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Introduction

Le choix institutionnel de l’internationalisation des études et de la recherche s’inscrit dans un réseau très compétitif sur le plan international destiné à attirer, de plus en plus, des étudiantes et étudiants internationaux (ÉI) (Le Bras, 2017), en développant le capital d’attractivité de l’université et en déployant de nombreuses stratégies de recrutement. Dans cette logique, le Canada, qui fait partie des grands pays d’accueil sur le plan des études, a même dépassé ses objectifs d’attractivité, en ayant un taux de croissance de la population étudiante internationale de 185 % entre 2010 et 2019, atteignant 642 480 ÉI, tous cycles confondus, en 2019 (Bureau canadien de l’éducation internationale [BCEI], 2020).

Les ÉI constituent par ailleurs une population de choix pour les stratégies de développement économique canadiennes, dans la mesure où leur présence sur le territoire représente un apport de plus de 22,3 milliards de dollars en 2018, du fait de leurs dépenses annuelles et de celles de leurs familles en visite, venant également soutenir 218 577 emplois, toujours en 2018 (Éducation internationale Canada, 2020). De plus, comme le précise Gagnon (2017, p. 10), de nombreuses stratégies provinciales et pancanadiennes visent l’attraction et la rétention, après leur diplomation, des ÉI :

[…] dont le potentiel d’intégration socio-économique serait plus fort que celui des immigrants économiques en raison d’une meilleure reconnaissance par les employeurs du diplôme national que de celui obtenu à l’étranger. On attribue également cette intégrabilité à l’âge et au fait que le temps passé à étudier et à travailler au pays avant la diplomation aura permis aux étudiants internationaux de s’adapter à la culture, d’acquérir des compétences linguistiques, de bâtir leurs réseaux et d’ainsi fortifier leur capital social canadien.

Cet objectif de rétention des ÉI par un projet d’immigration permanente s’ancre dans une dynamique historique de développement économique du Canada par la voie de l’immigration (Helly, 1996; Pâquet, 2008) et est plus que jamais vital aujourd’hui, dans la mesure où, comme le précise Echraf : « si les tendances se maintiennent d’ici 2026, l’immigration internationale sera l’unique source de croissance de la population canadienne » (2012, p. 14).

À cette réalité démographique s’ajoute l’enjeu de la régionalisation de l’immigration, afin de répartir les flux migratoires hors des grands centres urbains (Montréal, Toronto, Vancouver) et pallier à la fois le vieillissement de la population en région et le manque important de main-d’oeuvre dans les différents secteurs économiques (Direction régionale de services Québec du Bas-Saint-Laurent, 2018 ; Vatz Laaroussi, Bernier et Guilbert, 2013).

Dans ce contexte, la rhétorique économique semble avoir un effet d’instrumentalisation des migrations internationales, dont celle des ÉI, qui sont perçus comme des « agents de développement au service d’une économie qui cherche à s’inscrire dans un marché global plus compétitif » (Belkhodja, 2011, p. 3). Or, comme le précise Gagnon : « la viabilité à long terme du développement économique et de la migration elle-même ne peut éviter la question du bien-être des migrants » (2017, p. 17), et donc de celle des ÉI dans leur milieu d’accueil, à la fois universitaire et dans la localité où ils s’installent pour faire leurs études, voire plus durablement.

Afin de mieux comprendre les expériences vécues par les ÉI à travers leurs interactions avec les personnes de leur environnement, il nous paraît important de rappeler ici que le contexte régional québécois est à considérer dans sa spécificité, distincte des grands centres urbains. En effet, une localité hors d’un grand centre peut être perçue comme ayant « une certaine homogénéité dans les modes de vie » locaux, avec une faible densité de population, de services et de structures et étant peu étendue (Manço, Gerstnerova, Vatz Laaroussi et Bolzman, 2012, p. 121-122). Dans un tel contexte, Vatz Laaroussi (2009) avance que la « figure de l’Étranger est peu présente dans les perceptions populaires. Les immigrants y sont beaucoup plus perçus comme des éléments isolés, des différences atomisées que comme des groupes minorisés » (p. 65). Il faut noter également la présence de « structures sociales limitées et non spécialisées dans les questions d’intégration des migrants » (Manço et al., 2012, p.132).

Concernant spécifiquement les ÉI, les établissements comme l’UQAR, son personnel et sa population étudiante jouent un rôle prépondérant dans leur parcours migratoire. Cela est notamment influencé par la présence restreinte de services spécialisés dans le processus migratoire ainsi que de groupes partageant une appartenance culturelle permettant un soutien tout au long du parcours migratoire des ÉI (Belkhodja et Vatz Laaroussi, 2012; Gagnon, 2017). Ce texte présente une première analyse (exploratoire) de données collectées auprès des ÉI, des étudiants locaux (ÉL) et des enseignants de l’UQAR.

