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INTRODUCTION

Les applications pour téléphones intelligents (apps) permettent d’offrir des services connectés, mobiles et disponibles en tout temps. Elles bénéficient potentiellement de synergies fonctionnelles avec une large gamme de technologies (p. ex. agenda, réalité augmentée, jeux, etc.). Ceci en fait des outils ubiquitaires malléables quant à leur design et leurs fonctions. Ces caractéristiques associées à une forte pénétration mondiale du marché des téléphones intelligents (3,6 milliards d’utilisateurs de téléphones intelligents en 2020) (O’Dea, 2021) sont à la base de leur succès mondial (218 milliards de téléchargements en 2020 pour un marché de 2,6 millions d’apps sur Android et 2,2 millions sur iOS) (App, 2021) et de la forte croissance de leur développement économique (de 97,7 milliards de dollars/an en 2014 à 581,9 milliards de dollars en 2020) (Statistica, 2021).

Le secteur de la santé est aussi concerné par ce phénomène avec environ 325 000 apps relatives à la santé et au bien-être, dont plus de 10 000 spécifiquement dédiées à la santé mentale (Carlo, Hosseini Ghomi, Renn et Arean, 2019).

Les apps offrent un nouveau moyen d’atteindre les populations cibles. Elles pourraient, en effet, faciliter l’accès aux services de santé mentale et également soutenir les utilisateurs dans leur milieu naturel quand ils ont en besoin (Khazaal, Favrod, Sort, Borgeat et Bouchard, 2018). Ces caractéristiques positionnent les apps comme de potentielles ressources pour la santé mentale (Anthes, 2016).

L’intérêt de la population pour ce type d’interventions semble indéniable. En effet, plus de la moitié des utilisateurs de téléphones intelligents auraient téléchargé une app relative à la santé au moins une fois (Krebs et Duncan, 2015). Certaines apps relatives à la santé mentale ou au bien-être dépassent les 20 millions des téléchargements (p. ex. Peak-Brain Training ;Lumosity ; Headspace ; Calm) (Carlo et coll., 2019).

Les apps peuvent effectivement attirer de nombreux utilisateurs. Cela est illustré par des dizaines de milliers de téléchargements engrangés dans la communauté par des apps comme stop-cannabis.ch (Monney, Penzenstadler, Dupraz, Etter et Khazaal, 2015) ; stop-tabac.ch (Etter et Khazaal, 2020), ou PTSD coach (Owen et coll., 2015). Cependant, seul un petit nombre d’apps semblent capter une majorité des utilisateurs actifs (Wasil, Gillespie, Schell, Lorenzo-Luaces et DeRubeis, 2021).

De plus, malgré le dynamisme de ce marché et l’importance de sa pénétration, parmi les 10 000 apps relatives à la santé mentale, un petit nombre seulement est soumis à des évaluations scientifiques. Comme cela a déjà été décrit pour les sites Internet d’informations relatives à la santé (Khazaal et coll., 2008 ; Zermatten, Khazaal, Coquard, Chatton et Bondolfi, 2010), les apps disponibles sur le marché sont sujettes à une très grande hétérogénéité de qualité et sont, le plus souvent, suboptimales (Chen, Cade et Allman-Farinelli, 2015 ; Patel et coll., 2015 ; Penzenstadler, Chatton, Van Singer et Khazaal, 2016 ; Van Singer, Chatton et Khazaal, 2015).

Des études de plus en plus nombreuses menées sur certaines apps montrent des résultats encourageants pour ces apps spécifiques. En effet, une récente métarevue des méta-analyses suggère l’intérêt potentiel des apps utilisées seules ou en complément à d’autres approches. Les tailles d’effet rapportées sont plus importantes pour les apps utilisées avec l’appui d’un accompagnant en comparaison de celles utilisées sans support (Lecomte et coll., 2020).

La capacité des apps à atteindre leur public en lui amenant de possibles bénéfices pour la santé est contrebalancée par un problème critique : celui de l’engagement des utilisateurs.

En effet, une petite partie seulement des usagers utilisent une app de manière répétée (Fleming et coll., 2016 ; Owen et coll., 2015 ; Torous et coll., 2017). Par exemple, malgré un nombre très important de téléchargements (> 160 000), seuls 14 % des personnes utilisaient encore l’app PTSD-coach le jour suivant (Owen et coll. 2015).

Cette difficulté de maintien de l’engagement compromet les bénéfices thérapeutiques potentiels de ces offres, en particulier lorsqu’elles sont utilisées sans accompagnement (Gilbody et coll., 2015). Pour relever ce défi, le design des apps (la manière dont elles sont conçues pour offrir le service souhaité) doit pouvoir répondre à la double contrainte de l’efficacité et d’un modèle d’utilisation simple et engageant.

