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1. Introduction

Les élèves ayant des difficultés comportementales se caractérisent par le fait qu’elles⋅ils présentent régulièrement des manifestations comportementales ou émotionnelles à l’école qui diffèrent de manière significative par rapport à leur groupe d’âge, à leur stade de développement, aux normes culturelles ou aux règles établies et qui affectent négativement leur rendement scolaire et le développement de leurs compétences (Forness et Knitzer, 1992). Leurs difficultés se caractérisent aussi par le fait qu’elles persistent dans le temps, se présentent dans plusieurs contextes, coexistent avec d’autres difficultés ou troubles et persistent malgré les interventions individuelles mises en place à l’école (Mundschenk et Simpson, 2014). Ainsi, la nature, l’intensité, la fréquence et la complexité de leurs difficultés font en sorte que les élèves présentant des difficultés comportementales sont plus souvent scolarisé⋅e⋅s en classes d’adaptation scolaire que leurs pairs présentant d’autres besoins particuliers (Hornby et Evans, 2014). En fait, la scolarisation de ces élèves représente un défi complexe pour les systèmes scolaires ayant pris un virage inclusif dans les dernières années, dont celui du Québec, malgré qu’il s’inscrive encore davantage dans un modèle intégratif (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2017). Aujourd’hui, force est de constater que les élèves présentant des difficultés comportementales continuent d’être « exclus de l’inclusion » (Heflin et Bullock, 1999, p. 105), puisqu’elles⋅ils représentent une des seules catégories d’élèves à besoins particuliers à ne pas être davantage scolarisé⋅e⋅s en classe ordinaire depuis le début des années 2000 (Rousseau, Point et Vienneau, 2015). Souvent mis⋅e⋅s à l’écart de cet environnement où leur présence s’avère plutôt controversée, voire contestée, elles⋅ils sont moins susceptibles d’y recevoir un accueil positif que les autres élèves (Kauffman et Landrum, 2018). Cette situation aurait tendance à contribuer à l’émergence de leurs difficultés d’adaptation et d’apprentissage et à leur décrochage scolaire (Fortier et Prochnow, 2018).

Dans ce contexte, plusieurs élèves présentant des difficultés comportementales témoignent vivre des expériences négatives et déplaisantes à l’école où elles⋅ils se sentent souvent peu apprécié⋅e⋅s, incompris⋅e⋅s et insatisfait⋅e⋅s, entre autres par rapport à la gestion de classe (Whitley, Lupart et Beran, 2009). Elles⋅ils perçoivent aussi vivre des expériences moins justes, moins équitables et moins démocratiques que les autres élèves de la classe ordinaire (Desbiens, Levasseur et Roy, 2014). De plus, elles⋅ils rapportent vivre des expériences sociales plus pauvres avec leurs pairs et entretenir des relations difficiles avec leurs enseignant⋅e⋅s qui leur accorderaient souvent plus d’attention pour leurs comportements inappropriés que pour leurs besoins d’apprentissage (Davies et Ryan, 2014). Par ailleurs, ces élèves rapportent vivre des expériences plus positives en classe d’adaptation scolaire qu’en classe ordinaire (Sellman, 2009). En particulier, elles⋅ils semblent apprécier la structure, la régularité, la constance, le faible ratio enseignant⋅e-élèves, la qualité des relations et les interventions individuelles offertes dans ce type de classe (Bernier, 2021). Ellesils tendent aussi à avoir un point de vue plus positif que leurs pairs des classes ordinaires concernant les pratiques de gestion de classe de leurs enseignant⋅e⋅s (Trotman, Tucker et Martyn, 2015) ; cellesceux des classes d’adaptation scolaire utilisant davantage les pratiques recommandées et disposant d’un registre plus diversifié (Massé, Nadeau, Gaudreau, Verret, Lagacé-Leblanc et Bernier, 2020). Malgré qu’elles⋅ils préfèrent la classe d’adaptation scolaire, celle-ci ne semble pourtant pas en mesure de répondre à tous leurs besoins scolaires et sociaux, puisque plusieurs élèves présentant des difficultés comportementales souhaitent réintégrer la classe ordinaire (Graham, Van Bergen et Sweller, 2016). Or, même après un court placement en adaptation scolaire, elles⋅ils sont nombreux⋅ses à rencontrer des difficultés significatives à réintégrer le régulier, faisant en sorte que la majorité d’entre elles⋅eux poursuivent leur scolarisation dans des voies alternatives (Pillay, Dunbar-Krige et Mostert, 2013).

Ce portrait plutôt négatif s’explique, en partie, par les nombreux obstacles qui entravent la création de milieux scolaires inclusifs, dont les pratiques et attitudes des enseignant⋅e⋅s, l’organisation scolaire et la collaboration des acteur⋅rice⋅s scolaires (Rousseau, Point, Desmarais et Vienneau, 2017). À cet égard, la qualité des pratiques de gestion de classe apparait comme une condition essentielle au succès de la scolarisation des élèves présentant des difficultés comportementales en classe ordinaire (Gaudreau, Verret, Massé, Nadeau, et Picher, 2018). Ainsi, la manière dont celles⋅ceux-ci gèrent leur classe semble avoir le potentiel de prévenir leur exclusion et de leur faire vivre des expériences scolaires positives (Scanlon et Barnes-Holmes, 2013). D’une part, l’influence perçue des pratiques de gestion de classe sur l’expérience scolaire de ces élèves mérite donc d’être explorée plus en profondeur. D’autre part, les enjeux liés à leur réintégration en classe ordinaire doivent être identifiés. Les perceptions des élèves présentant des difficultés comportementales concernant les pratiques de gestion de classe des enseignant⋅e⋅s qui contribuent à leur faire vivre des expériences scolaires positives et les conditions liées au succès de leur réintégration en classe ordinaire représentent un domaine de recherche encore peu exploré. À notre connaissance, très peu d’études ont traité ces thématiques sous ces angles. Cette recherche entend donc apporter une contribution significative au développement des connaissances permettant de soutenir le virage inclusif du système scolaire québécois. Pour y parvenir, elle vise à répondre aux deux questions suivantes : 1) Comment les pratiques de gestion de classe des enseignant⋅e⋅s influencent-elles l’expérience scolaire d’élèves présentant des difficultés comportementales scolarisé⋅es en classe d’adaptation scolaire au secondaire ? et 2) Comment ces élèves perçoivent-ils⋅elles l’accessibilité à la classe ordinaire et leur réintégration à celle-ci ?

