est également visible dans des sites historiques esthétisés et muséifiés comme le Vieux-Québec, une ville du patrimoine mondial où « [l]e paysage urbain n'a pas été recréé comme il a été auparavant, mais comme il aurait dû être (…). Le résultat final aplanit les “incohérences” de la vraie histoire et donne à voir un “produit” parfait, plus parfait en fait que la réalité elle-même » (Gravari-Barbas, 1998, p. 188). Mais cette forme de production territoriale pour les touristes à la recherche de divertissement hors de leur vie ordinaire n’est qu’un idéaltype puisque les espaces touristiques sont rarement dissociés des collectivités, des sociétés hôtes et des pratiques individuelles des lieux visités telles que produire, échanger, se nourrir, s’habiller ou s’éduquer. L’altérité peut devenir une forme de recodage du territoire (Hollinshead et Suleman, 2018). Ce recodage peut accentuer l’altérité pour satisfaire les touristes et leurs demandes en évacuant la dimension de la vie quotidienne dans une spectacularisation de l’espace (Judd, 1999), ou réduire l’altérité de la vie quotidienne touristique (Bélanger, Lapointe et Guillemard, 2020; Russo et Scarnato, 2018). La relation est donc complexe entre le touriste et l’altérité, car le touriste recherche l’altérité, mais il la consomme aussi (MacCannell, 1976; Kuhn, 2002). Il en résulte une forte dialectique qui brouille les frontières entre vivre une vie quotidienne comme un touriste, et vivre, en apparence du moins, la vie quotidienne du « local ».

Cet espace idéaltypique de la bulle touristique occulte ce qui se passe dans les villes et les métropoles d’aujourd’hui : ces bulles s’étendent plutôt pour s’approprier les espaces quotidiens et orienter les pratiques quotidiennes, produisant ce que Russo et Scarnato (2018) nomment la « touristification du quotidien ». Dans ces espaces quotidiens touristifiés, les espaces publics sont mis en scène et leur authenticité « pasteurisée » (Germain, Liégeois et Hoernig, 2008). Dans certains cas, de nouvelles authenticités « romantisées » sont même créées/inventées pour le plaisir des touristes et des visiteurs (Bélanger, 2005; voir aussi Ganau, 2008 pour le cas de Barcelone). Par ailleurs, des slogans tels que « vivre comme un local » utilisé par Airbnb, et la production immobilière résidentielle livrant des appartements de type hôtel déterritorialisés (Roelofsen et Minca, 2018) alimentent ce flou des frontières entre le tourisme et la vie quotidienne. Devant la « touristification du quotidien » en tant que processus d’appropriation des pratiques quotidiennes locales et des modes de vie (Russo et Scarnato, 2018), nous soutenons que le tourisme affecte maintenant les résidents locaux dans leur mode d’habiter au sens heideggérien où « [h]abiter pour l’être-là, c’est […] se construire à l’intérieur d’un monde par la construction même de celui-ci » (Hoyaux, 2002). En d’autres mots, nous sommes témoins d’une touristification du quotidien, au sens où les résidents locaux deviennent des touristes de leur propre vie.

Dans la plupart des villes et des métropoles, l’image de la bulle touristique reflète la dynamique spéculative et foncière dans des lieux proches d’installations (incluant des espaces quotidiens) qui sont en partie déconnectées de leur environnement économique, social et culturel. À l’inverse de l’image de la bulle immobilière prête à éclater, la bulle touristique a inspiré d’autres secteurs d’activités non touristiques voulant profiter des avantages de l’économie expérientielle, incluant le marché immobilier. Neil Smith (1996) avait déjà identifié le retour du capital vers les centres paupérisés et en déclin des villes états-uniennes durant les années 1970. Voulant profiter de l’écart entre les valeurs actuelles et les valeurs potentielles, les développeurs ont investi le secteur de l’immobilier résidentiel visant les classes moyennes et supérieures, ces « pionniers urbains » qui choisissaient le « retour en ville » plutôt que la vie en banlieue. Ce « retour en ville » est maintenant facilité par la création d’un nouveau marché immobilier résidentiel expérientiel dans les quartiers centraux qui semblent évoquer la vie touristique dans les hôtels de luxe. Certes, la vie d’hôtel n’est pas un phénomène nouveau. Déjà, durant les années 1920, elle avait attiré l’attention des sociologues de l’École de Chicago (voir Wirth, 1927; Burgess, 1928) et, auparavant, celle du théoricien culturel Siegfried Kracauer ([1927] 2004). Plus récemment, se sont ajoutés à ces observateurs-témoins des historiens de l’architecture (par exemple Groth, 1994) et des géographes culturels (par exemple McNeil, 2008), pour n’en nommer que quelques-uns.

