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Les populations inuit du Nunavik, au nord du Québec, sont toujours aux prises avec un manque de logements adaptés aux considérations culturelles, climatiques et sociales de leur milieu ; une situation reconnue par les gouvernements, les organisations impliquées et les communautés locales qui en bénéficient. Les défis de l’habitation de l’Arctique se projettent au-delà de la simple construction d’un nombre plus élevé d’infrastructures. Les enjeux liés à l’habitation sont directement associés, par les populations locales, aux conséquences sur la santé et les problèmes sociaux connus affectant les enfants, les femmes, les familles et les communautés (Saturviit 2017) : enjeux financiers causés par les hausses fréquentes des coûts de logement, surpopulation encourageant les tensions entre les membres d’une même famille, violence domestique, abus sexuels, maladies, etc. Pour les jeunes, représentant plus de 65,9 % de la population inuit du Nunavik, les critères d’accès aux logements sociaux sont perçus comme limitatifs et discriminatoires (Ikey 2016).

La problématique du logement social au Nunavik ne peut être formulée clairement et il ne semble pas exister de solution reconnue et partagée identifiant un objectif clair et précis à atteindre. Le problème n’est plus une simple réalité objective ou technique ; il est plutôt issu des représentations que se font les individus de cette réalité. On se trouve dans le domaine des problèmes complexes, non-structurés, impliquant une construction sociale bâtie par des acteurs stratégiques « dont les perceptions sont valides à un moment donné et dans un contexte précis, selon une certaine façon de voir le monde » (Gagnon 2010, 71). Les défis sont multiples et les priorités aussi nombreuses que le nombre d’acteurs impliqués dans la situation.

La question de la gouvernance du système de production du logement au Nunavik a été traitée, dans la littérature, selon l’axe du cadre institutionnel, notamment en lien avec l’évolution des politiques du logement et des positions relatives des principaux acteurs (Therrien et Duhaime 2017 ; Thibault 2016 ; Wilson, Alcantara et Rodon 2013 ; Therrien 2013 ; Chabot et Duhaime 1998 ; Duhaime 1985). Très tôt, il a été démontré qu’à travers ses politiques du logement, ses modes de production, d’ordonnancement et les modèles de maison développés, l’État participe au processus de construction sociale de l’espace et, par conséquent, à la redéfinition du monde inuit (Duhaime 1985, 5). Les études initiales ont pu démontrer que la participation citoyenne a joué un rôle très limité dans la planification du système, bien qu’il a été relevé que les responsabilités des citoyens ont évolué (Therrien et Duhaime 2017 ; Chabot et Duhaime 1998). Therrien et Duhaime (2017) démontrent qu’aujourd’hui, les acteurs Inuit sont aujourd’hui davantage intégrés aux processus de consultation et de cogestion, bien qu’ils semblent toujours absents des décisions concernant le logement, prises aux niveaux provincial et fédéral, malgré le désir de plusieurs. Hervé et Laneuville (2017) ont d’ailleurs documenté ce désir des femmes Inuit du Nunavik pour une plus grande autonomie résidentielle.

Les études en anthropologie et en sociologie, portant spécifiquement sur la question du cadre bâti, ont mis en relation la non-adaptation des environnements physiques avec les pratiques et les besoins culturels des ménages inuit (Brière et Laugrand 2017 ; Tester 2017 ; Dawson 2006 ; Collignon 2001). Certains ont également démontré que les façons de faire actuelles ont des conséquences directes sur la santé et les problèmes sociaux connus (Riva, et al. 2020 ; Hervé et Laneuville 2017). Face aux résultats et aux conséquences d’une conception de logements culturellement non-appropriée et non-adaptée à la société inuit et à son milieu, force est de reconnaître que les façons de faire sont principalement liées aux principes d’une économie de marché, alors que, comme certains l’envisagent (Tester 2009, 152-153) les valeurs, les formes sociales et les considérations relationnelles, caractéristiques d’une culture de chasseurs, devraient plutôt caractériser les façons de faire. Comment pourrait-on appréhender les problématiques liées au logement au Nunavik afin de pouvoir éventuellement se déplacer d’une réalité insatisfaisante, à un état désiré ?

Cette vision est fortement liée au paradigme de la complexité, tel que proposé par l’approche française et plus particulièrement par Edgar Morin (2005). Cette approche est basée sur une analyse interdisciplinaire des phénomènes et sur une rationalité « ouverte », encourageant les liaisons entre les éléments et mettant en évidence le besoin de contextualisation. En cherchant à relier, à restaurer des relations entre les éléments plutôt qu’en les divisant ou les isolant, une compréhension élargie du contexte, de l’organisation, de ses propriétés et de la réponse organisationnelle est visée. Il est éventuellement possible de permettre le passage d’une approche mécanique de one-size-fits-all vers des applications plus nuancées (Geraldi, Maylor et Williams 2011). Le paradigme de la complexité n’est donc pas celui du réductionnisme, plutôt associé à une « situation compliquée » (Ibid. ; Le Moigne 2013).

