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Introduction

Le Cadre européen commun de référence pour les langues ou CECRL (Conseil de l’Europe, 2001) est un document de référence pour l’apprentissage, l’enseignement et l’évaluation des langues. Son influence au Canada est assez récente. C’est en 2010 que le Conseil des ministres de l’Éducation (CMEC, 2010) a trouvé « appropriée » l’initiative d’utiliser ce Cadre dans un contexte canadien. Plusieurs recherches décrivent les utilisations du CECRL au préuniversitaire dans ce contexte (Arnott et coll., 2017). À l’université, il est difficile de savoir précisément ce que font les institutions puisqu’elles ont chacune leur autonomie (Arnott et coll., 2017). Nous avons donc voulu savoir quelle est l’influence du CECRL sur l’enseignement du FLS à l’université à l’échelle du Canada afin de permettre aux départements qui veulent se renouveler de prendre des décisions éclairées sur l’utilisation de ces outils.

Revue de la littérature

Le CECRL

Le CECRL (2001) et son complément (2018) proposent des descripteurs de compétences globaux et analytiques, échelonnés en six niveaux pour quatre types d’activités langagières orales et écrites : la production, la réception, l’interaction et la médiation. Le Cadre propose aussi une conceptualisation de la compétence langagière comme étant composée de « compétences générales et communicatives » activées stratégiquement par l’apprenant lors de l’accomplissement de tâches (Conseil de l’Europe, 2001 : 7). L’objectif général adopté est le plurilinguisme et le pluriculturalisme. L’individu plurilingue et pluriculturel apprend à puiser, dans toutes les langues qu’il connait, des ressources cognitives et linguistiques en situation afin de s’exprimer et de comprendre un interlocuteur (Conseil de l’Europe, 2001 : 11). Sur le plan pédagogique, une préférence semble être accordée à une approche fortement communicative à travers la notion centrale de tâche actionnelle (Little, 2006 : 169).

Le portfolio européen des langues, développé parallèlement au CECRL, en illustre les concepts principaux en favorisant le développement de l’autonomie de l’apprenant (Little, 2006 : 177).

Les critiques du CECRL

Le CECRL a reçu plusieurs critiques, surtout en Europe : des incertitudes sur la validité des niveaux (Hulstijn, 2007 ; Alderson, 2007 ; Deygers et coll., 2018), des inquiétudes sur le manque de soubassements théoriques (Puren, 2007 ; Delouis, 2008), un style lourd (Alderson, 2007 ; Delouis, 2008 ; Figueras, 2012), une trop forte orientation utilitaire et concentration sur la communication aux dépens de l’action (Delouis, 2008 ; Lefranc, 2014 ; Maurer & Puren, 2019), des lacunes pédagogiques (Griggs, 2009 ; Richer, 2012), et finalement la menace que représente toute entreprise de standardisation (Fulcher, 2004).

Le CECRL à l’université en Europe

Concernant l’utilisation du CECRL à l’université en Europe, Little (2012) suggère que sa pertinence est surtout sur le plan de la définition des objectifs des programmes et du développement de l’autonomie de l’apprenant. Le lent impact du CECRL à l’université peut s’observer à travers les publications dans le journal Language Learning in Higher Education émanant de trois séminaires du CercleS CEFR/ ELP (2009, 2011 et 2015), une confédération d’associations s’intéressant à l’enseignement des langues et des cultures au niveau universitaire dans 22 pays européens.

Le CECRL à l’université au Canada

Depuis 1996, alors que Citoyenneté et Immigration Canada publie les Canadian Language Benchmarks (CLB) pour l’anglais langue seconde, puis les Niveaux de compétence linguistique canadiens (NCLC) pour le FLS, le Canada dispose déjà d’un cadre national de compétences linguistiques pour adultes pour quatre compétences (production orale et écrite, et compréhension orale et écrite). Le Québec a élaboré son propre cadre pour le FLS en s’inspirant des NCLC : l’« Échelle québécoise des niveaux de compétences en français pour les personnes immigrantes adultes » (Gouvernement du Québec, 2011 : 4). North et Piccardo (2018) remarquent qu’alors que les deux référentiels canadiens et le CECRL ont été développés sans collaboration, leurs orientations conceptuelles et pédagogiques se ressemblent.