2. Contexte théorique

Afin de répondre aux questions de recherche, le modèle de causalité triadique réciproque de Bandura (2012) a été retenu et adapté. Issu de la théorie sociocognitive développée par Bandura, ce modèle s’avère l’un des plus utilisés pour expliquer, prédire et opérationnaliser le comportement humain (Kauffman et Landrum, 2018). Il suggère que le fonctionnement des individus est influencé par des relations dynamiques, réciproques et permanentes entre des déterminants : 1) personnels (par exemple habiletés, connaissances, sentiments, croyances, attitudes, stress) ; 2) comportementaux (par exemple, schéma d’actions, engagement, évitement) et 3) environnementaux (par exemple, contexte social et organisationnel, contraintes, stimulations). Appliqué à cette recherche, il présente l’avantage de mettre en relation les caractéristiques individuelles des élèves, leurs comportements et leurs environnements afin de décrire comment ces facteurs influencent l’expérience scolaire et l’accessibilité à la classe ordinaire. Ce modèle permet ainsi d’étudier spécifiquement l’influence perçue des pratiques de gestion de classe sur l’expérience scolaire des élèves présentant des difficultés comportementales, tout en intégrant l’influence réciproque d’autres facteurs issus des volets cognitifs, sociaux et comportementaux. Il s’avère aussi pertinent pour documenter les perceptions de l’accessibilité à la classe ordinaire et classer les enjeux relatifs à la réintégration de ces élèves. La figure 1 présente l’adaptation du modèle de causalité triadique réciproque de Bandura (2012) au contexte de la recherche.

Figure 1

Adaptation du modèle de causalité triadique réciproque

Adaptation du modèle de causalité triadique réciproque

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Représentant un champ d’étude récent, l’expérience scolaire se compose à la fois d’une dimension objective et d’une dimension subjective (De Léonardis, Capdevielle-Mougnibas et Prêteur, 2006). Sans exclure en totalité la dimension objective du concept (par exemple, les données sur le parcours scolaire, le programme d’étude, le rendement), cette recherche s’est avant tout intéressée à sa dimension subjective qui réfère au sens que les élèves accordent à leur scolarité et à leur manière de s’y adapter ou de s’y opposer (Courtinat-Camps et Prêteur, 2012). Dans ce contexte, l’expérience scolaire correspond au sens donné par un⋅e élève à l’ensemble des événements vécus et des situations traversées (par exemple activités ou moments marquants), des personnes rencontrées (par exemple qualité des relations) et des connaissances acquises (par exemple, ce dont elle⋅il se souvient) durant son parcours scolaire (inspiré de Bergeron, Bergeron et Tardif, 2019). Pour Courtinat-Camps et Prêteur (2012), il est ainsi possible d’accorder « une place de plus en plus importante aux sentiments des élèves, à leurs arguments et justifications ainsi qu’aux récits par lesquels s’expriment leurs expériences » (p. 5). Enfin, les pratiques de gestion de classe réfèrent à

l’ensemble des actes réfléchis, séquentiels et simultanés que le personnel enseignant conçoit, organise et réalise pour et avec les élèves dans le but d’établir, de maintenir ou de restaurer un climat favorisant l’engagement des élèves dans leurs apprentissages et le développement de leurs compétences

Gaudreau, 2017, p. 7

3. Objectifs spécifiques

Cette étude vise à décrire l’influence perçue des pratiques de gestion de classe sur l’expérience scolaire d’élèves présentant des difficultés comportementales scolarisé⋅e⋅s en classe d’adaptation scolaire au secondaire, tout en intégrant les influences réciproques d’autres facteurs issus du cadre théorique. Elle vise aussi à documenter leurs perceptions concernant l’accessibilité à la classe ordinaire et à identifier les principaux enjeux personnels, comportementaux et environnementaux relatifs à leur réintégration au secteur régulier.

4. Méthodologie

Pour atteindre ces objectifs, une approche méthodologique qualitative interprétative a été retenue afin de comprendre et d’approfondir un phénomène à partir de la perspective et de l’expérience des acteur⋅rice⋅s concerné⋅e⋅s en contexte (Creswell et Poth, 2018). Les méthodes de collecte et d’analyse des données ont ainsi permis de mettre en valeur la voix d’élèves présentant des difficultés comportementales.

4.1 Participant⋅e⋅s

Cette recherche a été menée auprès de 14 élèves présentant des difficultés comportementales scolarisé⋅e⋅s en classe d’adaptation scolaire issu⋅e⋅s de quatre écoles secondaires québécoises. Cette clientèle a été retenue pour trois raisons principales : 1) leur âge (14-18 ans) leur permet de consentir seul⋅e⋅s à participer à l’étude, ce qui a facilité le recrutement (article 21 du Code civil du Québec) ; 2) leur bagage d’expériences est riche et elles⋅ils ont la maturité de poser un regard critique sur celui-ci (Davies et Ryan, 2014) ; 3) peu d’études leur ont donné la possibilité de s’exprimer et de se faire entendre à propos de ce qu’elles⋅ils vivent à l’école (Sellman, 2009). En moyenne, elles⋅ils fréquentaient une classe d’adaptation scolaire depuis trois ans (entre 1 et 7) et avaient fréquenté quatre écoles différentes depuis le début de leur scolarité (entre 2 et 7). Le tableau 1 présente les principales caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon.