[traduction] Comme pour le superbloc autonome, on peut dire que l’espace privatisé de l’hôtel métropolitain avait tourné le dos à la ville. Et pourtant, en même temps, l’hôtel a récupéré la vie urbaine afin d’étendre sa propre capacité à fabriquer du désir. L’hôtel n’était pas seulement une ville peinte à l'aérographe dans la ville; il a également vendu la ville extérieure, la ville sale, une image d’elle nettement cosmopolite.

Katz, 1999, p. 137

Cette citation de Katz, qui discute des travaux de Kracauer, est évocatrice du parallèle que nous faisons ici entre cette vie dans les grands hôtels et le nouveau marché immobilier résidentiel. McNeil (2008) suggère que le lobby de ces grands hôtels serait une métaphore du cosmopolitisme. Cette « canopée cosmopolite », pour reprendre le terme d’Elijah Anderson (2004), donnerait aux [traduction] « personnes d’horizons différents la chance de ralentir et de se faire plaisir, d’observer, de réfléchir et, en fait, de faire leur propre ethnographie folklorique, de tester ou d’étayer les stéréotypes et les préjugés ou, rarement, de reconnaître quelque chose de fondamentalement nouveau sur l’autre » (p. 25). Cependant, le lobby des grands hôtels est une infrastructure auto-ségrégative basée sur l’identité de classe et les goûts des consommateurs (McNeil, 2008), tout comme de nombreux espaces urbains qui deviennent des terrains de jeux pour consommateurs alors que les activités de loisirs qu’ils soutiennent [traduction] « représentent une marchandise disponible à l’achat, à la vente ou à la location pour toute personne disposant de ressources financières adéquates » (Loyd et Auld, 2003, p. 339). Les autorités publiques deviennent complices de cette dynamique à travers leurs initiatives de planification urbaine à des fins de croissance économique (Zukin, 2010; voir aussi Lloyd et Auld, 2003). Faut-il le rappeler, les villes et les métropoles jouent un rôle central dans l’expansion du modèle néolibéral basé sur l’accumulation flexible du capital par des processus de destruction créative (Brenner et Theodore, 2002), tout en étant le produit de cette expansion (Harvey, 1989). Il en résulte une transformation des quartiers en environnements de loisirs, sans que celle-ci bénéfice aux résidents de longue date et à leurs activités quotidiennes ordinaires.

Sous l’effet d’approches marketing biopolitiques (Zwick et Ozalp, 2011) qui internalisent les règles du marché (Brown, 2015) tout en fermant les espaces de manière physique ou symbolique (Agamben, 1998), les caractéristiques du logement dans ce nouveau marché immobilier résidentiel sont éclipsées par celles des sites de consommation du plaisir (Prosser, 1993 cité par Lloyd et Auld, 2003) : ensemble d’aménités collectives exclusives, authenticité du quartier pasteurisée, voire créée de toutes pièces, et « buzz » culturel. Dans ce nouveau marché immobilier résidentiel, les acheteurs ne deviennent pas tant des résidents membres d’une communauté que des consommateurs/touristes de leur propre environnement résidentiel. En somme, le logement n’est qu’une commodité pour la production d’espaces de grande valeur marchande dans un processus de gentrification instantanée qui contribue à la touristification du quotidien. La question est maintenant de savoir dans quelle mesure cette gentrification instantanée va jusqu’à provoquer l’émergence/existence de ce processus de touristification du quotidien.

L’analyse critique de la touristification du quotidien et de ses dynamiques gentrifieuses présentée ici utilise la triade lefebvrienne de production de l’espace en se focalisant sur l’espace conçu, dominant dans la société, et sur l’espace vécu qui inclut l’espace physique à travers l’usage symbolique de ses artéfacts, sans négliger pour autant la matérialité de l’espace perçu. Nous cherchons à comprendre comment la construction symbolique, le renouvellement des valeurs et le discours des acteurs dominants produisent des espaces urbains où les limites séparant le touristique de la vie quotidienne sont de plus en plus floues.