Quelques publications canadiennes nous renseignent sur les projets de chercheurs qui mettent en oeuvre certains aspects du CECRL à l’université, par exemple, les descripteurs (Rehner, 2014), le portfolio (Baranowski, 2015) ou l’approche actionnelle (Lebel et coll., 2018). L’étude de Wernicke (2014 dans Arnott et coll., 2017) nous indique que l’influence du Cadre se faisait ressentir surtout chez les professeurs de français, d’allemand et d’espagnol. En 2019 et afin de pouvoir profiter de la richesse d’information que l’expérience confère, il nous reste à élucider la question de recherche suivante : quelles sont les initiatives informelles et personnelles ou les décisions prises dans les départements de FLS par rapport au Cadre à travers le Canada ?

Méthodologie

Contenu du sondage

Nous avons créé un sondage en grande partie qualitatif sur le site SurveyMonkey. La participation était volontaire, confidentielle et anonyme. Le sondage était offert en français et comprenait quatre sections. Premièrement, les participants devaient répondre à des questions à choix multiples nous permettant de mieux connaitre leur profil. Les sections suivantes du sondage portaient sur l’impact du CECRL sur le programme de FLS dans lequel enseignaient les participants, l’impact du Cadre sur leurs pratiques pédagogiques (approches adoptées, manuels utilisés, types d’évaluations, stratégies enseignées, intégration des éléments phares du CECRL…) et leur opinion sur la pertinence du CECRL et sur les objectifs des cours de FLS à l’université. Cet article se concentre uniquement sur les résultats en rapport avec l’influence du CECRL sur les programmes et les pratiques et vise à permettre aux Départements qui veulent se renouveler de prendre des décisions éclairées sur l’utilisation de ces outils. Au sein de notre sondage, cette thématique représente 18 questions fermées et 8 questions ouvertes.

Procédure

Notre projet d’étude a été approuvé par le sous-comité d’évaluation éthique de l’Université York et de l’Université de Toronto[2] à l’été 2018. À l’automne 2018, nous avons envoyé une version pilote du sondage à quatre collègues, choisis pour leur expertise en enseignement du FLS. Cette consultation nous a permis de clarifier certaines questions. Début mars 2019, nous avons envoyé notre sondage par courriel à toutes les unités d’enseignement du FLS des universités canadiennes que nous avons pu recenser (95 établissements). Espérant une rediffusion ciblée, nous avons invité toutes les personnes ayant enseigné le FLS à l’université au Canada depuis 2010. Nous avons également utilisé la liste de diffusion de l’Association canadienne de linguistique appliquée (ACLA) pour lancer une seconde invitation, début avril 2019. Le sondage était ouvert jusqu’au 30 avril 2019. Nous avons eu 65 participants qui n’ont pas tous répondu à l’ensemble des 34 questions. Nous avons analysé même les questionnaires incomplets.

Caractéristiques de l’échantillon de participants

Concernant le niveau d’expérience des participants en enseignement du FLS, sur les 50 personnes ayant répondu à cette question, 42 (84 %) se considèrent « confirmée » ou « experte » en la matière, comme le montre le tableau ci-dessous. Quant à leur connaissance du CECRL, 75,51 % (37) la jugent « bonne » ou « excellente ».

Sur les 50 répondants à la question de localisation géographique de leur institution, 22 (43,14 %) enseignaient en Ontario, 10 (19,61 %) au Québec et les 18 autres étaient répartis dans les autres provinces à l’exception de la Saskatchewan et de Terre-Neuve et Labrador (Fig. 1).

Fig. 1

Province où enseignent les participants

Province où enseignent les participants

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Notre échantillon était composé de 50 % de professeurs permanents, 10 % de professeurs en voie de permanence et 40 % de professeurs contractuels.

Analyse des données

Nous avons adopté l’approche générale d’analyse inductive des données décrite par Blais et Martineau (2006). Afin de procéder au codage des données qualitatives, nous avons eu recours au logiciel Dedoose. Nous avons ensuite procédé à une vérification de la clarté des catégories codées (Thomas, 2006) afin de limiter la variation entre le codage des deux chercheuses et d’assurer une cohérence dans nos interprétations.

