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Introduction

La contribution des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STIM) au développement d’un pays n’est plus à démontrer. Les connaissances et les compétences acquises dans ces disciplines sont nécessaires afin d’assurer la croissance économique d’un pays (Rottinghaus et al., 2018). Selon les projections mondiales, de nombreux emplois axés sur les STIM seront créés, ce qui entraînera une demande de professionnels hautement qualifiés (Bureau of Labor Statistics, 2019). La formation à la maîtrise et au doctorat d’une main-d’oeuvre qualifiée dans ces disciplines est donc une préoccupation importante tant à l’échelle mondiale que dans le contexte du Burkina Faso.

Pour contribuer au renforcement des compétences en STIM, le Burkina Faso, dans sa politique éducative, a considéré leur développement en accroissant l’offre éducative en mathématiques, en physique, en chimie, en biologie, en biochimie et en géologie. La construction de lycées scientifiques dans chacune des 13 régions du pays et la remise de prix aux meilleurs étudiants sont des initiatives mises en place en 2016 pour offrir de meilleures conditions d’accès en STIM et à l’enseignement supérieur. En s’inscrivant dans cette démarche, le gouvernement vise à assurer l’accès égalitaire à une éducation de qualité reposant sur des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie.

Malgré les progrès dans le domaine de l’éducation, ceux-ci ne se sont pas toujours traduits par un progrès pour tous (Banque mondiale, 2020). Des inégalités sont constatées entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci. Au Burkina Faso, le nombre d’étudiants diplômés en STIM est parmi les plus faibles des différents programmes d’études à l’université (Kobiané et Pilon, 2013). Pour l’année scolaire 2008-2009, ces derniers constatent que le taux d’abandon en première année est de 43,2% au département des sciences exactes et appliquées (mathématiques, physique et technologies) et de 31,2% au département des sciences de la vie et de la Terre (biologie, chimie, biochimie et géologie). Le taux d’abandon global des trois premières années d’études est d’au moins 43%; il atteint 70,1% dans le premier département et 47,5% dans le second en 2006-2007 (Kobiané et Pilon, 2013). Ces taux d’abandon représentent des pertes en capital humain et pourraient constituer un obstacle au développement économique du pays.

Si l’accès à l’enseignement supérieur s’est amélioré au Burkina Faso, y sortir avec un diplôme ou y persévérer demeure un défi (Zagré, 2007). La présente recherche s’intéresse à l’effet de l’expérience universitaire (bourse, redoublement) sur la relation entre les caractéristiques de préadmission et la persévérance aux études. Cette dernière est représentée par l’inscription à la maîtrise en STIM à une université au Burkina Faso. Améliorer la persévérance aux études à la maîtrise dans le domaine des STIM pourrait être un moyen puissant d’améliorer la vie des Burkinabè en apportant des solutions à certains des problèmes sociosanitaires (p. ex., le paludisme, les maladies hydriques, la faim, etc.).

Imbriquées dans le modèle de Tinto (1997), les interactions entre ces variables permettront d’orienter les politiques éducatives pour améliorer la persévérance aux études à la maîtrise en STIM, tout en atténuant les inégalités ou différences préalables à l’entrée à l’université. Les efforts visant à améliorer la persévérance aux études en STIM doivent être fondés sur la connaissance des raisons pour lesquelles les étudiants abandonnent ou persévèrent (Ehrenberg, 2010). Cette recherche s’appuie sur la régression de Cox pour des analyses longitudinales auprès de 14 cohortes d’étudiants et sur l’analyse moderne de médiation (Zhao et al., 2010).

Le Burkina Faso et les réformes du système éducatif

Le Burkina Faso est un pays enclavé d’Afrique subsaharienne, à faible revenu et aux ressources naturelles limitées. Son économie repose principalement sur l’agriculture, secteur dans lequel travaille près de 80% de la population active. Ce pays est vulnérable aux chocs climatiques liés aux variations des précipitations. Une faible pluviométrie rend la vie difficile aux agriculteurs, réduit leurs ressources financières et, par conséquent, réduit la capacité des étudiants dont les parents sont agriculteurs à accéder à l’enseignement supérieur[1].

Le système éducatif du Burkina Faso a connu plusieurs réformes depuis l’indépendance du pays en 1960 (voir Figure 1). En 1984, la démocratisation de l’école a permis des flux importants d’étudiants vers l’enseignement supérieur. En effet, tous les diplômés de l’enseignement secondaire pouvaient poursuivre leurs études à l’université et des bourses leur étaient octroyées. Cependant, le coup d’État de 1987 et les programmes d’ajustement structurel des années 1990 ont conduit à une réduction drastique des sources de financement à l’éducation, ce qui a eu une répercussion sur les bourses accordées aux étudiants.

Figure 1

Réformes dans le système éducatif burkinabè

Réformes dans le système éducatif burkinabè

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Par la suite, en 1999, une crise sociopolitique a conduit à une nouvelle réforme universitaire en octobre 2000. Elle faisait suite à plusieurs manifestations survenues (boycottage, vandalisme et grève des étudiants) sur les campus et qui ont affecté le déroulement des activités et de l’année scolaire. À la suite de ces manifestations, le gouvernement a décidé d’assigner la mention échec (année invalidée) à tous les étudiants universitaires. En conséquence, les étudiants ont dû reprendre les activités l’année suivante et plusieurs ont perdu leur bourse. Les facultés ont été dissoutes pour faire place aux unités de formation et de recherche. Cette réforme, connue sous le nom de «refondation», visait entre autres à améliorer la gouvernance en faisant de l’université un établissement public à caractère scientifique, culturel et technique.

Avant 2012, les diplômes d’études universitaires comprenaient un diplôme d’études universitaires générales (DEUG) d’une durée de deux ans, une licence (un an après le DEUG), une maîtrise (un an après la licence) et un doctorat (cinq ans après la maîtrise). À la suite de la réforme de 2012, les curricula dans l’enseignement supérieur ont été modifiés: licence (trois ans), master (deux ans) et doctorat (trois ans). Aujourd’hui, le Burkina Faso compte quatre grandes universités publiques (plus de 10 000 étudiants) et trois universités publiques de taille moyenne (moins de 10 000 étudiants). Il existe également plus de 20 universités privées et écoles supérieures. Comme les années précédentes, le taux d’obtention du diplôme d’études secondaires (condition pour poursuivre des études à l’université) est inférieur à 40% en 2017 (MESRSI, 2019). Aussi, 31% des étudiants qui ont obtenu leur diplôme d’études secondaires ont décidé de poursuivre des études universitaires. Le pourcentage d’étudiants inscrits en première année en STIM était de 34,5% de l’ensemble des étudiants de l’Université Joseph Ki-Zerbo en 2016 (MESRSI, 2019), tandis que le taux d’abandon global des trois premières années d’études était d’au moins 43%.