Ce changement de paradigme trouve écho, dans le domaine de l’habitation, dans la pensée d’Ingold (2000) qui propose une transition de la perspective centrée sur le fait de construire (building) vers la perspective plus holistique centrée sur l’habiter (dwelling). Pour cet anthropologue spécialiste des sociétés arctiques d’Europe du Nord, c’est à travers le fait « d’habiter » que le monde devient un endroit significatif pour les gens, et non seulement en fonction de l’acte de « construire ».

Cet article propose ainsi une réflexion de nature interdisciplinaire sur le système actuel de production du logement au Nunavik, en accueillant les formes de complexité et les nuances apportées par la perspective de l’habiter. La première section de l’article présente une revue sommaire du contexte, des dynamiques et relations entre les composantes du système, à travers une revue des différentes dimensions de complexité présentes. En deuxième partie, nous tenterons de comprendre, ce qui distingue la finalité de construire (building) d’un continuum plus large lié à la question de l’habiter (dwelling) et nous nous attarderons à certains éléments qui caractérisent l’habiter inuit. Enfin, nous proposerons de nouvelles assises, basées sur des approches de conception intégrées issues de la complexité, afin de viser un logement nordique plus durable, mieux ancré dans les réalités, les aspirations et les façons d’habiter des communautés inuit ; un logement porteur de sens.

Différentes formes de complexité

Si la complexité est un état, elle peut aussi devenir un atout, une méthode pour ouvrir le champ des possibles. Sur les bases du nouvel esprit scientifique, permettant la création de sens et souhaitant la réévaluation des valeurs par les communautés, Edgard Morin a proposé, dans les années 1970, une épistémologie de la complexité. De nos jours, la complexité se décline principalement en méthode de recherche, aspirant à l’interdisciplinarité et à une vision multidimensionnelle. Elle demande une approche interprétative qui permet l’ouverture vers une variété d’options, encourageant l’intersubjectivité et la contextualisation.

Le modèle proposé par Le Moigne (2013) relie l’éthique, l’épistémique et le pragmatique. Se faisant, le système de production ne peut plus être considéré selon l’angle unique du pragmatique et de la rationalité technique ou économique dominante, mais plutôt en fonction de considérations solidaires reliant également l’épistémique et l’éthique, redirigeant le discours vers des approches et des concepts significatifs. Ainsi, pour faire passer la raison du « pourquoi » au « pourquoi pas », dans l’esprit des théories de la complexité, l’intelligence doit pouvoir s’exercer, comprendre et « faire ». Le Moigne utilise la parabole des deux mains de l’intelligence de la complexité d’Henri Atlan, la main du sculpteur/analyste et la main du peintre/concepteur, afin d’illustrer l’idée que c’est la conjonction des deux mains qui permet d’ouvrir le champ des actions possibles. Le Moigne nous suggère, d’une part, de découper le phénomène complexe afin de l’analyser et, parallèlement, de concevoir en reliant et articulant, en symbolisant et en décrivant les nuances de perception.

Suite à une brève revue de l’actuel système de production du logement au Nunavik et d’une littérature ciblée, nous pourrons mieux saisir la situation et les formes de complexité en présence. Par la suite, en abordant certains aspects du phénomène de l’habiter au Nunavik, nous pourrons symboliser et décrire les nuances de perception, avant de finalement relier et articuler les phénomènes afin de cibler des pistes de conception futures.

Figure 1

Synthèse des ententes liées à la production des logements sociaux au Nunavik (1975-2016)

Synthèse des ententes liées à la production des logements sociaux au Nunavik (1975-2016)

Le système de production du logement social au Nunavik est marqué par différentes formes de complexité sous-jacentes. Un survol de ces manifestations est présenté dans la présente section, abordé selon quatre axes : l’incertitude de gestion, l’interdépendance des structures, les implications de normes et de valeurs et finalement, les dynamiques créées par le rythme (les calendriers ciblés).

Illustré à partir de Therrien et Duhaime, 2017

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Une gestion marquée par l’incertitude

Pour Therrien et Duhaime (2017), l’Entente concernant la mise en oeuvre de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (1975), qui fixe les rôles des acteurs et établit le financement accordé pour la construction des logements sociaux, est centrale pour comprendre la situation du logement au Nunavik (Fig. 1). Ce parcours d’une quarantaine d’années est parsemé de nombreuses incertitudes organisationnelles liées au maintien de l’offre de logements. En 2000, la nouvelle entente avait pour but de répondre aux besoins du Nunavik en termes de logements. Toutefois, cette entente a été renouvelée de façon ad hoc en 2005 et en 2010, et la mise en place en 2011 d’un mécanisme de résolution des différends et l’absence d’accord pour le renouvellement de l’entente quinquennale en 2015 sont des signes qu’elle n’atteint pas les objectifs souhaités par l’ensemble des signataires (Therrien et Duhaime 2017).