À la lumière de ces constats, le présent article propose quelques repères qui pourraient être utiles au développement des apps pour la santé mentale afin d’en faciliter l’adoption.

MÉTHODE

Il y a, à ce jour, un degré d’évidence limité sur ce qui favorise ou pas l’engagement des utilisateurs avec les apps relatives à la santé mentale (Torous, Nicholas, Larsen, Firth et Christensen, 2018). Les développeurs d’apps, mis à part quelques exceptions (Owen et coll., 2015), publient rarement les données relatives à cette question. Des revues narratives et des consensus d’experts proposent cependant quelques hypothèses pour explorer cette question. Ainsi, les apps relatives à la santé mentale pourraient souffrir de certaines lacunes (manque de convivialité [not user-friendly], peu d’implication des utilisateurs finaux dans leur développement, sécurité des données compromises, mauvaise qualité perçue, inutiles quand on en a besoin) (Torous et coll., 2018). Elles intègrent de manière insuffisante des processus connus pour leur importance dans l’engagement et les changements de comportement tels que les théories du changement (Choi, Noh et Park, 2014), le flow et les jeux (Cheek et coll., 2015 ; Fleming et coll., 2016 ; Thorens et coll., 2016).

Partant de ces constats et hypothèses, le présent article est basé sur l’expérience des auteurs dans le développement et l’évaluation d’apps. Il s’appuie également sur la participation du premier auteur, comme collaborateur, aux travaux et publications d’un groupe d’experts dans le développement d’interventions digitales (an international Collaboration On Maximizing the impact of E-Therapy and Serious Gaming : COMETS) (Fleming et coll., 2016). Ce groupe, réuni pendant 2 jours autour de la problématique de l’engagement dans les interventions digitales, a publié, à la suite d’un consensus, une série de propositions (Fleming et coll., 2016). Celles-ci ont été suivies de suggestions spécifiquement adaptées au développement des jeux thérapeutiques (Sort et Khazaal, 2017).

Le présent article s’appuie sur ces précédents travaux et expériences complétés par une revue narrative. Cette dernière porte sur des articles, publiés entre janvier 2015 et mars 2021, identifiés dans Pubmed et Google Scholar en utilisant les mots clés (« user engagement ») And (« mobile health » OR « mobile health app » OR « mHealth » OR « smartphone app ») And (« mental health » OR « anxiety disorders » OR « mood disorders » OR « psychotic disorders » OR « addictive disorders »).

Les théories du changement (Michie, Hyder, Walia et West, 2011) apportent un éclairage important à la conception des apps. Elles peuvent de fait être explicitement intégrées dans leur design (Garnett, Crane, West, Brown et Michie, 2015) et sont donc discutées dans le présent article.

Sur la base de l’ensemble de ces éléments, et à la suite d’expériences de création d’apps en commun, les auteurs du présent article ont souhaité proposer des points de repère pour la conception d’apps pour la santé mentale. Ces propositions ont été améliorées, par discussion et consensus, au fil de versions successives de ce travail et étayées par les auteurs sur la base des données issues de la revue narrative.

RÉSULTATS

Quelques points de repère pour la conception des apps (destinés aux concepteurs et conceptrices)

1. Identifier vos objectifs

L’une des étapes les plus importantes est de bien définir les objectifs dès le début du travail de conception (Sort et Khazaal, 2017). Ceux-ci devraient être définis par rapport à un service attendu de l’app. L’acceptabilité (téléchargement et utilisation) d’une app est liée à son utilité et à son efficacité perçue (Berry, Lobban et Bucci, 2019). Pour définir vos objectifs, il est utile de se poser ces questions : Quel service précis est rendu à l’utilisateur ? À quel besoin spécifique de l’utilisateur ce service doit-il répondre ? Comment et dans quel contexte l’app rend le service attendu au moment utile ? L’utilité perçue d’une app au bon moment (quand on en a besoin) est probablement un des éléments clés de son succès (Kleiman et coll., 2018 ; Torous et Roux, 2017).

En termes d’objectifs choisis, nous faisons l’hypothèse qu’une approche modeste et spécifique peut être préférable à une offre complexe. Une app ne devrait pas imiter un traitement global et aborder trop de thèmes et d’activités thérapeutiques. Plus c’est complexe, plus il y aura un risque de diminution de l’autoefficacité perçue, de découragement et d’abandon de la part des usagers (Huang, Shiyanbola et Chan, 2018).