Tableau 1

Caractéristiques des participant⋅e⋅s

Caractéristiques des participant⋅e⋅s

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4.2 Déroulement

Une fois l’approbation éthique de l’Université du chercheur principal obtenue, les directions de 16 écoles secondaires québécoises ayant des classes d’adaptation scolaire pour élèves présentant des difficultés comportementales ont été invitées à collaborer à cette étude. Celles de deux écoles publiques, d’un centre de formation alternatif et d’une école privée ont confirmé leur soutien au projet. Les participant⋅e⋅s potentiel⋅le⋅s ont été identifié⋅e⋅s par les directions d’école en fonction des critères fournis (élèves présentant des difficultés comportementales scolarisé⋅e⋅s en classe d’adaptation scolaire et âgé⋅e⋅s de 14 à 18 ans) et invité⋅es à une rencontre d’information avec le chercheur. À la suite de ces rencontres, quatorze élèves, sur 18 candidat⋅e⋅s rencontrée⋅s, ont accepté de participer à l’étude. Les parents des participant⋅e⋅s ont tous reçu une lettre d’information leur permettant de bien saisir la nature du projet et ses implications pour leur enfant. La collecte de données s’est déroulée entre février et avril 2019. Une rencontre préparatoire a d’abord été réalisée avec chacun⋅e d’entre elles⋅eux afin de permettre au chercheur de faire leur connaissance dans un cadre informel et de leur faire remplir le formulaire de consentement. Cette visite a aussi permis la consultation de leur dossier scolaire et de leur plan d’intervention. Ceux-ci ont été analysés à l’aide d’un formulaire permettant de recueillir les informations sociodémographiques. Enfin, une entrevue semi-dirigée individuelle, d’environ 60 minutes, a été réalisée à un moment qui ne nuisait pas à leurs apprentissages.

4.3 Instrumentation

Les entrevues ont été réalisées à l’aide d’un guide d’entretien détaillé abordant trois thèmes principaux : 1) les pratiques de gestion de classe des enseignant⋅e⋅s et leur efficacité (par exemple, qu’est-ce qui aide le plus les élèves à bien se comporter en classe ?) ; 2) leur influence sur l’expérience scolaire (par exemple, comment la manière dont les enseignant⋅e⋅s gèrent la classe influence-t-elle ton expérience ?) et 3) les enjeux relatifs à la réintégration en classe ordinaire (par exemple, qu’est-ce qui favoriserait ta réintégration en classe ordinaire ?). Constitué de 16 questions ouvertes, le guide d’entretien a été construit en respectant le principe d’entonnoir, débutant par des questions plus générales et factuelles pour ensuite aller vers des questions plus spécifiques et personnelles.

4.4 Analyse des données

Les entrevues ont été enregistrées sur bandes audio, transcrites dans Word par le chercheur, anonymisées et intégrées au logiciel NVivo (version 12) pour être analysées à partir d’une catégorisation thématique. Les catégories ont été définies en fonction des objectifs et de l’adaptation du modèle de causalité triadique réciproque. Pour le premier objectif, les pratiques de gestion de classe ont été catégorisées en fonction de leur efficacité perçue par les participant⋅e⋅s (efficace ou inefficace), alors que l’expérience scolaire a été analysée selon le sens (positif ou négatif) donné par ces dernier⋅ère⋅s aux événements vécus, aux situations traversées, aux personnes rencontrées et aux souvenirs racontés. Pour le deuxième objectif, les enjeux relatifs à la réintégration ont été classés dans les trois catégories de facteurs du cadre théorique retenu. Le processus d’analyse s’est effectué selon les cinq étapes proposées par Creswell et Poth (2018) : 1) gérer et organiser les données (transcription des entrevues et préparation du fichier d’analyse NVivo) ; 2) lire et annoter les données (prise de connaissance de l’ensemble des données et identification des principales idées émergentes) ; 3) coder les données (catégorisation des propos dans les codes prédéfinis par le cadre d’analyse) ; 4) interpréter les résultats (identification du sens et des thèmes dominants et récurrents dans les réponses obtenues) ; 5) représenter les résultats (sélection d’extraits représentatifs du sens des réponses des participant⋅e⋅s).

Pour garantir la production de résultats fiables, crédibles et rigoureux, la technique de triangulation du chercheur a été utilisée au cours du processus d’analyse (Fortin et Gagnon, 2010). Pour chaque extrait, un code est utilisé afin d’identifier le⋅la participant⋅e de façon confidentielle (1 = fille, 2 = garçon ; âge ; école actuelle [A, B, C, D]). Enfin, les données obtenues dans les dossiers scolaires (âge, niveau scolaire, école fréquentée) ont été ajoutées au fichier NVivo sous la forme d’attributs spécifiques à chaque participant⋅e.

5. Résultats

Les analyses des entrevues individuelles ont d’abord permis de catégoriser plusieurs centaines d’énoncés illustrant des expériences scolaires positives ou négatives. Les résultats montrent que les participant⋅e⋅s se sont davantage exprimé⋅e⋅s à propos d’expériences négatives (66 % des énoncés traités) que positives (34 %). En général, elles⋅ils témoignent d’un vécu assez négatif à l’école comme le résume ce participant pour qui l’expérience consiste « à des problèmes de comportement, puis des mauvaises notes » (2.14.B). Ensuite, les résultats indiquent une relation étroite entre les expériences négatives rapportées et la scolarisation en classe ordinaire. De plus, il existe une nette association entre ce type de classe et les pratiques de gestion de classe perçues inefficaces ; ces dernières étant fortement liées aux expériences négatives. Ces constats généraux se retrouvent en trame de fond dans l’ensemble des résultats subséquents.