L’omniprésence du discours pro-tourisme demeure largement dominante, notamment là où la croissance et le caractère unique de chaque espace peuvent être observés (Brouder, 2018). La production de l’espace est portée par ce discours et les représentations (de l’espace) qui en découlent, ce qui contribue à la touristification du quotidien. Le discours touristique, en tant que discours de pouvoir (Dann, 1996), ne décrit pas uniquement les pratiques touristiques, mais également le contrôle dans et de l’espace, contrôle de ce qui peut et ne peut pas être fait par les touristes. Dans le cadre de cette recherche exploratoire, il décrit également ce qui devrait être offert aux touristes ainsi qu’aux futurs résidents/gentrifieurs que les développeurs immobiliers tentent d’attirer. Le Quartier des spectacles à Montréal (et ses quartiers limitrophes) est un excellent laboratoire pour explorer cette question. Situé dans le centre-ville de Montréal, le Quartier des spectacles, qui sera décrit plus loin, a fait l’objet d’un programme particulier d’urbanisme, un instrument de planification qui permet d’adapter les règles d’urbanisme au contexte local et est basé sur une vision de revitalisation comportant différents niveaux de participation publique et privée. Le Programme particulier d’urbanisme du Quartier des spectacles a favorisé le réinvestissement immobilier résidentiel dans les quartiers centraux[3].

Méthodologie

Cette recherche exploratoire sur la touristification du quotidien, comportant plusieurs volets et toujours en cours, est basée sur une recherche documentaire concernant le matériel promotionnel des projets immobiliers résidentiels situés dans différents quartiers de Montréal. Les sources documentaires consultées sont variées : publicités dans les journaux quotidiens, publi-reportages dans des cahiers ou revues spécialisées, sites web promotionnels, et dans certains cas, affichage public des projets. Cet article présentera les premiers résultats de l’analyse des sites web promotionnels des projets récents situés dans l’arrondissement de Ville-Marie (le centre-ville), où se trouve le Quartier des spectacles.

En mai 2019, la ville de Montréal recensait 179 projets immobiliers ayant été réalisés entre 2014 et 2019 dans l’arrondissement de Ville-Marie. Parmi ces projets, 105 comportaient des unités résidentielles, dont 38 dans des immeubles de 100 logements et plus. Onze de ces projets étaient localisés à l’intérieur des limites du Quartier des spectacles. À ces projets achevés, s’ajoutaient 94 projets en chantier au moment du recensement, dont 74 comportaient des unités résidentielles. Un peu moins du tiers (21) de ces projets comportaient 100 unités de logement ou plus[4]. Une centaine de projets de moindre envergure (moins de 100 unités de logement) ont été exclus d’office de l’étude puisqu’ils font peu l’objet de campagnes promotionnelles importantes, simultanément dans plusieurs médias. L’échantillon initial est donc composé de près de 60 projets immobiliers résidentiels ou mixtes, comportant 100 unités de logement ou plus.

Une première collecte d’informations générales sur les 60 projets identifiés a été effectuée sur le Web au début de l’année 2020. Dans le cadre de cette analyse, nous avons seulement retenu les projets qui comportaient une page ou un site Web dédié, avec des informations descriptives (texte, photos ou vidéo) permettant de faire une analyse de contenu. Nous avons exclu les projets pour lesquels il n’y avait pas assez d’information, soit parce que le développeur les avait retirés de son site une fois l’ensemble des unités vendues, soit parce qu’il n’entretient qu’une page descriptive normalisée dans le cas de projets immobiliers résidentiels locatifs multiples. C’est le cas pour plusieurs projets du promoteur Samcon. Notre échantillon ainsi réduit se compose de 22 projets (Figure 1). À eux seuls, ces 22 projets achevés, ou en cours de réalisation, rassemblent près de 12 000 unités de logement. Même si seulement trois de ces 22 projets sont situés à l’intérieur des limites administratives du Quartier des spectacles, sa zone d’attractivité va bien au-delà pour englober une bonne partie des quartiers centraux.

Des captures d’écran ont été faites pour l’ensemble des 22 sites, et les banques d’images de ces sites ont été téléchargées, afin de constituer des dossiers rassemblant toute l’information mise à la disposition des acheteurs que l’on tente de séduire. À partir de notre cadre d’analyse, nous avons procédé à une analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2016) des images et du texte. Les données ont d’abord été classées selon trois rubriques ouvertes : aménités du projet; ressources territoriales; ambiance du milieu d’accueil. L’analyse a permis d’identifier les éléments de la bulle touristique qui s’étend dans l’espace de l’habiter : formation d’enclaves aux aménités exclusives standardisées; des milieux de vie de loisirs, spectaculaires ou pasteurisés; et une ambiance rappelant directement la vie d’hôtel de luxe.

