Corps de l’article

Introduction

La mobilité académique n’est pas un phénomène nouveau : les activités internationales et interculturelles des établissements universitaires et la mobilité de leurs professeurs et étudiants remontent à l’avènement même des universités (Bérubé, Bourassa-Dansereau, Frozzini, Gélinas-Proulx et Rugira, 2018, Tilak, 2012). Au cours des dernières décennies, la mobilité étudiante s’est toutefois rapidement accélérée pour atteindre des niveaux inégalés (BCEI, 2018, 2019 ; Hou et Lu, 2017 ; Statistique Canada, 2019 ; Tilak 2012). Selon le portrait dressé par l’Organisation de coopération et de développement (OCDE), les étudiants de cycles supérieurs inscrits dans un établissement scolaire à l’étranger sont ainsi passés de 2 millions en 1998 à 5,3 millions en 2017 (OCDE, 2019) et l’on prévoit qu’ils seront 6,4 millions en 2025 (Germain et Vultur, 2016).

Le Canada et le Québec participent à l’essor de cette mobilité étudiante, notamment à titre de société d’accueil. Selon les données colligées par le Bureau canadien de l’éducation internationale (BCEI), le Canada se situait même au 4e choix en termes de destination pour les étudiants internationaux (ÉI) en 2017 (BCEI, 2018). Dans le cadre de cet article, nous choisissons d’utiliser « étudiant international » plutôt qu’« étudiant étranger », car cette notion « met en évidence les enjeux de temporalité, de conditions de séjour, ainsi qu’un rapport complexe de loyauté envers leur pays et culture d’origine et ceux du pays d’accueil » (Bérubé et al, 2018, p. 11). De plus, cela a l’avantage de ne pas apposer le terme « étranger » aux étudiants évoluant pour leurs études dans une société d’accueil.

Entre 2010 et 2017, le nombre d’ÉI a augmenté au Canada de 119 %, atteignant 494 525 (tous niveaux scolaires confondus), dont 211 795 (57 %) dans une université canadienne (BCEI, 2018). Les dernières données du BCEI indiquent que ce nombre a continué d’augmenter en 2018, pour atteindre 571 215, une augmentation de 16 % (BCEI, 2019). En 2018, ce sont 45 086 ÉI qui contribuaient à la vie universitaire québécoise, soit 1 étudiant sur 6 au sein de la province (Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur [CAPRES], 2019a). Confirmant l’attractivité de la métropole désignée comme étant la « meilleure ville étudiante des Amériques » (Montréal International, 2020), 69 % des étudiants inscrits dans une institution québécoise ont choisi Montréal, dont 25,8 % l’Université McGill, 22,6 % l’Université de Montréal (UdeM) et 17 % l’Université Concordia. L’Université du Québec à Montréal (UQAM) récoltait pour sa part 8,2 % des inscriptions d’ÉI (CAPRES, 2019b).

Cet article[1] présente les résultats d’une recherche exploratoire portant sur les interactions interculturelles des étudiants internationaux inscrits dans un programme d’étude à l’Université du Québec à Montréal (UQAM)[2]. Il propose certaines pistes autour de résultats mettant en lumière le rôle central de la communication interculturelle dans leur parcours universitaire et les mécanismes d’exclusion qui y sont associés.

Université du Québec à Montréal (UQAM) : les étudiants internationaux au sein d’une université urbaine et francophone

À l’automne 2019, 39 116 étudiants étaient inscrits à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et, parmi eux, 4 376 étaient des ÉI, formant 11 % de la population étudiante (UQAM, 2020a). Selon les dernières données institutionnelles et concernant les cohortes 2007-2012 (UQAM, 2020b), les ÉI poursuivant un programme d’études à l’UQAM ont un taux de diplomation de 58 % au baccalauréat et de 72 % aux cycles supérieurs. À titre comparatif, les étudiants canadiens affichent un meilleur taux de diplomation pour le premier cycle (67 %), mais obtiennent leur diplôme des cycles supérieurs dans une moindre mesure (63 %). Ces différences entre les deux groupes se remarquent aussi au niveau de leur taux d’abandon, lui aussi variable selon les niveaux d’études : il est de 22 % au premier cycle pour les étudiants canadiens et atteint 33 % chez les ÉI. Aux cycles supérieurs, toutefois, le rapport s’inverse, passant de 25 % chez les Canadiens à 19 % chez les ÉI.