5.1 L’influence perçue des pratiques de gestion de classe du personnel enseignant sur l’expérience scolaire d’élèves présentant des difficultés comportementales

En cohérence avec les objectifs de la recherche, les analyses se sont avant tout concentrées sur le rôle des pratiques de gestion de classe, sans tenter de dresser un portrait exhaustif de tous les facteurs qui influencent l’expérience à l’école des participant⋅e⋅s. En conformité avec le cadre théorique, les analyses ont aussi permis d’identifier d’autres facteurs personnels, comportementaux et environnementaux interagissant dans la relation entre les pratiques de gestion de classe et l’expérience scolaire. L’influence perçue de la gestion de classe sur leur expérience scolaire se décline ainsi en deux grandes catégories. Notons que les perceptions des élèves présentant des difficultés comportementales concernant l’efficacité des pratiques de gestion de classe ont fait l’objet d’un autre article (Bernier, 2021).

5.1.1 Les pratiques de gestion de classe perçues inefficaces par les élèves présentant des difficultés comportementales tendent à influencer négativement leur expérience scolaire

Leurs propos mettent en évidence comment l’utilisation de pratiques de gestion de classe inefficaces peut nuire à la qualité de leur expérience scolaire. Tout d’abord, elles⋅ils mettent en lumière l’influence considérable que peut avoir un⋅e seul⋅e enseignant⋅e sur celle-ci. Certain⋅e⋅s rapportent que le fait de rencontrer un⋅e enseignant⋅e qui gère peu efficacement sa classe a une réelle incidence sur leur parcours scolaire (par exemple, redoublement, placement, classement), comme le souligne ce participant : « Personne l’écoutait, personne. Je me rappelle, je sais pas si c’est un hasard, mais quatre ou cinq de cette classe-là, on est allé en adaptation scolaire ou en présecondaire là. » (2.15.B) Il semble aussi que le fait d’avoir un⋅e enseignant⋅e qui utilise surtout des pratiques punitives comme le retrait, l’isolement, les retenues et les suspensions, produise des effets très néfastes sur divers facteurs associés à leur expérience scolaire, comme leurs comportements, leur parcours et leur rendement scolaire :

Bien, j’étais toujours au retrait, ça fait que j’aime pas le prof là. Ça me porte pas non plus à aimer l’école, parce que tu t’en vas voir ce prof-là. Ça fait que t’es comme, j’ai pas envie d’y aller. C’est à cause de ça que j’ai commencé à choker [m’absenter]. J’ai pas passé mon année justement parce que j’étais plus souvent au retrait ou en train de choker mon cours. Ça fait que, j’ai été mis dehors de l’école, puis je suis rendu ici [classe d’adaptation scolaire], puis depuis le début de l’année, bien ça va bien.

2.16.C-2

Les témoignages des participant⋅e⋅s montrent que le recours à des pratiques perçues inefficaces tend à accélérer leur exclusion vers les classes d’adaptation scolaire. Certain⋅e⋅s se rappellent très bien d’événements traumatisants vécus impliquant des interventions punitives, agressives ou exclusives. Ces interventions ont eu des effets très négatifs sur leur expérience en classe ordinaire où plusieurs d’entre elles⋅eux se sentaient exclu⋅e⋅s de l’intérieur :

En 6e année, j’avais un gros problème. Je me suis fait sortir de la classe. J’avais plus le droit de rentrer. Là, ils m’ont mis dans un coin avec un paravent, ça fait que personne pouvait me voir ou venir me déranger. J’avais pas le droit de rentrer dans la classe. […] Genre, c’était un coin dans le corridor. Tu sais, c’était l’hiver, on voyait rien. C’était noir. […] Ça fait en sorte que je veux plus sortir dans d’autres pièces. À mettons, ils vont me proposer de changer de local parce que j’ai de la misère, je veux pas. Je veux rester dans ma classe. J’aime pas ça, j’ai jamais aimé ça. […] Je trouvais ça plate, parce que tu sais, il y a du monde qui était dans la classe, puis qui s’amusait, puis moi j’étais dans mon trou, puis, j’avais pas d’amis à cette école-là, je parlais vraiment à personne.

2.15.D

Par ailleurs, les attitudes des enseignant⋅e⋅s influencent la manière dont les élèves se comportent. Cette influence assez forte semble gouvernée par le principe de réciprocité, très dominant dans les propos des participant⋅e⋅s. Ce principe, souvent exprimé à la négative, se résume avec simplicité : si l’enseignant⋅e adopte des attitudes négatives (par exemple crier, critiquer, insister, manquer de respect et de patience, être trop sévère, voire agressif⋅ve ou injuste, menacer les élèves, confronter, rejeter, intervenir en public), l’élève aura tendance à moins bien se comporter (par exemple évitement, opposition, provocation, réplique), alors que, si elle⋅il adopte des attitudes positives (par exemple être agréable, ouvert⋅e, à l’écoute, gentil⋅le, souriant⋅e, heureux⋅se, énergique, authentique et honnête), l’élève aura tendance à bien se comporter (par exemple engagement, respect, motivation). Ainsi, elles⋅ils reconnaissent que le choix des techniques et stratégies utilisées par les enseignant⋅e⋅s et les attitudes qu’elles⋅ils adoptent ont une influence directe sur leur expérience à l’école :

Personnellement, je le sais que des fois ils utilisent pas la bonne technique. Puis s’ils utilisent pas la bonne technique, je vais juste avoir le goût de les faire chier encore plus. En fait, moi j’ai un principe avec les enseignants, c’est : si tu es correct avec moi, je vais être correcte avec toi. Mais si tu me fais chier, je vais te faire chier aussi, puis ça va être la même affaire, ça va être égal.