La planification associée à la production du logement au Nunavik est directement liée aux ententes de financement à être mises en place, dont le renouvellement n’est pas automatique. Cette situation crée donc d’emblée une difficulté dans la planification de la réponse aux besoins de logements dans les différentes communautés. Cela caractérise d’ailleurs les systèmes complexes qui, par manque de prédictibilité, par ambiguïté ou par mésententes liées à la situation actuelle ou future, peuvent être caractérisés par des formes d’incertitudes d’interactions et d’état du système. Ce type de complexité se manifeste généralement par un écueil entre les informations et les connaissances requises pour la prise de décision, par des changements organisationnels, etc. Cette situation, associée à des renouvellements d’ententes ad hoc, de courtes durées, menant à l’incertitude de l’habitation sociale du Nunavik, semble d’ailleurs présente à un niveau pancanadien, telle que soulevée par la Commission royale sur les Peuples autochtones (1996, S.4.2.1).

Une interdépendance structurelle

Au Nunavik, outre les diverses cultures et langues présentes simultanément dans les façons de faire, la quantité de parties prenantes impliquées et leurs provenances organisationnelles variées attirent particulièrement l’attention. Therrien et Duhaime (2017, 101-108) démontrent d’ailleurs que le nombre très élevé d’acteurs engagés dans la gouverne segmente le pouvoir de chacun et limite leur champ d’action ; les décisions sont prises à la fois à l’échelle locale, régionale, provinciale et fédérale, ce qui complexifie la gestion. Cette fragmentation des rôles des différentes entités n’est pas usuelle en gestion de projet/programmes de construction, où une entité reste généralement en charge de l’entièreté du processus, bien que des responsabilités particulières soient confiées à des tiers.

Cette forme de complexité, nommée structurelle, est la forme de complexité la plus fréquemment mentionnée dans la littérature. Elle se caractérise par un nombre très élevé d’éléments distincts, variés et interdépendants. Dans la situation à l’étude, notons : l’interdépendance des parties prenantes impliquées, les diverses cultures, les visions du monde et les langues en relation, les considérations règlementaires et de financement, etc. Ces considérations peuvent s’observer dans les processus actuels liés à la production des unités de logement, lesquelles impliquent plusieurs organisations, notamment : la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), la Société d’habitation du Québec (SHQ), l’Office municipal d’habitation Kativik (OMHK), la Société Makivik (SM), les villages nordiques, les corporations foncières, etc. Ces processus peuvent être cartographiés selon les façons de faire standardisées en gestion de projet, issus des approches reconnues en gestion de projet de construction, tels que présentés à la figure 2.

Figure 2

Processus général actuel de production de l’habitation sociale au Nunavik

Processus général actuel de production de l’habitation sociale au Nunavik

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Actuellement, en fonction des particularités des Ententes, le financement de la construction des logements sociaux au Nunavik est pris en charge par la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL). La Société d’habitation du Québec (SHQ) est responsable d’octroyer des fonds pour la gestion des logements (entretien du parc immobilier et écart entre le coût des collecté des loyers et le coûtant). À quelques occasions depuis 2012, la Société du Plan Nord (SPN) a également contribué à financer un nombre spécifique d’unités de logement, tout comme une entente spécifique Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC) avec Makivik (2017). En termes de planification, l’Administration régionale Kativik (ARK) est, quant à elle, responsable de réunir annuellement les représentants des 14 villages nordiques afin de déterminer où seront construits les unités d’habitation de l’année suivante. Elle autorise également les budgets annuels de l’Office municipal d’habitation Kativik (OMHK). Les phases de conception des plans des unités d’habitation et de la construction de ces unités sont prises en charge depuis 2000 par la Société Makivik, qui réalise annuellement un maximum d’unités de logements, principalement des unités de type duplex, selon un modèle type développé. La SHQ a la responsabilité de valider les plans et devis de la Société Makivik avant qu’elle ne débute la construction. Puis, une fois la construction des unités de logement terminée via l’acceptation définitive de la construction, l’Office municipal d’habitation Kativik (OMHK) reprend la propriété des logements. Cette instance devient ainsi responsable de la gestion du parc de logements (travaux de réfection et d’entretien du parc immobilier), perçoit les loyers et veille à l’administration des programmes d’habitation de la région (Therrien et Duhaime 2017,105).

Parallèlement, les organisations (dont l’administration régionale Kativik et les sociétés de corporation foncières) siègent annuellement sur certains comités afin de s’assurer du respect de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, de viser la livraison d’un nombre optimal d’unités de logement inuit et de sélectionner les communautés où seront construites ces unités. Le seul pouvoir laissé aux organisations locales impliquées (municipalité, corporation foncière et comité local d’habitation) réside dans le choix de la localisation des logements, ainsi que dans le calcul du pointage pour l’allocation des logements des locataires (Therrien et Duhaime 2017, 106).