Les relations en milieu universitaire : un facteur favorisant la réussite des ÉI

La littérature scientifique documente depuis des années les nombreuses difficultés auxquelles font face les ÉI dans leurs parcours migratoire et académique ainsi que les enjeux qui y sont associés. S’appuyant sur différentes études produites au Québec et au Canada, Bérubé et collab. (2018, p. 21-22) en dressent un portrait général et relèvent, en écho aux résultats de différentes recherches, les défis auxquels font face la plupart des ÉI dans le cadre de leur expérience de mobilité : ceux associés au choc culturel (Pilote et Benabdeljalil, 2007 ; Maïnich, 2013, 2015), aux changements de système éducatif (Bikie Bi Nguema, Gallais, Gaudreau, Arbour et Murray 2020; Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur [CAPRES], 2019a, 2019b et 2019c; Maïnich, 2015), aux différents obstacles communicationnels liés à une absence de maîtrise de la langue (CAPRES, 2019a), aux difficultés financières et aux difficultés relationnelles avec les personnes qu’ils côtoient dans leurs milieux de vie (étudiants, enseignants, professionnels des milieux académiques, employés des services gouvernementaux, locateurs, etc.) (Bikie Bi Nguema et al., 2020). De plus, des études récentes mettent en lumières les enjeux liés à l’ancrage professionnel et l’employabilité des ÉI (Belkhodja et Esses 2013, Vultur et Germain, 2018). En définitive, la littérature sur la question montre que les ÉI font face aux défis liés à la fois à leur (im)migration (mobilité, migration, installation et immigration) et à leurs études.

Parmi les difficultés qu’affrontent les ÉI, celles liées à l’isolement et aux impacts de l’absence de réseaux significatifs de soutien sont centrales (Gagnon, 2018 ; Pilote et Benabdeljalil, 2007 ; Vatz Laaroussi, Bernier et Guilbert, 2013) et le développement de liens significatifs est considéré comme l’un des facteurs favorisant la réussite et le bon déroulement des parcours d’études à l’étranger (Bikie Bi Nguema et al., 2020; Gagnon, 2018 ; Germain et Vultur, 2016; Guo et Chase 2011). Dans un dossier récent du CAPRES (2019c) portant spécifiquement sur les ÉI, la perte du réseau social qui caractérise souvent la mobilité étudiante est ainsi identifiée comme un facteur de fragilisation de la santé mentale des ÉI. A contrario, les différentes sources de soutien entre (im)migrants récemment arrivés au pays, les programmes institutionnels de jumelage ou d’activités d’intégration, les activités culturelles et sportives inclusives, en d’autres mots, le développement de différentes formes de réseaux sociaux sont identifiés comme des facteurs de protection qui facilitent l’expérience de mobilité étudiante (CAPRES, 2019c). Ainsi, les études canadiennes et québécoises récentes soulignent l’importance des réseaux personnels mais n’explorent pas directement les enjeux communicationnels entourant les relations, les rencontres et les interactions lors d’expériences de mobilité étudiante. Dans le cadre de cet article, nous présentons différentes dimensions de la communication interculturelle caractérisant l’expérience interculturelle des ÉI et les défis associés.

Communication interculturelle et mobilité étudiante : précisions théoriques

La communication interculturelle ponctue l’expérience vécue par les ÉI en contexte universitaire. En nous intéressant aux processus de communication interculturelle caractérisant l’expérience des ÉI, il ne s’agit pas d’observer les phénomènes ou processus liés à la rencontre entre des cultures, identités nationales ou identités ethniques, mais bien de s’arrêter à la rencontre entre les personnes porteuses de ces éléments culturels. La communication interculturelle porte sur les phénomènes de communication entendus comme « une rencontre, une relation de coprésence culturelle entre individus ou groupes, acteurs de la communication » (Hsab et Stoiciu, 2011, p. 10). La rencontre interculturelle est donc celle qui se construit, au fil des interactions, et dans le cadre de relations interpersonnelles (Bourassa-Dansereau et Yoon, 2017). Pour cette contribution, nous nous intéressons aux dimensions interactionnelles et relationnelles qui ponctuent l’expérience de communication interculturelle de ÉI, à la rencontre interculturelle en résultant et aux mécanismes d’exclusion pouvant la jalonner.

Communication interculturelle : rencontre, interaction et relation

En contexte interculturel, selon Emongo (2014), la rencontre est une situation culturelle d’échange. Elle pourra être virtuelle (elle réfère alors à la « possibilité » d’une interaction entre personnes porteuses de culture), physique (résultant des interactions effectives et souvent associée au « […] choc, qui induit le plus souvent la distance et la méfiance », [p. 235]) ou authentique, lorsque les cultures que portent les individus en contact s’interpellent mutuellement. Pour l’auteur, « La rencontre devient authentique lorsqu’elle aboutit ainsi à la “fécondation mutuelle” des cultures en présence, au renouvellement les unes par les autres. » (p. 235).

C’est donc au travers des interactions que se matérialise la rencontre interculturelle. L’interaction sociale, nécessairement en situation de coprésence (Goffman, 1973), désigne des situations d’influence réciproque « […] où la perception du sujet percevant est modifiée par l’attente d’une réciprocité́ […]. » (Montmolin, 1977, cité dans Marc et Picard, 2006, p. 189). L’interaction se distingue ainsi de la relation qui, elle, se développe grâce aux interactions et se maintient dans le temps, nonobstant la coprésence. Les interactions des ÉI se doivent par ailleurs d’être observées et analysées en tenant compte de leur environnement et de leur contexte de réalisation (Bérubé et al., 2018). Au-delà de sa dimension interpersonnelle, l’ancrage de l’interaction est résolument social et, comme le souligne Goffman (1973), ce sont dans les « rituels d’interaction » que se maintient, se crée et s’exprime l’ordre social. L’interaction dépasse ainsi la simple mise en présence d’individus  : elle porte et illustre les contextes et rapports sociaux qui l’orientent et la définissent. Les interactions qu’expérimentent les ÉI révèlent ainsi les places, rôles et statuts, choisis ou assignés, qu’ils occupent dans le système communicationnel universitaire où ils évoluent et qui caractériseront leurs relations et rencontres interculturelles.