1.15.B

Selon les participant⋅e⋅s, les comportements des élèves sont souvent une réplique ou une réponse aux comportements adoptés par les enseignante⋅s et ceux des élèves influencent aussi l’expérience des enseignant⋅e⋅s : « C’était plus moi qui étais le côté négatif de l’expérience des profs. » (2.14.D) La relation entre les pratiques de gestion de classe des enseignant⋅e⋅s et les comportements des participant⋅e⋅s est aussi teintée par un vif sentiment d’injustice qui amène la majorité d’entre elles⋅eux à se sentir rejeté⋅e⋅s, à croire que c’est toujours de leur faute (bouc émissaire), qu’on leur manque de respect, qu’on ne les croit pas et ne les prend pas au sérieux. L’injustice ressentie catalyse la relation entre les pratiques perçues inefficaces et les expériences scolaires négatives :

Quand que j’étais au régulier, c’était tout le temps moi qui sortais ou ben c’était tout le temps moi la faute. […] Des fois c’était injuste là. Tu sais, des fois quelqu’un faisait une affaire, mais c’était moi qui étais chicané. […] J’étais fâché. Tu sais, j’essayais de dire que c’était pas vrai, mais des fois, ça marchait pas là, parce que genre, il y en a deux ou trois qui disaient ça, puis il y avait juste moi qui disais que c’était pas vrai…

2.17.D

5.1.2 Les pratiques de gestion de classe perçues efficaces par les élèves présentant des difficultés comportementales tendent à influencer positivement leur expérience scolaire

Leurs témoignages mettent en évidence l’influence positive que peuvent avoir les enseignant⋅e⋅s qui utilisent des pratiques de gestion de classe perçues efficaces sur leur expérience scolaire. De fait, les pratiques visant à développer des relations positives (par exemple lien maitre-élève significatif) semblent avoir une influence déterminante :

Tu vas trouver une année plate parce que tu t’entends pas bien avec ton prof. Tu vas adorer ton année parce que tu t’entends bien avec ton prof. Tu sais, il gère bien, il fait des bons cours, il fait des belles activités, ça on aime bien.

2.15.D

De plus, le fait d’offrir des explications supplémentaires et de l’aide opportune, de s’engager activement dans la réussite des élèves, d’essayer de les comprendre plutôt que de les punir, de les encourager, de les soutenir et de leur proposer des activités motivantes, variées et stimulantes et d’avoir le sens de l’humour, tend à influencer positivement leur expérience scolaire. En général, ces pratiques les amènent à se sentir compris⋅es, respecté⋅e⋅s et écouté⋅e⋅s : « Des fois, ils utilisent vraiment les bonnes techniques. Puis, genre, c’est pas que je me sens bien, mais je me sens compris, puis écouté quand qu’ils utilisent la bonne technique. » (1.15.D) De plus, selon elles⋅eux, ces pratiques ont une influence positive sur leur rendement, leur bien-être et leur motivation à l’école, comme le mentionne cette participante qui rappelle toutefois que ces méthodes, quoi qu’efficaces, ne fonctionnent pas toujours (par exemple, si l’élève ne veut pas collaborer) :

Je me sens bien [quand les enseignants utilisent les bonnes stratégies avec moi], mais ça dépend encore comment que je suis. S’ils utilisent les bonnes stratégies, mais que moi je ne veux pas, je vais pas collaborer. Si je suis fâchée, mais qu’en même temps j’ai encore conscience, je vais essayer de collaborer.

1.15.B

La majorité affirme cependant que, même si les enseignant⋅e⋅s avaient utilisé de meilleures pratiques de gestion de classe, elles⋅ils n’auraient pas pu poursuivre leur scolarité en classe ordinaire. Le cas échéant, elles⋅ils estiment qu’elles⋅ils auraient eu encore plus de difficultés, tant sur le plan des comportements que des apprentissages, et qu’elles⋅ils auraient peut-être même décroché de l’école : « Je pense que, pour vrai, si j’étais resté au régulier, je serais encore bordélique, puis je ferais n’importe quoi, je trouve ça bien que j’ai changé d’école. » (2.15.D) À l’inverse, quelques participant⋅e⋅s croient plutôt que l’utilisation de pratiques plus efficaces en classe ordinaire leur aurait permis d’y rester :

J’aurais très bien pu [rester au régulier], ça aurait bien été, mais au régulier, ça marchait pas avec les profs. J’avais vraiment besoin de profs qui m’écoutent, qui sont attentifs à moi, puis à comment j’agis. J’aurais certainement pu rester au régulier si y’auraient utiliser les techniques qu’ils utilisent ici [en adaptation scolaire]. Ici, c’est vraiment genre basé sur la personnalité de l’élève, puis régler les problèmes que l’élève a, avant de régler les problèmes scolaires qu’il a. C’est vraiment l’élève avant le scolaire.

1.15.D

Bref, les pratiques de gestion de classe perçues efficaces tendent à influencer positivement l’expérience scolaire des participant⋅es ainsi que leur parcours, leur rendement et leur bien-être. Enfin, les analyses, quoique centrées sur le lien entre les pratiques de gestion de classe (facteur environnemental) et la qualité de l’expérience scolaire des participant⋅es, mettent aussi en évidence des influences réciproques avec : 1) des facteurs environnementaux, comme le type de classe fréquenté (par exemple ordinaire ou d’adaptation scolaire) et les relations interpersonnelles (avec les enseignant⋅es ou les pairs) ; 2) des facteurs personnels, comme les attitudes envers l’école (par exemple positives ou négatives), le rendement (réussites ou échecs), les changements d’école (souvent nombreux) et les redoublements et vécus émotionnels (par exemple sentiments d’injustice ou d’appartenance) ; 3) des facteurs comportementaux, comme l’engagement ou l’évitement scolaire des élèves présentant des difficultés comportementales. L’ensemble de ces influences mutuelles, incluant celles associées aux pratiques de gestion de classe, jouent donc un rôle dans la qualité de l’expérience scolaire des participant⋅e⋅s.

