Corps de l’article

Introduction

Le Canada a pour objectif d’augmenter le nombre d’étudiants internationaux (ÉI) au sein de ses universités. En effet, selon le Bureau canadien de l’éducation internationale (BCEI), il y avait 642 480 ÉI, tous cycles confondus, au Canada en 2019. Cela représente une augmentation de 13 % par rapport à 2018, où ce nombre s’élevait à 572 415 ÉI (BCEI, 2020). Ces chiffres dépassent l’objectif de la stratégie du Canada en matière d’éducation internationale de 450 000 ÉI au Canada d’ici à 2022. Actuellement, les ÉI forment souvent au-delà de 15 % de l’ensemble des étudiants par université canadienne (MacDonald, 2019). Le Québec est la troisième province du Canada à recevoir le plus d’ÉI, derrière l’Ontario et la Colombie-Britannique. En 2019, 87 280 personnes recevaient leur formation dans une institution scolaire québécoise, de l’école primaire à l’université (BCEI, 2020).

Les ÉI vivent des difficultés liées à l’intégration dans un nouveau pays d’accueil et liées à l’adaptation à un nouveau système et à une nouvelle culture académique. À titre d’exemples, ils font face au choc culturel, aux barrières langagières, aux difficultés financières ainsi qu’aux multiples difficultés de communication avec les différents acteurs dans leurs différents milieux de vie (Gyurkovics, 2014; Maïnich, 2013 ; Pilote et Benabdeljalil, 2007). La diversification de la population étudiante dans les universités pose également plusieurs défis pour les institutions qui les accueillent, dont l’identification des nouveaux besoins des ÉI ou l’adaptation des services d’accueil et d’accompagnement (Belkhodja, 2012 ; Pilote et Benabdeljalil, 2007). Ces nouveaux défis touchent non seulement les ÉI eux-mêmes, mais aussi les institutions et la communauté d’accueil (Steinbach et Lussier, 2013).

Cet article aborde un groupe bien précis de la communauté d’accueil, soit celui des étudiants résidants du pays d’accueil. Nous entendons par étudiant résidant tout étudiant, indépendamment de ses appartenances culturelles, qui réside de manière permanente dans le pays où il étudie. Par exemple, au Canada, un étudiant résidant a, soit la citoyenneté canadienne, soit un statut de résident permanent. À l’inverse, les ÉI correspondent aux étudiants qui habitent temporairement un pays où ils effectuent leurs études. Plus spécifiquement, seront présentés dans cet article des résultats préliminaires d’une recherche exploratoire sur la perception d’étudiants résidants de leurs interactions avec des ÉI dans une université québécoise, l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Dans cette étude exploratoire, il s’est avéré que le type, la qualité et le nombre d’interactions avec des ÉI influencent les étudiants résidants à amorcer ou non de nouvelles rencontres interculturelles.

Cet article est divisé en cinq parties. Tout d’abord la revue de la littérature sur le sujet de la mobilité étudiante et la problématique de la recherche exploratoire sont présentées. Suivent le cadre conceptuel et la méthodologie. Une partie des résultats préliminaires de la recherche sont enfin présentés puis discutés avant de conclure l’article.

Revue de la littérature sur le sujet des étudiants internationaux et présentation de la problématique de recherche exploratoire

L’apparition de la mobilité étudiante est aussi ancienne que la création des universités. À l’instar des autres mouvements migratoires, la mobilité pour les études s’est intensifiée surtout dans la période coloniale. Ainsi, en 1950 déjà, le nombre d’étudiants en situation de mobilité dans le monde était estimé à 108 000 aux cycles supérieurs. Il passa à 459 000 en 1968 et continua de croître tout au long de la seconde moitié du XXe siècle (Latrèche, 2001). La mobilité internationale des étudiants est aujourd’hui, plus que jamais, en pleine expansion à travers le monde. En 2013, c’était plus de 4,2 millions d’étudiants (secondaire, collégial et universitaire) (Le Bras, 2017) qui poursuivaient leur cursus dans un pays différent de celui qui les avait vus naître, contre 2 millions en 2003. Dans ce contexte, les universités canadiennes et québécoises, à l’instar d’autres établissements d’enseignement supérieur partout sur le globe, voient leur population étudiante se diversifier et s’internationaliser. Nous avons vu qu’actuellement les ÉI forment souvent au-delà de 15 % des étudiants totaux par université canadienne (MacDonald, 2019).

La revue de littérature nous permet de cerner quelques défis auxquels font face ces milliers d’ÉI. Pilote et Benabdeljalil (2007), Maïnich (2013) et Gyurakovics (2014) relèvent de multiples difficultés vécues par les ÉI. Ils notent que ces étudiants font généralement face au choc culturel, au changement du type de système éducatif, aux barrières langagières, aux difficultés financières ainsi qu’aux multiples difficultés de communications avec les différents acteurs dans leurs différents milieux de vie. L’arrivée massive de ces nouveaux étudiants exige des institutions de formation des mesures d’accueil et d’accompagnement aptes à assurer la sécurité psychosociale et la réussite scolaire de ces derniers (Pilote et Benabdeljalil, 2007). Si l’idée de la réussite scolaire est facile à concevoir, à observer et à mesurer grâce à la note attribuée aux travaux universitaires réalisés par les étudiants, l’idée de leur sécurité psychosociale, elle, reste complexe et difficilement appréhendable. Les défis et les difficultés rencontrées dans les différents secteurs de leur vie sont plus difficiles à identifier et à encadrer. La recherche souligne que les institutions d’enseignement au Québec peinent ou accusent un retard à saisir les réels besoins de cette nouvelle clientèle et à adapter leurs services d’accueil et d’accompagnement (Belkhodja, 2012; Pilote et Benabdeljalil, 2007). Steinbach et Lussier (2013) rappellent à ce propos que surmonter un tel défi exige de s’engager dans des processus d’inclusion qui relèvent autant de la responsabilité des communautés d’accueil et des institutions d’enseignement que des ÉI eux-mêmes.