Cadre conceptuel

Persévérance aux études

Dans la littérature scientifique, la persévérance aux études représente:

  1. un engagement dans les études (Miller et al., 1996; Robbins et al., 2004);

  2. la poursuite d’une action ou d’une tâche, malgré les difficultés qui se présentent à l’étudiant (Miller et al., 1996);

  3. le choix conscient de poursuivre cognitivement, métacognitivement et affectivement une activité d’apprentissage, malgré les obstacles et les difficultés (Pintrich et Schunk, 2002);

  4. la ténacité; malgré des obstacles et des difficultés, l’apprenant fait preuve de détermination et continue de consacrer du temps à l’activité d’apprentissage (Viau, 2009);

  5. l’idée de persévérer face à des obstacles (Multon et al., 1991); et

  6. la résilience (Miller et Tatum, 2008).

Le sens commun à ces concepts fait ressortir que la persévérance aux études est un processus longitudinal qui se traduit par une multitude de comportements (De Clercq et al., 2014), appréhendés par différentes mesures:

  1. durée pendant laquelle un étudiant reste inscrit à l’institution (Houme, 2009; Pritchard et Wilson, 2003; Robbins et al., 2004);

  2. obtention d’un diplôme (DeRemer, 2002; Kamanzi et al., 2010);

  3. effort fourni par l’étudiant dans les activités d’apprentissage au cours de l’année (Neuville et al., 2007);

  4. inscription continue d’une session à l’autre dans un programme d’études (St. John et al., 1991), incluant ceux qui ont fait une interruption.

Notons également que des chercheurs ont mesuré la persévérance aux études par l’intention de persévérer (DaDeppo, 2009; Schmitz et al., 2010), mais cette conception représente plutôt une mesure motivationnelle (Roland et al., 2015). Dans la présente recherche, la persévérance aux études en STIM réfère à l’inscription à la maîtrise.

Caractéristiques de préadmission (CPA)

Les inégalités liées aux caractéristiques de préadmission influenceraient la persévérance aux études, et ce, peu importent les théories: psychologiques, sociales, économiques, organisationnelles ou interactionnistes (Cabrera et al., 1993; Eccles et Wigfield, 2002; Tinto, 1975, 1997). Dans son modèle de 1997, considéré comme le plus robuste par Braxton et Hirschy (2005), Tinto regroupe au sein des caractéristiques de préadmission le contexte familial, les caractéristiques personnelles et l’expérience scolaire antérieure.

Contexte familial

D’abord, le contexte familial porte sur la situation socioéconomique de la famille (revenu familial, capital économique, profession et niveau d’éducation des parents, etc.). Murdoch et al. (2012) appréhendent le contexte familial à travers l’éducation des parents, l’origine ethnoculturelle (ethnie, province de résidence, etc.) et l’origine sociale (catégorie socioprofessionnelle et revenu des parents).

Caractéristiques personnelles

Quant aux caractéristiques personnelles, pour Tinto (1997), elles font référence au genre, à l’âge, au lieu de naissance, à la motivation, à la personnalité et aux préférences sociales, intellectuelles, politiques, etc.

Expérience scolaire antérieure

Enfin, concernant l’expérience scolaire antérieure, Tinto (1997) fait référence aux performances de l’étudiant au secondaire et au type d’établissement fréquenté (privé, public, taille des classes, etc.). Kamanzi et ses al. (2010) ont opérationnalisé l’expérience scolaire antérieure par la moyenne générale au secondaire, par le temps consacré aux devoirs, par les épisodes de décrochage, par l’interruption des études avant l’entrée à l’université et par le type d’établissement secondaire fréquenté (privé ou public).

Une recherche dans la littérature fait ressortir que les résultats en mathématiques, la moyenne générale au secondaire, le rang au lycée et les notes obtenues au cours du premier semestre à l’université sont des prédicteurs de la persévérance aux études en STIM (Gayles et Ampaw, 2011; Green et Sanderson, 2018; Heilbronner, 2011; Thompson et Bolin, 2011). L’accès rapide en STIM est aussi un facteur important de la persévérance aux études (Green et Sanderson, 2018). L’âge lors de l’inscription à l’université doit aussi être pris en compte. Enfin, une expérience précoce et continue dans le domaine des STIM est avantageuse pour la poursuite des études dans ce domaine (Kokkelenberg et Sinha, 2010).

Expérience universitaire

L’expérience universitaire renvoie à l’environnement pédagogique (normes et conduites à l’université), à l’expérience des classes, laboratoires et travaux pratiques, à l’environnement social (interaction avec les pairs et les professeurs) et aux ressources universitaires (Tinto, 1997).

D’abord, la performance scolaire de l’étudiant (succès, échec, redoublement, interruption, etc.) est une résultante de son adaptation à l’environnement pédagogique et social (Tinto, 1997). Ainsi, le redoublement ou la reprise d’un cours constitue un facteur pouvant influencer l’expérience de classe et la décision de l’étudiant de persévérer ou d’abandonner les études (Kobiané et Pilon, 2013).

Concernant les ressources universitaires, plusieurs études ont porté sur l’influence de l’aide financière sur la persévérance aux études (Chen, 2008). Chen et Desjardins (2010) constatent que les prêts subventionnés ont en moyenne un effet positif sur la persévérance aux études, tandis que les prêts non subventionnés n’exercent aucune influence significative. L’aide financière présenterait également un effet positif sur la persévérance aux études (Astin, 1976) et négatif sur l’abandon (Desjardins et al., 1999). Cependant, d’autres recherches n’indiquent aucune influence (Moline, 1987; Peng et Fetters, 1978).