Résultats et interprétation

Cette section est organisée en paragraphes qui reprennent les thèmes abordés dans le questionnaire. Les graphiques permettent de visualiser l’intitulé de la question posée dans le questionnaire, les réponses possibles et le nombre de réponses reçues. Le format des questions était fermé, sauf lorsque nous le mentionnons spécifiquement en rapportant le résultat.

L’influence générale du CECRL au niveaudépartemental

Sur les 50 répondants sur l’impact général du CECRL, 31 (62 %) ont indiqué que celui-ci en avait un.

En réponse à une question ouverte sur l’impact général du CECRL au niveau départemental, nos participants mentionnent la création de cours et de curriculums, et la gestion du placement des élèves en fonction de leurs niveaux. Le CECRL est aussi parfois vu comme source de débat au sein des départements. Un participant rapporte : « Le CECRL est sujet de débat, car il y a au Québec l’Échelle québécoise des niveaux de compétence, et il est difficile pour nous de trouver un équilibre entre les deux » (participant 47). D’autres répondants font référence au Diplôme d’études en langue française (DELF) et rapportent que celui-ci permet « d’aider à évaluer et guider nos étudiants » (participant 23) qui sont de plus en plus nombreux à l’avoir passé dans le secondaire ou dans un autre pays avant d’arriver à l’université. Le Cadre semble aussi permettre de formuler les « objectifs d’apprentissage » et de mettre en place « une évaluation rigoureuse et détaillée » (participant 16) tout en permettant une standardisation des niveaux et une ouverture à la diversité francophone. Finalement, un participant témoigne que l’enseignement qui découle du CECRL permet de distinguer deux catégories d’étudiants : « ceux qui ne croient pas avoir besoin de faire du français à l’université parce qu’ils ont réussi le niveau B2 à la fin de leurs études scolaires et ceux qui souffrent d’une grande insécurité linguistique » (participant 60). Ces propos révèlent une nécessité de travailler sur la capacité d’auto-évaluation des étudiants et de leurs compétences ainsi que sur la valeur des niveaux du Cadre en fonction de leurs objectifs et de leurs besoins. D’où vient cette insécurité linguistique ? Est-ce que la réflexion métacognitive de l’apprenant, mise en avant par le Cadre, mène parfois à une insécurité face à ses compétences ? La recherche ne nous éclaire pas pour l’instant sur ce point.

La corrélation des niveaux

Dix-sept répondants sur 31 (54,84 %) ont déclaré que leur programme de FLS avait corrélé certains des niveaux de ses cours avec le CECRL. Neuf (29,03 %) ont déclaré avoir corrélé l’ensemble de leurs niveaux (Fig. 2).

Seuls 17 participants sur 65 ont répondu à notre question qui demandait plus de détails sur la corrélation. Nous remarquons tout de même que la majorité des programmes ayant corrélé leurs niveaux ont commencé la corrélation avec un niveau « débutant » (A1) en première année de cours offerts. Ceux qui ont corrélé l’ensemble de leurs niveaux déclarent atteindre un niveau expérimenté (C1 ou C2) en fin de programme, mais n’offrent pas toujours de cours de niveau débutant. Certains déclarent commencer au niveau intermédiaire. Ils dédient en général une année universitaire à l’étude d’un niveau tel que décrit par le Cadre, (soit deux semestres pour couvrir, par exemple, l’équivalent du niveau A1 : A1.1 + A1.2). Certains répondants ont indiqué adopter un rythme plus accéléré, ne dédiant qu’un semestre universitaire à chaque niveau. Reste à savoir combien d’heures hebdomadaires sont alors dédiées à l’enseignement du FLS.

Fig. 2

Corrélation des niveaux des cours de FLS offerts dans les programmes des répondants aux niveaux du CECRL

Corrélation des niveaux des cours de FLS offerts dans les programmes des répondants aux niveaux du CECRL

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L’impact du CECRL sur les pratiques enseignantes

Premièrement, nous avons souhaité savoir comment les participants s’inscrivent dans une perspective actionnelle. Vingt-huit personnes ont répondu. Toutes ont déclaré s’inscrire dans une perspective actionnelle ou adopter des éléments de celle-ci; onze avec l’utilisation d’un manuel actionnel, onze sans manuel actionnel et six ayant parfois travaillé avec et parfois sans.