Le quartier des spectacles : un vecteur du développement immobilier des quartiers centraux

C’est en 2002 que l’administration montréalaise a présenté la première version de son projet pour le Quartier des spectacles. Le projet a été accueilli positivement comme un déclencheur du (re)développement du centre-ville, bénéfique à son image internationale (Ville de Montréal, 2007). La coordination et le développement de ce projet de district culturel ont été délégués au Partenariat du Quartier des spectacles, une organisation sans but lucratif dont plus de la moitié des membres proviennent du milieu culturel (Partenariat du Quartier des spectacles, 2020). Le vice-président du conseil d’administration du Partenariat est le directeur d’une grande société d’investissement spécialisée dans l’immobilier. L’arrondissement de Ville-Marie et la Ville de Montréal y délèguent des membres observateurs (sans droit de vote). Les membres du Partenariat ont été impliqués dans la conception des deux Programmes particuliers d’urbanisme. Le premier projet, adopté en 2008 pour le pôle de la Place des arts, visait le redéveloppement des espaces ouverts servant de stationnement et des lots et bâtiments vacants adjacents ou situés à proximité de la Place des arts, un important lieu de diffusion culturelle. Objet d’une appropriation par les populations marginalisées, le secteur symbolisait alors la dégradation physique et socioéconomique des quartiers centraux montréalais, avec ses problèmes d’incivilité et de vente et usage de drogues (Morin, Parazelli et Benali, 2008). Le Partenariat du Quartier des spectacles s’est engagé dans un réaménagement radical de l’environnement physique incluant la création ou la revitalisation de huit espaces publics pouvant accueillir des activités culturelles, dont la Place des festivals. Le deuxième projet, pour le pôle Quartier Latin, adopté en 2013, laissait une plus grande place à la fonction résidentielle, cherchant notamment à « encourager une offre de logement qui s’adresse à une clientèle branchée et urbaine » (Ville de Montréal, 2013, p. 78).

Tableau 1

Échantillon

Échantillon

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Figure 1

Localisation des 22 projets

Localisation des 22 projets
cartographie : auteurs

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En 2015, le Partenariat estimait que ses 40 festivals annuels attiraient sept millions de visiteurs (Quartier des spectacles, 2015). La nouvelle attractivité du secteur a également favorisé l’éclosion d’un boom immobilier. Une soixantaine de projets immobiliers ont été réalisés entre 2007 et 2019 à l’intérieur des limites du Quartier des spectacles, dont près de la moitié destinés à l’habitation[5]. Il s’agit d’un investissement de 2,2 milliards de dollars, entraînant une augmentation des valeurs foncières de 21 %, comparativement à 15 % pour l’ensemble de l’arrondissement de Ville-Marie (Groupe Altus, 2017). Plus de 4 000 nouvelles unités de logement ont été construites durant cette période[6] (Groupe Altus, 2017), dont le tiers est concentré dans seulement huit immeubles de 100 unités ou plus, surtout des petits condos visant une clientèle de petits ménages de professionnels.

Ces transformations majeures de l’environnement physique (et social avec l’arrivée de nouveaux ménages) ont été généralement bien accueillies par les résidents de longue date, selon une étude de Bélanger (2014). Mais on peut s’interroger sur les impacts à plus long terme, puisque de nombreux chantiers étaient toujours en cours lorsque cette étude a été réalisée.

Vers une touristification du quotidien à Montréal ?

Quelle est la stratégie utilisée par les développeurs immobiliers résidentiels pour attirer de nouveaux clients/résidents des classes moyennes et supérieures? Les résultats de cette recherche exploratoire indiquent qu’ils utilisent un discours similaire. Leurs stratégies de vente (ou de location dans certains cas) évoquent la bulle touristique et reprennent les stratégies utilisées par les grands groupes hôteliers qui tentent d’attirer touristes ou visiteurs d’affaires. L’accent est mis sur les aménités collectives luxueuses et les ressources territoriales spécifiques. C’est sans oublier que dans ces « nouvelles bulles touristiques », le discours sur le design architectural a des résonnances d’architecture iconique, qui n’est pas sans rappeler l’effet Guggenheim recherché par les villes.