Caractéristiques de préadmission et persévérance aux études

Contexte familial

D’abord, en ce qui concerne le contexte familial, Kamanzi et al. (2010) indiquent (n = 10 882) qu’au Canada, les étudiants dont le père occupe un poste de cadre supérieur ou de professionnel ont non seulement plus de chances d’accéder aux études universitaires, mais également persévèrent plus que ceux dont le père n’occupe pas un tel poste. Aux États-Unis, Chen (2008) révèle que, pour l’année scolaire 1995-1996, 56% des étudiants (n = 6 733) issus d’une famille aisée ont obtenu un baccalauréat, contre seulement 26% des étudiants provenant d’une famille modeste. Dans le contexte sud-africain, Van Zyl (2016) mentionne qu’à l’Université de Johannesbourg, les étudiants (n = 21 037) issus d’un milieu défavorisé ou d’une famille modeste ont moins de chances de persévérer, comparativement à ceux issus d’une famille aisée. Au Burkina Faso, Kobiané et Pilon (2013) notent que les étudiants (n = 78 018) dont le père est salarié (revenu substantiel et stable) ont des chances moins grandes d’être promus à la fin de la première année, comparativement aux étudiants dont le père est paysan (revenu modeste).

Caractéristiques personnelles

Pour ce qui est des caractéristiques personnelles, St. John et al. (1991) montrent qu’aux États-Unis (n = 6 075), à partir d’une analyse par des variables relatives à l’aide financière, l’expérience scolaire antérieure et le genre sont significativement associés à la persévérance aux études. Kamanzi et al. (2010) indiquent que le taux de diplomation est plus élevé chez les femmes que chez les hommes au Canada. Le taux de diplomation y est aussi plus élevé chez les étudiants de 26 ans que chez les plus jeunes. Par ailleurs, l’accès à l’enseignement supérieur est difficile pour les résidents en milieu rural au Canada (Kamanzi et al., 2010).

Expérience scolaire antérieure

En ce qui concerne l’expérience scolaire antérieure, Engstrom et Tinto (2008), qui utilisent le terme underprepared students pour désigner les étudiants ayant une faible performance scolaire antérieure, montrent que ces derniers persévèrent moins aux études que ceux ayant une performance scolaire élevée ou ayant reçu une préparation pour aborder la formation universitaire. De leur côté, Kamanzi et al. (2010) relèvent que, chez les Canadiens de 18 à 20 ans en 1999, l’obtention du diplôme du baccalauréat est liée à l’expérience scolaire antérieure. Les étudiants qui avaient un score élevé à l’examen de fin du secondaire consacrent plus de temps aux devoirs et obtiennent leur diplôme au bout de quatre ans. Enfin, les travaux de Murtaugh et al. (1999) indiquent qu’aux États-Unis (n = 8 867), la performance scolaire antérieure est la variable ayant un effet prépondérant.

Caractéristiques de préadmission (CPA) et expérience universitaire (EU)

Loye et al. (2017) indiquent la rareté de recherche portant sur les liens entre les CPA et l’EU. Néanmoins, Allen et Bir (2012) montrent (n = 2 433) que l’expérience scolaire antérieure mesurée à partir du score de l’étudiant au secondaire est significativement liée à celui de l’étudiant à l’université. De leur côté, Nicpon et al. (2006) relèvent (n = 40) que le soutien social à travers la famille et les amis n’a aucun effet sur les résultats scolaires de l’étudiant. Cependant, la race et l’identité culturelle influencent l’engagement des étudiants dans leur programme (Veal et al., 2012).

Expériences du système universitaire et persévérance aux études

Pour l’expérience de classe, l’échec, la reprise de cours ou d’année scolaire ou encore l’abandon d’un cours ou d’un programme d’études sont liés en partie à la pertinence des activités d’apprentissage pour l’étudiant (Heilbrun, 1965; Tinto, 1997), mais également aux stratégies d’étude (Murdoch et al., 2012) et d’enseignement (Engstrom et Tinto, 2008), et influencent la persévérance aux études. Ishitani (2016) révèle (n = 7 571) que l’augmentation du score en première année d’un point diminue le risque d’abandon en deuxième année d’études. Pour sa part, Wood (2014) démontre que les étudiants (n = 16 100) ayant repris un cours pour améliorer leur score ont plus de chances de persévérer que ceux qui n’ont pas repris le cours pour améliorer leur score.

En ce qui concerne les ressources universitaires (bourses, prêts et subventions), les études n’ont pas toutes établi que l’appui financier aurait un impact positif sur la persévérance aux études (St. John et al., 1991). Pour Hansen (1983), l’aide financière aux étudiants est considérée comme un programme de transfert d’argent et n’a pas amélioré l’accès à l’enseignement supérieur. Astin (1976) trouve une relation négative entre la persévérance aux études et le prêt chez les hommes, mais positive chez les femmes entre la première et la deuxième année. Terkla (1985) montre que le fait de recevoir l’aide financière a un effet positif sur la persévérance aux études. Breier (2010), dans sa recherche sur la reconceptualisation du rôle de l’aide financière dans l’enseignement supérieur, indique que, dans les pays en développement, nombre d’étudiants abandonnent leurs études pour des raisons financières. De plus, l’octroi de l’aide financière basée sur le mérite plutôt que sur le besoin exacerberait les inégalités entre les étudiants (Dowd, 2004)

Analyse de médiation

Dans un modèle de médiation (voir Figure 2), l’effet d’une variable indépendante X sur une variable dépendante Y est transmis par l’intermédiaire d’une troisième variable M, appelée médiation (MacKinnon, 2008). Ces relations sont traduites par les trois équations suivantes:

Figure 2

Effet médiateur d’une variable (d’après MacKinnon, 2008)

Effet médiateur d’une variable (d’après MacKinnon, 2008)

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Le développement des méthodes d’analyse de médiation a connu des avancées importantes au cours des 10 dernières années. S’appuyant sur les travaux de Baron et Kenny (1986), Zhao et al. (2010) proposent une approche moderne où:

  1. la force d’une médiation est mesurée par l’importance ou la taille de l’effet indirect, plutôt que par l’absence d’effet direct, la présence d’un effet direct pouvant suggérer la présence d’autres variables médiatrices non prises en compte dans l’analyse;

  2. il n’est pas nécessaire d’avoir un effet significatif entre la variable dépendante Y et la variable indépendante X, mais plutôt un effet indirect (α×β) significatif puisque l’effet total est donné par α = (α×β)+β. Lorsque b et (α×β) sont du même signe, alors α est aussi du signe correspondant. Si (α×β) et b sont de signes contraires, la valeur de α pourrait être proche de 0 et l’effet total peut s’avérer non significatif;

  3. la méthode d’autoamorçage (bootstrapping) est une approche robuste pour déterminer le niveau de signification des effets (Preacher et Hayes, 2004).