Avec une question ouverte, nous avons demandé aux participants qui ont déclaré utiliser des manuels actionnels si ceux-ci répondaient aux besoins de leurs étudiants et en quoi. Presque tous les répondants ont identifié des aspects efficaces et inefficaces. Pour les éléments efficaces, les exercices et les tâches « toutes préparées » (participant 65) semblent être appréciés, car ils permettent « une meilleure mise en application des points de [sic] grammaire » (participant 43) et aident « beaucoup à fixer les notions apprises » (participant 52). Les activités sont décrites comme étant « variées » (participants 37 et 58) et correspondant aux besoins des apprenants surtout en compréhension et production orales. Les critiques touchent autant la forme que le fond. Plusieurs participants rapportent que le contenu des manuels n’est pas adapté au contexte universitaire canadien. Selon le répondant 7, le contenu :

convient mieux aux apprenants dont l’objectif est de pouvoir se débrouiller en français et dans un environnement francophone. […] Ce manuel ne convient pas à des étudiants universitaires qui voudraient faire des études avancées en français ou à ceux qui se destinent à l’enseignement du français.

Les activités et les sujets abordés ne sont « pas toujours pertinents avec le contexte des étudiants » (participant 19) et les manuels n’ont « pas tout le contenu nécessaire pour [sic] niveau universitaire » (participant 41). Certains manuels ont un contenu trop centré sur la France (participants 12 et 17). Enfin, une autre critique soulignée est que les manuels sont souvent conçus pour des apprenants anglophones, ce qui ne reflète pas toujours la réalité du public canadien (participant 8).

La notion de tâche dans une perspective actionnelle

Les débats autour de la définition de la tâche et de son intégration dans une séquence didactique sont nombreux. Afin de comprendre dans quelle perspective s’inscrivent nos participants, nous avons choisi d’utiliser dans une question fermée les deux approches décrites par North (2014 : 149) à savoir la distinction entre une approche orientée vers la tâche (la tâche est culminante, en fin de séquence de cours) et basée sur la tâche (la séquence de cours commence par la réalisation de la tâche).

Sur les 23 répondants, 10 (43,48 %) ont déclaré adopter une approche orientée sur la tâche, tandis que 9 (39,13 %) ont indiqué suivre une approche basée sur la tâche. Quatre répondants (17,39 %) ont indiqué suivre une « autre » approche par tâche (Fig. 3). Parmi ces 4 répondants, trois ont déclaré adopter les deux approches, en fonction des objectifs. Un participant a mentionné suivre l’approche d’Ellis, partant d’une lacune d’information à combler. Selon North (2014 : 150), les deux types d’approches sont justifiables, mais pour pouvoir mettre en oeuvre une approche basée sur la tâche, il faut que les apprenants aient déjà en grande partie les connaissances linguistiques nécessaires.

Fig. 3

Approche actionnelle adoptée (North, 2014)

Approche actionnelle adoptée (North, 2014)

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Quelle que soit l’approche adoptée, 96 % des répondants (23 sur 24) ont déclaré que le déroulement de leurs cours contenait une concentration explicite sur la forme. Le déroulement de ces séquences met, pour 67 % des répondants (16 sur 24), autant l’accent sur le meesage que sur la forme (Fig. 4).

Fig. 4

Concentration des séquences didactiques : forme ou message

Concentration des séquences didactiques : forme ou message

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Efficacité de l’approche par tâches adoptée

