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Par respect pour le lectorat de la Revue, précisons d’emblée que cette recension est écrite non par un historien, mais par un géographe maritimiste, mieux nommé océanologue humain. La recherche doctorale du recenseur de cet ouvrage porte sur la maritorialité des Québécois et des Québecoises, cette relation géographique d’amour-ignorance avec le Saint-Laurent. En parenté scientifique et maritoriale, la recension de The Greater Gulf lui a été confiée. Or, il a été étonné de ne rien trouver là à livrer spécifiquement à une revue consacrée au fait historique français du territoire : bien au-delà de la langue d’expression, le gulf de ce recueil n’est pas le golfe auquel on s’attendrait. L’ouvrage est tout de même d’une indéniable qualité.

Trois historiens canadiens – C. E. Campbell, de Bucknell University, Pennsylvanie ; E. MacDonald, de Prince Edward Island University, Charlottetown ; et B. Payne de Bridgewater State University, Massachusetts – colligent et dirigent ici la publication de contributions de membres du groupe Northeastern and Atlantic Region Environmental History (NEAR-EH), textes présentés lors de leur rencontre annuelle d’août 2016, à Halifax. Ce forum, fondé également dans cette métropole atlantique en 2008, est un sous-réseau du Network in Canadian History & Environment/Nouvelle initiative canadienne en histoire de l’environnement (niche.canada.org). Issu d’une collection produite par McGill-Queen’s University Press consacrée à des sujets variés « such as agriculture, cottage living, fishing, the gathering of wild foods, mining, power generation, and rural commerce » (p. ii), cet ouvrage est cependant le premier titre à s’attarder spécifiquement à des phénomènes maritimes.

Les contributions constituant cet ouvrage collectif proviennent à parts égales du Canada et du nord-est des États-Unis. La chose n’est pas anodine : elle illustre cette régionalisation maritime inhabituelle. Le premier constat, en couverture, est un titre à la fois obscur et aguichant, The Greater Gulf, sur une gravure de 1760, ostentatoire, montrant le très identitaire Rocher Percé croisé par un vaisseau sous un pavillon britannique démesuré. En proposant une histoire environnementale du Gulf of St Lawrence, le sous-titre annonce quant à lui un contenu malheureusement désaccordé à l’image géomaritime suggérée. Dans le cadre d’une historiographie mouvante depuis 1980 (p. 9), les essais du recueil font plutôt l’histoire environnementale de la « maritime peninsula » (p. 17). Ce maritoire immense inclut généralement le golfe étatsunien du Maine (du large du New Jersey au large de l’île du Cap-Breton) ; le travers de la côte sud de Terre-Neuve et parfois une partie ouest des Bancs ; la moitié sud du golfe du Saint-Laurent lui-même et le détroit de Cabot, des péninsules de Gaspé et acadienne à l’Île-du-Prince-Édouard. En sont tacitement exclus ou tus les détroits de Jacques-Cartier, d’Honguedo et de Belle-Île, et leurs rivages de la Côte-Nord, d’Anticosti et du nord de la Gaspésie, référents géographiques golféens québécois. C’est en ces eaux multinationales et transrégionales anglo-saxonnes, étatsuniennes et anglophones, et sur les terres maritimes adjacentes, que se déroulent, en ce recueil, les conflits impériaux, politiques, navals et économiques des ressources marines – morue, baleine, homard, huître, maquereau, hareng – et que se construisent les identités diverses que l’on sait aujourd’hui. En introduction, une carte, même sommaire, aurait été non seulement bienvenue, mais utile tout au long du recueil pour mieux articuler les maritoires, territoires et espaces anciens et actuels, de même que les acteurs et cultures mis en scène.

L’ouvrage en trois parties rassemble onze essais sur l’histoire de l’environnement de ce « golfe du Saint-Laurent », sous les thèmes d’espace géopolitique disputé, de ressources marines et d’identité. Le premier chapitre traite d’histoire et d’historiographie environnementale du Greater Gulf, afin de cerner sommairement tant l’espace physique que son évolution pré et protohistoriques autochtones, puis historiques euro-américains. Matthew McKenzie y dresse aussi la table géopolitique, environnementale et identitaire, pour la suite de l’ouvrage, en situant tout en finesse narrative les contributions à venir de ses collègues. Le second chapitre propose un excellent résumé géohistorique des acteurs autochtones et européens et du contact, dans le contexte des pêches et chasses du XVIe siècle. Les derniers chapitres présentent des imaginaires de fictions littéraires et de constructions d’identité maritime au début du XXe siècle, essentiellement autour de l’Île-du-Prince-Édouard.

Les événements couverts par les sept autres chapitres sont tous datés et très spécifiques – pêche sur les côtes golféennes de Terre-Neuve et de l’Île-du-Prince-Édouard, contrôle des ressources halieutiques, relations entre Autochtones et empires, conserveries étatsuniennes dans les Maritimes canadiennes, empreinte de Lucy Montgomery, etc. Ils se situent essentiellement dans les contextes militaires de la guerre de Sept Ans et de ses séquelles ; des suites économiques des conflits liés à l’exploitation des ressources marines (le traité de réciprocité [1854-1866]) ; et des répercussions politiques de la consolidation des identités régionales, entre 1755 et 1928, particulièrement autour de la Confédération et des balbutiements du tourisme, à cette même époque. Le recueil comprend une dizaine d’illustrations et photos, quelques graphiques et cartes, d’inégale qualité, mais un généreux index, qui en maximise l’usage.

Le lecteur trouvera là les habituelles inattentions ou errances marines et maritimes (confusion géosémantique entre estuaire et golfe [C4], attribution de l’hydronyme total à Cartier, le 10 août 1535 [p. 4], descente de l’estuaire vers Montréal). Coutumières et fâcheuses erreurs : si elles sont présentes pour décrire des principes pourtant identitaires des phénomènes et de l’objet, se trompe-t-on ailleurs de la sorte ? Malgré cela, en toute histoire environnementale (et géographique de même), les auteurs utilisent ce concept très porteur d’écorégion, ici fondé à la fois sur les phénomènes naturels marins de l’objet – écosystème, courants (du Golfe, du Labrador), espèces, etc. – et sur les aspects culturels maritimes et écologiques des populations et des écoumènes d’Homo littoralis (p. 19).

La conclusion de cette histoire environnementale de ce golfe, où et comment soit-il, s’articule autour de ces mots rares : « Beginning with water quite literally changes the landscape. […] Things look different when you begin with the blue. » (p. 348) Réjouissons-nous que ce gulf-là ait un groupe de recherche au regard d’abord océanologique, dédié à sa formidable histoire. Cela fait espérer que le golfe et ce fleuve du fait politique et historique francophone de toutes les époques, et environnemental d’intérêt historique et géographique plus récent, dispose bientôt d’un tel organe de recherche.