La communication interculturelle à l’aune des mécanismes d’exclusion

Dans le cadre de cette contribution, nous proposons d’observer les expériences de communication interculturelle des ÉI à la lumière des mécanismes d’exclusion de la différence et de leurs conséquences (Bourque, 2008). Ces mécanismes visent à neutraliser, dévaloriser ou exploiter la différence culturelle et s’articulent aux interactions, aux relations et aux rencontres interculturelles qu’expérimentent les ÉI.

Dans la lignée des travaux de Camilleri et Visonneau (1996), Bourque (2008) définit les stéréotypes et l’ethnocentrisme comme étant des mécanismes visant à neutraliser la différence, dans la mesure « où ils réduisent la capacité à repérer des renseignements, nous font ignorer les variations individuelles et peuvent conduire à des expériences qui viendront confirmer nos attentes » (p. 71). Parmi les conséquences identifiées par l’auteure, nous soulignons les incidences de la capacité à percevoir, reconnaître et valoriser les particularités individuelles, au-delà de l’appartenance à un groupe culturel, en lien avec les processus de communication interculturelle et la relation qui en résulte. Les préjugés, la xénophobie et le harcèlement sont pour leur part des mécanismes visant à dévaloriser la différence. Cela se traduit notamment, selon Bourque, par des comportements d’évitement, de défense et d’affrontement, pouvant mener jusqu’à l’exclusion, voire l’agression des individus. Le harcèlement (associé à l’affrontement et l’exclusion) est étroitement lié à la discrimination qui, selon l’auteure, non seulement mène à l’exclusion de l’Autre, mais favorise aussi le groupe culturel qui met en place ce mécanisme. La relation interculturelle est alors affectée par la valeur négative accordée à l’individu porteur de la différence culturelle et par les réactions qui y sont associées. Finalement, les mécanismes permettant d’exploiter la différence dans le but non seulement d’exclure, mais d’en tirer profit, sont la discrimination, qui permet le maintien et le contrôle de privilèges, et le racisme. Parmi les différentes incidences présentées, nous retenons que les rapports de pouvoir favorisant les membres des groupes majoritaires et s’illustrant dans le contrôle des privilèges, la limitation de droits et libertés et les mises à l’écart influencent la relation interculturelle. Une définition pour chacun de ces mécanismes est présentée dans le tableau 1.

Tableau 1

Mécanismes de neutralisation, de dévalorisation et d’exclusion de la différence

Mécanismes de neutralisation, de dévalorisation et d’exclusion de la différence
Source : Bourque (2008)

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Pour cette contribution, ce sont les différentes dimensions de la communication interculturelle entre les ÉI et leurs collègues « étudiants locaux », soit les étudiants ayant la citoyenneté canadienne ou la résidence permanente, et entre les ÉI et leurs enseignants, soit les professeurs et chargés de cours de l’UQAM, ainsi que les mécanismes d’exclusion que nous observons sous les éclairages suivants : 1) la nature superficielle des expériences communicationnelles des ÉI, 2) la communication interculturelle à l’aune des mécanismes d’exclusion de la différence et 3) la présentation du « labo » comme modèle de réussite académique et communicationnelle.

Méthodologie

Les résultats présentés dans cette contribution s’inscrivent dans une démarche exploratoire (Bonneville, Grosjean et Lagacé, 2007; Trudel, Simard et Vonarx, 2007). Celle-ci documente à la fois un phénomène peu étudié et tient lieu de première collaboration entre des chercheurs de cinq universités québécoises. Ainsi, la démarche vise à « baliser une réalité à étudier » (Trudel, Simard et Vonarx, 2007) et cherche à circonscrire les principaux enjeux entourant les interactions interculturelles des ÉI dans différents milieux universitaires. S’inscrivant dans une épistémologie qualitative, les résultats visent à mieux comprendre un phénomène contextualisé et spécifique, à partir de l’expérience et des partages des ÉI ayant participé à la recherche. À la suite de Savoie-Zajc (2013), nous soulignons que nos résultats et le « savoir singulier » qu’ils représentent ne s’inscrivent donc pas dans la recherche de savoirs universels, généralisés ou généralisables. Il s’agit plutôt de la mise en lumière du « caractère spécifique, unique et distinct » (Savoie-Zajc, 2013, p. 8) d’un phénomène, dans un contexte et un temps donnés. Aussi, les résultats présentés le sont sous forme de « pistes » que notre démarche exploratoire nous aura permis de dégager.