Complexité sociopolitique liés aux aspects politiques et émotionnels impliqués

Au-delà du manque crucial de logements, plusieurs des « problèmes » identifiés comme tels par nombre d’experts et de journalistes s’appréhendent mieux comme des symptômes de conflits de normes et de valeurs culturelles. Ces problèmes suggèrent que des difficultés plus fondamentales existent en amont, de sorte que la non-adaptation des logements est manifeste.

Brière et Laugrand 2017, 36-37

En fonction de la diversité dans les aspirations, les modèles et les valeurs des décideurs impliqués dans des processus de production fragmentés tel que celui du logement social au Nunavik, les intérêts des divers acteurs impliqués peuvent potentiellement s’avérer conflictuels. Ainsi, un niveau élevé de complexité sociopolitique peut augmenter les niveaux d’incertitude (Geraldi, Maylor et Williams 2011, 983), faisant augmenter, par exemple, la non-linéarité des interactions entre les partenaires. Le lien entre normes, valeurs culturelles et objectifs divergents semble être un enjeu fondamental dans la situation du logement au Nunavik, amplifiant la complexité sociopolitique présente et les impacts sur les formes bâties résultantes. Cette situation pourrait être modifiée par une plus grande considération de la diversité de besoins des utilisateurs finaux.

Déjà, entre 1968 et 1998, Chabot et Duhaime démontraient une participation citoyenne très limitée en lien avec le logement, malgré la réglementation existante portant sur les principes démocratiques. Une étude de cas démontrait que « Les citoyens n’ont eu que très peu à dire dans la préparation du projet de logements de 1992, relativement à la somme investie, à l’échéancier, à l’architecture, les méthodes de construction, l’orientation des bâtiments et des rues ou les critères d’allocation. Même le type de logement offert, c’est-à-dire public vs privé, n’a jamais été questionné » Chabot et Duhaime (1998, 443).

Depuis le nouveau programme de logements (2000), divers comités sont en place : le Comité sur l’habitation au Nunavik (CHN) qui devient en 2010, le Comité sur l’habitation dans la région Kativik (CHK) et qui se déploie en un comité administratif et un comité de nature technique. Alors que le conseil de l’ARK se réunit sur une base annuelle afin de définir la localisation des futures unités de logements et qu’il fait le pont à l’échelle local avec les corporations foncières des villages nordiques, on peut remarquer qu’à l’échelle des familles et des individus, il n’y a qu’un contact très limité au processus de conception-réalisation des logements, uniquement lié à l’attribution des logements. Les décisions relatives à la production du logement sont ainsi prises par des gens éloignés des conséquences et des impacts de ces décisions, souvent peu conscients du fait que leur propre vision du monde et leur système de valeurs personnelles affecte le processus de décision et le produit final. Cette réalité cause un manque d’adaptation des maisons et une faible prise en compte des détails de la vie quotidienne (Alexander 1985).

Complexité de dynamiques et de rythme

La complexité de rythme intervient quand l’urgence d’agir et les objectifs de calendrier sont mis de l’avant. À ce moment, différentes structures ou un mode de gestion différent peuvent être proposés. Certains auteurs cités par Geraldi, Maylor et Williams (2011, 980) mettent alors de l’avant le besoin de répondre de façon concourante, ce qui mène cependant à une complexité structurelle (interdépendance) élevée, surtout liée aux tâches à réaliser. Autrement dit, régir en mode d’urgence augmente le niveau d’interdépendance entre les éléments et les tâches à réaliser, ce qui s’avère encore plus difficile à réaliser quand diverses organisations sont impliquées et dans un contexte comme celui du Nunavik, où la saison de construction est limitée par les conditions climatiques et par l’impact des calendriers sur les budgets de construction.

À ce jour, des stratégies particulières ont toutefois été proposées afin de superposer différentes étapes relatives à la préparation des travaux de construction[1]. Des comités techniques spécifiques se penchent également sur la question. De même, bien qu’il soit plus efficace de limiter le nombre de sites d’interventions (chantiers) afin de réduire les coûts, le conseil de l’ARK vote pour que soient construits des logements dans cinq ou six communautés par année (Therrien et Duhaime 2017,106), ce qui traduit cette volonté de ne pas tomber dans l’inertie ou le statu quo.

Nous avons donc vu dans cette première section que diverses formes de complexité sont présentes dans l’actuel système de production du logement social au Nunavik : incertitudes, interdépendances structurelles, sociopolitique, dynamique et rythme[2]. Ces formes de complexité sont amplifiées par le fait que toutes les organisations impliquées, prises individuellement, sont déjà des systèmes sociaux complexes, dans la mesure où on y retrouve des valeurs, systèmes de pensées et objectifs distincts, liés à des pratiques managériales et techniques spécifiques. Plutôt que de diviser davantage, nous proposons maintenant de rallier, de repenser les façons de faire selon la perspective de l’habiter. Attardons-nous sur la question de l’habiter au Nunavik afin de comprendre de quelle(s) façons(s) elle se manifeste chez les Inuit, et selon quelle(s) orientation(s) elle pourrait éventuellement permettre l’ouverture vers des pratiques de production du logement renouvelées, « intégrées » et inclusives.