Une architecture issue du mythique nombre d’or.

Maestria, 2020

À l’image des carats pour le diamant, les aménagements soignés sont une unité de mesure incontournable pour apprécier la valeur d’un joyau immobilier.

Centracondos, 2020

À l’image des carats pour le diamant, les aménagements soignés sont une unité de mesure incontournable pour apprécier la valeur d’un joyau immobilier.

Centracondos, 2020

Mais ce sont principalement les volets touchant aux caractéristiques du lieu qui rappellent l’idéaltype de la bulle touristique. La localisation a toujours été une composante centrale des récits de vente. Les infrastructures de transport, la proximité ou la facilité d’accès des lieux d’emploi, les commerces, services et écoles font partie du discours de vente. Les nouveaux arguments de vente transcendent la vie ordinaire qui peut être perçue comme une routine ennuyeuse, en soulignant les opportunités de plaisir accessibles à proximité de la résidence. La localisation « au centre » de l’action est au coeur des arguments de vente (ou de location) de projets immobiliers résidentiels. Ainsi, la proximité des lieux de diffusion culturelle, de divertissement, voire le Quartier des spectacles dans son ensemble, font partie du discours promotionnel de plus de la moitié des projets étudiés.

Maestria vous invite à vivre au coeur du quartier culturel de la métropole francophone d’Amérique du Nord!

Maestria, 2020

Le luxe de vivre à Montréal. Au coeur du Quartier des spectacles, vous êtes à deux pas de tout ce qu’il y a à voir, entendre, admirer, explorer et goûter à Montréal.

Laurent & Clark, 2020

Bienvenue dans un lieu de vie où le calme avoisine l’effervescence, le luxe s’exprime dans la simplicité, et le quotidien se prête à l’évasion. À deux pas du Square Victoria, le 628 Saint-Jacques vous offre tout, sauf des compromis. (…) Se réveiller dans un décor de cinéma, c’est ça le luxe.

Le 628 Saint-Jacques, 2020

Les résidents d’Encore pourront se rendre à pied à une panoplie d’activités culturelles et sportives de classe mondiale. Le nec plus ultra de la gastronomie, de la culture, des boutiques, et plus, sera idéalement situé et proche de chez vous.

Encore, 2020

Des musées de renommée internationale, des galeries à foison, deux orchestres symphoniques, une compagnie d’opéra, sept festivals et le Centre Bell comme voisin. Montréal est spectacle!

Les Tours YUL, 2020

Dans leur discours de vente, plus de la moitié des projets soulignent à grands traits la proximité des lieux gastronomiques et des boutiques (souvent de luxe ou branchées). Certains entretiennent le flou jusque dans leur nom, comme Les Tours YUL, YUL étant le code de l’Aéroport de Montréal pour l’aviation civile, évoquant du même coup les voyages et l’international. Ces exemples ne sont pas sans nous rappeler le discours des grands hôtels misant sur les avantages des principales attractions montréalaises et dont voici un exemple :

Surplombant la Place Jacques Cartier au coeur du Vieux-Montréal, nous sommes entourés de restaurants et de boutiques et nous nous trouvons à quelques pas seulement des attractions les plus convoitées de Montréal, dont le Vieux-Port et la Basilique Notre-Dame.

Hôtel William Gray, 2020

Figure 2

Maestria condominiums

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Mais les principales attractions ne sont pas les seuls arguments de vente des grands hôtels, qui misent également sur la réponse directe aux besoins de leurs clients à travers leurs installations de loisir.

  • En tant que seul hôtel au Québec à détenir les prestigieux Cinq Diamants, le Ritz-Carlton Montréal offre à ses invités :

    • Un hébergement intime à la pointe de la technologie tout en conservant le charme historique des lieux;

    • Une cuisine raffinée à Maison Boulud, caractérisée par une interprétation moderne des grands classiques de la cuisine française dans un cadre haut de gamme;

    • Des espaces de réunion et de réception élégants équipés à la pointe de la technologie;

    • Une piscine intérieure salée dominant la ville depuis le toit de l’hôtel;

    • La Cour des Palmiers vous offrant l’expérience du thé de l’après-midi et une expérience lounge en soirée;