Des défis rencontrés par les ÉI pendant leur parcours universitaire

Nous savons que les ÉI rencontrent plusieurs défis : des changements de type de système éducatif, des barrières langagières, des problèmes communicationnels avec d’autres acteurs, des difficultés financières, de l’isolement, l’organisation de leur vie adulte, etc. (Bikie Bi Nguema, Gallais, Gaudreault, Arbour et Murray., 2020; Gagnon, 2018; Gyurakovics, 2014; Maïnich, 2015; Pilote et Benabdeljalil, 2007). Il existe aussi des difficultés au sein des institutions universitaires à offrir des services adaptés d’accueil et d’accompagnement (Belkhodja, 2012; Pilote et Benabdeljalil, 2007). Les ÉI rencontrent aussi des obstacles lors de leur insertion professionnelle et pour leur maintien en emploi (Belkhodja et Esses 2013, Vultur et Germain, 2018). Figurant parmi ces défis, la capacité à réussir ses études est intimement liée à l’adaptation au nouveau milieu de vie et aux méthodes d’enseignement, ainsi qu’à la création de relations de confiance avec les enseignants et avec les autres étudiants (Pilote et Benabdeljalil, 2007).

Or nous savons que les ÉI peuvent, à plusieurs moments de leur séjour, expérimenter un choc culturel, c’est-à-dire « […] un malaise ressenti quand la perception de l’autre et du nouvel environnement ne correspond pas à [leurs] catégories habituelles. Le choc culturel est rempli d’incompréhension réciproque et de résistances venant des interlocuteurs. De plus, il peut se produire à plusieurs moments de la vie d’une personne. » (Frozzini 2020; voir aussi Frozzini et Tremblay, 2018; Gratton, 2009; Legault et Fronteau, 2008; Oberg, 1960). Ce choc peut conduire à des troubles du sommeil, de l’alimentation et à un sentiment d’isolement (CAPRES, 2019) et il se traduit également par un stress d’adaptation dans l’organisation de la vie quotidienne (Pilote et Benabdeljalil, 2007), dans un nouvel environnement où les repères géographiques, matériels et sensibles ne sont pas encore construits (Galvani, 2012).

L’expérience de l’ÉI s’inscrit ainsi dans un contexte où le choc culturel peut arriver à l’extérieur comme à l’intérieur de son établissement d’enseignement. L’adaptation aux méthodes d’enseignement utilisées dans les universités québécoises est donc susceptible de constituer un défi (Gyurakovics, 2014 ; Héon et Rennie, 2018; Maïnich, 2015) qui peut conduire à un choc culturel. À cet égard, plusieurs éléments sont à mentionner : l’organisation des cours et des sessions, le rythme de travail et les examens sont la plupart du temps bien différents de ce que les ÉI ont vécu dans leur parcours antérieur et cela nécessite de leur part une adaptation rapide, sous peine de ne pas arriver à travailler en concordance avec le type d’exigences demandées dans les différents programmes.

Concernant ce dernier point, soulignons le stress financier (Maïnich, 2015 ; Pilote et Benabdeljalil, 2007) relié aux frais d’inscription aux études dans les cycles supérieurs pour les ÉI, frais qui sont en moyenne cinq fois plus élevés que pour les ÉL. D’ailleurs, avec sa nouvelle politique de 2019 libéralisant les coûts que les universités québécoises peuvent exiger des ÉI, le gouvernement provincial ne semble pas aider à diminuer ce stress. Dans ce contexte, le lecteur doit garder en mémoire que cette charge financière ajoute une pression à l’obligation de réussite de nombreux ÉI, car plusieurs d’entre eux doivent s’endetter (avec leurs familles) ou travailler deux fois plus pour payer leurs études.

Les efforts des ÉI peuvent conduire à des résultats d’autant plus mitigés que, comme en témoigne une enquête du BCEI, 23 à 25 % des répondants disent avoir subi des discriminations raciales, 21 % une discrimination religieuse et 28 à 30 % les deux (2013). Des résultats présentés notamment par le Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur (CAPRES, 2019) soulignent une plus grande difficulté à développer des liens sociaux et affectifs avec des ÉL. Cela est, entre autres, dû au contexte universitaire, aux préjugés et aux incompréhensions de la part des ÉL (et des ÉI) ainsi qu’au manque d’ouverture de certains ÉL.

Au coeur de cette étude : les processus de resocialisation dans une perspective interculturelle

Les points évoqués plus haut nous orientent vers l’importance des interactions, l’interaction étant définie comme une relation (ou un rapport) entre deux personnes (ou plus) qui se produit lorsqu’une personne perçoit une autre personne et oriente son action et ses activités vers cette dernière (ou plusieurs autres) (Lehn, 2007; Rocher, 2010). Dans cet article, nous abordons les interactions dans une perspective interculturelle, c’est-à-dire que l’on considère qu’elles ont lieu « entre porteurs de cultures » (Guilbert et Doutreloux, 1994, p. 2) et que les questions du sens et du contexte sont importantes. Se voir comme un « porteur de cultures » incite à la reconnaissance de ses propres ancrages culturels (Cohen-Emerique, 2011; Pannikar, 2014; Rachédi et Taïbi, 2019), d’autant plus que ces derniers contribuent à définir subjectivement la relation. Cette reconnaissance est, en d’autres mots, un appel à un exercice de centration où l’analyse du contexte dans lequel se situe l’interaction est essentielle pour comprendre les facteurs en jeu, tant en ce qui concerne les acteurs en présence que la situation.