Ces pistes sont issues des résultats d’entretiens individuels et d’entretiens de groupe menés auprès d’ÉI et d’enseignants à l’Université du Québec à Montréal, de l’automne 2018 au printemps 2019. Au total, nous avons rencontré 14 ÉI inscrits dans des programmes de 1er (n = 9), 2e (n = 3) et 3e cycles (n = 2) ainsi que 12 enseignants, rattachés à 5 Facultés et 11 départements de l’institution. Les ÉI étaient âgés de 19 à 42 ans. Neuf parmi ceux-ci se sont identifiées comme femmes et 5 comme hommes. Les rencontres ont eu lieu lors d’entretiens de groupe et d’entretien individuels. Deux entretiens de groupe d’environ 90 min ont réuni, selon leur niveau d’études, des étudiants de 1er cycle (n = 6) puis des étudiants de 2e et 3e cycles (n = 4). Nous avons ensuite rencontré 4 étudiants lors d’entretiens individuels d’une durée variant entre 45 et 90 min. Pour les enseignants, la majorité (n = 10) s’est exprimée dans le cadre d’un groupe de discussion d’une durée de 90 min et 2 dans le cadre d’entretiens individuels d’une durée d’environ 60 min. Chaque entretien, enregistré sur support audionumérique, s’est tenu dans les locaux de l’UQAM, entre novembre 2018 et juin 2019.

Notre échantillon répond aux exigences de la recherche exploratoire en nous permettant de dresser un premier portrait des interactions des ÉI en contexte universitaire. Cet échantillon n’a pas été construit autour de critères stricts concernant les pays d’origine des ÉI rencontrés puisque nous ne nous situons pas dans une approche culturaliste et ne cherchons pas à lier des déterminants culturels à l’expérience des participants. Nous cherchons plutôt à dégager les premières pistes concernant l’expérience commune et singulière de nos participants, partageant tous un même statut à l’UQAM. Les ÉI ayant participé à nos entretiens étaient originaires d’Algérie, de Belgique, du Burkina Faso, du Cameroun, de Colombie, de France, de Haïti, du Maroc, du Mexique, de la Norvège et de Tahiti.

Dans le cadre des entretiens, quatre thématiques principales ont été explorées : 1) la réussite académique des ÉI, 2) les interactions entre les ÉI et les différents acteurs institutionnels, 3) la communication interculturelle et 4) la sécurité psychosociale. L’ensemble des entretiens a été transcrit, puis analysé à l’aide des thématiques initiales et de thématiques ayant émergé en cours d’analyse (Paillé et Mucchielli, 2012). Une analyse thématique verticale de chaque entretien a été réalisée, puis une analyse transversale a permis de relever les points de convergence et de dissemblance entre ces derniers (Ouellet et Mayer, 1991; Paillé et Mucchielli, 2012). À la lumière des résultats, il apparaît, en filigrane et comme fil conducteur à l’ensemble des enjeux soulevés par nos participants, que la question de la communication interculturelle et les défis de la rencontre interculturelle sont centraux dans leurs expériences. Nous nous centrons d’abord sur les propos des étudiants rencontrés, puis nous présentons les pistes de réflexion ayant émergé de nos analyses.

Résultats

La communication interculturelle en contexte universitaire : une courtoise indifférence

La première piste qui se dégage de notre démarche exploratoire concerne la nature superficielle des expériences communicationnelles vécues par les ÉI.

Les ÉI que nous avons rencontrés sont unanimes : leurs expériences communicationnelles avec les étudiants locaux sont limitées aux interactions en salle de classe où « il n’y a pas vraiment d’échanges. On se voit dans le cours et c’est tout » (GD, premiers cycles[3]). Les ÉI qualifient majoritairement leurs interactions d’échanges respectueux, courtois et polis, mais la plupart les considèrent aussi comme étant teintés d’une indifférence certaine :

Je pense que les étudiants sont courtois. […] Mais il n’y a aucun Québécois qui m’a vraiment parlé. Les étudiants québécois sont très accueillants, mais ils ne vont pas chercher plus loin.

E, cycles supérieurs

Les étudiants québécois sont très gentils et ils vont m’aider si j’ai des questions sur la matière vue en classe. Ils vont me répondre, mais ça s’arrête là [...] il n’y a pas de volonté de créer des liens. […] J’ai senti que c’était difficile de s’intégrer.

GD, cycles supérieurs

Plusieurs ÉI expliquent ces difficultés en abordant d’abord les défis liés à la maîtrise de la langue, et ce, même s’ils sont eux-mêmes francophones ou ont été scolarisés en français dans leur pays d’origine. L’accent québécois, les expressions spécifiques, l’humour et les référents culturels sont cités comme des obstacles à la concrétisation d’interactions riches, soutenues et spontanées pouvant mener à de réelles relations interculturelles.

Toutefois, au-delà des enjeux linguistiques, et de façon générale, les ÉI participants considèrent unanimement que les étudiants locaux qu’ils côtoient ne « souhaitent pas aller plus loin » ou « faire des efforts» (E, premiers cycles) pour surmonter les difficultés langagières, puisque les ÉI sont « différents et que ça demande un peu plus d’aller vers la différence » (GD, premiers cycles). Pour nos participants, cela reflète un manque de sensibilité à la fois aux différences culturelles et à la réalité des ÉI, comme l’exprime ce participant (GD, cycles supérieurs) :

À mon avis, [les étudiants locaux] n’ont pas une grande sensibilité envers la différence culturelle. Je ne sais pas, peut-être que je peux mal interpréter leur regard, mais souvent, tu as l’impression que tu es une personne en trop. Je pense qu’ils ne comprennent pas ce que l’on vit. Ou ça ne les intéresse pas !