Sur le plan des interprétations d’une médiation, cinq cas peuvent survenir:

  1. médiation complémentaire: L’effet médiatisé et l’effet direct sont significatifs et du même signe;

  2. médiation compétitive: L’effet médiatisé (α×β) et l’effet direct b sont significatifs et de signes contraires;

  3. médiation indirecte uniquement: L’effet médiatisé (α×β) est significatif, mais l’effet direct b n’est pas significatif;

  4. absence de médiation – lien direct uniquement: L’effet direct est significatif, mais l’effet indirect est non significatif;

  5. absence de médiation: Ni l’effet direct b ni l’effet indirect (α×β) ne sont significatifs.

En fonction de la nature des variables dépendantes et médiatrices, différents modèles de régression linéaire (Hayes, 2013), logistique (Nguyen et al., 2015; VanderWeele et Vansteelandt, 2010), de survie (Lange et Hansen, 2011) ainsi que des méthodes de décomposition des effets direct et indirect ont été développés. Ces modèles s’appliquent à des données longitudinales et à des modèles d’analyse de survie (Gelfand et al., 2016; Lapointe-Shaw et al., 2018).

Dans le cas d’une analyse de survie, pour déterminer le pourcentage d’effet médiatisé, VanderWeele et Vansteelandt (2010) suggèrent d’utiliser la formule suivante:

[2]NDE = l’effet direct; NIE = l’effet indirect et OR = le rapport des cotes. Cette formule est appropriée pour l’analyse des données de survie utilisant des modèles accélérés de la fonction de survie et des modèles de risque proportionnel (VanderWeele, 2016).

Dans le cas de plusieurs variables médiatrices, le pourcentage médiatisé par chacune des variables peut être estimé en entrant chaque variable médiatrice dans un modèle séparé. Le pourcentage d’effet médiatisé est alors donné pour chacune des variables médiatrices. La somme de ces pourcentages peut cependant être supérieure à 100% pour trois raisons (VanderWeele, 2015): 1) l’existence de variables médiatrices ayant des proportions médiatisées négatives; 2) au moins une des variables médiatrices affecte les autres variables médiatrices; et 3) l’existence d’interaction entre les variables médiatrices. Pour pallier ces insuffisances, Nguyen et al. (2015) proposent une méthode ayant recours à une pondération utilisant l’inverse des rapports des cotes. Cette méthode s’applique également en cas d’interaction entre les variables médiatrices, ce qui constitue ainsi une avancée dans l’estimation des proportions d’effet médiatisé. La détermination de la signification des effets est faite en recourant à la méthode d’autoamorçage, considérée comme robuste (VanderWeele, 2015; Zhao et al., 2010).

But de l’étude

Dans une revue systématique des écrits scientifiques publiés dans des revues avec comité de lecture ayant recours à plusieurs bases de données (ERIC, PsycINFO, MEDLINE, Ariane, Érudit et Cairn) sur les liens entre les caractéristiques de préadmission (CPA), l’expérience universitaire (EU) et la persévérance aux études (PE), Loye et al. (2017) ne trouvent aucune recherche traitant des trois types de variables dans le contexte africain. Neuf articles étudiaient les liens entre les trois types de variables, 62 portaient sur le lien entre CPA et PE, 12 sur le lien entre CPA et EU, et 51 sur le lien entre EU et PE. Seulement deux articles portaient sur les STIM. Ces résultats font ressortir la nécessité de réaliser des recherches sur le rôle médiateur de l’expérience universitaire sur la relation entre les caractéristiques de préadmission et la persévérance aux études. L’expérience universitaire permettrait d’expliquer les inégalités liées aux caractéristiques de préadmission sur la persévérance aux études.

Plusieurs recherches sur la persévérance en STIM suggèrent qu’une fois qu’on tient compte de la préparation universitaire, une partie de la différence entre femmes et hommes en matière de persévérance aux études est éliminée (Griffith, 2010; Price, 2010). Le fait d’avoir suivi des cours en STIM au secondaire et d’avoir obtenu un score plus élevé à l’examen de fin du secondaire améliorerait la persévérance aux études dans ce domaine (Kokkelenberg et Sinha, 2010; Price, 2010), bien que ces facteurs ne soient que de faibles prédicteurs de la persévérance aux études une fois les notes universitaires analysées (Ost, 2010; Rask, 2010). Cette dernière conclusion ne signifie pas que ces facteurs sont sans importance, mais plutôt que leurs effets passent principalement par les performances des étudiants dans les cours à l’université (Ehrenberg, 2010).

La présente recherche vise à mettre en lumière ces mécanismes dans le contexte universitaire des STIM au Burkina Faso. La question de recherche suivante est retenue: L’expérience universitaire joue-t-elle un rôle médiateur dans la relation entre les caractéristiques de préadmission et la persévérance aux études (mesurée par l’inscription à la maîtrise) en STIM au Burkina Faso?

Diverses variables présentes dans la littérature sont à considérer: lieu de naissance, domaine d’étude au secondaire, délai d’inscription à l’université et réforme éducative.

D’abord, le lieu de naissance au Burkina Faso réfère au fait que l’enfant y entreprend des études au primaire. Au Burkina Faso comme dans nombre de pays africains, les écoles secondaires et les universités se trouvent généralement en zones urbaines (Schewel et Fransen, 2018), ce qui favorise la poursuite des études pour les étudiants nés en milieu urbain.

Ainsi, poursuivre des études universitaires en STIM au Burkina Faso suppose que les étudiants ont suivi ces programmes au secondaire. Toutefois, dans le processus d’orientation scolaire et universitaire, des diplômés d’autres programmes au secondaire (comptabilité, lettres, etc.) peuvent aussi s’inscrire en STIM à l’université. Ce processus d’orientation peut avoir des conséquences sur la persévérance aux études.

Le temps écoulé entre l’obtention du diplôme de fin du secondaire et la première inscription à l’université peut varier d’un étudiant à l’autre. Ainsi, marquer un temps d’arrêt plus ou moins long après le secondaire avant de poursuivre les études pourrait avoir des effets sur la persévérance aux études en STIM. La compréhension de l’effet du délai d’inscription pourrait aider à mettre en place des initiatives pour favoriser l’effet souhaité.

Enfin, les réformes, comme celle survenue en 2000 dans l’enseignement supérieur au Burkina Faso, peuvent avoir des impacts sur la persévérance aux études. La prise en compte d’une variable sur la réforme universitaire dans les analyses pourrait indiquer son rôle dans la réduction des inégalités en matière de persévérance aux études.