Le phénomène de l’habiter

Comme un détachement lié aux maisons s’observe (Brière et Laugrand 2017, 37), il semble important de mieux comprendre le phénomène, de clarifier le sens sous-jacent de l’expérience d’habiter et de comprendre de quelles façons les lieux pourraient être conçus afin d’être porteurs de ce sens de l’habiter. Plusieurs auteurs abordent les pratiques de l’habiter inuit, sans nécessairement les lier aux bases du phénomène. Déjà, nous distinguerons les concepts de « constuire » et « d’habiter », puis nous associerons certains aspects ontologiques et pratiques abordés dans la littérature car, il paraît important de rappeler que dans les approches autochtones, les concepts ou les idées ne sont pas aussi importantes que les relations qui les ont formées (Wilson 2008, 70).

Construire ou habiter

Suite à la sédentarisation des Inuit, « la maison est devenue un objet que l’on acquiert (building) et non plus un projet de vie qui s’incarne dans du bâti (dwelling). » (Hervé et Laneuville 2017, 180).

Ingold (2000, 185), anthropologue spécialiste des sociétés arctiques d’Europe du Nord, précise la relation entre le fait de construire et le fait d’habiter, fondements de la perspective de l’habiter : « Ce sont des activités séparées mais complémentaires, reliées par le fait que ce sont des moyens afin d’arriver à une fin. On construit des maisons afin de les habiter ». Toutefois, c’est à travers le fait d’habiter que le monde devient un endroit significatif pour les gens, et non seulement en fonction de l’acte de construire. La maison est « faite » plutôt que seulement « construite » et pour se faire, on doit construire les objets dans l’imaginaire avant leur réalisation matérielle. « Les êtres humains ne construisent pas le monde par vertu de ce qu’ils sont, mais plutôt en vertu de leurs propres conceptions des possibilités d’être. Ces possibilités ne sont limitées que par le pouvoir de l’imagination. » (Ibid., 175).

…façon d’être dans le monde

Ainsi, plutôt que de concevoir l’espace domestique comme un « contenant » ou un « objet », les « maisons », prises au sens de l’habiter, sont des espaces de projection de l’être, à partir desquels les visions du monde se déploient (Goetz 2011 ; Hoyaux 2003). Ainsi, elles permettent à la fois la sécurité ontologique et l’expression des valeurs et des liens sociaux ; elles sont l’expression d’une place dans le monde. (Seamon 2017 ; Hoyaux 2003 ; Alexander 1985). Ces « maisons » expriment la vie d’un individu, elles permettent de supporter et d’améliorer les expériences, les actions et les significations, tant par leurs qualités et leurs éléments de l’environnement bâti que par la vie qui s’y déroule.

Pour Ingold (2000)[3], les relations entre les personnes et leurs environnements sont liées à une position phénoménologique « d’être dans le monde » plutôt qu’une approche de « l’individu face au monde ». Cette position holistique est cohérente avec les visions autochtones : pour les peuples semi-nomades (ou pour les sédentaires récents comme les Inuit), anticiper la construction sociale du territoire implique de comprendre que selon leurs visions du monde, les dimensions économiques, politiques et culturelles de l’espace fonctionnent comme un tout (Desbiens 2012, 645).

Au Nunavik, les logements, construits et conçus par d’autres comme des « objets », ne traduisent pas ces visions et considérations holistiques autochtones. Les quelques exemples suivants, tirés de la littérature traitant du logement au Nunavik, illustrent certaines facettes non-résolues de l’« habiter » inuit dans les constructions actuelles : les dualités des postures des corps dans les espaces intérieurs, le besoin d’un chez-soi permettant d’accueillir le voisinage et les relations sociales, etc.

Persistance de l’identité inuit dans l’occupation de l’espace

Au Nunavik, les travaux de Collignon (2001) et Dawson (2006) montrent que les Inuit tentent d’occuper l’espace afin de créer des lieux dont l’esprit est en accord avec les fondements de leur identité, car les valeurs culturelles inuit ne sont pas représentées dans les aménagements compartimentés des maisons euro-canadiennes. Ils résistent donc aux normes d’organisation de l’architecture des maisons contemporaines, en permettant dans plusieurs cas de continuer à utiliser les maisons de manières traditionnelles. Les intérieurs sont marqués par une grande dualité entre les postures « à l’occidentale » et les postures inuit, et l’espace est ressenti comme exerçant une contrainte sur les pratiques de ses habitants, et sur leur liberté de mouvement (Collignon 2001, 397-400).