Les communautés d’accueil n’étant pas réduites aux campus, les chercheurs se sont par ailleurs intéressés à la question des ÉI dans les villes. Selon Manço, Gerstnerova, Vatz Laaroussi et Bolzman (2012), les étudiants qui arrivent dans les « grands centres » comme Montréal ont l’avantage d’être dans un milieu où les phénomènes migratoires sont présents, nombreux et visibles depuis des générations. Et où les politiques tiennent compte de la diversité tout en produisant des actions et des structures ad hoc. Ce qui fait que dans ces milieux, les populations migrantes sont non seulement importantes, mais aussi structurées en réseaux associatifs, familiaux et économiques identifiables. Par ailleurs, il existe, au Québec, des universités situées « hors des grands centres », dans des localités éloignées de Montréal. Selon Manço et ses collaborateurs (2012), ces localités sont notamment caractérisées par « la présence de noyaux durs centraux parmi les résidents et une difficulté à les pénétrer pour les non-natifs » (p. 99). Ce ne serait donc pas étonnant que dans de tels contextes, les ÉI puissent vivre de grandes difficultés sur le plan humain, socioculturel, économique et académique.

Si les études qui portent sur l’internationalisation des études et sur la mobilité étudiante sont abondantes dans plusieurs domaines des sciences humaines et sociales et des sciences de l’éducation, la littérature ne nous permet pas de savoir ce que les ÉI et les acteurs qui les entourent, dont les étudiants résidants, ont à dire des interactions et de l’expérience réelle qu’ils vivent au quotidien, ni des besoins qu’ils ressentent. Soulignons par ailleurs qu’aucune étude n’a jusqu’ici porté sur la question des interactions des ÉI fréquentant des campus universitaires québécois hors des grands centres.

Cadre conceptuel de la recherche sur la sensibilité et les compétences interculturelles

Notre intérêt se porte globalement sur les interactions en contexte de mobilité étudiante, et plus spécifiquement au sein d’une université québécoise hors des grands centres. Dans ce contexte, nous avons choisi d’étudier ces interactions sous la loupe des concepts de sensibilité interculturelle et de compétences interculturelles.

La sensibilité interculturelle de Bennett (2015)

La sensibilité interculturelle d’une personne correspond à son niveau d’habileté à reconnaître la différence culturelle (Hammer, Bennett et Wiseman, 2003). Plus précisément, la sensibilité interculturelle est l’état d’esprit dans lequel les individus se positionnent pour s’engager dans les interactions interculturelles (Bennett, 2015). Les travaux de Bennett lui ont permis de dresser un spectre du développement de la sensibilité interculturelle chez un individu (figure 1). Il y a dans ce spectre six niveaux d’expérience de la différence en fonction de l’état d’esprit, soit le déni, la défense, la minimisation, l’acceptation, l’adaptation et l’intégration. Ces niveaux se trouvent soit au stade ethnocentrique, où la différence est évitée, soit au stade ethnorelatif (traduction libre de ethnorelative), où la différence est recherchée.

Figure 1

Modèle du développement de la sensibilité interculturelle

Modèle du développement de la sensibilité interculturelle
Source : Bennett et Bennett, 2004, p. 153, cité dans Bennett, 2015

-> Voir la liste des figures

Dans le premier stade, l’ethnocentrique, nous retrouvons à l’extrême gauche du spectre le niveau du déni, qui signifie que l’individu ne reconnaît pas les différences et qu’il se désintéresse de l’Autre. Il n’y a que sa propre culture qui est réelle, la culture de l’Autre n’est pas reconnue (Hammer, Bennett et Wiseman, 2003). Au niveau suivant, celui de la défense, l’individu perçoit les différences culturelles comme des menaces à sa culture (Bennett, 2015), qui est pour lui la seule viable (Hammer, Bennett et Wiseman, 2003). Au niveau de la minimisation, l’individu met l’accent sur les similitudes entre les personnes, comme les valeurs universelles ou les besoins fondamentaux. Cette attitude l’empêche de saisir et de comprendre les différences culturelles plus profondes.

Le stade ethnorelatif comporte lui aussi trois niveaux. L’individu qui se trouve au niveau de l’acceptation est curieux quant aux différences et il les apprécie. Pour Hammer, Bennett et Wiseman (2003), cette vision du monde permet de voir l’Autre comme un humain à part entière. Au niveau de l’adaptation, l’individu, peu importe sa culture, change des comportements ou des perspectives de façon authentique et appropriée. Enfin, le niveau de l’intégration correspond à la reformulation de l’identité de l’individu.