Méthodologie

Processus de collecte des données

Les données utilisées dans la présente recherche ont été collectées dans le cadre de l’étude de Kobiané et Pilon (2013) portant sur la valorisation des données de l’enseignement supérieur au Burkina Faso. Les informations des formulaires administratifs universitaires remplis par les étudiants lors de leur inscription à l’université ont été saisies pour constituer une base de données comptant 14 cohortes d’étudiants (1995 à 2008). La date de suivi des cohortes est limitée à 2011; toutes les cohortes sont suivies pour un minimum de quatre ans (2008) et jusqu’à plus de 10 ans pour les premières. Le comité d’éthique de l’université d’attache a approuvé l’utilisation des données.

Échantillon

L’échantillon est constitué de 13 891 étudiants, dont 20,6% se sont inscrits à la maîtrise du programme d’études de sciences et technologies (voir Tableau 1). Ce taux d’inscription varie selon la cohorte, en fonction du nombre d’années suivi (de 4 à plus de 10). Les cohortes 1995, 2006, 2007 et 2008 (0,2% à 17,1%) ont le taux le plus bas, suivies des cohortes 1996, 1997, 1998 et 2005 (20,7% à 26,7%) et des cohortes 1999 à 2004 (31,1% à 35,9%).

Concernant les caractéristiques de préadmission, pour le contexte familial, les pères des étudiants sont majoritairement paysans, et il y a plus d’hommes que de femmes inscrites en sciences et technologies.

Pour ce qui est des caractéristiques personnelles, 92,8% des étudiants avaient moins de 25 ans à leur première inscription à l’université.

En matière d’expérience scolaire antérieure, il y a légèrement plus d’étudiants qui sont nés en milieu urbain. Les étudiants performants à l’examen de fin du secondaire représentent 10,4%; sont considérés comme performants les étudiants ayant obtenu un score d’au moins 12 sur 20. Le domaine d’étude au secondaire est majoritairement les sciences (94,9%). Avant la réforme de 2000, 25,0% des étudiants étaient inscrits en sciences et technologies. Seulement 6,1% des étudiants se sont inscrits à l’université au moins un an après l’obtention du diplôme d’études secondaires.

Enfin, concernant l’expérience du système universitaire, 6,7% des étudiants ont reçu une bourse et 59,8% ont connu au moins un redoublement dans leur parcours.

Variables

La variable dépendante, soit la persévérance aux études, est mesurée à partir de l’inscription à la maîtrise. Les variables indépendantes concernent les caractéristiques de préadmission, tandis que les variables médiatrices sont relatives à l’expérience universitaire.

La variable réforme du système éducatif comporte deux choix: avant et après la réforme en 2000. L’âge à la première inscription à l’université est dichotomique en tenant compte du cursus normal: l’âge d’entrée au primaire (6 à 8 ans) et la durée des cycles d’études (6 ans pour le primaire, 7 ans pour le secondaire avec deux reprises ou redoublements possibles par cycle). Le score à l’examen ministériel de fin du secondaire (portant sur toutes les disciplines) est dichotomique selon le niveau de performance.

Analyse

Le modèle de régression de Cox (1972) permet d’analyser la persévérance aux études en tant que processus longitudinal (Tinto, 1997). Il est de loin le plus utilisé pour l’analyse de données longitudinales (Cleves, 2008) et permet de résoudre les problèmes liés à la censure et à la troncature, qui ne peuvent être résolus dans le cas des données transversales (Kamanzi et al., 2016). Dans ce modèle, une variable de temps est créée, et correspond à la durée entre la date de la première inscription à l’université et l’inscription à la maîtrise. Les rapports de cotes (OR) sont utilisés pour l’interprétation des résultats en comparant les groupes à celui de référence pour chaque variable. Lorsque OR >1, le groupe a 1-OR fois plus de chances de persévérer que celui de référence de ladite variable. Lorsque OR ≤1, le groupe de référence a 1-OR fois moins de chances de persévérer que celui considéré pour la comparaison. La qualité de l’ajustement est estimée à l’aide des résidus de Cox et Snell (1968): si le risque cumulé est proche de la ligne droite à 45° (Cleves, 2008), cela signifie que les données s’ajustent au modèle.

Tableau 1

Définition des variables et échantillon

Définition des variables et échantillon

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Cette recherche tire profit des avancées significatives des modèles modernes d’analyses de médiation (Nguyen et al., 2015; VanderWeele, 2015; Zhao et al., 2010). Quatre modèles sont examinés:

  1. estimation de l’effet des caractéristiques de préadmission sur la persévérance aux études;

  2. ajout de la variable relative à l’obtention d’une bourse au modèle 1, ce qui permet d’observer les changements dans les rapports de cotes;

  3. ajout de la variable relative au redoublement au modèle 1 pour observer les changements dans les rapports de cotes;

  4. inclusion des deux variables médiatrices simultanément au modèle 1.

Le test du ratio de vraisemblance est utilisé pour apprécier la valeur ajoutée des variables dans les modèles (Crichton, 2002). La méthode d’autoamorçage est utilisée pour effectuer 1 000 réplications afin de déterminer le niveau de signification des effets direct et indirect. La proposition d’effet médiatisé est calculée pour des médiations indirectes uniquement et complémentaires, mais ne s’applique pas à des médiations compétitives (VanderWeele, 2015).

Résultats

Modèle 1: effets des caractéristiques de préadmission sur la persévérance aux études

La qualité de l’ajustement est estimée à l’aide des résidus de Cox et Snell (1968). L’estimation des β2 montre une absence de différence significative et le graphique des résidus indique que les données s’ajustent au modèle de régression de Cox. Les résultats révèlent que la profession du père (autre), le genre, l’âge à la première inscription à l’université, le score à l’examen de fin du secondaire, le délai d’inscription à l’université et la réforme universitaire permettent de prédire la persévérance aux études à la maîtrise en STIM au Burkina Faso (voir Tableau 2). Les variables lieu de naissance et domaine d’étude sont non significatives.