Dans une perspective critique de l’interculturel (Dervin, 2012; Montgomery et Agbobli, 2017), c’est-à-dire une posture où la position sociale d’un acteur et sa relation avec les autres sont prises en compte afin d’éclaircir les relations de pouvoir, poser la question des enjeux, des ressources ou du capital matériels et symboliques présents dans un contexte déterminé (Dervin, Gajardo et Lavanchy, 2011, p. 21) peut aider à la compréhension des interactions. Or, comme le rappellent Das (1994) et Gratton (2012), la société québécoise comporte une dimension « monoculturelle ». Dans le cadre de cette analyse, nous portons notre attention sur les institutions, dans la mesure où les structures, les paradigmes, les codes, etc., que l’on y retrouve – ce qui inclut les universités – reflètent en premier lieu les préférences de la majorité. Ici, il faut comprendre par majorité ceux qui détiennent davantage de pouvoir (capital ou ressources matérielles et symboliques) au sein de la société (Emongo et White, 2014 ; Juteau, 2018). Nous sommes donc en présence d’une relation de pouvoir entre majorité et minorités dans une relation toujours changeante selon les contextes et les dynamiques relationnelles, qui se reconfigurent selon la capacité des individus à manier le capital dont ils disposent. Dans cette dynamique, nous portons aussi attention aux « activités concrètes des individus aux prises avec des processus institutionnels coordonnés par les textes » (Smith, 2018, p. 6), qui permettent d’observer les cohérences (coordination des activités à travers la distance et le temps) et les incohérences (les difficultés à prendre en compte la diversité présente sur le terrain) institutionnelles et la capacité d’action dont les acteurs disposent au sein des institutions.

Ainsi, la complexité des interactions (Dervin, 2012) est tributaire de divers phénomènes, dont le caractère dynamique et évolutif du contexte institutionnel et des pratiques relationnelles. La reconnaissance des spécificités d’autrui (la singularité complexe et « porteuse de cultures », voir Guilbert, 1995; 2004) doit aussi être accompagnée d’une prise en compte du fait que les rencontres entre individus sont source d’enrichissement mutuel (Frozzini, Gonin et Lorrain, 2019; Pannikar, 2014). Dans cette perspective, porter attention aux interactions avec les membres du milieu d’accueil dans le parcours migratoire des ÉI est essentiel dans l’analyse du processus de resocialisation vécu lors d’une migration de longue durée. Rocher définit la socialisation comme étant « le processus par lequel la personne humaine apprend et intériorise tout au cours de sa vie les éléments socioculturels de son milieu, les intègre à la structure de sa personnalité sous l’influence d’expériences et d’agents sociaux significatifs et par là s’adapte à l’environnement social où elle doit vivre » (2010, p. 131). Or, comme le souligne Frozzini, Gonin et Lorrain : « Le néo-Québécois va donc recommencer l’apprentissage et l’intériorisation des éléments socioculturels du nouveau milieu afin de s’y adapter. Notons que les expériences et les acteurs en contact avec ces personnes auront un rôle capital dans ce processus » (2019, paragr. 1). C’est, par ailleurs, au coeur de ces interactions que peuvent évoluer les représentations, soit vers plus de reconnaissance mutuelle (Guilbert, 1995; Ladmiral et Lipiansky, 2015), soit car on voit « se multiplier les préjugés et en créer de nouveaux » (White, Gratton et Rocher, 2015, p. 10), ce qui va influencer à la fois le processus de resocialisation des ÉI et la socialisation des personnes en interaction avec eux.

Une diversité grandissante à l’UQAR

L’UQAR, à l’instar de la plupart des universités québécoises, fait de nombreux efforts pour attirer de plus en plus d’étudiants d’ailleurs : ils étaient 232 ÉI inscrits, tous programmes confondus, à l’automne 2006 sur les deux campus (Rimouski et Lévis) (Université du Québec, 2018). À l’automne 2019, l’UQAR comptait plus de 550 ÉI inscrits, dont plus de 450 sur le campus de Rimouski (UQAR, 2019). Le nombre d’ÉI a donc plus que doublé en treize ans. De plus, comme ce même campus comptait un peu plus de 2 400 étudiants présents et à temps complet en 2019, les ÉI formaient donc environ 19 % des effectifs présents sur ce campus. Par ailleurs, ces étudiants relèvent d’au moins une quarantaine de nationalités différentes, en provenance des Amériques, d’Asie, d’Afrique et d’Europe.

Cette croissance relativement rapide dans la dernière décennie entraîne avec elle une plus grande diversité des réalités vécues par l’ensemble des personnes côtoyant l’université, en particulier dans les services et les réseaux locaux. Cette question nous paraît d’autant plus importante qu’il s’agit d’un milieu régional où la diversité culturelle liée à l’immigration est demeurée, jusque dans les dernières décennies, plutôt marginale (Vatz Laaroussi, 2005; 2009).