A contrario, leurs expériences communicationnelles sont jugées plus agréables avec les autres ÉI, avec lesquels ils réalisent la plupart de leurs travaux d’équipe, échangent et créent des liens plus facilement. Comme l’explique une participante (GD, premiers cycles) « on se comprend, on s’intéresse les uns aux autres. On vit la même chose et on est tous différents des Québécois ».

Ces différents résultats montrent que l’expérience de communication interculturelle des participants, au-delà des difficultés techniques (par exemple liées à la langue), semble ponctuée d’obstacles. Ainsi, l’impondérable réciprocité qui devrait caractériser les interactions sociales (Goffman, 1973, Marc et Picard, 2006) n’est pas perçue par les ÉI, ce qui limite notamment le développement de relations qui se maintiendraient dans le temps (nonobstant la coprésence) et l’avènement de « rencontre authentique » au sens où l’entend Emongo (2014). En effet, la rencontre physique qu’induit la mobilité étudiante semble plutôt associée au « choc » et à « la distance et la méfiance » qui peuvent en résulter, au détriment d’une « fécondation mutuelle » caractérisant la rencontre interculturelle authentique (Emongo, 2014). En ce sens, une première piste se dégageant de nos résultats est que la communication interculturelle entre ÉI et étudiants locaux est superficielle, limitée aux interactions en classe et bien loin de la conconstruction d’un espace communicationnel commun et partagé menant à une véritable rencontre interculturelle.

Les ÉI que nous avons rencontrés ont tous souligné les conséquences négatives que peuvent avoir ces limites communicationnelles sur leur expérience universitaire (liées par exemple à l’absence de soutien dans les travaux d’équipe et lors de difficultés rencontrées sur le plan académique ou concernant les sentiments d’isolement et de solitude ressentis). Nous explorons dans la prochaine section comment ces expériences communicationnelles peuvent s’observer à la lumière de certains mécanismes d’exclusion de la différence.

Communication interculturelle et mécanismes d’exclusion de la différence en contexte universitaire

La deuxième piste que nous souhaitons explorer concerne les mécanismes d’exclusion de la différence (Bourque, 2008) qui semblent ponctuer certaines expériences de communication interculturelle des ÉI en contexte universitaire.

L’ensemble des ÉI que nous avons rencontrés s’entendent pour dire que la culture universitaire qu’ils découvrent à l’UQAM est différente, à plus ou moins grande échelle, de celle qu’ils ont connue dans leur pays d’origine ou lors de précédentes expériences académiques à l’étranger. Par exemple, ils soulignent leur étonnement concernant la proximité entre étudiants et enseignants, l’effacement du lien hiérarchique qui les unit et leurs relations qualifiées d’« amicales » (GD, cycles supérieurs). Ces particularités relationnelles sont surprenantes, mais généralement appréciées des ÉI. Plusieurs participants relèvent toutefois d’autres différences qu’ils associent à divers défis académiques : une plus grande autonomie dans les démarches d’apprentissage demandée chez les étudiants, les exigences méthodologiques particulières pour la rédaction des travaux, les modalités de participation en classe, la charge de travail, etc. Pour certains, ces différences sont un choc important et peuvent être vécues comme une expérience difficile, voire douloureuse.

Au-delà de réels défis liés à la découverte de cette nouvelle « culture universitaire », la quasi-totalité des participants perçoit que le système universitaire, normé et homogène, induit une évaluation d’emblée défavorable de leurs « différences » et induit également des aprioris négatifs qui ponctuent leurs expériences de communications interculturelles. Nous proposons d’observer leurs témoignages à l’aune des mécanismes d’exclusion de la différence (Bourque, 2008), associés, dans un premier temps, à la neutralisation et la dévalorisation de la différence, puis à l’exploitation de la différence.

Neutraliser et dévaloriser la différence pour la réussite académique?

Les expériences communicationnelles partagées par nos participants se déroulant en contexte universitaire, plusieurs d’entre eux en expliquent les limites par les impératifs de réussite scolaire que vivent les étudiants locaux. L’ouverture à la différence serait, selon les ÉI, perçue par les étudiants locaux comme un frein à l’efficacité et la performance académiques. L’exigence de réussite deviendrait ainsi un des principaux critères d’exclusion des ÉI. Ce point de vue est partagé par une majorité de participants étudiants et par les enseignants rencontrés :

C’est comme si [les étudiants] se disent qu’ils vont devoir tout m’expliquer, que ça va être plus difficile et un moins bon travail s’ils viennent avec moi. Alors ils préfèrent aller vers des Québécois.