Conception du chez-soi inuit et façon communautaire d’habiter

En examinant les façons selon lesquelles les « pratiques du chez-soi » autochtone sont en conflit avec les politiques du logement, Christensen (2016 :87) a démontré que ces politiques exacerbent les parcours individuels vers l’itinérance. À travers des entrevues et groupes de discussions avec des Inuit, l’auteure précise : « Le concept de home/chez-soi n’était jamais limité à quatre murs et à un toit : le chez-soi était lié étroitement à des relations positives et saines avec la famille et les amis, à la santé mentale et physique et au bien-être, à des liens culturels forts et à l’autodétermination ». Pour l’auteur, le concept de chez-soi témoigne de pratiques, de routines et d’idéologies impliqués dans la création de l’habitat, qu’il soit matériel, relationnel, spirituel ou émotionnel. Cette perspective est d’ailleurs mise en évidence chez Rykwert (1991), théoricien et historien de l’architecture, pour qui le chez-soi, en tant que foyer spirituel incitant au bien-être, à la stabilité et à la sécurité ontologique, devient une façon communautaire d’habiter, soulignant l’importance du voisinage et des relations sociales. Rykwert fait valoir qu’une maison ne peut ainsi devenir un vrai chez-soi que dans des circonstances de voisinage, rappelant toutefois qu’un chez-soi n’a pas besoin d’être bâti ; c’est un centre, un point focal, un foyer qui incite au bien-être, à la stabilité.

Chez les Inuit du Nunavik, cette idée que les relations soient associées au concept de l’habiter est énoncée par certains auteurs, relatant des aspects traditionnels[4] ou contemporains[5]. Dawson (2006, 123) remarque plus particulièrement que les familles utilisent intensivement les espaces intégrés, ce qui serait pour l’auteur l’indication que les interactions coopératives sont une composante essentielle de leurs vies économiques et sociales. Tester (2009, 139), confirme l’idée, soulignant que maintenir les relations est un élément essentiel du bien-être social, culturel et économique des communautés inuit. De plus, la coopération entre les membres d’un groupe dans les relations de production suit généralement l’ordonnancement des liens de parenté. « Aider les autres, c’est également s’assurer une place dans le groupe, c’est transmettre ses connaissances et, par extension, c’est assurer la survie de la culture inuite » (Hervé 2015, 79). Ces études appuient les travaux de Segaud (2010, 70), pour qui, dans les sociétés primitives, l’habiter est fondé par le lien entre le groupe et le lieu, contrairement à la conjonction entre le lieu et un individu singulier des sociétés contemporaines.

La réalisation et la conception des unités d’habitation doit donc considérer l’importance des relations sociales, le concept de « relationalité » synthétisé par Wilson (2008, 73). Ce concept rappelle que la diversité des relations est plus importante que la chose elle-même : les personnes, les objets ou les idées peuvent avoir différentes relations selon les individus.

L’habiter : pratiques et habitus

La question de l’habiter peut également être abordée selon une théorie de la pratique, ajoutant ainsi au sens vernaculaire du concept, plutôt associé à l’ancrage et à la sécurité ontologique. Stock (2015), géographe, décrit les multiples façons de faire avec l’espace, démontrant que les touristes habitent en s’engageant par l’action et en investissant des lieux géographiques de sens et de signification. Si cette forme de pratique est plutôt consciente, il en est autrement pour les pratiques issues du concept d’habitus de Bourdieu (1983, 40), « […] sans obéissance consciente à des règles explicitement posées… ». Le concept d’habitus se réfère ainsi à la régularité des conduites cohérentes et stables, liées à des pratiques inconscientes. Cette idée de création de sens par l’engagement est abordée par la littérature traitant du Nunavik, dont nous proposons quelques exemples ci-dessous.

Volonté d’engagement par l’action

Collignon (2001, 395) explique le détachement lié aux maisons par le fait que les Inuit ne construisent plus leur propre maison : « Si un Inuk veut quelque chose, il le fait ou le construit lui-même, il ne demande pas à quelqu’un d’autre de le faire pour lui. ». Brière et Laugrand (2017, 37) soulignent aussi que les Inuit ne sont pas responsables, ni consultés quant à la conception de leurs maisons. Hervé et Laneuville (2017, 56) rappellent :

Auparavant les Inuits avaient un contrôle sur la conception, la construction ou encore l’aménagement de leurs habitations, ils sont désormais dépourvus d’un certain pouvoir et une capacité d’agir. Même s’ils se réapproprient matériellement et symboliquement les lieux et qu’ils les habitent pleinement, ils sont coupés de certains aspects qui faisaient qu’auparavant leurs habitats n’étaient pas qu’un abri mais un foyer.

Persistance de l’habitus nomade

Brière et Laugrand (2017, 43-45) soutiennent que l’habitus nomade des Inuit persiste au Nunavik, à travers les sorties sur le territoire qui se perpétuent les fins de semaines ou pendant les congés, à travers la forte mobilité intra- et inter-communautaire, ainsi qu’à travers la manière dont les Inuit habitent et aménagent leurs cabanes[6]. Bien que Brière et Laugrand (2017, 44) mentionnent que l’emplacement des cabanes n’est jamais aléatoire, suivant les contraintes géographiques du sol et l’histoire familiale des sites ; cette particularité, bien que non identifiée en tant que telle par les auteurs, est associée à la continuité d’un habitus. À travers l’analyse de la langue, Brière et Laugrand (2017, 43) font également remarquer que la maison accueille également cet habitus nomade : « […] l’utilisation de termes empruntés au vocabulaire de l’habitation nomade pour désigner la maison contemporaine confirme la présence de fortes continuités, comme si les Inuits combinaient ici les deux habitus. Des variations restent toutefois considérables selon les familles. ».