À l’exception du déni, l’individu qui s’inscrit dans l’un ou l’autre des niveaux reconnaît, plus ou moins, les différences culturelles. Cette reconnaissance ainsi que les attitudes face à la différence culturelle peuvent évoluer grâce aux compétences interculturelles qu’un individu peut acquérir et développer. Le modèle du développement de la sensibilité interculturelle de Bennett (2015) est intéressant pour analyser et comprendre la vision d’un individu face à la différence culturelle. Par contre, ce modèle se concentre sur les interactions interculturelles de l’individu et non sur ses caractéristiques personnelles (Hammer, Bennett et Wiseman, 2003). De plus, étant un continuum, à la base il est plutôt linéaire. Hammer Bennett et Wiseman (2003) expliquent qu’une personne ne fait qu’évoluer dans ce continuum, elle ne régresse généralement pas. Côté et Dubé (2019) ont nuancé cette affirmation. Dans leur étude réalisée auprès d’intervenants, ils avancent que le contexte joue un rôle au contraire plutôt important. Selon eux, les compétences interculturelles collectives, individuelles et d’une organisation s’interinfluencent. Dans le cas de cette étude, l’environnement de travail et la fatigue de compassion (caractéristique individuelle favorisée par l’environnement de travail) peuvent faire régresser la sensibilité interculturelle des intervenants.

Les compétences interculturelles de Deardorff

Les compétences interculturelles sont la capacité de changer sa perspective culturelle et d’adapter son comportement face aux différences et aux points communs culturels (Bennett, 2015). Concrètement, les compétences interculturelles sont des comportements efficaces pour le vivre-ensemble. Bennett (2015) explique qu’elles permettent de vivre et travailler avec des personnes provenant de cultures différentes. Le but est d’accepter la diversité en diminuant l’ethnocentrisme et les préjugés envers l’Autre. Cela implique de profondément connaître et comprendre sa propre culture et d’augmenter ses connaissances et sa compréhension face à celle de l’Autre.

Spitzberg et Changnon ont réalisé en 2009 une recension des écrits sur cette notion, notamment dans le milieu de l’enseignement universitaire. En analysant les écrits, ils ont établi cinq catégories de modèles de compétences interculturelles.

Il y a d’abord les modèles de composition (traduction libre de compositional models), soit les milieux qui identifient les différentes composantes des compétences interculturelles et qui établissent la liste des compétences à développer. Par exemple, Pope et Reynolds (1997) ont réalisé une liste d’éléments qui décrivent les compétences interculturelles que peuvent avoir les professionnels des services aux étudiants dans les milieux universitaires. Ces éléments se divisent en trois grandes compétences : la sensibilité, les connaissances et les habiletés.

Ensuite, les modèles co-orientatifs (traduction libre de co-orientational models) s’appuient sur la communication mutuelle et le partage de significations. La première difficulté vécue lors de rencontres interculturelles se trouve au niveau de la compréhension. À titre d’exemple, pour Fantini (1995, cité dans Spitzberg et Changnon, 2009), chaque interlocuteur interprète selon son mode de perception et réagit selon celui-ci. Plus concrètement, le récepteur d’un message traduit sa perception de ce message par ses pensées et par des concepts connus. Certaines compétences rendent le processus plus fluide, comme l’empathie, la curiosité, l’ouverture et la tolérance à l’ambiguïté. Comme les interlocuteurs s’interinfluencent, ces compétences auront de l’impact sur la relation.

La troisième catégorie renvoie aux modèles de développement (traduction libre de developmental models). Ceux-ci décrivent l’évolution des compétences interculturelles dans le temps et selon des étapes. L’exemple du modèle du développement de la sensibilité interculturelle de Bennett (2015) illustre bien cette catégorie. En effet, ce modèle permet de décrire auquel des six niveaux de sensibilité interculturelle (le déni, la défense, la minimisation, l’acceptation, l’adaptation et l’intégration) un étudiant expérimente l’interculturel.

Quatrièmement, les modèles adaptatifs (traduction libre de adaptational models) mettent l’accent sur les manières dont les personnes ajustent et adaptent leurs comportements ou leurs attitudes lors d’une interaction interculturelle. L’adaptation devient le critère de compétence interculturelle. Pour Spitzberg et Changnon (2009), ce sont des modèles critiquables puisque l’adaptation est un critère discutable pour décrire les compétences interculturelles.

Finalement, les modèles de processus causal (traduction libre de causal path models) identifient les habiletés à détenir à l’issue d’un processus et offre des critères pour évaluer les compétences. Spitzberg et Changnon (2009) ont identifié les modèles de Deardorff comme faisant partie de cette catégorie.

Les modèles de Deardorff sont les résultats d’une étude qui consistait à définir les compétences interculturelles ainsi qu’à élaborer une méthode pour les évaluer. Deardorff (2006) a tout d’abord interrogé par questionnaire des administrateurs de stratégies d’internationalisation d’institutions scolaires. Par la suite, avec la collaboration de collègues chercheurs, elle a appliqué la méthode Delphi (une méthode où le consensus est recherché, dans son cas établi à 80 % de convergence) pour que ces derniers définissent les compétences interculturelles. L’étude devait fournir un outil aux gestionnaires des institutions postsecondaires pour observer les compétences de leurs étudiants dans le domaine des compétences interculturelles.

Les participants en sont venus à certaines conclusions, dont le fait que les compétences interculturelles s’acquièrent dans un processus (figure 2). La composante la plus importante de celui-ci est l’attitude individuelle, qui influence les autres composantes, comme les connaissances et la compréhension des cultures, le cadre de référence pour s’adapter et les compétences à communiquer. Le tout influence à son tour les attitudes de l’individu. L’acquisition de compétences interculturelles est donc toujours en mouvance et jamais complètement atteinte.