5.2 Les perceptions d’élèves présentant des difficultés comportementales concernant l’accessibilité à la classe ordinaire : intentions, capacités et enjeux relatifs à leur réintégration au secteur régulier

L’accessibilité à la classe ordinaire a été documentée du point de vue de celles⋅ceux qui en sont exclu⋅e⋅s, puisque tou⋅te⋅s les participant⋅e⋅s étaient scolarisé⋅e⋅s en classe d’adaptation scolaire au secondaire au moment des entrevues. Il a donc été possible de documenter plusieurs obstacles et leviers, tel qu’elles⋅ils les voient et les vivent. Conformément au cadre théorique, les principaux enjeux ayant émergé du discours des participante⋅s sont d’ordre personnel (43 %), environnemental (40 %) et comportemental (17 %). Elles⋅ils ont davantage nommé des conditions entravant leur réintégration (66 %) que de conditions la facilitant (33 %), ce qui tend à confirmer les nombreuses difficultés rencontrées pour (ré)accéder à la classe ordinaire.

5.2.1 Intention de réintégrer la classe ordinaire

Cinq participants⋅e⋅s souhaitaient réintégrer la classe ordinaire, six aimeraient mieux ne pas y retourner et trois étaient indécis⋅es. Il est important de souligner que plusieurs n’avaient jamais fréquenté une classe ordinaire au secondaire (ayant commencé à fréquenter la classe d’adaptation scolaire au primaire), ce qui peut avoir teinté leurs intentions. Trois des six participant⋅e⋅s qui ne souhaitent pas retourner en classe ordinaire au secondaire désiraient plutôt se tourner vers la formation aux adultes ou la formation professionnelle. Enfin, la majorité estime vivre une expérience beaucoup plus positive en classe d’adaptation scolaire et ont des souvenirs assez négatifs de leur passage en classe ordinaire, influençant sans doute leurs intentions d’y retourner :

Ce qui m’a aidé le plus, c’est vraiment mon chemin scolaire, être ici [adaptation scolaire] dans le fond. Je reste ici par mon propre choix, parce que justement à cette école-là, on a comme du sport, puis on peut plus bouger que dans une école régulière. Puis, ça m’a aidé à avoir plus d’estime en moi, puis pouvoir m’aider plus dans les travaux, parce que j’étais pas bon au début là.

2.16.D

5.2.2 Capacité perçue à réintégrer la classe ordinaire

Tou⋅te⋅s les participant⋅e⋅s ont été questionné⋅e⋅s sur leur capacité perçue à réintégrer la classe ordinaire, sans égard à leur intention à ce sujet. Huit d’entre elles⋅eux s’estiment capables d’y accéder, cinq ne se perçoivent pas en mesure d’y parvenir et un ne sait pas du tout s’il en serait capable.

5.2.3 Enjeux relatifs à leur réintégration au secteur régulier

Les participant⋅e⋅s se sont tou⋅te⋅s exprimé⋅e⋅s sur divers enjeux relatifs à leur (potentielle) réintégration en classe ordinaire. Ceux-ci ont été classés en trois catégories et sont présentés, dans les tableaux 2, 3 et 4, en ordre d’importance dans leur discours.

Tableau 2

Enjeux personnels relatifs à la réintégration

Enjeux personnels relatifs à la réintégration

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Tableau 3

Enjeux environnementaux relatifs à la réintégration

Enjeux environnementaux relatifs à la réintégration

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Tableau 4

Enjeux comportementaux relatifs à la réintégration

Enjeux comportementaux relatifs à la réintégration

Note. CPFC : Cheminement particulier de formation continue et FMS : Formation à un métier semi-spécialisé

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Plusieurs enjeux relatifs à la réintégration sont donc directement liés à l’efficacité perçue des pratiques de gestion de classe. Alors que le recours aux pratiques efficaces est nécessaire pour accroitre l’accès à la classe ordinaire, ces pratiques ne semblent pas garantir cet accès. Enfin, les témoignages des participante⋅s montrent que les enjeux entourant leur scolarisation vont clairement au-delà de la gestion de classe.

5.2.4 Au-delà de la réintégration, la réussite scolaire : autres voies d’accès à la diplomation

Les discours des participant⋅e⋅s montrent que les parcours de l’adaptation scolaire au secondaire tendent davantage à les orienter vers la formation aux adultes ou la formation professionnelle que vers la formation générale des jeunes (secteur régulier). Or, tou⋅te⋅s les participant⋅e⋅s souhaitaient obtenir leur diplôme d’études secondaires, malgré les embuches et les efforts que cela représente pour elles⋅eux et dont elles⋅ils sont conscient⋅e⋅s. Ainsi, même si elles⋅ils préfèrent la classe d’adaptation scolaire, elles⋅ils sont presque tou⋅te⋅s d’avis qu’il s’agit d’une sorte de cul-de-sac à la diplomation d’où il leur faudra sortir si ellesils veulent obtenir leur diplôme d’études secondaires : « Je veux avoir un diplôme du secondaire. Puis, pour ça, il faut le secondaire 5. [En adaptation scolaire], ça amène juste à avoir un diplôme [qualification] comme quoi que tu as fait ta formation préparatoire au travail 1, 2 et 3. » (1.16.B) Ainsi, plusieurs estiment que la formation aux adultes soit la seule façon d’obtenir leur diplôme, ce qui soulève plusieurs questions considérant, entre autres, leur âge et leurs grandes difficultés de comportement et d’apprentissage. Cela dit, le fait d’avoir un but précis ou un projet d’avenir semble influencer l’intention des participant⋅e⋅s par rapport à la diplomation et, par conséquent, leur motivation à y parvenir :

Avant, j’avais pas vraiment de but. Puis là, j’ai un but, c’est de me rendre en FMS, pour faire mon secondaire. Ça fait qu’il faut que je travaille. Ça fait que je dérange moins, j’essaie de me concentrer à mon but. […] Je souhaite d’avoir mon secondaire. Si je suis tannée, je vais peut-être aller aux adultes puis continuer puis avoir un diplôme ou avoir un diplôme d’études professionnelles puis faire autre chose, avoir plein d’opportunités. Ça serait l’fun.