GD, premiers cycles

Tout ça pour dire que [les relations avec les ÉI] c’est une catastrophe. Franchement, c’est une catastrophe. Mais c’est sûr que les étudiants québécois, je les comprends, ils n’ont pas de temps à perdre, ils veulent réussir leurs études.

enseignante, GD

Par ailleurs, si de rares expériences positives partagées par les ÉI et les enseignants illustrent des situations où les ÉI sont prisés et recherchés pour les travaux d’équipe[4], la plupart considèrent que des stéréotypes et préjugés défavorables concernant leurs connaissances et compétences académiques orientent leurs expériences de communication interculturelle en salle de classe. Ces mécanismes d’exclusion seraient portés par les étudiants locaux, mais aussi les enseignants qui, selon la quasi-totalité des ÉI rencontrés, « pensent qu’on est systématiquement moins biens » (E, cycles supérieurs). Les étudiants locaux tendent ainsi à ne pas les inclure dans leurs équipes, par peur d’être défavorisés lors des évaluations, tenant pour acquis que les ÉI sont plus faibles sur le plan académique. Une enseignante (E) partage cette lecture de la situation et souligne l’équilibre difficile entre l’ouverture à la différence et la recherche légitime de performance académique par les étudiants locaux :  

Je dois le dire, les étudiants internationaux, de façon presque systématique, sont faibles. Là je parle bien sûr des étudiants d’Afrique. Les étudiants français ou européens s’en tirent relativement bien, même s’ils n’ont pas toujours les mêmes codes […]. Dans les cours de méthodologie, on voit bien les difficultés et les chocs culturels. Ce sont les différences dans l’enseignement qui ont cet effet. Au Québec, les professeurs demandent beaucoup de travail, la participation en classe, des discussions et des travaux d’équipe, tandis que souvent ailleurs, c’est plutôt des cours magistraux. […] Ça prendrait de l’ouverture de la part des étudiants québécois, mais en même temps, sachant que les étudiants étrangers coulent massivement les cours, personne ne veut travailler avec eux, car ils les voient comme un boulet.

Concernant leurs relations avec les enseignants, certains ÉI mentionnent que les professeurs aux cycles supérieurs seraient réticents à les encadrer pour leur parcours à la maîtrise et au doctorat. Deux participants mentionnent de plus qu’ils pensent avoir obtenu des notes inférieures à celles de leurs collègues de classe en raison de leur statut d’ÉI  :

Mes collèges ont eu des A+ et moi, un A-, pour un même travail d’équipe. Ça m’a fait sourire un peu, mais c’est rien. Ça m’a surpris un peu.

GD, cycles supérieurs

Ces résultats montrent l’intérêt d’examiner la piste concernant l’articulation entre les expériences communicationnelles interculturelles des ÉI et les mécanismes visant à neutraliser et dévaloriser la différence. Les témoignages partagés par les ÉI et les enseignants mettent en lumière les stéréotypes et préjugés concernant les capacités académiques des ÉI, de même qu’une vision ethnocentriste semblant accorder une place centrale et valoriser positivement les particularisme de la « culture universitaire » de l’institution. Ces mécanismes pourront non seulement mener à neutraliser la différence (de par une incapacité à identifier les caractéristiques individuelles des ÉI), mais aussi à sa dévalorisation (de par la forte attribution négative qui y est associée). Les ÉI, considérés comme étant « nécessairement plus faibles » (GD, premiers cycles) à la fois par les enseignants et les étudiants locaux, se voit ainsi assigner une étiquette préjudiciable au fil de leurs interactions interculturelles.

Exploiter la différence culturelle : des expériences associées au racisme

Un des résultats les plus surprenants de cette recherche exploratoire est le suivant : parmi les ÉI que nous avons rencontrés, aucun ne souhaite s’installer au Québec ou au Canada après avoir réussi son programme d’études, ce qui contredit à la fois les données officielles concernant les démarches de résidences permanentes entamées par les ÉI à la suite de leurs études et les aspirations gouvernementales à ce niveau.

Ce sont notamment des enjeux communicationnels (interactions, relations, rencontres) qui sont évoqués pour expliquer leur choix, comme l’illustrent les propos de cette participante (GD, cycles supérieurs) :

Au début, je venais ici pour après faire ma vie et rester et m’installer. Mais finalement, je ne veux pas. Je vais retourner chez moi c’est certain. Je ne veux pas donner à mes enfants cette culture froide. Je ne veux pas vivre avec cette difficulté et me sentir comme si j’étais de trop. […] c’est difficile de vivre sans parler vraiment ou avoir de vrais liens. C’est comme être rejetée.

Soulignons par ailleurs que quelques ÉI, parmi ceux originaires de pays d’Afrique et du Maghreb, expliquent l’échec de leurs communications interculturelles en les replaçant explicitement dans des rapports sociaux discriminants. Ainsi, 3 participants ont clairement énoncé qu’à leurs yeux, « […] même l’université, comme la société québécoise, elle est raciste » (E, premiers cycles) et que cela mine leur possibilité de développer des relations interculturelles. À ce sujet, un participant originaire d’Afrique (E, cycles supérieurs) propose à l’UQAM de mettre sur pied une campagne de sensibilisation, non seulement adressée à la communauté universitaire, mais surtout aux ÉI, afin de les « prévenir » du racisme dont ils seront victimes :

Moi, je proposerais de vraiment faire une séance de sensibilisation au racisme. Pas pour les Québécois nécessairement, mais aux étudiants qui viennent ici étudier, qui vont quitter leur boulot, leur famille et tout derrière pour faire des études. Ils doivent savoir que le racisme, excusez-moi, mais il est systémique. Il est à l’université, à ton travail, même dans l’autobus. C’est dur. Je le dirais à tout le monde : la société canadienne est raciste. Et l’université malheureusement aussi.