Bien qu’intéressant, ce modèle ne considère pas le contexte dans lequel l’individu évolue (Apitsa, 2018), ce qui est pourtant une variable qui influence l’individu, comme nous l’avons vu avec Côté et Dubé (2019). Deardorff (2006) a tout de même précisé quelques attitudes qui rapprochent l’individu de ces compétences interculturelles, soit 1) le respect de la culture de l’Autre et de la diversité, 2) l’ouverture à l’Autre et aux apprentissages interculturels possibles et 3) la curiosité et la découverte, impliquant une tolérance à l’incertitude et à l’ambiguïté.

Figure 2

Modèle procédural des compétences interculturelles

Modèle procédural des compétences interculturelles
Source : Deardorff, 2006, p. 256

-> Voir la liste des figures

Dans le cadre de cet article, nous avons choisi de retenir les concepts de Bennett (2015) sur la sensibilité interculturelle et de Deardorff (2006) sur les compétences interculturelles pour traiter des interactions des ÉI avec des étudiants résidants. Le concept de sensibilité interculturelle permet d’analyser et de comprendre la vision d’un individu face à la différence, tandis que celui des compétences interculturelles aide à cerner et interpréter les interactions.

Méthodologie

Les résultats présentés dans cet article s’inscrivent dans le cadre d’un projet de recherche exploratoire plus large sur le vécu des ÉI sur des campus du réseau de l’Université du Québec (UQ) (Bérubé, Bourassa-Dansereau, Frozzini, Gélinas-Proulx et Rugira, 2018). Plus précisément, nous présentons ici des résultats préliminaires de la collecte des données menées à l’UQTR, à Trois-Rivières. Pour l’année 2018-2019, 461 professeurs et 713 chargés de cours (enseignants non titularisés, sans poste permanent) ont enseigné à 14 345 étudiants, dans 289 programmes répartis sur les trois cycles (UQTR, 2019).

À l’automne 2018, l’UQTR comptait 1 842 ÉI, provenant de 89 pays. Puisqu’il y avait cette même année 14 345 étudiants au total, la portion d’ÉI représentait près de 13 % des inscriptions (UQTR, 2019). Dans l’ordre, les ÉI étaient majoritairement originaires de France, de Chine et du Cameroun (données obtenues auprès de la Direction de la recherche institutionnelle de l’Université du Québec le 9 mars 2018).

À la suite de l’obtention d’un certificat éthique délivré par la Direction de la recherche institutionnelle de l’Université du Québec, nous avons créé un groupe de discussion avec neuf ÉI à l’UQTR et nous avons réalisé deux entretiens individuels avec des ÉI. Nous avons également réalisé deux entretiens individuels avec des professeurs et cinq entretiens individuels avec des étudiants résidants. Une grille d’entretien comportant cinq grands thèmes a été utilisée lors de chacune de ces rencontres. Lors des entretiens individuels et de groupe, nous avons ainsi questionné les participants à propos de la réussite universitaire des ÉI, de la sécurité psychosociale des ÉI, de la communication interculturelle, de la collaboration entre les ÉI et les acteurs locaux ou institutionnels et enfin de l’expérience migratoire des ÉI (le dernier thème n’a été abordé qu’avec les ÉI).

Le recrutement des participants a été réalisé par l’entremise de Facebook, grâce à des courriels internes de l’université, au bouche-à-oreille et au portail étudiant. Ce dernier permet aux étudiants de recevoir l’information nécessaire à leur cheminement, comme leurs résultats scolaires. À la suite de chacun des entretiens, nous avons rédigé un journal de bord, incluant notamment les impressions des chercheures et tout autre détail qui a pu influencer la tenue de la rencontre. Une grille de transcription des entretiens a ensuite été complétée. Cette grille a constitué un premier niveau d’analyse des données colligées, puisque l’équipe de recherche a choisi d’y faire une analyse thématique qualitative (Bonneville, Grosjean et Lagacé, 2007) en lien avec les grands thèmes abordés lors des entretiens. Ce sont ces grilles qui ont permis de brosser un portrait des thématiques abordées par les participants et leurs perceptions face à celles-ci. Pour ce faire, nous avons résumé chacun des entretiens en interprétant les opinions exprimées face aux grands thèmes et en extrayant des citations éloquentes à ce sujet. De cette manière, nous avons pu comprendre comment les étudiants interrogés perçoivent leurs interactions avec les ÉI et en ressortir des sous-thèmes pertinents pour l’analyse.

Puisque le sujet de cet article porte sur les perceptions des étudiants résidants sur leurs interactions avec des ÉI, ce sont uniquement les résultats tirés des entretiens réalisés avec des étudiants résidants de l’UQTR qui seront ici présentés et discutés. Les données ayant été colligées dans le cadre d’une étude exploratoire, les résultats présentés dans cet article sont à considérer avec prudence. Cinq étudiants résidants ont été interviewés, soit quatre étudiantes et un étudiant, ayant à ce moment entre 18 et 24 ans (3 d’entre eux), 25 et 29 ans (1) et 30 et 39 ans (1). Tous les répondants touchaient un revenu annuel de moins de 20 000 $. Ils relevaient de quatre programmes d’études différents de premier et de deuxième cycle (santé, comptabilité, éducation et 2 en communication). Ils résidaient en Mauricie et en Montérégie. Les entretiens auprès de ces étudiants résidants ont été menés dans des locaux à la bibliothèque de l’UQTR. Les rencontres ont duré entre 45 et 60 min et se sont déroulées entre le 25 mars et le 4 avril 2019.