Aucune différence significative n’est observée entre les étudiants dont le père est salarié et ceux dont le père est paysan. Les étudiants dont le père travaille dans d’autres secteurs (p. ex., le commerce) ont 11% moins de chances de persévérer à la maîtrise, comparativement aux étudiants dont le père est paysan. En ce qui concerne les femmes, elles ont 15% moins de chances de persévérer à la maîtrise que les hommes. Les étudiants ayant moins de 25 ans lors de leur première inscription à l’université ont 35% plus de chances de persévérer à la maîtrise que ceux ayant 25 ans et plus. De plus, les étudiants ayant eu un score supérieur ou égal à 12 à l’examen de fin du secondaire ont 28% plus de chances de persévérer à la maîtrise que ceux ayant eu un score inférieur. Les étudiants ayant fait leur première inscription plus d’un an après la réussite de l’examen de fin du secondaire ont 20% moins de chances de persévérer à la maîtrise que les autres. Enfin, les étudiants inscrits après la réforme du système éducatif en 2000 ont deux fois plus de chances de persévérer à la maîtrise que ceux ayant fait leur inscription avant ladite réforme.

Modèle 2: analyse de médiation avec la variable obtention de bourse

Les résultats de la régression de Cox présentent plusieurs similarités avec ceux du modèle 1. L’effet de la profession du père (autre), du genre, de l’âge à la première inscription et du délai d’inscription reste pratiquement inchangé[3]. Cependant, une légère baisse (6%) est observée dans l’effet du score à l’examen de fin du secondaire et une faible augmentation (3%) de l’effet de la réforme est constatée. En ce qui concerne l’expérience universitaire, les étudiants ayant une bourse ont 25% plus de chances de persévérer à la maîtrise que les non-boursiers.

Tableau 2

Effets de l’expérience universitaire sur le lien entre les caractéristiques de préadmission et la persévérance aux études : régression de Cox

Effets de l’expérience universitaire sur le lien entre les caractéristiques de préadmission et la persévérance aux études : régression de Cox

Note. réf. = catégorie de référence ; * = p < 0,05 ; ** = p < 0,01 ; *** = p < 0,001.

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Les résultats présentés au Tableau 3 révèlent que, pour la profession du père (salarié et autre) et le lieu de naissance, il y a absence de médiation (effets direct et indirect non significatifs) de la bourse. Une absence de médiation de la bourse avec lien direct uniquement (effet direct significatif et effet indirect non significatif) est constatée pour le genre, l’âge à l’inscription, le domaine d’étude et le score à l’examen de fin du secondaire. Pour le délai d’inscription à l’université et la réforme du système éducatif, l’analyse indique une médiation indirecte uniquement de la variable bourse (effet direct non significatif et effet indirect significatif).

Modèle 3: analyse de médiation avec la variable redoublement

Les résultats de la régression de Cox sont plutôt contrastés par rapport aux deux modèles précédents. Il en découle des effets non significatifs pour la profession du père (salarié et autre), le genre, l’âge à la première inscription à l’université, le lieu de naissance et le domaine d’étude. Une diminution de l’effet du score à l’examen de fin du secondaire (8%), du délai d’inscription à l’université (1%) et de la réforme (26%) est constatée. En ce qui concerne l’expérience universitaire, les étudiants ayant redoublé ont 78% plus de risques d’abandonner avant l’inscription à la maîtrise.

Les résultats présentés au Tableau 3 montrent une absence de médiation du redoublement pour la profession du père (salarié), le lieu de naissance et le délai d’inscription. Une absence de médiation du redoublement avec un lien direct uniquement est révélée pour le genre et le domaine d’étude. Une médiation indirecte uniquement du redoublement est constatée pour la profession du père (autre), l’âge à l’inscription et le score à l’examen de fin du secondaire. Enfin, concernant la réforme universitaire, il ressort des effets indirect et direct significatifs de signes opposés, ce qui traduit une médiation compétitive.

Modèle 4: analyse de médiation avec les deux variables médiatrices

Le modèle 4, qui considère simultanément les deux variables médiatrices, présente des résultats de la régression de Cox similaires au modèle 3: effet non significatif pour la profession du père (salarié et autre), pour le genre, pour l’âge à la première inscription à l’université, pour le lieu de naissance et pour le domaine d’étude. Toutefois, une baisse du rapport des cotes de 13% est observée pour le score à l’examen de fin du secondaire, de 1% pour le délai d’inscription à l’université et de 23% pour la réforme du système éducatif. En ce qui concerne l’expérience universitaire, les étudiants ayant redoublé ont 78% plus de risques d’abandonner avant la maîtrise et ceux ayant une bourse ont 23% plus de chances de persévérer à la maîtrise.

Tableau 3

Décomposition des effets des variables

Décomposition des effets des variables

Tableau 3 (suite)

Décomposition des effets des variables

Note. * = La proportion n’est pas calculée en cas de médiation compétitive ou d’effets direct et indirect de signe contraire ; AM = absence de médiation.

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L’analyse de médiation révèle une absence de médiation des deux variables médiatrices pour la profession du père (salarié) et le lieu de naissance. Il y a une absence de médiation des deux variables médiatrices avec un lien direct uniquement pour le genre. Une médiation indirecte uniquement des deux variables médiatrices pour la profession du père (autre), pour l’âge à l’inscription et pour le domaine d’étude est obtenue. Pour le score à l’examen de fin du secondaire, les résultats indiquent une médiation complémentaire (effets direct et indirect significatifs et de même signe). Concernant le délai d’inscription et la réforme du système universitaire, il ressort des effets direct et indirect significatifs et de signes opposés, d’où l’existence d’une médiation compétitive.

Discussion

L’objectif de cette recherche consistait à analyser l’effet médiateur de l’expérience universitaire sur la relation entre les caractéristiques de préadmission et la persévérance aux études à la maîtrise en STIM au Burkina Faso. Un premier constat concerne la faible proportion d’étudiants qui progressent jusqu’à l’inscription à la maîtrise. Ce résultat est cependant plus élevé qu’au Togo (pays frontalier du Burkina Faso), où seulement 20% des étudiants de première année en sciences s’inscrivent en deuxième année (Houme, 2009). Une faible persévérance aux études pourrait être considérée comme une perte de main-d’oeuvre qualifiée dans ce domaine (Rottinghaus et al., 2018) et comme une inefficience des dépenses publiques. Les autorités gouvernementales devraient se pencher sur les motifs d’abandon dans ces programmes. Une amélioration de la persévérance aux études à la maîtrise permettrait d’investir dans le développement socioéconomique. Une croissance économique soutenue en Afrique exige un renforcement des capacités en STIM, de même que plus de main-d’oeuvre qualifiée à la maîtrise, au doctorat et en recherche appliquée pour accroître la mise en oeuvre des technologies et la productivité totale.