Concernant la réussite universitaire, les statistiques disponibles au moment d’écrire cet article révèlent que, pour les cohortes ayant démarré aux automnes 2007, 2008 et 2009, le taux de diplomation dans l’ensemble du réseau UQ pour les ÉI au baccalauréat était respectivement de 64 %, 62 % et 54 %, alors que le celui des ÉL est resté stable à 76 %. La tendance s’inverse au deuxième cycle où, sur la même période, les ÉL diplôment entre 68 et 69 % et les ÉI entre 77 et 80 % (Université du Québec, 2018). À l’UQAR, le taux de diplomation des ÉI suit la même tendance, avec une moyenne de 61,4 % sur la même période au premier cycle et de 75,3 % au deuxième cycle (Université du Québec, 2018). Une grande complexité de facteurs influent nécessairement sur ces écarts. Nous souhaitons apporter une pierre à l’édifice de la compréhension de cette situation, en cherchant à savoir en quoi et comment les interactions des ÉI avec les différentes personnes croisées sur leur chemin favorisent ou au contraire compliquent la réussite de leur projet migratoire pour études. Notre objectif est de favoriser de nouvelles stratégies pour répondre aux défis quotidiens vécus par les ÉI.

Méthodologie

Les résultats qui suivent sont issus d’une recherche en partenariat avec des chercheurs et chercheuses affiliés à l’UQAM, l’UQO, l’UQTR, l’UQAC et l’UQAR, dans le cadre d’une subvention FODAR-DI intitulée « Les étudiants internationaux dans le réseau des universités du Québec : pour une meilleure connaissance des interactions en contexte interculturel » (Bérubé, Bourassa-Dansereau, Frozzini, Gélinas-Proulx et Rugira, 2018).

Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons aux données produites dans le cadre de l’enquête faite à l’UQAR entre l’été 2018 et le printemps 2019. Notre objectif est ici de mieux comprendre :

  • l’expérience des ÉI, des ÉL et des enseignants lors des interactions interculturelles vécues durant les cours et lors des travaux d’équipe et

  • l’impact de ces interactions sur la réussite universitaire des ÉI.

Il s’agit ici d’une recherche exploratoire qualitative et inductive (Gohier, 1998, Paillé et Mucchielli, 2013), dans la mesure où nous ne cherchons pas ici à tester une hypothèse préalable, mais bien à laisser émerger le sens que les personnes attribuent à leurs expériences.

L’objectif de cette recherche à l’UQAR étant de mieux comprendre ce dont témoignent les ÉI, les ÉL et les enseignants de leur expérience des interactions interculturelles, que ce soit durant les cours ou dans les travaux d’équipe, et de l’impact de ces interactions sur la réussite universitaire des ÉI. Nous nous situons ici dans un paradigme compréhensif de type phénoménologique et herméneutique (Brière, Lieutenant-Gosselin et Piron, 2019; Gusdorf, 1988). Ce positionnement permet de mettre en relief la pluralité des réalités vécues et le sens que les personnes attribuent à ces réalités. On considère que ce sens se coconstruit en interaction, à la fois entre participants et avec l’équipe de recherche (Vatz Laaroussi, 2007).

Pour répondre aux objectifs de recherche mentionnés plus haut, nous avons utilisé deux méthodes de production de données, l’entretien individuel semi-dirigé (Savoie-Zajc, 1997) et le groupe de discussion, également de type semi-directif (Davila et Dominguez, 2010; Deslauriers, 1991). Nous avons d’abord organisé quatre groupes de discussion d’une durée approximative de 90 min : l’un avec des ÉI de premier cycle, un autre avec des ÉI inscrits aux cycles supérieurs, un troisième avec des ÉL de premier cycle et enfin un dernier avec des membres du corps enseignant. Pour les entretiens individuels, d’une durée approximative de 60 min, l’objectif initial était de pouvoir rencontrer au moins deux personnes de chaque groupe pour enrichir et compléter les données déjà produites lors des groupes de discussion, mais le manque de temps et de budget ne nous a pas permis de le faire. Nous avons toutefois pu rencontrer quatre ÉI individuellement, dont deux ayant participé à un groupe de discussion. Les entretiens individuels comme les groupes de discussion ont eu lieu à l’UQAR.

Lors des entretiens individuels et en groupe de discussion avec les ÉI, nous avons eu l’occasion d’aborder trois grands thèmes : 1) leur perception de leur réussite universitaire, 2) leurs perceptions de leurs interactions interculturelles avec les ÉL durant les cours et en équipe de travail et 3) leurs interactions avec les membres du corps enseignant. Concernant les ÉL et le personnel enseignant, nous avons pu aborder 1) leurs perceptions de leurs interactions interculturelles avec des ÉI dans le cadre des cours et des équipes de travail et 2) leurs vécus au contact des ÉI.

Présentation du terrain et de la méthode de recrutement

Pour le recrutement, nous avons diffusé des affiches pour présenter le projet de recherche, à la fois sur les babillards de l’université et sur les réseaux sociaux. Étant donné la petitesse du milieu, des participants nous ont rapporté avoir également eu l’information par bouche-à-oreille, que ce soit pour les ÉI, les ÉL ou les enseignants.

Pour ces trois populations ciblées, nous avons tenté le plus possible d’inclure une diversité par rapport aux programmes et aux départements d’affiliation. Ainsi, pour le 1er cycle, que ce soit pour les ÉI ou les ÉL, nous avons rencontré des personnes inscrites dans les programmes de génie, d’administration, de développement social et de psychosociologie. Concernant les ÉI des cycles supérieurs, nous avons pu rejoindre exclusivement des personnes du 2e cycle inscrites en gestion de projet, gestion des personnes en milieu de travail, en éthique et en étude des pratiques psychosociales. De plus, les ÉI rencontrés étaient originaires de pays variés : Afrique du Nord et subsaharienne, France continentale et outremer. Les membres du corps enseignant rencontrés étaient quant à eux affiliés exclusivement aux départements de psychosociologie, travail social et administration. Deux étaient chargés de cours et trois étaient professeurs, quatre sur cinq étant par ailleurs immigrants, venant initialement d’Europe et d’Afrique.