En réponse à une question ouverte sur l’efficacité de l’approche par tâches adoptée dans leurs cours, les participants se déclarent en majorité satisfaits. 14 répondants sur 20 ont jugé leur approche efficace et adaptée à leurs apprenants. Les tâches sont jugées efficaces lorsqu’elles correspondent au profil des apprenants; c’est-à-dire qu’elles sont « inscrites dans la vie quotidienne des apprenants » (participant 62), « bien intégrées dans l’actualité » (participant 48) ou encore, dans le cas d’apprenants immigrants, qu’elles correspondent aux tâches qu’« ils doivent être capable d’accomplir […] en français pour réussir leur intégration » (participant 47). L’approche par tâches est aussi appréciée, car elle semble faciliter les progrès à l’oral et le développement de l’autonomie. Quatre répondants ont également indiqué que l’approche adoptée permettait de bonnes réutilisations de la langue et une application des concepts grammaticaux. Ce point semble diviser cependant, car les répondants jugeant l’approche inefficace ont tous mentionné qu’elle ne mettait pas suffisamment l’accent sur la forme. Le participant 60 explique que :

les connaissances de base en grammaire des étudiants qui ont réussi le B2 à la fin de leur secondaire sont limitées. Il faut alors passer beaucoup de temps sur la « découverte » des notions de base (…) Toutes ces carences rendent très difficile le passage à un registre de langue plus soutenu selon la tâche à accomplir.

Un autre répondant témoigne qu’une approche par tâches est difficile, car « les principales lacunes de [ses] apprenants sont d’ordre grammatical » (participant 16). Enfin, plusieurs participants révèlent avoir des difficultés à évaluer l’efficacité de leur approche, évoquant un « manque de recul » (participant 23), des classes à trop gros effectif (participant 44) ou encore, très hétérogènes (participants 7 et 27).

En analysant les réponses obtenues aux trois questions précédentes, nous remarquons que nos participants ont des conceptions différentes de la notion de tâche et de la perspective actionnelle. Certains semblent mettre en oeuvre des tâches actionnelles, centrées sur l’apprenant comme acteur social, encourageant l’autonomie et la collaboration avec les pairs, tandis que d’autres semblent surtout se concentrer sur des tâches langagières communicatives sans intégrer la coréalisation d’un projet.

Adoption du PEL

Sur les 23 personnes ayant répondu à cette question, 15 (65,22 %) ont déclaré ne pas avoir adopté le portfolio européen des langues (PEL). Sept personnes ont déclaré avoir adopté le portfolio ou des éléments de celui-ci. Une seule personne a adopté le PEL dans son intégralité (biographie langagière, dossier et passeport), une personne a choisi la biographie langagière et le dossier, trois personnes ont intégré le passeport seul, une personne a adopté la biographie langagière seule et une autre le dossier uniquement. (Fig.5)

Six personnes sur 23 ont indiqué avoir adopté un portfolio langagier qui ne suit pas le modèle européen. Parmi elles, quatre ont décrit un dossier permettant de regrouper un ensemble de documents sur une période donnée. Ces documents varient. Pour certains, il s’agit d’un regroupement de travaux réalisés par l’apprenant (participants 10, 12, et 18). Un répondant décrit plutôt un regroupement d’outils pour l’apprenant, comme « des stratégies pour comprendre des points de grammaire, erreurs courantes, façons de mémoriser le vocabulaire (cartes mentales), ressources culturelles, etc. » (participant 43).

Fig. 5

Adoption du portfolio langagier européen

Adoption du portfolio langagier européen

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Fig. 6

Enseignement de stratégies

Enseignement de stratégies

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L’enseignement de stratégies

Vingt-deux participants ont déclaré enseigner des stratégies (Fig. 6).

En nous inspirant du modèle d’Oxford (2011) pour établir nos choix multiples, nous avons cherché à en savoir plus sur le type de stratégies qui étaient intégrées. Nous avons différencié les stratégies visant l’apprentissage de celles visant la communication, durant et hors d’une tâche (soit, en général). Les stratégies utilisées hors d’une tâche peuvent être des stratégies utiles dans tous les contextes, par exemple montrer du respect à un interlocuteur (stratégie de communication) ou étudier la règle de grammaire juste après le cours (stratégie d’apprentissage de la langue). Les stratégies utilisées lors d’une tâche sont utiles spécifiquement pour l’accomplissement d’un projet particulier, par exemple bien écouter un camarade pour pouvoir collaborer (stratégie de communication) ou planifier à l’avance d’utiliser tels nouveaux mots pour effectuer une tâche (stratégie d’apprentissage de la langue).