Les résultats du modèle 4 indiquent que les étudiants ayant redoublé ont 78% plus de risques d’abandonner avant la maîtrise en STIM, tandis que ceux ayant une bourse ont 23% plus de chances de persévérer à la maîtrise. L’offre de bourse aux étudiants leur permettrait non seulement de payer les frais de scolarité, mais aussi de se procurer des livres de cours et de persévérer aux études à la maîtrise en STIM. Ces résultats sont représentatifs de ceux trouvés pour chacune des variables médiatrices. Ils corroborent ceux de Kobiané et Pilon (2013) et s’inscrivent dans le modèle de Tinto, qui postule que l’expérience universitaire à travers des ressources financières affecte la persévérance aux études. Terkla (1985) indique qu’aux États-Unis (n = 12 980), le fait de recevoir de l’aide financière a aussi un effet positif sur la persévérance aux études. Ces résultats vont dans le même sens que ceux de Chen et Desjardins (2010), qui démontrent que les prêts subventionnés ont en moyenne un effet positif sur la persévérance aux études, tandis que les prêts non subventionnés n’exercent aucune influence significative. Au Burkina Faso, la reprise d’un cours réfère à une reprise d’un échec, plutôt que de viser l’amélioration de la note, ce qui explique les différences par rapport à l’étude de Wood (2014) aux États-Unis.

Contexte familial

Variable peu considérée dans la littérature (Loye et al., 2017; Murdoch et al., 2012), la profession du père fait ressortir des différences en matière de persévérance aux études à la maîtrise en STIM au Burkina Faso. Les étudiants dont le père travaille dans un secteur autre que l’agriculture et l’administration publique persévèrent moins à la maîtrise. L’hypothèse avancée est que ces étudiants persévèrent moins, car les activités commerciales se déroulent tout au long de l’année, tandis que l’activité agricole concerne une période plus courte (juillet à octobre, ce qui correspond aux périodes des vacances scolaires). Ainsi, même si les étudiants travaillent avec leur père paysan pendant la saison agricole, leur temps voué aux études n’en est pas affecté. Ces inégalités s’expliqueraient principalement par le redoublement (médiation indirecte uniquement); l’absence de médiation pour la bourse étant constatée au modèle 2. Pour les étudiants dont le père est salarié et ceux dont le père est paysan, aucun lien et aucune médiation ne sont recensés avec l’expérience universitaire et la persévérance aux études à la maîtrise en STIM.

Caractéristiques personnelles

Les étudiantes ont moins de chances de s’inscrire aux études à la maîtrise en STIM, comparativement à leurs collègues masculins. Dans le contexte burkinabè, les femmes consacrent beaucoup de temps aux travaux ménagers (cuisine, lessive, etc.) et aux soins pour les membres du ménage, ce qui limite le temps consacré aux études. Cette situation constitue un obstacle à la persévérance en STIM, et compromet l’accès à des emplois décents et à l’autonomie (Banque mondiale, 2020). La différence selon le genre est aussi constatée aux États-Unis et en Europe (Ehrenberg, 2010; Green et Sanderson, 2018; Smeding, 2012), mais le constat inverse s’applique au Canada (Kamanzi et al., 2016). Que ce soit l’obtention d’une bourse ou le redoublement, aucune de ces deux variables médiatrices ne permet d’expliquer cette inégalité. Une avenue à privilégier serait de considérer la préparation universitaire, qui permet d’éliminer une partie de la différence entre femmes et hommes en matière de persévérance aux études (Griffith, 2010; Price, 2010). Des recherches sur les pratiques d’étude, sur les projets socioprofessionnels et sur les approches pédagogiques pourraient aider à comprendre ces résultats.

Les différences liées à l’âge lors de l’inscription à l’université sont également répertoriées (Green et Sanderson, 2018; Kokkelenberg et Sinha, 2010). Selon ces auteurs, commencer les études en STIM à un jeune âge serait donc avantageux pour améliorer la persévérance aux études. Ces inégalités s’expliqueraient par le redoublement (médiation indirecte uniquement); l’absence de médiation pour la bourse étant constatée au modèle 2.

Aucun lien et aucune médiation ne sont recensés pour le lieu de naissance (rural ou urbain) avec l’expérience universitaire et la persévérance aux études à la maîtrise en STIM. L’inclusion de cette variable dans la recherche repose sur le fait qu’au Burkina Faso comme dans nombre de pays africains, les écoles secondaires et les universités se trouvent généralement en zones urbaines (Schewel et Fransen, 2018), ce qui implique une migration vers les villes.

Expérience scolaire antérieure

À l’opposé d’autres études (Kokkelenberg et Sinha, 2010; Price, 2010), la présente étude ne recense pas de différences quant à la persévérance aux études à la maîtrise en STIM entre les étudiants ayant reçu une formation dans ce domaine au secondaire et ceux d’autres programmes d’études. Ce résultat pourrait s’expliquer par la faible proportion d’étudiants d’autres programmes qui poursuivent des études en STIM à l’université. Que ce soit l’inclusion de la variable médiatrice bourse ou redoublement, il ressort un lien direct sur la persévérance aux études à la maîtrise en STIM. L’inclusion des deux variables médiatrices amène à expliquer ces inégalités (médiation indirecte uniquement). Bien que le domaine d’étude ne prédise pas la persévérance aux études en STIM, son effet est expliqué par les deux variables médiatrices liées à l’expérience universitaire (bourse et redoublement). Ce résultat conforte ainsi la thèse de Zhao et al. (2010), selon laquelle nul besoin d’avoir un effet significatif de la variable d’exposition pour analyser une médiation. Remarquons que c’est en présence des deux variables médiatrices que la médiation indirecte uniquement est observée; il en découle que l’obtention de la bourse et un meilleur encadrement des étudiants peuvent expliquer l’effet du domaine d’étude. Des études futures sont nécessaires pour tenter d’expliquer davantage ces résultats. Une avenue à explorer concerne les travaux d’Ehrenberg (2010), qui indiquent que l’effet de cette variable passerait principalement par une autre variable de l’expérience universitaire, soit la performance scolaire à l’université.

Le score à l’examen de fin du secondaire est un critère de différenciation en matière de persévérance aux études à la maîtrise en STIM au Burkina Faso, comme dans d’autres pays (Green et Sanderson, 2018; Kamanzi et al., 2010; Kokkelenberg et Sinha, 2010; Price, 2010). Si l’inclusion de la variable médiatrice bourse ne permet pas d’expliquer les inégalités liées à la persévérance aux études à la maîtrise en STIM, l’inclusion de la variable médiatrice redoublement uniquement le permet. Lorsque les deux variables médiatrices sont prises en compte, une médiation complémentaire est observée, ce qui permet d’expliquer en partie la relation entre les caractéristiques de préadmission et la persévérance aux études à la maîtrise en STIM. Des recherches futures sont nécessaires pour tenter d’expliquer ces résultats. Une avenue à explorer est de considérer ce facteur en lien avec les performances des étudiants dans les cours à l’université (Ehrenberg, 2010).