2. Faire passer l’utilisateur en premier

La conception des apps devrait être adaptée aux besoins et aux capacités du groupe cible afin de renforcer la motivation et le plaisir (Bleakley et coll., 2015), l’autoefficacité et l’adhésion (Bleakley et coll., 2015).

Pour ce faire, donner la priorité à l’expérience de l’utilisateur serait une condition nécessaire pour répondre efficacement à ses besoins (Fleming et coll., 2016 ; Goodwin, Cummins, Behan et O’Brien, 2016). Les concepteurs font souvent un excellent travail en réfléchissant à la manière d’obtenir les meilleurs résultats. Ils oublient cependant trop souvent de se pencher de manière détaillée et participative sur les besoins, les intérêts et l’expérience des utilisateurs (Goodwin et coll., 2016).

En mettant l’expérience des utilisateurs au premier plan, vous comprenez exactement ce que vous voulez que les utilisateurs vivent, ainsi que ce qu’ils vivent réellement. Ainsi, vous vous assurez que les processus choisis répondent correctement aux besoins des utilisateurs en milieu naturel. Lorsque vous les rencontrez, n’hésitez pas à décrire avec précision les étapes qu’ils franchissent en utilisant l’app. Testez leur parcours d’utilisateur. Vous pourriez obtenir des informations précieuses sur ce qu’ils font et sur ce qu’ils aimeraient voir se produire, ainsi que sur la durée optimale d’une session.

Ainsi, pour une app relative à la dépression, plus de 50 % des utilisateurs mentionnaient des difficultés pour accéder à leurs propres données (Sarkar et coll., 2016), alors que dans une autre étude, la lourdeur des autoévaluations et une perte de sens perçue contribuent à l’abandon (Attig et F., 2020).

L’app iBobbly, relative à la prévention du suicide, a impliqué un groupe de personnes concernées depuis les premières étapes de sa conception et tout au long du processus de développement. Même si l’étude n’a porté que sur 61 personnes, il est notable de signaler que l’app iBobbly pour la prévention du suicide a obtenu l’adhésion de 97 % des participants, illustrant l’intérêt d’une démarche participative (Tighe et coll., 2017).

3. Intégrer les théories du changement

Certaines études suggèrent qu’un recours explicite aux théories du changement (Michie et coll., 2011) est associé à de meilleurs résultats cliniques (West, Walia, Hyder, Shahab et Michie, 2010). La plupart des interventions numériques disponibles ne reposent cependant pas explicitement sur ces théories (Choi et coll., 2014 ; Penzenstadler et coll., 2016).

Certaines théories du changement, en particulier la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2012), le modèle Fogg (Dichev, Dicheva, Angelova et Agre, 2014), la théorie sociale cognitive (Bandura, 1989), la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991) fournissent des indications intéressantes pour le développement des apps dans le domaine de la santé mentale.

La théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2012) souligne l’importance de la compétence (nécessité de contrôler le résultat et de faire l’expérience de la maîtrise), de la relation (être connecté avec d’autres personnes ou ressources significatives) et de l’autonomie (percevoir son propre rôle dans les choix) dans les processus de changement.

Le modèle Fogg indique que le changement de comportement est fonction de 3 éléments fondamentaux : la motivation, la capacité à déclencher un comportement (p. ex. un élément de motivation) et un moment trigger (déclencheur) (Dichev et coll., 2014). Pour qu’une app soit utilisée, elle doit pouvoir s’associer lors de l’apparition du trigger à une motivation à obtenir le service prévu en déployant une mobilisation légère à modérée de ses capacités. S’il faut par exemple un trop gros effort pour obtenir le résultat, alors il est peu probable que l’app soit largement utilisée.

Le modèle de la théorie sociale cognitive (Bandura, 1989) s’intéresse à la manière de modifier l’autoefficacité lorsqu’on se heurte à des obstacles dans la réalisation des objectifs et propose l’apprentissage social comme une des solutions. Le support des pairs, l’accompagnement personnalisé et les capsules vidéo peuvent véhiculer ce modèle d’apprentissage pour les apps.

Quant à la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991), elle considère qu’une action dépend d’une attitude initiale, d’une influence par les pairs ainsi qu’une impression de contrôle de son comportement. Ainsi, l’app sera utilisée si la personne est ouverte à cette technologie, si d’autres le font également et si elle a un sentiment de contrôle lors de son utilisation.

Compte tenu de la variété des théories du changement, il est important de choisir, si besoin, des orientations additionnelles en fonction des objectifs spécifiques de l’app.