Les mécanismes d’exclusion associés à l’exploitation de la différence, notamment à travers le racisme et la discrimination, sont donc identifiés par les ÉI que nous avons rencontrés. Les rapports de pouvoir et le contrôle de privilèges ainsi que la limitation de certains droits semblent s’articuler aux expériences partagées. Ces résultats concernant la neutralisation, la dévalorisation et l’exploitation de la différence montrent que ces mécanismes accompagnent les expériences communicationnelles en contexte universitaire. Ces pistes de réflexion nous permettent d’identifier comment ce contexte universitaire, par son cadre normatif et prescriptif, semble même favoriser certaines de ces exclusions. À l’image de la société en général, l’université est de plus le théâtre de rapports de pouvoir discriminatoires entre les membres du groupe majoritaire (étudiants locaux, enseignants) et les membres des groupes minoritaires, auxquels appartiennent les ÉI.

Un « labo » comme lieux d’accueil, d’apprentissage, de réussite… et de communication interculturelle

En discordance avec la majorité des propos partagés, nous présentons l’expérience interculturelle particulière vécue au sein d’un laboratoire de recherche à l’UQAM, où plusieurs ÉI poursuivent un programme d’études aux cycles supérieurs. Nous présentons cette expérience particulière car elle jette un éclairage intéressant et inusité sur les communications interculturelles en milieu académique. Ceci nous permet de dégager une dernière piste concernant l’importance d’un espace communicationnel pour limiter les mécanismes d’exclusion de la différence et favoriser la communication interculturelle.

Le témoignage d’un professeur rencontré lors d’un entretien individuel rompt la trame narrative de l’ensemble des expériences partagées par les étudiants et enseignants rencontrés pour notre projet et s’inscrit dans le cadre particulier d’un laboratoire de recherche (le « labo »), où évoluent plusieurs ÉI inscrits aux cycles supérieurs. Selon ce professeur, les expériences communicationnelles des ÉI au sein du labo sont positives, autant au niveau de leurs interactions avec les autres étudiants que de celles avec les enseignants le dirigeant. Notre participant souligne par ailleurs que depuis 10 ans, il n’a aucun souvenir d’ÉI ayant abandonné son programme d’études ou ayant échoué. Cette réussite est attribuable à certains éléments qui semblent en favoriser le développement et le maintien : ils sont bien entendu liés à des ressources matérielles (par exemple, les ÉI membres du labo sont tous financés grâce à des bourses d’études, on met à leur disposition des lieux et du matériel de travail), mais aussi à des conditions d’intégration favorables relevant des processus de communication interculturelle au sein même du labo.

Au moment de l’entretien, des ÉI de 12 nationalités différentes collaboraient au sein de ce groupe de recherche. Les interactions, à travers les activités d’encadrement, y sont quotidiennes et constantes, puisque les bureaux des différents enseignants et ceux qu’utilisent les étudiants sont contigus. De plus, différentes activités hebdomadaires, dont certaines obligatoires, rassemblent l’ensemble des étudiants (EI et locaux) et des enseignants, les amenant à échanger autour de contenus académiques, à partager leurs processus et résultats de recherche, les obstacles et défis qu’ils rencontrent, ainsi que leurs réussites et découvertes. Au-delà d’un espace de partage académique, c’est donc un réel espace communicationnel qui se met en place. Le labo est non seulement un espace d’apprentissage académique, mais il est aussi un lieu d’appartenance où les relations et les rencontres transcendent les différences culturelles. Par ailleurs, l’anglais est largement utilisé pour communiquer, car, comme le mentionne le professeur rencontré, « la science n’a pas de langue ». Le groupe se côtoie même à l’extérieur du labo, souligne les anniversaires des membres, organise des repas communautaires où l’on découvre les traditions culinaires de tout un chacun, etc. Bref, au-delà des interactions quotidiennes, ce sont de réelles relations et rencontres interculturelles qui semblent s’y concrétiser.

Contrairement à la « culture universitaire uqamienne » homogène et fortement normée de laquelle les ÉI rencontrés se sentent largement exclus, il ressort de ce témoignage que la « culture de labo » serait, au contraire, un espace coconstruit par les ÉI et les différents acteurs universitaires qui y collaborent. Cette conconstruction résulte nécessairement d’une « fécondation mutuelle » (Emongo, 2014) des cultures portées par les acteurs en présence. La piste de réflexion se dégageant de ces résultats nous propose de concevoir l’importance de mettre en place des espaces communicationnels favorisant les interactions riches, empreintes de réciprocité et menant à la concrétisation de relations et de rencontres interculturelles. Par ailleurs, selon ce témoignage, les ÉI du labo ne semblent pas associés aux mêmes stéréotypes et préjugés défavorables concernant leurs connaissances et compétences académiques. Ainsi, à travers cet espace communicationnel autour d’une « science qui rapproche », serait-il possible que l’expérience de communication positive limite les mécanismes d’exclusion qui ponctuent, dans d’autres contextes, les expériences des ÉI à l’université?