Encore une fois, comme il s’agit d’un petit milieu, nous avons préféré ne pas préciser pour chacune des personnes leur pays d’origine ou encore le programme d’affiliation, le croisement de ces données permettant trop facilement de les identifier. Le tableau 1 présente la répartition selon la population ciblée et la méthode d’entretien.

Tableau 1

Répartition des répondants en fonction de leur statut (étudiants internationaux, étudiants locaux et personnel enseignant) et de la méthode d’entretien

Répartition des répondants en fonction de leur statut (étudiants internationaux, étudiants locaux et personnel enseignant) et de la méthode d’entretien

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Dialoguer avec les données : une analyse interprétative phénoménologique (AIP)

Dans le souci de rester au plus près de ce que nous ont confié les personnes rencontrées et de pouvoir faire émerger des compréhensions relatives aux objectifs énoncés plus tôt, nous avons privilégié l’interprétation des données selon la méthode d’AIP (Restivo, Julian-Reynier et Apostolidis, 2018). Cette méthode implique « une double herméneutique, tenant compte à la fois de l’engagement du participant pour accéder et donner du sens à son expérience personnelle et de l’engagement du chercheur pour analyser la démarche du participant » (Antoine et Smith, 2016, p. 375). De plus, comme le précise Bélanger (2017), cette méthode « a pour objectif premier de donner accès à une diversité de points de vue sur une réalité, et par là même d’identifier des convergences et des distinctions entre les diverses expériences » (2017, p. 89).

Suivant les étapes préconisées par cette démarche, nous avons d’abord procédé à la transcription de l’ensemble des entretiens, pour ensuite réaliser une annotation phrase par phrase afin d’en faire ressortir les points saillants, les questions et des propositions d’interprétation. Une deuxième lecture « verticale » de chaque transcription a permis de faire ressortir des thèmes émergents, leurs liens et la manière dont ils répondent aux deux objectifs de cette enquête, soit comment les ÉI, les ÉL et les enseignants perçoivent et vivent les interactions interculturelles vécues durant les cours et dans les travaux d’équipe et en quoi cela a une influence sur la réussite universitaire des ÉI. Une interprétation transversale des entretiens a ensuite été réalisée pour offrir de nouveaux éclairages sur nos objectifs initiaux.

Nous présentons dans un premier temps une synthèse des résultats concernant les l’expérience des ÉI en interaction avec des ÉL durant les cours et lors de travaux d’équipe ainsi qu’avec des enseignants. Nous allons voir ensuite ce dont témoignent les ÉL et les enseignants quant à leurs expériences en interaction avec des ÉI. Pour terminer, nous présenterons nos conclusions et perspectives.

L’expérience des ÉI durant les cours

La plupart des ÉI, au 1er comme au 2e cycle, déclarent faire l’expérience de relations plutôt froides, voire d’un certain évitement de la part des ÉL durant les cours et dans le quotidien universitaire :

Au niveau des personnes, ce que je trouve ici, l’ambiance entre les étudiants est un peu froide. Quand on te connait pas c’est pas facile. Tu penses que tu peux te faire des amis facilement mais ici c’est plus difficile.

GD2, A

Un autre partage même avoir plusieurs fois eu le sentiment qu’on l’évitait pendant les cours :

tu es le premier [à entrer] en classe, sache que chacun qui entre va fuir la rangée dans laquelle tu es assis. Ça, c’est la première chose qui m’a marqué.

GD1, E

Certains expliquent ce phénomène notamment par l’hypothèse que beaucoup d’étudiants venant de Rimouski se connaissent déjà, ayant fait une partie de leurs études précédentes ensemble :

Tu es dans une classe où les gens étaient ensemble au cégep si j’ai bien compris, ce qui fait que les groupes sont déjà formés, tu viens, tu vois que les gens s’asseyent en groupe et toi t’es tout seul.

GD1, A

La majorité des personnes rencontrées évoquent ainsi des difficultés à entrer en relation avec ces groupes, qui leur semblent plutôt imperméables à leur présence.

Lors des discussions, d’autres exemples ont émergé concernant l’ambiance en classe, relevant la part importante de l’encadrement du groupe lors des séances de cours. La plupart des personnes rencontrées abordent le rôle que jouent les enseignants dans la facilitation (ou non) des interactions durant les cours :

la dynamique des cours installée par les chargés de cours et les profs font que finalement ça crée une dynamique de groupe de soutien. Le groupe en soi, c’est une structure de soutien. C’est comme si j’étais arrivé dans un filet dans lequel pour une fois je peux me déposer.

GD1, D

Un autre étudiant est allé dans le même sens en racontant que :

dans le cours de […], tu salues tout le monde, tu connais tout le monde, on apprend à apprécier les gens, ce qui fait qu’il y a une atmosphère tout en détente pendant le cours et quand tu pars en cours de […] c’est vraiment l’opposé.