Résultats

En faisant une montée en abstraction des sujets discutés en entretien, nous avons pu faire ressortir les grands thèmes et les sous-thèmes discutés par les participants. Quatre grands thèmes ont émergé durant les entretiens avec des étudiants résidants de l’UQTR sur leurs perceptions de leurs interactions avec des ÉI : l’inclusion sociale des ÉI, les écarts entre les groupes des ÉI et ceux des étudiants résidants, les capacités scolaires des ÉI et les impacts de leur présence. Dix sous-thèmes ont aussi été identifiés. Le tableau 1 présente cette distribution de thèmes et sous-thèmes. Pour illustrer les résultats, nous utilisons des pseudonymes afin d’assurer la confidentialité des entretiens. Il est à noter qu’au moment des entretiens, le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État au Québec suscitait divers débats médiatiques, publics et politiques (Bordeleau, 2019). Déposé le 28 mars 2019, ce projet de loi, en plus de réitérer la neutralité religieuse de l’État, prévoyait l’interdiction du port de signes religieux chez les employés de l’État en position de pouvoir et l’obligation d’offrir tous les services gouvernementaux à visage découvert. La loi a finalement été adoptée le 16 juin 2019 (Gouvernement du Québec, 2020). Les débats engendrés par ce projet de loi peuvent avoir influencé certaines réponses des participants à l’étude.

Tableau 1

Thèmes et sous-thèmes abordés au cours des entretiens avec des étudiants résidants de l’UQTR

Thèmes et sous-thèmes abordés au cours des entretiens avec des étudiants résidants de l’UQTR

-> Voir la liste des tableaux

Inclusion sociale

Trois sous-thèmes sont abordés : la participation à la vie universitaire, le réseau social et la séparation des groupes.

Pour ce qui est du premier sous-thème, la participation à la vie universitaire, un continuum est observé. Les opinions passent d’une perception positive, vers une perception nuancée et jusqu’à une perception plus négative. Certains participants croient que les ÉI participent davantage que les étudiants résidants à la vie universitaire (perception positive de la participation des ÉI à la vie universitaire). C’est le cas de Patrick qui exprime que :

Dans les cours que j’ai eus avec les ÉI, ils ont toujours pris leur temps de parole. […] Ils participent beaucoup aussi à la vie plus nocturne. Je me mets à leur place, et c’est sûr qu’en échange étudiant, l’effet d’entraînement de gang… tu as envie d’avoir du plaisir.

Patrick

D’autres croient que les ÉI ne s’impliquent pas, qu’ils sont plus en mode observation. Ils ont une perception davantage négative de la participation des ÉI à la vie universitaire. Une citation de Karine est éloquente de ce point de vue, puisqu’elle pense que :

Ce ne sont pas les personnes qui posent le plus de questions, qui sont les plus actives socialement, je pense.

Karine

Entre les deux opinions, d’autres participants ont une vision plus nuancée sur le sujet. C’est-à-dire qu’ils perçoivent des forces et des difficultés chez les ÉI quant à leur participation à la vie universitaire. Une citation tirée de l’entretien auprès de Sarah illustre bien cette vision :

Je pense que pendant les activités, ils ont de la misère à s’intégrer auprès des autres étudiants, mais ils n’ont pas de misère à y aller

Sarah

Pour ce qui est du second sous-thème sur l’inclusion sociale des ÉI, quelques participants ont abordé la question de leur réseau social, à savoir les liens qu’ils entretiennent avec d’autres personnes. Selon les propos des participants, la récurrence des interactions avec des ÉI semble influencer leur désir, ou leur non-désir, d’intégrer à leur réseau social des ÉI. Ceux qui expriment avoir plus d’interactions avec des ÉI disent avoir créé des relations d’amitié avec des ÉI et affirment échanger quotidiennement avec ceux-ci. Ils les ont intégrés à leur réseau social. Au contraire, ceux qui affirment ne pas avoir ou avoir peu d’interactions avec des ÉI disent avoir ces interactions par obligation, notamment lors des travaux d’équipe imposés par un enseignant, ou parce qu’un ÉI a entamé la conversation. Ils expriment leur absence de désir à intégrer des ÉI à leur réseau social.

Tous les participants rencontrés observent sur le campus une tendance à la séparation des groupes (troisième sous-thème), à savoir que les étudiants résidants se regroupent ensemble tandis que les ÉI se retrouvent entre eux. Ces regroupements, quoique naturels, freinent certains des participants de notre étude à entrer en interaction avec les ÉI. Vanessa a bien exprimé cet aspect :

Les étudiants sinophones […] sont tout le temps en train de parler chinois et ils sont entre eux. Ça ne donne pas envie d’aller leur parler quand ils parlent en chinois, s’ils viennent me parler, ça va me faire plaisir […] quand ils sont tous entre eux, c’est plus intimidant à aborder.

Vanessa

En résumé, pour Vanessa, la séparation naturelle des groupes et l’utilisation de la langue maternelle par les ÉI sont des barrières aux interactions entre les étudiants résidants et les ÉI.

Écarts

Deux sous-thèmes ont été abordés par les participants en ce qui a trait à leurs perceptions sur le thème des écarts entre les ÉI et les étudiants résidants, soit les différences au niveau de la langue et celles au niveau de la culture.