Il pourrait être intéressant d’amener de multiples voies d’accès à un changement (musique, mathématiques, logique, humour, récits), comme le propose l’app ChillTime, brièvement décrite dans une revue de littérature (Pennou, Lecomte, Potvin et Khazaal, 2019). Elle offre différentes modalités de régulation émotionnelle pour aider à gérer les émotions difficiles et ainsi entraîner des stratégies de gestion (coping) saines. L’app apprend par ailleurs, par intelligence artificielle, les stratégies efficaces pour une personne donnée afin de les proposer de nouveau, associées à de nouvelles stratégies non connues. Une approche multimodale combinant différentes voies telles que la sensorialité, les émotions ou la pensée rationnelle pourrait faciliter l’adhésion et le changement via des canaux d’intelligences multiples (Starks, 2014).

4. Créer du flow

La théorie du flow (théorie du flux et de la motivation) (Csikszentmihalyi, 2004) fait référence à l’état mental atteint par une personne lorsqu’elle est complètement plongée dans une activité et qu’elle se trouve dans un état maximal de concentration, d’engagement et de satisfaction dans son accomplissement. La personne se trouve totalement absorbée et stimulée par une occupation engageante.

Lors d’un parcours d’utilisateur, trop de maîtrise avec peu d’autonomie est aussi ennuyeux que trop d’autonomie et un faible niveau de maîtrise (Csikszentmihalyi, 2004). Selon la théorie du flux et de la motivation (Hamari et coll., 2016), les activités qui offrent un équilibre optimal entre le niveau de défi et le niveau d’acquisition des compétences créent un état de flux de motivation optimal (flow) qui renforce l’immersion, la créativité, la performance et les apprentissages. Il pourrait être particulièrement utile de tenir compte de cet équilibre pour les apps impliquant un processus d’apprentissage de nouvelles compétences.

5. Intégrer les technologies utiles

Diverses technologies peuvent être intégrées dans une app donnée comme par exemple l’Ecological momentary assessment (EMA) (évaluation écologique momentanée) et l’intelligence artificielle. Ces technologies peuvent être choisies en fonction de leur utilité pour la bonne fonction de l’app.

L’EMA permet d’investiguer dans le milieu naturel, en temps réel, l’interaction entre différents symptômes et/ou événements. Elle pourrait, en théorie, aider à mieux comprendre l’interaction de différents symptômes chez une personne donnée et notamment aider à détecter des signes de rechute (Benarous et coll., 2016). Les données de l’EMA, traitées par l’intelligence artificielle (Ahn, Ramesh, Moeller et Vassileva, 2016) pourraient générer des algorithmes visant à prévoir des événements spécifiques et ainsi proposer aux utilisateurs des solutions adaptées à ces prévisions.

De nombreuses autres technologies peuvent être considérées, telles que la géolocalisation, les jeux ou la réalité augmentée (ajouter dans l’environnement réel des apports virtuels sous forme de textes, d’images, de personnages ; ainsi l’app Pokemon Go insère dans l’environnement les Pokemon que les joueurs iront chasser en bougeant).

6. Concevoir un support social

Selon les théories de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2012) et du comportement planifié (Ajzen, 1991), la relation à l’autre est l’une des pierres angulaires des processus de changement de comportement. De nombreuses études ont montré l’avantage d’avoir une forme de soutien social significatif lorsqu’on s’engage dans un processus de changement, qu’il s’agisse d’améliorer son bien-être, sa condition physique ou de faire face à une maladie. Le succès et la diversité des forums de soutien entre pairs en rappellent l’importance (Greiner, Chatton et Khazaal, 2017). Certaines apps incluent dans leur design une communauté d’entraide (Monney et coll., 2015). Leurs fonctions spécifiques (information, gratification ou support émotionnel) devraient être choisies en fonction des besoins des utilisateurs (Greiner et coll., 2017). Ces formes de support social, en particulier lorsqu’elles sont appuyées par une modération, augmentent l’engagement (Biagianti, Quraishi et Schlosser, 2018).

7. Penser éthique, sécurité et développement durable

Une des préoccupations majeures de ce domaine est relative à la confidentialité et à la sécurité des données. Un travail précis avec des ingénieurs et des juristes permet de pouvoir annoncer de manière simple, explicite et transparente la gestion des questions liées à la confidentialité, la sécurité et le traitement des données. Une telle communication avec l’utilisateur est nécessaire et lui offre la possibilité d’un choix éclairé (Huckvale, Torous et Larsen, 2019).