Nous remarquons une préférence des répondants pour les stratégies dont l’objectif est la réussite de la communication autant que l’efficacité de l’apprentissage de la langue à l’intérieur d’une tâche (Fig. 7). D’autres commentaires indiquent une combinaison à peu près égale de l’enseignement de tous ces types de stratégies. Un certain délaissement des stratégies utiles en général se révèle, montrant peut-être une volonté de nos participants de se rapprocher d’une pédagogie inspirée du CECRL qui met l’accent sur la finalité. Cependant, nous remarquons aussi que les stratégies d’apprentissage de la langue ne sont pas reléguées au deuxième plan, comme le fait le CECRL, selon Richer (2012).

Fig. 7

Type de stratégies enseignées, par objectif visé

Type de stratégies enseignées, par objectif visé

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Toujours en nous inspirant du modèle d’Oxford (2011) pour établir nos choix multiples, nous avons ensuite différencié les stratégies directes et indirectes. Tous les types de stratégies, qu’elles soient directement ou indirectement en lien avec la dimension concernée (cognitive, affective ou socioculturelle et interactive) semblent être favorisés dans les cours de niveau universitaire (Fig. 8). Une exception notable semble être la moindre importance donnée aux méta-stratégies pour la dimension affective. Une personne nuance sa réponse en indiquant qu’il y a aussi une différence dans le choix du type de stratégies à enseigner selon le cours en question et le niveau des étudiants. Selon nous, ces résultats s’expliquent par la maturité des étudiants à l’université. Il semble effectivement important à ce niveau de donner des conseils d’experts en méthodologie d’apprentissage. En revanche, donner des conseils sur la gestion personnelle de son bien-être serait moins facilement accepté.

Fig. 8

Type de stratégies enseignées, par catégorie

Type de stratégies enseignées, par catégorie

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Le changement vers le paradigme du plurilinguisme

Sur 24 répondants, 15 ont déclaré prendre en compte le changement vers le plurilinguisme.

À l’aide d’une question ouverte demandant des précisions sur la façon dont le changement vers le paradigme du plurilinguisme était pris en compte, plusieurs activités et stratégies d’enseignement sont évoquées.

Concernant les activités de classe, les participants mentionnent souvent encourager l’utilisation d’un répertoire plurilingue, pluriculturel et multimodal. Par exemple, un participant fait référence aux pratiques de « translanguaging » et explique qu’il s’agit d’accepter « le recours à la L1 ou à une L2 commune de façon intelligente », c’est-à-dire « permettre aux apprenants de faire des liens avec les connaissances antérieures, débloquer un point qui ne passe pas en français, comparer les structures et les usages pour différencier et ne pas tomber dans la traduction, etc. » (participant 48). Un autre participant mentionne que cela favorise les activités de « discussions/partage sur les différentes cultures » (participant 8). Un autre répondant ajoute l’importance d’encourager les étudiants à se servir de leur répertoire linguistique et non linguistique (…) » (participant 12). Les lectures sur le plurilinguisme et les activités de réflexion sur la langue reçoivent aussi une attention particulière. Par exemple, une personne indique chercher à faire « (…) comprendre que la langue est étroitement liée aux cultures/communautés linguistiques (…) » (participant 12). L’exercice de la métacognition est aussi reconnu comme une activité faisant partie du paradigme du plurilinguisme. Plusieurs participants guident leurs étudiants vers des réflexions sur l’apprentissage d’une langue autant que sur la qualité des performances linguistiques. Un participant explique finalement s’assurer d’inclure des activités de compréhension et de production écrite et orale dans ses cours (participant 1).

Concernant les stratégies d’enseignement, la pratique de l’inclusion revient dans les réponses. Un participant met l’accent sur « la prise en compte des différentes cultures dans le contenu du cours, les activités de classe ou encore les évaluations » (participant 8). D’autres répondants indiquent s’assurer de présenter une variété de perspectives en partant des préconceptions de chacun. L’interaction avec autrui est souvent mentionnée et démontre une volonté de faire rencontrer la différence. Un répondant explique qu’une façon de mettre en oeuvre le paradigme du plurilinguisme est de valoriser la compréhensibilité du message sur sa forme (participant 31).