    • Le Spa St. James qui vous plongera dans un havre de paix en éveillant vos cinq sens. (Hôtel Ritz Carlton, 2020)

Figure 3

Laurent & Clark

Laurent & Clark

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La stratégie est la même chez les promoteurs des grands projets immobiliers résidentiels qui incluent systématiquement des espaces communs tels que lounge luxueux, piscine, salle d’entrainement, toit terrasse. C’est, dans l’ensemble, ce que proposent les 22 projets étudiés. Et, pour près du tiers de l’échantillon, s’y ajoutent salles de cinéma privées, salles de musique, accès privilégié à des matchs de sport professionnel ou espaces de travail dédiés. Les commodités classiques des projets résidentiels n’y sont pas totalement absentes, mais l’accent est clairement mis sur les espaces communs à vocation récréative et une représentation d’un espace auto-contenu en matière de services, avec la ville en toile de fond.

Avec ses murs de bois, son grand bain chaud, ses chutes, son bain vapeur et son sauna, le coin spa a tout pour créer une expérience unique des plus relaxantes. Une piscine pour la mise en forme est également à votre disposition.

21e arrondissement, 2020

Le LOUNGE offre une succession d’espaces variés incitant au loisir. Il compte une salle semi-privée pour les réceptions et à l’opposé du somptueux foyer, on découvre un espace ludique avec table de billard et table de jeux.

Laurent & Clark, 2020

Après une session de golf virtuel ou au gym ultramoderne et un plongeon dans la piscine extérieure ou intérieure, rendez-vous au circuit thermal ou sur le toit pour profiter des derniers rayons de soleil.

Maestria, 2020

Un événement à célébrer? Une réunion d’affaires à organiser? Le 1000 de la Montagne mets (sic) à votre disposition deux salles multifonctionnelles munies de tous les appareils technologiques requis pour répondre à vos besoins.

Centracondos, 2020

Le discours promotionnel de ces 22 projets fait ainsi état d’une vision d’une vie pleine d’expériences des plus agréables, en mettant l’accent sur le sentiment d’être en vacances. Rares sont les projets faisant état d’une vie de quartier « ordinaire », de la communauté locale. Le quartier se réduit à des offres de divertissements. Les projets offrent un quartier « vibrant », « branché ». Dans seulement deux cas on fait une référence subtile à l’existant, mais en mettant l’accent sur l’état de transformation.

Figure 4

Centracondos. 1000 de la Montagne

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Les publicités de ces projets dessinent une frontière floue entre la vie du résident et l’expérience d’un touriste. Et cette touristification du quotidien qui est vendue par les promoteurs dépasse le cadre du projet pour s’étendre à tout le quartier (et au-delà) lorsqu’ils mettent en exergue les avantages de leur localisation, comme nous l’avons vu plus tôt. Dans quatre cas, le flou de cette frontière est exacerbé dans un discours promotionnel faisant directement référence à la vie d’hôtel.

Dans le cadre d’un style de vie hôtelier chez Encore, un préposé au service et un concierge à plein temps seront à votre service 24 heures sur 24 pour des services de ménage, de nettoyage à sec. Le hall d’entrée élégamment meublé comprend un bureau en marbre italien importé, un coin salon élégant et personnalisé avec un foyer donnant sur l’entrée extérieure classique inspirée par Manhattan, ce qui en fait une entrée très distinguée en effet.

Encore, 2020

La vie d’hôtel à l’année : Un tout-inclus au bout des doigts. Qui songerait à prendre des vacances? Grâce à un service fabuleux de conciergerie, vous pourrez vous prélasser chez vous comme si vous étiez à l’hôtel et ainsi profiter d’une panoplie d’avantages qui rendent la vie tellement plus facile. ()

Humaniti, 2020

Faites une entrée remarquée chaque fois que vous arrivez chez vous. Inspiré du style luxueux d’un hôtel-boutique, le splendide hall d’entrée combine prestige, distinction et atmosphère chaleureuse.

Tour des Canadiens, 2020

Figure 5

QuinzeCent

QuinzeCent
Source : QuinzeCent (source : https://www.1500montreal.ca/)

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Figure 6

Les Tours YUL

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Cette réappropriation symbolique du tourisme, à des fins de vente, vise les résidents potentiels de ces nouveaux développements immobiliers. Le résidentiel et le touristique sont intimement liés dans les discours de promotion, qui proposent une forme de confort et de sécurité associée aux grands hôtels et aux stations balnéaires de luxe. Ces discours participent à un recodage de la ville comme un lieu de production d’environnements qui perdent de leur valeur d’usage au profit de leur valeur d’échange.