1.15.B

6. Discussion

Cette recherche avait pour objectifs de décrire l’influence perçue par des élèves présentant des difficultés comportementales des pratiques de gestion de classe sur leur expérience scolaire et de documenter leurs perceptions concernant l’accessibilité à la classe ordinaire. Les résultats permettent de dresser des constats qui s’inscrivent en cohérence avec la littérature scientifique dans le domaine.

6.1 Expérience scolaire d’élèves présentant des difficultés comportementales : la juste part qui revient aux pratiques de gestion de classe

Loin d’être le seul facteur déterminant l’expérience scolaire des élèves présentant des difficultés comportementales, les pratiques de gestion de classe exercent une influence indéniable, mais somme toute relative, sur l’expérience scolaire des participant⋅e⋅s. L’adaptation du modèle de causalité triadique réciproque met en évidence plusieurs autres influences dynamiques entre les facteurs personnels, comportementaux et environnementaux associés à l’expérience de ces élèves. Il semble ainsi que ce soit bel et bien la somme de tous ces facteurs qui influence la qualité de l’expérience scolaire, malgré que les pratiques de gestion de classe semblent en expliquer une bonne partie. Il est aussi important de préciser que les trois catégories de facteurs s’influencent entre eux. Dans ce contexte, une des limites du modèle retenu demeure la difficulté à déterminer avec certitude le sens de la causalité dans tous les cas, puisque tous ces facteurs s’influencent de manière bidirectionnelle, complexe, constante et avec des intensités variables d’un⋅e élève à l’autre. Pour pallier cette limite, l’ajout d’une composante de temps permettrait de mieux comprendre l’évolution de ces influences chez les élèves et, ainsi, d’en préciser le sens.

Bien qu’il soit difficile d’isoler la seule influence des pratiques de gestion de classe sur l’expérience scolaire, les résultats représentent tout de même une avancée significative dans notre compréhension de celle-ci. Ainsi, les pratiques de gestion de classe perçues efficaces tendent à influencer positivement l’expérience des participant⋅e⋅s, alors que celles perçues inefficaces tendent plutôt à l’influencer négativement. Ces résultats s’inscrivent en cohérence avec des études ayant obtenu des résultats similaires (Tran, 2015). Deux catégories de pratiques semblent exercer une influence prépondérante sur l’expérience scolaire : celles visant à développer des relations positives, d’ordinaire perçues efficaces, apparaissent très bénéfiques alors que les pratiques punitives visant à exclure, d’habitude perçues inefficaces, s’avèrent très néfastes pour la qualité de l’expérience scolaire. La qualité des relations interpersonnelles, qui constitue une composante importante de la gestion de classe, représente donc un enjeu central lié à la qualité de l’expérience scolaire et au succès de la scolarisation des élèves présentant des difficultés comportementales en classe ordinaire (Stanforth et Rose, 2018). Les résultats de cette recherche s’ajoutent à toutes celles ayant démontré, sous d’autres angles, les effets néfastes des pratiques punitives, agressives ou exclusives (Boudreault, Lessard et Guay, 2019). De surcroit, ce type de pratiques contribue d’emblée au grand sentiment d’injustice vécu par les élèves, vivement alimenté par les biais cognitifs de certain⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s qui mettent davantage en doute les élèves présentant des difficultés comportementales et ont souvent tendance à être plus sévères avec elles⋅eux qu’avec leurs pairs sans difficulté (Kennedy-Lewis et Murphy, 2016).

Tout compte fait, il importe de relativiser le réel pouvoir des pratiques de gestion de classe sur le parcours scolaire de ces élèves. Par exemple, elles⋅ils sont nombreux⋅ses à affirmer qu’elles⋅ils n’auraient pas pu poursuivre leur cheminement en classe ordinaire même si les enseignant⋅e⋅s avaient utilisé des pratiques plus efficaces auprès d’elles⋅eux. Les pratiques de gestion de classe efficaces s’avèrent donc essentielles, mais souvent insuffisantes pour maintenir les élèves en classe ordinaire. En plus de celles-ci, il semble aussi important de s’intéresser aux perceptions, aux attitudes et aux croyances des différent⋅e⋅s acteur⋅rice⋅s impliqué⋅e⋅s, à l’organisation des services offerts aux élèves présentant des difficultés comportementales du régulier ainsi qu’aux ressources, à la collaboration et au soutien offert aux enseignant⋅e⋅s des classes ordinaires (Rousseau et coll., 2017). Les résultats montrent cependant que le recours aux pratiques de gestion de classe efficaces tend à ralentir l’exclusion des élèves vers les classes d’adaptation scolaire. Malgré de bonnes intentions inclusives, la classe ordinaire, dans certains cas, semble se transformer en machine à exclure alimentée par des pratiques de gestion de classe punitives et négatives qui contribuent sans équivoque aux problèmes rencontrés par rapport à la scolarisation des élèves présentant des difficultés comportementales en classe ordinaire et ont pour effet d’accélérer leur placement en classe spécialisée. Ces résultats pourront être utilisés comme levier, en formation initiale et continue, afin de sensibiliser les enseignant⋅e⋅s aux nombreux effets potentiels de leurs pratiques de gestion de classe sur l’expérience scolaire de ces élèves.