En guise de conclusion : réflexions autour de l’échec de la rencontre interculturelle

Si, comme le montrent les données institutionnelles de l’UQAM (UQAM, 2020a, 2020b), un certain succès académique semble caractériser le parcours des ÉI que nous avons rencontrés, nous nous devons de constater qu’un échec certain est perçu par ces derniers lorsqu’ils abordent leurs différentes expériences de communication interculturelle. Les dimensions relationnelles de l’expérience de mobilité des ÉI sont pourtant essentielles à la réussite de leur parcours d’études à l’étranger (CAPRES, 2019c; Gagnon, 2018 ; Germain et Vultur, 2016; Pilote et Benabdeljalil, 2007 ; Vatz Laaroussi, Bernier et Guilbert, 2013).

À la suite de cette démarche exploratoire, nous dégageons différentes pistes concernant à la fois la nature superficielle de nombreuses expériences communicationnelles des ÉI (loin de correspondre à la « rencontre authentique » que définit Emongo, 2014) et la présence de certains mécanismes d’exclusion s’y arrimant (Bourque, 2008), perçus par les EI rencontrés (stéréotypes, ethnocentrisme, préjugés, discriminations et racisme). Nous partageons de plus nos réflexions concernant l’importance d’espaces communicationnels coconstruits afin de permettre « une rencontre, une relation de coprésence culturelle entre individus ou groupes acteurs de la communication » (Hsab et Stoiciu, 2011, p. 10). Ces espaces semblent limiter l’avènement de ces mécanismes d’exclusion. Nous reconnaissons que cette recherche offre un portrait partiel des expériences et aspirations des ÉI inscrits dans des programmes d’étude à l’UQAM. De plus, il est possible que les ÉI ayant répondu à notre appel et souhaité participer à notre recherche soient particulièrement critiques vis-à-vis de leurs expériences et des différents aspects de leur parcours. Toutefois, leurs expériences n’en restent pas moins significatives et l’illustration d’un sentiment d’exclusion sans doute partagé par d’autres ÉI au sein de l’institution.

Ces premiers résultats nous amènent à constater que la « nature » de la communication interculturelle semble liée à la présence de mécanismes d’exclusion. Ils nous enferment toutefois dans un raisonnement circulaire. D’un côté, les expériences de communication interculturelle superficielle (se limitant à des interactions pragmatiques en classe) empêchent la rencontre interculturelle et favorisent l’émergence de mécanismes d’exclusion qui viendront les ponctuer. Ces mécanismes limiteront à leur tour les chances que les expériences communicationnelles puissent dépasser ce niveau de superficialité (comment prétendre à une rencontre interculturelle authentique si stéréotypes, préjugés ou vision ethnocentrique ou raciste précèdent cette rencontre?). Au contraire, les expériences communicationnelles interculturelles riches et engageantes (correspondant à une rencontre interculturelle authentique) limitent les mécanismes d’exclusion de la différence, puisque la rencontre authentique est, par définition, associée à la reconnaissance, la valorisation et l’accueil de cette différence culturelle. Comment sortir de ces raisonnements en boucle? Comment en arriver à dépasser les interactions superficielles lorsque certains mécanismes d’exclusion de la différence caractérisent déjà le processus communicationnel et, de par leur nature, empêchent la concrétisation d’interactions, relations et de rencontres interculturelles?

Il nous semble, à ce propos, essentiel de rappeler que l’interaction est résolument sociale et que l’ordre social se maintient et se crée dans les rituels d’interaction (Goffman, 1973). Au-delà de la simple situation de coprésence, l’interaction révèle donc les places, rôles et statuts, choisis ou assignés, que portent les acteurs en présence et contribue à les maintenir ou à les transformer. En contexte universitaire, les interactions en classe et sur les campus, porteuses de cet « ordre social », sont les leviers par lesquels agir afin de bousculer les rapports sociaux. De réels espaces communicationnels doivent être mis en place pour permettre, à travers l’interaction, la rencontre interculturelle. Les différentes pistes soulevées dans cette démarche exploratoire nous invitent donc à explorer différentes avenues : comment l’interaction, dans un processus communicationnel interculturel, permet-elle la rencontre entre ÉI et autres acteurs universitaires? Quels sont les « espaces communicationnels » favorisant les expériences de communication interculturelle des ÉI dans nos universités (associations étudiantes, programmes de parrainage, activités sociales organisées sur les campus)? Quelles sont les place et importance des mécanismes d’exclusion de la différence dans ces espaces communicationnels? Quelles actions concrètes en classe permettent des expériences communicationnelles interculturelles de qualité pour les ÉI?

La mobilité étudiante, en forte expansion dans le monde et notamment au Québec (BCEI, 2018; CAPRES, 2019a), ouvre la voie à plusieurs étudiants et leur permet de découvrir de nouveaux programmes d’études et d’acquérir des savoirs dans un contexte international et interculturel stimulant. Toutefois, les défis de communication interculturelle qu’ils expérimentent peuvent compromettre l’expérience de nombreux ÉI en mobilité. Pour que ces parcours soient des réussites, les différentes institutions doivent prendre au sérieux les expériences communicationnelles des ÉI, car ces dernières leur permettront de se réaliser sur les plans académique et relationnel.