En bref, les pratiques de classe autour du plurilinguisme chez nos répondants nous paraissent montrer un niveau de compréhension varié du changement de paradigme. Chez certains, une réflexion profonde et de grands changements pédagogiques ont déjà été mis en place tandis que chez d’autres, on relève une compréhension parcellaire de la notion ou des modifications pédagogiques timides.

Conclusion

Le tableau peint par notre sondage montre une culture d’enseignement en transition, peu sûre d’elle, divisée et qui est en manque d’information. Les variations dans les compréhensions des concepts principaux du CECRL sont flagrantes, en particulier autour des niveaux du CECRL et du rythme requis pour chaque étape, de la perspective actionnelle, de la notion de tâche et du plurilinguisme.

On remarque également que l’approche actionnelle a été évaluée positivement par la majorité de nos participants et semble donc représenter pour eux un progrès dans l’enseignement universitaire.

Notre étude montre aussi une résistance à certains aspects du CECRL qui ne sont pas perçus comme pertinents au contexte du FLS dans une université canadienne. Nos interrogés tiennent à une concentration explicite sur la forme lors des séquences didactiques, généralement sans sacrifier une concentration sur le message. On remarque aussi cette tendance sur les adaptations faites concernant les stratégies à choisir. Les stratégies d’apprentissage de la langue occupent une place aussi importante que les stratégies de communication. Il est vrai que la précision linguistique en FLS est souvent lacunaire à ce niveau (Lyster, 2007 ; Baranowski, 2015) et, dans notre sondage, l’approche actionnelle n’est pas toujours vue comme pouvant y remédier. Si le Cadre devait être adopté, nous pensons qu’un travail d’adaptation au contexte canadien universitaire reste donc à réaliser, au moins dans les domaines suivants :

  • une indication sur les niveaux du CECRL qui correspondraient le mieux à l’entrée et la sortie de l’université, ainsi que le rythme adéquat pour chaque niveau;

  • du contenu canadien pour les manuels, du matériel qui ne s’adresse pas qu’à un public anglophone;

  • une méthode d’intégration de la forme et du message à l’intérieur d’une approche actionnelle applicable au niveau universitaire (par exemple, le modèle de Lyster publié en 2016);

  • un PEL canadien insistant sur l’auto-évaluation et les stratégies d’apprentissage de la langue.

Le travail d’alignement des échelles canadiennes et du CECRL effectué en 2018 par North et Piccardo pourrait être un point de départ pour certaines de ces adaptations.

Un quatrième point saillant de notre étude est que, même si la majorité de nos répondants connaissent bien le Cadre, certains n’en ont jamais entendu parler (10 %) et d’autres (38 %) indiquent que le Cadre n’a eu aucun impact sur leur programme. Aussi, lorsque des changements sur le plan du programme ou des pratiques enseignantes ont eu lieu, ceux-ci semblent plutôt mineurs et limités à des initiatives personnelles et non pas systémiques. Les participants parlent généralement de quelques cours qui s’accordent avec des niveaux du CECRL, de changements de manuels ou de l’adoption de quelques parties d’un portfolio. Pourtant, nous pensons que l’influence du CECRL au niveau universitaire pourrait complètement bouleverser les pratiques. Si le document était bien compris comme faisant partie d’un vent de renouveau en éducation visant à mieux outiller nos apprenants pour la vie après la scolarité (cf. Puren, 2011, pour la didactique des langues, et Fullan et coll., 2017, pour l’éducation en général), le potentiel pour le changement en enseignement du FLS irait au-delà de ces quelques modifications. Il serait temps de restructurer les départements de français, de repenser les objectifs visés et de mettre au coeur des programmes les cours expérientiels, pluridisciplinaires et à projets globaux.

Il est important de souligner les limites de notre étude. Comme avec tout sondage contenant des questions ouvertes, il est possible d’avoir mal interprété quelques commentaires de nos participants lors du codage. Nous regrettons aussi de ne pas avoir eu plus de répondants, ce qui aurait pu nous donner une meilleure idée des variations dans les opinions et les pratiques à travers les provinces canadiennes. Finalement, nous n’avons pas eu la perspective des étudiants, les principaux concernés par ces changements pédagogiques. Une prochaine étude pourrait compléter ces données avec des groupes de discussion menés avec des professeurs et des étudiants.