GD1, E

Ces quelques extraits illustrent la majorité des expériences partagées dans les différentes entrevues, laissant apparaître les temps des cours comme étant globalement peu propices à la rencontre. Les deux derniers extraits présentés amènent également la question de la dynamique d’interactions installée par l’enseignant, qui semble dans certains cas favoriser la création d’un sentiment de « filet » (il est possible de « se déposer »), alors que l’opposé se retrouve ailleurs.

Les équipes de travail, un espace crucial pour la réussite universitaire et la resocialisation

Les équipes de travail dans le cadre des cours sont considérées comme permettant d’évoluer sur le plan de la réussite universitaire et donc essentielles.

Comme le souligne un participant,

On a compris qu’il fallait impérativement avoir un groupe pour s’exercer, pour pouvoir confronter les idées, ne pas rester tout seul dans son coin, parce que si tu restes tout seul dans ton coin, tu ne vas pas évoluer.

GD1, A

Cependant, il ressort des entretiens que les ÉI rencontrent des obstacles à se joindre à une équipe de travail, certains pouvant le vivre comme de la fermeture, voire développer un sentiment de rejet. Ces expériences sont notamment illustrées par le témoignage suivant :

Une fois, quand je suis parti voir un étudiant pour lui demander s’il pouvait se mettre en groupe avec moi, il m’a dit que lui avait déjà un groupe. Je lui ai dit « ok », donc je me suis retourné pour essayer d’aborder une autre personne et, en me retournant, j’entends derrière moi ce même étudiant demander à quelqu’un d’autre s’il peut se mettre en groupe avec. Moi j’ai vu qu’en fait, dans le fond, ce n’est pas qu’il avait déjà un groupe, c’est juste qu’il ne voulait pas se mettre en groupe avec moi.

I, B

Ce genre d’exemple est souvent revenu dans les entretiens et nous ramène encore une fois à l’impact que ce type de situation a, à la fois sur le travail universitaire et sur les défis en lien avec la resocialisation que vivent ces étudiants. Plusieurs témoignent ainsi d’un sentiment latent de rejet dû à des préjugés et parfois même à du racisme. Les paroles qui suivent illustrent cette idée :

Il ne veut pas se mettre en groupe avec moi, pourquoi ? Peut-être qu’il a déjà ses préjugés à lui, il a déjà des informations qu’il s’est déjà mis en tête mais sans me connaître c’est pas suffisant pour me juger. C’est correct là, mais ça c’est déjà une des grandes barrières pour ceux qui viennent d’arriver. Les préjugés qui sont déjà faits par ceux qui sont ici.

I, A

Cet étudiant ajoute par ailleurs :

[…] d’autres vont même penser que les Africains sont pas intelligents, ça arrive que d’autres pensent vraiment que l’Africain, que le Noir est égal à stupide, bête, tout ce qui est vraiment péjoratif là, donc vraiment quand il y a une chose et que tu veux te mettre en groupe avec […] c’est difficile, faut être un peu plus indulgent.

I, A

Il complète son témoignage en confiant que :

Nous, les Africains, on a aussi des préjugés, du genre par exemple que le Blanc, il se pense supérieur, donc parfois il y a ce complexe-là qui fait que, quand même parfois tu peux avoir des bonnes idées quand tu es en groupe avec d’autres Québécois, et tu te dis « ah si je dis ça… », on a tendance à éteindre un peu les idées qui sont nulles.

I, A

Ses mots nous amènent à considérer que les interactions en équipe de travail sont susceptibles d’être dès le départ influencées par des représentations préalables, voire des préjugés de part et d’autre (Frozzini, Gonin et Lorrain, 2019). Les équipes de travail constituent un espace de rencontre (ou de non-rencontre) important, dans la mesure où existe le risque de perpétuer des préjugés, voire d’en créer de nouveaux (White, Gratton et Rocher, 2015).

Plusieurs ÉI témoignent également de la nécessité de persévérer à aller vers les autres et de tenter de s’inclure dans des groupes de travail, pour passer cette première barrière et aller au-delà des préjugés :

On a fait des travaux de groupe, ils ont vu que les préjugés qu’ils avaient de moi c’était vraiment pas ce que je suis, ils m’ont accepté dans le groupe, ils m’ont donné plus d’astuces et ça m’a beaucoup aidé.

I, B

Comme le mentionne ce témoignage, les travaux de groupe et les interactions avec des ÉL permettent, sur une plus longue durée, d’avoir du soutien des pairs et favorisent donc la réussite.

Les relations avec le personnel enseignant

Les ÉI rencontrés font état généralement d’une grande accessibilité des professeurs et des chargés de cours à l’UQAR, quel que soit leur programme d’inscription. Une étudiante partage :

Le prof, qui est justement un Rimouskois, un Québécois, il est venu me voir, il était assez compréhensif et il m’a dit « ça va être dur de rattraper 28 % j’avoue, mais c’est possible et c’est faisable » et il m’a donné la motivation en fait de beaucoup travailler et du coup il m’a donné quelques astuces aussi.

I, C

Cet extrait est représentatif de nombreux témoignages d’autres personnes rencontrées, qui ont fait l’expérience de pouvoir être soutenues et conseillées par plusieurs enseignantes et enseignants. Pour la plupart, la disponibilité du personnel enseignant constitue une différence positive par rapport aux établissements qu’ils ont fréquentés dans d’autres pays.