La technologie et le marché des apps évoluent constamment et à grande vitesse. Le domaine des apps de la santé mentale risque d’être sans arrêt en retard sur les technologies qu’il utilise et qu’il étudie. Afin de maintenir ses objectifs et d’éviter une perte d’énergie, de moyens et d’opportunités, de même que pour s’assurer de ne pas être obsolète ou inutilisable à peine créé ou presque, il est important d’intégrer une vision de développement durable. Avec l’aide des ingénieurs et des développeurs, il faut partager une vision de l’évolution du produit et de son adaptation aux évolutions des technologies.

8. Planifier un financement durable

Développer une application nécessite des apports financiers dès le début de sa conception, mais aussi pour le maintien de son fonctionnement, ses mises à jour et son amélioration continue. Il faut donc d’emblée considérer la question de son modèle de financement (subventions ? assurances ? paiement d’une catégorie de prestations ?). Des écosystèmes de prestations complémentaires peuvent être développés autour d’une vision stratégique d’apps utiles. Des partenariats transparents entre le public et le privé peuvent être potentialisateurs de synergies et de défis (Quélin, Kivleniece et Lazzarini, 2017). Ceux-ci pourraient être une des manières de construire des modèles de financements viables à long terme, à condition de les inscrire dans une communauté de valeurs.

9. Penser la recherche dès le premier instant

La conception d’une app doit intégrer dès le début une évaluation des besoins pour la recherche. Cette démarche, essentielle dans le champ des soins, a été à ce jour très rarement menée. En effet, une très petite fraction des apps disponibles sur le marché ont été évaluées (Lecomte et coll., 2020).

Or, les apps ont des caractéristiques qui en facilitent l’étude. Ainsi, on pourra définir les trajectoires d’utilisation des différentes fonctions d’une app, et coupler cet usage avec des cibles bien définies (p. ex. des choix à l’intérieur de l’app ou des changements mesurés par d’autres questionnaires). L’app Muzzz vise, par exemple, à faciliter le sommeil par l’écoute de stimuli préconscients (Zidani et coll., 2017) et semble montrer, dans une étude pilote (Djomo et coll. 2020), des effets prometteurs sur l’anxiété et le sommeil chez des personnes en attente de traitement dans un service de santé mentale. En couplant les données liées aux moments à la fréquence d’utilisation et aux modes d’utilisation, on pourrait mieux comprendre les liens potentiels entre son utilisation et un possible effet clinique.

On pourrait également évaluer rapidement différents composants d’une app en les offrant de manière séquentielle ou randomisée afin de les comparer, ou créer des apps placebo (Etter et Khazaal, 2020).

DISCUSSION

Le développement des apps pour la santé mentale est un domaine prometteur. Il pourrait contribuer à améliorer l’accès aux populations concernées (Vederhus, Rorendal, Bjelland, Skar et Kristensen, 2020), générer de nouvelles connaissances sur les troubles psychiques (Benoit, Onyeaka, Keshavan et Torous, 2020 ; Swendsen, 2016) et permettre de potentialiser les traitements actuels en s’intégrant aux offres cliniques existantes dans une complémentarité qui reste à créer et à évaluer (Davenport et coll., 2019 ; Iorfino et coll., 2019 ; Sawrikar et coll., 2021).

Pour garantir un succès utile, il est capital de se recentrer sur les objectifs et les besoins des usagers à la faveur d’une approche interdisciplinaire et dynamique, sans quoi les promesses d’accès aux populations concernées et celles relatives à l’amélioration des connaissances et des traitements ne seront pas tenues. Les 9 repères proposés dans le présent article pourraient accompagner le processus de création des apps. Une démarche rigoureuse s’appuyant sur les repères énoncés pourrait contribuer à améliorer la qualité des apps et faciliter l’engagement des utilisateurs potentiels.

Ces repères doivent cependant être considérés en tenant compte des limites méthodologiques pour les identifier (approche narrative basée sur des consensus de pairs et les expériences des auteurs). De futures études pourraient évaluer ces propositions, ainsi que d’autres éventuelles, dans des consensus standardisés (p. ex. un Consensus Delphi [Jorm, 2015]). Il serait également possible de développer des outils d’évaluation de l’adhésion de tels critères qui compléteraient alors certaines mesures de l’évaluation de la qualité des apps (Penzenstalder et coll. 2016 ; Stoyanov, Hides Kavanagh et Wilson, 2016 ; Van Singer et coll., 2015). Les liens entre l’adhésion à de tels critères, l’engagement des utilisateurs (Holdener, Gut et Angerer, 2020) et l’efficacité pourraient être étudiés et améliorés.

De plus, il faudrait encore préciser les meilleures manières de déployer sur le terrain chacune des propositions. Nous émettons l’hypothèse que le fait d’y être déjà attentif devrait augmenter les chances d’un développement satisfaisant.