6.2 Accessibilité à la classe ordinaire et enjeux relatifs à la réintégration : des éléments incontournables

D’entrée de jeu, il est important de souligner que cette étude confirme des résultats obtenus dans des recherches australiennes, étasuniennes et britanniques qui montraient que l’expérience scolaire des élèves présentant des difficultés comportementales est globalement assez négative, et ce, encore plus en classe ordinaire, alors qu’elle tend à être plus positive en classe d’adaptation scolaire (Graham et coll., 2016). Dans ce contexte, les propos des participant⋅e⋅s ont permis d’élargir notre compréhension de leur vécu en identifiant plusieurs enjeux et conditions liés à l’accessibilité à la classe ordinaire et au succès de leur réintégration, et ce, malgré que la majorité d’entre elles⋅eux ne souhaitent pas réintégrer la classe ordinaire au secondaire. Cela peut, en partie, s’expliquer par le fait que plusieurs difficultés et besoins exprimés seraient difficiles à combler en classe ordinaire où, notamment, le ratio élèves-enseignant⋅e est plus élevé. De plus, le fait que les participant⋅e⋅s aient été scolarisé⋅e⋅s en classes d’adaptation scolaire pendant plusieurs années (en moyenne 3 ans) tend à montrer que la facilité à réintégrer le secteur régulier diminue en fonction du temps passé en dehors de celui-ci.

Les résultats mettent aussi en avant un paradoxe intéressant. D’une part, les quelques participant⋅e⋅s qui indiquent vouloir réintégrer la classe ordinaire ne se perçoivent toutefois pas capables d’y parvenir. D’autre part, celles⋅ceux qui mentionnent ne pas vouloir réintégrer la classe ordinaire se perçoivent pourtant capables d’y parvenir. Ces deux profils mènent au même résultat : les participant⋅es ne réintègreront pas la classe ordinaire, ce qui représente en quelque sorte un double revers pour l’éducation inclusive. Alors que la réticence de la classe ordinaire aux élèves présentant des difficultés comportementales est assez bien documentée (Conseil supérieur de l’éducation, 2017), les résultats révèlent aussi une résistance de ces élèves à son endroit.

La scolarisation des élèves présentant des difficultés comportementales en classe ordinaire continue de soulever plusieurs défis au Québec où le modèle intégratif est encore en vigueur. Dans ce contexte, les enjeux liés à la réintégration au secondaire ont pu être documentés auprès de celles⋅ceux qui en ont été exclu⋅e⋅s. Les témoignages des participant⋅e⋅s ont fait émerger 12 enjeux qui recoupent plusieurs de ceux identifiés dans la littérature. Les résultats confirment l’importance des relations enseignant⋅e-élève positives, des pratiques enseignantes efficaces, du soutien individuel en classe, de la préparation de l’élève à la réintégration et d’une réintégration planifiée, pas improvisée (Carignan, Massé et Lanaris, 2007). De plus, ils viennent bonifier de manière significative notre compréhension des enjeux personnels liés au succès de la réintégration, parfois mis à l’écart au profit des enjeux environnementaux et comportementaux, tels qu’identifiés dans la recension des écrits de Beaudoin et Nadeau (2020). Ainsi, deux enjeux personnels apparaissent très importants : 1) la volonté et la maturité de l’élève ; 2) ses sentiments négatifs de peur, de crainte et d’appréhension. Ces enjeux influencent le succès de la réintégration, puisqu’il sera très difficile d’intégrer et de maintenir un⋅e élève présentant des difficultés comportementales en classe ordinaire si elle⋅il ne souhaite pas y être ou si elle⋅il s’y sent mal. D’une part, cette étude permet donc de circonscrire un peu mieux les limites liées à la scolarisation de ces élèves en classe ordinaire et invite à la prudence quant à la généralisation de ses avantages (Rousseau et coll., 2015). D’autre part, elle identifie aussi de nombreuses pistes d’intervention susceptibles d’aider le personnel scolaire à mieux accueillir les élèves présentant des difficultés comportementales en classe ordinaire. Enfin, les futures recherches devraient s’intéresser de plus près au processus de réintégration ainsi qu’à l’évolution des enjeux en accompagnant des élèves à chacune de ses étapes.

7. Conclusion

Certaines limites invitent à analyser et interpréter les résultats avec précaution et nuance. La taille de l’échantillon de participant⋅e⋅s (N = 14) et leurs caractéristiques relativement homogènes (âge similaire, présence de difficultés comportementales significatives, tou⋅te⋅s en classe d’adaptation scolaire) ne permettent pas de généraliser leurs perceptions à la diversité des élèves présentant des difficultés comportementales. Il est aussi probable qu’une certaine forme de désirabilité sociale ait pu influencer certains résultats, comme pour les questions concernant la diplomation. Sans vouloir extrapoler les résultats de cette recherche à l’ensemble des élèves présentant des difficultés comportementales, ceux-ci témoignent tout de même de la réalité quotidienne vécue à l’école par plusieurs d’entre eux et nous offrent des pistes prometteuses pour l’améliorer.

De nos jours, la scolarisation de ces élèves continue de poser des défis importants aux milieux scolaires qui devront être créatifs et innovants afin de parvenir à favoriser leur présence en classe ordinaire. Témoignant d’un vécu assez négatif à l’école et d’une nette préférence pour les classes d’adaptation scolaire, le chemin menant à leur réussite en classe ordinaire est encore parsemé de plusieurs embuches. Dans ce contexte, les perceptions des élèves nous fournissent des pistes de réflexion et d’action fort pertinentes à explorer afin de favoriser leur développement, leur bien-être et leur pleine participation en classe ordinaire. Enfin, puisque les pratiques de gestion de classe des enseignant⋅e⋅s représentent un déterminant significatif de l’expérience scolaire des élèves présentant des difficultés comportementales, elles méritent que l’on continue à s’y intéresser afin de faire émerger celles qui s’avèrent les plus efficaces.