Premièrement, pour ce qui est des différences langagières, les participants ont été unanimes : elles représentent pour eux des barrières lors de leurs interactions avec des ÉI. Selon les participants, les ÉI ne comprendraient pas l’accent québécois et certains ne parleraient pas suffisamment français. Cela a des conséquences sur plusieurs des thèmes discutés lors des entretiens, comme les travaux d’équipe, la réussite scolaire, le réseau social et la séparation des groupes. Les participants ont affirmé que lorsqu’ils voient des ÉI parler entre eux et dans leur langue, ils ne vont pas vers eux, car cela crée une distance et plusieurs trouvent intimidant de traverser cette barrière (comme nous l’avons vu dans la première citation de Vanessa).

À propos du sous-thème des différences culturelles, certains participants perçoivent ces différences comme une occasion d’accroître les apprentissages, alors que d’autres y voient un traitement inégal de la différence. Dans le premier extrait, Vanessa a une perception enrichissante des différences culturelles qui font partie de ses interactions avec des ÉI :

Quand tu apprends sur d’autres cultures, tu apprends sur ta propre culture. Tu apprends comment interagir avec les gens, tu apprends comment être respectueux.

Vanessa

Dans le second extrait, Karine, de manière générale, perçoit un traitement inégal selon les différences culturelles au Québec, ce qu’elle juge injuste, voire non invitant, à avoir des interactions avec l’Autre. Elle aborde alors le débat sur la laïcité de l’État et le port de signes religieux :

Ma mère a une garderie, et les signes religieux, ou la crèche à Noël, c’est non. Eux ils viennent avec leur niqab, ils ont le droit. Ça barre. Autant nous les regardons de façon "qu’est-ce que tu fais, on est au Québec? ", autant qu’eux sont un peu frustrés […] que pour nous ce n’est pas normal d’avoir ça

Karine

Malgré les perceptions variées, tous les participants s’entendent pour dire que le respect des différences culturelles doit se faire des deux côtés, soit du côté de l’étudiant résidant et du côté de l’ÉI.

Capacités scolaires

Le thème des capacités scolaires des ÉI, perçues par les participants, a été divisé en trois sous-thèmes : les travaux d’équipe, la maîtrise du français et la réussite scolaire.

Premièrement, certains participants affirment se jumeler en équipes de travail avec des ÉI par choix. Dans ces cas, ils aiment les intégrer et les aider dans la réalisation des travaux. D’autres participants expliquent que s’ils travaillent en équipe avec des ÉI, c’est par obligation, car l’enseignant en a décidé ainsi. Dans les deux cas, cela amène certains défis lors des travaux d’équipe. Parmi ceux signalés par les participants, le principal a trait aux différences des systèmes éducatifs dans le monde. Selon les participants, les travaux ne se réalisent pas nécessairement de la même façon partout, autant pour les problèmes à résoudre que pour la structure à donner à un travail universitaire. Vanessa explique entre autres que les façons de citer des auteurs dans des travaux universitaires diffèrent d’une université à une autre. Dans ses travaux d’équipe avec des ÉI, elle dit prendre le temps de tout vérifier lorsqu’un travail est terminé, afin d’être certaine de ne pas être accusée de plagiat.

La langue parlée lors des travaux d’équipe avec des ÉI pose aussi d’autres défis, selon les expériences de Karine. Pour illustrer son point, elle a raconté une expérience vécue :

On avait un projet de protéines à faire. Les ÉI comprenaient super bien. Mais entre eux, ils parlaient en chinois. […] il y en avait un des deux qui maîtrisait quand même le français un peu, il posait des fois des questions en français, mais sinon ils ne parlaient pas vraiment en français. […] Ça nuisait un peu à l’ambiance de travail.

Karine

Pour ce qui est du sous-thème de la réussite scolaire, la perception des participants est nuancée. Chacun des participants a un regard différent. Patrick dit que les ÉI ont énormément de potentiel, mais que l’envie de faire du tourisme dans le nouveau pays d’accueil peut les faire dévier de leurs études. Sophie explique que les ÉI qu’elle connaît sont en échec dans tous leurs cours et qu’ils vivraient beaucoup de difficulté. À l’inverse, Sarah affirme que les études sont plus faciles pour les ÉI, car comme ils arrivent seuls et sont loin de leur famille, ils ont moins de distractions. Karine pense que les ÉI doivent travailler plus fort que les étudiants résidants en raison des cultures académiques qui varient. Finalement, Vanessa juge que la réussite scolaire des ÉI n’est pas culturelle, mais individuelle. Certains réussissent, d’autres non. Elle ajoute qu’il ne faut pas généraliser. Elle exprime par ailleurs un malaise quant aux frais de scolarité que doivent payer les ÉI en situation d’échec. Selon elle, les ÉI génèrent des revenus importants pour les universités, mais elle juge que les institutions se préoccuperaient peu de la réussite scolaire de cette clientèle, par exemple en autorisant un ÉI qui maîtrise mal la langue du pays d’accueil à s’inscrire à des cours réguliers :

C’est comme une blague de les mettre dans le bassin régulier. […] Ça les met en position d’échec, et méchamment, de ce que j’ai compris, j’ai l’impression que l’université s’en fout un peu, parce que les ÉI, c’est comme une vache à lait. Échoue tes cours, tu les recommenceras et tu nous paieras une année de plus. Je trouve cela triste. (Vanessa)

Impacts de la présence des ÉI

Tous les participants aux entretiens sont d’avis que la venue d’ÉI sur le campus de l’UQTR apporte beaucoup d’aspects positifs et d’avantages à la collectivité, à l’institution et sur le plan individuel. Les avantages énumérés sont l’ouverture sur le monde, le développement de la sensibilité, l’empathie, la diversité dans les apprentissages culturels et plus de revenus à l’université.