Comme l’habitus nomade semble persister au Nunavik, et comme ce trait est aussi lié à la question de l’habiter pour Goetz (2011, 10-11) « le nomade est sans doute celui qui “habite” le plus avec un minimum d’architecture », il est possible de comprendre l’attachement à nuna, l’espace habité par les vivants et non-vivants, humains et non-humains, permettant aux choses « d’être ». Les cabanes, conçues et construites par les Nunavimmiut, sont des manifestations physiques d’une habitation sommaire dans lesquelles les pratiques et visions du monde se matérialisent.

Pour Breton et Cloutier (2017), les Kuujjuamiut (les habitants de Kuujjuaq) compensent le peu de contrôle sur le choix de leur logement principal en contrôlant davantage leur habitation secondaire (cabines, des concrétisations culturelles importantes). Se faisant, ils tolèrent le mode d’attribution des logements tout en laissant s’exprimer le mode traditionnel d’habiter le territoire.

Permettre au système d’être porteur de sens

La perspective de l’habiter d’Ingold (2000), basée sur un modèle d’interprétation écologique des sociétés humaines, modifie notre conception habituelle de la forme bâtie : elle n’émane plus d’un modèle prédéfini, mais surgit à travers un processus de croissance, à l’intérieur d’un champ de relations établies. La forme surgit à travers le travail lui-même, à travers les activités impliquées, dans le contexte relationnel spécifique d’un engagement pratique avec l’environnement immédiat, avec son histoire particulière. Cette compréhension intuitive permet de prendre des décisions et de faire des choix, d’avancer librement, en improvisant (Ingold 2013, 312). La quête intellectuelle à laquelle on se réfère est donc une recherche de signification, du sens de l’habiter, et Ingold (2000, 173) nous rappelle que c’est justement à travers l’habiter que le monde devient un endroit significatif, bouclant ainsi un cercle interprétatif prometteur.

Ce processus en développement, de quête de sens, intègre d’ailleurs les caractéristiques de l’habiter inuit relevées précédemment : la position holistique « d’être dans le monde », l’importance des relations, la volonté d’engagement par l’action, etc. Basé sur l’improvisation et la liberté, cette façon de concevoir les formes bâties à travers une compréhension intuitive semble également très apparentée à la préparation du nomade pour l’incertitude, telle qu’évoquée par Bates 2007. Face à l’environnement arctique très changeant, la façon d’accepter l’idée que le futur ne peut être connu, pour les Inuit, permet une préparation adéquate à l’incertitude. C’est grâce à des compétences d’improvisation et d’adaptabilité que les Inuit rendent possible les réponses rapides et la flexibilité (Ibid., 89-90).

À travers l’implication des parties prenantes concernées, les questions de persistance de l’identité inuit dans l’occupation de l’espace, de conception du chez-soi communautaire et les traces d’habitus nomade peuvent être considérées et intégrées aux formes bâties du Nunavik. Il est donc requis de questionner la centralisation du pouvoir des systèmes de production des maisons et le manque de contrôle et d’adaptation des Inuit au niveau des détails spécifiques et personnels de la vie quotidienne. On ne peut résoudre les problèmes du logement sans changer le système qui les produit (Alexander 1985). En permettant aux habitants du Nord d’être à nouveau impliqués dans les décisions relatives aux projets d’habitations, à des étapes clés des processus, les stratégies organisationnelles pourraient prendre la voie de la durabilité, en passant d’une logique économique vers des considérations plus sociales et environnementales. Pour agir et adapter de façon durable les logements aux considérations du Nord, il serait souhaitable d’impliquer divers niveaux d’acteurs inuit dès les phases initiales des processus, puis tout au long.

Dans l’esprit des problèmes complexes et donc intersubjectifs, il est d’ailleurs requis de faire participer les intervenants organisationnels des niveaux locaux, régionaux, provinciaux et national dans l’analyse des façons dont les processus pourraient être modulés et adaptés. Cette opportunité de répondre aux besoins et aspirations humaines est d’ailleurs cohérente avec les recommandations de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (1987), et est d’ailleurs demandée par les Inuit du Nunavik : « Face aux politiques de l’habitat, les Inuit aspirent à être consultés davantage afin qu’on tienne compte de leurs besoins réels et de leurs conceptions. » (Brière et Laugrand 2017, 44).