Figure 7

Humaniti Montréal

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Figure 8

Tours des Canadiens

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Même si cette gentrification instantanée prend racine sur des lots vacants et qu’elle n’a de facto pas mené à des déplacements de population, il n’en demeure pas moins que le discours de vente contribue à un déplacement symbolique des résidents de longue date. En fait, non seulement les services de la ville fantasmagorique sont trop coûteux pour la plupart des résidents urbains, et non seulement la hausse des loyers associée à la revitalisation spectaculaire engendre un déplacement commercial et résidentiel, mais comme l’ont souligné plusieurs critiques, ces nouveaux espaces spectaculaires de consommation sont souvent conçus et construits de manière à approfondir l’homogénéité et la division sociale – souvent avec le consentement et la participation des autorités publiques. (Gibson, 2005, p. 190) Or, les travaux de Bélanger et Cameron (2016) et de Bélanger (2014) démontrent plutôt que, malgré certaines craintes et critiques, les résidents de longue date ne se sentent pas envahis par l’arrivée de nouveaux résidents plus fortunés et au mode de vie différent. C’est plutôt à une colonisation des valeurs symboliques de production de la ville dans les espaces de la vie quotidienne par les discours et les pratiques touristiques que nous assistons. [traduction] « Non seulement les espaces de la ville sont défavorables aux pratiques quotidiennes et orientés vers le capital et l'ordre bureaucratique plutôt que vers l'expérience vécue, mais la manière dont les espaces de la ville sont produits exclut la majorité des citadins et leur expérience » (Bridge 2014, p. 1653). En effet, comme le soulignaient Jeannite et Lapointe (2016), le tourisme construit un discours où le produit est le confort et la sécurité, pour les visiteurs, mais aussi pour les investisseurs. Les projets analysés s’inscrivent directement dans ce type de discours qui présente seulement les éléments festifs et associés à un usage hédoniste de l’espace tout en rendant invisibles les autres usages de ces espaces et les modes de vie qui leur sont associés.

Le Programme particulier d’urbanisme du Quartier des spectacles a été positivement accueilli par les acteurs publics et privés comme initiateur du redéveloppement d’un secteur en déclin de la ville, participant à un processus de gentrification instantanée. Le Partenariat du Quartier des spectacles a permis la construction d’un consensus autour des objectifs du programme, mais les valeurs foncières augmentent, contribuant à des pressions sur le logement abordable qui tend à disparaître, tout comme la vie quotidienne ordinaire qui a été symboliquement[7] transformée. Le discours dominant laisse peu de place aux voix dissidentes exprimant les besoins des populations pauvres et marginalisées, comme s’il s’agissait d’une forme de tactique post-politique (Allmendinger et Haughton, 2010; voir aussi Metzger, 2011). Dans cette stratégie, le tourisme et le touriste, en tant que sujet politique, sont utilisés dans les discours comme une ressource économique, sans discuter et remettre en question la prédominance du marché et la spéculation comme objectifs généraux. Les impacts sur les pratiques quotidiennes des résidents locaux ne sont pas pris en compte, réinscrivant ceux-ci dans une forme de politique gestionnaire et spéculative de la ville où le touriste est le tiers absent dont on instrumentalise la figure, les comportements et les désirs (Ek et Tesfahuney, 2016) pour mettre en place des politiques publiques d’investissement et de revitalisation.

La prochaine étape de cette recherche sur le Quartier des spectacles comportera deux volets. Le premier volet consistera à conduire des parcours autoguidés à l’intérieur des limites du Quartier des spectacles où des usagers de l’espace seront invités à décrire leur expérience. Cette dernière sera alors confrontée aux descriptifs touristiques de l’espace, afin de mettre en regard l’espace vécu de l’usager et sa représentation par les autorités touristiques. Ce parcours se penchera aussi sur les liminalités du Quartier des spectacles et le potentiel de réappropriation symbolique qu’elles représentent. Le deuxième volet consistera à interviewer des acheteurs de condos afin de dégager leurs trajectoires résidentielles et les motifs ayant mené à l’achat de leur lieu de résidence actuel, puis de les inviter à décrire leur expérience de consommateur/résident de leur milieu de vie actuel.