Deux participants ont bien complété ce point de vue. Le premier explique que ses relations avec des personnes provenant d’ailleurs lui ont apporté des avantages personnels :

On dirait que j’ai beaucoup maturé en connaissant des personnes qui viennent d’ailleurs. En connaissant d’autres réalités. […] Toute l’expérience que j’ai prise avec des gens étrangers ou étrangères à l’UQTR, depuis cinq ans, m’a aidé dans plusieurs facettes de ma vie.

Patrick

La seconde participante aborde surtout les avantages pour les ÉI :

On a un bon système d’éducation ici et je trouve ça important qu’on puisse en faire profiter. Ils n’ont pas nécessairement des universités au niveau qu’on a ici. Je sais que l’UQTR a une bonne réputation.

Sarah

La présence des ÉI à l’UQTR comporte tout de même certains défis selon les participants. Selon eux, surmonter ces défis relève de la responsabilité de l’administration de l’UQTR, qui a sollicité et admis des ÉI. Les barrières et défis identifiés par les participants sont la langue (compréhension de l’accent québécois et maîtrise du français), le respect mutuel des cultures, l’inclusion et la non-ghettoïsation.

Discussion

Sur les thèmes de l’inclusion sociale et des écarts, les résultats de la recherche exploratoire à l’UQTR auprès des étudiants résidants révèlent des difficultés lors des échanges entre ce groupe d’étudiants et les ÉI. Ces observations s’inscrivent dans la même veine que celle des travaux déjà cités de Pilote et Benabdeljalil (2007), de Maïnich (2013) et de Gyurakovics (2014), qui ont soulevé de multiples difficultés vécues par les ÉI, notamment sur le plan de la communication avec les différents acteurs dans leurs différents milieux de vie. Les nouvelles mesures d’accompagnement des institutions d’enseignement au Québec, réclamées par Pilote et Benabdeljalil (2007) et par Belkhodja (2012), devraient, en ce sens, réussir à favoriser les interactions entre les ÉI et les étudiants résidants.

Dans cette section, nous avons également choisi de revenir sur les résultats de la recherche selon les concepts de sensibilité et de compétences interculturelles. La figure 3 illustre les résultats de la recherche exploratoire sur les perceptions d’étudiants résidants de leurs interactions avec des ÉI sur un continuum largement inspiré par celui de Bennett (2015) sur la sensibilité interculturelle.

Figure 3

Résultats de la recherche inspirés du continuum de Bennett (2015)

Résultats de la recherche inspirés du continuum de Bennett (2015)

-> Voir la liste des figures

Nous avons observé dans un premier temps un lien proportionnel entre le nombre exprimé d’interactions des participants avec des ÉI et une perception positive des interactions. Les participants qui ont exprimé avoir vécu davantage d’interactions positives avec des ÉI sont ceux qui ont affirmé avoir eu plusieurs interactions avec ceux-ci. Dans la figure 3, ce sont Vanessa et Patrick. À l’inverse, ceux qui ont une perception négative de leurs interactions avec des ÉI sont ceux qui disent peu interagir avec eux. Dans la figure 3, ce sont Karine et Sophie.

Revenons sur les cas de Vanessa et Patrick, qui ont plutôt exprimé avoir eu des interactions nombreuses et positives avec des ÉI à l’UQTR. Nous retenons du témoignage de ces participants qu’ils aiment instaurer des interactions avec des ÉI, que ces interactions génèrent de nouveaux apprentissages pour eux, qu’ils ont même des interactions avec des ÉI à l’extérieur du campus et qu’ils sont outillés pour surmonter les expériences négatives avec des ÉI. Sur notre continuum, nous les situons à l’étape de l’adaptation. À ce niveau, Bennett (2015) explique que l’individu change certains comportements ou perspectives de façon authentique et appropriée. Par exemple, Patrick nous a raconté avoir aidé une famille immigrante dont le père est décédé au Québec. Les relations qu’il a eues lui ont permis d’adapter certains comportements, particulièrement sa sensibilité face aux besoins des autres.

Étudions maintenant le cas de Sarah, qui dit instaurer des échanges avec des ÉI uniquement dans le cadre scolaire. Elle se dit curieuse, mais elle ne recherche pas l’amitié auprès des ÉI. Selon ses propos, nous la situons à l’étape de l’acceptation où, selon Bennett (2015), l’individu est curieux quant aux différences et les apprécie chez l’autre culture et la sienne. Sarah dit interagir avec des ÉI et les apprécier, mais elle ne les intègre pas dans sa vie personnelle et elle ne modifie pas ses comportements.

Au centre du continuum se trouve Sophie qui a des relations neutres avec les ÉI, et ce, uniquement sur le campus. Toutes ses interactions sont axées sur la tâche, indépendamment qu’elle soit avec des ÉI ou des étudiants résidants. Nous la situons donc à l’étape de la minimisation où, selon la définition de Bennett (2015), l’individu met l’accent sur les similitudes entre les personnes. Comme mentionné, elle ne fait aucune distinction entre les étudiants. De plus, elle affirme avoir des discussions avec eux, par respect, mais que ce sont eux qui initient les échanges.