Au contraire, d’autres font état d’expériences plus difficiles, qui semblent participer à recréer des formes de préjugés et de marginalisation des ÉI :

[…] je l’ai vu faire ça à des élèves internationaux justement, et après il va faire un petit commentaire « ah, ces Français, ça, ah, ces Sénégalais, ah, ces Africains ». Comment veux-tu, après, dans ton groupe de travail, paraître bien ?

GD1, A

Une première analyse des expériences partagées nous permet donc d’observer un tableau contrasté, entre conditions de relations soutenant le parcours des ÉI et présence d’éléments venant faire obstacle, comme le manque d’encadrement des équipes, depuis leur constitution et dans leur déroulement, ainsi que la présence de commentaires et d’interactions vécues comme empreintes de préjugés et de stéréotypes.

Ce que disent les ÉL de leurs expériences

De façon générale, les ÉL disent avoir souvent éprouvé des difficultés à travailler en équipe avec des ÉI, surtout durant la première année de programme :

J’ai l’impression qu’on a de la misère à les accrocher en première année puis à les embarquer dans le train, [ils] sont tout le temps à la traîne en arrière de tout le monde.

GD3, D

Plusieurs tentent d’expliquer cela par l’hypothèse « qu’il y a un gros gap en première année entre le système africain et ici » (GD3, A). Cela semble par ailleurs s’observer particulièrement du côté de la mise en pratique des travaux universitaires :

tant que c’était la partie plus théorique ça a bien été, mais quand on est rentré dans la partie pratique lui il ne suivait pas.

GD3, D

La majorité des ÉL rencontrés exprime ainsi une série de situations difficiles, particulièrement en travaux d’équipe, qui se produisent dans un cadre universitaire où le rythme de travail semble exigeant :

après la première année, les travaux, ça n’arrête pas et tu as 4-5 rapports à remettre à chaque semaine.

GD3, C

D’autres font état de difficultés de communication venant s’ajouter à la pression de productivité, amenant certains à compenser et à faire le travail de l’autre par crainte de résultats insatisfaisants, comme une étudiante le mentionne :

J’étais confrontée à des défis de communication et à des incompréhensions de l’univers de l’autre complètement. Quand on arrivait dans le travail, moi je voulais juste faire ma part, je disais « ben tiens [voilà] ta partie » et s’il ne la faisait pas je la prenais et je la faisais.

GD3, C

Une autre ajoute par ailleurs :

Je me suis fait reprocher d’être trop autoritaire mais si je ne le fais pas on se retrouve à avoir je ne sais pas combien de pourcents.

GD3, F

L’ensemble des personnes rencontrées témoignent d’une volonté d’aller vers les ÉI, de soutenir le cheminement de leurs collègues de classe, mais que les conditions d’encadrement leur semblent par ailleurs insuffisantes :

C’était difficile d’aider. Et on a toutes nos vies qui vont super vites autour aussi, ce qui fait que je trouve que là-dedans, on était délaissés, les profs étaient au courant, et ça a été l’enfer la session dernière.

GD3, D

De manière plus générale, la plupart des ÉL disent, à l’instar des ÉI mentionnés plus haut, qu’à force de rencontres, surtout en dehors du contexte des cours, lorsque la pression de productivité et le rythme sont moins présents, il y a davantage d’échanges et de prises de conscience de la diversité des réalités vécues. Cet extrait en témoigne :

[…] maintenant qu’il y a eu des rencontres je peux comprendre des réalités que je ne comprenais pas avant. Avant, dans ma tête, c’était juste « ça répond pas à mes critères », je ne voyais pas ce que cette personne-là pouvait vivre, le choc culturel, la réalité de même pas comprendre nécessairement tous les codes.

GD3, B

Les témoignages de ces ÉL nous interpellent à plusieurs niveaux. Ils semblent majoritairement converger vers quelques points saillants. D’abord, la pression universitaire, le rythme et la charge de travail exigés semblent être un obstacle important à la possibilité d’une relative adaptation mutuelle (Guilbert, 2007). De plus, il semble se dégager une certaine frustration envers l’encadrement fourni dans différents cours par rapport à la constitution des équipes et le suivi du travail pendant les sessions. Les possibilités de rencontres et d’échanges semblent ainsi se situer dans des espaces informels, en dehors du contexte académique.

Le point de vue d’enseignants

Les expériences et observations partagées par les enseignants abondent en grande partie dans le sens de celles des ÉL et des ÉI. Concernant les réalités des travaux d’équipes, une participante observe que :

Les équipes et les travaux d’équipes, à l’université, ne sont souvent pas (ou peu) accompagnés. C’est difficile de travailler en équipe et encore plus en équipe diversifiée. On ajoute une couche de complexité. Dans certains cours, on a peu de temps pour prendre en compte cette complexité.

GD4, C

Un autre enseignant croit par ailleurs que :

les enseignants sont souvent démunis sur le plan pédagogique et de gestion des équipes. […] Ils ne savent pas trop comment gérer un conflit de base, même entre Québécois.