Il est aussi nécessaire d’appréhender les besoins avec toutes leurs nuances, car nous savons que les coûts sociaux associés au bien-être des usagers dans les expériences de construction de logements sociaux de masse sont rarement adressés[7]. De récentes études réalisées sur les logements sociaux (Kowaltowski et al. 2019, 728) mettent d’ailleurs en évidence le fait que les politiques liées au logement doivent incorporer une plus large variété de besoins des usagers, et non seulement proposer une répondre à des besoins liés aux quantités d’unités, ce qui témoignerait d’un discours dominé par les questions économiques. Les résultats des études démontrent clairement que les usagers des logements sociaux sont considérés comme étant des entités anonymes dont les préférences et styles de vie – liés aux besoins – ne sont pas pris en compte.

Les processus de conception et de réalisation des logements au Nunavik doivent être adaptés afin de permettre « l’engagement dans l’action » proposé par Ingold. Puisqu’actuellement, il ne semble pas y avoir de parties prenantes responsable de l’ensemble du processus, les formes d’engagement actuelles sont segmentées et limitées à une étape précise. La réussite, ou la qualité, d’un processus ne peut se définir par phase ; si les acteurs en perdent le sens global, c’est encore plus vrai pour les utilisateurs finaux qui restent en attente.

Nés de la complexité, les processus de conceptions intégrée (PCI) font actuellement leur place dans plusieurs organisations publiques. Les processus de conception intégrée (PCI), par leur approche collaborative et multidisciplinaire et par leur nature inclusive et participative, visent à ajouter un maximum de valeur aux projets. Ces approches permettent de lier et de rassembler les partenaires tout au long de la démarche en fonction d’objectifs communs, généralement de nature qualitative. À travers la démarche et les ateliers de réflexion/conception, les idées émergent en fonction des discussions, du partage de connaissances et d’expériences d’une variété de participants, dont des professionnels de différentes disciplines (architectes, ingénieurs, etc.), mais également des acteurs locaux, « spécialistes du quotidien ». En considérant la variété de points de vue, d’exigences et de contraintes, des consensus émergent et offrent des pistes aux concepteurs afin de développer des alternatives (sous formes de dessins, de maquettes volumétriques, etc.) et de permettre des choix alignés sur les pratiques et sur les représentations. Cette façon de concevoir les projets de construction semble d’ailleurs très cohérente avec les valeurs inuit fondamentales : le partage, la gratitude, la réalisation de choses pour les autres, la collaboration, l’harmonie de l’interdépendance, la responsabilisation, la coopération et l’acceptation (Hervé 2015, 34).

La démarche liée au « prototype d’habitation à Quaqtaq » (Gouvernement du Québec 2020), initiée par la SHQ en 2012 et regroupant pendant deux jours à Kuujjuaq une vingtaine d’acteurs de milieux différents (Nunavimmiut, experts et chercheurs) afin de réfléchir au développement d’une habitation mieux adaptée au mode de vie nordique et plus efficace énergétiquement, est un exemple, très succinct, d’un processus de conception intégrée. Toutefois, une démarche complète serait réalisée de façon continue, permettant ultimement une diversité de relations, une variété de tenures ou de modèles d’habitation en fonction des individus, de leurs perceptions, de leurs habitus et de leurs pratiques d’habitation. Certaines initiatives récentes de la Société Makivik et de l’OMHK, dont la réalisation d’unités prototypes afin de tester différents finis et couleurs, ouvrent graduellement la porte à la question de choix et de préférences des usagers inuit, mais ces démarches restent très ciblées et plutôt « techniques ».

Conclusion

L’étude du cadre, des systèmes et processus de conception-réalisation du logement social au Nunavik permet de lier les pratiques organisationnelles actuelles et les résultats observés et vécus par les usagers. Les analyses mettent en évidence un contexte où se croisent plusieurs formes de complexité : d’incertitude, d’interdépendance structurelle, sociopolitique, de dynamique et de rythme. Ces diverses formes de complexité encouragent une logique de rationalité technique et de productivité, orientée principalement vers la quantité d’unités de logement à construire. Cette situation est le reflet d’une perspective centrée sur le fait « de construire » plutôt que sur une perspective considérant le fait « d’habiter » le Nord, intégrant les considérations sociales, culturelles et symboliques, traditionnelles et contemporaines.

En anticipant un système plus ouvert, liant et intégrant les façons de construire et d’habiter les bâtiments, il est possible de proposer de nouvelles assises pour un logement nordique plus durable, mieux ancrées dans les réalités, les aspirations et les façons d’habiter des communautés inuit. Un logement plus éthique.

Explorer le phénomène de l’habiter nous invite à considérer la relationalité, à comprendre que l’on doit développer et maintenir les relations, en travaillant de concert avec les acteurs locaux dans ce processus où réflexion et action s’entremêlent afin d’apprendre, de partager et de se définir « une place dans le monde ». Une approche inspirée de ces idéologies pourrait éventuellement permettre de créer des habitations qui soient le reflet des pratiques inuit traditionnelle et contemporaines, qui incitent à se sentir « chez-soi », afin de chérir et protéger, préserver et prendre soin (Heidegger 2017 [1958]).