Les étudiants qui s’inscrivent plus tard (après un an) ont moins de chances de persévérer aux études à la maîtrise en STIM, comparativement à ceux l’ayant fait plus tôt. Une médiation indirecte de la variable bourse est obtenue. L’obtention d’une bourse vient expliquer les inégalités entre les étudiants selon le délai d’inscription. Une médiation compétitive est constatée lors de l’inclusion des deux variables médiatrices. Les bourses sont offertes aux récents diplômés du secondaire qui satisfont les conditions d’obtention (âge, délai d’inscription, revenu des parents, etc.); les étudiants qui ne s’inscrivent pas immédiatement après leur succès à l’examen de fin du secondaire ont peu de chances d’obtenir une bourse. Ainsi, le délai d’inscription serait négativement associé à l’obtention d’une bourse, qui est positivement associée à la persévérance aux études. Cet aspect expliquerait la médiation compétitive constatée. À notre connaissance, cette variable est absente de la littérature scientifique et doit être plus documentée.

Les résultats des étudiants inscrits après la réforme universitaire de 2000 sont aussi révélateurs de l’amélioration de la persévérance aux études à la maîtrise en STIM. Dans le cadre de cette réforme, l’université est passée d’un système de certificats à un système modulaire, ce qui permet aux étudiants de s’inscrire à plusieurs reprises à un cours jusqu’à l’obtention du diplôme (ce qui était préalablement limité à trois inscriptions avant cette réforme). Des améliorations ont aussi concerné l’octroi de l’aide financière à nombre d’étudiants et l’augmentation de l’attribution de bourse d’études. Une médiation indirecte est obtenue pour la variable bourse, tandis qu’une médiation compétitive est obtenue pour le redoublement uniquement et lors de l’inclusion des deux variables médiatrices. L’existence d’une médiation compétitive suggère la présence d’autres variables médiatrices (p. ex., l’interaction avec les pairs et le corps professoral) non prises en compte dans l’analyse (Zhao et al., 2010).

Limites

Malgré les contributions de la présente recherche, une des limites concerne la non-prise en compte de certaines variables: éducation des parents et interaction entre les étudiants et les enseignants pour mieux comprendre la persévérance aux études en sciences et technologies. Les conditions d’apprentissage et d’encadrement ainsi que de pédagogie universitaire sont également des perspectives de recherche intéressantes en lien avec la persévérance aux études en STIM. Enfin, des recherches sur la persévérance à la licence et au doctorat sont des avenues à explorer, et ce, dans des pays africains ayant des caractéristiques similaires du système éducatif.

Conclusion

Cette recherche a permis de contribuer à approfondir les connaissances sur la persévérance aux études à la maîtrise en STIM au Burkina Faso. Elle démontre l’importance du rôle médiateur de l’expérience universitaire (bourse et redoublement) sur la relation entre les caractéristiques de préadmission et la persévérance aux études à la maîtrise. Elle y contribue de diverses façons:

  1. une des premières en STIM dans le contexte burkinabè et africain;

  2. utilisation de 14 cohortes d’étudiants (près de 14 000 étudiants);

  3. utilisation du modèle de régression de Cox (1972) pour tenir compte du processus longitudinal de la persévérance aux études;

  4. utilisation de l’approche moderne d’analyse de médiation de Zhao et al. (2010).

Les deux variables médiatrices (bourse et redoublement) permettent d’expliquer l’effet des caractéristiques de préadmission (la profession du père [autre], l’âge à l’inscription et le domaine d’étude au secondaire) sur la persévérance aux études à la maîtrise en STIM au Burkina Faso; l’effet étant majoritairement causé par le redoublement. Pour le score à l’examen de fin du secondaire (médiation complémentaire), les deux variables médiatrices expliqueraient en partie sa relation avec la persévérance aux études à la maîtrise en STIM. Selon Zhao et al. (2010), cela indiquerait que d’autres variables médiatrices devraient être incluses dans les analyses. Grâce à l’octroi d’une bourse selon le besoin et au renforcement de l’encadrement des étudiants pour réduire le redoublement, les taux d’inscription à la maîtrise en STIM pourraient être améliorés. Enfin, les deux variables médiatrices expliqueraient en partie le lien du délai d’inscription et de la réforme avec la persévérance aux études à la maîtrise en STIM (médiation compétitive). La variable bourse seule explique tout l’effet de ces deux variables. Ainsi, l’apport de la bourse est essentiel pour une meilleure persévérance aux études, mais le redoublement apparaît comme le talon d’Achille dans la médiation des effets de la réforme et du délai d’inscription. Il ne suffit donc pas de donner des bourses pour assurer une meilleure persévérance aux études en STIM, mais de fournir un meilleur encadrement pour éviter les redoublements.

Les étudiants inscrits après la réforme de l’université en 2000 ont deux fois plus de chances de persévérer aux études à la maîtrise en STIM au Burkina Faso que ceux ayant fait leur inscription avant ladite réforme. Cependant, les taux d’inscription à la maîtrise restent faibles. L’expérience universitaire joue un rôle important expliquant les inégalités liées aux caractéristiques de préadmission. L’amélioration des conditions d’encadrement et la mise à disposition de ressources permettant de réduire le redoublement sont des approches à privilégier. Enfin, bien qu’un des objectifs de la réforme soit d’assurer l’accès égalitaire à une éducation de qualité, les femmes persévèrent moins que les hommes à la maîtrise en STIM. Des mesures devraient être mises en place afin de corriger la situation.

L’importance de mettre en place des dispositifs d’aide à la persévérance aux études en vue du renforcement du capital humain d’un pays ainsi que de son développement économique et social est reconnue. Améliorer la persévérance aux études à la maîtrise et au doctorat dans le domaine des STIM ainsi que la recherche sur cette problématique pourrait être un moyen puissant d’améliorer la vie des Burkinabè en apportant des solutions à certains des problèmes sociosanitaires (p. ex., le paludisme, les maladies hydriques, la faim, etc.). Cela contribuerait à l’atteinte des objectifs de développement durable à travers une éducation de qualité et inclusive.