GD4, D

Le groupe rencontré s’entend sur la responsabilité du corps enseignant vis-à-vis de la gestion des groupes-classes, qui sont potentiellement des lieux de rencontres qui pourraient favoriser plus d’échanges et dépasser les premières représentations mutuelles exprimées par les étudiants. Or, comme le mentionne un autre enseignant, « si on ne met rien en place, il ne se passe rien ou très peu, en termes de rencontre et d’ouverture dans les groupes-classes » (GD4, A).

Les enseignants observent également des écarts pouvant se creuser entre les ÉI et les ÉL, surtout en première année de programme, notamment avec celles et ceux qui ont parfois besoin de faire une mise à niveau sur certaines bases dans les matières qui n’ont pas été vues dans leur cursus précédent. Le groupe rencontré est unanime sur la nécessité d’adapter les méthodes d’évaluation à la situation :

Dans les premières sessions, si notre manière d’évaluer n’est pas adaptée à la situation, c’est sûr que ça crée des clans, parce que les étudiants locaux qui réussissent mieux n’ont, dans ces conditions, aucun intérêt à se mettre en équipe avec des ÉI.

GD4, B

De façon plus large, les discussions ont soulevé divers enjeux au niveau de l’organisation et de la collaboration des secteurs de l’université. En effet, plusieurs personnes remarquent qu’il semble y avoir très souvent un manque de collaboration entre les services psychosociaux et le volet académique de l’université, relevant davantage « d’une organisation en silos » (GD4, A), rendant plus difficile le suivi d’étudiants qui éprouvent des difficultés dans leur parcours universitaire.

Par ailleurs, il a été fait mention à plusieurs reprises d’un sentiment de manque de prise de responsabilité et d’orientation institutionnelle claire quant à l’accueil et à l’accompagnement des ÉI, tant sur le plan psychosocial qu’académique. Ainsi, bien que de nombreux efforts soient faits par les services d’accompagnement et dans le volet académique, cela semble encore trop souvent reposer « sur le dos de ceux qui ont une sensibilité sur cette question, sans que cela soit systématique » (GD4, E).

Les données issues des rencontres avec les enseignants nous paraissent donc mettre en lumière à la fois une volonté de ces acteurs institutionnels d’accompagner au mieux l’ensemble des étudiants, ceux de la province comme ceux d’ailleurs, et d’un manque de soutien institutionnel clair pour pouvoir le faire. Elles soulèvent l’importance, selon les personnes rencontrées, d’agir de manière systématique dans l’adaptation de la pédagogie et des services : « Si on veut internationaliser, il faut se former pour agir en contexte interculturel » (GD4, A). Cette adaptation institutionnelle est complexe lorsqu’on prend en compte les standards imposés par l’université (Smith, 2018), ce qu’on demande aux enseignants et aux étudiants. Or, si nous observons des actions en ce sens, l’institution tarde à coordonner le type de changement requis.

Conclusion

Cette analyse préliminaire nous permet déjà de mettre en lumière différents enjeux et défis vécus durant les cours et lors des travaux d’équipe. Elle rejoint, de ce point de vue, de nombreuses études sur les défis de communication et d’interactions en lien avec l’internationalisation des études. Il nous paraît important ici de rappeler qu’en contexte régional, où le manque de réseaux de soutien et de soutien à l’immigration en dehors de l’université peut se faire sentir (Belkhodja et Vatz Laaroussi, 2012; Vatz Laaroussi, 2009), les interactions à l’université peuvent s’avérer cruciales pour les ÉI, autant pour la réussite de leurs études que pour leur resocialisation (Frozzini, Gonin et Lorrain, 2019). Nous avons pu constater qu’il existait des représentations et des préjugés faisant obstacle au développement de relations de collaboration entre ÉI et ÉL. En ce sens, une majorité de témoignages souligne l’importance d’un encadrement prenant en considération ces enjeux dans une perspective interculturelle, ce qui, dans la plupart des cas, semble reposer avant tout sur la volonté de quelques personnes, sans pour autant être clairement pris en charge sur le plan institutionnel. Ainsi, la plupart des participants insistent sur l’importance de favoriser des conditions de travail et de relations dans une perspective interculturelle, par la formation systématique des étudiants et des enseignants aux dynamiques interculturelles. Ces conditions et cet encadrement doivent cibler non seulement l’organisation des espaces de cours, mais aussi celles des méthodes pédagogiques et évaluatives. L’internationalisation des études entraîne ainsi avec elle de nouvelles réalités dans cette université en région, réalités qui révèlent la nécessité d’interroger en profondeur les structures institutionnelles et pédagogiques dans une perspective interculturelle.

Pour terminer, rappelons que les analyses présentées ici n’ont porté que sur les questions des interactions lors des cours et au sein des équipes de travail. Nous n’avons pas de données pour l’instant sur les relations entre les ÉI et les membres du personnel des services de l’université. Toutefois, lors d’une prochaine phase, nous comptons inclure ce type de données afin de brosser un portrait plus complet des conditions influençant le parcours migratoire des ÉI dans la région, en y incluant également les dimensions du monde du travail et des autres espaces de resocialisation en dehors de l’université. Cette analyse permet cependant dès à présent de poursuivre la réflexion autour des dynamiques interculturelles au sein de cette institution universitaire, qui n’avait jusqu’à présent fait l’objet d’aucune étude de la sorte.