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C’est avec une grande tristesse que nous avons appris le décès du professeur Claude Clanet le 22 septembre 2020 à l’âge de 85 ans. Plusieurs d’entre nous se rappellent de ce grand gaillard aux yeux bleus qui, aux côtés de Pierre Dasen, Geneviève Vermès, Jean Retschitzki et bien d’autres, a participé à la création de l’ARIC il y a 35 ans, à la suite du colloque international organisé par ses soins à Toulouse sur les problématiques interculturelles en psychologie et sciences de l’éducation.

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En effet, en juin 1985, à Toulouse, il réunit de très nombreux chercheurs, dont Camilleri, Abdallah-Pretceille, Mauviel, Nathan, Cohen-Emerique, Verbunt, Begag, Castan, ainsi que l’écrivain Jorge Amado, sur le thème « L’interculturel en éducation et en sciences humaines », lançant et ancrant à Toulouse ce champ épistémique nouveau de l’interculturel.

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Claude Clanet était un homme cultivé, avec une personnalité attachante et un fort accent du sud. Occitanophone, cet acquis premier aura une influence sur sa réflexion à propos de l’interculturel. Il dénoncera « le nivellement culturel », « la perte d’une diversité et d’une épaisseur culturelle », « la culture dominante tendant à assimiler les cultures minoritaires » dont « les subcultures locales » (voir sa contribution dans les actes du colloque, Clanet, 1986).

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Il a débuté sa vie professionnelle comme instituteur dans l’Ariège (1956-1957), puis est devenu conseiller d’orientation scolaire et professionnelle (OSP) dans le Lot puis à Toulouse, jusqu’à la soutenance de sa thèse d’État en 1984. Entre 1968 et 1990, il a été maître-assistant puis professeur de psychologie à l’Université Toulouse Le Mirail, devenue en 2014 Université Toulouse Jean Jaurès, pour ensuite intégrer l’IUFM de Toulouse jusqu'en 1998, année de son départ à la retraite.

Pendant sa longue carrière, il a formé des générations d’étudiants et de professionnels aux sciences de l’éducation et à la psychologie. Au début des années 1980, dans un contexte global de migrations et d’échanges internationaux, propices aux interpénétrations de cultures, il a introduit les problématiques interculturelles dans ses enseignements et ses activités de recherche. Son but consistait à comprendre et traiter les dysfonctionnements générés par les contacts culturels, plus particulièrement au niveau de « l’être psychologique », trop souvent oublié selon lui.

Engagé politiquement – et par son ancrage occitan – ses travaux remettaient en question les impasses idéologiques soulevées par les politiques françaises de gestion de la différence culturelle. Inspiré par l’oeuvre de Roger Bastide, il a centré sa réflexion sur l’entre-deux culturel, visant à étudier les individus, produits et producteurs de culture, pris dans des situations de contacts de cultures. Cette perspective a été à l’origine d’un groupe d’études intitulé « Personnalisation en situations interculturelles ». Il a ensuite créé le Centre pour les équipes de recherche et d’études des situations interculturelles (CERESI) à l’Université Toulouse Le Mirail où il a encadré 21 thèses en psychologie interculturelle. Il a coordonné les premiers livres français sur le sujet, L’interculturel en éducation et en sciences humaines (Clanet, 1986) et Introduction aux approches interculturelles en sciences humaines (Clanet, 1990), contributions majeures, encore citées de nos jours.

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Penseur et défenseur de la psychologie Interculturelle, il s’est battu dans l’Université même et face aux instances ministérielles pour que cette discipline soit reconnue au sein de la psychologie puis pour que soit accrédité, en 1982, le premier DESS correspondant en France, « Actions de formation en situation interculturelle », devenu plus tard le DESS de « Psychologie interculturelle et pratiques éducatives », aujourd’hui Master 2 de psychologie interculturelle. Fin pédagogue et attentif à ses doctorants, il savait les intégrer en tant que chercheurs, les faisant pleinement participer aux colloques et aux publications, entre autres dans la revue Les Cahiers du Ceresi (1988-1993) qu’il avait créée.

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Parmi ses principales contributions dans le domaine interculturel, nous retenons sa compréhension de l’intégration psychique d’une pluralité de références culturelles subjectivées à travers le concept d’« interculturation ». Dans cette perspective, « les références culturelles seront réinterprétées, elles vont se combiner, interagir les unes sur les autres, et de ce fait ne sauraient être réductibles à aucun des pôles culturels en présence » (Clanet, 1990). Ce concept a été ensuite modélisé et largement problématisé auprès de populations diverses par les recherches du pôle « Interculturation psychique et contacts culturels » du Laboratoire Clinique Psychopathologie Interculturelle (LCPI) sous la direction du professeur de psychologie interculturelle Patrick Denoux. Cette équipe dynamique, composée de six enseignants-chercheurs titulaires, de doctorants et de post-doctorants associés, assure actuellement toute une formation intégralement consacrée à la psychologie interculturelle à l’UFR de Psychologie de l’Université Toulouse Jean Jaurès. L’oeuvre entamée par Claude Clanet s’inscrit donc dans la continuité.

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Au terme de sa vie universitaire, il s’est dédié à d’autres passions comme le bricolage, l’apiculture et les Pyrénées. Toujours indigné par les injustices, il a souhaité plus récemment partager ses réflexions sur l’actualité à travers son blog « Les miroirs du réel » sur Médiapart. Claude Clanet laisse à ses anciens étudiants et amis le souvenir d’un homme passionné et talentueux, pour qui l’interculturel était un défi permanent.