Enfin, Karine n’instaure aucun échange avec des ÉI. Elle n’a eu que deux contacts avec ces derniers. L’un obligé par la formation de travaux en équipe, l’autre, car l’ÉI demandait des indications sur le campus de l’université. Elle n’a pas non plus de contact à l’extérieur de l’UQTR avec ceux-ci. Nous avons observé dans son discours davantage d’incompréhension de la diversité et un sentiment général d’injustice dans le traitement des différences culturelles au Québec. En raison de ce sentiment d’injustice, du discours axé sur une dichotomisation Nous/Eux (Bennett, 2015) et du désintéressement face à l’Autre, nous situons cette étudiante à l’étape de la défense.

Selon les propos recueillis, aucun participant n’a semblé s’inscrire à l’étape du déni. L’individu qu’on place à ce niveau présente des comportements explicites pour refuser la différence et la nier. Or des participants ont affirmé connaître des étudiants résidants pratiquant le déni des ÉI.

Enfin, les résultats de cette recherche peuvent être discutés en utilisant le concept de compétences interculturelles de Deardorff (2006). Dans le cas de cette étude exploratoire, il apparaît que la quantité d’interactions avec des ÉI a aidé deux étudiants résidants à développer des attitudes favorisant le développement de compétences interculturelles. Comme nous l’avons vu dans une citation, les interactions de Vanessa avec des ÉI lui ont enseigné le respect, tandis que Patrick a exprimé avoir acquis de la curiosité et de l’ouverture en côtoyant des ÉI.

Les trois autres participantes, qui ont moins ou peu d’interactions avec des ÉI, n’ont pas fait allusion à de nouvelles compétences interculturelles qu’elles auraient pu développer au contact des ÉI. Au contraire, les exemples d’interactions négatives qu’elles ont raconté avoir vécues, comme la difficulté de communiquer lors de la réalisation d’un travail en équipe avec des ÉI, peut avoir constitué un frein au développement de compétences interculturelles chez ces étudiantes.

Avant de conclure, deux mises en garde quant aux limites de la recherche doivent être faites pour une lecture juste des résultats. Tout d’abord, la taille de l’échantillon présentée dans cet article est faible (5 participants). Rappelons par ailleurs que les résultats ont été colligés dans le cadre d’une enquête plus large qui se déroulait sur cinq campus au Québec et qu’ils seront mis en commun dans une phase ultérieure. Néanmoins, les résultats de l’UQTR pointent déjà vers des pistes potentielles d’enjeux qui participent à la resocialisation des ÉI sur le campus et dans la ville de Trois-Rivières. De plus, les résultats présentés dans cet article sont intéressants dans la mesure où le point de vue des étudiants résidants côtoyant des ÉI a été très peu étudié jusque-là (Bérubé et al., 2018). Enfin, lors des entretiens semi-dirigés, certains des participants ont répondu aux questions ouvertes en expliquant le contexte autour de leurs interactions avec des ÉI. Puisque ces explications n’ont pas toujours été systématiquement données ou sollicitées, nous n’avons pas tenu compte des contextes autour des interactions dans la présentation et la discussion des résultats.

Conclusion

Nos résultats ont été présentés selon quatre grands thèmes (l’inclusion sociale des ÉI, les écarts entre les groupes des ÉI et des étudiants résidants, les capacités scolaires des ÉI et les impacts de leur présence) et ils ont été discutés selon les concepts de sensibilité interculturelle de Bennett (2015) et de compétences interculturelles de Deardorff (2006).

De manière générale, ce qui ressort de ces résultats relève des aspects relatifs à l’absence/présence d’interactions ainsi que de la forme de ces interactions. D’après les perceptions exprimées, plus un participant disait avoir eu des interactions avec des ÉI et plus celles-ci étaient investies, plus sa sensibilité interculturelle ainsi que ses compétences interculturelles s’étaient développées. À l’inverse, les participants qui ont dit ne pas avoir d’interactions avec des ÉI ou qui ont eu des interactions superficielles ou centrées sur la tâche (réaliser un travail d’équipe par exemple) ont exprimé un intérêt et une sensibilité moindre à l’interculturel, de même que des compétences interculturelles moindres.

Les travaux sur les interactions des ÉI sur les campus québécois se poursuivant, la variable de la situation géographique d’un campus, dans un grand centre ou hors d’un grand centre, pourra être analysée. Est-ce que cette localisation d’un campus influence le nombre et le type d’interactions interculturelles au sein d’une université ? S’il y a, dans les villes du Québec hors des grands centres, « présence de noyaux durs centraux parmi les résidents et une difficulté à les pénétrer pour les non-natifs » (Manço et al., 2012, p. 99), qu’en est-il des échanges à l’université, entre étudiants, où la présence des ÉI est de plus en plus importante ? Est-ce que les perceptions exprimées par des étudiants résidants sur leurs interactions avec des ÉI varient d’une ville à l’autre au Québec ? Il est prématuré de répondre à ces interrogations. Cependant, les données préliminaires colligées à l’UQTR montrent qu’il existe une variété d’interactions ainsi qu’une absence d’interactions des étudiants résidants avec des ÉI et que, lorsque les interactions sont plus nombreuses, la sensibilité à l’interculturel est plus ouverte et les compétences interculturelles plus développées.